LE DROIT À L `HUMOUR AU SEIN DES SERVICES DE

Transcription

LE DROIT À L `HUMOUR AU SEIN DES SERVICES DE
INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES EN DROIT DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
LE DROIT À L'HUMOUR
AU SEIN DES SERVICES DE
COMMUNICATION AUDIOVISUELLE
Mémoire réalisé par M. Jean-Michel PERIL
Sous la direction de M. Xavier AGOSTINELLI
Master II « Droit des médias et des télécommunications »
Parcours Médias Professionnel
Faculté de Droit et de Science
Politique d’Aix-Marseille
Aix-en-Provence
2009-2010
REMERCIEMENTS
En premier lieu, je tiens à remercier M. Grégoire Weigel, responsable du département
déontologie du CSA, pour m'avoir inspiré ce passionnant sujet ainsi que pour ces précieux
conseils et ses indications. Je remercie également M. Robert Ménard pour avoir eu la
gentillesse de m'accorder un entretien afin de débattre de ce sujet. De même, j'adresse mes
remerciements à M. Jérôme Bouvier pour m'avoir ouvert les portes de la Maison de la radio et
pour s'être entretenu avec moi sur ce thème.
En second lieu, je remercie toutes les personnes qui m'ont soutenu, d'une manière ou
d'une autre, durant l'élaboration de ce mémoire de fin d'études.
1
TABLES DES ABRÉVIATIONS
Al.
Alinéa
Art.
Article
CA
Cour d'appel
Cass.
Cour de cassation
Ch.
Chambre
Civ.
Civile
Convention EDH
Convention européenne des Droits de l'Homme
Cour EDH
Cour européenne des Droits de l'Homme
CPI
Code de la propriété intellectuelle
CSA
Conseil Supérieur de l'Audiovisuel
DDHC
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
DUDH
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
TGI
Tribunal de grande instance
SMA
Services médias audiovisuels
TSF
Télévision sans frontières
RSF
Reporters sans Frontières
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : UNE RECONNAISSANCE JURIDIQUE
IMPLICITE D'UN DROIT A L'HUMOUR EN MATIERE DE
COMMUNICATIONS AUDIOVISUELLES
Chapitre 1 : Le droit à l'humour, une liberté d'expression
Chapitre 2 : Le droit à l'humour, une liberté de
communication
DEUXIEME PARTIE : LES RESTRICTIONS AU DROIT A
L'HUMOUR
Chapitre 1 : Les restrictions traditionnelles, l'abus de droit
Chapitre 2 : Les limites inhérentes à la spécificité de ce droit
CONCLUSION
3
INTRODUCTION
« La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri » nous disait Chamfort
dans ses Maximes et Pensées au XVIIIème siècle. Outre les vertus thérapeutiques que l'on lui
connaît1, le rire – et plus particulièrement l'humour 2 – est considéré comme une forme
d'expression, de communication à part entière. Il permet en effet de communiquer des
opinions ou des discours qui, sous une forme plus commune, pourraient susciter des
difficultés de compréhension, voire même choquer. Selon les propres dires du
Doyen Jean Carbonnier, professeur émérite de droit privé et spécialiste de droit civil, les deux
vertus cardinales que se doit de posséder tout bon enseignant sont « l'amour du droit et le sens
de l'humour3 ». Il explique en effet que, le droit étant une science assez technique et
complexe, il est impossible de capter pleinement et durablement l'attention d'étudiants,
pourtant assidus, sans quelques boutades et plaisanteries dans le but de faire baisser un tant
soit peu la pression et de détendre l'atmosphère.
En dépit de définitions précises proposées pour la notion d'humour, celle-ci demeure
incertaine. Jean Sareil demandait d'ailleurs « Qu’est-ce que l’esprit, l’humour, la satire,
l’ironie ? [...] le fait que ce vague, cette absence de définition, se retrouvent non seulement en
français, mais en anglais, en allemand, en italien, etc. montre assez que la difficulté n’est pas
au niveau de la langue et du vocabulaire mais du sujet même 4 ». L'humour pourrait être défini
aujourd'hui comme une forme d'esprit qui s'attache à souligner le caractère comique, ridicule,
absurde ou insolite de certains aspects de la réalité. Si la caricature, la parodie et le pastiche
sont classiquement en marge de l'histoire de l'art, nombre d'artistes reconnus s'y sont adonnés
avec talent. Depuis l'Antiquité, le langage satirique 5 s'est affirmé comme un moyen d'étude et
1 De nombreuses études se sont penchées sur les vertus du rire. Il semblerait par exemple que l'humour puisse
réduire les sensations de douleur, stimuler le système immunitaire, améliorer les fonctions cognitives,
prévenir de certaines maladies cardio-vasculaires ou encore diminuer le stress.
2 De l'anglais humour, de l'ancien français humor, humeur.
3 MECHRI F., « L'humour et le droit, un hommage rendu au Doyen Jean Carbonnier », Publisud, 2009, p.11.
4 SAREIL J., « L'écriture comique », Paris : PUF, 1984, pp. 14-15.
5 Relatif à la satire. Du latin satura (la farce), la satire désignait traditionnellement un pamphlet ordinairement
mêlé de prose et de vers, dans lequel on s'attaquait aux mœurs publiques. Dans son sens plus actuel, elle
désigne aujourd'hui les écrits, propos ou œuvres par lesquels on raille ou on critique vivement quelqu'un ou
quelque chose.
4
de dénonciation ironique du monde, dont la diffusion fut largement favorisée par l'invention
des techniques de reproduction, depuis l'imprimerie et la gravure jusqu'aux sérigraphies
modernes. Les journaux satiriques, qui connurent au XIXème siècle un vaste développement et
pour lesquels travaillèrent de grands noms comme Honoré Daumier 6, donnèrent ses lettres de
noblesse à la caricature tout en réussissant à s'adresser à un public plus large que celui des
œuvres d'art.
Plus tard, les sociétés issues des civilisations méditerranéennes de l'Antiquité étaient,
également, le théâtre de moqueries et de boutades, particulièrement à l'encontre des
institutions en place. Molière utilisa l'humour pour critiquer les moeurs de la Cour ainsi que
celles des médecins et des bourgeois. Voltaire, voulant se déjouer de la censure, para ses
fameux pamphlets d'un certain cynisme empreint de drôleries. Très tôt donc, l'humour eut une
fonction satirique, fonction qu'il a rapidement exercée par le biais des différents médias dont
celui de la presse.
Reconnu à présent comme un principe fondamental attaché aux systèmes
démocratiques, la liberté de la presse repose sur les libertés d'opinion, de pensée et
d'expression. En droit interne, cette liberté a été consacrée par l'article 11 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et entérinée par une loi
du 29 juillet 1881. Cette loi consacre entre autres le droit à la critique des croyances, des
opinions ou des philosophies, quand bien même cette dernière serait faite sur un ton
polémique ou humoristique. La défense de ce droit à la critique par voie de presse a généré
une jurisprudence abondante, tant sur le plan national qu'européen, et a même conduit à la
création d'organisations non gouvernementales telles que Reporters sans Frontières7, fondée
en 1985 par le journaliste français Robert Ménard.
S'agissant des médias plus récents, la loi sur la liberté de la presse trouve son pendant en
matière de communications électroniques avec la loi Léotard du 30 septembre 1986.
6 Henri Daumier (1808 - 1879), était un graveur, caricaturiste, peintre et sculpteur français, dont les œuvres
commentaient la vie sociale et politique en France au XIX ème siècle.
7 Reporters sans frontières est une organisation non gouvernementale internationale, se donnant pour objectif
la défense de la liberté de la presse. Dans ses communiqués de presse et publications, RSF se définit ainsi :
« Reporters sans frontières défend les journalistes emprisonnés et la liberté de la presse dans le monde,
c'est-à-dire le droit d'informer et d'être informé, conformément à l'article 19 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme ». En 2005, Reporters sans frontières compte neuf sections nationales en Europe, des
représentations en Asie, en Amérique, à Moscou et Abidjan, ainsi que plus de cent vingt correspondants dans
le monde.
5
En théorie, le droit à l'humour ou à la critique se trouverait donc garanti indifféremment
du moyen de communication sur lequel il est exercé. En pratique pourtant, l'absence de
législations précises et adaptées, ainsi que les échecs répétés des Etat quant à l'instauration
d'un système de régulation efficace, laissent à penser que l'Internet permettrait de jouir d'une
liberté de ton inédite. Les tribunaux eux-mêmes semblent ne parvenir que difficilement à
appliquer les limites de la liberté d'expression à l'Internet. La Cour européenne des droits de
l'homme ne prononce par exemple que des arrêts déclaratoires en la matière et les juridictions
nationales ont bien conscience que, si une règle ou une procédure nationale ont été jugées
contraire aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme dans une
affaire quelconque, le non-respect par elles de la décision de la Cour de Strasbourg
emporterait la condamnation de la France et l'engagement de sa responsabilité internationale.
Face à cette hésitation des tribunaux, il existe d'autres communications électroniques qui
suscitent des questionnements quant à l'exercice d'une liberté d'expression et donc d'un droit à
l'humour : les services de communication audiovisuelle.
La communication audiovisuelle s'entend de la communication au public de services de
radio et de télévision8. Progressivement, des contenus de divertissement ont fait leur
apparition, laissant ainsi place à des contenus plus fantaisistes que ceux proposés par les
émissions classiques d'information. Peut-être était-ce dans le but d'éviter l'homogénéisation
des médias dont parlait le sociologue Pierre Bourdieu 9, dans son ouvrage intitulé Sur la
télévision, toujours est-il que certains de ces programmes se sont évertués à proposer aux
téléspectateurs et aux auditeurs des contenus humoristiques et moins consensuels.
Du Petit Rapporteur à Coluche Un faux en passant par le Bébête Show10, la télévision et avant
elle, la radio libre, offraient une critique de la société contemporaine toujours amusante,
parfois impertinente. Aujourd'hui, une grande partie des émissions télévisées ou
radiophoniques sont du même registre et il n'est pas rare de voir un humoriste ou un imitateur
faire l'objet de contestations. Par opposition aux lacunes dont souffre l'encadrement de
8 Définition résultant de l'alinéa 3 de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de
communication.
9 Pierre Bourdieu (1930-2002) est un sociologue français considéré comme l’un des acteurs principaux de la
vie intellectuelle française. Sur la télévision est un livre retranscrivant le contenu de deux émissions
télévisées journalistiques qui ont été réalisées et diffusées en 1996 qui, selon le sociologue, au lieu de
produire de la différence, produisent un contenu homogène.
10 Le Petit Rapporteur était une émission de télévision française satirique, créée par Jacques Martin et Bernard
Lion et diffusée entre 1976 et 1978. Dans le même idée, le Bébête show avait été créé par Jean Amadou,
Stéphane Collaro et Jean Roucas et diffusée de 1983 à 1995. En 1985, l'humoriste Coluche animait Coluche
un faux sur Canal +.
6
l'expression sur Internet, les services de communication audiovisuels font, quant à eux, l'objet
d'une régulation de leurs contenus, notamment par l'intermédiaire du Conseil Supérieur
de l'Audiovisuel.
On observe ainsi, qu'au regard de l'humour et donc de la liberté d'expression, il
existerait des régimes juridiques variables selon les moyens de communication mis en oeuvre.
Cette différence de traitement pose la difficulté de l'établissement d'une définition juridique
uniforme de l'humour à travers ses modes d'expression. L'humour en matière de
communications audiovisuelles semble être à la jonction d'une consécration juridique
comparable à celle dont peut se targuer la presse écrite d'une part, et les vacillations relatives à
la régulation des contenus diffusés sur Internet, d'autre part. Mais alors, peut-on parler de
l'existence d'un droit à l'humour au sein des communications audiovisuelles ?
En l'absence de précisions législatives ou jurisprudentielles, le droit à l'humour en
matière de communication audiovisuelle, corollaire de la liberté d'expression, fait l'objet d'une
reconnaissance juridique implicite (I) tempérée toutefois par des limites traditionnelles mais
aussi inhérentes à son particularisme (II).
7
PREMIERE PARTIE : UNE RECONNAISSANCE
JURIDIQUE IMPLICITE D'UN DROIT A
L'HUMOUR EN MATIERE DE
COMMUNICATIONS AUDIOVISUELLES
8
Si le droit à l'humour ne fait, à ce jour, l'objet d'aucune consécration directe, aussi bien
en droit interne qu'en droit international, il trouve cependant son fondement dans la liberté
d'expression (Chapitre 1) et dans la liberté de communication (Chapitre 2).
9
Chapitre 1 : Le droit à l'humour, une liberté d'expression
Pour appréhender l'humour comme concept juridique, il convient de rattacher ce dernier
à un autre concept juridique, à savoir la liberté d'expression. L'humour en tant que forme
d'expression se trouve donc indirectement consacré par le droit international (Section 1) et par
le droit interne (Section 2).
Section 1 : L'humour, une liberté d'expression consacrée par le droit
international
La liberté d'expression a fait l'objet d'une reconnaissance par le droit international (§1)
ainsi que par le droit européen (§2) et sa jurisprudence (§3).
Paragraphe 1 : La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
La liberté d'opinion et d'expression est généralement considérée comme une liberté
fondamentale. Les libertés fondamentales ou droits fondamentaux représentent juridiquement
l'ensemble des droits subjectifs primordiaux pour l'individu, assurés dans un État de droit et
une démocratie. Elles recouvrent en partie les droits de l'homme au sens large, notamment
ceux dits de « première génération ». Les origines de la liberté d'expression sont à trouver
dans le monde occidental. Il s'agit d'une tradition laïque, républicaine et démocratique, qui a
commencé à émerger vers la fin du XVIII ème siècle. Auparavant, une telle liberté était réservée
aux autorités royales, seigneuriales ou religieuses. En 1789, la liberté d'expression a été
inscrite dans deux constitutions, une de chaque côté de l'Atlantique. Les Etats-Unis, venant
d'acquérir leur indépendance au détriment au Royaume-Uni, adoptèrent leur propre
constitution en 1776 qui fut amendée pour la première fois en 1789. C'est ce premier
amendement qui garantira aux citoyens leur liberté d'expression, en proclamant que le
Congrès s'engageait à ne promulguer aucune loi qui irait à l'encontre de la liberté de parole ou
à celle de la presse. Ainsi, il ne s'agissait déjà pas seulement de la liberté de chacun d'exprimer
sa pensée, ses idées ou ses croyances, mais aussi du droit de la presse d'informer et de
distribuer de telles pensées sans restrictions de la part des autorités.
10
Il faudra néanmoins attendre le XX ème siècle et les tragédies de deux guerres mondiales,
pour que soient établis de tels principes au niveau mondial. Après la Seconde Guerre
Mondiale, l'Organisation des Nations Unies endossa le rôle de garant de la paix et de la
liberté. Elle considéra que chaque peuple possède des droits inaliénables et égaux, et que c'est
le mépris de ces droits qui est à l'origine des barbaries commises par l'homme. L'ONU fut
fondée en 1948 et la même année, les 58 Etats Membres qui constituaient alors
l’Assemblée Générale adpotèrent la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette
Convention assure la liberté d'expression à son article 19 en déclarant : « Tout individu a droit
à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses
opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ». Selon les termes de
cet article, la communication d'informations et d'idées peut être librement exercée, quels que
soient les moyens mis en oeuvre. Ces « moyens » peuvent être entendus au sens technique du
terme et par là, faire référence aux médias. Mais les « moyens » peuvent aussi concerner la
nature même de l'expression et donc, être relatifs à la critique, l'humour ou la satire. Ayant
valeur de simple recommandation, cette déclaration de principes représente un « idéal
commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». Cependant, l'absence de force
juridique contraignante ne saurait minimiser son exceptionnelle portée historique et politique.
La Déclaration de 1948 peut être considérée comme l'une des sources d'inspiration d'un grand
nombre de règles juridiques internationales et nationales.
Sur la base des préceptes énoncés par la DUDH, le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques et ses deux Protocoles facultatifs, ainsi que le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels, ont été votés en 1966, mais sont entrés en vigueur
en 1976. Ces deux Pactes ont repris nombre d’articles enchâssés dans la Déclaration en les
rendant contraignants à l'encontre des États signataires. Ils définissent des droits ordinaires
tels que le droit à la vie, l’égalité devant la loi, la liberté d’expression, les droits au travail, à la
sécurité sociale et à l’éducation. Avec la Déclaration, ces Pactes constituent la Charte
internationale des droits de l'homme.
11
Paragraphe 2 : Le droit européen
Le Conseil de l'Europe11 a été créé en 1949, pour défendre la démocratie, l'Etat de droit
et les droits de l'homme. La Convention européenne des droits de l'homme, signée
le 4 novembre 1950, est entrée en vigueur le 3 septembre 1953 et a été ratifiée par les 46 États
membres du Conseil. La liberté d'expression y est consacrée à l'article 10 qui dispose que
« Toute personne a droit à sa liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la
liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir
une ingérence des autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article
n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de
télévision à un régime d'autorisations ». Les termes employés, faute de précision, traduisent
une liberté de recevoir ou de communiquer des informations d'une manière générale. Dans la
mesure où l'humour et ses déclinaisons sont une forme d'expression et de communication,
cette disposition conventionnelle trouve à s'appliquer en matière de critique ou de satire.
Néanmoins, le droit de s'exprimer librement, comme tout droit, est susceptible d'abus et se
doit par conséquent d'être encadré.
Le second alinéa de cet article 10 ajoute en effet que « l'exercice de ces libertés
comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités,
conditions, restrictions ou sanctions prévues à la loi, qui constituent des mesures nécessaires,
dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté
publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la
morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation
d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir
judiciaire ». Aux termes de cette disposition, il ressort la nécessité de concilier la liberté
d'expression avec les autres libertés, compte tenu notamment de l'arrivée de nouveaux moyens
de communication.
La volonté de légiférer et de garantir la liberté d'expression a su s'adapter à l'émergence
de nouveaux médias. Les progrès techniques et la concurrence économique entraînant des
mutations et des bouleversements dans les domaines de la communication et de l'information,
11 Le Conseil de l’Europe est une instance non élue par le peuple mais fondée en 1949. Doyenne des
organisations œuvrant en faveur de la construction européenne, cette organisation internationale dotée d'une
personnalité juridique, a été reconnue par le droit international public et rassemble aujourd’hui 800 millions
de ressortissants de 47 États membres.
12
la nécessité d'une entente interétatique relative à la radiodiffusion transfrontière se fit ressentir
dès le début des années 80. Les phénomènes de privatisation, de multiplication des chaînes et
l'accroissement des possibilités de diffusion au niveau mondial ont considérablement modifié
le paysage audiovisuel européen et avec lui, la manière de communiquer.
Le 15 mars 1989, le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté la convention
européenne sur la télévision transfrontière, ouverte le 5 mai 1989 à la signature des
Etats membres du Conseil. Cette convention est entrée en vigueur le 1 er mai 1993. À ce jour,
plus d'une trentaine d'Etats l'ont signée, vingt-deux l'ont ratifiée, dont la France
le 21 novembre 1994.
Cette convention offre aux signataires un cadre juridique visant à faciliter la diffusion
transfrontière des services de programmes de télévision en Europe. Elle garantit la liberté de
réception et de retransmission de ces services, définit un ensemble de règles de base
communes pour leur développement harmonieux et contribue à la promotion de l'industrie
audiovisuelle européenne. L'article 4 de la Convention sur la télévision transfrontière adoptée
explique que « les Parties assurent la liberté d'expression et d'information conformément à
l'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
fondamentales et elles garantissent la liberté de réception et ne s'opposent pas à la
retransmission sur leur territoire de services de programmes qui sont conformes aux
dispositions de la présente Convention ». Suite de cette convention, la Commission
européenne a jugé bon de faciliter l'aménagement de la législation interne des Etats membres.
La directive 89/552/CEE « Télévision Sans Frontières » du 3 octobre 1989 visait à
assurer la libre circulation des services de radiodiffusion au sein du marché intérieur, tout en
préservant certains objectifs importants d'intérêt public tels que la diversité culturelle, le droit
de réponse, la protection des consommateurs et la protection des mineurs. Elle avait
également pour objectif de promouvoir la distribution et la production des programmes
audiovisuels européens en leur assurant, notamment, une place majoritaire dans la grille des
programmes des chaînes de télévision. En juin 1997, le Parlement européen et le Conseil ont
adopté une nouvelle directive visant à accroître la sécurité juridique et à moderniser les
dispositions initiales. Le 11 décembre 2007, la directive relative aux services de médias
audiovisuels12 entre en vigueur et remplace la directive TSF tout en reprenant et élargissant les
12 Directive SMA 2007/65/CE du 11 décembre 2007 modifiant la directive 89/552/CEE du Conseil visant à la
coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres
13
principes dégagés, dont la liberté d'expression.
Paragraphe 3 : La jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'Homme
La Cour européenne des droits de l'homme 13 est une juridiction, créée au sein du
Conseil de l'Europe et siégeant à Strasbourg. Elle est compétente lorsqu'un État membre du
Conseil ne respecte pas les droits et les libertés reconnus par la Convention de sauvegarde des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales. Elle est considérée comme garante
essentielle de l'internationalisation des sources du droit en Europe. La Cour ne peut cependant
être saisie que lorsque toutes les voix de recours internes ont été épuisées. Les juges nationaux
demeurent de ce fait les juges de droit commun, s'agissant de l'interprétation et de
l'application des dispositions de la Convention EDH. Néanmoins, à travers les décisions de
condamnation ou de non condamnation que rendent la Cour, l'ensemble des Etats membres
peut prendre acte de l'avis du juge européen sur certains articles de la Convention, dont
l'article 10 relatif à la liberté d'expression.
La jurisprudence de la Cour EDH concernant cet article est abondante. Elle a qualifié la
liberté d'expression comme étant « l'une des conditions de base pour le progrès des sociétés
démocratiques et pour le développement de chaque individu »14. Elle a, en outre, eu l'occasion
de préciser que l'exercice d'une telle liberté s'entendait « sans considération des frontières »15.
Pour autant, la liberté d'expression n'est pas absolue et la Cour admet qu'un Etat puisse
être amené à la restreindre dans certains cas. Dans un arrêt datant du 24 novembre 199316, la
Cour a éclairci le sens de la troisième phrase du premier paragraphe de cet article 10 en
expliquant que cette disposition avait pour but de « préciser que les Etats peuvent
réglementer, par un système de licences, l'organisation de la radiodiffusion sur leur territoire,
en particulier ses aspects techniques. Pour importants que soient ces derniers, d'autres
considérations peuvent, elles aussi, conditionner l'octroi ou le refus d'une autorisation, dont
relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle.
13 Le 1er novembre 1998 est entré en vigueur le Protocole n°11 instituant ainsi la nouvelle Cour européenne des
Droits de l'Homme qui siège de façon permanente et remplace les deux anciens organes de contrôle de la
Convention, la Cour et la Commission.
14 CEDH, Handyside c/ Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A n° 24, § 49.
15 CEDH, Association Ekin c/ France, n°39288/98, Recueil 2001-VIII, § 62.
16 CEDH, Informationsverein Lentia et autres c/ Autriche, arrêt du 24 novembre 1993, série A n°276, § 32.
14
celles qui concernent la nature et les objectifs, d'une future station, ses possibilités d'insertion
au niveau national, régional ou local, les droits et besoins d'un public donné, ainsi que les
obligations issues d'instruments juridiques internationaux. Il peut en résulter des ingérences
dont le but, légitime au regard de la troisième phrase du paragraphe 1, ne coïncide pourtant
pas avec l'une des fins que vise le paragraphe 2. Leur conformité à la Convention doit
néanmoins s'apprécier à la lumière des autres exigences de celui-ci ».
L'existence d'un but légitime ne suffit cependant pas à déclarer une ingérence conforme
à la Convention. En effet, toute restriction à la liberté d'expression doit également être prévue
par la loi. La Cour a par exemple conclu à une violation de l'article 10 dans l'affaire
Herczegfaly contre Autriche du 24 septembre 199217. Elle a ici constaté l'absence de base
légale pour les restrictions imposées à un requérant qui souhaitait accéder à des écrits, à la
radio et à la télévision, ainsi que pour l'ingérence dans l'exercice de son droit de recevoir des
informations pendant son traitement et son internement psychiatriques.
Par ailleurs, toute restriction à la liberté d'expression doit être « nécessaire dans une
société démocratique ». Selon la jurisprudence de la Cour, l'adjectif « nécessaire » implique
« un besoin social impérieux ». Les Etats membres jouissent d'une certaine marge
d'appréciation quant à l'examen d'un tel besoin mais toujours sous l'égide d'un contrôle
européen. La Cour a d'ailleurs précisé que « s'il s'agit d'une ingérence dans l'exercice des
droits et libertés garantis dans le paragraphe 1 de l'article 10, ce contrôle doit être strict en
raison de l'importance de ces droits, importance que la Cour a maintes fois soulignée. La
nécessité de les restreindre doit se trouver établie de manière convaincante »18. La Cour veille
à ce que toute restriction soit proportionnelle à l'objectif visé sous peine de pas être considérée
comme « nécessaire dans une société démocratique ». Cette dernière précision de la Cour de
Strasbourg peut paraître abstraite si l'on raisonne en terme d'expression humoristique, quand
on sait que les juridictions nationales peinent à restreindre de « manière convaincante » la
critique ou la satire, dont l'intensité peut être révélatrice d'un régime totalitaire ou
démocratique.
Si l'on peut regretter que c'est en matière de presse que la Cour a été le plus souvent
amenée à se prononcer, rien n'empêche pour autant la possibilité de transposer ces
interprétations de l'article 10 au droit à l'humour au sein des services de communication
17 CEDH, Herczegfalvy c/ Autriche, arrêt du 24 septembre 1992, série A n°244.
18 CEDH, Autronic AG c/ Suisse, arrêt du 22 mai 1990, série A n°178, § 61.
15
audiovisuelle. Le premier arrêt rendu par la Cour relatif la liberté d'expression et
d'information par voie de presse concerne le journal Sunday Times et date du 26 avril 197919.
Selon la Cour, il y a eu violation de l'article 10 due à une injonction qui empêchait la
publication d'un article et les procès qui en résultaient. Cette mesure n'a pas été considérée
comme « nécessaire dans une société démocratique ».
À travers l'examen des différents principes énoncés au niveau international et européen,
ressort l'idée que l'expression est, et doit être entendue au sens large, comprenant ainsi
l'humour. Cependant, si aucune de ces dispositions ne semble faire mention précisément de
l'existence d'un droit à l'humour, le droit interne ne manque pas de réaffirmer l'importance de
la liberté d'expression.
Section 2 : L'humour, une liberté d'expression consacrée en droit
interne
La liberté d'expression entendue au sens large a, en France, une valeur
constitutionnelle (Paragraphe 1) poussant ainsi le législateur à reconnaître certaines formes
particulières de l'expression que sont la parodie, la caricature ou la pastiche (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La liberté d'expression en France
Bien avant l'entrée en vigueur des différents textes internationaux et européens
précédemment envisagés, la liberté d'expression en France a été proclamée au lendemain de la
Révolution de 1789. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen est un des textes
fondamentaux de la Révolution française, qui expose un ensemble de droits naturels
individuels et collectifs. Elle a été adoptée définitivement le 26 août 1791.
Cette Déclaration comporte un préambule, et 17 articles, qui mêlent des dispositions
concernant des libertés individuelles, politiques ou économiques. Parmi cette énonciation de
droits fondamentaux, il est intéressant de s'intéresser à l’article 10 20 qui instaure deux droits se
19 CEDH, Sunday Times c/ Royaume-Uni (n°1), 26 avril 1979, série A n°30, § 65.
20 Art.10 DDHC : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».
16
voulant complémentaires, à savoir la liberté d’opinion et la liberté religieuse. L’adoption de
cet article a posé de nombreux problèmes à l’Assemblée Nationale, car les questions
religieuses étaient la source de bien des conflits. Les protestants luttèrent pour obtenir un droit
reconnu qui leur permettrait d’exercer leur religion en France au même titre que les
catholiques. Les protestants étaient considérablement lésés par les pratiques discriminatoires
de l’Ancien Régime, qui peuvent paraître scandaleuses de nos jours, mais qui, à l’époque,
étaient courantes dans les pays catholiques. L’article 11 est le prolongement de l’article 1021. Il
prône la liberté d’opinion et la complète par la liberté de communiquer ses pensées, plus
connue aujourd'hui sous l'appellation de liberté d’expression. Ainsi, ces dispositions confèrent
la possibilité d'écrire, d'imprimer et de parler librement, y compris donc, lorsque cela implique
quelques épigrammes ou sarcasmes.
Il faudra attendre la Constitution de 1958 pour voir apparaître un organe compétent pour
défendre ces droits et libertés. Le Conseil constitutionnel est une institution française créée
par la Constitution de la Vème République. Il se prononce, entre autre, sur la conformité à la
Constitution des lois et de certains règlements, dont il est saisi. Lors de la décision
du 16 juillet 197122, le Conseil reconnut au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958,
qui opère un renvoi au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et à la DDHC, une
valeur constitutionnelle, plaçant ainsi la liberté d'expression au sommet de la hiérarchie des
normes23. Attaché à sa mission de protecteur des libertés des citoyens et de garant de l'Etat de
droit, le Conseil n’a eu de cesse d’étendre le contenu du « bloc de constitutionnalité24 », le
plus souvent sur la base des différents principes auxquels renvoie le préambule de la
Constitution mais également en faisant preuve parfois d’une certaine créativité.
Depuis cette décision, plusieurs occasions se sont présentées au Conseil constitutionnel
pour réaffirmer l'importance et la place de la liberté d'expression dans une société
21 Art. 11 DDHC : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté
dans les cas déterminés par la loi ».
22 Ccel, 71-44 DC du 16 juillet 1971.
23 La hiérarchie des normes est une vision synthétique du droit mise au point par le juriste austro-américain
Hans Kelsen. Il s'agit d'une vision hiérarchique des normes juridiques.
24 Le bloc de constitutionnalité inclut la Constitution de 1958, le préambule de 1946, la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen de 1789, la Charte de l'environnement, les principes fondamentaux reconnus par
les lois de la République ainsi que les principes constitutionnels dégagés par le Conseil constitutionnel. Le
terme de « bloc de constitutionnalité » a été créé par le doyen Louis Favoreu de la faculté d'Aix-en-Provence.
Cette expression traduit le fait que l'ensemble des normes précitées sont théoriquement de même niveau dans
la hiérarchie des normes.
17
démocratique. Récemment encore, dans une décision du 27 février 2007 25 concernant la loi
relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, le juge
constitutionnel a repris dans son considérant 15, les termes de l'article 11 de la DDHC. De
même, la décision du 28 mai 201026 portant sur l'Union des familles en Europe a fait l'objet
d'un raisonnement et d'une citation analogue.
Au delà de la créativité dont peut faire preuve le Conseil constitutionnel pour garantir au
mieux les droits et libertés, l’extension du bloc de constitutionnalité pose la question de la
conciliation de normes de référence d’inspiration différente. Comment concilier par exemple
liberté et sécurité ou propriété et droit au logement ? Le Conseil n’a jamais reconnu de
hiérarchie formelle entre les différentes normes composant le bloc de constitutionnalité. Ainsi,
il n’utilise pas de méthodes qui auraient pu établir une hiérarchie objective. Il ne fait pas non
plus prévaloir les normes expressément formulées sur les normes inspirées de certains textes.
Il n’existe donc pas de hiérarchie formelle entre les droits et libertés des citoyens.
S'agissant de la conciliation entre la liberté d'expression et le droit de la propriété
intellectuelle, le législateur a en partie fourni des éléments de réponse.
Paragraphe 2 : L'exception de parodie
Le Code de la propriété intellectuelle a admis que l'humour, sous une forme parodique,
puisse aller à l'encontre des droits que possèdent un auteur sur son oeuvre (A) et par
extension, ceux que revendiquent le titulaire d'une marque (B).
A. La parodie et la propriété littéraire et artistique
Une oeuvre de l'esprit, telle que définie par le Code de la propriété littéraire et artistique
et par la jurisprudence, est une création intellectuelle empreinte de la personnalité de son
auteur et perceptible par les sens, c'est-à-dire faisant l'objet d'une concrétisation sur un
support. La personne revêtant la qualité d'auteur dispose d'un certain nombre de prérogatives
morales et patrimoniales sur son oeuvre. Un tiers peut exploiter une oeuvre sous réserve de
l'autorisation27 préalable de l'auteur. En l'absence d'une telle autorisation, le tiers peut voir sa
25 Ccel, 2007-550 DC du 27 février 2007.
26 Ccel, 2010-3 QPC du 28 mai 2010.
27 Art. 122-4 CPI : « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de
18
responsabilité engagée par le biais d'une action en contrefaçon. Il existe en réalité des limites
à une telle sanction.
À l’image du droit de citation, de la copie privée et de la représentation dans le cercle de
famille, la parodie d’une œuvre de l’esprit déjà divulguée est une exception légale au principe
d’autorisation de l’article L122-4 du CPI. Le quatrième paragraphe de l'article L122-5 précise
en effet que l'auteur ne peut s'opposer à ce que son oeuvre divulguée puisse faire l'objet d'une
parodie, d'un pastiche ou d'une caricature, compte tenu des lois du genre. Plus encore que
l'exception de citation, cette exception est fondée sur la liberté d'expression. En effet, il s'agit
de permettre de tourner librement en dérision des créations ou des personnes en utilisant des
œuvres préexistantes pour y parvenir. Traditionnellement, on estimait que la parodie
intéressait les œuvres musicales, tandis que le pastiche concernait les œuvres littéraires et la
caricature, les « œuvres d'art ». Toutefois, dans le but d'éviter des divergences
jurisprudentielles, le mot « parodie » est aujourd'hui usité dans un sens plus générique
puisque, parmi les termes employés par le législateur, c'est celui dont l'acceptation commune
paraît être le plus large.
Cette exception de parodie ne peut être invoquée que si l'intention humoristique est
établie. En effet, il convient que la nouvelle œuvre soit « humoristique » et qu'elle se distingue
aisément de l'œuvre parodiée, afin que nul ne puisse établir une confusion entre les deux.
Cette intention implique un travail de démarquage et parfois même de travestissement ou de
subversion de l’œuvre parodiée. La parodie trouve sa limite naturelle, comme le précise
l'article L122-5-4°, dans les « lois du genre ». Celles-ci ne peuvent résulter que de l'usage.
Par hypothèse, elles obligent l'auteur de l'œuvre parodiée à supporter une atteinte au droit au
respect de l'œuvre sous réserve toutefois de dénaturations excessives.
A titre d’exemple, la jurisprudence a rejeté l’exception de parodie pour la reproduction
de photographies extraites de films de Marcel Pagnol 28 dans un journal. Ces clichés modifiés
mettaient en scène, aux lieu et place des comédiens d’origine, une comédienne reprenant
l’attitude des actrices et présentant des vêtements et accessoires de mode. Les juges ont
considéré que ce montage ne constituait pas une parodie autorisée. Ce dernier n’avait pas pour
effet de provoquer le rire et n’imitait pas le style de Marcel Pagnol dans un but de raillerie ou
l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou
la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
28 TGI Paris, 1ère Ch., Section 1, 30 avril 1997, Pagnol C/ Sté VOG.
19
d’hommage à travers un sujet qu’il n’a pas traité, mais avait pour but la promotion publicitaire
d’articles de prêt-à-porter.
Dans le même sens mais en matière de services audiovisuels cette fois, le Tribunal de
grande instance de Paris a rendu une décision en date du 5 mars 2008 29. Estimant qu’une
séquence de l’émission Première Compagnie diffusée en 2005 constituait la contrefaçon de
son jeu, le créateur et la société Adventure Line Productions, titulaire des droits d’exploitation
de Fort Boyard ont assigné TF1 et la société So Nice Productions, filiale d’Endemol France.
Les demandeurs incriminaient la reprise du générique de Fort Boyard, la présence de
personnages évoquant ceux du jeu de la chaîne France 2, et enfin l’utilisation de clés qui
constituent l’objet de la quête des candidats.
Les caractéristiques de cette émission avaient été reproduits frauduleusement et
constituaient selon le producteur de Fort Boyard des actes de contrefaçon, de concurrence
déloyale par dénigrement et de concurrence parasitaire pour lesquels il demandait réparation.
L’originalité du jeu n’était pas contestée par les défenderesses, qui invoquaient les
dispositions de l’article L122-5 du CPI, pour justifier les faits. Sur le fond, le tribunal a rejeté
cet argument tiré de l’exception de parodie en rappelant que : « il est constant que pour être
qualifiée de parodie l’oeuvre seconde doit avoir un caractère humoristique, éviter tout risque
de confusion avec l’oeuvre parodiée et permettre l’identification immédiate de l’oeuvre
parodiée ». Les juges ont estimé en l'espèce que « l’intention des auteurs de Première
Compagnie n’est pas humoristique et n’est pas de parodier l’émission Fort Boyard (…) Les
emprunts sont uniquement parasitaires et ont pour but de tirer profit de la notoriété de Fort
Boyard ».
En revanche, la Cour de cassation a reconnu la parodie comme une exception au
monopole d'exploitation, dont bénéficie un auteur sur son oeuvre, dans le cadre d'une affaire 30
opposant le chanteur et humoriste, Thierry Le Luron à l'artiste interprète, Charles Trenet. La
Cour a considéré ici qu'il était permis au chansonnier-imitateur, empruntant la voix de
l'auteur-interprète d'une chanson et se livrant en même temps à une parodie et à une
caricature, de reproduire la musique originale de l'oeuvre et d'en travestir seulement les
29 TGI Paris, 2ème Ch. Civ., 5 mars 2008, Jacques Antoine, S.A. Adventure Line Productions, Société Alp Music
intervenante volontaire C/ Société Endemol France, société So Nice Productions, société Télévision
Française 1.
30 Cass., Ch. Civ., 12 janvier 1988, Société WEA-Filipacchi Music C/ T. Le Luron et autres.
20
paroles et de se moquer, même avec insolence, des travers de celui qui était imité. Le juge n'a
cependant pas omis de préciser que « s'il en résultait pour l'auteur de l'oeuvre une atteinte
diffamatoire, seul ce dernier pourrait s'en plaindre à l'exclusion du cessionnaire de ses droits
patrimoniaux ».
Afin d’exclure le grief de contrefaçon, l’exception a trouvé à s’appliquer, non seulement
en ce qui concerne la propriété littéraire et artistique, mais aussi en matière de droit des
marques.
B. La parodie et le droit des marques
La marque a pour fonction principale de désigner et d’identifier les produits et services
de son titulaire. Selon l’article L711-1 du CPI : « La marque de fabrique, de commerce ou de
service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits
d’une personne physique ou d’une personne morale ». Ce signe, pour être protégé, doit
remplir un certain nombre de conditions. Il doit, pour commencer être distinctif, c'est-à-dire
permettre de distinguer une entreprise ou un produit parmi d'autres. Ensuite, être disponible
en ce sens qu'il ne doit pas avoir fait l’objet d’une précédente appropriation et ne pas porter
atteinte à des droits antérieurs. En l'absence d'une autorisation de son titulaire, la reproduction,
l'usage ou l'apposition d'une marque sont passibles du délit de contrefaçon 31. De plus, toute
atteinte portée à l’image d’une marque en dehors de toute action contrefaisante, appelée
« dénigrement », pourra également être sanctionnée, mais sur le fondement de la
responsabilité civile de droit commun.
Cet aspect de la propriété intellectuelle ne souffre que de peu d’exceptions et se pose
aujourd’hui de plus en plus la question des limites posées par la liberté d'expression et la
parodie s'agissant du droit des marques, particulièrement depuis la libéralisation de la
publicité comparative en France. La jurisprudence a tardé à se prononcer en faveur de
l’admission de la parodie en droit des marques.
Dans un premier temps, les juges avaient tendance à prohiber la parodie des marques
d'une manière générale. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Paris, dans un arrêt
31 Art. L713-2 CPI : « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : la reproduction, l'usage ou l'apposition
d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre,
méthode", ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux
désignés dans l'enregistrement ; la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée ».
21
du 17 février 1990, a par exemple estimé que « le droit de faire rire de l’œuvre d’autrui par le
pastiche ou la caricature ne peut trouver application dans le domaine (des marques)
strictement commercial, axé sur la recherche du profit 32 ». Dans cette affaire, il était question
d'une affiche représentant deux crocodiles en plein accouplement et accompagnée de la phrase
« Attention, j'accoste ». Dans le même esprit, le terme « istérix » a été jugé 33 comme
constituant une contrefaçon de la marque enregistrée « Astérix ».
Mais, progressivement, des décisions des tribunaux relatives à des campagnes
publicitaires anti-tabac et à l'action syndicale ont ouvert la voie de la reconnaissance du droit
de parodier les marques. La Cour d’appel de Rennes a débouté le titulaire de la fameuse
marque de tabac Marlboro, qui avait assigné les élèves d'un collège auteurs d’affiches
anti-tabac parodiant les signes distinctifs. La Cour a jugé 34, le 17 mars 1992 qu’« en utilisant
une forme humoristique, voire insolente ou caricaturale, cette affiche n’a revêtu aucun
caractère outrancier, ni constitue un dénigrement excessif, la formule-choc retenue, ou le
désastre suggéré par une marée noire, destinée à attirer l’attention publique et à frapper le
consommateur étant de l’essence de la publicité ».
De la même manière, la Cour d’appel de Versailles a refusé de considérer, dans son arrêt
du 17 mars 1994, que le fait de détourner des films publicitaires dans le but de mener une
campagne anti-tabac, était constitutif d'une action contrefaisante envers la marque Marlboro.
Dans un tout autre registre, la Cour d’appel de Riom a jugé35 qu’une action syndicale visant à
dénoncer la politique sociale de l’entreprise Michelin pouvait prendre la forme d’une parodie
de sa marque. Selon elle, « l’utilisation incriminée n’est celle-là ni dans l’esprit du syndicat ni
dans les objets incriminés qui, loin de dénigrer la marque, la porte, concernant les affiches, au
pinacle, rendant ainsi un hommage à la marque inversement proportionnel à la critique de la
politique sociale de l’entreprise ».
Suite à ces tâtonnements, la décision qui consacrera définitivement l'existence d'un droit
à la parodie d'une marque concerne l'émission Les Guignols de l'Info. Cette émission télévisée
française satirique, diffusée sur Canal + depuis 1988, met en scène des marionnettes
parodiant le journal télévisé. De la politique aux médias en passant par les personnalités en
32
33
34
35
TGI Paris, 17 février 1990.
TGI Nanterre, 6 avril 1994.
CA Rennes, 17 mars 1992.
CA Riom, 15 septembre 1994, Dalloz 1995 - 429 note Edelman.
22
vue, aucun thème n'échappe au programme imaginé par Alain de Greef 36 et librement inspiré
de Spitting Image37. Jacques Calvet, ancien président des sociétés automobiles Peugeot et
Citroën, avait été imité à plusieurs reprises dans le cadre de cette émission. Sa « marionnette »
faisait état de problèmes que rencontraient certains véhicules de la marque, tout en exprimant
sa crainte de voir le marché français de l'automobile envahi par des véhicules de marque
étrangère. Invoquant une atteinte à la marque et à l'image de son représentant, le pourvoi
formé par le groupe PSA- Peugeot-Citroën fût rejeté38 par l'assemblée plénière de la Cour de
cassation qui expliqua qu'« une Cour d’appel, qui constate que les propos mettant en cause les
véhicules d’une marque s’inscrivent dans le cadre d’une émission satirique diffusée par une
entreprise de communication audiovisuelle et ne peuvent être dissociés de la caricature faite
du dirigeant, de sorte que les propos incriminés relèvent de la liberté d’expression sans créer
aucun risque de confusion entre la réalité et l’œuvre satirique, peut en déduire que l’entreprise
de communication n’a commis aucune faute et justifie légalement sa décision de refuser de
réparer le préjudice que le constructeur estime avoir subi ».
La jurisprudence a eu, par la suite, d'autres occasions de s'exprimer sur la parodie d’une
marque en confirmant sa position. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a considéré 39
le 30 avril 2003 que les détenteurs du site « jeboycottedanone.com » n'avaient pas commis de
détournement de la marque Danone, mais avaient plutôt « inscrit leur action dans le cadre
d’un strict exercice de leur liberté d’expression et dans le respect des droits des sociétés
intimées dont les produits n’étaient pas dénigrés et que, d’autre part, aucun risque de
confusion n’était susceptible de naître dans l’esprit des usagers ». En effet, ce dépôt de nom
de domaine faisait suite à l’annonce par le célèbre fabricant de produits laitier d’un plan de
licenciements. Le site litigieux permettait aux internautes de signer une charge du
consommateur et donnait une liste des produits Danone à boycotter. Afin d’illustrer ces pages,
le site internet reproduisait le logo, signe distinctif de la marque, affublé de la mention « les
êtres humains ne sont pas des yaourts ». Mettant en avant la liberté d'expression, le juge a ici
tranché le litige conformément à la position qu'il a adoptée dans le cadre des affaires
Greenpeace.
36 Alain de Greef est l'ancien directeur des programmes de Canal +.
37 Spitting Image était une émission de télévision satirique diffusée sur le réseau britannique ITV de 1984 à
1996 qui mettait en scène des marionnettes en latex caricaturant les personnalités les notoires du
Royaume-Uni.
38 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000, Jurisdata n° 2000-002952 et n° 2000-002953, Sociétés Peugeot/Citroën
c/Canal +, RTD civ. 2000, p.842, note Jourdain.
39 CA Paris, 30 avril 2003.
23
En l’espèce, l’association écologique française de Greenpeace avait, dans le cadre de sa
lutte contre le réchauffement climatique, utilisé les noms des marques Esso et SPCEA, dont
les titulaires sont respectivement producteur de pétrole et d'énergie nucléaire. Mécontents de
voir leurs politiques environnementales critiquées, les sociétés défenderesses s'appuyaient sur
l’article L713-3 du CPI40 pour reprocher à l'association d’imiter illicitement leurs marques.
Par un jugement de la Cour d'appel de Paris en date du 26 février 2003, il a été fait droit à la
demande de l’association Greenpeace en jugeant que « le principe de valeur constitutionnelle
de la liberté d’expression implique que (…) l’association Greenpeace puisse, dans ses écrits
ou sur son site internet, dénoncer sous la forme qu’elle estime appropriée au but poursuivi les
atteintes à l’environnement et les risques causés à la santé humaine par certaines activités
industrielles ». Cette position a été reprise par un jugement du fond en 2004 et par un autre
arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 novembre 2005, réaffirmant que la campagne de
Greenpeace contre la politique environnementale d’Esso s’inscrivait dans le cadre de
l’exercice de la liberté d’expression. Concernant une affaire similaire ayant opposé Areva41 à
l'association écologiste, la Cour de cassation a, dans sa décision du 8 avril 2008 42, consacré
l'exception de parodie en matière de marques, qui n'existe pas dans le CPI et dont le champ
est, en l'état actuel de la jurisprudence, restreint aux faits particuliers de l'espèce.
L'humour, en tant que déclinaison de la liberté d'expression, a su en définitive trouver
une reconnaissance juridique en droit international et en droit interne. Mais la liberté
d'expression n'est pas le seul concept juridique auquel l'humour peut se rattacher.
40 Art. L713-3 CPI : « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de
confusion dans l'esprit du public : la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage
d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;
l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires
à ceux désignés dans l'enregistrement ».
41 Cass., Com., 8 avril 2008.
42 Cass., Civ., 8 avril 2008.
24
Chapitre 2 : Le droit à l'humour, une liberté de communication
Notion voisine de la liberté d'expression, la liberté de communication semble avoir une
portée plus large, puisqu'elle consacre non seulement le droit de divulguer une information ou
une idée, mais aussi le droit de la recevoir. Ainsi, parallèlement au développement des droits
de l'« émetteur » d'une opinion ou d'une idée, se sont développés ceux du « récepteur ». Plus
précisément, la liberté de communication audiovisuelle a, en France, un statut pour le moins
paradoxal. Elle trouve sa source dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789 mais a été
pendant longtemps niée.
Aujourd'hui pourtant, cette liberté qui a fait l'objet d'une réelle consécration tant en droit
européen qu'en droit interne (Section 1) voit sa mise en oeuvre garantie par l'établissement
d'une institution (Section 2).
Section 1 : La liberté de communication et le pluralisme de pensées
La jurisprudence de la Cour EDH a dégagé et précisé cette notion de liberté de
communication (§1), permettant au législateur d'intervenir et d'imposer le principe de
pluralisme des pensées au sein des entreprises de communication audiovisuelle (§2).
Paragraphe 1 : La liberté de communication et la jurisprudence de la
Cour EDH
À la lecture de l'article 10 de la Convention EDH, il semble que les termes
« expression » et « communication » soit confondus. La Cour, quant à elle, s'échine à rappeler
l'importance, non seulement d'une liberté de s'exprimer, mais aussi d'une liberté de recevoir
l'information.
Dans l'affaire Linguens contre Autriche du 8 juillet 198643, la Cour a précisé la portée de
ces principes à l'égard de la presse : « si elle ne doit pas franchir les bornes fixées en vue,
notamment, de la protection de la réputation d'autrui, il lui incombe néanmoins de
43 CEDH, Linguens c/ Autriche, 8 juillet 1986, série A n°103, § 41.
25
communiquer des informations et des idées sur les questions débattues dans l'arène politique,
tout comme celles qui concernent d'autres secteurs d'intérêt public. À sa fonction qui consiste
à en diffuser, s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir ».
Allant plus loin, la Cour a constaté dans l'affaire Handyside44 que, l'interdiction par les
autorités britanniques d'un ouvrage intitulé Little Red School Book en vertu d'une loi nationale
relative aux publications obscènes, étaient conformes aux mesures nécessaires étatiques
autorisées par la Convention pour restreindre la liberté d'expression. Malgré tout, dans cet
arrêt, la Cour a insisté sur la place éminente que la liberté d'expression et de communication,
entendue au sens large, occupe dans toutes sociétés démocratiques : « La liberté d'expression
constitue l'un des éléments essentiels de pareille société, une des conditions primordiales de
son progrès et l'épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10, elle
vaut non seulement pour les « informations » ou les « idées » accueillies avec faveur ou
considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent,
choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le
pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de société
démocratique ». Selon la Cour, chacun est libre de s'exprimer et de recueillir des informations
et ce, sans considération de la nature des opinions ou idées effectivement reçues. La Cour
englobe ici dans la liberté d'expression, la liberté de tenir et de recevoir des propos pouvant
potentiellement remettre en cause la légitimité des institutions étatiques. L'humour, tel
qu'observé précédemment, revêt le plus souvent un aspect satirique qui, par définition, peut
conduire à heurter, choquer ou inquiéter les institutions dont les pouvoirs publics.
Dans le même sens, la Cour a jugé en mai 198845 que la confiscation de toiles exposées
par un artiste peintre, et la condamnation de ce dernier à une amende pour publications
obscènes, constituaient des limitations à l'exercice de la liberté d'expression « nécessaires,
dans une société démocratique », tout en précisant que la liberté d'expression inclut la liberté
d'expression artistique, y compris lorsque les manifestations de cette expression « heurtent,
choquent ou inquiètent ». Cette liberté d'expression artistique dont fait allusion la Cour vaut
pour toutes les formes d'art, y compris la satire et le genre humoristique.
La Cour EDH, en confondant volontairement les termes, a su dégager au sein de la
liberté d'expression, une liberté de communication et plus précisément une liberté de recevoir
44 CEDH, Handyside c/ Royaume-Uni, op.cit.
45 CEDH, Müller et autres c/ Suisse, 24 mai 1998, série A n° 133.
26
une information, de préférence plurale. On retrouve aujourd'hui ce type de raisonnement en
droit interne.
Paragraphe 2 : Le pluralisme et la loi sur la liberté de communication de
1986
A. La liberté de communication audiovisuelle, une liberté constitutionnelle
Dans les relations privées, la liberté de communication est assurée par le principe du
secret de la correspondance ainsi que par les règles relatives à la protection pénale de la vie
privée46. Dans le domaine des libertés collectives en revanche, l'article 1 er de la loi
du 19 juillet 1881 affirme que « l'imprimerie et la librairie sont libres ». Enfin, s'agissant de la
censure théâtrale, plutôt modérée au XIXe siècle, elle prit fin avec l'adoption de la loi de
finances de 1906 supprimant les crédits destinés à rétribuer les censeurs mais aussi avec
l'ordonnance du 13 octobre 1945 qui fixe le régime actuel, se voulant d'ailleurs très libéral. A
priori, rien n'empêchait par conséquent le législateur de poser le même principe de liberté de
communication en matière audiovisuelle.
La consécration du principe constitutionnel de la liberté de communication
audiovisuelle est l'oeuvre du Conseil constitutionnel. Le principe trouve en effet sa source
dans l'article 11 de la DDHC précité. Le Conseil a su interpréter de ce texte, initialement
destiné à garantir la liberté de la presse, l'existence d'une liberté de communication en matière
audiovisuelle. À l'origine, cet article s’élève en grande partie contre la censure pratiquée sous
l’Ancien Régime où tout écrit devait passer sous la loupe de la « librairie » avant de pouvoir
être publié. Selon les auteurs de la Déclaration, la liberté de création des entreprises de presse
constituait à cette époque la meilleure arme pour garantir la diversité des opinions et le choix
du public. S'agissant du Conseil constitutionnel, il orienta l'interprétation de ce texte
davantage en faveur du public – autrement dit, en faveur des bénéficiaires de l'information –
que de l'entreprise de presse elle-même.
46 Art. 226-15 du code pénal : « Le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de
détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre
frauduleusement connaissance, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.
Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d'intercepter, de détourner, d'utiliser ou de
divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de
procéder à l'installation d'appareils conçus pour réaliser de telles interceptions ». Dans le même sens, voir
art. 432-9 du même code.
27
Dans une décision de 1984 relative à la loi visant à limiter la concentration et à assurer
la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, le Conseil a en effet
dégagé l'importance de la notion de pluralisme d'expression. Après avoir rappelé les
dispositions de l'article 11 de la DDHC, il précise que « le principe ainsi proclamé ne s'oppose
point à ce que le législateur (...) édicte des règles concernant l'exercice du droit de libre
communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer, (...) cependant, s'agissant d'une
liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties
essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne
peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui
d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Le Conseil finit par conclure « que
le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale auquel sont consacrées les
dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu'en
effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public
auquel s'adressent ces quotidiens n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant de
publications de tendances et de caractères différents ; qu'en définitive l'objectif à réaliser est
que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par
l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les
intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu'on
puisse en faire l'objet d'un marché 47».
Le juge constitutionnel fait ici du pluralisme des quotidiens un objectif de valeur
constitutionnel, en tant qu'il rend effectif la liberté de communication énoncée dans la
Déclaration. Or, la caricature, l'humour ou la satire favorisent la possibilité pour ces
entreprises de presses de proposer à leurs lecteurs un pluralisme d'idées et d'opinions. En
marge de journaux ou de revues faisant l'objet d'une certaine orientation politique, le lecteur
va avoir accès à une presse moins consensuelle, développant son esprit critique et consacrant
son droit à être informé.
La raison pour laquelle le Conseil n'a pas pu, dans l'immédiat, tenir un raisonnement
comparable dans le cadre des communications audiovisuelles est la présence d'un monopole
étatique de la radio et de la télévision. Mais l'argument qui consistait à légitimer les
interventions des Etats du fait de la rareté des fréquences fut, dès les années 80, mis en échec
47 Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984.
28
par l'état des découvertes scientifiques. Il fallut attendre 1986 pour voir le Conseil rendre son
célèbre considérant expliquant que « le pluralisme des courants d'expression socioculturels est
en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une
des conditions de la démocratie ; que la libre communication des pensées et des opinions,
garantie par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, ne
serait pas effective si le public auquel s'adressent les moyens de communication audiovisuelle
n'était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur public que dans celui du
secteur privé, de programmes qui garantissent l'expression de tendances de caractères
différents dans le respect de l'impératif d'honnêteté de l'information ; qu'en définitive,
l'objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des
destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient
à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics
puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire les objets d'un
marché48 ».
Le Conseil n'a peut-être pas interprété ici l'article 11 conformément à la volonté des
rédacteurs de la Déclaration, qui préféraient mettre l'accent sur la liberté d'entreprendre plutôt
que sur le droit du public de recevoir une information plurale, mais elle a l'a fait dans la
continuité de sa décision relative aux entreprises de presse. Néanmoins, en comparant les
deux décisions, on remarque que le juge constitutionnel ne fait pas preuve d'un engouement
similaire. Dans sa décision de 1984, il insiste sur le fait qu'il appartient au législateur de
rendre effectives les libertés d'expression et de communication en matière de presse à travers
justement, cette notion de pluralisme. En 1986, en revanche, le Conseil n'a pas manqué de
rappeler les limites d'un tel pluralisme en matière audiovisuelle, compte tenu notamment de
certaines contraintes techniques, légitimant ainsi l'institution d'une Commission nationale de
la communication et des libertés.
L'existence d'un droit à l'humour est conditionné par l'existence d'un pluralisme
d'expression. Sans pluralisme d'expression, le droit à l'humour et à la satire ne peuvent pas se
développer. Mais, l'objectif de pluralisme est à la fois un élément et une limite de la liberté de
communication. Une limite à la liberté de ceux qui s'expriment au moyen de techniques de
communication, car au nom du pluralisme, il est possible et nécessaire de leur opposer des
limites et de mettre en place des mécanismes de contrôle. À l'inverse, l'impératif de
48 Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986.
29
pluralisme, est une des composantes de la liberté de communication pour ceux qui en
bénéficient, car ils voient de ce fait préserver leur liberté de choix.
B. La loi du 30 septembre 1986
En dépit de conditions d'entrée en vigueur laborieuses, la loi relative à la liberté de
communication est adoptée le 30 septembre 1986. Cette loi, dite loi Léotard, précise à son
article 1er : « La communication au public par voie électronique est libre. L'exercice de cette
liberté (...) peut être limité (...) dans la mesure requise (...) du caractère pluraliste de
l'expression des courants de pensée et d'opinion ». Le législateur subordonne l'existence de
cette liberté constitutionnellement garantie à la présence d'un pluralisme de courants de
pensées et d'opinions. Cela signifie que la liberté de communication n'a de raison d'être que si
les informations, idées ou opinions communiquées sont variables et donc, potentiellement à
contre-courant de l'opinion majoritaire. Or, le seul moyen de s'assurer que les entreprises de
communication audiovisuelles génèrent des contenus suffisamment diversifiés et laissent
place à la satire, est l'institution d'une autorité indépendante.
La loi de 1986 a fait l'objet de multiples modifications parmi lesquelles, celles apportées
par la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service
public de la télévision. Transposant la directive européenne sur les services de médias
audiovisuels du 11 décembre 200749, cette loi inclut au sein des communications
audiovisuelles, les services de médias audiovisuels linéaires et non linéaires 50. Par ailleurs, le
CSA se voit attribuer des moyens d'intervention supplémentaires quant à ces nouveaux
services. Il dispose, à ce titre, d'un pouvoir de recommandation, d'un pouvoir de contrôle des
modalités de la programmation de la publicité et d'un pouvoir de sanction administrative.
Pour beaucoup, cette loi Léotard est une adaptation réussie de la liberté d'expression aux
médias de masse, mais se révèle être un véritable échec sur le plan institutionnel. L'adoption
de la loi a fait l'objet d'un réel débat parlementaire. Conformément au programme annoncé
49 La directive 2007/65/CE, « Services de Médias Audiovisuels » a pour objectif de réviser la directive
« Télévision Sans Frontières » dans le but de tenir compte du phénomène actuel de convergence
technologique et du nouveau paysage audiovisuel. S’inscrivant dans un libéralisme renforcé, elle élargit
l’objet et le champ d’application de la directive TSF.
50 Les services linéaires désignent les services de télévision traditionnelle que le téléspectateur reçoit
passivement. Par opposition, dans le cas des services non linéaires, c'est au téléspectateur de choisir le
moment du visionnage (exemple : la télévision à la demande).
30
communément par le RPR51 et l'UDF52 dans le cadre des élections législatives, le
gouvernement Chirac entendait compléter la législation en matière audiovisuelle et ce, dans
une optique libérale. Il était prévu que l'une des chaînes télévisées fasse l'objet d'une
privatisation et, après quelques hésitations, le choix se porta finalement sur TF1. Il s'en suivit
un incommensurable marathon parlementaire puisque, plus de 1700 amendements furent
déposés contre le texte présenté par François Léotard, alors ministre de la culture. La création
de la Commission nationale de la communication et des libertés fut votée, mais sa naissance
se trouva assombrie par de nombreuses remises en cause quant à sa légitimité.
Cette loi marque un profond bouleversement du service public et privé de la télévision.
Elle présente néanmoins des limites notables, qui ont été dénoncées, même si la CNCL
dispose de moyens normatifs, techniques et administratifs bien plus importants que ceux de la
Haute Autorité de la communication audiovisuelle. La HACA fut en effet la première autorité
de régulation de l'audiovisuel. Créée par la loi du 29 juillet 1982 qui a mis fin au monopole
étatique sur les entreprises de communication audiovisuelle, elle était notamment chargée de
« garantir l'indépendance du service public de la radiodiffusion sonore » et de délivrer « les
autorisations en matière de service locaux de radiodiffusion sonore par voie hertzienne ».
Contrairement à son prédécesseur donc, la CNCL pouvait aussi intenter des recours
judiciaires, son président pouvant ester au nom de l'Etat. Mais l'indépendance de l'autorité est
bridée par la loi, son pouvoir est en réalité ambigu et limité dans les faits. La loi de 1986
apparaît politiquement comme une tentative de libéralisation maladroite et trop rapide.
Aujourd'hui, tout espoir de voir se développer la liberté de communication audiovisuelle
et le pluralisme d'expression, nécessaires à l'existence d'un droit à l'humour, semble dépendre
d'une institution, le CSA. Mais encore faut-il que ce régulateur soit indépendant et dispose de
pouvoirs suffisants.
51 Le Rassemblement pour la République était un parti politique français de droite, se revendiquant du
gaullisme. Créé en 1976 sous l’impulsion de Jacques Chirac, alors en conflit personnel avec le président de la
République issu des Républicains indépendants, Valéry Giscard d'Estaing, le RPR était considéré comme
l'équivalent français du Parti conservateur britannique. Il s'est auto-dissous dans l'UMP en 2002.
52 L’Union pour la démocratie française est un parti politique français du centre ou du centre-droit, suivant les
points de vue, d'inspiration démocrate-chrétienne et laïque, ayant été fondé en 1978.
31
Section 2 : Le CSA, garant du pluralisme ?
Le contrôle de la liberté de communication sur les services de communication
audiovisuelle ne peut décemment être confié qu'à une institution jouissant d'une indépendance
nécessaire à une réelle impartialité (§1). De plus, cette institution doit disposer de moyens
d'actions efficaces si elle entend sauvegarder un pluralisme d'expression (§2).
Paragraphe 1. Le CSA, organe indépendant ?
Le
caractère
indépendant
du
régulateur
se
définit
par
l'examen
de
son
fonctionnement (§1) et du statut de ses membres (§2).
A. Le fonctionnement et le budget
Le CSA a été créé par la loi du 17 janvier 1989 53 modifiant la loi Léotard. Il remplace la
CNCL et, avant elle, la HACA. Le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel l'ont même
qualifié d'« autorité administrative indépendante ». C’est la loi du 6 janvier 1978 qui, en
créant la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés 54, a introduit pour la
première fois dans le droit positif la notion d’autorité administrative indépendante. Après de
nombreuses hésitations sur le statut qu’il convenait de donner à cet organisme, le Parlement,
en écartant l’hypothèse d’un établissement public à la tutelle allégée, et celle d'un
rattachement de la commission aux services du ministère de la justice, a finalement opté pour
une solution pour le moins innovante.
Le CSA est donc une institution de l’État, chargée, en son nom, d’assurer la régulation
du secteur de l'audiovisuel mais n'est soumise à l’autorité hiérarchique d’aucun ministre.
Constituant une dérogation à l'article 20 de la Constitution 55, le CSA s'administre librement et
53 Loi n°89-25 du 17 janvier 1989 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de
communication.
54 La Commission nationale de l'informatique et des libertés est chargée de veiller à ce que l’informatique soit
au service du citoyen et qu’elle ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie
privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. Elle exerce ses missions conformément à la loi n°78-17
du 6 janvier 1978 modifiée le 6 août 2004.
55 Art. 20 de la Constitution : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de
l'administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les
procédures prévues aux articles 49 et 50. »
32
ne reçoit en théorie aucun ordre, avis ou conseil des pouvoirs publics.
Le CSA doit exercer les missions que lui a confiées le législateur en toute indépendance,
impartialité et neutralité. Comme l'ensemble des autorités administratives indépendantes, il se
dote d'outils spécifiques lui permettant d'exercer son rôle en toute transparence et en parfaite
conformité avec les textes en vigueur et les principes généraux qu'il a adoptés pour son bon
fonctionnement. Afin de satisfaire à ces exigences de bonne conduite, le Conseil a élaboré une
charte, présentée sous la forme d'une note de service accompagnée d'annexes qui rappellent
l'ensemble des textes régissant les dispositions relatives à la déontologie dans la fonction
publique. Cette charte, qui engage l'ensemble des agents du Conseil à tous les niveaux de
responsabilité, est destinée à informer les agents sur leurs obligations et à les protéger contre
les risques auxquels ils peuvent être exposés.
L’article 4 de la loi de 1986 modifiée, prévoit aussi que le CSA doit se doter d’un
règlement intérieur qui permet de garantir une autonomie organisationnelle et de fixer les
modalités de délibération, les règles de procédures et l’organisation des services. Le CSA se
décompose en six services, placés sous l’autorité d'un président et gérés par des directeurs
nommés par décret sur proposition du président. Il y a donc la direction administrative et
financière, celle des opérateurs audiovisuels, des programmes, la direction technique et des
nouvelles technologies de communication, la direction juridique et enfin celle de la
communication et des études.
Le financement du CSA, fixé par le loi du 17 Janvier 1989, traduit son indépendance.
Celui-ci propose, lors de l’élaboration de la loi de finance de l’année, les crédits nécessaires à
l’élaboration de ses missions, sous le contrôle tout de même de la Cour des Comptes 56.
L’indépendance se traduit d’un autre coté, par le fait que les actes pris par le CSA ne sont, par
principe, soumis à aucun contrôle a priori d’autorité ou de tutelle, d'où une indépendance
institutionnelle. Dans le but de mener à bien les missions qui lui ont été confiées, dont celle de
la défense d'un pluralisme d'expressions et de courants de pensées, le CSA dispose d'un
certain nombre de prérogatives. Outre un pouvoir normatif strictement encadré par la loi 57, le
56 La Cour des comptes est une juridiction administrative financière chargée principalement de contrôler la
régularité des comptes publics, de l'État, des établissements publics nationaux, des entreprises publiques, de
la Sécurité sociale, ainsi que des organismes privés bénéficiant d'une aide de l'État ou faisant appel à la
générosité du public.
57 Le Conseil constitutionnel a admis que les dispositions de l'article 21 de la Constitution ne faisaient « pas
obstacle à ce que le législateur confie à une autorité autre que le Premier ministre le soin de fixer (...) des
normes permettant de mettre en oeuvre une loi », à la condition que ce soit « dans un domaine déterminé et
33
Conseil bénéficie d'un pouvoir consultatif à travers l'édiction de recommandations ou d'avis.
Ce pouvoir qui peut faire l'objet d'un contrôle a posteriori du juge administratif 58, le CSA
n'étant ni une institution politique ni une juridiction et étant dépourvu d'une personnalité
juridique distincte de celle de l’État.
L'indépendance d'une institution ne se matérialise pas uniquement par son mode de
fonctionnement et son financement mais aussi par les conditions de nomination et d'exercice
de ses membres.
B. Les membres
Le Collège des conseillers dirige le CSA. Il est composé de neuf conseillers. Bien qu'ils
soient nommés par décret du président de la République, seuls trois d'entre eux sont désignés
par lui. Trois autres sont désignés par le président de l'Assemblée nationale et les trois
derniers par le président du Sénat. Les opposants à cette institution estiment d'ailleurs que ce
mode de nomination reviendrait à faire du Collège une assemblée politiquement monocolore,
ce qui aboutirait a fortiori à limiter les contenus humoristiques à tendance subversive.
Le mandat du président et des conseillers du CSA est de six ans. Les conseillers sont
soumis à un devoir de réserve et ne peuvent cumuler leur fonction avec un emploi public,
privé et/ou avoir des intérêts dans le secteur des médias. Le président actuel est
Michel Boyon. Les membres du CSA ne peuvent travailler dans les médias qu'au-delà d'une
année après leur mandat.
Si les dispositions de la loi de 1986 et le mode d'organisation et de financement de
l'autorité semble faire apparaître une réelle légitimité, certains épisodes médiatiques remettent
en cause l'indépendance et l'impartialité de certains membres.
S'agissant de l'indépendance de ces conseillers d'une part, la situation de deux d'entre
eux pose actuellement des problèmes. La polémique remonte à septembre 2009, où il aurait
été révélé que Rachid Arhab et Françoise Laborde, deux « sages », n'auraient à l'heure actuelle
dans le cadre défini par les lois et règlements ».
58 Il n'est pas rare de voir le juge administratif s'opposait à certaines décisions du CSA. Dans une décision
du 3 juillet 2000, le Conseil d’État a par exemple annulé pour incompétence le communiqué par lequel le
CSA autorisait l’accès à la publicité télévisée des sites internet des secteurs de la presse, la distribution, le
cinéma et l’édition littéraire.
34
pas démissionné du groupe France Télévisions et possèderaient toujours un contrat de travail
avec l'entreprise publique. Une situation discutable compte tenu de l'indépendance qui doit
prévaloir parmi les membres au sein de l'instance de régulation. Pour effectuer leur mandat,
ces deux anciens journalistes auraient demandé à bénéficier d'une « mise en disponibilité »,
prévue dans la convention collective des journalistes de l'audiovisuel public. À la fin de leur
mandat, ils pourraient ainsi négocier leurs indemnités de départ avec France Télévisions ou
bien demander à regagner leur poste ou occuper un poste équivalent, en respectant toutefois le
délai de carence de trois ans. Le lien ne serait donc pas rompu et une transaction économique
se profilerait pour chacun d'eux à l'issue de leur mandat.
La direction du CSA, quant à elle, estime que le « détachement », qui suspendrait le
contrat de travail, est une condition suffisante au regard des règles d'indépendance.
Hervé Bourges, ancien président du CSA, n'est pas de cet avis, et nombreux sont ceux que
cette situation choque chez France Télévisions. « En principe, tout lien avec une entreprise
audiovisuelle doit être coupé », rappelle Hervé Bourges. C'est Rachid Arhab qui, le premier,
en janvier 2007, aurait demandé à France Télévisions à bénéficier des dispositions de
l'article VI-3 de ladite convention collective. Puis, à son tour, Françoise Laborde, nommée en
janvier 2009, a réclamé que lui soit appliquée la même faveur. Le texte est explicite à ce sujet.
Selon cet article, « l'employeur peut, à titre exceptionnel et avec l'accord de l'intéressé,
détacher un salarié dans une administration publique, une entreprise publique ou privée ou
leurs filiales, une association ou une organisation internationale, pour une durée déterminée
renouvelable. Pendant cette période, le salarié est rémunéré par l'employeur au service duquel
il est détaché ».
Toute la question est donc de savoir si le CSA peut être considéré comme une
« administration publique » au sens des dispositions dudit article. Le code de déontologie du
CSA prévoit par ailleurs que « lorsqu'un membre du Conseil estime en conscience que ses
activités professionnelles passées ou ses relations actuelles peuvent mettre en doute son
impartialité, il ne participe ni au débat ni au vote ». Enfin, et surtout, les membres du CSA
sont soumis à une longue liste d'incompatibilités professionnelles qui ne laisse aucun doute
quant à la volonté du législateur de rompre tout lien entre un conseiller et une entreprise du
secteur pris au sens large. Pour l'ensemble de ces raisons, il semble que la convention
collective de l'audiovisuel public ne soit pas compatible avec le statut des membres du CSA.
Toute décision du CSA à laquelle les deux membres apportent leur vote créerait visiblement
35
une situation juridique de conflit d'intérêt, y compris s'agissant de la sauvegarde du
pluralisme.
D'autre part, les textes prévoient que le CSA dispose d’un pouvoir de codécision dans la
nomination des présidents de l’audiovisuel public. Il nomme par ailleurs plusieurs membres
des conseils d’administration des sociétés nationales de programme et de l’Institut National de
l'Audiovisuel. Les présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société en
charge de l’audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret en conseil des
ministres pour cinq ans, après avis conforme du CSA et après avis des commissions
parlementaires chargées des affaires culturelles.
Or, au début de l'année 2009, un projet de loi réformant l'audiovisuel public a été
déposé. Le texte a fait l'objet d'un examen par le Conseil constitutionnel qui l'a aussitôt validé
dans sa teneur. Ainsi, depuis la loi organique n° 2009-257 du 5 mars 2009 relative à la
nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en
charge de l'audiovisuel extérieur de la France, il est prévu que cette nomination s'effectue en
Conseil des ministres et non plus après avis du CSA.
Lorsque l'on a conscience de la nature des dispositions de la loi de 1986 et des
intentions du législateur quant au prétendu rôle de l'autorité de régulation du secteur de
l'audiovisuel, ces faits récents dévoilent une réalité toute autre qui tend à décrédibiliser la
mission, pourtant primordiale, dont est investie le CSA, notamment en ce qui concerne la
sauvegarde d'un pluralisme d'expressions et d'idées.
Paragraphe 2. Les réalités sur l'objectif de pluralisme d'expression
A. Pluralisme interne et pluralisme externe
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est chargé par la loi de garantir la liberté
d'expression et de communication à travers le respect d'un pluralisme externe et d'un
pluralisme interne. L'expression du pluralisme externe est fondée sur la nécessité de diversité
des opérateurs, des sources d'informations assurées par le CSA lors de l'attribution des
fréquences, et par les règles relatives à la concentration propres au secteur. En vertu de
l’article 21 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, le Premier ministre confie au Conseil
36
l'attribution des bandes de fréquences hertziennes destinées à la radiodiffusion. L’utilisation
de ces fréquences constitue un mode d’occupation privatif du domaine public dont il
appartient au CSA d’autoriser l’usage. C’est le pluralisme qui justifie la soumission des
services audiovisuels à un régime d’autorisation et qui permet d’éviter que la délivrance des
autorisations ne soit arbitraire. Il s’agit donc du pluralisme à un niveau opérationnel dans
l’espace audiovisuel. Un pluralisme qui renforce la concurrence entre les médias et de ce fait
crée les conditions d’une amélioration qualitative et culturelle des services proposés au
téléspectateur.
Toutes les formes d'expression sont susceptibles de s'épanouir au sein de ces services, y
compris l'humour et la satire. Sans un tel mécanisme, les contenus proposés aux
téléspectateurs et aux auditeurs seraient homogènes et ne laisseraient pas place à la critique et
à la caricature, que l'on peut par exemple retrouver chaque soir de la semaine dans l'émission
des Guignols de l'Info, ou que l'on pouvait trouver, avant cela, dans les sketchs de Desproges
ou de Coluche. Un système qui ne proposerait pas une diversité d'éditeurs de services de
communications ne permettrait pas une ouverture d'esprit et une éventuelle remise en cause,
même sur le ton de l'humour, des pouvoirs politiques ou encore la caricature d'une
personnalité.
Les obligations que doivent par la suite respecter les éditeurs de services de
communication, matérialisées dans une convention conclue entre le CSA et chacun des
opérateurs privés ainsi que dans les cahiers des charges des chaînes de service public, trouvent
leur contrepartie dans le principe de la gratuité des fréquences utilisées.
De ce fait, le pluralisme externe déclenche le pluralisme interne. Ce type récent de
pluralisme consiste en une obligation pour les organes de communication audiovisuelle,
publics ou privés, de garantir l’expression de tendances et d’opinions différentes. Le
pluralisme interne veut qu'un opérateur assure au sein de ses programmes, l'équilibre et la
diversité des points de vue et des opinions. Au titre du pluralisme interne, l’article 2 du cahier
des charges de France 2 énonce par exemple que « la société assure l’honnêteté et le
pluralisme de l’information, ainsi que l’expression pluraliste des courants de pensée et
d’opinion dans le respect du principe d’égalité de traitement et des recommandations du
CSA ». Des exigences de pluralisme interne s’imposent également aux sociétés du secteur
privé. Ainsi, l'article 7 de la convention du 8 Octobre 2001 conclue entre le CSA et TF1,
37
prévoit que « la société assure le pluralisme de l’expression des courants de pensée et
d’opinion, notamment dans le cadre des recommandations formulées par le CSA. Elle veille à
ce que l’accès pluraliste des formations politiques à l’antenne respecte une présentation
honnête des questions prêtant à controverse et à assurer l’expression des différents points de
vue ». Reste tout de même à savoir ce que le CSA attend concrètement d'un éditeur de
services pour que celui-ci garantisse un pluralisme d'expression.
B. La difficile mise en oeuvre d'un pluralisme interne en matière
d'humour
La télévision occupe une place centrale en période de propagande électorale. Durant
cette période, le CSA est chargé de veiller à ce que chaque orientation politique fasse l'objet
d'une présence d'antenne équitable. Mais l’attribution d’un rôle dans ce domaine à une
autorité de régulation n’est pas nouvelle puisque sous la loi de 1982, ce rôle revenait à la
Haute autorité, prédécesseur du CSA. La question des campagnes électorales télévisées est
traitée dans la loi de 1986. Mais le CSA va au-delà et intervient bien avant l’ouverture des
campagnes officielles dans le but de préciser les conditions dans lesquelles doivent se
dérouler la communication et l'information politique, de façon à respecter le pluralisme.
Il y a alors une distinction à opérer selon que soit concerné le secteur public ou le
secteur privé de l’audiovisuel. Les règles varient également en fonction du scrutin, autrement
dit, si l'on se trouve en période de campagne présidentielle, législative, européenne ou
référendaire. De façon à permettre la vérification de la bonne application de ces règles, un
dispositif de comptabilisation est mis en place. Le CSA va donc relever dans les journaux et
magazines d’informations les temps de parole et temps d’antenne. En période de campagne
officielle, le respect du pluralisme est apprécié chaque semaine. S'agissant du Président de la
République, le CSA, qui refusait longtemps de la comptabiliser, a vu sa décision de refus
annulée par le Conseil d'Etat le 8 avril 2009.
Comptabiliser le temps de parole des politiques en vue de garantir un pluralisme
d'expression et de pensées n'est pas chose aisée. Mais qu'en est-il des autres domaines ?
Comment sauvegarder le pluralisme d'expression au sein des entreprises de communication
audiovisuelle, autre que dans le cadre de campagnes électorales, par l'injonction d'obligations
de faire ? Peut-être faudrait-il dans ce cas, se concentrer sur les obligations de ne pas faire, de
38
ne pas sanctionner ? Pourtant comme tout droit, l'humour et l'expression, d'une manière
générale, doivent être encadrés. Le CSA dispose d'un pouvoir de sanction à l'encontre des
éditeurs de services.
Ces sanctions sont susceptibles d’être mises en œuvre à l’occasion de manquements des
diffuseurs à leurs obligations et engagements. Elles peuvent consister en une suspension de
l'édition, de la diffusion, de la distribution du ou des services, d’une catégorie de programme,
d’une partie du programme ou d’une ou plusieurs séquences publicitaires pour un mois ou
plus. La sanction peut tout aussi bien conduire à réduire la durée de l'autorisation ou de la
convention dans la limite d’une année ou même, être pécuniaire. L'autorisation d'utilisation de
la fréquence peut être retirée ou la résiliation unilatérale de la convention, prononcée. Enfin,
le CSA peut demander la diffusion à l'antenne d'un communiqué.
Un éditeur de services est responsable du contenu qu'il édite et peut se voir sanctionner
si le Conseil estime qu'un sketch aurait « dépassé les limites », même si comme l'a récemment
affirmé Françoise Laborde au sujet d'un spectacle de Jean-Marie Bigarre : « on n'est pas non
plus dans la sanction permanente et encore une fois en ce qui concerne l'humour, on est
extrêmement attentif au CSA à ne pas sanctionner l'humour. Et d'ailleurs on ne l'a jamais fait,
parce que sinon, on devrait tous les matins envoyer des lettres à l'ensemble des éditeurs de
radios et de télévisions ». Pourtant, de même que l'humour au sein des services de
communication audiovisuelle trouve une consécration juridique, il est, comme tout droit,
susceptible d'atteintes et de limites.
39
DEUXIEME PARTIE : LES RESTRICTIONS AU
DROIT A L'HUMOUR
40
L'humour, par le rattachement aux notions d'« expression » et de « communication »,
peut être constitutif d'un réel « droit » pouvant s'exercer sur les services de communication
audiovisuelle. Comme chaque droit, l'humour peut faire l'objet de restrictions. Certaine de ces
limites sont propres à chaque droit (Chapitre 1) et d'autres, inhérentes au particularisme de
l'humour (Chapitre 2).
41
Chapitre 1 : Les restrictions traditionnelles, l'abus de droit
Sur ce vaste débat qui consiste à demander « peux-t-on rire de tout ? », les avis
divergent. L'humour se définit comme l'intention de faire rire or, ce rire est bien souvent
synonyme de moqueries ou de railleries. Fixer des limites à l'humour reviendrait à fixer des
limites à la moquerie, à délimiter quelles sont les personnes ou les groupes de personnes
– qu'ils soient religieux, communautaires, politiques ou autres – qui ne pourraient faire l'objet
de plaisanteries.
Pourtant fervent défenseur de la liberté d'expression, Robert Ménard considère que le
rire n'est pas une affaire de « pouvoir » mais plutôt de « devoir ». « On peut rire de tout. Mais
si l'on sait qu'en riant de tout, on risque de blesser des gens, doit-on le faire ? 59 », explique le
fondateur de RSF60. Au-delà d'un droit, d'une capacité à utiliser l'humour, il y aurait une
morale qui restreindrait l'exercice de cet humour et nous empêcherait de tenir des propos,
certes, drôles pour certains mais vexatoires pour d'autres.
Jérôme Bouvier, actuel médiateur de Radio France, explique quant à lui que « si on ne
rit pas de tout, il faudrait faire une liste et là, les choses seraient trop compliquées 61 ». Le
risque encouru par le législateur qui délimiterait de manière excessive le droit à l'humour, en
particulier lorsqu'il est exercé au sein des services de communication audiovisuelle, est d'être
amené à tout proscrire. Dans l'hypothèse où il ne serait plus permis de rire d'une catégorie
certaine d'individus ou d'une personne en particulier, comment justifier dans ce cas la
possibilité de rire des autres ?
La Convention EDH ne s'oppose pas aux restrictions de l'expression – dont l'humour est
une forme – si celles-ci sont prévues par les législations des Etats membres et si elles
constituent des « mesures nécessaires »62. De la même manière qu'il n'existe pas, en France,
de dispositions législatives spécifiques le consacrant, il n'existe pas de limites stricto sensu au
droit à l'humour. Ici, l'exercice abusif peut apparaître dans la confrontation avec d'autres
droits (Section 1) ou prendre la forme d'un délit de presse (Section 2).
59 Propos recueillis par l'auteur lors d'un entretien avec Robert Ménard à Paris le mercredi 23 juin 2010.
60 Reporters Sans Frontières, op. cit.
61 Propos recueillis par l'auteur lors d'un entretien avec Jérôme Bouvier dans les locaux de la Maison de la radio
le lundi 12 juillet 2010.
62 En ce sens, voir CEDH, Herczegfaly contre Autriche, op. cit.
42
Section 1 : La conciliation du droit à l'humour et des autres droits
Le droit à l'humour se trouve fréquemment confronté aux droits de la personnalité (§1)
mais également à la liberté de travail (§2).
§1. L'humour et les droits de la personnalité
A. Le respect de la vie privée
Le droit français protège l’individu dans son individualité propre. Les prérogatives
permettant à un individu de mettre en œuvre cette protection, constituent les droits de la
personnalité au sens strict du terme. Ces droits sont attachés à la personne et ne font pas partie
de son patrimoine. Ces attributs de la personne humaine se distinguent généralement en deux
catégories : les droits qui tendent à la protection de l'intégrité physique et ceux visant la
protection de l'intégrité morale.
Il peut arriver que l'usage de l'expression humoristique se confronte à l'un des ces droits,
d'où la nécessité de trouver un équilibre. La caricature ne doit par exemple pas attribuer à une
personne des origines, des positions ou des idées qui ne sont pas les siennes. Il a été jugé
qu'un « texte (qui), sous l'apparence de l'humour et de la parodie, tendait, par l'évocation
caricaturale d'un policier cynique, immoral et insensible, à présenter un poète engagé depuis
sa libération après une très longue détention dans une lutte pour le respect des droits de
l'homme à Cuba, sous un jour dérisoire et odieux, afin de déconsidérer sa personne et de
discréditer ses engagements63 » constituait un dénigrement fautif.
Le respect de la vie privée64, qui est protégé mais pas définit par le Code civil, constitue
l'attribut de la personnalité qui génère le plus de contentieux en matière de limites au droit à
l'humour. L’article 9 dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée », sans apporter
plus de précisions sur ce qu'il faut concrètement entendre par « vie privée ». La jurisprudence
s’est attachée à en cerner les contours. De ses appréciations successives, on peut conclure que
63 Cass., 2ème Ch. civ., 13 février 1991.
64 La Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950
protège le droit au respect de la vie privée. L’article 8 de la Convention dispose: « toute personne a droit au
respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Le droit au respect de la vie
privée et le droit à l’image sont aussi protégés par le Code pénal.
43
le droit au respect de la vie privée est « le droit pour une personne d’être libre de mener sa
propre existence avec le minimum d’ingérences extérieures », ce droit comportant « la
protection contre toute atteinte portée au droit au nom, à l’image, à la voix, à l’intimité, à
l’honneur et à la réputation, à l’oubli, à sa propre biographie ». Le code napoléonien ajoute
que « les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes
mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte
à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé ».
Cette notion de vie privée ne concerne pas uniquement « monsieur tout-le-monde » et
peut également trouver à s'appliquer s'agissant de personnes notoires. La deuxième chambre
civile de la cour de cassation considère par exemple qu'en matière de droit à l'image, « La
tolérance et même la complaisance qu'une personne a manifesté dans le passé à l'égard de la
presse ne sauraient faire présumer qu'elle ait permis définitivement et sans restriction à tout
périodique de rassembler et de reproduire des affirmations parues dans d'autres journaux. Les
juges du fond peuvent donc estimer qu'a subi un préjudice, la personne ayant fait l'objet d'un
article recueillant et rassemblant des renseignements fragmentaires, épars dans diverses
publications, et exclusivement relatifs à sa vie privée, dès lors qu'ils relèvent que cet écrit a
touché de nouvelles catégories de lecteurs et que le choix des évènements, vrais ou faux, qui y
étaient repris, faisait apparaître l'intéressé sous un jour déplaisant 65 ».
Plus récemment, la Cour d'appel de Paris, avant de rappeler que « ceux qui créent,
interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et
d’opinion indispensable à une société démocratique », a rappelé que « le droit à l’image doit
céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier aurait pour effet de
faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui
s’expriment spécialement dans le travail d’un artiste, sauf dans le cas d’une publication
contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière
gravité66 ». Plus particulièrement concernant la caricature ou la satire, il est de jurisprudence
constante de considérer que la vie privée d'une manière générale, ou les caractéristiques
physiques d'une personne publique, ne sauraient être un sujet de caricature ou de satire 67. La
notoriété d'un fait, tel qu'un divorce, ne représente pas une excuse pour les juges 68.
65
66
67
68
Cass., 2ème Ch. civ., 6 janvier 1971.
CA Paris, 5 novembre 2008.
TGI Nanterre, 1ère Ch., 12 novembre 2002.
TGI Paris, 17 juin 1987.
44
Enfin, l'humour ne doit en aucun cas permettre de porter atteinte à la présomption
d'innocence. La représentation de la marionnette d'un avocat, lors de l'émission les Guignols
de l'info, ne laissant aucun doute dans l'esprit du téléspectateur quant à la culpabilité de
l'accusé, a été sanctionnée. Selon les juges, quand bien même le caractère humoristique de
l'émission « n'eût pas suffi à accréditer la culpabilité de cet accusé dans l'esprit du public, le
climat médiatique ayant entouré le procès n'a pu que crédibiliser les propos tenus par la
marionnette de son avocat 69».
B. La dignité humaine
La notion de « dignité humaine », née de la prise de conscience, par la société et les
Etats, du concept d’humanité70, est en droit interne un concept d'éthique et une composante de
l'ordre public71. Les attaques corporelles qualifiables d’ignobles ou odieuses faites à un groupe
d’hommes, afin de les réduire, voire les exterminer, notamment pour des raisons raciales,
religieuses, philosophiques ou autres, sont susceptibles de mettre à mal la communauté
humaine, soit l’Homme dans son essence et son intégrité.
Le Tribunal de grande instance de Nice a condamné un journal satirique pour une telle
atteinte : « Attendu qu’au-delà de la vulgarité et du mauvais goût que les auteurs semblent
revendiquer, cette publication comporte des dessins, photographies ou articles dont le but
n’est ni l’information, ni la critique mais plutôt la dérision et l’insulte la plus basse. Que ce
mauvais goût et cette vulgarité sont illustrés par vingt trois représentations du sexe masculin
(le plus souvent en érection) dont sept scènes de sodomie dans chacun des deux numéros
incriminés. Que cette vulgarité et ce mauvais goût seraient tolérables si les publications
étaient réservées à un public d’adultes susceptibles de saisir le sens (apparemment...) caché
des articles ou des illustrations, ou de se réjouir d’un (prétendu) bon mot ou d’un trait
(pouvant apparaître) spirituel (…). Que le trouble causé à l’ordre public est certain quoique
69 TGI Cusset, 8 Juin 2000.
70 Parmi les textes élaborés au lendemain de la seconde guerre mondiale, outre la Charte des Nations Unies
entrée en vigueur le 24 octobre 1945, se distinguent les Statuts de Nuremberg annexés à l’accord de Londres
du 8 août 1945. De même la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ainsi que
les Pactes internationaux de New-York du 16 décembre 1966 proclament leur attachement à la dignité de la
personne humaine.
71 CE 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge : « la dignité de la personne humaine est une
composante de l’ordre public (…). L’attraction de lancers de nains consistant à faire lancer un nain par des
spectateurs conduit à utiliser comme projectile une personne affectée d’un handicap physique et présentée
comme telle ».
45
puissent en penser certains esprits dits « libres »...72 ». De même, des affiches publicitaires
représentant certaines parties du corps humain, affublées d'un tatouage avec la mention
« HIV », ont été jugées contraires à l'ordre public et à la dignité des personnes contractant le
virus du SIDA. Les juges ont estimé que ce type de campagne publicitaire favorisait le rejet et
la discrimination d'une catégorie de personnes 73.
L'exercice d'un droit à l'humour sur les services de communication audiovisuelle trouve
aussi sa limite dans le respect de la dignité humaine. Dire des personnes de petites tailles
qu'elles sont comparables « à de la nourriture et au règne animal », conduit l'auteur de ces
propos, selon le Tribunal de grande instance de Nanterre, à « dénier l’humanité même de ses
victimes, suscitant le rire aux dépens de leur handicap physique irréversible, de leur
souffrance quotidienne, de leur profonde faiblesse et de leur fragilité ». Bruno Gaccio,
humoriste et ancien coauteur de l'émission les Guignols de l'info, « a ainsi indiscutablement
porté atteinte au respect de la dignité des personnes de petite taille et a commis un abus de la
liberté d’expression 74». Enfin, des discours antisémites tenus par les auditeurs d'une
radio-libre sont « attentatoires à la dignité de la personne humaine 75 » selon le Conseil d'Etat.
§2. L'humour et la liberté de travail
Le législateur n'a, à ce jour, pas caractérisé l'exercice de l'humour en tant que
profession. La satire et la caricature font, en revanche, l'objet d'une consécration par le CPI et
doivent respecter les lois du genre pour constituer des oeuvres originales de l'esprit. Ces lois
impliquent une absence de confusion entre l'œuvre parodiée et la parodie elle-même, de telle
sorte que le public sache tout de suite laquelle est l'originale. Conformément au droit
commun, l'intention de nuire ne doit pas primer sur l'intention de faire rire. Les nuisances que
peuvent générer la satire ou la caricature, nous l'avons vu, concernent tout aussi bien les droits
de la personne que les droits d'auteur mais peuvent aussi intervenir dans le domaine de la
liberté d'entreprendre. L'humour n'est reconnu que s'il est la manifestation d'une liberté
d'expression76, il ne doit pas s'abriter derrière la protection que confère la liberté d'expression
72
73
74
75
76
TGI Nice, 30 juin 1994.
CA Paris, 1ère Ch., 28 mai 1996, arrêt dit Benetton.
TGI Nanterre, 20 septembre 2000.
CE, 9 octobre 1996.
Il est de jurisprudence constante que de considérer que la reproduction des traits d'autrui, sous forme de
caricature, n'est licite que pour assurer le plein exercice de la liberté d'expression. Voir en ce sens :
Cass., 1ère Ch. Civ., 13 janvier 1998.
46
pour, par exemple, porter atteinte à la libre concurrence.
Dès lors que l'on admet qu'il s'agit d'un élément à part entière de la liberté d'expression,
l'exclusion de l'humour doit reposer sur une justification suffisante. Le droit à l'humour sera
exclu s'il ne fait que dissimuler une intention purement commerciale. Selon une partie de la
doctrine, « on peut considérer de manière générale qu’un respect minimal de la personne
commande que la caricature soit interdite lorsque ayant seulement pour but de ridiculiser, ou
de déconsidérer celui qui en est l’objet, elle dépasse l’intention humoristique ou que tendant à
s’approprier sa notoriété pour en tirer profit, elle en est détournée 77 ».
Une décision du Tribunal de Grande Instance de Nancy avait, le 15 octobre 1976,
interdit la reproduction caricaturale de l’image du Président Valéry Giscard d’Estaing sur un
jeu de cartes. Les juges en avaient déduit que « la caricature des personnes notoires ne peut
être réalisée à une fin publicitaire car elle est alors détournée de sa fin 78 ». Ce principe a été,
plus récemment, confirmé par la jurisprudence. Concernant la commercialisation de pin's à
l'effigie d'un célèbre présentateur télé, la Cour de cassation a rappelé qu’au regard de
l’article 9 du Code civil, « chacun a le droit de s’opposer à la reproduction de son image, et
que cette reproduction sous forme de caricature n’est licite, selon les lois du genre, que pour
assurer le plein exercice de la liberté d’expression 79 » cassant l'arrêt rendu par les juges du
fond qui avaient considéré que « le droit à la caricature doit pouvoir s'exercer quel que soit le
support utilisé (et) implique le droit de la commercialiser ».
Plus surprenante est la décision rendue récemment par la Cour d'appel de Paris dans une
affaire opposant l'actuel Président de la République à un fabricant de poupées. Le chef de
l’Etat a poursuivi pour atteinte à son droit à l’image, la commercialisation par la société
K & B d’une poupée vaudou à son effigie. Par décision en référé en date du 29 octobre 2008,
le Président a été débouté de sa demande, aux motifs que « cette représentation non autorisée
de l’image de Nicolas Sarkozy ne constitue ni une atteinte à la dignité humaine, ni une attaque
personnelle ». Estimant que « même s'il peut apparaître déplaisant à certains égards d'inciter
le lecteur à planter des aiguilles dans une poupée de tissu à l'effigie d'une personne », le
Tribunal de grande instance a rappelé qu'il n'avait pas « à apprécier le bon ou mauvais goût du
77 LOISEAU G., Commentaire sous la décision de la Cour de cassation du 13 janvier 1998 : JCP G 1999, II,
10082, p. 921.
78 TGI Nancy, ord. réf., 15 oct. 1976, Giscard d'Estaing c/ Marc Ways.
79 Cass. 1ère Ch. civ., 13 janvier 1998, Dechavanne c/ Sté Jag.
47
concept proposé ». Et ce, d'autant « que nul ne peut prendre au sérieux ce procédé et croire
qu'il prônerait un culte vaudou tel que pratiqué aux Antilles ». En outre, souligne le jugement,
les aiguilles ne sont « jamais dirigées contre la personne » de Nicolas Sarkozy, mais « visent à
brocarder ses idées et prises de position politiques, comme ses propos et comportements
publics, en guise de protestation ludique et d'exutoire humoristique 80 ». Étonnement, le juge
des référés rompt ici avec la solution qui consistait à distinguer entre l’exercice parodique,
exercé selon les lois du genre, et l’exploitation purement commerciale de l’image d’autrui en
raison de sa notoriété.
La décision a été partiellement infirmée en appel. La Cour d'appel de Paris a suivi, en
grande partie, les arguments de l'avocat du chef de l'Etat, en estimant que ce kit constituait
une atteinte à la dignité. « Le fait d'inciter le lecteur à avoir un rôle actif en agissant sur une
poupée dont le visage est celui de l'intéressé (...) avec des épingles, piquantes par nature, et
alors que le fait de piquer volontairement, que sous-entend l'idée de faire mal physiquement,
ne serait-ce que symboliquement, outrepasse à l'évidence les limites admises, constitue une
atteinte à la dignité de cette personne ». La Cour a en revanche décidé que le retrait de la
vente de la poupée vaudou représentant le Président était une mesure portant atteinte à la
liberté d’expression, mais a imposé à la société qui la commercialise de faire figurer un
bandeau avec la mention suivante : « L’incitation du lecteur à piquer la poupée jointe à
l’ouvrage avec les aiguilles fournies dans le coffret, action que sous-tend l’idée d’un mal
physique, serait-il symbolique, constitue une atteinte à la dignité de la personne de
M. Sarkozy 81». Le débat sur le caractère ou non commercial de la poupée ayant donc été
écarté, faut-il considéré qu'il s'agit d'une décision d'espèce ?
Section 2 : Les délits de presse en matière de droit à l'humour sur les
services de communication audiovisuelle
La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 définit les libertés et responsabilités
de la presse française, imposant un cadre légal à toute publication, ainsi qu'à l'affichage
public, au colportage et à la vente sur la voie publique. Texte juridique fondateur de la liberté
80 TGI Paris, 29 oct. 2008.
81 CA Paris, 28 nov. 2008.
48
de la presse et de la liberté d'expression en France, elle est, dans le même temps, le texte qui
en limite l'exercice et incrimine certains comportements spécifiques à la presse, appelés
« délits de presse ».
L'article 24 de la loi de 1881 dispose : « Seront punis comme complices d'une action
qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des
lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures,
emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou
distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards
ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public
par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite
action, si la provocation a été suivie d'effet ».
Le législateur a ici étendu le délit en matière de presse à l'ensemble des communications
au public par voie électronique permettant, en partie, de fixer et de condamner un exercice qui
serait abusif du droit à l'humour au sein d'un service de communication audiovisuelle.
§1. La provocation à la discrimination, la haine ou à la violence.
Jusqu’où peut-on laisser dire, écrire ou communiquer des idées – y compris celles qui se
situent dans un registre comique – susceptibles de pousser à la réalisation d’une infraction ?
Du côté du droit, la provocation peut être envisagée autant comme un résultat que
comme procédé. « Provoquer une action » renvoie à l'idée d'un procédé personnifié par le
comportement du provocateur lui-même, tandis que « le fait d’être provoqué » illustre le
résultat obtenu par ledit provocateur. On pourrait aujourd’hui définir la provocation comme
l'intention d'influencer suffisamment un tiers pour le conduire à commettre un acte, qu'il soit
répréhensible ou non. Initialement, la loi de 1881 n'incriminait que la provocation résultant de
la désobéissance des militaires mais aujourd’hui, cette disposition est présente à l'article 413-3
du code pénal.
L'alinéa 6 de l'article 24 de la loi de 1881 dispose désormais : « Ceux qui, par l'un des
moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence
à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur
49
appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion
déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une
de ces deux peines seulement ».
Comme tout infraction, la caractérisation d'une provocation à la discrimination, à la
haine ou à la violence nécessite la réunion d'un élément moral et d'un élément matériel.
Concernant l’élément matériel, la doctrine affirme qu' « il faut qu’on puisse relever que ce qui
a été dit ou écrit puisse être compris comme une incitation manifeste, une instigation, une
exhortation à des sentiments contradictoires82 ». De simples propos ou écrits racistes ne
suffisent pas à la constitution de l’infraction et il n’y aura, de ce fait, pas de répression si
l’incitation sera insuffisamment claire. Au sujet de l’élément moral, doit être apportée la
preuve de la volonté délibérée d'incitation à la haine ou à la violence. L'intention de
provocation consiste à créer l'état d'esprit propre à susciter le sentiment de rejet ou de haine
envers une personne ou un groupe déterminés. S'agissant de propos ou d'écrits constitutifs de
provocation à la discrimination, à la haine et à la violence, la mauvaise foi ne se présume pas.
Il appartiendra aux victimes de prouver la réalité de l'intention coupable.
La provocation dont il s'agit ici doit pousser à la « haine ». La haine est un terme que le
législateur n'a pas définit mais qui s'analyse, selon la jurisprudence, en un désir de rejet à
l'égard des victimes de l'infraction. Un texte ou un propos ne faisant que décrire un peuple, ses
usages, ses vertus et ses faiblesses n'est donc pas une provocation raciale, ethnique ou
religieuse.
La 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné, en 2006, l'humoriste
Dieudonné à la suite de propos que celui-ci avait tenus dans le Journal du Dimanche
du 8 février 2004 : « Ce sont tous des négriers reconvertis dans la banque, le spectacle et
aujourd'hui l'action terroriste, qui manifestent leur soutien à la politique d'Ariel Sharon. Ceux
qui m'attaquent ont fondé des empires et des fortunes sur la traite des Noirs et l'esclavage (...),
et c'est Israël qui a financé l'apartheid et ses projets de solution finale ». Selon le juge, « Un
tel anathème, l'emploi du terme particulièrement virulent de « négrier » et l'amalgame auquel
se livre le prévenu en recourant à des stéréotypes antisémites (...) ne peut que susciter chez le
lecteur un vif sentiment de rejet, voire de haine et violence ». Le tribunal ajoute que « sous
couvert de stigmatiser ses détracteurs, (Dieudonné) désigne à la vindicte les juifs, en les
82 DEBBASCH C., Droit pénal des médias, Ed. Dalloz 1999.
50
assimilant à des marchands d'esclaves qui auraient bâti des fortunes sur la traite des noirs,
ayant ainsi tiré profit d'un crime contre l'humanité 83». Si, en l'espèce, la caractérisation tant de
l'élément moral que de l'élément matériel, a permis de conclure à la commission d'une
incitation à la haine raciale, les faits ne sont pas toujours aussi révélateurs.
Le tribunal correctionnel de Lyon a relaxé Maurice Sinet, caricaturiste et humoriste
poursuivi par la Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme suite à la
publication de deux chroniques. Étaient en cause des propos relatifs aux femmes voilées
musulmanes et des grenouilles de bénitier ainsi qu'au fils du Président de la République,
Jean Sarkozy. Siné écrivait que ce dernier prévoyait de se convertir au judaïsme pour épouser
l'héritière de la chaîne de magasins Darty. En rappelant que Charlie-Hebdo est un journal
satirique destinés à des « lecteurs éclairés », les juges ont estimé, qu'en l'espèce, la liberté
d'expression devait primer sur le sentiment religieux. S'agissant de la première chronique, le
tribunal a estimé qu'il fallait analyser simultanément les textes et dessins, pour comprendre
que « les trois religions du Livre sont concernées » et que l'article visait « les franges
traditionalistes voir fondamentalistes », non les religions dans leur ensemble. Il rappelle qu'en
droit, une opinion, « même discutée », ne constitue pas nécessairement une « incitation à la
haine raciale ».
Concernant la deuxième chronique, les juges se sont appuyés sur le témoignage d'un
expert linguistique, ayant décortiqué les articles objets du litige, qui conclut à
« l'inconsistance du grief antisémite ». Le tribunal a ici rappelé que « les restrictions à la
liberté d'expression appellent une interprétation étroite » et que, par ailleurs, le lectorat de
Charlie Hebdo est « habitué à la satire », qui est « le genre de l'outrance et de l'exagération »
ce qui n'exclut pas « l'analyse et la critique sociétale ». Avant de clore l'audience, le président
du tribunal a admis que « personne n'est obligé d'acheter un journal satirique, comme
personne n'était obligé de lire les Versets sataniques 84».
Cette jurisprudence, assez libérale, réaffirme la tendance des tribunaux selon laquelle il
est permis de faire rire, même aux frais d'une communauté religieuse ou ethnique, qu'elle soit
majoritaire ou minoritaire85. Les plaisanteries racistes elles-mêmes peuvent, dans certains cas,
83 T. corr. Paris, 17ème Ch., 10 mars 2006.
84 T. corr. Lyon, 24 février 2009.
85 En ce sens par exemple : Cass. crim., 28 juin 1983.
51
échapper à la répression au nom du droit à l'humour même si l'exercice demeure périlleux 86.
§2. Les délits contre les personnes
A. La diffamation publique
La diffamation publique est définie par l'alinéa 1er de l'article 29 de la loi de 1881
comme suit : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la
considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La
publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est
punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un
corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes
des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».
La caractérisation d'une diffamation publique suppose l’allégation ou l’imputation d’un
fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou la considération d’une personne
déterminée ou identifiable.
Récemment, dans une affaire opposant Julien Dray à Dieudonné, le porte-parole du
Parti Socialiste accusait l'humoriste d'avoir contribué à créer un climat d'antisémitisme
propice, selon lui, au meurtre d'Ilan Halimi, au début de l'année 2006. Le cofondateur de
l'association SOS Racisme aurait publiquement tenu des propos mettant en cause l'humoriste
et expliquant que toute ou partie des spectacles de ce dernier favoriseraient des actes
comparables au meurtre de ce jeune juif décédé quelques jours plus tôt, après avoir avoir été
torturé. Invoquant la diffamation, Dieudonné n'obtint pas gain de cause. Selon le Parquet, les
propos du député de l'Essonne bien que « sévères » n'étaient « pas diffamatoires ». Les
magistrats de la 17ème Chambre relevèrent qu'en l'espèce, le défendeur « n'impute pas à
Dieudonné M'Bala M'Bala une responsabilité directe dans la mort d'Ilan Halimi ».
Selon les juges, « il ne lui impute pas un fait précis susceptible de preuve, mais analyse
l'influence qu'aurait eue à son avis Dieudonné, à travers un humour caricaturant les juifs, sur
l'établissement d'un climat antisémite ayant pu encourager les assassins d'Ilan Halimi ». Le
86 Un humoriste voulant imiter Jean-Marie Le Pen fût condamné lui-même pour incitation à la haine suite à une
chanson aux paroles manifestement racistes : Cass. crim., 4 nov. 1997.
52
Tribunal correctionnel de Paris a ajouté qu'il s'agissait « d'une opinion et d'un jugement de
valeur subjectif qui peuvent certes être débattus ou contredits, mais dont la vérité est
impossible à prouver ». À ce titre, les propos litigieux n'ont pas été considérés comme étant
diffamatoires87.
Même si l'imputation d'un fait précis peut être difficile à établir, l’intention coupable est
présumée88 en matière de diffamation et il appartient à l’auteur des propos prétendument
diffamatoires d’apporter la preuve de sa « bonne foi ». Sont susceptibles de constituer une
bonne foi, la sincérité, la poursuite d'un but légitime, la proportionnalité du but poursuivi et du
dommage causé et enfin le soucis d'une certaine prudence. Toutefois, la jurisprudence a
tendance à tenir compte de l'émission en cause pour apprécier l'existence de la bonne foi qui
permet d'échapper à la sanction. La critique est ainsi libre, sauf si elle constitue une attaque
personnelle. Il a été jugé que cette liberté de critique s'applique aux publications ou émissions
humoristiques ou satiriques89.
Par exemple, un journaliste qui, dans une émission de radio destinée à divertir ses
auditeurs, dit : « Je voudrais remarquer qu'un juif pauvre est un juif qui tombe sur un juif plus
malin que lui » n'est pas reconnu comme étant diffamatoire dans la mesure où le propos en
cause s'inscrit dans le contexte humoristique de cette émission. La Cour d'appel de Paris
admet néanmoins que dans de telles circonstances, ce type de discours humoristique n'enlève
en rien une éventuelle portée diffamatoire. Toutefois, l'absence d'intention de nuire a été
établie dans la mesure où ledit journaliste n'a fait qu'enchaîner son mot à ceux des autres
participants et a manifestement voulu se situer dans le même esprit. Selon la cour, aucun
auditeur n'a pu se méprendre sur l'objectif humoristique de l'émission. En conséquence,
l'auteur du propos est donc bien fondé à revendiquer le bénéfice de la bonne foi et aucune
diffamation à l'encontre d'un groupe de personnes n'a pu être constituée 90.
Enfin, dans l'hypothèse où la preuve des faits jugés diffamatoires est rapportée, l’auteur
peut s'exonérer en invoquant la notion « d’exception de vérité ». Le bénéfice de cette
exonération est subordonné à l'établissement de la véracité des faits mais également à la
légitimité du propos relatant le fait diffamatoire. Si ces éléments de preuve se doivent d'avoir
87 T. corr. Paris, 17ème Ch., 17 juin 2008.
88 Art. 35 bis, loi du 19 juillet 1881 : « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire sera
réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».
89 T. corr. Paris, 9 janvier 1992, G.P.1992, 1, 182, note Bilger ; Cass. Crim., 13 février 2001.
90 CA Paris, 27 novembre 2003.
53
une origine licite et transparente, ils doivent par ailleurs s'être trouvés en la possession de
l’auteur de la diffamation au moment de l’infraction. Néanmoins, dans plusieurs hypothèses,
l'exception de vérité ne joue pas91 et se trouve, la plupart du temps, rarement admise en raison
du formalisme procédural rigoureux qu’elle implique 92.
B. L'injure publique
Au même titre que la diffamation publique, l’injure publique est définie par
l’article 29 alinéa 2 de la loi sur la Liberté de la presse : « Toute expression outrageante,
termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».
Ainsi, l’injure se définit par la désignation de personnes déterminées, une intention
coupable, un élément de publicité et par des propos ou invectives injurieux ou outrageants. À
l’inverse de la diffamation, l’injure ne repose sur aucun fait, il n’est donc pas possible
d'apporter la preuve de la véracité des propos litigieux. L’injure se suffit à elle-même, par
conséquent son auteur ne peut s’exonérer en arguant l’exception de vérité.
La Cour d’Appel de Lyon a par exemple confirmé, dans son jugement en date
du 8 octobre 2008, la décision condamnant l’humoriste Frédéric Martin pour injure publique à
l’encontre de l'artiste-interprète Grégory Marchal, en raison de son handicap. Lors d'une
émission télévisée, le défendeur avait désigné le requérant par le nom de la maladie dont il
souffrait. Suite au décès du chanteur, ces parents ont tenu à poursuivre la procédure en
invoquant l'injure publique, fondement qui avait jusqu'alors rarement été invoqué s'agissant de
personnes atteintes d'un handycap. En appel comme en première instance, les juges ont
toutefois considéré que « la désignation de Grégory L. par l’énoncé de son handicap, ici la
mucoviscidose, constitue une expression outrageante et un terme de mépris en ce qu’il réduit
l’identité et l’humanité d’un être à son seul handicap 93 ».
La personne qui injure peut néanmoins invoquer « l'excuse de provocation » comme
91 Art. 35 al. 3, loi de 1881 : « La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf : Lorsque
l'imputation concerne la vie privée de la personne ; Lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à
plus de dix années ; Lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite,
ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ».
92 L'article 35 de la loi de 1881 précise en effet que la présentation d'une telle preuve doit avoir lieu dans
les 10 jours. Cette preuve n’est d’ailleurs acceptée par le juge que si elle « est complète, parfaite et
corrélative aux diverses imputations formulées, dans leur matérialité et leur portée ».
93 CA Lyon, 8 oct. 2008.
54
moyen d'exonération. La provocation se définit, selon la jurisprudence, comme un « fait
accompli volontairement pour la personne injuriée, de nature à expliquer l’injure ». Plus
précisément, « l’injure n’est excusable pour cause de provocation que lorsque celui qui a
proféré ladite injure peut être raisonnablement considéré comme se trouvant encore sous le
coup de l’émotion que cette provocation a pu lui causer94 ». La provocation ne peut excuser
l'injure que dans l'hypothèse où l'injure découle directement de la provocation. L'excuse de
provocation se prouve par tous moyens.
Le 1er décembre 2003, l'humoriste Dieudonné fut invité à une émission télévisée
présentée par Marc-Olivier Fogiel et diffusée en direct. Le principe de cette émission consiste
en une série d’interviews de personnalités ayant trait à l’actualité, accompagnées de réactions
des téléspectateurs exprimées par voies de messages SMS95, diffusés en bandeau sur l’écran.
Au cours de ladite émission, Dieudonné effectua un sketch dans lequel il caricaturait un juif
fondamentaliste extrémiste. Suite à un problème technique lié à un envoi massif de messages
téléphoniques, il n’a pas pu être procédé à la diffusion d’une sélection de ceux-ci, comme à
son habitude.
Ledit sketch suscita de vives réactions tant de la part du public, que du président du
CSA. Le 5 décembre 2003, lors de l’émission suivante, l'animateur Marc-Olivier Fogiel s’est,
en préliminaire, expliqué sur les conditions dans lesquelles le sketch avait été interprété, et
s’est excusé en son nom et celui de la chaîne. Au cours de cette émission, de nombreux SMS,
concernant l’intervention du comique, ont été diffusés en bandeau sur l’écran. Certains d'entre
eux contenaient des propose injurieux et racistes et avaient été « remaniés » par des membres
du personnel de la production.
L'humoriste décida par conséquent de saisir le tribunal pour injures raciales. Les
défendeurs – en l'espèce, les membres du personnel de la production auteurs des messages
litigieux –, invoquèrent l'excuse de provocation pour justifier leurs actes. Voici ce que le TGI
de Montpellier répond : « D’une part, ils ne peuvent sérieusement invoquer une quelconque
provocation de Monsieur Dieudonné M., à leur encontre, car le sketch interprété
le 1er décembre 2003, ne concernait aucun d’entre eux. D’autre part et à supposer que ce
sketch ait eu un caractère diffamant, ce qui aujourd’hui n’a pas été admis par la Cour d’appel
94 Cass. Crim., 13 janvier 1966.
95 Le service de messagerie SMS – pour Short Message Service –, est un service offert par la téléphonie mobile
permettant de transmettre de courts messages textuels.
55
de Paris qui a confirmé, le 7 septembre 2005, un jugement de relaxe rendu par le Tribunal de
grande instance de Paris, le 27 mai 2004, au profit de Monsieur Dieudonné M., le SMS
litigieux qui a été sciemment fabriqué, ne constitue pas une riposte immédiate et irréfléchie
aux propos tenus par ce dernier dans l’émission diffusée quatre jours auparavant. L’excuse de
provocation n’est donc pas fondée 96».
Que soit en cause la confrontation avec d'autres droits et libertés ou les délits de presse,
le droit à l'humour subit des atteintes propres à tout droit. Néanmoins, il convient de
s'intéresser à présent à des limites plus spécifiques.
96 T. Corr. Montpellier, 29 septembre 2005.
56
Chapitre 2 : Les limites inhérentes à la spécificité de ce droit
Les jurisprudence de la Cour EDH et nationales confirment l'idée que les limites à
l'humour seraient à géométrie variable. Elles dépendraient non seulement de la géographie et
de l'état de la société (Section 1) mais aussi de la personnalité du titulaire du droit à l'humour
(Section 2).
Section 1. Des limites variables dans le temps et dans l'espace
§1. L'avis de la Cour EDH
Le contrôle opéré par la Cour EDH entre la mesure portant atteinte à la liberté
d'expression, le but visé et sa nécessité dans une société démocratique est variable. La marge
d'appréciation laissée aux Etats en la matière dépend du domaine concerné par la liberté
d'expression et des raisons justifiant une intervention étatique restrictive. La jurisprudence de
la Cour semble ne s'intéresser à la sauvegarde de la liberté d'expression que dans le cadre de
la presse. Concernant les médias audiovisuels, elle n'intervient que pour des questions
relatives à la régulation des fréquences97 et ne se prononce que peu sur les contenus, exception
faite aux discours publicitaires98.
En principe, si sont en cause des questions politiques ou d'intérêt général, la Cour de
Strasbourg aura plutôt tendance à réduire l'appréciation et l'intervention des Etats, afin de
protéger au mieux la liberté d'expression. Elle justifie une telle sauvegarde en invoquant le
fait que « l'article 10, § 2, de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la
liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou de questions d'intérêt
97 La Cour a examiné, pour la première fois, un monopole public de radiodiffusion dans l'arrêt
Informationsverein Lentia et autres contre Autriche, op. cit. Elle a conclu à la violation de l'article 10 en
reconnaissant que le monopole existant en Autriche pouvait, certes, contribuer à la qualité et à l'équilibre des
programmes grâce au pouvoir de contrôle qu'il confère aux autorités de régulation nationale. Néanmoins, elle
a estimé que l'ingérence que le monopole implique pour les requérants n'était pas « nécessaire dans une
société démocratique ».
98 La Cour s'est prononcée par exemple dans l'affaire Vgt Verein gegen Tierfabriken du 28 juin 2001 sur le refus
des autorités compétentes de diffuser une publicité télévisée par la Société suisse de radiodiffusion en raison
de son « caractère manifestement politique ». Le spot litigieux dénonçait l'élevage industriel de certains
animaux.
57
général 99». La Cour souligne qu'il est fondamental, dans une société démocratique, de
défendre le libre jeu du débat politique. Dans une telle hypothèse, on ne pourrait, selon la elle,
restreindre la liberté d'expression sans « raisons impérieuses ».
Si la Cour n'a pas eu à ce jour l'occasion de se prononcer sur les éventuelles limites que
les Etats se doivent d'imposer au droit à l'humour, on pourrait cependant aisément imaginer
quel serait son raisonnement si cet humour concernait des questions politiques ou d'intérêt
général. Or, cette forme singulière d'expression qu'est l'humour, peut se trouver parfois à la
frontière de questions relatives à la remise en cause des institutions, d'une part, et de questions
intéressant davantage la morale, d'autre part. Il apparaît que, lorsque la liberté d’expression
touche des domaines comme la morale ou la religion, la Cour se montre plus « frileuse »,
laissant ainsi aux Etats toute latitude pour intervenir et trancher.
Sur le refus de l'Office britannique de classification des films d'accorder un certificat de
classification au film Visions d'extase jugé blasphématoire, la Cour n'a pas conclu à une
violation de l'article 10 et a affirmé que dans de telles affaires, les autorités de l'Etat se
trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu
précis des exigences relatives à la protection des droits d'autrui. Il y aurait de ce fait, une
liberté d'expression et donc un droit à l'humour à « deux vitesses » selon que soient en jeux
des questions politiques ou d'éthique. La libre circulation des idées qui « heurtent, choquent
ou inquiètent » se trouve amoindrie par l'impossibilité de « dégager du droit interne des divers
Etats contractants une notion uniforme de la morale 100 ».
Au sujet de la liberté de religion, la Cour énonce d'ailleurs que comme en matière de
morale, « il n’est pas possible de discerner à travers l’Europe une conception uniforme de la
signification de la religion dans la société (…) semblables conceptions peuvent même varier
au sein d’un seul pays. Pour cette raison, il n'est pas possible d’arriver à une définition
exhaustive de ce qui constitue une atteinte admissible au droit à la liberté d’expression lorsque
celui-ci s’exerce contre les sentiments religieux d'autrui. Dès lors, les autorités nationales
doivent disposer d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer l’existence et l’étendue
de la nécessité de pareille ingérence101 ». Cette marge d'appréciation permet la mise en oeuvre
99 Voir dans ce sens par exemple : CEDH, Féret c/ Belgique, 16 juillet 2009, n°15615/07.
100 CEDH, Handyside c/ Royaume-Uni, op. cit.
101 CEDH, Otto-Preminger Institut c/ Autriche, n° 12875/87, 23 juin 1993, Série A.
58
de mesures internes « à la lumière de la situation qui existe au plan local à une époque
donnée102 ».
Dans le même sens, l'arrêt Wingrove contre Royaume-Uni illustre que « comme dans le
domaine de la morale, et peut-être à un degré plus important encore, les pays européens n’ont
pas une conception uniforme des exigences afférentes à « la protection des droits d'autrui »
s'agissant des attaques contre des convictions religieuses. Ce qui est de nature à offenser
gravement des personnes d'une certaine croyance religieuse varie fort dans le temps et dans
l'espace, spécialement a notre époque caractérisée par une multiplicité croissante de croyances
et de confessions103 ». On peut envisager que ces considérations ne se limitent pas à la religion
ou au culte mais englobent la morale et les valeurs profondes de tout un chacun.
Le contrôle de la Cour sur les atteintes à la liberté d'expression fondées sur l'éthique est
subordonné à des facteurs historiques et géographiques. Ce que la morale permet de dire ou
de ne pas dire, y compris par le truchement de l'humour, variera d'un pays à l'autre et d'une
époque à l'autre. Si la liberté d'expression et le droit à l'humour sont, en définitive, à
géométrie variable, peut-on encore parler de « liberté » ou de « droit » ? Peut-on encore
considérer que la liberté d'expression a une « portée universelle » ?
La position de la Cour EDH consisterait à privilégier la morale, et partant, la liberté de
religion, sur la liberté d'expression. Néanmoins, elle a eu l'occasion d'affirmer le caractère
non-absolu de la religion en admettant que « ceux qui choisissent d'exercer la liberté de
manifester leur religion, qu’ils appartiennent à une majorité ou à une minorité religieuse, ne
peuvent raisonnablement s’attendre à le faire à l'abri de toute critique. Ils doivent tolérer et
accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de
doctrines hostiles à leur foi104 ». La satire concerne tout aussi bien le politique que le religieux
et les questionnements qu'elle engendre sont d'égale importance. Envisager de confiner
l'humour dans des questions autres que la morale et la religion reviendrait à interdire, à long
terme, toute forme d'humour. La morale, au même titre que la politique, n'est-elle pas aussi
une affaire de la cité ?
Selon la Cour, le degré de restriction de la liberté d'expression dépend de l'intensité de
102 Ibid.
103 CEDH, Wingrove c/ Royaume Uni, n° 17419/90, 25 novembre 1996, Recueil 1996-V, RTDH n° 32
104 CEDH, Otto-Preminger Institut c/ Autriche, op. cit.
59
l'atteinte à la morale ou à l'éthique. Il est possible d'émettre des réserves ou des critiques
paraissant hostiles envers certaines religions, mais il ne s'agit pas de la vocation première de
l'humour qui ne se destine qu'à provoquer une réaction, tout au plus, offensante. L'offense non
abusive est admise par la Cour qui la définie d'ailleurs comme une action qui « blesse
quelqu’un dans sa dignité, dans son honneur 105 ». Elle ne doit en revanche pas être gratuite et
ne pas avoir pour autre fin que de divertir et de contribuer au débat public.
Il est certain que la satire politique est, a priori, plus enclin à alimenter les réflexions
que la satire religieuse. Or, dans le domaine de l'humour, ce ne sont pas tant les préceptes
issus des différentes confessions qui prêtent à la moquerie mais bien le clergé. Car derrière
chaque religion, se cachent des hommes chargés de représenter, plus ou moins adroitement,
leurs cultes. L'être humain étant par nature imparfait, il est louable de voir parodier autant
l'homme d'Etat que l'homme d'Eglise.
Qu'il s'agisse de politique ou de morale, la France n'échappe pas aux oscillations que
subit le droit à l'humour, amenant parfois les tribunaux à rendre des décisions contradictoires
selon l'époque et l'état de la société.
§2. Les illustrations en droit interne
L'évolution des moeurs conduit le CSA et le juge à interpréter les textes à l'origine du
droit à l'humour, en fonction de l'état d'esprit de l'opinion public. Si Jérôme Bouvier, qui
recueille fréquemment les avis des auditeurs de Radio France, conçoit que les mentalités
évoluent et le rire avec, il s'oppose cependant à l'idée selon laquelle l'humour serait moins
subversif et plus consensuel aujourd’hui. Selon certains, un Desproges ou un Coluche serait à
l'heure actuelle rapidement censuré par l'autorité de régulation mais également condamné par
la justice.
C'est parfois le sentiment que l'on quand on examine certaines décisions rendues. Dans
un arrêt rendu le 18 septembre 2002, La Cour d’appel de Paris a réservé un triste sort aux
parodies, redonnant le sourire au parolier, musicien, compositeur et chanteur français
Jean Ferrat. En 1997, la chaîne Canal + avait rediffusé un extrait de chanson de l'artiste qui
avait été par la suite commenté par Jamel Debbouze, jeune humoriste du paysage audiovisuel
105 CEDH, Wingrove c/ Royaume Uni, op. cit.
60
français. Trouvant les remarques du jeune comique déplacées, Jean Ferrat a intenté une action
en justice pour atteinte à son droit moral. La Cour d’appel a infirmé sur ce point le jugement
rendu par le Tribunal de grande instance de Créteil, le 19 septembre 2000, en estimant ici que,
« les apartés coupant l’extrait d’une chanson, non dépourvus d’une certaine dérision, portent
nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur, même en dépit de leur vocation
humoristique, et ne peuvent être ajoutés aux extraits d’une chanson sans l’autorisation de
l’auteur ». Le juge rappelle une fois de plus que le risque de confusion entre l'oeuvre originale
et l'oeuvre parodiée doit être évité par l'humoriste. Ce dernier doit manifester son intention de
faire rire une audience sans pour autant dénigrer l'auteur en portant atteinte à son oeuvre ou à
sa propre personne. Or, les apartés litigieux n’étaient « pas dépourvus d’une certaine
dérision106 » reconnaît la Cour d’appel de Paris, mais constituaient-ils pour autant un
dénigrement ?
La simple moquerie dédaigneuse est-elle synonyme de calomnie, de malveillance, de
diffamation ? En l’espèce, il est vrai que les apartés de l’humoriste n'étaient pas dénués d’une
certaine ironie, voire de dérision, mais l’auteur de la chanson ne peut raisonnablement pas se
sentir dénigré. En conséquence, l’humoriste aurait pu jouir des dispositions relatives à
l’exception de parodie prévue l’article L122-5 4° du CPI, l’atteinte au droit moral de l’auteur
n’ayant manifestement pas eu lieu. Les juges de la Cour d’appel de Paris, dans cette décision
rendue le 18 septembre 2002, n'ont sans nul doute pas interprété les textes en tenant compte
de l'évolution des formes nouvelles de l'humour, de leurs sujets et de leurs manifestations.
Le 30 septembre 2005, un quotidien danois publiait un article intitulé « Les visages de
Mahomet », accompagné de douze dessins dont l'un, représentant le prophète coiffé d'une
bombe dans son turban. Le 1er février 2006, le quotidien France Soir a publié à son tour les
caricatures danoises, entraînant le licenciement de son directeur de la publication. Le journal
Charlie Hebdo a décidé de publier un numéro spécial consacré auxdites caricatures dans le
but de soutenir les entreprises de presse européennes ayant fait l'objet de débordements
violents et de contestations suite à ces même parutions.
Suite à cette publication, diverses associations, dont la Mosquée de Paris, l'Union des
organisations islamiques de France et la ligue islamique mondiale, ont intenté une action aux
motifs que ces caricatures constituaient une injure envers les pratiquants de la religion
106 CA Paris, 18 septembre 2002.
61
musulmane. Le Tribunal de grande instance de Paris ainsi saisi, a rappelé qu'en France,
« société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de
critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets
de vénération religieuse ; (...) le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas
réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe
dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance
religieuse ».
Les juges, conformément à la jurisprudence européenne, ont énoncé que les restrictions
apportées à la liberté d'expression peuvent être légitimées dans la mesure où celle-ci ne
contribue pas « à une quelconque forme de débat public capable de favoriser le progrès dans
les affaires du genre humain ». Or, pour la Cour, Charlie Hebdo « ne s’est pas prévalu d’un
objectif d’information du public sur un sujet d’actualité, mais a clairement revendiqué un acte
de résistance à l’intimidation et de solidarité envers les journalistes menacés ou sanctionnés,
en prônant « la provocation et l'irrévérence » et en se proposant ainsi de tester les limites de la
liberté d’expression ». En dépit du caractère choquant, voire blessant, de ces caricatures, le
dessin litigieux participe, selon elle, « du débat public d'intérêt général né au sujet des dérives
des musulmans qui commettent des agissements criminels en se revendiquant de cette religion
et en prétendant qu'elle pourrait régir la sphère politique ». Le journal a, par conséquent, été
relaxé et les parties civiles, déboutées de l'ensemble de leurs demandes.
Ce que nous dit le Tribunal de grande instance de Paris ici, est que de telles caricatures
sont, certes, blasphématoires mais ont pour but de générer un débat d'actualité autour de
l'intégrisme musulman. Toute la question est donc de savoir si une telle ode à la liberté
d'expression aurait été consacrée en l'absence de manifestations aussi violentes à travers
l'Europe suite à la publication de ces caricatures. Visiblement, les juges gardent le sens de
l'humour si la liberté de parodier ou de caricaturer témoigne d'un débat public d'intérêt général
et ce, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH.
Pourtant, il arrive que, même en l'absence de condamnation, un humoriste endure un
véritable lynchage médiatique puis la censure. S'agissant du sketch de l'humoriste contesté
Dieudonné, que ce dernier a effectué sur le service public en date du 1 er décembre 2003, il n'a
pas été considéré par le juge, à tort ou à raison, comme injuriant ou diffamatoire envers la
population juive. On imagine qu'en caricaturant un intégriste juif, le comique tentait, lui-aussi,
62
d'alimenter un débat public d'intérêt général autour du conflit israëlo-palestinien. Bien que
n'ayant pas été condamné dans cette affaire, l'artiste politiquement engagé a été, à la suite de
cet incident, interdit d'antenne sur l'ensemble du service public. Comme certains le font
remarquer, Marc-Olivier Fogiel, dont la société de production a été condamnée suite à cette
affaire de SMS à caractère raciste, n'a pas été interdit d'antenne et a continué d'exercer sa
profession librement.
L'opinion publique aura ici eu raison du droit positif puisqu'elle a su déceler chez un
prétendu humoriste, un discours qui s'est, par la suite, trouvé être politique. Pour certains,
l'humour est un rempart efficace contre les atteintes endurées par la liberté d'expression. Pour
d'autre, il n'est qu'un moyen d'excuser des propos ou des comportements qui, en temps
normal, sont condamnables. Les limites encadrant l'exercice d'un droit à l'humour sont donc
bien fonction du temps et de l'espace mais aussi de la considération du titulaire de ce droit.
Section 2. Des limites variables selon le titulaire du droit à l'humour
Le mutisme du législateur quant à la détermination d'un éventuel statut de l'humoriste
permet à certaines personnes notoires, dont le rire n'est pas nécessairement l'activité initiale,
de bénéficier du régime protecteur que procure le droit à l'humour (§1). De même, se pose de
plus en plus la question du régime de responsabilité à appliquer à un humoriste,
particulièrement
quand
ce
dernier
officie
sur
les
services
de
communication
audiovisuelle (§2).
§1. L'humour comme moyen d'exonération ?
Le droit français se montre, en principe, tolérant vis-à-vis de l'humour. Les tribunaux ne
condamnent pas systématiquement des propos ou des comportements parfois subversifs si
ceux-ci ont un caractère humoristique ou satirique. Ce « laxisme » profite quelques fois à des
personnes exposées médiatiquement, qui brandissent alors le droit à l'humour et la liberté
d'expression pour légitimer des actes en réalité répréhensible.
Le vendredi 4 juin 2010, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné Brice Hortefeux
63
pour injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine. Les faits
remontent au 5 septembre 2009, à l'occasion du campus d'été des Jeunes UMP. Lors d'une
discussion, le ministre s'étonne de la présence d'un jeune militant d'origine maghrébine mais
ne pratiquant pas la religion musulmane : « Ah mais ça ne va pas du tout, alors il ne
correspond pas du tout au prototype alors. C'est pas du tout ça ». Suite à cela, une militante
lance : « C'est notre petit arabe », ce à quoi Brice Hortefeux réplique : « Il en faut toujours un.
Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes », avant de
prendre congés.
Le Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié des Peuples décide alors de saisir le
juge, considérant ces propos comme constitutifs du délit d'injure publique envers un groupe
de personnes à raison de leur origine, prévu et réprimé par le 3 ème alinéa de l'article 33 de la loi
du 29 juillet 1881. Le tribunal devait tout d'abord déterminer si ces propos étaient
effectivement injurieux. Est constitutive d'injure aux termes de l'article 29, alinéa 2, de la loi
relative à la liberté de la presse « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective
qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ». L'injure commise envers « une personne ou un
groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur
non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » bénéficie
d'un régime juridique particulier. En effet, la poursuite peut être exercée d'office par le
ministère public et l'infraction est plus sévèrement sanctionnée. Ainsi, l'injure raciste visant un
particulier et non précédée de provocations, est punie de six mois d'emprisonnement et
de 22 500 euros d'amende.
En l'espèce, le Tribunal correctionnel n'a pas considéré que l'emploi du mot
« prototype », laissant entendre que toutes les personnes d'origine maghrébine et résidant en
France seraient semblables, était outrageant : « De nature à flatter le préjugé ou à favoriser les
idées reçues, il est à tous égards contestable. Mais il ne saurait être regardé comme outrageant
ou traduisant du mépris à l'égard des personnes d'origine arabe, auxquelles seule une pratique
religieuse, de libre exercice, est imputée, le serait-elle abusivement ou inexactement ». En
revanche, les propos du ministre qui stigmatisent les personnes d'origine maghrébine comme
des individus aux comportements perturbateurs, sont ici condamnés. La dernière affirmation
proférée par le ministre « sous une forme lapidaire qui lui confère un caractère d'aphorisme »
est qualifiée par le Tribunal d' « incontestablement outrageante, sinon méprisante ».
64
Toutefois, le caractère public de l'injure a été contesté puisque, sont considérés comme
tels, les propos exprimés dans des lieux publics, lorsqu'il peut être prouvé que leur auteur
souhaitait être entendu au-delà d'un cercle de personnes unies entre elles par une communauté
d'intérêts. La scène se déroulant, en l'espèce, dans un lieu privatisé mais ouvert à la presse, les
propos ont bien été proférés au sein d'une communauté d'intérêt, celle des militants qui
partagent les mêmes convictions politiques. Par ailleurs, « ni le niveau de la voix, ni l'attitude
de Brice Hortefeux ne révèlent alors l'intention d'être entendu par d'autres que ce cercle de
proches107 ». L'actuel ministre de l'intérieur a ainsi été condamné au titre d'une injure non
publique et a du s'acquitter d'une amende, de dommages et intérêts ainsi que de la publication
de la décision de justice. Ce trait d'humour, discutable, n'a pas induit le Tribunal correctionnel
en erreur même si le défendeur, au lieu de s'en excuser, a préféré par la suite tenter de justifier
ce qu'il qualifie de « boutade ».
Autre homme politique connu pour ses innombrables « bévues », le président de la
région Languedoc-Roussillon, Georges Frêche, est depuis dix ans, l'auteur de nombreux
dérapages verbaux. Il a été notamment condamné à 15 000 euros d'amende par la Tribunal
correctionnel de Montpellier suite à des injures à l'égard de la population harki
le 25 janvier 2007108. Le défendeur a interjeté appel et il a été jugé le 13 septembre 2007, que
l'application des dispositions du troisième alinéa de l'article 33 de la loi de 1881 relatives à
l'injure raciale, ne trouvaient pas à s'appliquer en l'espèce 109.
La question de droit qui se posait ici était de savoir si le terme « Harki » désignait ou
non une origine, une ethnie, une nation, une race ou une religion. La distinction était ici tout
sauf anodine. Les règles de procédures en matière de presse étant draconiennes, elles
imposent aux requérants de qualifier correctement les faits. Le tribunal n'est pas compétent
pour requalifier une « diffamation » en »injure » ou une « injure » en »injure raciale ».
Or ici, était bien invoquée une injure raciale et le terme « Harki » ne désigne aucunement une
ethnie, une nation, une race ou une religion. La population harki est en réalité concernée par
les termes d'une loi datant du 23 février 2005 110. Si l'article 5 de cette loi dispose que « Sont
107 T. corr. Paris, 4 juin 2010.
108 T. corr. Montpellier, 25 janvier 2007.
109 CA Montpellier, 13 septembre 2007.
110 La loi 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur
des Français rapatriés dispose : « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont
participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en
Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.
Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des
65
interdites (…) toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de
personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des
formations supplétives ou assimilés », il ne prévoit en revanche aucune sanction.
L'injure a ici bien été caractérisée mais n'a pas fait l'objet d'amende ou de peine
d'emprisonnement, en vertu du principe de légalité des délits et des peines. Ce raisonnement a
été suivi par la Cour de cassation111.
Dans ces deux dernières affaires, peut-on encore parler d'« humour » ? Quoiqu'il en soit,
même lors d'émissions satiriques, il arrive que le CSA ou les juges ne soient pas constants
dans leur appréciation des limites qui encadrent le droit à l'humour.
Lors
de
l'émission
radiophonique
Europe
1
Matin
en
décembre
2009,
Marc-Olivier Fogiel a reçu Claude Sarraute, journaliste et écrivain, à l’occasion de la parution
de son livre biographique. L'animateur est revenue, avec l'invitée, sur les raisons de son
l'éviction du journal Le Monde, pour lequel elle rédigeait des chroniques. A la suite de cette
émission, l'association Vigilance Arménienne contre le Négationnisme a été contactée par
plusieurs internautes blessés par les propos qui y ont été tenus à propos des Juifs et des
Arméniens.
Après que l'animateur ait cité les précédents propos de son invitée à propos du génocide
des Juifs : « Regardez-nous, les Juifs, ce qu’on a réussi à faire avec notre Shoah : on l’a
vendue partout, on est couverts d’argent, on est vraiment plus forts que vous ! », celle-ci a
rétorqué : « J’ai dit ça à une Arménienne. Ces cons-là, ils ont vraiment eu la même chose, et
tout ce qu’ils trouvent à faire, c’est de s’asseoir par terre dans la rue ». Le CSA est resté
silencieux suite à cette émission et aucune action en justice n'a été intentée à l'encontre de
l'écrivain. Serait-ce en raison de son appartenance à la communauté juive qui l'autoriserait à
tenir de tels propos à l'égard de ses pairs ? Il aurait pu néanmoins paraître légitime que
certaines personnes d'origine arménienne ou juive se sentent injuriées au point de demander
des comptes à la justice, quand bien même l'émission en cause était portée sur la chose
humoristique.
formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au
processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles,
solennellement hommage ».
111 Cass. Crim., 31 mars 2009.
66
Le CSA est, par contre, intervenu suite à des propos à l'encontre du peuple polonais lors
d'une émission radiophonique satirique animée par Laurent Ruquier. Le Conseil a décidé
d'adresser une mise en garde à Europe 1 pour des propos injurieux tenus par Pierre Bénichou,
journaliste français, en octobre 2009. Dans un débat consacré à Chopin, le journaliste avait
affirmé que le compositeur « est venu nous niquer Georges Sand ici, il a failli faire mourir de
chagrin Alfred de Mussey. Vous croyez que c'est rigolo tout cela ? Non ? ». Pierre Bénichou
avait poursuivi en déclarant que Chopin « n'avait qu'à rester chez lui en Pologne puisqu'ils
sont tellement heureux là bas, avec leurs plombiers et leurs bombardements et tout ! » et
d'ajouter qu' « il n'y a pas plus antisémite que les polonais ». Pierre Bénichou avait déjà tenu
un discours similaire en 2005 et avait, là aussi, été rappelé à l'ordre par le CSA. Hormis
l'intervention du régulateur, aucune action en justice n'a été, à ce jour, intentée. Le Conseil a
rappelé aux dirigeants de la station Europe 1 que « la maîtrise de l'antenne doit être
parfaitement assurée, y compris lors des émissions à caractère humoristique » en ajoutant que
les dispositions du deuxième alinéa de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 proscrivent toute
diffamation « envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de
leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une
religion déterminée ».
Ces distorsions juridiques poussent à s'interroger sur l'éventuelle nécessité d'établir un
régime de responsabilité propre à l'humoriste.
§2. Faut-il instaurer un régime de responsabilité propre à l'humoriste ?
Dans la mesure où l'on reconnaît l'humour comme une profession, serait-il envisageable
d'instaurer un régime de responsabilité adapté ? Toute la difficulté serait de dissocier les
propos « humoristiques », c'est-à-dire ceux relevant de l'activité « normale » d'un humoriste et
qui bénéficieraient d'une tolérance plus grande quant à leurs contenus potentiellement
répréhensibles, et les autres propos, soumis, eux, au droit commun. Faudrait-il envisager de
limiter l'exercice de la profession au carcan d'un espace scénique ou d'une station de radio ?
Un certain nombre d'humoristes jonglent entre condamnations judiciaires et
interdictions d'exercer leur activité principale, tant et si bien qu'il est souvent inopportun de
différencier le « comique » de l'« individu ».
67
La radio France Inter s'est récemment délestée des humoristes, Stéphane Guillon et
Didier Porte. Le président du groupe Radio France dit avoir pris cette décision « non pas sur
une quelconque pression politique mais en m'appuyant sur des valeurs minimales d'éducation
et de service public ». Il affirme ne pouvoir accepter « de se faire insulter par un de ses
salariés sans le sanctionner ».
Stéphane Guillon a surtout été remarqué pour ses chroniques au vitriol du président du
Fonds Monétaire International, Dominique Strauss-Kahn et de la première secrétaire du Parti
socialiste, Martine Aubry. Le président de la République Nicolas Sarkozy avait alors jugé ces
chroniques « inadmissibles ». Peu de temps après, les relations entre le trublion et le
gouvernement se sont davantage crispées suite à une chronique sur l'actuel ministre de
l'immigration, Eric Besson, qualifié de « taupe du Front national » envoyée en mission
d'infiltration au Parti Socialiste pour « démissionner et rejoindre Nicolas Sarkozy pour, une
fois au gouvernement, manœuvrer et relancer les thèses du FN ».
Jean-Luc Hees avait alors présenté publiquement ses excuses au ministre, provoquant à
son tour un débat sur les rapports entre le patron de Radio France et le gouvernement112, ainsi
que sur la marge de liberté dont dispose un humoriste sur une chaîne de service public. Le
PDG du groupe, lors de la publication d'une tribune dans le journal Le Monde, s'est employé
à définir où se situent ces frontières en ce qui concerne les antennes qu’il préside. « L’humour
a tous les droits, et d’abord ceux de l’outrance et de la caricature et même de la méchanceté. Il
se trouve que l’humoriste n’a que deux limites : celle de l’acceptabilité des citoyens (dont il
est le premier juge). Et puis celle des grandes valeurs morales qui scellent la République ».
Plus tard, Stéphane Guillon s’en était pris directement à Nicolas Sarkozy puis à
Jean-Luc Hees, soulignant systématiquement que ce dernier avait été nommé par le chef
de l'État.
L'actuel ministre de la culture et de la communication, Frédéric Mitterrand, a eu
l'occasion de se prononcer sur les dérives des humoristes sur France Inter. « En matière de
liberté d’expression, l’irrévérence et l’humour font partie de l’esprit français. Le juge
judiciaire, comme le juge administratif, est fidèle à cette tradition. Il faut accepter que
l’humour puisse être grossier, provocateur, voire vulgaire. La liberté ne se partage pas, et
112 Jean-Luc Hees a été nommé par le président de la République en mai 2009.
68
certains comiques réputés parfois insupportables contribuent à la bonne santé du corps social.
Pensons à la manière dont il nous arrivait de recevoir les plaisanteries de Coluche, et à quel
point il nous manque aujourd'hui ». Le ministre d'ailleurs rappelé que l’exercice de cette
liberté peut toutefois être limité dans la mesure requise, notamment, par le respect de la
dignité de la personne humaine, par la protection de l’enfance et de l’adolescence et par la
sauvegarde de l’ordre public. Il a réaffirmé le fait que le CSA devait veiller à ce que les
éventuelles limites et sanctions soient appliquées.
En revanche, les éditeurs de services de communication audiovisuelle sont libres de
diffuser les programmes qu’ils souhaitent. Par conséquent, il s'agit d'une affaire interne si tel
ou tel chroniqueur brocarde, parfois d’une manière qui peut sembler pénible à certains
auditeurs, sa direction. La position du ministre sur le rôle du régulateur est claire : « Il
appartient au CSA de mettre en œuvre le pouvoir de régulation que le législateur lui a confié
si les bornes prévues ne sont pas respectées, c’est-à-dire seulement si les propos tenus par
certains humoristes portent atteinte à la dignité de la personne, la protection de l’enfance ou la
sauvegarde de l’ordre public ».
Une des limites incontestables de l'exercice du droit à l'humour serait en définitive le
talent. Si, même en caricaturant son propre employeur, un humoriste dispose d'une certaine
liberté de ton, c'est à la condition de faire rire. Serait-ce le manque de talent qui aurait justifier
le renvoi de Stéphane Guillon ?
Le talent peux-t-il être, du point de vue du droit,
répréhensible ? Si le droit positif ne tranche pas véritablement cette question, il semble qu'il
apporte des éléments de réponse.
Dieudonné, dont on ne sait plus aujourd'hui s'il est humoriste ou politicien, a été
condamné le 22 septembre 2009 par la Tribunal correctionnel de Paris113, pour avoir, lors de
l'un de ses spectacles, fait remettre le « prix de l'infréquentabilité » à l'historien révisionniste
Robert Faurisson, par une personne déguisée en déporté juif. Durant l'audience, l'humoriste
avait qualifié son geste d'« attentat humoristique » tout en tentant d'en relativiser la portée et
en invoquant sa « liberté d'expression ». Le tribunal a estimé que l'humoriste s'était bien
rendu coupable d'« injure publique » envers des personnes d'origine ou de confession juive.
Dans ces deux affaires, il ressort que l'humoriste, en plus d'être confronté à des limites
113 T. corr. Paris, 22 septembre 2009.
69
fixées par la loi, aurait une sorte d'« obligation de résultat », une obligation de faire rire. La
dérision permet à l'humour de jouir d'une certaine liberté et d'aborder des sujets controversés.
Une absence de dérision ne permet pas à l'audience de deviner si les propos sont « sérieux »
ou volontairement « exagérés ». Officiant pourtant sur leurs « lieux de travail » respectifs, ces
deux humoristes ont outrepassé, semble-t-il, leur rôle de comique et de satire pour tenir des
discours politiques ou personnels.
70
CONCLUSION
Objet juridique non réellement identifié, l'humour n'est, à bien des égards, qu'une forme
de la liberté d'expression. Juridiquement, il y puise sa source et ses limites. Or, les limites au
droit à l'humour ne sont étrangement pas tout à fait les mêmes selon le temps, l'espace, la
personnalité du titulaire et le support sur lequel il est exercé. Le législateur parvient pour le
moment à adapter une partie des dispositions applicables en matière de presse aux services de
communication audiovisuelle, mais plus ou moins laborieusement, nous l'avons vu.
La mise en place d'une autorité de régulation chargée de veiller au respect des libertés
d'expression et de communication dans les contenus audiovisuels est un premier pas. Mais
encore faut-il qu'un tel organe soit lavé de toutes suspicions quant à son orientation politique.
Depuis longtemps, une partie des professionnels des médias, dont Jérôme Bouvier,
réfléchissent à la mise en place d'un comité d'étique apolitique qui serait composé de
journalistes, de professionnels et de particuliers. Il permettrait, dans l'idéal, de nourrir ce
genre de débat autour de la liberté d'expression, puisqu'il serait composé d'un véritable panel
d'acteurs de la vie médiatique.
En attendant, nous ne pouvons être que les spectateurs passifs de ce qu'il est permis de
dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire et des solutions qu'offrent le droit au problème des
contenus édités sur les différents supports de communication.
71
ANNEXES
72
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mardi 27 mars 1990
N° de pourvoi: 88-16223
Publié au bulletin
Rejet.
Président :M. Jouhaud, président
Rapporteur :M. Grégoire, conseiller rapporteur
Premier avocat général : M. Sadon, avocat général
Avocats :M. Foussard, la SCP Rouvière, Lepître et Boutet., avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 1988), que l'association
Rassemblement pour la République " (le RPR) a fait paraître dans la presse un
placard de propagande dont la surface était occupée pour les deux tiers par le
vers " t'as voulu voir Paris et on a vu Vesoul ", imprimé en grands caractères,
avec la mention " Jacques X... ", suivis de huit vers qui constituent un pastiche
de la chanson de Jacques X... intitulée " Vesoul " ; que le vers cité ci-dessus est
composé par la juxtaposition de deux hémistiches empruntés à deux vers
différents de la chanson " Vesoul " ; que les consorts X..., héritiers de Jacques
X..., ont soutenu qu'un tel procédé, qui " mutilait et dénaturait " cette chanson,
portait atteinte au droit moral de son auteur ; que la cour d'appel, accueillant
leur prétention, leur a alloué 1 franc de dommages-intérêts et a ordonné la
publication du dispositif de son arrêt ;
Attendu que le RPR soutient que la cour d'appel a privé sa décision de base
légale en omettant de rechercher, d'une part, si le travestissement incriminé
n'excluait pas toute confusion avec la chanson de Jacques X... et ne caractérisait
pas ainsi une " parodie " de cette oeuvre, et, d'autre part, si la mention du nom
de l'auteur n'avait pas pour seul but d'inciter à un rapprochement avec le texte
de référence sans conférer au texte incriminé le caractère d'une citation ; qu'il
fait encore grief à l'arrêt d'avoir violé l'article 41, 4°, de la loi du 11 mars 1957
en décidant que la qualification de parodie était exclue par le fait que le texte
incriminé n'exprimait pas la même idée que le texte de référence ;
73
Mais attendu que, si l'article 41, 4° de la loi du 11 mars 1957 autorise l'auteur
d'un pastiche ou d'une parodie à adapter les éléments empruntés à l'oeuvre
qu'il imite ou travestit, c'est à la condition de faire clairement comprendre au
public qu'il n'est pas en présence de cette oeuvre elle-même ou d'un extrait
authentique de celle-ci ; qu'ayant souverainement retenu que le vers incriminé "
apparaissait non comme la juxtaposition de deux extraits mais comme un extrait
unique et exact " de la chanson de Jacques X..., et qu'il était présenté comme
tel, ce qui, en raison de cette possibilité de confusion, excluait l'application du
texte précité, la cour d'appel a, par ce seul motif, et abstraction faite de tout
autre motif surabondant, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
74
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mardi 12 janvier 1988
N° de pourvoi: 85-18787
Publié au bulletin
Rejet .
Président :M. Fabre, président
Rapporteur :M. Fabre, conseiller rapporteur
Avocat général :M. Charbonnier, avocat général
Avocats :la SCP Riché, Blondel et Thomas-Raquin, M. Choucroy, la SCP Guiguet,
Bachellier et Potier de la Varde ., avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur les trois moyens réunis, pris en leurs diverses branches :
Attendu que la société Les Editions Salabert, cessionnaire des droits
patrimoniaux de Charles Z... sur la chanson " Douce France ", dont il a écrit la
musique et les paroles, a demandé aux juges du fond de condamner Thierry X...,
Bernard Y... et la société WEA-Filipacchi Music, éditeur de disques, à réparer le
préjudice à elle causé par " la prétendue parodie " de cette chanson sous le titre
" Douces transes ", écrite par Bernard Y... et constituant, selon elle, une
adaptation illicite de " Douce France ", et d'interdire sous astreinte la
représentation, la reproduction et l'exploitation de cette adaptation, en particulier
sous la forme du disque " Le Triomphe de Thierry X... à Marigny " ; que l'arrêt
confirmatif attaqué (Paris, 15 octobre 1985) a rejeté ces demandes au motif
essentiel que " Douces transes " constituait une parodie autorisée par l'article
41-4° de la loi du 11 mars 1957 ;
Attendu que la société Les Editions Salabert reproche d'abord à la cour d'appel
d'avoir ainsi statué alors que, selon la définition qu'en donne du reste l'arrêt
attaqué, la parodie consiste en un travestissement comique de l'oeuvre originale
et ne doit pas s'en prendre à la personnalité même de l'auteur de cette oeuvre ;
qu'ayant relevé que Thierry X... avait au contraire reproduit sans aucun
travestissement la musique de la chanson originale de Charles Z... et y avait
joint des paroles brocardant certains éléments prêtés à la personnalité de celuici, les juges du second degré n'auraient pas tiré les conséquences légales de
leurs propres constatations et auraient violé l'article 41-4° de la loi du 11 mars
75
1957 ; qu'en un second moyen, il est soutenu, d'une part, que la cour d'appel
s'est contredite en se référant, pour rechercher quelle était la loi du genre, dont
ce texte prescrit de tenir compte, aux spectacles d'imitation donnés par Thierry
X... lui-même, lesquels, comme l'avait relevé le jugement confirmé, consistaient
précisément en reproductions intégrales de la musique d'oeuvres originales,
accompagnées de paroles prenant pour cibles les auteurs de ces oeuvres ; que le
même moyen prétend, d'autre part, que l'arrêt attaqué viole la loi du 11 mars
1957 en ce qu'il a attribué à Thierry X... la faculté de déterminer librement la loi
d'un genre ; qu'enfin, selon le troisième moyen, la cour d'appel ne pouvait pas,
sans violer les articles 48 et suivants de ladite loi, interdire comme elle a fait à
l'éditeur titulaire des droits patrimoniaux de Charles Z... de tirer argument de
l'atteinte éventuellement portée à la personne de celui-ci, cet éditeur étant au
contraire en droit d'invoquer le caractère illicite d'une oeuvre qui, sous le couvert
de la notion de parodie, est dirigée contre la personnalité de l'auteur de l'oeuvre
originale et ne correspond donc pas aux lois du genre ;
Mais attendu que l'article 41-4° de la loi du 11 mars 1957 autorise notamment la
parodie et la caricature ; qu'il est dans les lois du genre de la première, qui se
distingue en cela du pastiche, de permettre l'identification immédiate de l'oeuvre
parodiée, et dans celles de la seconde de se moquer d'un personnage par
l'intermédiaire de l'oeuvre caricaturée dont il est l'auteur ; qu'il ne saurait dès
lors être interdit au chansonnier-imitateur qui prend la voix de l'auteur-interprète
d'une chanson et se livre en même temps à une parodie et à une caricature, de
reproduire la musique originale de sorte que l'oeuvre parodiée est
immédiatement identifiée tandis que le travestissement des seules paroles suffit
à réaliser celui de cette oeuvre prise dans son ensemble et à empêcher toute
confusion, ni de se moquer le cas échéant avec insolence des travers de celui qui
est imité ;
Attendu que, sans se contredire, la cour d'appel a donc pu retenir que le
spectacle de " Douces Transes " constituait une parodie et une caricature au
sens de l'article 41-4° de la loi de 1957 ; qu'à bon droit elle a considéré que dans
la mesure où il en résulterait pour l'auteur de " Douce France " une atteinte
diffamatoire, seul celui-ci serait recevable à s'en plaindre ;
Que l'arrêt attaqué est donc légalement justifié et qu'aucun des griefs formulés
ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
76
Tribunal de grande instance de Paris
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 5 mars 2008
N° de RG: 05/07480
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
3ème chambre 3ème section
No RG : 05 / 07480
Assignation du : 26 Avril 2005
JUGEMENT rendu le 05 Mars 2008
DEMANDEURS
Monsieur Jacques X... ... 75016 PARIS
S. A. ADVENTURE LINE PRODUCTIONS 39 rue de l'Est
92100 BOULOGNE BILLANCOURT
Société ALP MUSIC intervenante volontaire 39 rue de l'Est
92100 BOULOGNE BILLANCOURT
représentés par Me Renaud CATHALA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D.
0272
DÉFENDERESSES
Société ENDEMOL FRANCE 8 rue Torricelli 75017 PARIS
Société SO NICE PRODUCTIONS 10 rue TORRICELLI 75017 PARIS
représentées par Me Stéphane HASBANIAN, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire P398
Société TELEVISION FRANCAISE 1 " TF1 ". 1 Quai du Point du Jour
92656 BOULOGNE CEDEX
représentée par Me Louis BOUSQUET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B.
481
COMPOSITION DU TRIBUNAL
77
Elisabeth BELFORT, Vice- Président, signataire de la décision Agnès THAUNAT,
Vice- Président Michèle PICARD, Vice- Président,
assistée de Marie- Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 28 Janvier 2008 tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire
en premier ressort
I- RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Monsieur Jacques X... a créé en 1989 un jeu d'épreuves et d'aventures se
déroulant sur le Fort Boyard dans l'île d'Aix au milieu de la baie de La Rochelle.
La société AVENTURES LINE PRODUCTIONS est le producteur du jeu télévisé "
FORT BOYARD " diffusé depuis 16 ans sur la chaîne de télévision France 2. Elle
est propriétaire de tous les droits d'exploitation du jeu et elle l'exploite dans le
monde entier. Elle ne cède jamais à un tiers les droits d'exploitation sur le format
de FORT BOYARD. Elle ne cède aux chaînes de télévision que des droits de
diffusion.
Le Groupe ENDEMOL est le premier groupe mondial de production de jeux et de
variétés. La société ENDEMOL a produit notamment, à tout le moins par
l'intermédiaire de la société SO NICE PRODUCTIONS, l'émission télévisée " 1ère
Compagnie " diffusée sur la chaîne de télévision TF1 pendant deux mois en 2005
tous les jours et le vendredi soir dans un format plus long résumant les épisodes
de la semaine. Il s'agit d'un jeu d'aventures et de télé réalité se déroulant en
Guyane.
Le vendredi 28 février 2005 était diffusée l'émission " 1ère Compagnie " au cours
de laquelle vers le milieu de l'émission et pendant quatre minutes ont été
montrées des séquences s'inspirant expressément de l'émission FORT BOYARD.
Estimant que ce nouveau jeu diffusé sur TF1 est une contrefaçon du jeu FORT
BOYARD, Monsieur Jacques X... et la société ADVENTURES LINE PRODUCTIONS
ont fait assigner la société ENDEMOL FRANCE et la société TELEVISION
FRANCAISE TF1 par actes d'huissier délivrés le 26 avril 2005.
Ils ont ensuite fait assigner la société SO NICE PRODUCTIONS en intervention
forcée par acte d'huissier délivré le 5 avril 2006. Cette société serait le véritable
producteur de l'émission " 1ère Compagnie ".
Dans ses dernières conclusions signifiées le 4 septembre 2007 Monsieur X... et la
société AVENTURES LINE PRODUCTIONS demandent au tribunal de : Condamner la société SO NICE PRODUCTIONS à intervenir dans la procédure
pendante devant la 3ème chambre, 3ème Section du Tribunal de Grande
Instance de PARIS enrôlée sous le numéro de rôle. RG 05 / 07480, que les
demandeurs ont introduite contre les sociétés ENDEMOL France et TF1, -
78
Prononcer toute jonction utile entre les procédures, - Dire que le jugement à
intervenir dans la procédure principale sera déclaré opposable à la société SO
NICE PRODUCTIONS - Dire et juger les irrecevabilités soulevées par ENDEMOL
France et TF1 sans objet, - Déclarer recevable l'intervention volontaire de la
société ALP MUSIC au soutien de la sa demande et l'y déclarer bien fondée. Dire que le jugement à intervenir lui sera déclaré commun
Et en conséquence :
- Dire que la séquence de quatre minutes de l'émission La 1ère Compagnie
consacrée à " Fort Boyard " et diffusée le vendredi 28 février 2005 sur TF1
contient de très nombreux emprunts illicites de l'émission " Fort Boyard ", - En
conséquence, dire que les producteurs de l'émission " La 1ère Compagnie " la
société ENDEMOL France et sa filiale SO NICE PRODUCTIONS ainsi que le
diffuseur la société TF1, ont commis à l'égard de la société ADVENTURE LINE
PRODUCTIONS producteur et titulaire des droits d'exploitation sur l'émission "
Fort Boyard " des actes de contrefaçon, Voir condamner solidairement les
sociétés ENDEMOL France, sa filiale SO NICE PRODUCTIONS et TF1 à verser à la
société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS en réparation de son préjudice du chef
de la contrefaçon la somme de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts, Dire que la société ENDEMOL France, sa filiale SO NICE PRODUCTIONS et la
société TF1 en réalisant cette séquence se sont délibérément placées dans le
sillage de la notoriété de " Fort Boyard " et se sont appropriées sans bourse
délier le fruit de son savoir faire, de ses investissements et de son image. - En
conséquence, les déclarer coupables de concurrence parasitaire à l'égard de \ a
société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS, - Condamner solidairement les sociétés
ENDEMOL France, sa filiale SO NICE PRODUCTIONS et TF1 à verser à la société
ADVENTURE PRODUCTIONS en réparation de son préjudice du chef des
agissements parasitaires la somme de 300 000 euros à titre de dommages et
intérêts, - Dire et juger que les société ENDEMOL France et sa filiale SO NICE
PRODUCTIONS et TF1 producteurs et diffuseurs de " La 1ère Compagnie " ont
commis également des actes de concurrence déloyale par dénigrement, - En
conséquence, les déclarer coupables de concurrence déloyale à l'égard de la
société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS,
- Condamner solidairement les sociétés ENDEMOL France, sa filiale SO NICE
PRODUCTIONS et TF1 à verser à la société ADVENTURE LINE au titre de la
concurrence déloyale la somme de 250. 000 euros à titre de dommages et
intérêts, - Dire que les sociétés ENDEMOL France, sa filiale SO NICE
PRODUCTION et TF1 ont dans leur séquence violé le droit moral de Monsieur
Jacques X... sur le jeu FORT BOYARD, - En conséquence, les condamner
solidairement à verser à Monsieur Jacques X..., en réparation de son préjudice,
du chef de cette violation de son droit moral, la somme de 150. 000 euros à titre
de dommages et intérêts, - Ordonner la publication du jugement à intervenir
dans Le Figaro et Le Film Français aux frais des défendeurs le prix des insertions
ne pouvant excéder la somme de 2. 300 euros par insertion, - Ordonner
l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans
constitution de garantie. - Et condamner solidairement les défenderesses à payer
à la société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS la somme de 12. 200 euros au titre
de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 19 octobre 2007 la société ENDEMOL
79
et la société SO NICE PRODUCTIONS demandent au tribunal de : - Dire
recevables et bien fondées ses demandes et conclusions, En conséquence,
- Dire irrecevables les demandes en contrefaçon de la Société ADVENTURE LINE
PRODUCTIONS, faute de prouver qu'elle dispose de l'ensemble des droits à agir
de la part des auteurs de l'émission FORT BOYARD, - Dire irrecevables les
demandes de Monsieur Jacques X... et de la Société ADVENTURE LINE
PRODUCTIONS à l'encontre de la Société ENDEMOL FRANCE, compte tenu du fait
que la Société ENDEMOL FRANCE n'est pas le producteur de l'émission " La 1ère
COMPAGNIE " dans laquelle la séquence litigieuse a été diffusée et que le
véritable producteur connu de cette émission, la société SO NICE PRODUCTION
n'a pas été initialement assignée ; - Dire irrecevables les demandes de Monsieur
Jacques X... sur le fondement de la concurrence déloyale faute d'avoir motivé la
moindre demande à ce titre ; Subsidiairement,
Vu l'enregistrement de la séquence litigieuse et les autres pièces versées au
dossier, - Dire et juger que Monsieur Jacques X... et les Sociétés ADVENTURE
LINE PRODUCTIONS et ALP MUSIC ne sont pas fondés en leur action en
contrefaçon à l'égard notamment, des Sociétés ENDEMOL FRANCE et SO NICE
PRODUCTIONS dans la mesure où la séquence litigieuse diffusée dans le cadre
du programme " La 1ère COMPAGNIE " du 18 février 2005 constitue une parodie
de l'émission FORT BOYARD et une caricature de ses principaux personnages, Dire et juger que les fondements sur lesquels se fondent Monsieur Jacques X...
et les Sociétés ADVENTURE LINE PRODUCTIONS et ALP MUSIC pour assigner la
Société ENDEMOL FRANCE et la société SO NICE PRODUCTIONS en parasitisme
et / ou en concurrence déloyale sont identiques à ceux qui l'ont amené à les
assigner en contrefaçon ;
- Constater que les Sociétés ENDEMOL FRANCE et SO NICE PRODUCTIONS n'ont
commis aucun agissement parasitaire et / ou déloyal à l'encontre de la société
ADVENTURE LINE PRODUCTIONS et / ou de la Société ALP MUSIC et / ou de
Monsieur Jacques X... ; - Dire que Monsieur Jacques X... et les Sociétés
ADVENTURE LINE PRODUCTIONS et ALP MUSIC ne sont pas fondés en leur action
en parasitisme et / ou en concurrence déloyale ; En tout état de cause,
- Débouter Monsieur Jacques X... et les Sociétés ADVENTURE LINE
PRODUCTIONS et ALP MUSIC de l'ensemble de leurs prétentions tendant à la
réparation des préjudices qu'ils allèguent, - Les condamner solidairement au
paiement d'une amende civile dont le montant sera déterminé par le Tribunal de
céans et au paiement au profit de la Société ENDEMOL FRANCE de la somme de
100. 000 euros au titre de la réparation du préjudice subi par ces dernières par
l'abus d'ester en justice des demandeurs à leur encontre, En tout état de cause,
- Les condamner solidairement à payer à chacune des Sociétés ENDEMOL
PRODUCTIONS et la Société SO NICE PRODUCTIONS la somme de 8. 000 euros
au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société TF1 a signifié ses dernières conclusions le 4 juin 2007. Elle demande
au tribunal de :
- Dire et juger la Société ADVENTURE LINE : PRODUCTIONS irrecevable en son
action. Subsidiairement,
Dire et juger que la séquence litigieuse diffusée dans le cadre de l'émission " 1
ère Compagnie " du 18 février 2005 constitue une parodie de l'émission " Fort
Boyard ", En conséquence,
80
Dire et juger Monsieur Jacques X... et la Société ADVENTURE LINE
PRODUCTIONS mal fondés en leur action en contrefaçon. Dire que la société TF1
n'a commis aucun agissement parasitaire et / ou dénigrant à l'encontre de
Monsieur Jacques X... et de la Société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS. En
conséquence, Dire Monsieur Jacques X... et la société ADVENTURE LINE
PRODUCTIONS mal fondés en leur action en concurrence déloyale, Les débouter
de toutes leurs demandes, fins et conclusions, Condamner in solidum Monsieur
Jacques X... et la Société ADVENTURE UNE PRODUCTIONS à payer à la Société
TF1 la somme de 5. 000 Euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau
Code de Procédure civile.
La société ALP MUSIC, titulaire des droits d'exploitation de la musique de FORT
BOYARD est intervenue volontairement aux débats. Dans ses dernières
conclusions signifiées le 15 décembre 2006, elle demande au tribunal de la
déclarer recevable en son intervention volontaire, en conséquence de constater
que l'intervention a pour objet d'appuyer la position de la société ADVENTURE
LINE PRODUCTIONS en ce que cette dernière soutient que les producteurs de
l'émission " 1ère Compagnie " la société ENDEMOL France et sa filiale SO NICE
PRODUCTIONS ainsi que le diffuseur TF1 ont commis à l'égard de la société
ADVENTURE LINE PRODUCTIONS des actes de contrefaçon, de concurrence
déloyale et parasitaire et d'ordonner la jonction des procédures.
II- SUR CE :
* Sur la recevabilité de la demande :
Les sociétés ENDEMOL, TF1 et SO NICE PRODUCTIONS soulèvent l'irrecevabilité
de la demande de la société ADVENTURES LINE PRODUCTIONS au motif que
cette dernière n'établit pas être cessionnaire des droits de tous les auteurs sur
cette émission hormis deux contrats de cession de droits de réalisateurs (qui ont
réalisé 10 émissions).
Par ailleurs les contrats produits indiquent qu'elle a confié la production à la
société COUCOU PROD et cette société n'intervient pas aux débats.
Le tribunal relève que l'émission FORD BOYARD est une oeuvre de collaboration
et non une oeuvre collective de sorte que tous les auteurs doivent être présents
pour défendre leurs droits.
Cependant il y a lieu de constater que seulement certains éléments de l'émission
FORT BOYARD sont repris dans l'émission " 1ère Compagnie ", soit la musique,
les noms des personnages, la présence de clefs, le titre et surtout le déroulement
du jeu qui consiste à passer des épreuves pour obtenir des clefs.
Il ressort de la bible de l'émission et des déclarations de Monsieur Jacques X...
que ces éléments ont été créés sans conteste par lui, la musique étant quant à
elle l'oeuvre de Monsieur C.... L'absence de contrats de cession des droits par les
divers réalisateurs qui ont participé au fil des années à l'émission est donc sans
influence puisque ce n'est pas l'oeuvre d'un réalisateur particulier, sa façon de
filmer, à supposer que cette façon ne soit pas purement technique, qui a été
reprise.
La société ADVENTURES LINE PRODUCTIONS est donc recevable à agir
81
puisqu'elle est cessionnaire des droits patrimoniaux d'auteur sur ces éléments,
hormis la musique, ainsi qu'il ressort des déclarations mêmes de Monsieur
Jacques X..., demandeur avec elle dans cette procédure. Pour ce qui est de la
musique, le contrat de cession des droits de Monsieur C... au profit de la société
ALP MUSIC est produit aux débats.
* Sur la contrefaçon :
Monsieur Jacques X..., la société ADVENTURES LINE PRODUCTIONS et la société
ALP MUSIC soutiennent que quatre minutes de l'émission " 1ère Compagnie "
diffusée le 28 février 2005 contrefont l'émission FORT BOYARD.
La société ENDEMOL, la société SO NICE PRODUCTIONS et la société TF1
opposent l'exception de parodie.
Il convient en premier lieu de constater que l'originalité de l'oeuvre FORT
BOYARD n'est pas contestée.
Aux termes des dispositions de l'article L. 122- 5 du Code de la propriété
intellectuelle " Lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : (...)
4o La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre. (...) "
Il est constant que pour être qualifiée de parodie l'oeuvre seconde doit avoir un
caractère humoristique, éviter tout risque de confusion avec l'oeuvre parodiée
et permettre l'identification immédiate de l'oeuvre parodiée.
En l'espèce deux des critères sont clairement remplis, l'émission litigieuse permet
l'identification immédiate de l'émission FORT BOYARD et aucun risque de
confusion ne peut exister entre ces deux émissions.
L'émission " 1ère Compagnie " est une émission de " téléréalité " qui consiste à
envoyer des personnalités dans un pseudo camp militaire de la jungle guyanaise
et à leur faire effectuer un entraînement quasi militaire, telles des pompes, des
passages d'obstacles, etc... L'émission est elle même une parodie de camp
d'entraînement militaire.
Ainsi, la première séquence commence par des portraits de 3 personnalités
candidats, dont Jean- Pierre D..., qui avait été l'animateur de FORT BOYARD
quelques temps auparavant. Puis Laurence E..., animatrice de télévision déclare "
Bienvenue sur le plateau de Fort Guyane " et est diffusé un extrait de la musique
d'introduction de FORT BOYARD. Puis s'inscrit en plein écran le titre " Fort
Guyane " dans le même style que FORT BOYARD. L'écran montre la présence de
clés du même style que celles de FORT BOYARD. L'émission continue par la
présentation de trois personnages nommés, Père Bidasse, Passe Boyer et Passe
Maillet, allusion aux trois personnages de FORT BOYARD Père Fourras, Passe
Partout et Passe Temps. La séquence suivante explique que pour sortir de l'enfer
de Fort Guyane, les candidats devront récupérer des clefs. Un trousseau de clefs
est présent pendant presque toute la séquence sur le haut droit de l'écran. La
musique de FORD BOYARD est à nouveau diffusée pendant que les candidats se
livrent à des exercices physiques. D'autres séquences suivent qui s'inspirent
toutes de l'émission FORT BOYARD dont la musique qui est reproduite à six
reprises et qui n'est pas créditée dans le générique de l'émission à la différence
d'autres musiques empruntées à d'autres oeuvres.
82
Les éléments pris dans l'émission FORT BOYARD sont en fait plaqués sur les
séquence reprises des émissions quotidiennes.
Cette description montre qu'en reprenant les éléments caractéristiques de FORT
BOYARD l'intention des auteurs de " 1ère Compagnie " n'est pas humoristique et
n'est pas de parodier l'émission FORT BOYARD puisqu'il n'y a pas d'énigmes, ni
d'indices et pas non plus d'argent à gagner. De plus le personnage du père
Bidasse n'apparaît plus dans l'émission. L'insertion des éléments de FORT
BOYARD est destinée à dynamiser l'émission, à lui donner un rythme puisqu'elle
consiste en la reprise de séquences déjà diffusées dans la semaine et que les
spectateurs ont déjà vues. Les emprunts sont uniquement parasitaires et ont
pour but de tirer profit de la notoriété de FORT BOYARD.
Il convient en conséquence de constater que le but des auteurs de " 1ère
Compagnie " en reprenant des éléments caractéristiques de FORT BOYARD n'a
pas été la seule poursuite d'une intention humoristique mais un but parasitaire et
ne permet donc pas à cette émission d'échapper au monopole des auteurs de
FORT DE FORT BOYARD sur leur oeuvre.
Dès lors que l'exception de parodie est écartée, il convient de retenir des actes
de contrefaçon, soit une violation des droits patrimoniaux de la société
ADVENTURE LINE PRODUCTIONS et du droit moral de Monsieur Jacques X....
* Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Les demandeurs reprochent aux défenderesses d'avoir repris l'univers de FORT
BOYARD dans un but de concurrence et parasitaire.
Le tribunal estime qu'elles n'invoquent aucun fait distinct des faits de
contrefaçon.
Il convient en conséquence de les débouter de leurs demandes à ce titre.
* Sur les actes de dénigrement :
Les demandeurs reprochent encore aux défenderesses des actes de
dénigrement.
En l'absence de griefs motivant le reproche de dénigrement qui est fait à
l'émission " 1ère Compagnie " il convient de rejeter cette demande. Au surplus
l'émission " 1ère Compagnie " ne comporte aucun élément qui dénigrerait
l'émission FORT BOYARD.
* Sur les responsabilités :
La société ENDEMOL soulève l'irrecevabilité de la demande à son égard, la
société SO NICE PRODUCTIONS étant la seule société productrice de l'émission
La 1ère Compagnie.
Le tribunal relève que la société SO NICE PRODUCTIONS est une filiale de la
société ENDEMOL FRANCE et que l'extrait Kbis du Registre du Commerce la
concernant indique que cette dernière n'a qu'une activité de gestion de prise de
partcipation et non une activité de production.
83
Au surplus, la société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS a vendu à la société SO
NICE PRODUCTIONS et non à la société ENDEMOL des images de JP Castaldi
pour l'émission " 1ère Compagnie ".
Il ressort de ces éléments que la société ENDEMOL FRANCE ne peut être tenue
pour responsable d'actes de contrefaçon au contraire de la société SO NICE
PRODUCTIONS en sa qualité de productrice et de la société TF1 en sa qualité de
diffuseur.
* Sur les mesures réparatrices :
Monsieur Jacques X... sollicite le paiement de la somme de 150. 000 euros au
titre de la violation de son droit moral et la société ADVENTURE LINE
PRODUCTIONS sollicite le paiement de la somme de 500. 000 euros au titre de la
violation de son droit patrimonial.
Le préjudice subi par Monsieur Jacques X... du fait de la violation de son droit
moral sera fixé à la somme de 25. 000 euros et le préjudice patrimonial de la
société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS sera fixé à la somme de 50. 000 euros,
eu égard à la nature des reproductions illicites et à la durée limitée de celles- ci..
Il n'y a pas lieu d'ordonner la publication de cette décision à titre de dommages
et intérêts complémentaire, les préjudices ayant été entièrement réparés par
l'allocation des dommages et intérêts.
* Sur l'exécution provisoire :
L'exécution provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire.
Il convient en conséquence de l'ordonner.
* Sur l'article 700 :
La société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS sollicite le paiement de la somme de
12. 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non
comprises dans les dépens. Il lui sera en conséquence alloué la somme de 12.
200 euros de ce chef.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
Statuant en premier ressort et par jugement contradictoire remis au greffe,
Rejette l'exception d'irrecevabilité de la demande de la société ADVENTURE
LINE PRODUCTIONS,
Dit que la société SO NICE PRODUCTIONS et la société TF1 ont porté atteinte au
droit moral de Monsieur Jacques X... sur son oeuvre FORT BOYARD en
reproduisant et en représentant des éléments caractéristiques ou proche de
celle- ci dans l'émission " 1ère Compagnie " diffusée le 28 février 2005,
84
Dit que la société SO NICE PRODUCTIONS et la société TF1 ont porté atteinte
aux droits patrimoniaux de la société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS sur
l'oeuvre FORT BOYARD par ces mêmes actes,
En conséquence,
Condamne in solidum les sociétés SO NICE PRODUCTIONS et TF1 à payer à
Monsieur Jacques X... la somme de 25. 000 euros en réparation du préjudice né
de la violation de son droit moral,
Condamne in solidum les sociétés SO NICE PRODUCTIONS et TF1 à payer à la
société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS la somme de 50. 000 euros en
réparation du préjudice né de la violation de son droit patrimonial,
Rejette le surplus des demandes,
Prononce l'exécution provisoire du présent jugement,
Condamne in solidum les sociétés SO NICE PRODUCTIONS et TF1 à payer à la
société ADVENTURE LINE PRODUCTIONS la somme de 12. 200 euros sur le
fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne in solidum les sociétés SO NICE PRODUCTIONS et TF1 aux dépens qui
seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau
Code de Procédure Civile.
Fait à PARIS le 5 mars 2008.
85
Tribunal de Grande Instance de Paris
22 octobre 2008
N° 08/58400
JUGEMENT
rendu le 29 octobre 2008
en état de référé (article 487 du Code de procédure civile) par le Tribunal de
Grande Instance de PARIS, composé de :
Isabelle NICOLLE, Première Vice-Présidente Nicolas BONNAL, Vice-Président
Anne-Marie SAUTERAUD, Vice-Présidente
Assistés de Christiane FLEURY, Greffier,
DEMANDEUR
Nicolas Sarkozy
55 rue du Faubourg Saint Honoré 75008 PARIS
représenté par Me Thierry HERZOG, avocat au barreau de PARIS - D1556
DEFENDEURS
la Sarl Tear Prod et a.
19 rue de Liège 75009 PARIS
représentée par Me Arnaud ROUILLON, avocat au barreau de PARIS - R118
la S.E.L.A.R.L. BAULAND GLADEL MARTINEZ
prise en la personne de Me MARTINEZ, ès-qualités d'Administrateur judiciaire de
la société TEAR PROD 7 rue de Caumartin 75009 PARIS
représentée par Me Antoine DIESBECQ, avocat au barreau de PARIS - L.301
la S.C.P. BTSG
prise en la personne de Me GORRIAS, ès-qualités de Mandataire judiciaire de la
société TEAR PROD 87 boulevard de Sébastopol 75003 PARIS
représentée par Me Antoine DIESBECQ, avocat au barreau de PARIS - L.301
DÉBATS
A l'audience du 24 Octobre 2008 présidée par Isabelle NICOLLE, Première VicePrésidente, tenue publiquement
86
LE TRIBUNAL
Vu l'assignation à heure indiquée délivrée le 22 octobre 2008 à la SARL TEAR
PROD, à la SELARL BAULAND GLADEL MARTINEZ, ès-qualités d'administrateur de
la société TEAR PROD, et à la SCP BTSG, ès qualités de mandataire judiciaire de
celle-ci, à la requête de M. Nicolas SARKOZY, président; de la République
française, qui demande au tribunal au visa des articles 9 du code civil et 809 du
code de procédure civile :
- d'ordonner à la SARL TEAR PROD et à la SELARL BAULAND GLADEL MARTINEZ,
ès qualités d'administrateur de la société TEAR PROD, de cesser toute diffusion, à
titre gratuit ou onéreux, de la poupée vaudou à l'effigie de M. Nicolas SARKOZY
actuellement offerte en cadeau pour l'achat de l'ouvrage intitulé "Nicolas
SARKOZY le manuel vaudou",
- de leur enjoindre de retirer cette poupée de tous les points de vente et de tous
les services de vente par correspondance,
- d'assortir ces mesures d'une astreinte provisoire de 1.000 € par infraction
constatée à compter du deuxième jour suivant la signification de l'ordonnance,
- de condamner la société TEAR PROD à payer à M. Nicolas SARKOZY un euro à
titre de provision sur dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
ainsi que la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de
procédure civile,
Vu les conclusions déposées le 24 octobre 2008 par la société TEAR PROD qui
sollicite le débouté du demandeur de toutes ses prétentions et la condamnation
de celui-ci au paiement de la somme de 2.500 € au titre de ses frais irrépétibles,
en l'absence de trouble manifestement illicite, dès lors qu'elle-même a fait un
juste usage de son droit à l'humour en publiant un livre-objet caricatural,
Vu les conclusions déposées à la même date par la SELARL BAULAND GLADEL
MARTINEZ, prise en la personne de Me Carole MARTINEZ, ès qualités
d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société TEAR PROD,
et par la SCP BTSG, prise en la personne de Me Stéphane GORRIAS, ès qualités
de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de cette société, tendant à
ce qu'il :
- soit constaté qu'il n'est rien demandé à l'égard de la SCP BTSG,
- leur soit donné acte de ce qu'elles s'en rapportent à justice sur la question de
savoir si la diffusion de la poupée vaudou litigieuse constitue une atteinte au
droit à l'image du demandeur et un trouble manifestement illicite,
- leur soit donné acte de ce qu'elles s'en remettent à la sagesse du juge sur les
mesures à prendre, s'il y a lieu, pour faire cesser le trouble,
- soit constaté que la charge des condamnations pécuniaires à intervenir le cas
échéant pèsera sur les créanciers de la société TEAR PROD,
87
Vu les observations orales des conseils des parties à l'audience du 24 octobre
2008, à l'issue de laquelle il leur a été indiqué que la présente décision serait
rendue le 29 octobre 2008 à 14 heures par mise à disposition au greffe des
référés,
La SARL de presse TEAR PROD, constituée le 6 novembre 2001, a pour activité
-aux termes de l'extrait Kbis produit- les "rédaction, édition, vente, distribution
de journaux, revues et magazines, illustrés ou non, livres et publication de toute
nature ". Après avoir édité des magazines dédiés à des personnalités du monde
de la musique, elle a diffusé à partir de l'année 2005 des "beaux livres" et des
livres de témoignages sous la marque "K&B Editeurs".
Par jugement du 10 mars 2008, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une
procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL de presse TEAR PROD
et a désigné la SELARL BAULAND GLADEL MARTINEZ, en la personne; de Me
MARTINEZ, administrateur judiciaire avec mission d'assistance et la SCP BTSG,
en la personne de Me GORRIAS, mandataire judiciaire.
Au mois d'octobre 2008, la société TEAR PROD a publié les ouvrages intitulés
"Nicolas SARKOZY le manuel vaudou" et "Ségolène ROYAL le manuel vaudou"
vendus, pour chacun, dans un coffret cartonné contenant :
? le livre dont la couverture est illustrée du dessin d'une figurine de face et de
dos, plantée de trois aiguilles,
? une poupée de tissu, correspondant à la figurine, sur la tête de laquelle est
reproduit le visage de chacun des intéressés, alors que son corps est recouvert
de diverses mentions, une étiquette spécifiant "Poupée offerte par les Editions
K&B. Vente interdite ",
? un lot de douze aiguilles dans un sachet précisant "Aiguilles offertes par les
Editions K&B. Vente interdite".
En ce qui concerne le demandeur, le coffret -qui reproduit la poupée sur chacune
de ses faces et porte la mention "LA POUPÉE VAUDOU ET 12 AIGUILLES
OFFERTES"- indique:
"VOUS DÉTESTEZ NICOLAS SARKOZY PARCE QU'IL EST TROP DE DROITE?
Vous méprisez Nicolas Sarkozy parce qu'il n'est pas assez de droite ?
VOUS VOUS DEMANDEZ S'IL RÉFLÉCHIT PARFOIS AVANT DE PARLER ?
Vous pensez à prendre un second job pour sortir la tête de l'eau ?
Bien joué ! Vous pensiez élire un homme d'Etat qui réformerait le pays et ferait
rayonner la France de par le monde ? Et pourtant, vous avez toujours autant de
mal à boucler vos fins de mois et rêvez d'envoyer balader cette société qui ne
profite qu'aux riches pour aller vendre des frites au bord de la mer. Respirez. Car
c'est là que le manuel vaudou Nicolas Sarkozy entre enjeu.
88
Grâce aux sortilèges concoctés par le spécialiste en sorcellerie Yaël Rolognese,
vous pouvez conjurer le mauvais oeil et empêcher Nicolas Sarkozy de causer
davantage de dommages.
Alors qu'attendez-vous ? Quand vous prendrez votre retraite à 87 ans, il sera
trop tard Agissez au plus vite et commencez à reconstruire le paysage politique
français grâce au manuel vaudou Nicolas Sarkozy".
Selon lettre recommandée avec accusé de réception et courrier électronique en
date du 16 octobre 2008, le conseil de M. Nicolas SARKOZY a sollicité la
cessation de toute diffusion de cette figurine, demande qui n'a pas été suivie
d'effet. :
M. Nicolas SARKOZY soutient que l'utilisation de son image pour le représenter
sous la forme d'une poupée vaudou pouvant à loisir être piquée par 12 épingles,
effectuée sans son autorisation et poursuivie nonobstant son opposition
expresse, n'a aucun rapport avec l'illustration légitime d'un fait d'actualité, le fait
d'offrir gratuitement aux acheteurs d'un livre une telle poupée n'étant destiné de
l'aveu même de l'éditeur qu'à "donner un petit plus au lecteur" à titre de "petite
idée cadeaux", que cette utilisation ne participe pas à l'exercice de la liberté
d'expression, mais sert exclusivement de moyen de promotion commerciale pour
la vente d'un ouvrage en offrant en cadeau une poupée et porte manifestement
atteinte à ses droits sur la reproduction et la divulgation de son image, et
notamment à celui de s'opposer à l'exploitation de son image à des fins
commerciales.
Il ajoute que ce procédé s'apparente aux ventes à primes réglementées par les
articles L121-35, R121-8 et suivants du code de la consommation et observe, par
ailleurs, que d'autres présidents de la République française ont, avant lui, engagé
des poursuites à la suite d'atteintes portées à leur droit à l'image.
La société TEAR PROD explique qu'un concept similaire avait été diffusé aux
Etats-Unis par la société PERSEUS BOOKS GROUP, dont le nom commercial est
RUNNING PRESS et qui avait édité des manuels vaudou relatifs à M. George W.
BUSH et Mme Hillary CLINTON, et qu'elle a négocié les droits d'adaptation et de
divulgation du concept auprès de cette société.
Elle se prévaut de l'exception au droit à l'image liée à la liberté d'expression et
au droit à l'humour, en faisant valoir que le livre-objet litigieux est une oeuvre
sarcastique et caricaturale, formée d'un ensemble indissociable, qui véhicule des
idées et des informations et ne peut être assimilé à un simple objet commercial.
Motifs de la décision
Attendu, en droit, que conformément aux articles 9 du code civil et 8 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, toute personne a par principe droit au respect de sa vie privée,
quelle que soit sa notoriété ; qu'elle est fondée à en obtenir la protection en
fixant elle-même les limites de ce qui peut être divulgué et publié à ce sujet ;
que de même, toute personne dispose sur son image, attribut de sa personnalité,
89
et sur l'utilisation qui en est faite d'un droit exclusif, qui lui permet de s'opposer à
sa diffusion sans son autorisation ;
Attendu, cependant, que ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté
d'expression, consacré par l'article 10 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ils peuvent
céder devant la liberté d'informer, par le texte et par la représentation
iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l'intérêt légitime du
public, certains événements d'actualité ou sujets d'intérêt général pouvant
justifier une publication en raison du droit du public à l'information et du principe
de la liberté d'expression ;
Attendu, par ailleurs, que la caricature et la satire, même délibérément
provocantes ou grossières, participent de la liberté d'expression et de
communication des pensées et des opinions ; que, toutefois, le droit à l'humour
connaît des limites, telles que les atteintes au respect de la dignité de la
personne humaine, l'intention de nuire et les attaques personnelles ;
Attendu que, dans ces conditions, les droits au respect de la vie privée -incluant
le droit à l'image- et à la liberté d'expression revêtant, au regard des articles 8 et
10 de la Convention européenne et 9 du code civil, une identique valeur
normative, il appartient au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas
échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime.
Attendu, en fait, qu'il y a d'abord lieu de déterminer la nature de la poupée dont
la cessation de la diffusion est sollicitée, en recherchant s'il s'agit d'un objet à
vocation publicitaire, offert en cadeau pour favoriser la promotion commerciale
d'un livre, ou d'un élément indissociable d'une oeuvre littéraire ;
Attendu que pour assimiler le concept litigieux à une vente avec prime, le
demandeur soutient à tort qu'il suffirait de s'en tenir aux seules mentions
figurant sur l'emballage cartonné ("LA POUPÉE VAUDOU ET 12 AIGUILLES
OFFERTES ") ou sur l'étiquette de la figurine ("Poupée offerte par les Editions
K&B. Vente interdite "), ou encore aux déclarations de "Guillaume Clapeau,
l'éditeur de ces poupées, [...] sur RMC" selon lequel "les poupées sont là pour
donner un petit plus au lecteur" ;
Attendu en effet qu'il convient de constater que l'ensemble, composé du livre et
de la poupée, est réuni dans un coffret portant le titre de l'ouvrage et illustré de
l'image de la figurine piquée de trois aiguilles, reproduite sur chacune de ses
faces ;
Que le livre intitulé "Nicolas SARKOZY le manuel vaudou" comprend, d'une part,
jusqu'à la page 51 une biographie à vocation satirique et humoristique de
l'intéressé, avec certaines allusions aux expressions imprimées sur la poupée
"racaille" en page 42 et "rupture" en page 44), et, d'autre part, cinq pages
finales explicatives qui reprennent chacun des mots et expressions reproduits sur
la figurine de tissu, à la suite de cette annonce :
"Ce manuel contient un grand nombre de sortilèges maléfiques, concoctés avec
amour par le prêtre vaudou de renommée internationale Yaël Rolognese. Afin de
90
vous aider à planter vos aiguilles à bon escient, voici quelques clés" ;
Que comme l'explique la société éditrice, les "mots clés" figurant sur la poupée
reprennent des "expressions cultes" prononcées dans le cadre de la campagne
présidentielle ou après celle-ci et des comportements notoires de l'intéressé qui
ont marqué l'esprit du public, l'idée de la poupée vaudou, naturellement
satirique, étant d'être une forme d'exutoire et les cinq dernières pages du livre
commentant de façon sarcastique ces expressions et comportements, désignés
sous les termes suivants : "170%", "Casse-toi, pauvre con!", "Travailler plus pour
gagner plus", "Immigration choisie", "Racaille", "Ouverture", "Vol de stylo",
"Tests ADN", "Textos", "Tu l'aimes ou tu la quittes", "Vodka", "Pouvoir d'achat",
Fouquet's", "Rupture", "Paquet fiscal", "Talonnettes", "Réformes", "Khadafi",
"Service minimum", "Scooter", "Turquie", "Tom Cruise", "Mireille Mathieu",
"Bigard", "Publicité" et "Yacht" ;
Attendu que la poupée litigieuse ne constitue donc pas un produit purement
commercial ni ne caractérise l'utilisation exclusivement mercantile ou publicitaire
de l'image d'une personne sans son autorisation, même si les considérations
financières ne sont pas étrangères à une société d'édition;
Qu'elle est en réalité le prolongement nécessaire et indissociable d'un manuel
avec lequel elle forme un ensemble permettant de se remémorer des prises de
positions et événements notoires et de faire réagir le lecteur à leur propos ;
Attendu qu'il s'agit ainsi d'une oeuvre de l'esprit, composée de deux supports
indissociables, qui véhicule des informations et des idées et relève de la liberté
d'expression, son contenu informatif se plaçant délibérément dans le cadre de la
satire et de l'humour.
Attendu que même s'il peut apparaître déplaisant à certains égards d'inciter le
lecteur à planter des aiguilles dans une poupée de tissu à l'effigie d'une
personne, il convient de relever à ce propos :
- que le juge n'a pas à apprécier le bon ou mauvais goût du concept proposé ;
- que nul ne peut prendre au sérieux ce procédé et croire qu'il prônerait un culte
vaudou tel que pratiqué dans les Antilles ;
- que le manuel explique de façon volontairement fantaisiste et burlesque
pourquoi et comment planter ces aiguilles, celles-ci n'étant jamais dirigées contre
la personne même dont les traits sont reconnaissables sur la figurine, mais visant
à brocarder ses idées et prises de positions politiques, comme ses propos et
comportements publics, en guise de protestation ludique et d'exutoire
humoristique ;
Attendu que cette représentation non autorisée de l'image de M. Nicolas
SARKOZY, qui ne constitue ainsi ni une atteinte à la dignité humaine ni une
attaque personnelle, s'inscrit donc dans les limites autorisées de la liberté
d'expression et du droit à l'humour ;
Attendu que la mesure de retrait de la figurine sollicitée serait en l'espèce
91
d'autant plus disproportionnée :
- que cette particulière liberté de ton est plus largement admise lorsqu'elle vise
des personnages publics ;
- que les deux "manuels vaudou", édités par la société TEAR PROD sur le modèle
de ceux publiés aux. Etats-Unis, sont précisément consacrés aux deux candidats
qui se sont affrontés au deuxième tour de la dernière élection présidentielle
française et qui ont tous deux focalisé l'attention du public sur leur personne en
mettant en avant leur image dans leur communication politique.
Attendu, en conséquence, que M. Nicolas SARKOZY sera débouté de ses
demandes, la diffusion de la poupée litigieuse ne caractérisant pas, dans ces
conditions, une atteinte fautive à son droit à l'image ni un trouble manifestement
illicite au sens de l'article 809 du code de procédure civile.
Attendu que des raisons tirées de considérations d'équité conduisent à écarter,
en l'espèce, toute application des dispositions de l'article 700 du code de
procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL.
statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en
premier ressort,
DÉBOUTE M. Nicolas SARKOZY de toutes ses demandes,
DÉBOUTE la société TEAR PROD de sa demande fondée sur l'article 700 du code
de procédure civile.
CONDAMNE M. Nicolas SARKOZY aux dépens.
Fait à Paris le 29 octobre 2008
Le Greffier,
Le Président,
92
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages généraux
•
DEBBASCH Charles, Droit pénal des médias, Edition Dalloz 1999.
•
La liberté d'expression en Europe, Jurisprudence relative à l'article 10 de la
Convention européenne des Droits de l'Homme, Edition du Conseil de l'Europe 2006.
Ouvrages spécialisés
•
ARMENAK Marie, Le droit à l'humour, l'exemple des Guignols de l'Info, mémoire
DEA Droit des médias, Aix-en-Provence, 2000.
•
CAPITANI Amandine, MORITZ Marcel, La liberté de caricature et ses limites en
matière religieuse, Lamy Droit de l'immatériel 2006.
•
DEBBASCH Charles, La liberté de communication audiovisuelle en France,
RIDC 1989.
•
GAVI Philippe, MENARD Robert, Peux-t-on rire de tout ? Editions Mordicus 2010.
•
MECHRI Farid, L'humour et le droit, Edition Publisud 2009.
•
SAREIL Jean, L'écriture comique, Paris PUF 1984.
Articles et notes de jurisprudence
•
JurisClasseur Communication, Fascicule 3136 : Délits de presse envers les autorités
publiques françaises, 2007
•
JurisClasseur Communication, Fascicule 3150 : Messages racistes ou
discriminatoires, 2009.
93
•
JurisClasseur Communication > Fascicule 3715 : Protection civile de la personnalité,
2004.
•
JurisClasseur Communication, Fascicule 3170 : Apologies et provocations des crimes
et délits 1999.
•
JurisClasseur Commercial, Fascicule 700 : Exploitation, et contrat d'exploitation, de
produits dérivés, 2009.
•
Légipresse
◦ 1994, n°108, p.12
◦ 1996, n°128, p.1
◦ 1997, n°143
◦ 1999, n°161, p. 67
Sites internet
•
http://www.charliehebdo.fr/
•
http://www.lemonde.fr/
•
http://www.lepoint.fr/
•
http://marianne.fr/
•
http://tempsreel.nouvelobs.com/index.html
•
http://www.lepost.fr/
•
http://www.easydroit.fr/
•
http://www.legifrance.gouv.fr/
94
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements............................................................................................................................1
Tables des abréviations............................................................................................................... 2
Sommaire.................................................................................................................................... 3
INTRODUCTION...................................................................................................................... 4
PREMIERE PARTIE : UNE RECONNAISSANCE JURIDIQUE IMPLICITE D'UN DROIT
A L'HUMOUR EN MATIERE DE COMMUNICATIONS AUDIOVISUELLES.................... 8
Chapitre 1 : Le droit à l'humour, une liberté d'expression....................................................10
Section 1 : L'humour, une liberté d'expression consacrée par le droit international.......10
Paragraphe 1 : La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme...........................10
Paragraphe 2 : Le droit européen................................................................................ 12
Paragraphe 3 : La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.......14
Section 2 : L'humour, une liberté d'expression consacrée en droit interne......................16
Paragraphe 1 : La liberté d'expression en France........................................................16
Paragraphe 2 : L'exception de parodie........................................................................ 18
A. La parodie et la propriété littéraire et artistique................................................ 18
B. La parodie et le droit des marques.....................................................................21
Chapitre 2 : Le droit à l'humour, une liberté de communication..........................................25
Section 1 : La liberté de communication et le pluralisme de pensées.............................25
Paragraphe 1 : La liberté de communication et la jurisprudence de la Cour EDH.....25
Paragraphe 2 : Le pluralisme et la loi sur la liberté de communication de 1986........27
A. La liberté de communication audiovisuelle, une liberté constitutionnelle........27
B. La loi du 30 septembre 1986............................................................................. 30
Section 2 : Le CSA, garant du pluralisme ?.................................................................... 32
Paragraphe 1. Le CSA, organe indépendant ?............................................................ 32
A. Le fonctionnement et le budget......................................................................... 32
B. Les membres......................................................................................................34
Paragraphe 2. Les réalités sur l'objectif de pluralisme d'expression...........................36
A. Pluralisme interne et pluralisme externe........................................................... 36
B. La difficile mise en oeuvre d'un pluralisme interne en matière d'humour........38
DEUXIEME PARTIE : LES RESTRICTIONS AU DROIT A L'HUMOUR........................... 40
Chapitre 1 : Les restrictions traditionnelles, l'abus de droit................................................. 42
Section 1 : La conciliation du droit à l'humour et des autres droits.................................43
§1. L'humour et les droits de la personnalité.............................................................. 43
A. Le respect de la vie privée.................................................................................43
B. La dignité humaine............................................................................................ 45
§2. L'humour et la liberté de travail .......................................................................... 46
Section 2 : Les délits de presse en matière de droit à l'humour sur les services de
communication audiovisuelle.......................................................................................... 48
§1. La provocation à la discrimination, la haine ou à la violence...............................49
§2. Les délits contre les personnes..............................................................................52
95
A. La diffamation publique.................................................................................... 52
B. L'injure publique...............................................................................................54
Chapitre 2 : Les limites inhérentes à la spécificité de ce droit............................................. 57
Section 1. Des limites variables dans le temps et dans l'espace......................................57
§1. L'avis de la Cour EDH.......................................................................................... 57
§2. Les illustrations en droit interne........................................................................... 60
Section 2. Des limites variables selon le titulaire du droit à l'humour............................63
§1. L'humour comme moyen d'exonération ?............................................................. 63
§2. Faut-il instaurer un régime de responsabilité propre à l'humoriste ?....................67
CONCLUSION......................................................................................................................... 71
Annexes.....................................................................................................................................72
Bibliographie.............................................................................................................................93
Table des matières..................................................................................................................... 95
96

Documents pareils