Eduquer l`esprit d`entreprendre Bilan et questionnements de

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Eduquer l`esprit d`entreprendre Bilan et questionnements de
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DOSSIER EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLOME D’HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES EN SCIENCES DE GESTION
Eduquer l’esprit d’entreprendre
Bilan et questionnements de recherche.
Note de synthèse des travaux de recherche
Présentée par Caroline VERZAT
UPMF Grenoble, 23 mars 2012
Jury
Jean-Pierre BOISSIN, Professeur des Universités,
Université Pierre Mendès-France, Grenoble
Président du jury
Alain FAYOLLE, Professeur à l’Ecole de Management de
Lyon et à l’Université Pierre Mendès-France, Grenoble
Directeur de recherche
Didier CHABAUD, Professeur des Universités,
Université d’Avignon
Rapporteur extérieur
Benoît RAUCENT, Professeur ordinaire à
l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve
Rapporteur extérieur
Jean-Claude SARDAS, Professeur à l’Ecole Nationale
Supérieure des Mines de Paris, directeur adjoint de
l’école doctorale ENSMP-Paris X, « Economie,
Organisation, Société »
Rapporteur extérieur
Bernard SURLEMONT, Professeur ordinaire à
l’Université de Liège
Personnalité extérieure
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L’Université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce
document.
Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
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Remerciements
Ecrire et méditer sur un parcours de recherche construit durant seize ans, c’est tout un travail qui n’a été réalisable que parce qu’il a été entouré et soutenu.
Avec beaucoup de tendresse et de respect, mon mari Antoine et nos enfants Colombine, Augustin et
Philippine ont autorisé sa lente gestation. L’éducation est un processus long et subtil qui nous unit et
qui m’a transformée. Il a profondément nourri et soutenu ma recherche. Je n’ai pas toujours pris le temps de le leur dire, mais ce travail leur doit beaucoup. Merci !
Je dois aussi beaucoup à ma mère, Odile Nardin et à ma sœur, Hélène Ferrari, avec lesquelles je
partage une belle complicité. Elles ont toutes deux créé leur activité professionnelle au cours des 5
dernières années. Cet héritage familial, dont j’ai mis du temps à comprendre qu’il est quelque peu teinté d’esprit entrepreneurial est certainement profondément prégnant dans ma réflexion actuelle.
Merci !
Plusieurs Mentor plus avancés que moi dans la carrière universitaire ont accompagné de près mon
cheminement depuis les années 2002-2003 : Alain Fayolle m’a introduite dans le champ et le cercle
des chercheurs en entrepreneuriat, proposé de nombreuses occasions de publication, discuté avec
exigence mes propositions théoriques tout en me laissant une très grande liberté de pensée. Benoît
Raucent et Elie Milgrom, m’ont accompagnée dans l’expérimentation pédagogique dans nos institutions respectives, dans des colloques universitaires innovants en éducation et en formation
continue. Leur rigueur méthodologique et théorique mais aussi leur créativité et leur pragmatisme
m’ont transmis des modèles d’action et des instruments d’analyse précieux pour articuler théorie et
pratique. Louise Villeneuve, malheureusement décédée en 2008, m’a partagée ses convictions et ses
pratiques sur les dimensions affectives de l’accompagnement en éducation, souvent taboues dans le
travail académique. Sans eux, je n’en serais pas là aujourd’hui. Merci !
Les professeurs membres de mon jury ont des parcours professionnels, des disciplines et des
spécialités de recherche qui présentent tous des liens avec différentes facettes de l’esprit
d’entreprendre et son éducation mais sont rarement convoqués dans un même lieu simultanément.
Votre engagement dans cette aventure et le dialogue interdisciplinaire qu’il permet de susciter
m’honorent. Alain Fayolle, Benoît Raucent, Bernard Surlemont, Jean-Claude Sardas, Didier Chabaud,
Jean-Pierre Boissin, Merci !
Au cours de mes expériences de recherche et d’enseignement, j’ai rencontré un très grand nombre de chercheurs de sens : élèves, chercheurs, entrepreneurs, enseignants, cousins… A toutes ces personnes qui m’ont fait partager leurs passions, leur curiosité, leurs interrogations, leur désir de créer ou
d’apprendre, leurs rêves, je dois de précieux moments de joie intérieure, de rire et finalement une grande liberté. Michel Liu, Christine, Chantal, Elisabeth, Xavier, Pierre et Jérôme Verzat, Patrick et
Elisabeth Dargent, Chrystelle Gaujard, Isabelle Roussel-Gillet, Jean-Claude Gentina, Michel
Bigand, Dominique Frugier, Jean-Pierre Bourey, Rémi Bachelet, Janice Byrne, Christian Michelot, JeanClaude Brémaud, Noreen O’Shea, Maxime Jore, Miruna Radu-Lefebvre, Ann-Charlotte Teglborg, Safia
Mahrouche, et tous ceux dont ma mémoire à trous a oublié le nom, Merci !
Enfin, deux relectrices aussi exigeantes sur l’orthographe qu’avides de comprendre ont accepté de relire ce manuscrit sans d’autre enjeu que de m’aider. Marie-Laure et Mutti, Merci !
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Table des matières
Introduction : Relecture de mon parcours de recherche et d’enseignement. Emergence du questionnement sur l’esprit d’entreprendre et son éducation
A – L’esprit d’entreprendre, mise en place de quelques « ingrédients de base » : autonomisation,
expérimentation et innovation.
Le choix de la recherche-action, conséquences d’une posture épistémologique porteuse de valeurs proches de l’entrepreneuriat.
Des ingénieurs de l’innovation aux futurs entrepreneurs.
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B – La « cuisine » de l’esprit d’entreprendre : accompagnement, jeu et démarche de changement
par apprentissage.
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La démarche d’accompagnement des étudiants aux entrepreneurs.
Les espaces transitionnels et le rôle du jeu pour inventer-trouver de nouveaux rapports à soi et aux autres.
Du changement dans les organisations apprenantes aux universités entrepreneuriales.
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1ère partie - Définir les objectifs éducatifs liés à l’esprit d’entreprendre
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A – L’ambiguïté des recommandations politiques sur l’esprit d’entreprendre : des individus
entreprenants aux créateurs d’entreprise
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B – Apports de la recherche en entrepreneuriat : l’esprit d’entreprendre comme une dynamique de processus mentaux et identitaires conduisant à se projeter, agir et penser comme des
entrepreneurs.
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B1- Les caractéristiques entreprenantes : des comportements et des intérêts typiques plus qu’une personnalité entrepreneuriale
Personnalité et identité
Existe-t-il une personnalité entrepreneuriale ?
B2 - L’auto-efficacité, l’identité et les intentions entrepreneuriales : des trajectoires
Auto-efficacité, concept et espace de soi et identité.
Les individus entreprenants : une auto-efficacité garantissant l’employabilité ? Une piste à explorer.
Attitudes et normes subjectives favorables, Auto-efficacité et intention d’entreprendre, un processus temporel à continuer d’investiguer.
B3 – Agir et penser comme des entrepreneurs, les apports récents de l’étude de la cognition entrepreneuriale.
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Synthèse de l’esprit d’entreprendre comme un penser-agir projectif, visionniste, créatif et effectual.
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C – Proposition de définition des objectifs éducatifs de l’esprit d’entreprendre mis en forme grâce à un référentiel de compétences.
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Les processus cognitifs spécifiques des entrepreneurs
Les processus motivationnels et identitaires liés au mode de pensée entrepreneurial.
Définir les objectifs de formation liés à l’esprit d’entreprendre : s’appuyer sur la notion de compétence.
Proposition d’objectifs de formation de l’esprit d’entreprendre.
Implications pratiques pour la mise en œuvre du référentiel
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D - Discussion méthodologique et éthique à partir du référentiel d’objectifs éducatifs de l’esprit d’entreprendre.
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Discussion méthodologique sur la validation du référentiel d’objectifs éducatifs
Questionnement éthique sur les finalités du développement de l’esprit d’entreprendre, hypothèses et points
de vigilance.
Conclusion de la partie 1.
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2ème partie – Eduquer l’esprit d’entreprendre, une nouvelle manière d’enseigner ?
A – Un constat de départ : l’inadéquation et le déficit d’offre éducative concernant l’esprit d’entreprendre.
Les sources d’information sur l’état des lieux de l’éducation à l’entrepreneuriat.
Les constats principaux : une offre éducative en pleine expansion à l’université mais très fragmentée et peu
évaluée.
Les critiques adressées au système actuel d’éducation à l’entrepreneuriat.
B – Un nouveau paradigme éducatif ?
Repères sur l’évolution des paradigmes éducatifs
L’éducation à l’esprit d’entreprendre, un débat pédagogique non tranché
Le point de vue des praticiens sur les méthodes pédagogiques qui développent l’esprit d’entreprendre : une
démarche active progressivement immergée dans le monde des entrepreneurs.
Principe 1 : Apprendre par l’expérience de projets innovants en lien avec des problèmes réels.
Principe 2 : Encourager, guider et faciliter la prise de responsabilité des apprenants
Principe 3 : Apprendre en groupe coopératif et en relation avec des adultes extérieurs à l’école
Principe 4 : L’évaluation : une approche formative par le travail réflexif et la valorisation externe.
Points communs et spécificités par rapport aux pédagogies actives
C – Quelles sont les évolutions souhaitables et faisables du cadre organisationnel et institutionnel
pour éduquer l’esprit d’entreprendre ?
L’université entrepreneuriale, un modèle ?
La visée actuelle du primaire au lycée : introduire progressivement des projets à pédagogie entreprenante.
L’école autonome, cadre réaliste ou utopique d’une pédagogie entreprenante ?
Enseignants et entrepreneurs : deux cultures professionnelles qui peuvent coopérer ?
Plusieurs approches organisationnelles possibles.
Bénéfices, risques et conditions de succès des coopérations entre professeurs et entrepreneurs à la
lumière de notre expérience.
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Conclusion : Programme de recherches pour approfondir la compréhension de l’esprit d’entreprendre et son éducation.
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1- Questionnements et recherches proposées sur la construction de l’esprit d’entreprendre.
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Comment mesurer la construction de l’esprit d’entreprendre sur longue durée ? Pour aboutir à quels
bénéfices finaux ?
Propositions de mesures longitudinales quantitatives et qualitatives.
2- Questionnements et recherches sur les objectifs et l’impact de modules et programmes visant le développement de l’esprit d’entreprendre.
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Quels objectifs et quels indicateurs choisir au démarrage d’un programme ou d’un module éducatif visant le développement de l’esprit d’entreprendre ?
Comment rester vigilant pour ne pas aboutir au contraire des finalités visées ?
Proposition de recherches sur la mesure d’impact de programmes et de recherches-action sur la mise en
place de référentiels d’indicateurs de terrain.
3- Questionnements et recherches sur les facteurs clé des pédagogies entreprenantes.
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Quelles sont les méthodes, activités et situations pédagogiques efficaces pour développer l’esprit d’entreprendre ?
Existe-t-il des facteurs-clé décisifs en fonction des profils d’apprenants ? Comment affronter les dilemmes
de l’accompagnement et bâtir des partenariats sains entre les acteurs de l’école, les apprenants et les 124
acteurs extérieurs ?
Propositions de recherches comparant des situations pédagogiques et de recherches-action visant à
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expérimenter et tester des méthodes pédagogiques.
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4- Questionnements et recherches sur les conditions organisationnelles et institutionnelles d’une pédagogie entreprenante.
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Quels sont les projets réalistes dans les établissements d’enseignement supérieur ou secondaire ? Quels en sont les acteurs-clé ? Propositions de recherches et de recherche-action.
Comment faire coopérer monde académique et monde entrepreneurial ? Propositions de recherches et
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de recherches-action.
Quels soutiens et quelles formations sont nécessaires pour viser l’institutionnalisation ? Propositions de 131
recherches et de recherches-action.
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5- Discussion épistémologique finale sur l’articulation entre domaines et méthodes de recherches pertinents pour comprendre les dynamiques éducatives de l’esprit d’entreprendre.
L’objet de l’éducation à l’esprit d’entreprendre suppose des explorations conceptuelles pluridisciplinaires.
La compréhension des dynamiques éducatives de l’esprit d’entreprendre suppose une variété d’approches méthodologiques.
Une articulation par causation et par effectuation.
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Liste des annexes
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Bibliographie
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Table des illustrations
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Introduction : Relecture de mon parcours de recherche et
d’enseignement. Emergence du questionnement sur l’esprit
d’entreprendre et son éducation
Depuis 16 ans, je me suis engagée dans la recherche et l’enseignement après une première expérience professionnelle de six ans dans le conseil en organisation (1989-1995). J’ai préparé le doctorat en sociologie des organisations en recherche-action chez PSA-PeugeotCitroën (1995-2000), puis pratiqué l’enseignement et la recherche en sciences humaines dans deux institutions d’enseignement supérieur l’Ecole Centrale de Lille (1999-2009) et
Advancia-Negocia devenu récemment Novancia (depuis 2009). Au fil de ces années, un sujet
de questionnement que j’étais loin d’imaginer au départ a trouvé sa voie à la faveur des besoins auxquels j’ai été confrontée, des expérimentations et des recherches que j’ai conduites avec d’autres chercheurs qui m’ont encouragée et soutenue1 : c’est l’éducation à l’esprit d’entreprendre. Pourtant, rien à première vue dans mon histoire, ne me destinait ni à l’entrepreneuriat, ni à l’éducation, ni à la compréhension du monde des ingénieurs-entrepreneurs : je ne suis pas
née dans un milieu entrepreneurial au départ, ni dans un milieu d’enseignants ou de chercheurs et je n’ai pas fait d’études d’ingénierie. On pourrait penser que tout est arrivé par hasard à la faveur d’un poste qui s’est libéré à l’Ecole Centrale de Lille et d’un appel de la région Nord Pas de Calais offrant de financer des recherches visant à développer
l’entrepreneuriat. Et pourtant, si je regarde en arrière, je comprends que cette question s’impose aujourd’hui comme une évidence et que je l’ai travaillée et alimentée implicitement au départ, puis explicitement depuis quelques années. C’est ce que je voudrais expliquer rapidement dans ce préambule en forme de relecture thématique de mon parcours de
recherche. Le lecteur pourra se référer aux publications évoquées dans les annexes du
dossier d’HDR. Les deux grands questionnements sur l’esprit d’entreprendre et son éducation se sont donc progressivement mis en place. Ils aboutissent aux développements
théoriques présentés dans le corps de ce dossier d’HDR (1ère et 2ème partie de ce dossier).
Le premier thème s’est constitué à partir du choix progressif d’instruments et de sujets de recherche qui peuvent être interprétés a posteriori, en filant la métaphore de la cuisine,
comme des ingrédients de base de l’esprit d’entreprendre. A savoir, 1) le choix au départ de la recherche-action. Cette posture épistémologique induit un rapport spécifique de la pensée
à l’action, qui met au centre la finalité du développement de l’autonomie des personnes, et
m’apparait à la relecture, proche de celui des entrepreneurs et 2) la confrontation aux défis de l’innovation dans le monde des ingénieurs, conduisant de fil en aiguille à la problématique de la sensibilisation et la formation des ingénieurs entrepreneurs en France. Ces travaux
introduisent le développement théorique et le questionnement de la première partie de ce
dossier d’HDR lié à la définition d’objectifs éducatifs concernant l’esprit d’entreprendre.
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Je tiens à remercier ici chaleureusement les chercheurs qui m’ont aidée à développer ma pensée et à faire valoir mes travaux
qui ont toujours été un peu atypiques au sein du paysage académique : Michel Liu, Alain Fayolle, Benoît Raucent, Elie Milgrom,
Louise Villeneuve, Rémi Bachelet, Michel Bigand, Chrystelle Gaujard, Janice Byrne, Christian Michelot, Jean-Claude Sardas.
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Le deuxième thème associé est l’expérimentation des conditions de facilitation de l’esprit d’entreprendre dans des univers apprenants. Il s’agit là d’explorer la cuisine, au double sens des processus et des lieux éducatifs conduisant à développer cet esprit. Il est constitué de
trois sous-thèmes qui opèrent tous des liens entre le monde éducatif et le monde de
l’entreprise :
1) La démarche d’accompagnement des projets dont j’ai lancé l’étude au niveau des étudiants et qui s’applique avec une acuité étonnante à l’univers des entrepreneurs, 2) Le rôle des expériences transitionnelles au sein d’espaces de jeu que j’ai découvertes
au départ en entreprise lors de ma thèse. J’en ai constaté ensuite l’importance dans des situations d’équipes d’étudiants. Ce thème se prolonge par des questionnements
fondamentaux sur les dynamiques du leadership et de l’apprentissage dans les équipes de projet entrepreneurial ou non,
3) La compréhension des dynamiques organisationnelles et institutionnelles de
l’innovation, au départ formalisée dans ma thèse, puis réétudiée à partir des problématiques d’évaluation des projets que j’ai rencontrées à l’Ecole Centrale de Lille. Par la suite, j’ai pu réutiliser ce bagage théorique sur les processus d’innovation dans les organisations pour analyser les démarches de changement tendant vers des
universités plus entrepreneuriales.
Toutes ces dimensions alimentent la réflexion de la deuxième partie de l’HDR sur les principes d’une pédagogie entreprenante et les conditions organisationnelles qui facilitent sa mise en œuvre.
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A – L’esprit d’entreprendre, mise en place de quelques « ingrédients de
base » : autonomisation, expérimentation et innovation.
Le schéma suivant résume les recherches qui m’ont progressivement conduite au
questionnement sur l’esprit d’entreprendre et les relie aux articles et communications
présentées en annexe. Le développement qui suit l’explicite.
Figure 1. Les « ingrédients » de l'esprit d'entreprendre dans mon parcours
Le choix de la recherche-action, conséquences d’une posture épistémologique
porteuse de valeurs proches de l’entrepreneuriat.
Dès mon premier travail de recherche en DEA2 de sociologie des organisations, j’ai choisi une posture de recherche originale proposée par le directeur de mon laboratoire, épistémologue
de la recherche-action Michel Liu. J’étais séduite par cette posture de recherche qui visait la production de connaissances et/par la transformation sociale et qui était fondamentalement
liée à des valeurs d’autonomie proches de celles que j’avais reçues dans mon éducation familiale. Je renvoie le lecteur au chapitre méthodologique et épistémologique de ma thèse,
pour bien comprendre les fondements, le fonctionnement et les implications de ce mode de
recherche tant sur le terrain que sur la production de connaissances académiques (annexe 1).
Je voudrais seulement résumer ici dans quelle mesure cette épistémologie rejoint les valeurs
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A l’époque, Diplôme d’Etudes Approfondies, équivalent du Mastère 2 actuel, orienté sur la finalité de recherche académique
par opposition au DESS (Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées) orienté sur des compétences professionnelles.
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entrepreneuriales et m’a préparée à saisir la pensée-action spécifique des entrepreneurs
ainsi qu’à m’engager dans des collaborations efficaces avec eux.
Le pari de la recherche-action initiée par K. Lewin est de lier étroitement l’action et la connaissance. Il s’oppose à la représentation dominante dans l’univers des chercheurs comme dans celui des managers consistant à séparer strictement et à hiérarchiser les actions
de l’esprit et du corps (réfléchir avant d’agir, planifier avant de réaliser, conception disjointe de l’exécution, objectivation scientifique supposée neutre opposée à l’engagement subjectif dans l’action…). A l’inverse, l’idée de la recherche-action est d’expérimenter et comprendre dans le même mouvement, de « modifier la réalité afin de la connaitre » (Liu, 1996). Les
entrepreneurs sont aussi caractérisés par une attitude de praticiens réflexifs, qui apprennent
au cours d’actions de changement. Cette posture de recherche qu’on peut qualifier de praxéologique est fondée selon Liu (1997) sur une approche globale des faits sociaux qui
permet de prendre en compte à la fois leur complexité, leur indétermination et leur
singularité. La connaissance qu’elle cherche à atteindre a des caractéristiques communes
avec les représentations que produisent les entrepreneurs face à l’incertitude : la rechercheaction cherche surtout les paramètres critiques sur lesquels on peut agir, elle reconnait
l’importance des intentions à la source du projet de connaissance et elle nécessite l’échange avec des acteurs intéressés pour valider ce projet.
En outre, elle est traversée par une profonde préoccupation éthique qui vise
l’autonomisation des personnes et le respect de leur liberté. La première recherche que j’ai conduite à l’Ecole Centrale de Lille sollicitée par mon collègue et la direction des études concernait justement l’apprentissage de l’autonomie des jeunes ingénieurs, ce qui m’a obligée à explorer précisément comment elle peut se développer et se construire sous de
multiples angles (Verzat et Bachelet, 2001, voir annexe 2). Nous verrons à quel point, cette
visée d’autonomisation est fondatrice dans les valeurs entrepreneuriales mais aussi quelle éthique elle exige de la part des éducateurs afin d’éviter l’écueil d’une exposition trop forte ou trop précoce aux risques et à l’incertitude. Par ailleurs, la recherche-action est engagée
dans des processus ouverts de changement négocié avec les acteurs concernés. Cette
démarche passe par des étapes successives de partage des objectifs, d’élaboration d’hypothèses, d’expérimentations suivies d’étapes de réflexivité à la fois sur le résultat et la démarche engagée aboutissant à la formulation des nouvelles connaissances produites. Dans
l’éducation à l’esprit d’entreprendre, nous verrons aussi la nécessité du partage des objectifs et l’importance du travail réflexif. Enfin dernier principe fondateur de la recherche-action,
elle cherche des principes explicatifs au-delà de la causalité linéaire et des frontières
disciplinaires : dans la dynamique des événements, elle s’intéresse particulièrement aux moteurs que sont les désirs et les aspirations des personnes et des communautés ainsi
qu’aux processus d’apprentissage qui permettent l’adaptation et la transformation. Est-ce un
hasard que nous aboutissions dans l’approfondissement de la notion d’esprit d’entreprendre à mettre en évidence sa source et son moteur dans une double dynamique identitaire et
cognitive ?
Cependant, il n’est pas facile de mettre en œuvre des recherches-action : Faire accepter des
démarches de changement négocié par les directions d’entreprise reste un exercice délicat. 11
Et il existe de réels freins dans le monde académique vis-à-vis des recherches
pluridisciplinaires et non référées au paradigme dominant de la connaissance positiviste.
Toutes les recherches que j’ai mises en place n’ont donc pas forcément suivi cette méthodologie. Il n’en reste pas moins que beaucoup de mes travaux de recherche ont été
engagés avec cette posture épistémologique, tant dans le monde éducatif que dans le monde
des entrepreneurs : recherches-action à l’Ecole Centrale de Lille, recherche-action avec
l’incubateur GENI. J’ai toujours considéré qu’il était crucial de chercher à faire dialoguer les
connaissances de terrain avec les connaissances académiques, ce qui m’a inlassablement conduite à chercher à nouer des partenariats de recherche et d’écriture entre ces deux mondes. Mon engagement dans la revue de vulgarisation scientifique Entreprendre et
Innover, qui vise un double public d’académiques et de praticiens ne s’explique pas autrement, de même que dans le comité scientifique « Questions de Pédagogie dans
l’enseignement supérieur » qui vise à faire dialoguer les professeurs sur le terrain et les
chercheurs en éducation, deux mondes qui s’ignorent superbement la plupart du temps. Un autre travail de fond engagé dans ce registre est la collaboration entre chercheurs et
praticiens dans l’écriture d’un livre collectif sur l’accompagnement des étudiants avec mes collègues Benoît Raucent et Louise Villeneuve qui partagent ces convictions. L’avant-propos
du livre (annexe 3) présente la démarche d’écriture et d’édition collaborative que nous avons mise en œuvre et qui me semble assez originale. Elle ouvre je crois, des pistes fécondes pour
permettre l’explicitation des situations entrepreneuriales particulièrement complexes. Ayant ce bagage de valeurs et de méthodes imprégnées dans ma démarche intellectuelle, il
suffisait de me confronter au terrain de l’innovation et de la formation à l’entrepreneuriat pour que naisse naturellement un objet de recherche centré sur l’esprit d’entreprendre. C’est le deuxième élément qui explique mon intérêt pour le sujet.
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Des ingénieurs de l’innovation aux futurs entrepreneurs.
Dès ma recherche de doctorat, j’ai été confrontée à l’évolution du monde des ingénieurs dans l’automobile. Au sein d’une organisation matricielle projet-métier typique de la R&D,
j’ai constaté l’évolution en cours de la représentation du métier d’ingénieur, des carrières et des identités professionnelles en jeu. Pour les jeunes ingénieurs, s’engager dans des projets interdisciplinaires comme chef de lot puis chef de projet était perçu comme un tremplin
d’apprentissage précoce du management et un accélérateur de carrière. Au détriment de la
représentation traditionnelle du métier d’ingénieur portée par les plus anciens, dont l’autorité reposait sur l’expertise technique acquise grâce à la progression dans une filière de métier (moteur thermique, électronique, acoustique...). L’intégration lente dans un corps technique de métier offrait une sécurité relationnelle et professionnelle, mais les projets
étaient de plus en plus considérés comme exaltants, donnant plus accès à l’autonomie, à une
vision élargie de l’entreprise, à une expérience professionnelle plus complète. Au prix d’une prise de risque supérieure pour la carrière et d’un deuil à faire sur la représentation initiale du métier comme expert technique.
Lorsque je suis arrivée à l’Ecole Centrale de Lille en 2000 en tant qu’enseignant-chercheur en
sciences humaines3, la question de la place des projets dans la construction de l’identité et des compétences de l’ingénieur m’a été tout de suite été adressée ainsi qu’à mon collègue
Rémi Bachelet. En effet, l’Ecole avait investi fortement dans la pédagogie projet (collectifs et individuels) et se posait de nombreuses questions quant à l’évaluation des compétences acquises et les débouchés professionnels. Et parallèlement, la Région Nord Pas de Calais avait
lancé en 2001 un appel d’offre de recherche sur les moyens de susciter davantage de création d’entreprise dans la région. Nos premières recherches avec Rémi Bachelet ont donc cherché tout d’abord à comprendre l’évolution identitaire en cours chez les ingénieurs. A
partir de la littérature sur les ingénieurs, nous avons compris que le modèle classique de
l’ingénieur hérité de Fayol était en pleine évolution, que les nouvelles générations n’avaient plus les mêmes orientations professionnelles et aspirations qu’autrefois et que les écoles ne visaient plus les mêmes compétences. Un nouveau modèle managérial, voire entrepreneurial
se faisait jour, guidé à la fois par les évolutions des organisations et par les évolutions des
dispositifs pédagogiques. L’hypothèse fut donc posée que les choix professionnels et les
modèles identitaires sont imprégnés et modelés par les dispositifs pédagogiques renforçant
et parfois peut-être remplaçant les modèles implicites hérités de l’enfance. L’évolution à
laquelle nous assistions dans les écoles d’ingénieur signait-elle l’émergence d’un nouveau modèle d’ingénieur ayant l’esprit d’entreprendre ? (voir l’annexe 4, Bachelet, Verzat, Hannachi et Sardas, 2004). Neuf publications étalées entre 2002 et 2010 sont nées de cet
effort collectif partagé avec Rémi Bachelet et Dominique Frugier. Plusieurs « apprentis
chercheurs » ont été recrutés pour nous aider dans la réalisation d’enquêtes exploratoires, la 3
Bien que le poste sur lequel j’avais été recrutée fût officiellement affilié aux sciences de gestion, mon identité professionnelle
au sein de l’Ecole Centrale a toujours été généraliste, oscillant entre les trois disciplines qui m’avaient qualifiée : sciences de
gestion, sociologie et sciences de l’éducation. Le fait d’être affectée à un laboratoire de Génie Industriel sans appartenance
disciplinaire reconnue en France, autant que les besoins de compréhension multi-facettes qui nous étaient adressés
encourageaient cette vocation généraliste et nous laissaient une grande liberté d’ancrages théoriques. C’était une aubaine pour le domaine de l’entrepreneuriat, phénomène encore mal connu et faisant appel à de multiples approches disciplinaires en sciences humaines.
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construction d’un questionnaire longitudinal, sa mise en place auprès de plusieurs
promotions d’élèves-ingénieurs sur une durée de 3 à 5 ans, puis l’analyse des résultats quantitatifs, la réalisation d’entretiens qualitatifs complémentaires, jusqu’à aboutir à la thèse de Y. Wang, que j’ai co-dirigée entre 2007 et 2010. Les résultats in fine sont un peu
décevants, essentiellement pour des raisons méthodologiques (construits faibles, perte de
données limitant l’échantillon exploitable). Mais il apparait néanmoins trois résultats importants rapportés notamment dans l’article figurant en annexe 5 (Wang et Verzat, 2011) :
a) Les évolutions des intentions entrepreneuriales des élèves ingénieurs sont très aléatoires
au cours de la scolarité, b) Elles sont très sensibles à la culture d’école perçue par les étudiants (comparaison entre l’Ecole Centrale de Lille et l’Iteem, orientée sur l’ingénieur,
manager, entrepreneur), c) L’expérience de la prise de responsabilité dans les projets et dans les associations a un impact significatif sur la représentation des aspirations professionnelles
et sur les intentions d’entreprendre.
Encouragés malgré tout par les analyses qualitatives mettant en évidence le rôle de la
pédagogie pour faire advenir de nouvelles attitudes et aspirations professionnelles orientées
vers l’entrepreneuriat, nous avons continué à réfléchir avec la petite équipe constituée
progressivement à l’Ecole Centrale de Lille autour de la filière entrepreneuriat et de l’Iteem (Rémi Bachelet, Dominique Frugier, Chrystelle Gaujard, Michel Bigand, Abdelkader Bousnane
et moi-même). Nos travaux se sont orientés sur l’apprentissage de l’innovation et de la créativité, réputée particulièrement éteinte chez les ingénieurs français par un cursus et une
sélection de profils excessivement rationnels. Après avoir travaillé en équipe à partir de la
littérature et de la relecture de nos expériences de formation respectives, nous avons mis au
point une proposition de module de formation à l’innovation. Poursuivant cette idée après le départ de l’Ecole Centrale de Lille, nous avons pu partiellement expérimenter la mise en
œuvre du module et l’évaluer en parallèle dans une école d’ingénieur (HEI Lille par Chrystelle Gaujard) et dans une école d’entrepreneuriat (Advancia par moi-même). Nous arrivons à des
résultats présentés dans l’annexe 6 (Verzat et Gaujard, 2011) qui ne démontrent pas de
progression significative dans le niveau de créativité personnelle perçu, mais qui montrent à
partir des analyses qualitatives, un changement de perception sur la nature du travail créatif.
Les futurs ingénieurs tout autant que les futurs entrepreneurs, semblent avoir compris que la
créativité était accessible à tous, même sans être dotés d’une grande imagination au départ, et qu’on pouvait l’apprendre en s’entrainant par des processus et méthodes appropriés, à
condition de ne pas avoir peur du jugement d’autrui. L’entraînement semble donc possible et fortement lié à des dimensions émotionnelles.
Cet ensemble de recherches et la profonde empathie que je ressentais avec le
fonctionnement des étudiants jugés les plus entrepreneuriaux ainsi qu’avec les entrepreneurs que j’ai côtoyés, m’ont incitée à faire le point sur les contours de l’esprit d’entreprendre que j’avais travaillés jusqu’ici de manière plus ou moins implicite: En quoi y
est-il question d’autonomie ? De nouvelles identités ? De projections de carrières liées à
l’entrepreneuriat ? De manières d’apprendre ou d’agir spécifiques ? De capacités à innover, à
être créatif ? D’émotions ? De valeurs ?... Comment ces différentes dimensions s’articulentelles ? S’il est question d’une évolution identitaire longue, comment se représenter leur 14
construction au cours du temps ? Peut-on traduire ces différents éléments en objectifs
éducatifs clairs ? C’est l’objet de la première partie de mon dossier d’HDR au-delà de ce
préambule.
Mais on l’a senti, les demandes du terrain allaient bien au-delà d’un simple travail de définition même s’il est nécessaire au chercheur. Il s’agissait avant tout d’un travail de transformation par des processus éducatifs. D’où l’objet de la deuxième thématique
associée, que je vais développer ci-dessous plus avant. Le lecteur comprendra que ces
travaux ont été réalisés en parallèle conformément aux principes de la recherche-action :
c’est bien l’intelligibilité des processus de transformation qui a permis une mise au jour
progressive des contours de la notion. La restitution des deux thèmes peut donner l’illusion qu’ils sont disjoints mais ils sont en réalité étroitement imbriqués.
B – La « cuisine » de l’esprit d’entreprendre : accompagnement, jeu et
démarche de changement par apprentissage.
Organiser des activités et des démarches visant à développer une identité et des capacités
liées à l’autonomie, la responsabilité, l’innovation a été mon quotidien dès la thèse. Chez PSA, j’ai participé à l’invention et la mise en œuvre d’un groupe de théâtre d’entreprise qui m’a conduite à approfondir théoriquement ce qui se passe précisément grâce au jeu. Parallèlement ma culture académique de sociologue m’a amenée à interpréter les dynamiques d’apprentissage des projets de recherche des ingénieurs à la lumière de théories organisationnelles et sociologiques de l’innovation. J’ai réutilisé ces deux apports majeurs après quelques années d’intégration professionnelle au sein de l’Ecole Centrale de Lille. Ils se
sont avérés en effet très pertinents pour réfléchir aux conditions organisationnelles et
institutionnelles de l’éducation à l’esprit d’entreprendre. Sur le terrain éducatif de l’Ecole Centrale de Lille, l’animation de l’activité projet et de l’AP (projets personnels et professionnels) des étudiants m’a vite confrontée à une question paradoxale : comment
aider et évaluer à la fois ? Creuser cette question revenait à approfondir la notion
d’accompagnement en éducation. De cette question est né le projet de livre collectif sur les
finalités de l’accompagnement éducatif, ses processus, ses moyens mais aussi les acteurs et les conditions organisationnelles et institutionnelles qui le rendent possible. In fine, j’ai pu relier ces pratiques à l’évolution des professionnalités enseignantes et plus largement aux
besoins de notre société post-moderne. Cette lecture élargie m’a donné les moyens de comprendre ce qui se jouait dans un autre lieu d’accompagnement : celui des entrepreneurs
et de répondre avec pertinence aux questions de recherche-action posées par les acteurs de
l’incubateur GENI. Je vais donc expliciter maintenant plus précisément les trois apports théoriques que j’ai développés en m’appuyant sur les principales publications que le lecteur pourra consulter en
annexe. Dans l’ordre suivant plus logique pour comprendre leur articulation :
1) la démarche d’accompagnement, 2) le rôle du jeu,
3) la dynamique de changement dans les organisations apprenantes.
15
J’essayerai de montrer en quoi ils permettent d’éclairer les processus éducatifs de l’esprit d’entreprendre et quelles nouvelles questions ils suggèrent. Le schéma suivant résume le développement qui suit dans le texte.
Figure 2. La « cuisine » de l’esprit d’entreprendre dans mon parcours
La démarche d’accompagnement des étudiants aux entrepreneurs.
Le travail sur l’accompagnement des étudiants a été une aventure collective de 5 ans, qui trouve son origine dans les dilemmes de rôles auxquels j’étais confrontée en tant qu’accompagnatrice de projets d’étudiants individuels ou en équipe : Fallait-il aider et/ou
évaluer ? Enseigner des savoirs, des méthodes et/ou des relations ? Être partie prenante
et/ou extérieure à l’équipe ? Inciter et/ou alarmer ?... A l’occasion d’une rencontre avec des
coachs d’entreprise à l’Ecole Centrale de Paris en 2005, une intuition fondamentale a germé :
nos dilemmes de professeurs sont communs avec ces coachs d’entreprise, mais le coaching en milieu éducatif a quelque chose de spécifique car il articule construction identitaire et
construction des connaissances. Mais qu’est-ce que cela voulait dire concrètement ? Qu’estce qui est en jeu pour l’étudiant ? Comment le professeur généralement peu formé à la
psychologie peut-il s’y prendre ? Pourquoi d’ailleurs cette question se pose-t-elle
aujourd’hui ? Pourquoi est-ce difficile ? Je voulais creuser… C’est ce qui m’a amenée à proposer d’écrire un livre à Benoît Raucent et Elie Milgrom, experts belges de l’apprentissage par problème avec qui je partageais bien des convictions, et auquel Louise Villeneuve s’est rapidement adjointe, offrant un regard québecois venant de l’enseignement du travail social, 16
notamment dans les stages supervisés. Grâce à ces compagnons, une aventure
extraordinaire d’écriture et d’édition collaborative a pris forme associant des praticiens de l’éducation et des chercheurs intéressés par l’analyse de leurs pratiques (cf annexe 3).
Tout au long de ce travail, nous portions en nous la question de la nature de cet
accompagnement éducatif sans arriver à le nommer. La question du terme à utiliser pour le
décrire nous habitait : Est-ce du coaching ? Ce n’est qu’en lisant l’ouvrage théorique de M. Paul (2004) sur l’accompagnement en général, que le sens des pratiques multiformes auxquelles nous avions à faire, s’est dessiné pour moi. Dès lors, nous avons pu relire l’ensemble des situations et expliquer ce qui s’y jouait : un bricolage entre trois postures
d’accompagnement (fonctionnaliste, herméneutique, réflexif et critique) permettant de
rendre compte des dilemmes et des différentes formes de partage des rôles observés dans
les pratiques éducatives (voir l’introduction du livre, annexe 7). Toujours dans le même objectif de quête du sens de ces nouvelles pratiques éducatives, je me suis plongée dans
l’histoire des pédagogies actives et du coaching en général, ce qui m’a permis de mieux comprendre le cadre général de l’émergence de l’accompagnement en éducation. Le premier chapitre du livre que j’ai écrit à partir de cette recherche (voir annexe 8) montre qu’il s’inscrit dans un changement de paradigme éducatif mis en place dès le début du XXème siècle dans
l’enseignement primaire à travers le mouvement de l’Ecole Nouvelle. Ce mouvement est
resté marginal mais a été théorisé en sciences de l’éducation dans une nouvelle représentation constructiviste de l’apprentissage prolongée par le socio-constructivisme.
Laquelle a été appliquée tardivement à l’université dans le mouvement des pédagogies actives à partir des années 70 au Canada et en Europe du Nord. Ce changement de
paradigme constitue une réponse aux problématiques de l’échec dans les premières années à l’université et plus largement aux besoins de développement de l’autonomie des personnes dans l’économie de l’innovation et de la connaissance. Finalement il concerne aussi les
enseignants en tant que moyen d’accompagnement du changement de posture éducative
exigé de leur part.
Sans surprise, ce contexte général constitue aussi le cadre des pratiques d’accompagnement émergentes au même moment dans l’univers des entrepreneurs. Equipée du modèle des postures de Paul, il m’était facile d’aider les membres de l’incubateur GENI issu d’une fusion des incubateurs de plusieurs grandes écoles du Nord de la France, à approfondir et
questionner leurs pratiques d’accompagnement. De mars à juin 2008, accompagnée par Chrystelle Gaujard, Rémi Bachelet et Valérie François, j’ai donc mené l’enquête auprès des accompagnants de cet incubateur et des porteurs de projets qu’ils accompagnaient, dans un but de clarification des besoins des accompagnés afin de mieux guider les accompagnants
dans leur réponse. Cette investigation nous a conduits à mettre en évidence l’intérêt des trois postures d’accompagnement de M. Paul pour répondre aux différents besoins des porteurs de projet en fonction de leur âge de vie. (voir article en annexe 9, Verzat, Gaujard et
François, 2010). En utilisant ainsi les apports de la psychologie du développement sur les
transitions identitaires, nous en sommes arrivés à croiser d’une nouvelle manière,
l’articulation forte entre développement identitaire et projet entrepreneurial. Cette enquête nous a fait saisir aussi l’importance de la posture herméneutique d’accompagnement qui consiste à écouter l’évolution du sens de ces projets pour la personne et la soutenir dans le
17
doute. La posture herméneutique est en effet particulièrement sollicitée pour atténuer
l’amplitude des phases d’euphorie-dépression vécues par l’entrepreneur naissant. Or les accompagnants en entrepreneuriat s’estiment souvent peu compétents vis-à-vis de
cette demande qu’ils ont tendance à minorer. Tout comme… les professeurs qui ne sont pas formés en psychologie et qui résistent au changement de posture attendu d’eux. Nous avons maintes fois touché du doigt l’importance de la confiance en soi dans l’apprentissage et l’impact du climat de confiance instauré par le professeur ou le petit groupe d’apprenants pour la restaurer, influant directement sur la capacité à apprendre et à tirer du sens d’une situation (voir Gaujard et Verzat, 2011 à propos de l’apprentissage de la créativité, annexe 6). Nous approchons ici le rôle central de la gestion des émotions dans le processus éducatif.
C’est une des dimensions que je souhaite explorer plus avant, encouragée dans cette conviction par l’abondance des publications autour de l’intelligence émotionnelle mais aussi par mes travaux antérieurs sur le jeu.
Les espaces transitionnels et le rôle du jeu pour inventer-trouver de nouveaux
rapports à soi et aux autres.
Chez PSA ma posture de sociologue en recherche-action m’avait conduite à mettre en
lumière un point délicat de la démarche de changement participative mise en œuvre par la direction de l’époque : Les compagnons de l’atelier de fabrication des prototypes peinaient à trouver leur place dans les réunions : leur manque d’habitude de ce genre de situations, l’infériorité de statut qu’ils ressentaient les handicapaient au point qu’ils ont fini par refuser
d’y participer. Comment faire ? Une idée a été proposée par un directeur de l’entreprise:
faire du théâtre avec un groupe de volontaires provenant de tous les services et de tous
statuts, y compris ouvriers. Ne sachant pas trop bien ce que l’on pouvait attendre d’une telle expérience, on m’a confié le soin d’y participer et de l’évaluer. Bien que l’on puisse émettre quantité de réserves quant aux risques d’instrumentalisation dans ce genre de démarches, l’évaluation de celle-ci m’a montrée qu’il était possible de sortir des blocages et des paradoxes grâce à une démarche de jeu. L’article que j’ai écrit dans une revue de sciences de l’éducation décrit les types d’apprentissage qui se sont produits aux niveaux individuel,
collectif et institutionnel. Il analyse aussi et interprète les conditions de facilitation mises en
œuvre dans cette démarche (voir annexe 10, Verzat, 2002). La nature des apprentissages au
niveau individuel et groupal nous intéresse au plus haut point, car il s’agit précisément des
capacités liées à l’autonomie qui sont en jeu dans l’esprit d’entreprendre : être à l’aise dans
la parole en public, oser affronter le regard de l’autre, prendre conscience et assumer sa singularité en osant faire des propositions « différentes », oser faire des erreurs, avouer son
ignorance, oser dépasser une barrière hiérarchique ou culturelle pour demander de l’aide ou une information… Certaines capacités acquises dans le groupe théâtre (s’étalant sur six mois) ont été transférées par les acteurs amateurs de retour dans leurs situations de travail. Le
processus éducatif qui a permis d’obtenir ce résultat est interprété à la lumière de la théorie
psychanalytique de l’expérience transitionnelle. L’idée majeure en est que le jeu introduit
une situation intermédiaire entre l’imaginaire et la réalité, où les personnes peuvent explorer sans dommage une nouvelle représentation de la réalité et l’accepter. La condition majeure 18
pour que l’expérience soit effectivement transitionnelle est que la personne qui encadre le
jeu (en l’occurrence, deux comédiens) soit suffisamment bienveillante pour ne pas lever les
paradoxes de la situation et autorise vraiment les personnes à inventer-trouver de nouvelles
règles personnelles ou sociales. Concrètement, c’est seulement lorsque les personnes ont
l’illusion qu’elles ont inventé des nouvelles représentations qu’elles peuvent véritablement
se les approprier et se percevoir comme des auteurs plus autonomes qu’avant. Alors qu’en réalité, ces représentations ont été proposées dans le jeu et ont seulement été trouvées par
les participants. L’art de l’animateur est de ne pas lever cette illusion.
Lorsque j’ai été confrontée à des difficultés dans le démarrage des équipes projets d’étudiants à l’Ecole Centrale de Lille, je me suis demandée s’il était possible de remédier aux problèmes de stress des étudiants et de lassitude des enseignants par un dispositif de jeu. J’ai donc lancé une expérimentation pédagogique en utilisant un jeu que mes collègues de
Louvain m’ont indiqué : le jeu des spaghettis, mis au point par des enseignants-chercheurs de
l’Université d’Aalborg. Plusieurs hypothèses ont été testées et évaluées notamment au sujet
de la capacité à former des équipes, à réguler le travail en équipe et à faciliter l’autoévaluation du travail en équipe par les étudiants. Elles sont rapportées dans deux articles, le
premier à partir d’une série de mesures à court terme, le deuxième à partir d’entretiens réalisés avec l’aide de Janice Byrne trois mois après l’expérience (voir les articles en annexe 11 : Verzat, 2009, et annexe 12 : Verzat, Byrne et Fayolle, 2009). Les résultats sont
étonnants : il y a sans conteste, apprentissage de capacités de management d’équipe et même des effets inattendus au niveau des enseignants. Ces derniers se sont pris au jeu et ont
repris confiance dans leur capacité collective à faire évoluer l’activité et plus globalement
l’école, alors en plein processus de réforme. Les entretiens confirment que l’effet est lié au processus de jeu qui permet à l’imaginaire de se mettre en route et finalement d’accepter des choses qu’on évitait de regarder. Par exemple, pour un jeune ingénieur sorti de classes
préparatoires à dominante technique, le fait d’accepter que son rôle professionnel consistera
pour beaucoup à réguler des relations d’équipe et qu’il peut être confiant dans sa capacité à l’apprendre.
Il parait donc possible de mettre en œuvre des situations d’apprentissage qui permettent de dépasser des blocages fréquents vis-à-vis des savoir-être de l’esprit d’entreprendre : oser
affronter l’incertitude sans paniquer, accepter d’affronter des risques, apprendre grâce aux
erreurs… Les questions qui restent posées concernent la durabilité des transformations des
représentations et des comportements, autrement dit le transfert systématique des
capacités nouvelles dans d’autres contextes. Nous pouvons faire l’hypothèse à la lumière des
limites de ces deux expérimentations, que les conditions de transfert sont intimement liées à
la répétition des expériences dans un ordre de difficulté croissant et à un feedback
systématique encourageant. Ce qui renvoie aux conditions organisationnelles et
institutionnelles de tels processus d’apprentissage dans les institutions éducatives actuelles. Sont questionnées ici les compétences des enseignants et accompagnants, l’organisation des situations éducatives (en d’autres termes la programmation des cours). In fine cela met en
question la capacité de transformation des écoles et universités car elles sont loin de
fonctionner actuellement comme des organisations apprenantes. C’est le dernier thème que 19
j’ai été amenée à explorer au cours de mes travaux de recherche et qui constitue une clé
déterminante pour ouvrir la « cuisine de l’esprit d’entreprendre ».
Du changement
entrepreneuriales.
dans
les
organisations
apprenantes
aux
universités
Lorsqu’on parle d’organisations, il est toujours question de règles plus ou moins formelles, de
division des tâches et de pouvoir, qui doivent s’articuler ensemble de manière à tenir deux enjeux de survie contradictoires : d’un côté, innover pour s’adapter à des contextes changeants et de l’autre, exploiter ses compétences de manière durable et rentable. Dans le
contexte social et économique actuel particulièrement incertain, cette équation paradoxale
est idéalement assurée par la capacité de l’organisation à continuer d’apprendre. L’enjeu de ma thèse était justement de comprendre comment appréhender la complexité de la
dynamique d’apprentissage collectif de manière à en favoriser le pilotage. Comme le montre le résumé de cette thèse (placé en annexe 13), cette recherche-action a conduit à mettre en
évidence et formaliser trois logiques d’apprentissage collectif en concurrence : une logique
technicienne, une logique gestionnaire et une logique humaniste. J’ai montré que chacune de ces logiques privilégie certaines formes et certains contenus de savoirs, certains groupes
d’acteurs, certains types de rapports au savoir, certains rôles de production, de validation et de diffusion des connaissances. On peut repérer pour chaque logique trois situations idéaltypiques4 contribuant respectivement à l’émergence, la légitimation puis la transmission des
connaissances. Chaque logique se concrétise au niveau local, par la construction progressive
d’un dispositif d’apprentissage particulier (objet technique, projet, démarche de changement ouvert) par un acteur-clé, épaulé de médiateurs cognitifs, relationnels ou politiques
spécifiques. Au niveau global, chaque logique se caractérise par des institutions spécifiques
de gestion et de transmission des connaissances. Il n’y a donc pas un mais des pilotages multiples de l’apprentissage collectif, qui contribuent à entretenir ou renouveler la culture de
l’organisation, autour de deux processus fondamentaux : la légitimation (validation et transmission des savoirs légitimes assurant la stabilité de l’organisation) et l’autonomisation
(développement de la capacité à devenir auteurs des acteurs, contribuant à l’émergence de nouveaux savoirs et de nouvelles formes d’organisation). Dans le cas de la direction de la recherche de PSA-Peugeot-Citroën de l’époque, la logique gestionnaire (voir annexe 14,
Verzat, 2001) prenait une place de plus en plus prégnante, soutenue par le dispositif de
gestion des projets de recherche, les figures de quelques chefs de projet charismatiques et
tout un arsenal formel fait de plannings et de systèmes de gestion, au détriment de la logique
technicienne qui s’appuyait sur les prototypes physiques et des figures d’experts techniques. La logique humaniste, dans laquelle l’expérimentation théâtrale avait pris place, avait vécu quelques années à la faveur d’un projet participatif porté par un directeur inspiré.
4
La situation idéal-typique se réfère à la notion weberienne d’idéal-type . L’idéal-type définit un phénomène social par ses
caractères les plus généraux observables dans tous les types de société. C’est un modèle, une construction intellectuelle, qui
permet d’extraire de la réalité empirique, certains traits caractéristiques. Chacune des neuf situations idéal-typiques repérées
dans ma thèse était caractérisée par un contenu type, un support d’inscription type, des catégories typiques d’acteurs avec des logiques d’action caractéristiques, une finalité d’échange de connaissance, une norme de relation et des répartitions de rôles en
termes de production, validation et diffusion de la connaissance au sein d’une entité sociale de référence. 20
La concurrence entre des logiques organisationnelles peut aussi être analysée dans les
institutions éducatives. C’est ce que j’ai compris en étudiant attentivement l’histoire de l’éducation afin de comprendre les résistances et les moyens de développer l’enseignement sous forme d’accompagnement. Le chapitre que j’ai écrit avec M. Garant dans le livre « accompagner les étudiants » analyse justement les freins et leviers de nature culturelle et
institutionnelle à l’université afin d’indiquer une voie d’évolution pour changer (voir annexe 15). De nombreux auteurs parlent d’évolution de paradigmes éducatifs, ce que nous avons
synthétisé comme trois logiques (de l’enseignement, de la formation, et de la professionnalisation). Nous parlons de logiques car chacune a une cohérence interne : la
mission de l’institution est justifiée par la référence à une épistémologie de l’apprentissage, qui constitue aussi le socle de référence au cœur de la formation initiale des professeurs et
hiérarchise leurs niveaux de compétences. Les professeurs organisent le travail en classe et
respectent ainsi le cadre d’objectifs pilotés par un système cohérent d’indicateurs. Mais en réalité, l’analyse des situations concrètes que nous avons faites montre qu’aucune logique ne s’impose complètement, car tous les acteurs et dispositifs sont extrêmement variés et se réfèrent souvent à des logiques divergentes. Autrement dit, il y a des marges de manœuvre et les évolutions sont possibles.
L’un des points clé dans ces transformations concerne, à mon avis, les systèmes d’évaluation, qui soutiennent l’architecture normative d’une institution éducative : les enseignants
l’appliquent pour mettre des notes et défendent leur identité et leur pouvoir à travers elle,
les étudiants s’y conforment pour réussir à sortir honorablement du système, les responsables de l’institution s’appuient dessus pour faire valoir la sélection et/ou la qualité des étudiants recrutés ou sortis du cycle d’étude qu’ils gèrent. Comme nous l’avons vécu au cours de l’évolution du système d’évaluation de l’activité projet, la philosophie générale donc la culture d’évaluation d’une institution peut évoluer (voir annexe 16, Verzat, 2006). Ce changement peut être vu comme une dynamique intrapreneuriale animée par des
professeurs qui osent innover pour mieux répondre aux demandes des étudiants et de leur
environnement. Pour réussir ce défi, ils doivent s’entourer d’alliés internes et externes tout en mettant au point des nouveaux outils et dispositifs concrets cristallisant l’intérêt de groupes de plus en plus larges. Les écoles ou universités entreprenantes5 peuvent s’analyser comme des institutions capables de mettre en œuvre des dynamiques d’innovation et d’apprentissage permettant de s’adapter à l’environnement changeant dans lequel elles s’inscrivent. Elles sont porteuses d’une logique générale de professionnalisation, en référence à l’épistémologie constructiviste. La pédagogie y est majoritairement active et l’évaluation fort complexe car elle engage à la fois des professeurs et des parties prenantes
externes tout au long des projets et activités diverses proposées aux étudiants. L’article présenté en annexe 17 (Verzat, 2009), réalisé à partir d’une synthèse d’études portant sur
l’éducation à l’entrepreneuriat synthétise les caractéristiques de ces institutions.
Même si les systèmes de gestion ou d’évaluation tiennent l’architecture des systèmes éducatifs, je reste persuadée que le point de départ des dynamiques de changement et
d’apprentissage est lié aux désirs de changement des acteurs de base. On a vu dans l’annexe 5
J’utilise ici plutôt le terme d’école ou université entreprenante, plutôt qu’entrepreneuriale, car le concept d’université entrepreneuriale analyse surtout les liens étroits entretenus par la recherche universitaire avec son milieu économique.
21
13, que c’est toujours à partir de l’insatisfaction et des désirs de changement de quelques acteurs innovateurs qu’une dynamique de changement peut démarrer puis prendre forme en
s’appuyant sur des dispositifs spécifiques et des alliés internes et externes. Dans les institutions éducatives, les acteurs centraux sont les professeurs, mais ils sont souvent peu
innovateurs et peu favorables à l’instauration de dynamiques entrepreneuriales. L’une des résistances majeures est liée au socle de légitimation et de motivation des professeurs qui
construit leur professionnalité et leur identité. Pour les aider à accepter de mettre les
étudiants au centre, ils doivent accepter de se placer « sur la touche6 » comme les
entraineurs sportifs. Leur rôle n’est pas moins grand, mais fort différent, il déplace le cœur de leur professionnalité de la démonstration d’une expertise savante vers la conception de
dispositifs pédagogiques et d’accompagnement. Comment les conduire à accepter un tel changement ? Je crois que l’un des déclics est de leur faire vivre des expériences formatives proches de celles que l’on souhaite leur faire mettre en place vis-à-vis des apprenants.
Comme nous l’avons fait en novembre 2010 avec Benoît Raucent pour un public
d’enseignants et d’agents de sensibilisation à l’entrepreneuriat, il s’agit de respecter le principe d’isomorphisme cher à mes collègues de Louvain. La communication qui explique cette expérimentation est placé en annexe 18 (Verzat et Raucent, 2011). On y retrouve le
rôle du jeu qui permet de dépasser des préconceptions inadéquates quant au rôle du
professeur dans une pédagogie entrepreneuriale. Le bilan de cette formation continue
montre en effet qu’un dispositif faisant alterner des expériences (dont un jeu) et des phases de réflexivité suivies de restructuration, permet non seulement de faire prendre conscience
des préconceptions inadaptées vis-à-vis de l’entrepreneuriat et son enseignement, mais aussi
d’engager un désir de changement et d’amorcer une dynamique de groupe chez les
participants.
Les réactions du public d’enseignants vis-à-vis de cette communication qui a eu lieu dans un
colloque de pédagogie m’invitent à creuser une question lancinante et plus fondamentale qui
invite à une synthèse du questionnement sur la « cuisine » de l’esprit d’entreprendre : La
pédagogie de l’esprit d’entreprendre est-elle spécifique ? Ou bien ne s’agit-il que d’un nouveau nom du socio-constructivisme ? Les principes tels qu’ils ont été formalisés par Surlemont et Kearney (2009) apportent-ils quelque chose de nouveau par rapport aux
pédagogies actives ? Ses fondements épistémologiques, les multiples pratiques
pédagogiques et partenariales décrites par les praticiens et la dynamique organisationnelle
qu’ils nécessitent constituent-ils véritablement un nouveau paradigme éducatif, tel que le
suggèrent un certain nombre d’auteurs en entrepreneuriat ? Les processus
d’accompagnement et de jeu nous semblent pertinents pour décrire les nouveaux rôles
enseignants et les mécanismes d’évolution des institutions éducatives vers l’université entrepreneuriale, mais sont-ils suffisants ? N’y a-t-il pas d’autres hypothèses à poser sur les dynamiques organisationnelles et institutionnelles en jeu dans l’université entrepreneuriale ?
Toutes ces questions font l’objet du deuxième développement théorique de ce dossier d’HDR.
6
J’emprunte cette image à Perrenoud (1996), Enseigner, agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude, savoirs et compétences
dans un métier complexe, Paris, ESF.
22
1ère partie - Définir les objectifs éducatifs liés à l’esprit
d’entreprendre
Dans de nombreux pays européens, et particulièrement en France, les injonctions politiques
se font de plus en plus pressantes vis-à-vis du monde éducatif pour développer l’esprit entrepreneurial des jeunes. Des nouvelles missions sont définies, des nouveaux projets sont
lancés notamment en France : Pôles Entrepreneuriat Etudiant, Comité pour la Promotion de
l’Entrepreneuriat chez les Jeunes, Convention du Medef avec l’Enseignement Secondaire et Supérieur… Plus que jamais la définition d’objectifs pour l’éducation est à l’ordre du jour. On
pourrait penser que l’exercice est facile tant les expériences de sensibilisation à la création d’entreprise sur lesquelles on devrait pouvoir capitaliser sont nombreuses et variées à tous les niveaux du secondaire au supérieur en France7 comme dans de nombreux pays
européens : mini-entreprises, réalisations de business-plan, concours et simulations de
création d’entreprise, conférences et rencontres avec des entrepreneurs... Un certain nombre de groupes de travail réunissant les meilleurs experts européens sur le sujet ont déjà
abouti à de volumineux rapports8 sur les bonnes pratiques en la matière et continuent de
voir le jour pour cartographier et échanger les meilleures pratiques9.
Mais… au-delà d’objectifs éducatifs généraux très globaux tels qu’ils sont proposés par
l’union européenne (7ème compétence-clé pour la formation tout au long de la vie), l’esprit d’entreprendre n’est pas clairement défini et résiste à la traduction en objectifs pédagogiques clairs. Des recherches en Finlande (Seikkula-Leino, 2008) montrent que les
enseignants du secondaire général et professionnel ont bien du mal à expliciter les objectifs
pédagogiques des activités et programmes visant l’éducation à l’entrepreneuriat, alors même que ce pays a imposé à chaque école un cadre d’objectifs prioritaires visant l’éducation à l’entrepreneuriat. Au niveau universitaire, Frank (2007) explique qu’au Royaume Uni, les capacités entrepreneuriales ont largement été oubliées des curricula (sauf en économie et
business) malgré l’insistance du gouvernement pour inclure l’entrepreneuriat dans les programmes. D’autre part des enquêtes et sondages réguliers depuis les années 2000
continuent de montrer que l’intention de devenir entrepreneur est variable selon les pays européens mais reste inférieure à celle de travailler comme salarié et ne progresse
globalement pas beaucoup même chez les étudiants10. Alors que l’offre de promotion, de 7
Voir le site de l’OPPE qui recense un grand nombre d’actions réalisées en France http://www.apce.com/pid274/recherche-surle-nom-de-l-action-ou-de-l-etablissement.html?espace=5
8
Voir par exemple “Best procedure project on entrepreneurship education and training”, 2002, 2008, « Vers la création d’une culture entrepreneuriale, promouvoir des attitudes et des compétences entrepreneuriales au travers de l’éducation, Guide de bonnes pratiques” http://ec.europa.eu/enterprise/policies/sme/documents/education-training-entrepreneurship/
9
Projet Enspire EU réunissant 12 pays visant à repérer les meilleures pratiques de sensibilisation
http://www.enspire.eu/index-fr
10 Eurobaromètre de l’entrepreneuriat, 36000 répondants en 2009 http://ec.europa.eu/enterprise/policies/sme/facts-figuresanalysis/eurobarometer/index_en.htm#h2-1, enquête GUESS sur 63580 étudiants européens, dont 1150 français en 2008,
http://www.guesssurvey.org/PDF/2009/France_2008.pdf
23
formation, et d’accompagnement de l’entrepreneuriat ne cesse d’y augmenter dans la même période.
Ces paradoxes invitent à poser un certain nombre de questions afin d’explorer l’amont des intentions entrepreneuriales : Est-ce que l’esprit entrepreneurial suppose de vouloir créer
une entreprise ? Est-il souhaitable de pousser tous les jeunes d’une même génération à créer
une entreprise ou est-ce que l’esprit entrepreneurial caractérise plus largement une manière d’être qui intéresse toute la population au-delà de la création d’entreprise ? Est-ce que les
jeunes qui finissent par avoir l’intention de créer une entreprise au cours de leurs études ou
quelques années plus tard se caractérisent par des aspirations et des comportements
spécifiques avant même que leur intention ne prenne forme ? Est-ce que ces aspirations ou
comportements sont susceptibles d’être appris au cours de la scolarité ou sont-ils
exclusivement transmis de manière tacite dans la famille ?
Avant même de chercher les moyens éducatifs appropriés, une définition de la notion
d’esprit d’entreprendre et des objectifs éducatifs qui y sont liés s’impose. C’est l’objet de cette première partie. Ce travail est de nature exploratoire, à la fois inductif à partir de
l’expérience et déductif à partir d’ancrages théoriques. Car s’il existe quelques répertoires d’objectifs éducatifs récents construits autour des notions d’esprit d’entreprendre ou de culture entrepreneuriale (Pelletier, 2005, Gibb, 2005, NCGE 2006, Surlemont et Kearney,
2009), ils sont multiformes et d’origine empirique non théorisée. De fait, il n’existe pas à notre connaissance de définition académique qui fasse consensus sur l’esprit d’entreprendre. En revanche, on peut s’appuyer sur au moins trois courants actuels de la recherche en entrepreneuriat : la relation entre la personnalité entreprenante et la carrière, l’exploration des antécédents de l’intention entrepreneuriale et les avancées de la recherche sur la cognition entrepreneuriale. Nous nous appuierons aussi sur des travaux en éducation qui ne
traitent pas directement de l’apprentissage de l’entrepreneuriat mais offrent les ancrages théoriques nécessaires pour définir des objectifs éducatifs. Nous verrons que le référentiel
d’objectifs que nous pouvons élaborer à partir de ces différentes sources est à décliner dans chaque contexte éducatif, et pose de nombreuses questions d’ordre éthique.
Nous allons donc procéder dans cette partie en plusieurs étapes :
A) Premier éclairage sur les objectifs éducatifs de l’esprit d’entreprendre : les
recommandations européennes, les ambiguïtés des politiques éducatives
B) Apports théoriques issus de la recherche en entrepreneuriat : l’esprit d’entreprendre comme une dynamique de processus mentaux et identitaires conduisant à se
projeter, penser et agir comme des entrepreneurs
C) Convergences des objectifs issus des pratiques éducatives documentées en
entrepreneuriat et traduction sous forme d’un référentiel de compétences modulable
D) Discussion, hypothèses et questionnements éthiques à partir de ce référentiel
24
A – L’ambiguïté des recommandations politiques sur l’esprit d’entreprendre : des individus entreprenants aux créateurs d’entreprise
L’esprit d’entreprendre est un sujet d’une grande actualité. En novembre 2011 un groupe de
travail réunissant les principaux acteurs politiques, économiques et universitaires11
concernés par le sujet en France a publié un référentiel « entrepreneuriat et esprit
d’entreprendre12 » à l’usage des établissements d’enseignement supérieur afin d’orienter
l’action des pôles entrepreneuriat étudiants lancés fin 2009. Ce document est
l’aboutissement d’un long travail de terrain amorcé dans les maisons de l’entrepreneuriat créées en 2004 dans plusieurs universités françaises à partir de l’exemple de Grenoble13 et
d’une prise de conscience des acteurs politiques.
De fait, depuis 1998 en Europe, les conférences associant experts de l’enseignement de
l’entrepreneuriat et politiques se sont multipliés sur le sujet. Désormais les responsables des
politiques éducatives du niveau international au niveau local considèrent l’esprit d’entreprendre comme le cœur de la culture entrepreneuriale nécessaire au renouvellement
de l’économie de nos vieux pays en crise. Chaque personne devrait en être imprégnée pour
pouvoir trouver sa place dans nos sociétés gouvernées par l’économie de l’innovation et de la connaissance. Ainsi promouvoir des attitudes et des compétences entrepreneuriales est
crucial pour l’Union Européenne car « la stimulation de l’esprit d’entreprise est l’une des conditions essentielles de la création d’emploi et de l’accroissement de la compétitivité et de la croissance économique en Europe14 ».
L’enjeu est si important que l’esprit d’entreprendre a été reconnu comme l’une des huit
compétences clés15 définies par l'Union européenne pour la formation tout au long de la vie
(2006/962/CE). Celles-ci sont présentées comme un cadre de référence commun destiné aux
responsables politiques, aux professionnels de l’éducation, aux employeurs et aux apprenants eux-mêmes afin de penser et d’évaluer tout projet ou programme éducatif. L’idée générale est que la maîtrise de ces compétences-clé devrait permettre à tout citoyen
européen de « s’adapter avec souplesse à un monde évoluant rapidement et caractérisé par un degré d’interconnexion élevé ». La 7ème compétence qui nous intéresse est donc : « l'esprit
11
Ont été réunis dans ce groupe de travail, des membres de la Conférence des Présidents d’Université (CPU), de la Conférence des Directeurs des Ecoles Françaises d’Ingénieurs (CDEFI), de la Conférences des Grandes Ecoles (CGE), de la Direction générale
pour l’Enseignement Supérieur et l’insertion Professionnelle du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR), du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) et de l’Agence pour la Création d’Entreprise (APCE). Les principaux acteurs de terrain dans les différentes maisons de l’entrepreneuriat et tout récents PEE ont été invités à présenter leurs
expériences pédagogiques.
12
http://www.educpros.fr/uploads/media/referentiel_entrepreneuriat_def.pdf
13
Voir l’article de J.P. BOISSIN et N. SCHIEB-BIENFAIT (à paraitre) De l’expérimentation réussie des Maisons de l’Entrepreneuriat… au plan d’action national des Pôles Entrepreneuriat Etudiants : une dynamique confortée…, Entreprendre et
Innover, n°10-11 qui fait le bilan de cette évolution
14
Vers la création d’une culture entrepreneuriale, Promouvoir des attitudes et des compétences entrepreneuriales au travers
de l’éducation, Guide de bonnes pratiques, Commission Européenne, 2004
http://www.donnerenviedentreprendre.com/documentation/spip.php?article8
15
Les 8 compétences clé sont 1) la communication dans la langue maternelle, 2) la communication en langues étrangères, 3) la
compétence mathématique et compétences de base en sciences et méthodologies, 4) la compétence numérique, 5)
l’apprendre à apprendre, 6) les compétences sociales et civiques, 7) l’esprit d’initiative et d’entreprise, 8) la sensibilité et l’expression culturelle.
25
d'initiative et d'entreprise qui consiste en la capacité de passer des idées aux actes. Il suppose
créativité, innovation et prise de risques, ainsi que la capacité de programmer et de gérer des
projets en vue de la réalisation d'objectifs. L'individu est conscient du contexte dans lequel
s'inscrit son travail et est en mesure de saisir les occasions qui se présentent. Il est le
fondement de l'acquisition de qualifications et de connaissances plus spécifiques dont ont
besoin tous ceux qui créent une activité sociale ou commerciale ou qui y contribuent ». En
somme, l’esprit d’entreprendre consiste à être entreprenant, quel que soit le métier exercé
plus tard, mais en s’inspirant des compétences spécifiques des entrepreneurs.
On retrouve cette idée dans la définition proposée par l’agence de stimulation économique wallonne : « l’esprit d’entreprendre consiste essentiellement en une volonté d’agir pour créer du changement, de la nouveauté et réaliser des projets et met en évidence le développement
des attitudes entrepreneuriales qui permettent aux jeunes de se construire une personnalité
entreprenante au fil de leur vie. ». De même dans les objectifs de formation affichés par un
lycée professionnel de l’académie de Lille : « C’est permettre à chaque jeune, en cultivant cet esprit d’entreprendre, de faire la transition entre sa scolarité et son avenir professionnel ;
c’est lui donner les atouts pour être un salarié « entreprenant » ou devenir un entrepreneur à
part entière ; c’est l’amener à faire le choix qui correspond à ses attentes, à sa personnalité ;
c’est lui permettre de se projeter dans l’avenir avec les meilleures chances d’intégration dans le monde du travail, en évitant la perte de confiance en soi et les échecs qui en découlent. »
Toutefois, un certain nombre de chercheurs ont noté que ces objectifs ne manquaient pas
d’ambigüité et demandaient à être précisés : Kirby (1990, 2003, 2007) relève en effet deux
types d’objectifs finaux : augmenter le nombre de créations d’entreprise et former des jeunes entreprenants capables de repérer des opportunités et d’innover dans toutes les
sphères de la vie économique et sociale. Derrière ces deux finalités, il note que plusieurs
objectifs éducatifs sont repérables : faire prendre conscience du rôle des entrepreneurs dans
l’économie et la société (education about entrepreneurship), développer les qualités et
comportements des entrepreneurs qui réussissent (education for entrepreneurship),
développer les connaissances du business et les capacités spécifiques à la création
transférables lors d’un lancement d’activités (education through entrepreneurship). Dans la
même veine, Caird (1990) distingue trois types d’objectifs complémentaires : former des
personnes entreprenantes (c’est-à-dire développer les qualités personnelles associées à un
comportement entreprenant), sensibiliser à l’entreprise (connaissance des milieux et des activités économiques et compétences de gestion de projet), former au métier
d’entrepreneur (compétences spécifiques associées à la création d’entreprise). Elle montre que ces différents objectifs ne sont pas perçus et valorisés de la même manière par les
enseignants, les étudiants et leurs parents et qu’ils ne sont pas forcément associés aux mêmes éléments : qualités psychologiques pour les uns, gestion de projet en général ou
création d’entreprise pour les autres. Ces différents éléments n’étant pas toujours associés aux entrepreneurs. De même, Léger-Jarniou (1999) explique que l’esprit d’entreprendre ne doit pas être confondu avec l’esprit d’entreprise lequel renvoie à un ensemble d’attitudes positives vis-à-vis de l’entreprise. S’appuyant sur Block et Stumpf (1992), elle définit l’esprit d’entreprendre comme la volonté d’essayer des nouvelles choses ou de faire des choses différemment parce qu’il existe une possibilité de changement, indépendamment de toute
26
intention de créer une entreprise. Toutefois, les sous-objectifs de sensibilisation qu’elle signale sont la gestion de projets innovants et la construction collective de business plan en
lien direct avec la création d’entreprise (1999 :6). Car le développement de l’esprit d’entreprendre supposerait selon Block et Stumpf (1992), « la découverte et la structuration
de la conduite entrepreneuriale, l’identification et la réduction des barrières à l’initiative entrepreneuriale (aversion au risque), le développement de l’empathie entrepreneuriale et l’évolution des perceptions et attitudes relatives au changement » (1999 :5).
Ces trois auteurs font apparaître en réalité au moins quatre natures d’objectifs dont on pressent qu’ils sont intimement liés, sans toutefois réussir à distinguer à ce stade clairement
ce qui contribue à quoi, et sans trancher sur la question soulevée par Caird (1990) de savoir si
l’exemple des entrepreneurs est valable pour tous et si les activités de projet ou de création d’entreprise sont similaires. Les quatre natures d’objectifs que nous avons identifiées à ce stade sont les suivantes :
- Développer des qualités et comportements entreprenants proches de ceux qui
semblent caractériser les entrepreneurs,
- Développer des capacités et des compétences d’identification d’opportunités, de formulation et de gestion de projet dans des situations de projet sans objectif de
création d’entreprise mais transférables lors d’un projet de création d’entreprise,
- Connaître le métier d’entrepreneur, son rôle dans l’économie et la société,
- Développer des attitudes favorables à l’entrepreneuriat afin de pouvoir envisager une carrière d’entrepreneur au même titre qu’une carrière de salarié.
Le guide des bonnes pratiques pour la promotion des attitudes et des compétences
entrepreneuriales de la commission européenne (2004) saute le pas et relie les quatre
natures d’objectifs à la création d’entreprise : « L’entrepreneuriat est enfin perçu comme une clé de voûte de la croissance. Nul ne songe plus à nier dès lors, l’importance de l’entrepreneuriat en tant que compétence de base à acquérir au travers de l’apprentissage tout au long de la vie ». (2004 :5). Les objectifs sont donc à la fois d’enseigner les attitudes et compétences entrepreneuriales non directement axées sur la création de nouvelles
entreprises et de former à la création d’entreprise. Ils sont déclinés de la manière suivante à ajuster aux différents niveaux d’étude (2004 :7) :
-
16
Promouvoir le développement de qualités personnelles en rapport avec
l’entrepreneuriat, telles que la créativité, l’esprit d’initiative, la prise de risque et le sens des responsabilités. A partir du forum de Nice-Sophia Antipolis de 2000, les
qualités personnelles pertinentes en entrepreneuriat sont qualifiées de la manière
suivante16 :
o Compétences managériales classiques : capacité des étudiants à résoudre
des problèmes, valorisation des aptitudes dans les domaines de la
On notera le glissement sémantique de la notion de « qualité » qui appartient plutôt au registre de l’étude de la personnalité
à la notion de « compétence » qui fait appartient plutôt au registre de l’étude des activités de travail.
27
o
o
o
planification, la prise de décision, la communication et la prise de
responsabilité,
Compétences sociales : capacité à coopérer, travailler en réseau, apprendre
des nouveaux rôles,
Compétences liées à la personnalité : confiance en soi, volonté de réussir,
esprit critique, réflexion personnelle, désir et faculté d’un apprentissage autonome,
Compétences entrepreneuriales classiques : volonté de faire preuve
d’initiative, sens de l’action, créativité, disposition à prendre des risques au niveau de la concrétisation des idées.
-
Sensibiliser les étudiants à l’activité indépendante en tant qu’option de carrière (le message étant que l’on peut devenir, non seulement un salarié, mais également un chef d’entreprise),
-
Proposer les compétences techniques et commerciales nécessaires pour démarrer
une entreprise.
Ces formulations sont largement reprises des travaux de groupes d’experts issus de 17 puis 19 puis 33 pays de l’Union européenne réunis au sein d’un projet fédérateur (« Best
procedure project on Entrepreneurship Education and Training »). Ce projet a permis de
décliner les objectifs souhaitables et de mettre en évidence les meilleures pratiques en
éducation à l’entrepreneuriat aux trois niveaux primaire, secondaire et supérieur. On voit dans le tableau suivant, que l’objectif éducatif global passe graduellement de la formation de l’esprit d’entreprendre en général à celle des compétences entrepreneuriales spécifiques
nécessaires à la création et la direction d’entreprise, et qu’il existe dès le départ une visée de sensibilisation à la réalité économique et au métier d’entrepreneur. Niveau
Objectifs éducatifs recommandés
Activités pédagogiques recommandées
Primaire
Développer les qualités personnelles comme la
créativité, l’esprit d’initiative et l’indépendance qui contribuent au développement d’attitudes entrepreneuriales utiles dans la vie quotidienne et
dans toute activité professionnelle.
Activités projet, apprendre en jouant,
études de cas simples, visites
d’entreprises locales.
Développer les contacts avec les entreprises et
approcher le rôle des entrepreneurs dans la société.
Secondaire
Supérieur
Continuer de développer les qualités citées pour le
primaire.
Apprendre en faisant, notamment dans
des « mini-entreprises »
Eveiller chaque élève à la possibilité de faire carrière
comme entrepreneur aussi bien que comme
travailleur salarié.
Dispositifs spécifiques autour de la
création dans les écoles professionnelles
ou techniques.
Développer les compétences spécifiques nécessaires
pour lancer et diriger une entreprise, notamment
savoir réaliser un business plan réel et identifier des
opportunités de business.
Projets de lancement d’activité avec pour les meilleurs, soutiens financiers et
accompagnement spécialisé permettant
d’envisager la mise sur le marché.
Tableau 1. Objectifs et activités pour l’éducation entrepreneuriale à chaque nivea u,
recommandés par le Best procedure project 2002, repris en 2006.
28
Le référentiel français qui vient d’être publié est plus précis pour l’enseignement supérieur. Il suggère de distinguer deux niveaux d’objectifs adaptés à la structuration actuelle des
diplômes universitaires (découverte et sensibilisation au niveau licence / faisabilité et
spécialisation au niveau master-doctorat) tout en maintenant une dualité de finalités :
préparer l’esprit d’entreprendre en général (compétences et capacités transversales) et former des futurs entrepreneurs (compétences de gestion). Il s’inspire largement des
pratiques pédagogiques actuelles et vise une mise en œuvre pragmatique dans des modules de 15h intégrables à tout type de cursus universitaire. Ceci donne un tableau que nous
pouvons résumer ainsi :
29
Niveau
Objectifs éducatifs
Compétences attendues
Pédagogie suggérée
Licence
Révéler aux étudiants
leur potentiel
entrepreneurial et les
amener à identifier
les talents
Compétences de gestion :
Action pédagogique de
sensibilisation :
17
(exemples : JDE, Jeu
Ckileboss, Challenge
30h pour créer, 24h
chrono…)
- identifier des opportunités et utiliser des outils de
créativité
- imaginer et concevoir des nouveaux produits et
services
- structurer un projet
- découvrir et maîtriser les étapes indispensables
d’un plan d’affaires
Compétences transversales :
1) prise de confiance, connaissance de soi, créativité
2) prise d’initiative, autonomie, prise de risque, savoir se projeter
3) leadership, dynamisme, management, travail
d’équipe, sens de l’effort, volonté et détermination
4) accomplissement, connexion au réel
Master
et
Doctorat
Faire progresser la
confiance des
étudiants, leur
capacité à faire face à
la nouveauté, à puiser
les informations et les
ressources utiles de
l’environnement, à analyser les
opportunités et
arbitrer des projets
Compétences de gestion :
-
créativité
structurer un projet, construire et évaluer un
scénario
analyser un marché et définir une opportunité
stratégique
construire un modèle d’affaires
financer un projet
identifier les moyens à mettre en œuvre (marketing, commercial, technique, RH)
protéger un projet et maîtriser les fondamentaux
juridiques
développer une vision stratégique
communiquer auprès des professionnels
apporter une expertise entrepreneuriale
(leadership et management)
Compétences transversales :
-
-
esprit d’initiative
leadership
expérimentation du tâtonnement et de la
nécessité de persévérer
confrontation à la réalité
ouverture, rêve, curiosité, divergence puis
recherche du possible, concret, faisable
savoir concevoir
savoir être et maîtriser sa communication dans
l’équipe
produire collectivement un document cohérent
et professionnel
se poser des questions sur son avenir en
découvrant le monde des affaires
- mise en situation et
mobilisation de
ressources pour faire
émerger, conduire et
valoriser un projet
- travail réflexif et
développement
personnel.
Modules actifs de
spécialisation :
17
(exemples : Journées
Plug & Start Campus
© ; IDéO©, Jeu de
simulation de reprisetransmission
d'entreprise, …)
- conception d’un scénario en prise
avec la réalité
économique et
sociale
- proposition d’un projet cohérent et
faisable
- travail réflexif de
retour d’expérience extérieur et
personnel
Tableau 2. Résumé du référentiel français « Entrepreneuriat et Esprit d’Entreprendre »,
24 novembre 2011.
Les recommandations prescrites dans ces deux tableaux peuvent apparaitre à première vue
très claires et la progression suggérée évidente et cohérente. Mais cela mérite discussion.
En effet, nous avons vu plus haut qu’il existe une réelle ambiguïté des finalités (former des individus entreprenants / former des créateurs d’entreprise). Le passage de l’une à l’autre 17
Les exemples d’activités de sensibilisation et de spécialisation sont consultables sous forme de fiches sur le site http://www.apce.com/pid12740/referentiel-entrepreneuriat.html?espace=5
30
n’est aucunement garanti ni explicite. Nous avons signalé plus haut que les quatre natures d’objectifs sont très probablement liées mais leur articulation n’est pas claire. Qu’est-ce qui
distingue et comment s’articulent les qualités, les comportements, les capacités, les compétences, les valeurs et attitudes favorables, les choix de carrière ? Les compétences de
gestion impliquent-elles des compétences transversales et réciproquement ? Dans quel ordre
se développent tous ces éléments ? A travers quels processus, pourquoi, dans tels types
d’activités, à quelles conditions ? Une compréhension plus fine des éléments en jeu et de
leurs mécanismes d’articulation est requise. Par ailleurs, les étapes de la formation suggérées peuvent être discutées. Par exemple dans le
tableau 1, si l’on admet qu’il s’agit plus d’attitudes et de dispositions intellectuelles et
comportementales que de traits de caractère innés, il est possible que les qualités dont il est
question pour le primaire et le secondaire puissent encore être travaillées dans le supérieur.
De la même façon, l’éveil sur les possibilités de carrière entrepreneuriales n’est-il pas
nécessaire aussi à toutes les étapes du choix de carrière intervenant à chaque fin de cycle
secondaire ou supérieur ? De fait, on voit que le tableau 2 cite des compétences
transversales du même ordre entre le niveau licence et le niveau master-doctorat. Les
auteurs soulignent qu’il s’agit bien plutôt d’un continuum : « Avec une focalisation sur la
découverte en cursus L et sur la faisabilité en cursus M/D, la dissociation des deux parcours
s’opérera sur une différence d’intensité plutôt que de nature. Ce processus doit se concevoir
comme un continuum ». Comme le suggère ce référentiel, ce qui compte vraiment, c’est la trajectoire de progression de chaque étudiant reconnue par un portefeuille de compétences.
Mais cela pose toute la question de l’articulation avec l’offre des modules par les établissements. Comment ajuster l’offre aux besoins ? Existe-t-il des trajectoires types ? Fautil suggérer voire imposer une progression ou laisser les étudiants choisir librement des
modules et y construire leur propre finalité ?
Enfin, les objectifs proposés apparaissent soit peu précis, généraux et incomplets (tableau 1)
soit redondants (tableau 2). En l’état, le tableau 1 ne permet pas à un établissement de
formuler un programme de formation clair et encore moins à un enseignant de préparer un
module de formation ou de sensibilisation précis. Dans le tableau 2, la progression des
compétences visées est plus précise, mais sur le terrain de chaque dispositif concret, il faut
encore ajuster les critères d’évaluation. Et de fait, le référentiel de novembre 2011 est
présenté comme un document intermédiaire à faire évoluer.
Toutes ces discussions montrent qu’il est nécessaire de rentrer beaucoup plus finement dans
la compréhension des éléments qui composent les objectifs de formation de l’esprit d’entreprendre et des processus qui les articulent. Même si la recherche en entrepreneuriat n’est pas directement focalisée sur cet objet, elle a défriché successivement trois thèmes qui y sont liés : les caractéristiques entrepreneuriales, les antécédents de l’intention entrepreneuriale et la cognition entrepreneuriale.
31
B – Apports de la recherche en entrepreneuriat : l’esprit d’entreprendre comme une dynamique de processus mentaux et identitaires
conduisant à se projeter, agir et penser comme des entrepreneurs.
B1- Les caractéristiques entreprenantes : des comportements et des intérêts
typiques plus qu’une personnalité entrepreneuriale
Sachant que l’un des objectifs éducatifs prioritaires proposés pour l’esprit d’entreprendre est de faciliter le développement de qualités et de comportements entreprenants, il est légitime
de chercher à définir précisément de quoi il s’agit et de se demander si les entrepreneurs et les individus entreprenants partagent effectivement des traits spécifiques, si ces
caractéristiques influencent les choix de carrière, et enfin si elles sont susceptibles d’évoluer, donc si l’on peut agir dessus au niveau éducatif. Avant de rentrer dans la discussion des caractéristiques entreprenantes ou entrepreneuriales stables ou évolutives, nous devons
faire un petit détour conceptuel. Il faut en effet faire la part de ce qui ressort de la
personnalité et ce qui ressort de l’identité. Personnalité et identité
En se basant sur Bélanger (2004), on peut définir la personnalité comme un ensemble de
traits qui caractérisent une personne dans son unité, sa singularité et sa permanence et ceci
vis-à-vis de son entourage et d’elle-même. La personnalité décrit le mode de fonctionnement
typique, habituel d’une personne, ses comportements stables à travers le temps et les
situations. Sans rentrer dans le débat théorique sur l’inné et l’acquis, il semble que la personnalité se construise relativement tôt dans l’existence et qu’elle soit peu susceptible de changer sauf par des processus thérapeutiques. Les recherches en psychologie de la
personnalité permettent notamment d’expliquer le fonctionnement concret des individus, de mesurer les différences entre les individus, et de prédire leur comportement. Un grand
nombre de théories de la personnalité concurrentes ont vu le jour dans l’histoire sans qu’on puisse affirmer que l’une est plus valide que l’autre. Un renouveau d’origine empirique est apparu récemment avec des études statistiques multifactorielles18 mettant en évidence cinq
axes de dimensions de la personnalité qui sont largement utilisés aujourd’hui (Théorie des
Big five ou Five Factor Model : extraversion-introversion, agréabilité-antagonisme, ouverture
à l’expérience-hostilité
au
changement,
stabilité
émotionnelle-névrosisme,
consciosité(régulation du comportement)-impulsivité).
Par opposition à la personnalité qui est relativement stable, l’identité est une perception éminemment évolutive au cours de l’histoire des personnes. Elle peut se définir comme la reconnaissance de ce que l’on est, par soi-même et par les autres. En psychologie, l’identité telle qu’elle est consciemment perçue par soi-même est abordée à travers le « concept de
soi » (Brunel, 1990) qui compote des dimensions cognitives, affectives et conatives. Selon
18
Etudes statistiques réalisées à partir des descriptions que des participants à une expérience donnent d’eux-mêmes
32
Lécuyer, (1994), le concept de soi comporte plusieurs facettes: le soi matériel (apparence
physique, santé, possession d’objets), le soi personnel (aspirations, émotions, qualités et défauts, philosophies de la vie, rôles et statuts, sentiment plus ou moins fort de cohérence
interne ), le soi adaptatif (jugement sur soi-même, jugement sur sa manière de réagir face à
la réalité en vue de maintenir son soi : autonomie ou dépendance), le soi social (descriptions
de comportements en société, tels que la réceptivité ou l’altruisme, références à la sexualité), et le soi non-soi (lorsque la personne répond en parlant des autres). Le concept de
soi évolue tout au long de la vie. Sans citer ici tous les stades, notons que les qualités
intellectuelles mesurées à l’école par les résultats scolaires apparaissent au stade de
l’expansion du soi entre 6 et 10 ans, le métier futur intervient chez les filles au même stade, plutôt à l’adolescence chez les garçons. Les valeurs apparaissent entre 17 et 23 ans. Tout au long de la vie, des réorganisations du concept de soi se produisent au travers de crises
identitaires, de manière selon Erikson (1968) à pouvoir concilier le sentiment conscient
d’unicité avec le désir inconscient de continuité dans l’expérience et l’adhésion aux idéaux d’un groupe. Selon Filion (1999, 2000), le concept de soi alimente l’intentionnalité du sujet, c’est-à-dire la vision qu’il se fait de l’avenir et les objectifs qu’il se fixe. Il est également étroitement dépendant du contexte économique et social dans lequel évolue le sujet, de son
histoire personnelle et des normes sociales véhiculées par la société. La construction de
l’identité est aussi analysée par les sociologues. Pour Dubar (1991), elle résulte d’un double mouvement, d’attributions par autrui (transaction relationnelle où les autres évaluent, jugent
et disent à chacun ce qu’il est) mais aussi de revendication d’appartenances et de qualités par la personne (transaction biographique où l’individu se raconte des histoires sur ce qu’il est). Ces définitions de l’identité se présentent sous forme de figures, de rôles, de métiers. Au début, les identités sont rêvées, puis bricolées et remaniées par l’enfant, puis elles se transforment en projets de vie et projets professionnels à l’école et l’université.
Une fois ces concepts clarifiés, que sait-on de la personnalité et de l’identité entreprenante ou entrepreneuriale et de son influence sur le choix de carrière entrepreneurial ?
Existe-t-il une personnalité entrepreneuriale ?
Il se trouve que l’étude des traits de personnalité des entrepreneurs a fait partie des
premiers objets d’étude en entrepreneuriat. FIlion (1997) analysant l’histoire de la discipline, rappelle que deux traits de personnalité ont été mis en avant par le psychologue Mc Clelland
(1971) comme caractéristiques des entrepreneurs : le besoin d’accomplissement et de pouvoir. Même si ces résultats ont été critiqués par la suite parce qu’ils ne suffisent pas à expliquer le comportement entrepreneurial, ils ont ouvert tout un champ de recherches
psychologiques qui ont dominé la discipline jusque dans les années 80. Filion résume dans le
tableau ci-dessous les traits de personnalité (qualités et comportements) les plus souvent
attribués aux entrepreneurs par ces recherches.
33
Innovateurs
Besoin de réalisation
Leaders
Internalité
Preneurs de risque modérés
Confiance en soi
Indépendants
Implication à long terme
Créateurs
Tolérance à l’ambiguïté et à l’incertitude
Energiques
Initiative
Persévérants
Apprentissage
Originaux
Utilisation de ressources
Optimistes
Sensibilité envers les autres
Orientés vers les résultats
Agressivité
Flexibles
Tendance à faire confiance
Débrouillards
Argent comme mesure de performance
Sources : Hornaday, 1982, Meredith, Nelson et al., 1982, Timmons, 1978
Tableau 3 : Caractéristiques les plus souvent attribuées aux entrepreneurs
par les psychologues du comportement selon Filion (1997:9)
Un grand nombre de recherches quantitatives ont cherché à valider ces traits. Mais leurs
résultats apparaissent variables et parfois contradictoires du fait notamment de problèmes
d’échantillons. Ceci conduit Filion (1997) à conclure qu’il est impossible de définir un profil psychologique absolu de l’entrepreneur permettant de prédire si un individu peut ou non
devenir entrepreneur sur la base de ses traits de personnalité. Il poursuit en proposant que
les variables d’environnement (influence des normes sociales, du milieu familial, du capital disponible social et financier, des alternatives d’emploi et bien sûr des opportunités de marché…) jouent un rôle prédicteur supérieur à celui de la personnalité sur le fait de se lancer ou non en affaires.
Il n’en reste pas moins que des outils de mesure des inclinations entrepreneuriales fondés
sur ces approches existent (notamment la mesure du potentiel entrepreneurial19 de Gasse et
Tremblay (2006), le test GET « General Enterprising Tendency » de la Durham Business
School20). Réexaminant l’ensemble des traits retenus, les deux études argumentent que leur
outil présente un bon degré de validité interne et constitue un moyen de mesure bien utile
pour les praticiens en l’absence de définition qui fasse consensus sur l’esprit d’entreprendre
(Cromie, 2000, Gasse, 2011). Toutefois, ils reconnaissent aussi qu’il n’est pas démontré que ces tests suffisent pour expliquer le comportement entrepreneurial ni pour prédire la
création d’entreprise. Cromie (2000) suggère une compréhension plus profonde du
processus qui prépare à entrer dans la carrière entrepreneuriale.
Malgré tout, d’autres recherches plus récentes invitent à réexaminer les liens entre personnalité et choix de carrière entrepreneurial. Elles apportent des nouvelles
modélisations de la personnalité basées sur les Big five (FFM), des recherches longitudinales
19
Le modèle de profil entrepreneurial de Gasse et Tremblay (2006) recense trois types de caractéristiques : des motivations
(réalisation, défi, autonomie, leadership), des aptitudes (responsabilité, confiance en soi, persévérance, esprit d’équipe,
créativité, effort/énergie, débrouillardise) et des attitudes (vis-à-vis du risque/initiative, destin/chance, succès/échec,
action/temps, changement). Il a été testé auprès de 600 élèves du primaire au Québec (Gasse, 2011). L’instrument de mesure testé (60 questions) montre un bon degré de consistance interne des trois dimensions et du profil global.
20
Le GET test mesure 5 traits : le besoin d’accomplissement, le besoin d’autonomie, la créativité, la capacité à prendre des risques, le locus de contrôle interne.
34
plus sophistiquées et des liens avec les théories des préférences de carrière. Barrick et Mount
(2005) à partir d’une large revue d’articles basés sur les Big Five, affirment que la personnalité permet de prédire la performance au travail, modérément mais mieux que
d’autres prédicteurs testés comme le niveau intellectuel ou les facteurs biographiques. Deux traits de personnalité influencent la performance21 dans toutes les professions : le fait d’être consciencieux et la stabilité émotionnelle. Les trois autres dimensions (extraversion,
ouverture et agréabilité) sont spécifiques à certaines professions. En ce qui concerne les
entrepreneurs, en croisant l’analyse de la personnalité par le FFM et les préférences professionnelles investiguées dans le conseil en orientation de carrière (modèle RIASEC22
basé sur la théorie de Holland, 1978, 1985, 1996), il apparait que l’intérêt professionnel pour l’entrepreneuriat est corrélé avec deux dimensions de la personnalité : l’ouverture et
l’extraversion (Barrick, Mount et Gupta, 2003). Par ailleurs, Amstrong et Vogel (2009) ont démontré statistiquement que le modèle RIASEC est consistant avec le modèle plus récent
du développement de carrière issu de la notion d’auto-efficacité de Bandura (SCCT : Social
Cognitive Career Theory de Lent, Brown et Hackett, 1994), suggérant que l’intérêt professionnel et l’auto-efficacité contribuent à façonner une identité professionnelle stable.
Pour résumer les acquis actuels en matière de liens entre la personnalité et les carrières
entrepreneuriales, nous proposons le schéma suivant. Nous avons représenté par des traits
pleins les construits stabilisés. Par contre les construits ou les relations qui restent à l’état d’hypothèses exploratoires sont représentées en pointillé.
Figure 3. Relations entre personnalité, carrière et identité professionnelle en entrepreneuriat
Ceci conduit à faire l’hypothèse pour les entrepreneurs, que même s’il n’y a pas de déterminisme, l’identité entrepreneuriale pourrait se construire à partir de prédispositions
dans la personnalité (ouverture et extraversion) influant sur les intérêts professionnels. La
perception d’auto-efficacité apparait liée à ce processus d’orientation de carrière. Or la
notion d’auto-efficacité apparait comme un concept central largement utilisé en
21
La performance au travail est mesurée ici à la fois intrinsèquement (satisfaction éprouvée par la personne) et
extrinsèquement (statut social dans une échelle de professions).
22 Le modèle RIASEC est le modèle de référence utilisé dans le conseil en orientation de carrière. Il définit 6 types d’intérêts professionnels en fonction des motivations, valeurs, buts et aspirations de la personne : (R) réaliste, (I) investigateur, (A)
artistique, (S) social, (E) entreprenant et (C) conventionnel. Ces intérêts ont été validés comme stables sur des périodes de plus
de vingt ans d’intervalle (Costa, McCrae et Holland, 1984, Lubinski, Benbow et Ryan, 1995), ils se mettent en place vers 16-18
ans et se stabilisent vers 25 ans.
35
entrepreneuriat à la fois pour expliquer l’avènement des intentions entrepreneuriales et la manière d’apprendre ou de penser spécifique des entrepreneurs.
B2 - L’auto-efficacité, l’identité et les intentions entrepreneuriales : des trajectoires
Auto-efficacité, concept et espace de soi et identité.
L’auto-efficacité est définie par Bandura (1986) comme les croyances qu’entretient un individu quant à sa capacité de réaliser une tâche particulière ou d’affronter efficacement une situation précise. Elle nous fait insensiblement glisser de la notion de personnalité comprise
comme des dispositions inchangeables à une vision de la personnalité entendue comme des
dispositions perçues par l’individu et donc modifiables23, c’est-à-dire plus proche de l’identité et du concept de soi. Par ailleurs, il est utile de noter du point de vue éducatif que les
perceptions d’auto-efficacité sont reliées à l’engagement de l’individu dans des activités
précises contextualisées avec des enjeux spécifiques et des exigences de performance24. On
est donc plus proche de la notion intuitive de capacité que de la notion de qualité
personnelle.
Synthétisant une large revue de littérature en entrepreneuriat, Mauer, Neergard et
Kirketerp-Linstad (2009) rappellent que l’auto-efficacité entrepreneuriale a été étudiée par
de nombreux auteurs à partir de l’analyse de l’activité des entrepreneurs. Un large consensus s’est formé autour de 26 activités typiques (modèle de Chen, Green et Crick, 1998) résumées
en 5 dimensions (marketing, innovation, management, prise de risque et contrôle financier)
parmi lesquelles seules les dimensions d’innovation et de prise de risque différencient les entrepreneurs, les trois autres étant communes avec les managers. Ce modèle a été remis en
cause par un modèle alternatif réduisant la spécificité de l’activité entrepreneuriale à 6 domaines : le développement de nouveaux produits ou opportunités de marché, la
constitution d’un environnement innovant, l’initiation de relations avec des investisseurs, la définition d’un but central (core purpose), la capacité à faire face à des défis inattendus, et le développement des ressources humaines critiques (De Noble, Jung et Ehrlich, 1999). Des
études plus récentes s’accordent finalement à n’en retenir que 4 : l’identification de nouvelles opportunités de business, la création de nouveaux produits/services, la pensée
créative et la vente d’une idée ou d’un développement (Hao, Seibert et Hills, 2005,
Sardshumukh et Corbett, 2008).
La perception que l’on a de ses capacités est un élément fondamental du concept de soi. Pour Filion (1999), la manière dont s’organise le concept de soi oriente les centres d’intérêt 23 « Selon la théorie socio-cognitive, une disposition efficace de personnalité est un système de croyances dynamique et
multiforme qui agit sélectivement à travers divers domaines d’activité et sous diverses exigences situationnelles, plutôt qu’un
conglomérat décontextualisé. L’expression individuelle des croyances d’efficacité représente l’unique manifestation dispositionnelle de l’efficacité pour chaque personne ». Bandura, 1986 :70
24
Il existe des échelles de perception d’auto-efficacité générale (Sherer et al. 1982, Schwarzer et Jerusalem, 1995, Chen et al.
2001) qui mesurent les croyances d’un individu vis-à-vis leur capacité à effectuer avec performance plusieurs tâches nouvelles et
difficiles dans différents domaines ou dans différentes situations. Une étude récente en entrepreneuriat (Baronet et al, 2011)
testant l’échelle de Schwarzer et Jerusalem auprès d’étudiants canadiens montre qu’elles ont un impact positif sur l’autoefficacité entrepreneuriale.
36
de la personne : ses intentions, ses projets notamment ses besoins et projets d’apprentissage qui permettent de construire habiletés et compétences, lesquelles à leur tour alimentent le
concept de soi. Celui-ci se construit à l’intérieur de l’espace de soi25, c’est-à-dire l’espace psychologique individuel de chacun. Cet espace signale la liberté que chacun peut prendre
par rapport aux normes sociales de son environnement. En émigrant, en quittant son milieu
familial, en changeant de région, en changeant éventuellement de profession, l’individu peut
construire un nouvel espace de soi. Les transitions identitaires constituent un moment
privilégié de remaniement de l’espace de soi. Pour Filion (2000 :14) ce concept est majeur en
entrepreneuriat et en éducation : « L’étude sur le terrain de plusieurs centaines
d’entrepreneurs dans une quarantaine de pays au cours des 20 derniers ans m’a appris que ce
qui explique le mieux ce que sont et ce que font les entrepreneurs est le concept de l’espace de soi. Les entrepreneurs identifient des espaces à occuper dans le marché, puis apprennent à
occuper ces espaces en créant leur entreprise. Celles et ceux qui réussissent le mieux y
parviennent parce qu’ils ont déjà appris à créer, conserver, développer leurs propres espaces dans les systèmes familiaux et sociaux où ils ont évolué au préalable. La logique de cette
observation conduit à ce que pour mieux réussir, les entrepreneurs puissent apprendre à
maîtriser l’apprentissage de la création et de la gestion d’espace de soi et d’espaces d’autrui pour celles et ceux qui les entourent ».
Cette proposition est confirmée par des recherches récentes sur la cognition
entrepreneuriale. Krueger (2007) explique que l’entrepreneur expert par rapport à l’entrepreneur novice serait caractérisé par la capacité à faire évoluer ses croyances
profondes à partir des leçons de l’expérience. Or les principales croyances profondes citées sont les identités de rôle (attentes de rôles et capacités perçues à endosser le rôle : est-ce
que je me vois comme un entrepreneur ?). L’auteur cite plusieurs études qui montrent que
les niveaux d’auto-efficacité entrepreneuriale d’étudiants de sexes ou de couleurs différents sont corrélés à des perceptions différentes d’identités de rôle. Le développement des capacités et leur perception sous forme de croyances d’auto-efficacité renvoie donc à celle
plus profonde de l’identité professionnelle. Nous pouvons faire l’hypothèse que cette croyance profonde permettrait de distinguer les futurs entrepreneurs et qu’elle n’est pas facile à déplacer chez les individus ne disposant pas de modèles identitaires favorables. Quels
objectifs fixer alors pour les jeunes qu’on aimerait rendre plus entreprenants ?
Les individus entreprenants : une auto-efficacité garantissant l’employabilité ? Une piste à
explorer.
Mauer et al. (2009) ne discutent pas malheureusement la question de savoir si l’autoefficacité entrepreneuriale caractérise aussi des activités préalables engageant des individus
entreprenants avant même qu’ils aient même l’idée d’entreprendre. Mais ces auteurs
suggèrent, reprenant le modèle d’entrainement de l’auto-efficacité proposé par Bandura
(1997), que l’auto-efficacité entrepreneuriale se construit progressivement à partir de quatre
25
« Comment définir ce qu’est l’espace de soi ? C’est le lieu de soi, l’espace psychologique individuel de chacun. C’est l’étendue dans laquelle est localisé l’ensemble évolutif et opérationnel du concept de soi. L’espace de soi, c’est la configuration spatiale et
systémique qui entoure le concept de soi. L’amplitude de sa frontière détermine le territoire qui renferme la marge de
manœuvre qu’utilise le concept de soi pour se former puis évoluer ». Filion, 2000 :16
37
sources : l’expérience de réussites antérieures, l’expérience vicariante (le fait de voir réussir
quelqu’un qui me ressemble), la persuasion verbale ou modelage (des personnes plus expérimentées qui m’en convainquent) et un état physiologique positif (énergie, enthousiasme). Il est donc raisonnable de penser qu’il est possible de former des personnes
croyant qu’elles sont capables d’agir comme des entrepreneurs, en leur faisant vivre des expériences préalables présentant des degrés de similitude avec les situations
entrepreneuriales, en leur procurant des modèles et en favorisant l’installation de sentiments positifs.
Cette auto-efficacité qu’on pourrait qualifier de pré-entrepreneuriale pourrait ouvrir aussi
des perspectives vers d’autres carrières. En effet, Grégoire, Bouffard et Cardinal (2000) ont fait un large inventaire d’études empiriques sur les relations entre l’auto-efficacité et la
formation des intérêts vocationnels des individus, les décisions qu’ils prennent au regard de leur carrière et la persistance dont ils font preuve dans leurs stratégies de recherche
d’emploi. Les résultats rapportés montrent que les individus développent effectivement des
intérêts professionnels non seulement à partir de leurs habiletés objectives mais aussi à
partir de leurs croyances dans leurs capacités à les utiliser. Que par ailleurs, les individus qui
ont des attentes d’efficacité élevées sont moins indécis dans leurs stratégies de carrière, sont plus enclins à aller chercher les informations susceptibles de guider leurs décisions et
démontrent moins d’anxiété et plus d’engagement à l’égard de leurs décisions. Enfin que
lorsqu’ils se sentent efficaces, les individus investissent plus d’effort et persistent plus longtemps devant les obstacles qu’ils rencontrent. L’étude des comportements entreprenants menant à des carrières non entrepreneuriales
commence à être étudiée de manière empirique. Malheureusement les construits théoriques
fondant la caractérisation des qualités, comportements ou identités entreprenants ne sont
pas référés à la notion d’auto-efficacité entrepreneuriale mais à des construits beaucoup plus
vastes caractérisant la culture ou le fonctionnement organisationnel. Par exemple, dans une
étude empirique sur les stratégies de recherche d’emploi d’étudiants dans le secteur touristique, Weaver (2011) considère la recherche active d’opportunités, la prise d’initiatives, la promotion de soi et la construction d’un réseau comme un signe manifeste de culture entrepreneuriale des étudiants : « Graduates see themselves and others as possessing
entreprising qualities and capable of becoming entrepreneurs of their own abilities »
(2011 92). Dans cette recherche, la notion de culture entrepreneuriale empruntée à Keats et
Abercrombie (1991) est très globale : elle intègre une dimension économique et
institutionnelle ainsi qu’un ensemble de traits individuels. De leur côté, Harshorn et Sear
(2005) proposent que les capacités entrepreneuriales sont des capacités-clés pour
l’employabilité. Les auteurs s’appuient sur deux sources : l’une empirique (les besoins de compétences identifiés auprès d’entreprises de la région de Durham et du Tyne & Wear) et l’autre théorique (les dimensions de l’orientation entrepreneuriale d’une entreprise de Lumpkin et Dess26, 1996). En rapprochant les deux éléments, ils proposent une liste de cinq
capacités de base qui pourraient s’analyser à partir de la notion d’auto-efficacité : innovation
26
Le construit de l’orientation entrepreneuriale de Lumpkin et Dess est organisationnel. Il s’intéresse au « comment les choses
sont faites » dans une organisation entrepreneuriale (ex. la prise de décision). 5 dimensions y sont proposées : la proactivité, la
compétition intense, l’autonomie, l’innovativité, la prise de risque.
38
(résolution de problèmes complexes, créativité), autonomie, prise de risque, pro-activité,
compétition (traduite au niveau individuel comme une exigence de vigilance vis-à-vis des
opportunités d’emploi ou de marché). Faisant appel à un tout autre cadre théorique, introduisant un dossier spécial sur l’identité entreprenante (« enterprising selves ») Gleadle
Cornelius et Pezet (2008) la réfèrent à un changement de régime de gouvernementalité,
c'est-à-dire au mode d’exercice du pouvoir analysé par Michel Foucault27. S’appuyant sur plusieurs recherches empiriques sur les consultants, ils expliquent que ces derniers
représentent l’archétype de l’identité professionnelle entreprenante, en tant que capacité à
auto-diriger sa carrière, à s’auto-promouvoir et à mener le changement.
On voit que la notion d’identité entreprenante est pertinente mais que ses fondements théoriques actuels établissent un pont discutable entre la notion d’identité individuelle et les
modes de fonctionnement organisationnels. Le rapport de l’individu à sa carrière, sa manière d’exercer du pouvoir sur son environnement, d’explorer et de s’engager dans une voie semblent au cœur de la question. Mais il reste d’une part, à fonder théoriquement les
contours de cette identité professionnelle. La notion d’auto-efficacité entrepreneuriale
pourrait fournir une piste à condition de la référer à des situations clairement identifiées et
concernant les jeunes. Et d’autre part, il faut aussi comprendre comment cette autoefficacité se construit dans le temps, à travers une succession de situations et de processus
d’apprentissage direct, vicariant ou par modelage si l’on suit le modèle de Bandura (1997). Il s’agit donc de trajectoires à explorer.
La figure suivante résume nos investigations théoriques à ce stade.
Figure 4. Modèle exploratoire sur la construction des identités entrepreneuriales et
entreprenantes à partir de la notion d’auto-efficacité entrepreneuriale
27
“A regime of governmentality is defined as « the ensemble formed by the institutions procedures, analyses and reflections, the
calculations and tactics that allow the exercise of this very specific albeit complex form of power, which has as its target
population, as its principal form of knowledge political economy, and as its essential technical means apparatuses of security.”
(Foucault, 1978:102). Although many researchers have observed governmentality in terms of macro-economic policy, the
present research focuses on emerging forms of agency of the citizen, which political and managerial discourse promote as
enterprising” (Gleadle et al. 2008:308)
39
On voit que la notion d’auto-efficacité est centrale, mais que beaucoup reste à faire pour
opérationnaliser les construits de l’identité entrepreneuriale, conceptualiser l’identité entreprenante et comprendre leurs processus de construction.
A l’heure actuelle, le modèle largement utilisé en éducation universitaire pour analyser la position des étudiants vis-à-vis de l’entrepreneuriat est basé sur la notion d’intention. Il associe la notion d’auto-efficacité à deux autres notions, liées à l’identité entrepreneuriale :
les attitudes vis à vis de l’entrepreneuriat et les normes subjectives28. Dans ses dernières
conceptualisations, il présente aussi le mérite de permettre de questionner le processus
temporel sous-jacent en éducation.
Attitudes et normes subjectives favorables, Auto-efficacité et intention d’entreprendre, un processus temporel à continuer d’investiguer.
Depuis une vingtaine d’années, les chercheurs en entrepreneuriat utilisent deux théories, la théorie psychologique du comportement planifié d’Ajzen (1991) appliqué à l’entrepreneuriat par Krueger (1993, 1994, 2000) et la théorie de l’événement entrepreneurial de Shapero et Sokol (1982) pour conceptualiser l’intention de créer une entreprise. Les avancées actuelles de ce courant de recherche montrent que trois perceptions doivent être réunies chez un
individu pour qu’il ait consciemment cette intention : une perception de faisabilité de la
carrière entrepreneuriale, une perception de désirabilité de cette carrière et une perception
d’opportunité de business. Trois facteurs permettent de prédire ces perceptions : des
attitudes favorables au choix de carrière entrepreneurial par opposition à une carrière en
tant que salarié, des normes subjectives favorables et l’auto-efficacité entrepreneuriale. Les
attitudes favorables démontrées par Kolvereid (1996, a et b) sont la recherche
d’opportunités économiques, le goût pour les défis, l’autonomie, le goût pour la responsabilité, le besoin d’accomplissement, la volonté de participer à l’ensemble d’un processus. Au contraire les attitudes défavorables qui orientent plutôt vers des carrières de
salarié sont la recherche de stabilité et de sécurité, le désir de limiter la charge et la
complexité du travail, le besoin de collégialité au travail, l’aversion pour les responsabilités et
la recherche d’opportunités de carrière. Dans sa recherche doctorale sur l’esprit d’entreprendre, Rajhi (2011 :111) a repéré d’autres répertoires d’attitudes utilisés en entrepreneuriat (Toulouse (1990), Crant (1996), Shepherd et Douglas (1997), Gasse et
d’Amours (2000) permettant de caractériser plus particulièrement les dimensions
comportementales (conatives) des attitudes entrepreneuriales : l’attitude envers le destin (proche de la notion de locus de contrôle), l’attitude envers l’indépendance, l’attitude envers le risque, l’attitude envers le travail, l’attitude envers le revenu, l’attitude envers l’innovation.
Le fait d’avoir intériorisé des normes sociales favorables veut dire que l’individu est convaincu que les personnes qui comptent pour lui seraient favorables au fait qu’il s’oriente dans la carrière entrepreneuriale et le soutiendraient le cas échéant. La figure suivante
28
Les normes subjectives correspondent aux normes sociales perçues par l’individu à travers l’attitude de son entourage : s’il s’orientait vers l’entrepreneuriat, qu’en diraient à son avis, les personnes qui comptent pour lui (parents, amis…) ?
40
résume le modèle d’intention largement utilisé actuellement en éducation à l’entrepreneuriat.
Figure 5. Modèle d’intention adapté de Krueger et al. (1993, 1994, 2000)
à partir d’Ajzen (1991) et Shapero et Sokol (1982).
Ce modèle présente le grand avantage d’offrir un moyen d’évaluer l’impact des formations à l’entrepreneuriat en milieu universitaire, en effectuant des mesures avant et après la formation. En effet, le pouvoir prédicteur sur l’intention des attitudes, des normes subjectives et dans une moindre mesure de l’auto-efficacité a été largement validé. De plus,
on peut faire l’hypothèse que les trois éléments du modèle peuvent être développés bien avant que ne se forme une intention. Certaines attitudes déclinées ici vis-à-vis du choix de
carrière, peuvent en effet être construites et renforcées bien plus tôt vis-à-vis d’activités de projets de toutes sortes dès lors qu’ils comportent des enjeux motivants pour les élèves et des défis. De même, s’il l’on ne peut modifier l’entourage familial des élèves influant sur
leurs choix de carrière, il est envisageable de développer des cultures de classe ou de
groupes de camarades et de nouer des relations chaleureuses et stimulantes avec des
entrepreneurs afin d’influencer favorablement leurs perceptions normatives. Enfin, c’est généralement l’objectif majeur en éducation que d’agir sur les sentiments de compétence (ou perceptions d’auto-efficacité). Mais encore faut-il que les compétences dont il est
question soient définies non comme des compétences de création d’entreprise mais comme des compétences de réalisation de projets beaucoup moins complexes ou en d’autres termes, que le processus de développement des compétences entrepreneuriales soit connu.
Or ce n’est pas véritablement le cas et c’est bien une limite majeure du modèle. Sachant que les intentions se déclarent quelquefois au cours des études supérieures et plus généralement
après plusieurs années d’expérience professionnelle, que se passe-t-il avant ?
Les enquêtes longitudinales basées sur le modèle d’intention, que nous avons menées avec la thèse de Yifan Wang sur le public des élèves-ingénieurs français sur des périodes de 3 à 5
ans montrent que les intentions sont loin d’être stables au cours de la formation initiale 41
(Wang, 2010, Wang et Verzat, 2011), retrouvant des résultats qualitatifs préliminaires de
Moreau (2006). Plusieurs chercheurs familiers du modèle d’intention suggèrent de donc raffiner le modèle, notamment de préciser l’organisation progressive des buts selon les
personnes. Ce qui permet d’avancer plusieurs approches du processus de formation des
intentions. En s’appuyant sur la distinction proposée par Bagozzi et Dhollakia (1999) entre but focal (objectif direct de mon action), but super-ordinal (l’objectif final que je souhaite
atteindre) (et but subordonné (comme moyen d’atteindre le but focal), Elfing, Brännback et Carsrud (2009) suggèrent que la création d’entreprise soit le but super-ordinal, la perception
d’auto-efficacité soient de l’ordre d’un but focal, alors que l’intention dépendant de perceptions d’opportunité serait de l’ordre d’un but subordonné. Hindle, Klyver et Jennings (2009) font l’hypothèse de leur côté, que les intentions sont plus fréquentes chez les personnes dont le niveau d’éducation est plus élevé, chez celles qui ont déjà une expérience
antérieure, et chez celles dont le réseau social est plus important ou mieux inséré dans les
milieux entrepreneuriaux, a plus forte raison chez les femmes, moins avantagées que les
hommes pour démarrer une entreprise. Ce qui revient à dire que ces facteurs (capital
éducatif, expériences antérieures, insertion dans les réseaux économiques et
entrepreneuriaux) seraient des préalables indispensables à la formation des intentions. Ou
autrement dit que la perception d’auto-efficacité peut être développée par l’exposition à des situations préliminaires et/ou l’insertion dans les milieux entrepreneuriaux.
Bagozzi et Dhollakia (1999, 2003) repris par de nombreux auteurs, suggèrent une théorie de
l’essai qui distingue des étapes dans la formation des désirs et des buts vers la création
effective. Ces étapes sont reproduites dans le schéma suivant. On y constate l’introduction de variables émotionnelles dans le processus de décision et d’engagement vers la création. Les émotions et la confiance déclenchent des désirs de s’engager (en bleu). Ces désirs sont considérés comme des préalables à la formation des intentions (en vert). Celles-ci sont liées à
des processus plus « rationnels » seconds, comme l’évaluation des possibles et la prise en
compte des normes, attitudes, et croyances de contrôle parmi lesquelles la perception
d’auto-efficacité. Notre expérience d’accompagnement d’étudiants ingénieurs ou entrepreneurs nous incite à penser que la variable émotionnelle est effectivement un
puissant levier des désirs d’entreprendre. Mais sont-ils premiers par rapport à des intérêts
vocationnels issus des attitudes et normes subjectives dirigeant la formation des identités
professionnelles ? Dans quel ordre se construisent les buts de différents ordres ? Seules des
recherches longitudinales approfondies permettront de répondre à cette question.
42
Figure 6. Théorie de l’essai de Bagozzi et al. (1999, 2003).
En tout état de cause, l’introduction de ces variables émotionnelles est inspirée des dernières
avancées sur la cognition entrepreneuriale. C’est la troisième source théorique, la plus récente, qui nous permet d’approcher la définition de l’esprit d’entreprendre. Elle nous invite à nous représenter l’esprit d’entreprendre comme une façon d’agir et de penser « comme les
entrepreneurs ».
B3 – Agir et penser comme des entrepreneurs, les apports récents de l’étude de la cognition entrepreneuriale.
Les chercheurs compétents en cognition entrepreneuriale s’accordent à dire que les
entrepreneurs ne raisonnent et n’agissent pas comme le commun des mortels, ni comme les managers avec lesquels ils ont pourtant des compétences communes.
Ce qui constitue l’agir spécifique des entrepreneurs, c’est la capacité à identifier et exploiter
des opportunités avant les autres. Cela suppose d’une part d’innover, c’est-à-dire d’imaginer des nouveaux produits ou services alors qu’ils n’existent pas et d’identifier le marché solvable qui permettra de les faire naître puis de les développer. Et d’autre part de construire progressivement l’organisation permettant d’exploiter ces opportunités en combinant des ressources accessibles (capitaux, équipe, savoir-faire, technologies, réseaux, partenaires,…). Ce double challenge est caractérisé par l’urgence (le plus rapide sur le marché remporte la mise) et l’incertitude (très peu de connaissances disponibles). Pour y faire face, les entrepreneurs doivent mettre en œuvre deux modalités du rapport de la pensée à l’action basées sur l’expérimentation et fréquemment sous-développées dans l’éducation scolaire : la créativité et l’effectuation. Selon Matlin et Brossard (2001 :516) la créativité peut
être définie comme la résolution de problème d’une manière à la fois novatrice et utile. Ce qui suppose la mise en œuvre de trois types de capacités selon Amabile (1983) un style
cognitif ouvert29, des heuristiques30 poussant à essayer systématiquement quelque chose
29
Selon Amabile, 1983, citée par Howard, 2006 :614, on peut caractériser un style cognitif ouvert par la capacité et la volonté à
aller au-delà des perceptions habituelles, à être l’aise avec la complexité, à maintenir les options ouvertes sans les clore trop rapidement, à suspendre le jugement plutôt que de réagir en bien/mal, à être à l’aise avec des catégories larges, à développer une mémoire précise, à suspendre les scripts de performance et à voir les choses différemment des autres.
30
Selon le dictionnaire de la langue française, un heuristique est la science qui analyse la découverte des faits.
43
d’autre ainsi qu’un style de travail positif31. L’effectuation, quant à elle, concerne plus
spécifiquement les entrepreneurs. Mise en évidence à propos des entrepreneurs par
Sarasvathy (2001), elle consiste à sélectionner des effets à partir d’un ensemble de moyens donnés, par opposition à la causation qui consiste à chercher les moyens pour créer un effet
donné. En suivant la métaphore de la cuisine, l’effectuation consiste à identifier ce qu’il y a dans le réfrigérateur et préparer un repas acceptable avec, alors qu’en suivant une démarche de causation, le cuisinier commence par choisir une recette puis se fournit les ingrédients
nécessaires pour la réaliser.
Si l’on cherche à comprendre plus précisément le fonctionnement interne sous-jacent de
l’entrepreneur lorsqu’il agit ainsi de manière effectuale et créative, deux sphères de processus inter-reliés apparaissent, l’une liée au fonctionnement mental, l’autre à la construction identitaire.
Les processus cognitifs spécifiques des entrepreneurs
Plusieurs courants de recherche récents réunis dans le livre de Casrud et Brännback (2009)
cherchent à percer la « boite noire » du fonctionnement cognitif des entrepreneurs. Au-delà
des intentions rapportées plus haut, nous avons recensé plusieurs dimensions spécifiques
souvent inter-reliées : des biais de perception, des processus de décision, des patterns
mentaux en termes d’attribution causale et de croyances de contrôle. Ces fonctionnements mentaux répétés résulteraient dans la formation de scripts experts sous forme de métarègles
ou processus de traitement de l’information typiques des entrepreneurs expérimentés par
opposition à des entrepreneurs débutants. Notons que les différentes recherches
mentionnées sont pour certaines déjà démontrées par des travaux empiriques, alors que
d’autres sont encore en cours de modélisation. Le tableau suivant résume les dimensions
cognitives que nous avons extraites32 de plusieurs chapitres de cet ouvrage.
31
Selon Amabile, 1983, citée par Howard, 2006 :614, on peut caractériser un style de travail positif par la capacité à soutenir de
longues périodes de concentration, l’abandon d’approches non productives, la persistance dans la difficulté et un haut niveau
d’énergie.
32
Nous avons fait le choix, éminemment discutable, de répertorier ici les processus mentaux indépendamment des processus
motivationnels et intentionnels traités plus haut en lien avec l’auto-efficacité. Mais comme on le voit dans le tableau, ils sont à
l’évidence liés. Toutefois, la forme de ces interrelations ne fait pas l’objet d’un consensus actuellement. La représentation que
nous en donnons dans le schéma de synthèse proposé dans la figure 5 nous appartient totalement.
44
Dimension
Biais de
perception
Emotions et
passion
Patterns ment
aux :
d’attribution causale, de
contrôle vis-àvis des risques
Scripts experts
(métarègles,
schémas de
causalité,
processus de
traitement
d’informations) Etat de la
recherche
Démontrés
AUTEURS / Eléments mis en évidence dans cette dimension
DOUGLAS E. (chapitre 1)
- tendance à la minimisation des risques grâce aux expériences préalables et l’accès à des informations rares,
- sur-confiance en ses propres capacités,
- heuristique de décision simple fondée sur un petit nombre d’informations et l’ancrage sur les informations récentes,
- recherche de profits rapides, donc d’informations peu coûteuses en temps d’acquisition
- anticipation plus forte des bénéfices personnels
- surestimation des bénéfices et sous-estimation des risques et du temps pour développer
une activité
Enquête en MICHL, T., WELPE, I.M., SPORRLE, M., PICOT, A. (chapitre 8)
cours
Les entrepreneurs ont des émotions intenses positives ou négatives, qui influent sur
l’évaluation et l’exploitation d’opportunités, et sont liées aux espérances de succès et de gain.
Les émotions positives ont pour effet : le renforcement de l’engagement, la capacité à endurer le stress, l’optimisme, la sous-évaluation des risques, la recherche d’information réduite, la décision rapide, le renforcement de la vigilance, la créativité,
Les émotions négatives ont pour effet : l’évitement, la prévention des risques et de l’échec, la concentration supérieure et l’examen plus détaillé des informations, le soutien moins important du réseau social,
Enquête en
DRONOVSEK, M. , CARDON, M.S., MURNIEKS, C.Y. (chapitre 9)
cours
La passion (sentiment positif profond et durable affectant l’identité du/des entrepreneurs en tant qu’inventeur, fondateur et/ou développeur) est plus ou moins partagée au sein des équipes entrepreneuriales, ce qui génère des caractéristiques de fonctionnement d’équipe (cohésion, conflits cognitifs ou affectifs)
Démontrés
SHAVER K.G. (chapitre 10)
Patterns d’attribution causale dans l’analyse des événements : moins de biais d’attribution interne des succès et externe des échecs que la moyenne, majorité d’attributions externes–
stables (attribution à la chance) face aux opportunités, et d’attributions externes-variables
(attribution à la difficulté des tâches) face aux problèmes.
Modélisation MONSEN E., URBIG D. (chapitre 12)
en cours
Les perceptions du risque des entrepreneurs sont évolutives et fonction à la fois de leur autoefficacité et de leurs croyances de contrôle (locus interne/externe).
Mise au
MITCHELL R.K., MITCHELL B.T., MITCHELL J.R. (chapitre 6)
point de
issus de caractéristiques individuelles, d’expériences antérieures, des ressources disponibles,
l’instrument de formation antérieure, et des caractéristiques de l’organisation de l’entrepreneur, les scripts de mesure
concerneraient 3 domaines principaux (mesure en cours de construction) :
- l’arrangement des ressources de l’environnement (capital, contacts, opportunités)
- la volonté d’agir
- la reconnaissance d’opportunités
Tableau 4. Dimensions de la cognition entrepreneuriale recensées
à partir de Carsrud et Brännback (2009).
Tous ces éléments contribuent à construire une perception d’« auto-efficacité
entrepreneuriale » dont nous avons vu plus haut les caractéristiques (modèle de référence
de Chen et al. 1998, remis en cause par De Noble et al., 1999 puis Hao, 2005 et Sardshumukh
et Corbett, 2008, selon la synthèse de Mauer et al., 2009). Selon ces auteurs, si l’on se place du point de vue du fonctionnement cognitif, cette perception de compétence provient d’un processus éminemment basé sur l’apprentissage expérientiel33. Il consiste à convertir les
succès et les échecs perçus dans toute expérience en leçons pour l’avenir dans les 33
Notons que les chercheurs en entrepreneuriat ont à notre connaissance, encore peu mobilisé les théories en éducation qui
traitent de l’apprentissage expérientiel et des styles d’apprentissage qui y sont liés (théorie de Kolb, 1984). Ce point sera
développé dans la partie suivante. D’une manière générale, le pont entre recherche en entrepreneuriat et sciences de
l’éducation reste à construire. Notre programme de recherche s’inscrit directement dans cette perspective.
45
domaines de l’identification d’opportunités de business, la création de nouveaux produits, la commercialisation des innovations et la prise de risque acceptable.
D’après plusieurs chercheurs, ce style cognitif apparait étroitement lié à un socle de processus motivationnel et identitaire.
Les processus motivationnels et identitaires liés au mode de pensée entrepreneurial.
Comme nous l’avons vu plus haut, la perception d’auto-efficacité a un rôle motivationnel
important dans le processus de formation des intentions entrepreneuriales (Krueger, 2009).
Plus loin, la recherche de Elving (2008) citée par Carsrud, Brännback, Elfving et Brandt
(2009 :161) met en évidence des liens forts entre la motivation, les perceptions d’autoefficacité et les processus cognitifs. Elfving montre qu’il existe plusieurs degrés de motivations possibles selon les entrepreneurs (extrinsèque vis-à-vis d’un business spécifique, intrinsèque vis-à-vis de l’activité entrepreneuriale, mixte centrée sur l’indépendance) et que
les personnes concernées diffèrent en matière de perception d’auto-efficacité et de
processus cognitifs préférentiels34.
La perception d’auto-efficacité constitue ainsi la face émergée d’un socle de croyances identitaires profondes ou « concept de soi » défini par Filion (2008) comme la manière dont
l’entrepreneur se perçoit et l’estime qu’il a de lui-même. Filion montre que la perception de
ses propres capacités et de ses motivations oriente les champs d’intérêt de l’entrepreneur, définit ses besoins d’apprentissage et engendre la sélection des représentations. Un cycle socio-cognitif conjoint d’apprentissage et de construction de soi est donc à l’œuvre : Afin de
mener son projet, l’entrepreneur (ou le futur entrepreneur) apprend, sélectionne des informations utiles et construit des représentations qu’il doit vendre, ou tout au moins faire partager à des parties prenantes externes (clients, financeurs, fournisseurs…) pour aboutir à la mise sur le marché. Ce faisant, il joue un rôle social qui le met en scène et impose une
définition de lui-même comme auteur-organisateur du projet. On sait par l’étude des critères de jugement des accompagnateurs et financeurs de projet que l’image que l’entrepreneur donne de lui-même - telle qu’elle peut être perçue par ces acteurs externes - est capitale
pour qu’ils accordent de la crédibilité au projet. Dans cette définition de soi, l’entrepreneur
prend souvent une certaine liberté – puisée dans l’espace psychologique nommé par Filion « espace de soi » - avec les normes sociales (attentes de rôle social) reçues de son milieu
d’origine.
De fait, d’après nos recherches auprès de porteurs de projet de création d’entreprise d’âges très variés (y compris chez les étudiants encore au stade de l’exploration sans intention réelle de passer à l’acte), le projet de création d’entreprise est le support d’un important travail de remaniement identitaire (Verzat, Gaujard et François, 2010). Le projet de création
34
Les entrepreneurs à motivation extrinsèque se sentent particulièrement compétents dans leur business, ont une pensée
visionnaire non focalisée, ne savent pas comment chercher de l’information et prennent des décisions intuitives. A l’opposé, les entrepreneurs à motivation intrinsèque sont fiers de leur pouvoir d’influence dans un réseau, ont un mode de pensée centré sur
l’innovation, la création d’opportunités, l’heuristique de décision et qu’ils n’ont pas le temps de chercher des informations. Quant aux entrepreneurs mixtes, ils sont surtout analytiques et focalisés sur l’entreprise, ce sont des découvreurs d’opportunité
et de grands utilisateurs d’information.
46
occasionne à chaque fois une redéfinition de soi typique des périodes de transition
identitaire. Les psychologues du développement (Levinson, 1978, Dupuis, 1986, Houdé,
1996) montrent en effet que le développement de l’identité adulte ne se produit pas de manière linéaire. Il existe des périodes dites de transition, d’environ 5 ans au milieu de phases identitaires stables, dans lesquelles les personnes redéfinissent leur vision d’ellesmêmes, leurs valeurs, leurs capacités, en s’engageant dans des projets personnels ou professionnels afin de dépasser les contradictions entre les normes sociales perçues
(demandes de la famille ou du groupe social auquel le sujet appartient) et les désirs du sujet.
Chez les treize porteurs de projet que nous avons interrogés (Verzat et al. 2010), le projet de
création avait un but implicite de nature identitaire : selon les personnes, il permettait de
faire reconnaître des compétences sous-estimées, de revendiquer des valeurs personnelles
identifiées à celles du produit ou du service proposé, de prendre le statut d’hommeorchestre en lieu et place d’un rôle d’exécutant ou encore d’afficher une stature de futur patron.
Ce processus de redéfinition de soi, observé dans les projets de création d’entreprise pourrait-il s’observer dans les transitions vécues au cours de la jeunesse, au travers d’engagement dans des projets pré-entrepreneuriaux vécus à l’école ? De nombreux auteurs à l’interface de la psychologie, la sociologie et l’éducation invitent à en
faire l’hypothèse. Car tous mettent en évidence le fait que l’engagement dans des projets et dans l’apprentissage en général consiste dès le plus jeune âge à construire à la fois des
connaissances et une identité personnelle et sociale. Comme le dit par exemple très
simplement Perrenoud (2004 :5) dans un très beau texte sur les processus cognitifs, affectifs
et identitaires engagés dans l’apprentissage, apprendre, entre autres, c’est changer : « Au fil
des apprentissages, on devient quelqu’un d’autre, on transforme sa vision du monde et des problèmes. Certains ne s’en rendent pas compte, d’autres vivent fort bien ce changement intellectuel mais aussi identitaire, d’autres encore y résistent vigoureusement. C’est une extension du « refus de grandir », l’intuition qu’une fois qu’on saura lire, ou qu’on aura des notions de calcul de probabilités, le monde ne sera plus comme avant, il faudra assumer plus
de responsabilités et certaines tâches ingrates ». De même, Charlot (1997) explique dans une
perspective anthropologique, que tout rapport au savoir comporte à la fois une dimension
épistémique (s’approprier des contenus savants) et une dimension identitaire : « Apprendre
fait sens en référence à l’histoire du sujet, à ses attentes, à ses repères, à sa conception de la
vie, à ses rapports aux autres, à l’image qu’il a de lui-même et à celle qu’il veut donner aux autres » (Charlot, 1997 :84).
En entrepreneuriat, nous avons vu que le travail de remaniement cognitif et identitaire se fait
par sélection des représentations pertinentes pour son projet et par confrontation à des
personnes à qui il faut vendre tout à la fois son projet et soi-même en tant qu’auteur du projet. L’entrepreneur apparait comme un praticien réflexif au sens de Schön (1983, 1993),
qui apprend et construit des savoirs d’expérience au cours de l’action puis juste après l’action. Son fonctionnement cognitif est un processus de régulation de l’action puis de reprise de l’action a posteriori. Comme le souligne Perrenoud (2001c), l’exercice de réflexion
dans l’action et sur l’action des praticiens réflexifs est une activité mentale de haut niveau,
47
partiellement consciente. L’exercice réflexif est indissociable de la mise en situation de soi
dans la situation. Le sociologue Giddens pour qui la réflexivité est centrale dans la modernité,
la définit comme un contrôle réflexif, « C’est la conscience de soi, l’exercice de sa capacité à situer l’action par rapport à soi. Mais, elle n’est pas seulement et simplement cela. Elle est aussi et en même temps la capacité de surveiller, de contrôler le flux continu de la vie sociale
ou des contextes et de s’y situer » (Rojot, 1998 :7). Ce travail réflexif tacite est spontané chez
l’entrepreneur professionnel.
L’est-il aussi ou bien s’acquiert-il de manière consciente et régulée de manière volontariste
chez des étudiants ? Toutain (2011) montre que l’apprentissage par confrontation des
étudiants à des situations-problème motivantes s’applique particulièrement bien en entrepreneuriat. Mais pour qu’ils tirent effectivement des leçons de l’expérience, c’est-àdire qu’ils conduisent un travail réflexif efficace, il faut mettre en place des outils éducatifs
qui les aident dans les activités cognitives d’explicitation, d’analyse, d’anticipation (ou de
planification), de décentration, d’auto-évaluation et de régulation. Il faut donc éduquer
l’activité cognitive, ce qui mobilise la métacognition35, autrement dit le savoir apprendre à
apprendre. Lorsque ces conditions sont réunies, les étudiants développent des nouvelles
représentations à la fois sur le projet et sur eux-mêmes.
Nos recherches sur l’apprentissage d’une des facettes de l’esprit d’entreprendre, à savoir la créativité, nous a montré qu’effectivement le résultat de l’apprentissage consiste à la fois en
une modification des préconceptions sur la nature du travail créatif et une modification
conjointe de la perception des capacités et des désirs de faire. Dans les retours d’expérience qualitatifs des étudiants ayant participé à ce module, la créativité a changé de statut : ils ne la
considèrent plus comme un don inné pour lequel ils s’estimaient le plus souvent peu doués au départ, mais comme un ensemble d’heuristiques et de techniques qui peuvent s’apprendre. Parallèlement, ils s’estiment désormais capables de les appliquer, ils se sentent
plus créatifs. Ils ont donc spontanément envie de les transférer dans bien d’autres projets parce que c’est utile à leurs yeux, qu’ils y ont pris un grand plaisir et que c’est à leur portée (Verzat et Gaujard, 2011). Mais la transformation des représentations sur l’objet (la créativité) et sur soi (suis-je créatif ?) n’est pas automatique. Elle nécessite le passage par plusieurs phases d’apprentissage : des expériences concrètes de confrontation à un
problème à résoudre, des comparaisons entre des expériences réussies et ratées, des
expérimentations volontaristes de nouvelles techniques et in fine, une réflexion sur les
résultats atteints rapportés à la démarche réalisée. Toutes les phases du cycle de Kolb (1984)
sont sollicitées.
Au-delà de cet exemple, la question est de savoir quel type d’expérience ou d’activité d’apprentissage stimulante et réaliste permet de construire des manières d’être au monde 35
Toutain (2011) explique que la métacognition, initiée par les travaux de Flavell (1976) repose sur le principe selon lequel
l’individu placé dans une situation d’apprentissage, définit ses propres stratégies pour apprendre et rétablir ainsi une situation
rendue inconfortable par le problème rencontré. L’activité mentale qui est générée se définit alors essentiellement par l’organisation et la gestion des processus de traitement de l’information pour tenter de solutionner la situation dans laquelle il
se trouve.
48
proches de celles de l’entrepreneur et les modes de pensée associés, ce qui sera débattu
dans la partie 2. Mais avant même de réfléchir aux moyens pertinents, il nous paraît
fondamental aussi de se questionner sur la finalité : est-il souhaitable de préparer tout le
monde à adopter les manières de penser des entrepreneurs, ce qui suppose d’embrasser aussi leurs motivations, valeurs, désirs… derrière lesquels sont en gestation des identités ? Nous reviendrons sur cette question importante dans la discussion à la fin de cette première
partie (section D). Quoi qu’il en soit, il est temps de résumer nos acquis sur le mode de
penser-action caractérisant l’esprit entrepreneurial.
Synthèse de l’esprit d’entreprendre comme un penser-agir projectif, visionniste, créatif et
effectual.
Le fonctionnement socio-cognitif particulier des entrepreneurs alimente donc un double
rapport spécifique à l’action et au temps. Nous avons noté plus haut que l’entrepreneur était caractérisé par un rapport de la pensée à l’action de type expérientiel, auquel il faut ajouter une dimension créative. Les différents biais perceptifs ainsi que les heuristiques analysées
(créativité, surconfiance, optimisme, décisions rapides et intuitives, stratégie effectuale) lui
permettent d’interpréter rapidement les besoins, d’oser expérimenter du nouveau en cherchant de nouvelles combinaisons, de repérer les soutiens et les opportunités possibles,
d’estimer les risques, d’interpréter les résultats et de s’ajuster pour tenter de remporter la mise. Ce mode de pensée-action est entretenu par un rapport au temps spécifique nommé
« processus projectif et visionniste » par Filion (2008). Il permet à l’entrepreneur de percevoir dans l’environnement d’une part des potentialités de gains économiques (hauteur,
horizon temporel et probabilité de profits compte tenu de l’investissement personnel
antérieur) et d’autre part les potentialités de réalisation de soi associées à l’exercice de son métier en tant qu’inventeur, fondateur et/ou développeur de l’organisation et en tant que leader d’influence dans un réseau économique. Suivant le cycle d’entraînement de l’auto-efficacité de Bandura (1997), lorsque les
expériences de maîtrise de situations comparables sont répétées (ou d’observation de maîtrise de la part d’une personne qui lui ressemble), ou qu’il est encouragé dans ses interprétations par un mentor plus expérimenté, l’entrepreneur apprend. En termes de
comportement, cela a pour conséquence qu’il relève les défis avec une attitude positive, il apprend des erreurs, il persévère face aux difficultés, il visualise les succès, il décide luimême les conduites acceptables, il résout les problèmes de manière créative, il apprend à
gérer les situations stressantes. Tous ces processus n’excluent pas les phases de doutes, d’erreurs, d’échecs face aux multiples obstacles rencontrés en réalité. Mais ils permettent de
les surmonter. Ce cycle d’entrainement vertueux est soutenu par un processus de gestion émotionnel plus optimiste et surtout plus intense que la moyenne. Nous savons par l’étude de situations d’accompagnement d’entrepreneurs que leur cycle émotionnel subit des
variations de très forte intensité (euphorie-dépression) et que les porteurs de projet
expriment des besoins forts de soutien sur le plan personnel par des personnes extérieures
(Verzat et al. 2010). Comme pour les élèves de tous niveaux, lorsque la confiance dans la
capacité à réussir est au rendez-vous, l’apprentissage se construit. Chez les entrepreneurs, il consiste à valider progressivement des scripts d’interprétation, de décision et d’action de 49
plus en plus complexes et entretient une image positive de lui-même comme auteur du
projet.
Nous proposons ci-dessous un schéma simplifié inédit permettant de résumer ces différentes
dimensions.
Figure 7. Modèle simplifié de la cognition entrepreneuriale.
Ce schéma a le mérite de mettre en évidence un ensemble de processus qui se construisent
progressivement à travers l’analyse réflexive plus ou moins consciente d’une succession d’expériences de réussite et d’échec. On notera qu’il met particulièrement au centre la
notion d’auto-efficacité entrepreneuriale, pour laquelle nous disposons de modèles validés
et de construits opérationnalisés. De plus, cette notion centrale permet de faire le pont entre
le fonctionnement cognitif et identitaire et suggère une dynamique de construction. Sur le
plan identitaire, nous avons vu plus haut que les motivations entrepreneuriales sont
associées d’une part (section B1) à un intérêt professionnel qui peut être mesuré très jeune (modèle RIASEC) sous-tendu par deux prédispositions de personnalité (extraversion et
ouverture) mesurées par le modèle FFM. Et d’autre part (section B2) que l’auto-efficacité
entrepreneuriale permet de construire progressivement une intention d’entreprendre, laquelle dépend étroitement d’un répertoire d’attitudes mesurables et de normes subjectives favorables (modèle d’intention) mais aussi d’émotions anticipées et de perceptions de faisabilité (théorie de l’essai). Elle peut théoriquement être entraînée grâce à des expériences antérieures de maîtrise, l’observation d’autres qui me ressemblent, l’encouragement de mentors et un état physiologique de stimulation et d’éveil (modèle de Bandura).
Cependant, tous ces acquis associés aux comportements et aux motivations de
l’entrepreneur ne s’adressent pas directement aux comportements et aux motivations des
50
individus simplement entreprenants. Nous avons vu plus haut que l’identité entreprenante n’est pas stabilisée et qu’elle cherche ses marques autour des notions d’employabilité et de carrière auto-dirigée (section B2) et peu de recherches académiques à ce jour se sont
préoccupées d’étudier les liens entre des expériences de projet dans l’environnement scolaire ou parascolaire sans perspective de développement de l’intention d’entreprendre mais qui mettraient en œuvre un mode de penser-action entrepreneurial. Pour notre part,
nous avons pu montrer avec Y. Wang que le développement d’une intention entrepreneuriale de la part d’élèves ingénieurs était corrélé avec un engagement significatif dans les projets d’innovation proposés au cours de la formation ainsi qu’avec l’expérience d’engagements associatifs (thèse de Y. Wang, 2010). Mais la recherche repose sur un faible échantillon et ne développe pas précisément les compétences ou capacités mises en œuvre.
Par contre, il existe des expériences de formation documentées qui visent à développer un
esprit entrepreneurial. Nous en avons repéré trois dans des univers culturels différents :
l’Angleterre (Gibb, 2005), la Belgique et l’Australie (Surlemont et Kearney, 2009) et le Québec
(Pelletier, 2005). Pourtant étant majoritairement d’origine empirique, elles ne s’appuient que partiellement sur les concepts théoriques issus de la recherche en entrepreneuriat que nous
venons d’énoncer. De plus, même si les trois auteurs convergent assez naturellement sur un
certain nombre d’idées et de recommandations, ils ne formulent pas les éléments dans les mêmes termes. Notamment parce que leurs points de vue et leurs objectifs ne sont pas
identiques. Pelletier (2005) conseiller d’orientation, professeur à l’Université Laval et fondateur de Septembre éditeur, s’inscrit dans le cadre de la réforme du curriculum québecois. Son manuel à destination des enseignants vise à expliquer comment éveiller le
goût d’entreprendre à tous les niveaux éducatifs (primaire, secondaire et supérieur). Il a une
forte dimension pédagogique, les objectifs sont assortis d’outils, d’exemples et de nombreuses recommandations pratiques (questions à poser, critères pour évaluer, exemples
d’activités…) pour permettre la progression des élèves, notamment au primaire. Il s’inspire à la fois de la pédagogie projet (Boutinet, 1990) et de la pratique entrepreneuriale. De son
côté, Gibb (2005), professeur en entrepreneuriat à la Durham Business School, part d’une
critique de l’éducation actuelle en entrepreneuriat majoritairement transmissive et basée sur une représentation managériale statique de la grande entreprise, dont l’archétype est le business plan. Il y oppose un modèle théorique de l’entrepreneuriat dynamique comme des
relations agiles entre l’entrepreneur et son milieu, fondées sur la confiance et l’apprentissage
expérientiel, permettant de faire face à l’incertitude. Il en déduit une liste de comportements, d’attitudes, de valeurs, de croyances sous-jacentes entrepreneuriales à
éduquer chez les étudiants. Son référentiel des objectifs éducatifs a été repris par le NCGE
(National Council for Graduate Entrepreneurship) en 2008. Quant à Surlemont et Kearney
(2009), leur ambition déclarée est de faire évoluer la mentalité wallonne réputée peu
entrepreneuriale en 2003 en faisant le pari que c’est le milieu de l’enseignement qui peut relever ce défi. Pour aider les enseignants à le faire, un groupe de chercheurs belges est parti
à la recherche d’initiatives pédagogiques visant à développer l’esprit d’entreprendre, vu comme une disposition large (prendre sa vie en mains, au-delà de l’objectif économique de création d’entreprises). La mission de recherche a localisé les pratiques et les ouvrages d’un 51
autodidacte australien sur le sujet36. De leur rencontre est né un répertoire de 15 capacités
valables pour tous les niveaux d’enseignements, assortis d’indicateurs de performance concrets, qui consistent plutôt en une série de tâches concrètes à mener.
Ces trois sources sont très riches mais disparates. Nous proposons donc de les rassembler
dans un cadre théorique commun afin de synthétiser les objectifs éducatifs que l’on peut retenir pour l’esprit d’entreprendre. Ce rapprochement devrait permettre de cerner les spécificités de l’esprit d’entreprendre que l’on pourra ensuite confronter aux acquis théoriques en entrepreneuriat. C’est l’objet de la section qui suit.
C – Proposition de définition des objectifs éducatifs de l’esprit d’entreprendre mis en forme grâce à un référentiel de compétences.
Pour rapprocher les sources d’origine empirique dont le vocabulaire est par essence disparate, nous proposons un cadre théorique commun assis sur la notion de compétence.
Celle-ci provient de l’observation de la réalité du travail définie dans sa forme la plus
complète par Le Boterf (1994) qui a été importée ensuite dans le mode éducatif. Deux
raisons justifient ce choix. Nous allons voir tout d’abord que la notion de compétence présente une grande cohérence par rapport aux capacités d’action et de pensée soustendues par la notion d’esprit d’entreprendre telle que nous l’avons définie et qu’elle est revendiquée par certains auteurs en éducation à l’entrepreneuriat. Mais plus généralement,
c’est sur la base de ce modèle que repose la construction de la plupart des référentiels
éducatifs actuels avec toutes les implications pratiques que cela suppose, ce que nous
aborderons dans un deuxième temps.
Définir les objectifs de formation liés à l’esprit d’entreprendre : s’appuyer sur la
notion de compétence.
La notion de compétence a d’abord été mise en évidence chez les observateurs du travail réel en entreprise puis réappropriée en éducation détrônant la notion de transfert pour la
remplacer par la notion de mobilisation de ressources par l’acteur (Perrenoud, 2000). Elle
peut se définir en pédagogie comme la capacité intériorisée par l’individu, à mobiliser, c’est à dire identifier, combiner et activer un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être pour
résoudre une famille de situations problèmes (Roegiers, 2000, Scallon, 2004). L’approche par les compétences est une approche pédagogique relativement récente37 qui s’oppose à l’approche behavioriste préalable qui décomposait les objectifs d’apprentissage en unités
élémentaires de contenus. Aouni (à paraître) explique que l’approche par les compétences
s’inspire de la modélisation systémique pour appréhender l’apprentissage dans sa globalité. « Les résultats attendus de la formation ne sont plus de l’ordre du contenu mais de l’ordre de 36
KEARNEY P. Enterprising ways to teach and learn, Book 1. Enterprise principles, North Hobart Tasmania Australia, Pty Ltd,
Enterprise Design Associates, 1999.
37
L’intérêt de situer l’éducation à l’entrepreneuriat dans l’approche par les compétences s’appuie sur une vision socioconstructiviste de l’apprentissage, ce point est développé dans la deuxième partie (section B).
52
l’action ou du savoir-agir en situations complexes ». Pour certains auteurs s’intéressant à l’éducation à l’entrepreneuriat (Colin, 2011, Surlemont et Kearney, 2009, Lôbler, 2006), cette
approche est devenue « synonyme de l’éducation à l’entrepreneuriat ».
Perrenoud (2001) indique que la compétence est donc liée à la maîtrise globale d’une situation38. Ceci la distingue d’une capacité qui, selon Pieron (1973), « représente la
possibilité de réussite dans l’exécution d’une tâche, ou d’un métier », c'est-à-dire un
ensemble d’habiletés ou aptitudes spécifiques39 et sans référence à une situation précise.
Selon le CEREQ (1999), « Une capacité devient une compétence lorsque celle-ci est mise en
œuvre dans une situation donnée ». Comme le souligne Jonnaert (2002) cité par Bouvy, De
Theux, Raucent, Smidts, Sobieski et Wouters (2010 :375), une compétence est une « mise en
œuvre, par une personne particulière ou par un groupe de personnes, de savoirs, de savoirêtre, de savoir-faire ou de savoir-devenir dans une situation donnée ». Une compétence est
donc toujours contextualisée dans une situation précise, donc toujours dépendante de la
représentation que la personne se fait de cette situation. A partir de l’inventaire que nous avons fait dans les sections A et B, sur les capacités, savoir-penser, savoir agir… sous-tendues
par le mot valise « esprit d’entreprendre », nous comprenons qu’il s’agit bien d’un ensemble très vaste de capacités qui sont à mettre en œuvre dans des situations données. Nous avons bien affaire à quelque chose qui est de l’ordre de la compétence.
La plupart des définitions que nous avons rapportées ci-dessus du monde de l’éducation s’inspirent de G. Le Boterf (1994, 1997), qui a modélisé et précisé la notion de compétence à partir d’observations dans le monde du travail. Or, selon Le Boterf, la compétence suppose
de savoir agir, mais aussi de pouvoir et de vouloir agir. Savoir agir se rapporte au fait de
reconnaître la situation et d’identifier les schèmes opératoires (ou manières d’agir plus ou moins complexes) pertinents. Le fait de pouvoir agir est lié au contexte dans lequel le sujet
agit, notamment s’il dispose des attributions attendues pour le faire et s’il dispose d’un réseau de ressources mobilisables, ce qui est particulièrement vrai en entrepreneuriat. Le fait
de vouloir agir est non moins important car il se rapporte au sens que l’action a pour le sujet et au degré de confiance qu’il a dans ses propres capacités. Ces éléments apparaissent tout aussi cruciaux dans la dialogique permanente qui existe entre l’individu et son action ou projet de type entrepreneurial. C’est tout le socle motivationnel et identitaire de l’entrepreneur au sein d’un réseau social et d’un milieu d’affaires qui se trouve ici mobilisé. La dernière caractéristique importante de la notion de compétence qui justifie son usage en
éducation à l’entrepreneuriat est le consensus dont elle fait l’objet sur son mode de construction éminemment dynamique et social. Comme le souligne Toupin (1999), la
compétence n’est pas un observable, mais un construit. C'est-à-dire que la compétence fait
38
Perrenoud (2000) donne des exemples concrets de compétences tels que « savoir s’orienter afin de trouver son chemin dans
une ville inconnue », ce qui mobilise un certain nombre de capacités telles que lire un plan, repérer où l’on est, demander des informations ou des conseils, ainsi que différents savoirs comme la notion d’échelle, des notions de topographie, la
connaissance d’un certain nombre de points de repère géographique. Selon qu’on se situe dans une grande métropole, une petite ville de province, un pays occidental ou le tiers-monde, cette compétence risque d’être définie de manière assez
différente.
39
Selon Danvers(2009:80) La capacité est un savoir-faire transversal, non référé à une situation donnée, une aptitude
psychologique pouvant désigner une habileté physique, instrumentale. Elle est évolutive, notamment en fonction du degré de
maturation, des conditions d’apprentissage et d’exercice. »
53
l’objet d’un processus d’apprentissage : on ne naît pas compétent, on le devient à travers des
acquisitions tant à l’école que sur le terrain face aux situations réelles. L’évolution du monde du travail recompose sans cesse les compétences. Enfin, ce n’est pas une réalité tangible, mais une notion abstraite et hypothétique qui fait l’objet d’un jugement. La compétence est observée à partir de ses manifestations et elle est inférée. Ceci veut dire qu’elle est reconnue
par un ensemble de personnes : la personne elle-même mais aussi les maîtres, les supérieurs
hiérarchiques, les pairs, les clients… : il ne suffit pas de se déclarer compétent pour l’être !
Le modèle de Le Boterf (1994) sur lequel nous baserons donc notre représentation de
synthèse sur l’esprit d’entreprendre formule que la compétence correspond à une construction à partir d’une combinaison de ressources. Cette construction comporte plusieurs éléments :
-
-
-
-
-
Les schèmes opératoires caractérisent la compétence en acte, c’est à dire les comportements observables en situation manifestant que l’individu est compétent dans la situation.
L’inventaire des ressources personnelles (intériorisées ou incorporées à la personne)
que l’individu mobilise pour réaliser ces activités. On distingue parmi les ressources
personnelles les différentes catégories de savoirs, savoir-faire et savoir-être :
o savoirs : connaissances générales ou d’environnement et connaissances procédurales (savoir comment procéder : procédures et méthodes
formelles),
o savoir-faire : opérationnels (savoir procéder, savoir opérer comme par
exemple savoir utiliser un logiciel de CAO), expérientiels (coups d’œil, tours de main, astuces…), relationnels (savoir coopérer, se conduire comme par exemple, travailler en équipe, gérer des contacts avec un enjeu d’image externe, orienter vers les interlocuteurs pertinents…), cognitifs (savoir traiter l’information et raisonner, comme par exemple, construire et développer une argumentation, se représenter un objet en trois dimensions, raisonner
par analogie…), et métacognitifs (savoir apprendre à apprendre),
o savoir-être : qualités et aptitudes qui permettent de s’engager dans l’action,
ressources physiologiques qui permettent de gérer son énergie, ressources
émotionnelles qui permettent de ressentir une situation, une relation, et
capter des signaux faibles.
Les ressources de l’environnement que l’individu mobilise pour réaliser ces activités : réseaux relationnels, documentaires, informationnels, d’expertise, outils
de proximité (machines, équipements…).
Les critères de performance attendus dans une situation donnée. Ces critères
correspondent aux attentes de l’environnement qui va juger de la compétence. En effet, il ne suffit pas de se sentir compétent pour l’être, il s’agit toujours d’un jugement social. Ces critères sont plus ou moins concrets et mesurables mais
toujours spécifiques à la situation.
Le système de guidage interne à l’individu qui le pousse à mobiliser ses différentes
ressources pour réaliser ces activités. Ce système de guidage représente la
dynamique du modèle, il explique sur la base de quels éléments construits dans le
54
passé, au cours de l’action et visés dans le futur l’individu mobilise ses différentes ressources pour réaliser les activités qui manifestent sa compétence. Trois types
d’éléments interviennent dans le guidage :
1) Les compétences déjà existantes construites par le passé, c’est à dire les activités que l’individu sait déjà réaliser avec compétence et qu’il peut reproduire sans difficulté,
2) Les représentations opératoires que l’individu a de la situation présente (quel est le problème à résoudre ?, quelles sont ses causes ?, ses
conséquences ?) et pour le futur (quel est le futur désirable à atteindre ?),
3) L’image que l’individu a de lui-même composée à la fois du jugement
personnel qu’il émet sur ses propres ressources et compétences, de ses valeurs personnelles et du jugement par autrui qu’il perçoit. Nous allons voir comment ce modèle permet de synthétiser les composantes de l’esprit
d’entreprendre telles qu’elles sont décrites par les trois sources consultées tout en retrouvant les dimensions théoriques de l’intention, de l’auto-efficacité et de la cognition
entrepreneuriale mises en évidence dans la section B.
Proposition d’objectifs de formation de l’esprit d’entreprendre.
La figure 5 représente les objectifs de formation (en bleu) évaluables par des comportements
à observer en situation en tenant compte de critères à établir dans chaque situation
spécifique avec les parties prenantes (enseignants et partenaires extérieurs impliqués). Nous
avons défini donc ici une compétence générique qu’il faut ensuite décliner de manière distincte à chaque niveau d’étude et dans chaque situation de classe considérée. 55
Figure 8. Objectifs de formation proposés pour l’esprit d’entreprendre .
La manière dont nous avons construit ce référentiel est assez simple. Dans un premier temps,
nous avons recensé dans chacune des trois sources empiriques tous les éléments sous leur
forme résumée et nous nous sommes efforcée de les répertorier au sein du modèle de Le
Boterf : schèmes opératoires, ressources personnelles, ressources de l’environnement, système de guidage40. Notons que le travail de classement n’a pas été simple, car les notions
utilisées par les auteurs consistent souvent en des compétences assez complexes qui
mobilisent à la fois des attitudes, des connaissances, des savoir-faire, lesquels sont
partiellement explicités à travers les sous-critères ou indicateurs indiqués par les auteurs. De
plus, le vocabulaire utilisé (connaissances, capacités, habiletés, compétences, performance…) n’est pas véritablement expliqué. De ce fait, la même idée est souvent reprise sous plusieurs angles, à la fois sous forme de compétence générique, de tâche critique, d’indicateur de performance, d’attitude, de croyance ou de valeur, de capacité ou de qualité. Le tableau (annexe 20) montre la correspondance entre les libellés que nous avons retenus dans notre
modèle et les notions correspondantes répertoriées dans les trois sources empiriques. Dans
un deuxième temps, nous avons vérifié le classement de chaque notion ligne par ligne (s’agitil de la même idée chez les trois auteurs ?, les notions sont-elles du même ordre ?, le niveau
de détail est-il le bon ?). Enfin nous avons libellé chaque item en essayant de rendre compte
40
Les critères de performance attendus sont la variable du modèle qui permet d’adapter la compétence à une situation donnée. Les deux ouvrages les plus pédagogiques (Surlemont et Kearney, 2009, et surtout Pelletier, 2005) suggèrent une
progression dans le niveau de complexité et de prise de risque attendu.
56
de tous les contenus d’une même ligne en nous efforçant de le rendre le plus concret possible tout en permettant le rapprochement avec les théories que nous avons listées dans
la section B.
Nous pouvons maintenant investiguer la correspondance de ce référentiel avec les théories
en entrepreneuriat. Plusieurs points méritent d’être mentionnés.
1) Les quatre comportements observables retenus correspondent à peu de choses près
aux quatre courants de pensée (ou paradigmes) actuellement disponibles pour
aborder l’entrepreneuriat, dont la définition reste encore largement débattue. Le paradigme de l’opportunité, dont les initiateurs sont Shane et Venkataraman (2000) met l’accent sur la capacité à identifier et exploiter les opportunités. Il est représenté
dans le modèle par le premier comportement observable (identifier une opportunité)
et le deuxième (choisir un projet motivant, pertinent et faisable qui correspond à
l’exploitation de l’opportunité). Le paradigme de l’innovation qui attribue la création de valeur au caractère novateur de la contribution entrepreneuriale (courant de
Drucker, 1985, Julien et Marchesnay, 1996) est représenté dans le modèle par le
deuxième comportement observable (trouver une idée innovante). Le paradigme de
la création d’une organisation (Gartner et Shane, 1995) est au moins initié par le troisième comportement observable (identifier, trouver et gérer les ressources). Le
comportement observable (apprécier et faire reconnaitre la valeur créée par le
projet) représente le paradigme de la création de valeur (Bruyat et Julien, 2000). On
peut vérifier aussi que ces quatre comportements sont aussi assez proches des
modélisations les plus récentes de l’auto-efficacité entrepreneuriale (Hao et al. 2005,
Sardshumukh, 2008) : L’identification des nouvelles opportunités correspond au
premier comportement, la pensée créative indique le deuxième comportement, la
création de nouveaux produits/services suppose le troisième comportement, la
vente d’une idée ou d’un développement est proche du quatrième comportement.
2) Les caractéristiques assimilées à des traits de personnalité par les premières
recherches en entrepreneuriat et dans certains répertoires empiriques consultés à
des qualités ou attributs des individus, sont repérés dans notre modèle à deux
niveaux complémentaires qui rendent compte de la dynamique d’apprentissage possible de l’esprit d’entreprendre : 1) à travers la dimension conative41 des attitudes
favorables à l’entrepreneuriat qui font partie du système de guidage, 2) sous forme
de savoir-être à mobiliser qualifiés par des verbes d’action. Cette deuxième
formulation sous-entend qu’il s’agit là de comportements à mettre en œuvre dans
des situations précises, qui ne caractérisent pas forcément les comportements
stables et systématiques d’une personne : Nous considérons qu’une même personne
peut avoir un comportement entreprenant dans certaines situations mais pas dans
d’autres. Ce qui a pour corollaire qu’on peut apprendre à se comporter de manière
41
Selon Hemmriegel, Slocum et Woodman, 2001, cité par Rajhi (2011 :107), elle caractérise l’intention d’agir ou la prédisposition à agir. Rajhi (2011 :111) repère 5 attitudes typiques à partir de Toulouse (1990), Shepherd et Douglas (1997),
Gasse et d’Amours (2000) : l’attitude envers le destin (proche de la notion de locus de contrôle), l’attitude envers l’indépendance, l’attitude envers le risque, l’attitude envers le travail, l’attitude envers le revenu, l’attitude envers l’innovation.
57
entreprenante à cause de cette situation. C’est la répétition de ces comportements par transfert d’une situation à l’autre, qui finira par constituer un script expert, c'està-dire un répertoire d’actions intériorisé et des attitudes systématiques.
L’importance des savoir-être dans les ressources personnelles identifiées dans le
modèle n’est pas due au hasard. Il s’agit bien d’entraîner des dispositions comportementales qui sont au cœur des ressources à mobiliser pour accomplir les
compétences complexes dont il est question en entrepreneuriat. La gestion aigüe des
émotions par les entrepreneurs qui se fait jour dans les recherches sur la cognition, la
décision et l’engagement des entrepreneurs (Michl et al. 2009, Bagozzi et al. 2009) a
bien été repérée dans le modèle.
3) Le double processus mental et identitaire de l’entrepreneur repéré dans les recherches sur la cognition entrepreneuriale est au cœur de la dynamique du modèle. En tant que système de guidage de la mobilisation des ressources, c’est en quelque sorte le moteur de la compétence de l’esprit d’entreprendre. Ce moteur est constitué tout d’abord par le mode de pensée-action spécifique des entrepreneurs
(projectif, visionniste, créatif et effectual) repéré par les trois auteurs. Son deuxième
élément indissociable est l’auto-efficacité dont nous avons largement souligné dans
la littérature, à quel point elle est au cœur de la cognition et de l’identité entrepreneuriale. Notons que l’auto-efficacité n’est pas toujours mentionnée en tant
que telle chez les trois experts consultés. Mais elle est sans conteste au cœur de leurs prescriptions via le processus d’apprentissage par essai-erreur et la réflexivité
systématique pour tirer les leçons de l’expérience. Les autres motivations identitaires
(valorisation de la carrière entrepreneuriale liée à des normes subjectives favorables,
croyances et attitudes favorables) y sont aussi présentes. Notons que les croyances
et valeurs professionnelles favorables à l’entrepreneuriat caractérisent les deux
dimensions cognitive42 et affective43 des attitudes entrepreneuriales. Plusieurs
auteurs en entrepreneuriat ont proposé des répertoires d’attitudes vis-à-vis de
l’entrepreneuriat (Gibb (2005)44, et surtout Kolvereid (1996)) dont le modèle est
largement utilisé dans les opérationnalisations du modèle d’intention appliqué à l’entrepreneuriat notamment par Tounès (2003), Emin (2003), Boissin et al. (2005,
2006, 2007, 2008, 2009a,b). L’attrait perçu pour l’entrepreneuriat défini par ces attitudes traduit une posture (Perrenoud, 2001), c'est-à-dire une certaine forme de
rapport au monde, au travail, au savoir, à la société.
On pourrait objecter que ce système de guidage spécifique suffit à lui seul à rendre
compte de l’esprit d’entreprendre. C’est la position de Rajhi (2011) qui propose une
42
Ensemble des opinions, jugements, croyances et connaissances que « nous avons du sujet, des choses, et des gens, qui nous
permettent de déterminer ce qui à nos yeux est vrai, vraissemblable ou possible », Godefroid, J. 1987, p 545, cité par Rajhi, N.
(2011) p 107
43
Ensemble des réponses affectives à cet objet (sentiments, sensations, émotions) et qui reflète surtout son évaluation
favorable ou défavorable, selon Rajhi N. (2011), p 107, commentant les trois dimensions cognitive, affective et conative des
attitudes des attitudes repérées par Rosenberg et Hovland (1960) par opposition aux visions unidimensionnelles.
44
goût pour l’indépendance, méfiance vis-à-vis de la bureaucratie, autodidaxie, sens de l’appartenance, croyance que les efforts personnels et le travail intense seront récompensés, conviction de pouvoir changer le monde à partir de croyances, orientation
vers l’action, valeur des arrangements informels, du réseau (know-who) et de la confiance, croyance dans la liberté d’agir, valeur de l’individu et de la communauté plus que de l’Etat.
58
conceptualisation de l’esprit d’entreprendre dans son travail doctoral exclusivement composé de deux dimensions : les attitudes (au sens large incluant les 3 dimensions
cognitives, affectives, et conatives) et les perceptions d’auto-efficacité. Cette position
limite l’état d’esprit au registre spirituel par opposition à celui des comportements et des situations.
Nous préférons garder une approche globale pour rendre compte de la dynamique
du phénomène. En effet, si l’on utilise une métaphore, comment un moteur pourraitil avancer sur une route sans le reste de la voiture ? Autrement dit, si l’on se penche sur la dynamique du processus de renforcement des attitudes et des perceptions
d’auto-efficacité, il faut envisager des boucles de rétroaction entre les différentes
composantes du modèle : attitudes, auto-efficacité perçue et reconnue,
comportement efficace dans une situation donnée. Les différents éléments du
modèle se construisent et se renforcent car ils sont interdépendants : Confrontés à
une situation problème suffisamment motivante et interpellante, les individus
entreprenants, du fait de leur système de guidage, mobilisent les ressources
disponibles (bagage de connaissances, savoir-faire et savoir-être utiles, et contacts
utiles dans les réseaux auxquels ils ont accès) qui leur permettent d’adopter des comportements entreprenants observables dans la situation. Lorsque ces
comportements sont observables sont explicitement reconnus comme efficaces par
les figures d’autorité présentes dans la situation, les croyances et attitudes
favorables qui servent de système de justification à ces comportements sont
largement mobilisées. Ce qui a pour effet probable une valorisation et un
renforcement de ces croyances et attitudes chez ceux dont les comportements ont
été évalués positivement. Si ces situations sont répétées à une fréquence suffisante
et construites d’une manière progressive (degré de complexité, d’incertitude et de risque croissants), alors ces éléments du système de guidage qui sont initialement
issus du milieu familial peuvent évoluer. L’évaluation des comportements
entreprenants efficaces en cours d’action ou après l’action, par les parties prenantes ou par les évalués eux-mêmes par un exercice réflexif, alimente aussi de manière
directe la perception d’auto-efficacité entrepreneuriale personnelle. Laquelle à son
tour augmente les différentes ressources mobilisables soit parce qu’elles sont complétées ou davantage intériorisées (ressources personnelles), soit parce qu’elles sont perçues comme plus denses et/ou plus accessibles par le sujet (ressources de
l’environnement). Les deux schémas suivants rendent compte des boucles de
renforcement entre le système de guidage, les ressources personnelles et
d’environnement et les situations.
59
Figures 9. Dynamique de construction de l’esprit d’entreprendre dans des situations problème répétées et progressives.
4) Les compétences plus classiques communes avec les managers, telles que les savoirfaire communicationnels, la résolution de problème ou la gestion de projet ne sont
pas éliminées car elles sont nécessaires à la mise en œuvre de certaines activités, en particulier la dimension organisationnelle. Mais elles sont souvent colorées par une
touche plus spécifiquement entrepreneuriale. On notera par exemple, que les
projets à gérer et les problèmes à résoudre sont qualifiés d’ouverts en raison de 60
l’incertitude de l’environnement entrepreneurial et de la nécessaire prise en compte
d’un ensemble de parties prenantes.
Cependant ce référentiel reste assez théorique car il ne précise pas les différents types de
trajectoire individuelle possibles dans le temps. C’est l’une des pistes de recherche qui mérite
un grand développement. De plus, la définition des situations-problèmes adaptés et des
critères pertinents (donc des comportements attendus) à chaque niveau d’étude et dans chaque milieu éducatif est un corolaire indispensable à la mise en œuvre du référentiel. Ces
limites introduisent la question pratique : mais à quoi sert ce référentiel ? Et comment
l’utiliser pour définir des objectifs d’apprentissage dans une situation éducative donnée ?
Comme nous l’avons suggéré à travers les critères de performance qui restent à définir, le
travail des éducateurs de terrain est en réalité loin d’être terminé. Implications pratiques pour la mise en œuvre du référentiel
Perrenoud (2001) rappelle la raison d’être d’un référentiel de compétence : « C’est la clé de
voûte d’une bonne architecture curriculaire, fondée sur la description précise des pratiques professionnelles de référence comme base de leur transposition didactique en un plan de
formation ». En d’autres termes, il s’adresse à deux niveaux de responsabilité dans une
institution éducative. Tout d’abord au niveau des responsables de programme afin de vérifier que l’ensemble des modules et activités de formation vise bien à atteindre la compétence professionnelle visée. Cet argument peut faciliter en outre l’obtention de certifications par les instances d’accréditation. Le deuxième niveau concerne les formateurs qui ne sont pas des professionnels du métier. De fait, en entrepreneuriat, les professeurs ont rarement été
entrepreneurs eux-mêmes. Pour eux, le référentiel est une aide précieuse, car il explicite les
différentes ressources et capacités à entraîner, ce qui leur permet de concevoir, mener puis
évaluer des actions de formation adéquates, c'est-à-dire d’opérer la transition didactique. Les
chercheurs en éducation (Tardif, 1996, Perrenoud, 2001) ont bien montré qu’en l’absence de référentiel, les institutions éducatives risquent de tomber dans deux sortes de pièges. Le
premier est l’hypertrophie des connaissances disciplinaires au détriment du développement
des compétences. C’est le constat partagé par les experts de l’éducation à l’entrepreneuriat (Verzat, 2009, Fayolle et Verzat, 2009) et la raison majeure du travail d’A. Gibb (2005). Le deuxième écueil est une logique de dispositifs, c’est à dire une ingénierie de formation qui
finit par dicter ses propres objectifs plutôt que de servir des finalités posées au départ.
Néanmoins le référentiel n’est pas un outil magique, loin s’en faut. Tout d’abord il exige une mise à jour constante avec des professionnels pour valider quelles sont les situations
typiques de la profession auxquelles il faut préparer les jeunes et quels sont les niveaux de
maîtrise attendus. Et dans notre cas, sachant qu’il s’agit d’une compétence très complexe à préparer sur l’ensemble de durée de formation d’un individu (du primaire à l’université), il s’agit de repérer les situations typiques et les critères de performance honorables à chaque niveau d’étude. Un véritable chantier d’identification des situations-problèmes adéquates à
61
la préparation des différentes ressources que nous avons inventoriées est à mener, ainsi que
des critères acceptables pour les évaluer.
Les travaux empiriques que nous avons consultés sont par essence incomplets, car le travail
est à réaliser dans chaque situation éducative au sein d’un ensemble d’attentes à la fois culturelles et professionnelles des jeunes, des parents, des éducateurs, et des milieux
d’affaires externes impliqués. Gibb (2005) suggère que de très nombreux dispositifs pédagogiques sont possibles45 et plus ou moins adaptés pour les différents types d’habiletés, attributs et capacités visées. Mais sa liste est très générique. Elle ne spécifie pas le niveau
d’étude auquel ils sont adaptés et ne précise pas les critères de performance attendus. Le
guide de Pelletier (2005) identifie une logique de progression entre les trois niveaux d’étude basée sur les visées : au primaire, il faudrait d’abord viser les savoir-être entreprenants, au
secondaire, la culture projet, à l’université, l’interaction avec le milieu entrepreneurial. Mais
les situations éducatives adaptées et les critères de performance ne sont que partiellement
identifiés et tributaires de chaque situation citée en exemple. Le livre de Surlemont et
Kearney (2009) identifie une batterie de critères de performances vis-à-vis de chaque
capacité et l’illustre pour une situation pédagogique (« le secondaire enseigne au primaire »
dans le cadre d’un cours de science). Toutes les autres déclinaisons dans d’autres situations pédagogiques sont à inventer.
On voit que c’est un travail à mener au sein de chaque institution concernée. Par nature, ce travail est local et implique une collaboration entre un ensemble de parties prenantes : les
enseignants, la direction de l’institution éducative, les professionnels extérieurs impliqués
dans la situation (clients, partenaires, alliés…), les parents (s’il s’agit du niveau primaire), sans oublier les apprenants eux-mêmes. A partir de notre expérience de mise en œuvre de référentiels pour l’activité projet à l’Ecole Centrale de Lille, nous croyons qu’il est possible de
définir des référentiels communs pour un ensemble de situations qui se ressemblent. C’est un travail assez long car il implique que la communauté des parties prenantes se mette
d’accord sur ce qui est acceptable et honorable. Ceci peut contribuer à faire évoluer de
manière très sensible la culture d’évaluation de la communauté éducative concernée (Verzat,
2006, Verzat et Bachelet, 2007).
En entrepreneuriat, le point délicat nous semble être la décision concernant le niveau de
complexité ainsi que le niveau d’incertitude et de risque acceptable pour les jeunes auxquels
on a affaire dans un milieu donné. C'est-à-dire de trouver le bon dosage d’échec et de succès probable. A partir de notre expérience de formation au même niveau d’étude (master 1 et 2)
mais vis-à-vis de deux publics bien différents (les futurs ingénieurs recrutés sur concours
après classes préparatoires, les futurs entrepreneurs recrutés après le bac), nous avons
expérimenté que les capacités et ressources de départ vis-à-vis de la complexité et de
45
Il évalue une liste impressionnante de dispositifs pédagogiques utiles vis-à-vis de 11 capacités-clé en entrepreneuriat. Si l’on fait la somme des étoiles accordées à chaque activité, les plus efficaces sur l’ensemble des capacités sont l’organisation d’événements, les jeux, les projets, les ateliers sur un problème ou une opportunité, les simulations, l’enseignement à d’autres,
l’aventure. D’autres dispositifs ont une efficacité spécifique vis-à-vis de certaines capacités : les séminaires, les critiques, les
études de cas, les recherches, la recherche d’incidents critiques, la discussion de groupe, les présentations, les débats, les
interviews, les jeux-concours, les évaluations, les vidéos interactives, les dessins, le théâtre, les investigations, les modèles de
rôle, l’observation de panels, la discussion sur un thème, le conseil.
62
l’incertitude ne sont pas identiques, pas plus que la perception des défis acceptables. Ce sont
deux référentiels différents qui sont donc à bâtir. D’une manière générale, comme le
souligne Pelletier (2005), il faut être suffisamment ambitieux et imprévisible afin de quitter la
zone de confort et prendre le risque que des éléments échappent mais éviter la trop grande
complexité et la trop grande incertitude. Il recommande que la problématique puisse être
racontée au départ, puis bien sûr analysée dans la phase de retour réflexif. Pour Surlemont et
Kearney (2009 :65), il est judicieux de commencer par des expériences stimulantes mais
simples et réalisables « des eaux de surface » qui vont conforter les jeunes dans leurs
habiletés avant de les pousser dans « les profondeurs d’une piscine expérimentale. [ ] Le défi
est bien de les immerger progressivement dans la complexité d’un apprentissage expérientiel authentique et stimulant, sans les perturber par cette complexité ».
Au stade de connaissances où nous sommes vis-à-vis de ce qu’est l’esprit d’entreprendre et de son processus de formation, nous croyons que la formulation que nous avons proposée
dans ce modèle constitue le maximum de ce que l’on peut définir aujourd’hui. On voit que la mise en œuvre de ce référentiel introduit de très nombreuses questions sur le comment éduquer et entraîner cette compétence complexe : quels professeurs peuvent se saisir de ces
objectifs et les mettre en œuvre ? Quel est l’essentiel de leur posture professionnelle qui
autorise l’expérience d’échecs constructifs ? Quels sont les points de vigilance dans l’articulation nécessaire entre milieu éducatif et milieu d’affaires ? Pourquoi les institutions
éducatives actuelles sont-elles si peu propices à l’entrainement d’une telle compétence ?
Comment pourrait-on les transformer pour atteindre de tels objectifs ? Les trois experts en
éducation entrepreneuriale dont nous nous sommes inspirés ici mettent en avant des
objectifs mais aussi et surtout un changement complet de pédagogie et plus largement de
culture éducative.
Mais avant de creuser la réflexion pédagogique et institutionnelle, plusieurs questions liées à
la définition des objectifs restent en jachère et introduisent la discussion finale de cette
partie : Etre entreprenant dès le plus jeune âge forme-t-il à devenir entrepreneur et/ou à
entreprendre tout au long de la vie ? Est-il souhaitable de proposer ces objectifs pour tous les
jeunes d’un pays ? Comment assurer la validité d’un référentiel de ce type, modulaire et ajustable à chaque situation ? Ces questions introduisent une autre facette du programme de
recherche qui sera présenté en conclusion du dossier.
D - Discussion méthodologique et éthique à partir du référentiel
d’objectifs éducatifs de l’esprit d’entreprendre.
Le répertoire d’objectifs de formation que nous avons construit nous semble pouvoir être
compris par un ensemble vaste de directeurs d’écoles, d’enseignants et d’éducateurs. Mais
nous avons vu qu’il ne suffit pas que ces acteurs le comprennent pour pouvoir l’utiliser dans leur pratique d’enseignement. Un travail complémentaire collaboratif en partenariat avec les apprenants et des parties prenantes externes est nécessaire afin de décider s’il est pertinent et applicable à tous les apprenants. Ensemble ils ont aussi à définir des activités éducatives
63
progressives adaptées et des critères de jugement du niveau de compétence attendue dans
leur contexte. Par ailleurs, nous avons vu que ce référentiel s’appuie sur le principe d’une dynamique d’apprentissage, d’un entraînement nécessaire. Mais il ne préconise pas de
priorités dans les objectifs, ni de chemin de progression. Il ne permet donc pas de conclure
s’il faut d’abord être entreprenant pour avoir envie d’entreprendre, puis devenir entrepreneur ou bien s’il faut avoir envie d’entreprendre pour être entreprenant ou encore si le développement des compétences entreprenantes telles que nous les avons définies
oriente plus vers l’entrepreneuriat que vers d’autres carrières.
Quelles recherches les chercheurs peuvent-ils proposer pour aider les acteurs à formuler des
objectifs éducatifs pertinents, acceptables et progressifs ? La question apparait en première
intention de nature méthodologique : comment valider la pertinence d’un tel référentiel d’objectifs éducatifs ? Compte tenu de la complexité, de l’indétermination et de la durée nécessaire pour développer l’esprit d’entreprendre, nous souhaitons montrer qu’il y est aussi question d’éthique : A qui est destiné l’apprentissage de l’esprit d’entreprendre ?
Peut-on le prescrire pour tous les jeunes d’une même génération ? A ce stade du
développement de nos connaissances, quelles hypothèses peuvent être posées en vue d’une validation par un travail de recherche ? Et quelles précautions doit-on prendre pour tenter
d’y répondre ?
Discussion méthodologique sur la validation du référentiel d’objectifs éducatifs
Pour valider la pertinence d’un modèle explicatif à un instant t, l’approche classique des
chercheurs est d’élaborer un questionnaire sur les différentes dimensions, de démontrer la
cohérence interne du modèle par des tests de fiabilité statistique sur les construits et les
questions utilisées, puis de montrer les liens de dépendance entre les variables dépendantes
et indépendantes. C’est la méthode la plus utilisée pour vérifier la validité du modèle des
déterminants de l’intention d’entreprendre auprès d’une population d’étudiants. Les
questions portent sur les perceptions des étudiants vis-à-vis des variables dépendantes du
modèle (intention d’entreprendre, perceptions d’auto-efficacité, attitudes déclarées, normes
subjectives perçues) et sur les variables indépendantes (sexe, milieu social d’origine, formations suivies…).
L’approche est plus complexe lorsqu’on cherche à expliquer des transformations qui se font dans le temps. Il faut alors modéliser des évolutions longitudinales entre plusieurs mesures
du même test effectuées à différents moments. La démonstration peut se faire par la
vérification des liens de dépendance entre des variables d’évolution obtenues par calcul de
moyennes d’évolution ou par identification de trajectoires types. C’est ce qui est pratiqué par quelques études récentes pour mesurer l’impact d’une formation à l’entrepreneuriat en
utilisant le modèle d’intention (par exemple, Fayolle et Gailly, 2009).
Notre référentiel pose plusieurs questions méthodologiques supplémentaires difficiles à
résoudre. Tout d’abord, nous ne disposons pas de questionnaires opérationnalisés pour
toutes les dimensions et auprès de toutes les populations d’apprenants, loin s’en faut. Il faut
donc construire des instruments de mesure adaptés. Compte tenu de la durée d’observation nécessaire (trajectoire de très longue durée), les questions ne peuvent pas être formulées de
64
manière identique selon l’âge des répondants et le degré de complexité des situations auxquelles ils ont à faire face. De plus, si les ressources personnelles peuvent être
généralement mesurées par des questionnaires de perception d’auto-efficacité, il n’est pas démontré que des mesures de perception par les sujets eux-mêmes aient un effet
systématique sur les comportements observés par des parties prenantes externes
(professeurs encadrants, partenaire extérieurs…). Cela reste à démontrer. On peut aussi
chercher à valider si les observations par des parties prenantes extérieures sont cohérentes
avec les modélisations les plus récentes de l’auto-efficacité entrepreneuriale (Hao et al. 2005,
Sardshumukh, 2008). D’autre part, certaines dimensions du référentiel sont difficiles à
cerner et à mesurer. Notamment le mode de pensée projectif, visionniste, créatif et
effectual, pour lequel il faut inventer une méthode de mesure, de même que les ressources
de l’environnement, pour lesquelles il faut adapter les mesures de réseaux entrepreneuriaux
au contexte de projets dans le cadre scolaire. Par ailleurs, les liens entre les différentes
dimensions du modèle ne sont pas d’ordre linéaire étant donné la dynamique du système dans le temps. Enfin, les transformations espérées ne sont très certainement pas
univoques étant donné la diversité des trajectoires personnelles et professionnelles
possibles et la variété des traductions possibles de ce que veut dire devenir entreprenant.
Pour rendre compte de l’ensemble des dynamiques à l’œuvre, il nous semble qu’il faut mettre en place des études longitudinales longues sur des cohortes d’apprenants avec des instruments de mesure variés à la fois quantitatifs et qualitatifs (questionnaires de
perception et entretiens approfondis avec les sujets, questionnaires et entretiens
approfondis avec les parties prenantes). Seule l’observation fine des trajectoires associée à
l’explication circonstanciée par des récits de la part des sujets et de la part d’observateurs pourra donner du sens à ce qui se construit et se développe sur longue durée pour les
apprenants en termes de capacités et d’identité. Or le sens qu’en donneront les sujets impliqués dépendra des finalités qu’ils en percevront (devenir entrepreneur ?, devenir
entreprenant ? pour tous ? pour certains seulement ?...) La discussion méthodologique sur la
consistance du modèle nous renvoie donc au questionnement des finalités du
développement de l’esprit d’entreprendre, qui nous semble d’ordre éthique.
Questionnement éthique sur les finalités du développement de l’esprit d’entreprendre, hypothèses et points de vigilance.
D’un point de vue économique, il apparait largement partagé que l’esprit d’entreprendre est un moteur indispensable à nos sociétés en pleine transition. C’est le point de vue qui domine dans la position de l’Union Européenne depuis une bonne dizaine d’années et qui est à l’origine de la rédaction de la 7ème compétence-clé pour la formation tout au long de la vie.
Même si le passage de l’esprit d’entreprendre à la création d’entreprise (donc la création de valeur économique) n’est pas démontré, on peut faire l’hypothèse que les jeunes ayant développé une auto-efficacité entrepreneuriale tout au long de leur formation seront plus à
même de générer plus de dynamisme et d’initiatives. Ce qui devrait les conduire soit à générer plus d’innovations de tous ordres (économiques, sociales, technologiques, 65
organisationnelles…) dans leur travail (y compris salarié) que ceux qui n’auront pas développé cette auto-efficacité. Surlemont et Kearney (2009 :118) s’appuyant sur Pelletier (2004) et Ferré (2005) soutiennent que les jeunes ainsi formés sauront mieux orienter leurs
choix scolaires puis professionnels, que leur stratégie de carrière sera donc plus en phase
avec les besoins économiques de nos pays. Ils auront développé leur employabilité, comme
le suggèrent les recherches de Harshorn et Sear (2005) et Weaver (2011) bien qu’assises sur des modélisations discutables. N’étant pas démontré actuellement, le passage de l’esprit d’entreprendre à l’intention d’entreprendre mérite aussi d’être validé. Il y a là trois hypothèses majeures à vérifier, auxquelles sont nécessairement associées les
questionnements sur les méthodes, les instruments et les moments de mesure adaptés.
H1 : Les jeunes ayant développé une auto-efficacité entrepreneuriale génèrent plus
d’innovations de tous ordres dans leur travail que ceux n’ayant pas développé cette auto-efficacité46.
H2 : Ces jeunes démontrent une meilleure employabilité se manifestant par une
stratégie de carrière plus efficace et un taux d’emploi supérieur à ceux qui n’ont pas développé cette auto-efficacité
H3 : Ces jeunes auront une intention d’entreprendre plus élevée que ceux qui n’ont pas développé cette auto-efficacité.
Si l’on se place d’un point de vue purement éducatif, Surlemont et Kearney (2009) proposent
que le développement de l’esprit d’entreprendre (grâce à la pédagogie entreprenante décrite dans leur livre et associée à cet objectif) accroit la motivation des apprenants, augmente leur
confiance en soi, et permet de lutter contre l’échec scolaire. De fait, Viau (1997), spécialiste de la motivation en éducation a démontré qu’elle est directement liée à trois types de perception qui sont effectivement travaillées dans l’esprit d’entreprendre : la perception de
valeur des activités (ici directement sollicitée par le travail sur les carrières et les attitudes
favorables à l’entrepreneuriat), la perception d’auto-efficacité vis-à-vis de ces activités, et la
perception de contrôle que l’apprenant a vis-à-vis du déroulement de ces activités (s’il est libre de faire des choix dans le déroulement de l’activité). Alors l’individu s’engage effectivement dans les opérations cognitives et persévère jusqu'à obtenir un résultat
satisfaisant, ce qui en retour, renforce sa motivation. A la suite de Zimmerman (2000, 2002),
Jézégou (2010) nomme auto-direction de l’apprentissage, la capacité spécifique de l’apprenant à réguler son apprentissage en évaluant les liens entre ses comportements et les
résultats de ses apprentissages. Comme Viau, elle montre que cette capacité s’acquiert lorsque les apprenants ont une marge de liberté dans les activités proposées mais aussi
lorsque la personne a un haut degré de contrôle sur ses états émotifs, socio-affectifs et
motivationnels. Or d’après notre modèle, l’esprit d’entreprendre est lié aussi au développement d’une meilleure connaissance de ses états émotionnels et à un 46
Cette hypothèse pose plusieurs questions de mesure : Y a-t-il des niveaux minimaux d’auto-efficacité entrepreneuriale
terminale (en fin de trajectoire scolaire ou universitaire) ou bien la progression entre un niveau initial (à l’entrée dans le système
scolaire) et un niveau terminal explique-t-elle une meilleure capacité à innover ? La mesure des innovations générées doit-elle
porter sur les innovations économiques, sociales, organisationnelles ? Si l’on considère que les dynamiques d’innovation sont le
plus souvent collectives, le rôle de l’individu ayant développé une telle auto-efficacité est-il spécifique : leader, initiateur… ?
66
développement de la confiance en soi. Donc sous réserve que la pédagogie mise en œuvre laisse les apprenants faire des choix et augmente le degré de contrôle sur les états émotifs et
motivationnels, on peut faire l’hypothèse que développer l’esprit d’entreprendre accroit la motivation des apprenants. D’où les hypothèses H3 et H4 suivantes qui restent à démontrer
empiriquement :
H4 : La pédagogie qui développe l’esprit d’entreprendre laisse faire des choix aux apprenants, ce qui accroit la motivation des apprenants et leur confiance en soi.
H5 : La pédagogie qui développe l’esprit d’entreprendre augmente aussi la connaissance des états émotionnels et motivationnels ce qui contribue à
développer la capacité d’auto-direction de l’apprentissage.
On remarquera que cette manière de formuler ces deux hypothèses déplace le focus sur la
méthode pédagogique mise en oeuvre. C’est aussi le cas pour la proposition de Surlemont et Kearney (2009) concernant la lutte contre l’échec scolaire. Ils s’appuient sur les recherches de M. Crahay (2007) qui montre que l’échec scolaire est lié à un sentiment d’incapacité profond (soit l’exact contraire de la perception de contrôle qui est liée à la motivation dans le modèle de Viau), à la relégation progressive dans les voies moins nobles et à des évaluations
pronostiques et sommatives négatives (« tu ne pourras pas réussir »). D’après les auteurs, la pédagogie de l’esprit d’entreprendre permet de réduire l’échec scolaire par ses vertus motivationnelles (synthétisées dans H3 et H4) mais aussi à cause de l’accent qu’elle met sur des feedback positifs et l’accompagnement de la réflexivité. D’où l’hypothèse suivante :
H6 : La pédagogie qui développe l’esprit d’entreprendre produit des feedbacks positifs et encourage le travail réflexif des apprenants, ce qui permet de réduire
l’échec scolaire.
Compte tenu de toutes ces vertus, pour Surlemont et Kearney (2009 :114 et suivantes), la
formation à l’entrepreneuriat concerne tous les profils de public, tous les âges et tous les niveaux d’enseignement et de la formation. Car affirment-ils, « tous les apprenants peuvent
développer leurs capacités entrepreneuriales ». Et d’autre part, même si l’ « On ne peut
garantir que tout le monde soit entreprenant, ce que nous pouvons affirmer cependant, c’est que sans volonté et sans occasions à saisir, les individus ne seront jamais entrepreneuriaux.
Pourtant, il est utile pour tous de développer les attitudes entrepreneuriales. Au fond, les
qualités et les attitudes entrepreneuriales sont celles qui rendent l’action efficace ». Nous
souhaitons introduire quelques nuances vis-à-vis d’un tel optimisme, en nous basant sur la réflexion de psycho-sociologues de l’éducation et de sociologues en général. A l’évidence, le développement de l’esprit d’entreprendre chez les jeunes parait souhaitable pour relancer la dynamique d’innovation nécessaire à nos économies. Il a par ailleurs de fortes connexions
avec le développement de l’autonomie47 nécessaire à tout un chacun dans la post-modernité
47
La définition de l’autonomie est complexe. Nous avons repéré un certain nombre d’invariants à travers des définitions issues de la sociologie, de l’éducation, des sciences cognitives et de la sociologie (Verzat et Bachelet, 2001) : 1) l’autonomie est un devenir répondant à la vocation de la personne humaine d’actualiser ses potentialités et de donner un sens à sa vie, 2) elle
consiste à se choisir ses propres lois en interdépendance avec un système social comportant d’autres sujets, des règles, des lois ;
3) elle suppose une démarche de projection (attitude où le sujet fonde son devenir sur l’extériorisation d’un système de valeurs autofinalisées) par opposition à l’adaptation (intériorisation de règles, valeurs, procédures hétérofinalisées) ; 4) elle se construit
67
(Verzat, 2010 :36). Mais l’esprit d’entreprendre est-il vraiment accessible à tout le monde ?
Et ne présente-t-il pas quelques dangers ?
Nous sommes sensibles de ce point de vue à l’argumentation de Perrenoud (1999, 2002) à propos des compétences d’un acteur autonome, joliment nommé « La clé des champs, ou
comment ne pas être abusé, dominé ou exploité lorsqu’on n’est ni riche, ni puissant». Il
montre que si l’autonomie est d’abord une question d’identité, de projet, d’image de soi, il ne suffit pas de vouloir être autonome. Il faut aussi conquérir activement l’autonomie soit en transgressant habilement les règles, soit en négociant leur assouplissement, soit encore en
parvenant à une position qui garantisse davantage de pouvoir. La définition que nous avons
donnée de l’esprit d’entreprendre est parfaitement alignée avec cet objectif de savoir-faire
dans l’action en lien avec un objectif identitaire. Mais il note aussi que l’autonomie ne va pas sans responsabilités, et de ce fait, tout le monde ne choisit pas toujours la liberté et le risque
qui va de pair, d’avoir à rendre compte des conséquences de son action : « Le paradoxe de la
liberté est qu’on peut choisir d’être esclave ». Or cette volonté dépend étroitement de
compétences techniques (savoir-faire dans la situation où l’on veut être autonome) mais aussi des huit compétences psychosociologiques de l’autonomie48 qui elles, ne sont pas
également maîtrisées selon le milieu social auquel on appartient. La compétence autonome
n’est donc pas accessible par tous au même moment de leur histoire, certains auront besoin d’un cheminement plus long pour y parvenir. De plus, si l’on respecte la liberté des sujets, elle n’est pas prescriptible, à moins de tomber dans l’injonction paradoxale « sois libre ! » qui
peut rendre fou comme l’ont bien montré Watzlawick, Beavin et Jackson (1972). Perrenoud conclue que « le rôle de l’école n’est pas d’imposer un modèle unique de rapport au monde, mais d’aider chacun à savoir de quelle dose d’autonomie il a besoin pour vivre et par quels moyens il peut la garantir ». Nous partageons d’autant plus cette réserve que l’esprit d’entreprendre, davantage encore que la seule compétence autonome, expose
nécessairement au risque et à l’incertitude. Ce sont sans doute des dimensions inéluctables de la vie dans sa réalité, mais est-il nécessaire et souhaitable que tous les affrontent au
même degré, au même rythme et aux mêmes âges ? De fait, Cooper (2008) montre à partir
de l’histoire de vie de 89 adultes appartenant à des milieux sociaux très variés dans la Silicon Valley que la capacité à vivre dans la société du risque actuelle (envisager l’avenir, construire leur trajectoire de vie, assumer leur budget, minimiser les risques, contrôler les risques) n’est pas du tout également maîtrisée. Il y a clairement des gagnants issus des milieux aisés
éduqués et des perdants ne disposant pas des capitaux éducatifs, financiers et sociaux
suffisants, alors même qu’ils analysent ce qui leur arrive et font des plans pour l’avenir tout autant que les gagnants.
par élaboration de capacités lui permettant d’agir, d’exister, d’apprendre, de se transformer de plus en plus variées et
complexes, 5) ces compétences reposent sur des aptitudes cognitives de base et une confiance en soi construites à partir de la
petite enfance.
48
Les huit compétences psychosociologiques de l’autonomie définies par Perrenoud (1999, 2002) ont une forte proximité avec
certaines facettes du savoir-être de l’esprit d’entreprendre : savoir identifier, évaluer et faire valoir ses ressources, ses droits,
ses limites et ses besoins ; savoir individuellement ou en groupe, former et conduire des projets, développer des stratégies ;
savoir analyser des situations, des relations, des champs de force de façon systémique ; savoir coopérer, agir en synergie,
participer à un collectif, partager un leadership ; savoir construire et animer des organisations et des systèmes d’action collective de type démocratique ; savoir gérer et dépasser les conflits ; savoir jouer avec les règles, s’en servir, en élaborer ;
savoir construire des ordres négociés par-delà les différences culturelles.
68
Une deuxième raison de se méfier d’un objectif entrepreneurial normatif univoque pour tous les apprenants d’une même classe d’âge consiste à reconnaitre le rôle de certaines dimensions stables de la personnalité. Après avoir été bien décriées par les chercheurs en
entrepreneuriat, nous avons souligné que deux variables analysées par les modèles d’analyse
de la personnalité validés aujourd’hui (l’extraversion et l’ouverture dans le modèle des big five) ont un lien démontré avec l’intérêt vocationnel pour l’entrepreneuriat (cf § B1, figure 1).
Le facteur prédictif de la personnalité étant limité, il n’est pas question dans notre esprit de
sélectionner sur cette base les individus qui pourraient bénéficier d’un programme éducatif visant le développement de l’esprit d’entreprendre. Mais nous souhaitons juste souligner ici que tous les individus n’ont probablement pas les mêmes dispositions au départ à souhaiter
cet apprentissage.
Enfin, la dernière raison de notre réserve est liée aux effets sociaux particulièrement néfastes
de la course à la performance économique dont l’entrepreneur constitue une figure emblématique. Le sociologue Alain Ehrenberg analyse avec force la manière dont la figure
entrepreneuriale soutient l’imaginaire de la société actuelle caractérisée par l’incertitude et la compétition. « L’entrepreneur est érigé en modèle de vie héroïque parce qu’il résume un style de vie qui met au poste de commandes la prise de risques dans une société qui fait de la
concurrence interindividuelle une juste compétition. Quand le salut collectif qu’est la transformation politique de la société est en crise, la logorrhée de challenges, de défis, de
performances, de dynamisme et autres attitudes conquérantes constitue un ensemble de
disciplines de salut personnel. Quand nous n’avons plus que nous-mêmes pour nous servir de
repère, quand nous sommes et la question et la réponse, le mythe prométhéen de l’homme embarqué seul dans le bateau de sa destinée et affronté à la tâche d’avoir à se construire, se trouver une place et une identité sociales par lui-même est le lot commun » (Ehrenberg,
1991 : 174). Le problème est que cette normalisation de l’autonomie a pour conséquence une grande fragilisation des individus. Dans son tryptique49 à la frontière de la sociologie et
de la psychanalyse, il explique les formes actuelles de la dépression liées à la « fatigue d’être soi » qui ne renvoient plus comme hier à la culpabilité mais à la responsabilité. « La
dépression est la pathologie d’une société où la norme n’est plus fondée sur culpabilité et la discipline mais sur la responsabilité et l’initiative. Hier, les règles sociales commandaient des
conformismes de pensée, voire des automatismes de conduite ; aujourd’hui elles exigent de l’initiative et des aptitudes mentales. L’individu est confronté à une pathologie de l’insuffisance plus qu’à une maladie de la faute, à l’univers du dysfonctionnement plus qu’à celui de la loi : le déprimé est un homme en panne ». (Ehrenberg, 1998 :16). Il note que cette
évolution va de pair avec un effacement de la référence au conflit. Les dépressions
contemporaines sont moins qu’autrefois analysées par les psychanalystes comme le résultat
49
Le culte de la performance (1991), L’individu incertain (1995), la fatigue d’être soi (1998) constituent un tryptique qui analyse la transformation de la société actuelle souvent perçue comme individualiste. Ehrenberg démontre qu’il s’agit plutôt d’une normalisation de l’autonomie, qui transforme les rapports entre l’espace public et l’espace privé, car l’autonomie exigée prend ses appuis dans le domaine privé. La frontière entre les deux espaces est brouillée, la réussite y impose les mêmes outils : savoir
communiquer, négocier, se motiver, gérer son temps et ses ressources. Le prix à payer de l’autonomie est une exigence accrue de responsabilité : Enjoint de décider et d’agir en permanence dans sa vie privée comme professionnelle, l’individu conquérant du culte de la performance, est aussi un individu incertain, en souffrance. Ce qui a pour conséquence une transformation des
pathologies dépressives : Autrefois liées au conflit entre désirs et morale, le refoulement, l’interdit, les dépressions actuelles sont liées à l’épuisement de l’individu qui manque d’énergie et de désir. 69
d’un refoulement inconscient dû à un conflit intrapsychique qui se joue dans la filiation. La
guérison de ces conflits consistait à apprendre à vivre avec ses démons intérieurs, ce qui
permet de devenir libre (mais pas forcément heureux). Aujourd’hui les nouvelles demandes adressées à la psychanalyse « n’ont pas le visage limpide du conflit mais celui insaisissable du vide ». Un nombre croissant de demandes est lié au licenciement, au chômage, à la précarité,
qui finit par apparaitre comme une forme de « névrose de guerre économique », dans
laquelle « les analystes ne savent pas définir les références à la souffrance de ces patients, on
ne sait pas trop où ça fait mal, comment et quand ». (Ehrenberg, 1998 :258-259). Le travail
des psychanalystes consiste alors moins à guérir des névrosés que d’accompagner sur la durée des traumatisés. En conclusion, Ehrenberg cite le philosophe Wittgenstein (1937) :
« Tout est devenu si compliqué que, pour s’y retrouver il faut un esprit exceptionnel. Car il ne
suffit plus de bien jouer le jeu : la question suivante revient sans cesse : est-ce que tel jeu est
jouable maintenant, et quel est le bon jeu ». Nous sommes tentés de dire que
l’accompagnement dont il est question, consiste à aider un individu à réaliser ce qu’il peut
réellement faire dans un monde où l’on a tendance à croire que tout est possible et que chacun est responsable de ses choix, autrement dit selon Ehrenberg, à « supporter l’illusion que tout lui est possible » (Ehrenberg, 1998 :293).
Ce risque dépressif nous parait amplifié en entrepreneuriat, par le fait que la réalisation de
soi promise repose sur une responsabilisation importante et prioritaire dans le champ
économique et organisationnel de l’entreprise. En effet la création de valeur et les
opportunités s’analysent prioritairement au niveau économique50 sur un marché
concurrentiel avec des effets de leviers organisationnels et financiers, dans lesquels tous les
acteurs sont très loin d’être à armes égales. Ce qui rend le jeu fortement aléatoire et moins
dépendant des compétences à développer que des capitaux sociaux et financiers réunis au
départ. Alors que la mythologie de l’entrepreneuriat suggère que l’entrepreneur peut -par
ses seules compétences- faire évoluer le jeu en sa faveur. La responsabilisation peut donc
devenir totalement irréaliste. D’autre part au niveau organisationnel, de nombreux sociologues et psychanalystes du travail démontrent que les pratiques gestionnaires
actuelles ont un rôle significatif dans l’augmentation des souffrances psychiques au travail :
stress, épuisement professionnel, hyperactivité, burn out, dépression, consommation de
psychotropes et d’antidépresseurs, jusqu’à la manifestation dramatique des suicides. L’approche psychodynamique du travail (Dejours, 1998, Pezé, 2008) met particulièrement
l’accent sur les mécanismes d’isolement des individus lorsque l’exacerbation de la compétition et de la pression finit par rendre le comportement humain proche de celui des
loups : il n’existe plus de solidarités, plus d’espaces de coopération permettant aux individus de compenser les souffrances, de se mettre d’accord pour réorganiser les tâches de manière à les rendre vivables. Les individus les plus fragiles deviennent alors rapidement les boucémissaires ou les victimes d’un système que les autres ignorent pour sauver leur peau… jusqu’à ce que le système les rattrape à leur tour. N. Aubert (2004, 2010) et V. de Gaulejac (2005) montrent que les systèmes, les discours et les pratiques de gestion véhiculant le culte
50
Nous n’ignorons pas la vogue récente pour les notions de responsabilité sociale de l’entreprise, et d’entrepreneuriat social,
mais nous considérons qu’elles restent marginales.
70
de la performance et de l’excellence finissent par constituer une idéologie qui instrumentalise les individus considérés comme des « ressources humaines » voire comme
« la variable d’ajustement » au service d’intérêts prioritairement financiers et économiques.
De notre point de vue, l’ambivalence de la responsabilité de l’entrepreneur vis-à-vis à la fois
du succès de son projet économique et de son projet de vie (et qui engage souvent d’autres personnes autour de lui) peut laisser place à des tentations d’instrumentalisation auxquelles il est d’autant plus difficile de résister qu’il est souvent seul dans la prise de décisions et que les frontières entre le public et le privé, entre le possible et le moral sont brouillées dans la
société actuelle. Le risque de devenir victime ou bourreau d’un système organisé à visée essentiellement économique exaltant la performance ne nous semble pas mince. Préparer
les jeunes à embrasser la manière de penser des entrepreneurs voire à endosser leur rôle
social nécessite à notre sens d’équiper fortement leur discernement et leur humanité.
Il convient donc d’être prudent dans la définition des objectifs d’apprentissage de l’esprit d’entreprendre. Car définir des objectifs d’apprentissage dans une communauté éducative
consiste à mettre en place une norme. Or ériger l’esprit d’entreprendre comme une norme de comportement basée sur la prise de risque, l’affrontement des incertitudes et la responsabilité économique valable pour tous au même degré et au même moment n’est pas sans danger. Le risque est réel de casser durablement la dynamique identitaire et
motivationnelle qui en constitue l’un des moteurs essentiels. En effet si l’on fixe aux apprenants des objectifs de prise de responsabilité et de risque irréalistes par rapport aux
compétences de départ ou trop dépendants d’aléas de l’environnement sur lesquels les jeunes n’ont que peu de maîtrise, on risque de confronter les jeunes, et particulièrement les plus fragiles, à des échecs cuisants dont ils pourraient s’estimer responsables. Ceci aurait pour effet de creuser l’estime de soi au lieu de la construire, de créer dès l’école, les conditions de la dépression dans sa nouvelle forme post-moderne51. C’est-à-dire l’objectif inverse de celui qui est visé. Paradoxalement, nous avons bien vu que l’esprit d’entreprendre se développe si les jeunes ont intériorisé des normes sociales favorables, donc adhèrent à un
système de croyances et de valeurs partagées par une communauté à laquelle ils se sentent
appartenir. Et nous savons aussi que l’éducation est la meilleure chance d’atténuer les inégalités de capital issues du milieu social. En d’autres termes qu’il est préférable d’entraîner le plus tôt possible ces compétences cruciales pour affronter la société du risque
et de l’incertitude, qui est une réalité aujourd’hui. Le deuxième paradoxe est de susciter des comportements basés sur la liberté sans tomber dans les injonctions paradoxales. Le
troisième paradoxe est de profiter de la dynamique entrepreneuriale qui permet à des
individus de prouver leur valeur vis-à-vis d’eux-mêmes et d’autrui par la création de valeur sur un marché, sans pour autant être submergé par la compétition économique et l’exigence de performance qui ravale les humains au statut de ressource instrumentalisée.
51
On pourrait penser que cette formulation dramatise à l’excès les risques en milieu scolaire. Notre expérience d’accompagnement de projets d’innovation réels en école d’ingénieur ainsi que d’enseignement auprès d’étudiants en entrepreneuriat en alternance, nous a confrontée à des symptômes de stress, d’épuisement, d’isolement et de manque de coopération entre étudiants voire de violences (rares mais réelles) qui portent la marque de l’instrumentalisation et du brouillage des repères caractéristiques de la société hypermoderne.
71
Alors que faire ? Existe-t-il des manières de résoudre ces paradoxes ? La première
proposition est d’être particulièrement attentif dans le dosage de responsabilisation, de prise de risque, de confrontation à l’incertitude et de valorisation économique de chaque activité,
tant dans la conception des activités que dans la rédaction des critères de performance. Il est
impératif de veiller à ce qu’ils soient suffisamment ambitieux pour être motivants tout en restant accessibles. Ce qui rejoint en éducation, la notion de zone de développement
proximal de Vygotsky et qui a bien été souligné par Surlemont et Kearney (2009 :33) ainsi
que par Pelletier (2005 :32). Plus loin, nous pensons que ces critères devraient être rédigés
de manière à rester accessibles à tous les jeunes concernés par l’activité, afin que la dynamique de réussite s’appuie d’abord sur une finalité de solidarité et de développement humain avant la finalité de performance économique. Dans la même veine, nous pensons
que la finalité économique doit rester un moyen au service de l’apprentissage et non l’inverse. La troisième proposition est d’accepter que tous les jeunes n’atteignent pas nécessairement le même niveau de performance sans que cela nuise à leur évolution globale,
en d’autres termes d’accepter le principe de différenciation pédagogique cher à Perrenoud y compris dans les niveaux d’objectifs à atteindre. Chacun à sa vitesse et à sa hauteur devrait être la règle. Cette discussion nous conduit finalement à formuler plusieurs propositions sous
forme de points de vigilance pour la formulation des critères de performance attendus dans
une classe, un établissement ou une situation donnée. Elles sont issues de l’expérience des experts consultés ainsi que de notre propre pratique. La pertinence et la faisabilité de ces
points de vigilance reste à valider, ce à quoi peut contribuer la recherche. Mais on peut
d’ores et déjà avancer qu’ils dépendent étroitement de la manière dont ils seront mis en
œuvre, c’est-à-dire de la pédagogie utilisée, des postures des accompagnants et du contexte
institutionnel, ce que nous étudierons dans la deuxième grande partie de ce mémoire. Nous
proposons de formuler les points de vigilance suivants.
Les activités visant le développement de l’esprit d’entreprendre sont susceptibles de
produire un renforcement de l’auto-efficacité constructif pour l’identité et la motivation à condition que :
V1 : Le degré de prise de risque, de responsabilité et d’incertitude des activités et les critères permettant de juger la performance des participants soient
suffisamment motivants mais accessibles pour rester dans la zone de
développement proximal des jeunes concernés.
V2 : Les critères de performance des activités soient accessibles à tous les jeunes
engagés dans l’activité afin que la solidarité soit prioritaire par rapport à
l’atteinte des objectifs économiques.
V3 : Les critères de performance des activités priorisent la finalité d’apprentissage par rapport à la finalité de création de valeur économique.
V4 : Les critères de performance puissent être modulés en fonction des acquis de
départ de chacun des participants.
72
Conclusion de la partie 1.
Tout au long de cette partie, nous avons cherché à expliciter de quoi il est question quand on
évoque le mot valise bien commode « esprit d’entreprendre » et comment on peut le
traduire en objectifs éducatifs. Le détour par les acquis de la recherche en entrepreneuriat
nous a permis de mettre en évidence les composantes et les processus dynamiques à la fois
d’ordre cognitif, conatif et socio-affectif de cette manière de penser et d’agir qui semble caractériser les entrepreneurs. En s’appuyant sur ces acquis théoriques et à partir des répertoires empiriques bâtis par trois experts de l’éducation à l’entrepreneuriat, nous avons
abouti à construire un référentiel de compétences de l’esprit d’entreprendre. Mais ce n’est que la partie théorique d’un travail qui n’a d’intérêt que s’il est mis en place dans la réalité d’une communauté éducative donnée. Un deuxième travail est donc à engager en collaboration avec les directeurs d’école, les enseignants, des clients et partenaires externes et des apprenants. Il consiste à définir les
objectifs de compétences précis à atteindre à chaque niveau d’étude et à mettre au point les critères de performance acceptable sous forme de comportements précis à observer dans
chaque situation d’apprentissage. Dans la discussion finale de cette partie, nous avons cherché à montrer que ce deuxième exercice peut être assez ardu. Il demande d’abord de réfléchir aux finalités prioritaires recherchées à travers cette éducation : développer la
capacité des individus à innover dans toute situation et finalement dans tout type d’emploi, développer l’employabilité, former des futurs entrepreneurs, développer la motivation et la
confiance en soi des apprenants, développer la capacité d’auto-direction de l’apprentissage, lutter contre l’échec scolaire... Selon les priorités choisies, le choix entre les différentes capacités à former répertoriées dans le modèle peut varier. Ces choix permettront de guider
la formalisation des critères d’évaluation des compétences finales attendues en fin de programme éducatif. Nous avons aussi souligné que ce deuxième travail de définition
demande un grand discernement afin d’éviter de casser la dynamique identitaire sousjacente aux effets de levier d’apprentissage recherchés. Il est impératif de doser raisonnablement et très progressivement le niveau de risque, de responsabilité, d’exposition à l’incertitude et à la réalité économique en fonction des capacités de départ et des fragilités
des jeunes concernés.
Dès lors qu’on a fixé les objectifs, un troisième travail majeur reste à conduire : il faut mettre
en place des activités adéquates, les piloter, les évaluer. Nous passons du pourquoi au
comment éduquer et entraîner une compétence aussi complexe ? Et là, tout un ensemble de
dispositifs, de moyens et surtout d’acteurs sont convoqués : les enseignants, les apprenants
eux-mêmes mais aussi des partenaires du monde économique et social entourant l’école ou l’université. Les trois experts en éducation entrepreneuriale dont nous nous sommes
largement inspirés expliquent chacun à leur façon qu’il s’agit d’un changement complet de
pédagogie et plus largement de culture éducative. C’est l’objet de notre deuxième grande
partie.
73
2ème partie – Eduquer l’esprit d’entreprendre, une nouvelle
manière d’enseigner ?
L’entraînement d’une compétence aussi vaste et aussi complexe que l’esprit d’entreprendre met les pédagogues habitués à enseigner des connaissances devant une réelle difficulté :
mais comment enseigner un état d’esprit ? Si la description des objectifs d’apprentissage est
déjà bien ardue, la compréhension de l’art qui consiste à le susciter et le faire grandir chez des apprenants de tous âges se heurte à bien des questions en forme d’oxymores : Peut-on
transmettre cet état d’esprit sans avoir au moins tâté ou goûté soi-même à l’aventure entrepreneuriale ? Est-il possible d’apprendre l’entrepreneuriat sans engager les apprenants
dans une création de valeur économique ? S’il est question d’un art d’innover, peut-on le
circonscrire dans un mode opératoire formalisé et normatif qui serait plus de l’ordre de la reproduction que de l’innovation ? Une institution éducative du primaire au supérieur qui
fonde traditionnellement sa légitimité sur l’expertise scientifique détenue et maintenue par une corporation savante très hiérarchisée peut-elle accepter de partager la transmission des
compétences avec des professionnels du milieu économique ou social, dont les métiers et les
finalités reposent des systèmes de valeurs tout à fait différents ?
Ces questions traversent l’enseignement de l’entrepreneuriat qui vit actuellement à la fois un grand développement et une puissante remise en cause. L’enseignement de
l’entrepreneuriat démarré en 1938 au Japon et surtout en 1947 à l’Université de Harvard
s’est très largement développé aux Etats-Unis puis dans le reste du monde (Kuratko, 2005).
Même si l’enseignement de l’entrepreneuriat reste encore insuffisant et majoritairement
réservé aux facultés de gestion et écoles de commerce, l’Europe a suivi le même mouvement
d’expansion selon les études récentes commanditées par l’Union Européenne (Verzat, 2009).
La prise de conscience – largement suscitée par l’UE - de la nécessité de commencer à
éduquer l’entrepreneuriat dès le plus jeune âge s’est traduite aussi par l’invention d’une pléthore d’outils, supports et autres mallettes pédagogiques52 ainsi que la mise en place
d’agents de sensibilisation le plus souvent financés par les collectivités locales afin de
favoriser leur mise en place dans les écoles primaires et secondaires. Pourtant, malgré cet
essor, l’éducation à l’entrepreneuriat est loin de faire l’objet d’un consensus sur les principes,
les bonnes pratiques et les modalités d’évaluation à mettre en œuvre. Elle est très critiquée
dans sa forme actuelle jugée peu adaptée à la nature des compétences, comportements et
valeurs à éduquer (Gibb, 2005, Honig, 2004, Sarasvathy, 2001). De très nombreux défis
épistémologiques, théoriques et pédagogiques sont encore à relever (Fayolle, 2008, Fayolle
et Verzat, 2009).
52
Plusieurs sites francophones font un large inventaire des outils et pratiques pour enseigner l’entrepreneuriat : fondation
FREE : , http://www.freefondation.be/ site de l’OPPE (observatoire des pratiques pédagogiques en entrepreneuriat) :
http://www.apce.com/pid190/espace-enseignant.html?espace=5
74
Nous essaierons dans un premier temps de dresser l’état des lieux et de saisir la nature des
critiques qui sont adressées aux formes actuelles de l’enseignement de l’entrepreneuriat,
lesquelles sont à la fois épistémologiques, pragmatiques, culturelles et organisationnelles.
Puis, nous essaierons de comprendre dans quelle mesure le nouveau paradigme éducatif
avancé par un certain nombre de chercheurs et praticiens de l’éducation à l’entrepreneuriat s’inscrit dans les principes socio-constructivistes de la pédagogie active. Dans une troisième
partie, nous étudierons jusqu’où cette pédagogie entreprenante questionne les pratiques et
la professionnalité enseignante, à quelles conditions des partenariats entre le monde
éducatif et économique peuvent devenir constructifs et vers quelle sorte de gouvernance les
institutions éducatives sont appelées pour favoriser le développement d’un esprit entrepreneurial. Ceci nous conduira en conclusion à présenter un certain nombre de pistes
de recherches que nous jugeons pertinentes et utiles pour avancer dans la compréhension
du comment éduquer l’esprit d’entreprendre.
A – Un constat de départ : l’inadéquation et le déficit d’offre éducative concernant l’esprit d’entreprendre.
L’état des lieux de l’offre éducative et des pratiques pédagogiques en entrepreneuriat est perceptible à travers une série d’études, d’enquêtes comparatives, de revues de littérature
académique et de rencontres d’experts internationaux issus du monde de l’enseignement, de
la recherche et de décideurs politiques. Avant de rentrer dans le contenu des critiques
adressées aux systèmes éducatifs actuels, précisons quelles sont les sources d’information
qui permettent de faire l’état des lieux.
Les sources d’information sur l’état des lieux de l’éducation à l’entrepreneuriat.
Au niveau mondial, le Global Entrepreneurship Monitor53 (GEM) institué en 1999 par un
partenariat entre La London Business School et le Babson College s’est donné pour mission d’évaluer chaque année l’activité entrepreneuriale, son rôle et ses conditions de développement dans l’économie de chaque pays. En 2010, il couvre 59 pays. A partir d’un sondage auprès de 2000 adultes par pays et d’interviews auprès d’experts politiques, économiques, académiques…, le modèle du GEM évalue les comportements des
entrepreneurs à tous les stades de développement ainsi que les facteurs sociétaux qui
contribuent à cette activité. La qualité, la pertinence et l’extension des programmes de sensibilisation et de formation à l’entrepreneuriat ainsi que la culture et les normes sociales favorables à l’entrepreneuriat font partie des 9 facteurs identifiés. En 2009, la section
éducation du World Economic Forum, a travaillé sur le besoin « d’éduquer la prochaine vague d’entrepreneurs 54», animant une vaste concertation entre des acteurs variés du
monde économique, politique, académique ainsi que des projets concrets en Palestine, au
53
54
http://www.gemconsortium.org/download/1309874404518/GEM%20GLOBAL%20REPORT%202010rev.pdf
https://members.weforum.org/pdf/GEI/2009/Entrepreneurship_Education_Report.pdf
75
Rajhastan, en Jordanie et en Egypte. De son côté, le gouvernement fédéral des Etats-Unis a
fait réaliser par l’Institut IDA-STPI en 201055 un très large état des lieux portant sur les
objectifs, les programmes, les approches et les parties prenantes de l’enseignement de l’entrepreneuriat dans l’ensemble du système éducatif américain afin d’identifier les secteurs devant être aidés dans leur mission par le niveau fédéral. Pour cet état des lieux, une large
revue de littérature académique a été complétée par un grand nombre d’interviews auprès
de responsables éducatifs et d’experts. Pallalèlement en collaboration avec l’International Entrepreneurship Forum, l’OCDE a lancé une vaste recherche comparative56 sur les
approches de l’enseignement de l’entrepreneuriat à l’université en Amérique du Nord,
Europe de l’Ouest et de l’Est visant à développer les compétences entrepreneuriales et lancer de nouvelles affaires.
De même la même façon en Europe, de nombreuses rencontres d’experts et enquêtes ont
été commanditées à partir des années 2000 par l’Union Européenne afin de comprendre
comment développer le nombre et le succès des entrepreneurs en misant sur l’éducation :
On peut citer le « Best Procedure Project 57» réunissant 33 experts en 2008 représentant 28
pays européens, afin de réfléchir aux bonnes pratiques dans l’éducation à l’entrepreneuriat à
tous les niveaux du primaire au supérieur, le « Survey of Entrepreneurship in Higher
Education in Europe58 » réalisée en 2008 à la demande de l’UE auprès de 459 institutions
d’enseignement supérieur issus de 31 pays afin de faire le point sur l’offre éducative et mettre en évidence les facteurs clé de succès, le projet européen Enspire-EU59 démarré en
2009 qui a pour objectif de formaliser les bonnes pratiques de sensibilisation et formation à
l’entrepreneuriat vis-à-vis des publics les plus en difficulté. D’autres enquêtes ont pour origine des initiatives académiques visant à évaluer l’état d’esprit des étudiants vis-à-vis de
l’entrepreneuriat, notamment l’Enquête GUESS60 (Global University Entrepreneurial Spirit
Student Survey) conduite en 2003, 2004, 2006, 2008 et 2011 sur les intentions, croyances et
activités entrepreneuriales des étudiants en relation avec l’offre de services et de formation par les universités (plus 63000 étudiants issus de 21 pays du monde entier en 2008). De son
côté, la fondation EFER (European Foundation for Entrepreneurship Research) en
collaboration avec la fondation EFMD (European Foundation for Management Development)
avait initié dès 1987 des rencontres entre acteurs de l’éducation à l’entrepreneuriat. Une
enquête pilote auprès de 240 professeurs au niveau universitaire visant à mettre en évidence
les pratiques et les besoins d’amélioration a été réalisée par cette fondation en 2004.
Soubassement théorique de la plupart de ces études et enquêtes, un domaine de recherche
à part entière s’est progressivement constitué sur l’éducation à l’entrepreneuriat depuis les
années 90. Il est désormais difficile d’en faire le tour, car la production s’étend sur plus de 40 55
56
57
58
59
60
https://www.ida.org/upload/stpi/pdfs/d-4091nsfinal072910.pdf
http://www.oecd.org/document/62/0,3746,en_2649_34417_41575998_1_1_1_1,00.html
http://ec.europa.eu/enterprise/entrepreneurship/support_measures/training_education/entr_highed.pdf
http://ec.europa.eu/enterprise/policies/sme/files/support_measures/training_education/highedsurvey_en.pdf
http://www.enspire.eu/home
http://www.guesssurvey.org/PDF/2009/France_2008.pdf
76
revues académiques spécialisées en entrepreneuriat sur une vingtaine d’années61. Sans
pouvoir prétendre à l’exhaustivité, nous avons repéré des méta-analyses dont l’objet est d’évaluer systématiquement l’extension de la discipline et de mettre en évidence les débats
et les défis de l’éducation à l’entrepreneuriat (Dana, 1992, Garavan et O’Cinneide, 1994, Gorman, Hanlon et King, 1997, Katz, 2003, Klandt, 2004, Béchard et Grégoire, 2005, Kuratko,
2005, Matlay, 2005 et 2006, Binks, 2006, Solomon, 2007, Pittaway et Cope, 2007, Van der
Sluis, Van Praag et Vijverberg, 2008, Mwasalwiba, 2010). Ces articles proposent des métaanalyses, au sens où les sources et les méthodologies utilisées consistent majoritairement
dans des analyses thématiques à partir de revues de littérature comportant pour les plus
récentes, jusqu’à 120 références concernant l’éducation à l’entrepreneuriat. Certains articles
s’appuient en sus, sur des revues d’enquêtes spécifiques auprès d’étudiants, le dénombrement et la classification des revues académiques en entrepreneuriat, l’inventaire des postes d’enseignants et chercheurs de la discipline, le dénombrement des programmes,
des chaires, prix, et congrès de la discipline, des entretiens approfondis avec des experts de
la discipline, l’analyse de sites d’acteurs prégnants dans la discipline (fondations notamment).
De cet ensemble d’informations et d’analyses, il ressort un certain nombre d’éléments-clé
concernant l’état des lieux, que nous allons parcourir très rapidement ici.
Les constats principaux : une offre éducative en pleine expansion à l’université mais très fragmentée et peu évaluée.
Tout d’abord, il faut noter que la très grande majorité des études consultées recensent,
comparent et analysent les objectifs, les acteurs, les pratiques et les structures consacrées à
l’éducation entrepreneuriale dans l’enseignement supérieur. Il existe encore peu d’enquêtes ou d’études académiques consacrées au niveau de l’enseignement primaire et secondaire 62.
Tous les auteurs s’accordent à dire que la définition de l’entrepreneuriat et donc des
objectifs éducatifs n’est pas claire du tout entre la préparation à la création d’entreprise et le
développement de l’esprit d’entreprendre63. Les termes « entrepreneurial education »,
« enterprise education », « entrepreneurship education » sont la plupart du temps
interchangeables et non définis. Cette extrême confusion des objectifs et des objets à
enseigner a pour conséquence une réelle difficulté à expliciter et discuter quelles sont les
cibles ainsi que les dispositifs ou méthodes pédagogiques adaptés, et bien sûr à évaluer
l’impact précis de tous ces programmes ainsi que les facteurs de contexte qui contribuent à
61
La première revue académique spécialisée en entrepreneuriat a démarré en 1975 (American Journal of Small Business,
devenue en 1988 Entrepreneurship Theory and Practice). Le premier numéro spécial sur l’éducation est paru en 1991 dans cette revue (Katz, 2003).
62
Mwasalwiba (2010) cite à ce sujet les études de Lee et Wong (2006), Henry, Hill et Leitch (2005a,b), Peterman et Kennedy
(2003). Le guide de Pelletier (2005) et le livre de Surlemont et Kearney (2009) témoignent aussi des efforts aux niveaux primaire
et secondaire.
63
A partir des objectifs de l’éducation à l’entrepreneuriat revendiqués par 20 articles de recherche retenus sur ce sujet, Mwasalwiba (2010 :26) propose de distinguer 4 types finalités : la création d’entreprises et d’emplois, la contribution à la société, la stimulation des capacités entrepreneuriales, le développement de l’esprit d’entreprendre, de la culture et des attitudes. L’inventaire de Kirby (2004) répertoriant 205 programmes est construit autour de 3 finalités principales : Education
FOR entrepreneurship (orienter vers et sensibiliser à l’entrepreneuriat), Education ABOUT entrepreneurship (développer des compétences pour la création d’entreprise, l’auto-emploi et l’autosubsistance économique), Education IN entrepreneurship (aider les petites entreprises à survivre et croitre).
77
les rendre efficaces (Pittaway et Cope, 2007). Tous ces facteurs contribuent à donner une
allure très fragmentée à l’offre éducative en entrepreneuriat (Mwasalwiba, 2010 :21).
Il n’en reste pas moins qu’à l’université, l’éducation à l’entrepreneuriat s’est développée de
manière exponentielle d’abord aux Etats-Unis puis dans un grand nombre de pays du monde
en Europe, puis Afrique et Asie (Inde, Chine, Singapour). L’antériorité, le nombre des
formations dispensées, des chaires et des positions académiques, (et sans doute la culture)
maintiennent les Etats-Unis dans un leadership incontesté. Analysant l’histoire de la discipline aux Etats-Unis entre 1947 et 1999, Katz (2003) démontre une triple progression du
nombre des cours, des professeurs titulaires et des revues académiques avec désormais un
doublement tous les 4 ans au point de craindre une saturation de la discipline. Kuratko
(2005) estime au contraire, qu’après avoir démontré sa spécificité par rapport à l’éducation managériale, la croissance de l’entrepreneuriat en tant que discipline académique continuera
au détriment des autres domaines de la gestion au sein des Business Schools64 et étendra son
territoire sur les autres facultés grâce aux modules interdisciplinaires. L’offre éducative dans les universités européennes progresse mais reste jugée insuffisante par l’ensemble des experts, plus de la moitié des étudiants n’ayant pas accès à une quelconque formation
entrepreneuriale (Verzat, 2009). Le nombre des enseignants compétents en entrepreneuriat
reste très insuffisant (Gibb, 2002).
Il existe un consensus relatif sur le fait que la pédagogie idéale devrait être réalisée de
manière active. Mais la majorité des cours reste encore réalisée à l’université sous forme de
cours ou de conférences en amphithéâtre. (Solomon, 2007, Verzat, 2009). Malgré tout,
beaucoup d’initiatives voient le jour, notamment grâce à des nouveaux médias. Beaucoup
d’études constatent qu’une grande variété de méthodes et de supports plus ou moins actifs
sont utilisés : études de cas, vidéos, compétitions de plans d’affaire, simulations de jeux
d’entreprise, cours sur les disciplines de la gestion, accompagnement de projets fictifs ou
réels, stages, exercices en classe, consultation de sites internet… (Pittaway et Cope, 2007,
Fayolle et Verzat, 2009, Mwasalwiba, 2010). La plus grande partie des programmes actifs est
basée selon plusieurs analyses systématiques (Hills, 1988, Honig, 2004, Solomon, 2007) sur
l’élaboration de business plan. Celui-ci consiste en la description d’un produit ou service
futur, son contexte concurrentiel, les contraintes et opportunités de l’environnement, ainsi que les stratégies concernant la levée de fonds, le plan marketing, l’organisation de la production, le mode de management. Mais la manière dont ces dispositifs agissent sur les
différentes composantes de l’esprit d’entreprendre est au fond mal connue, faute d’évaluation appropriée et systématique (Fayolle et Verzat, 2009).
De fait, la mesure de l’impact de l’éducation à l’entrepreneuriat a été recherchée à plusieurs
niveaux. Au niveau macro-économique, l’investissement dans l’éducation à l’entrepreneuriat est considéré dans le modèle du GEM comme ayant un impact positif potentiel sur l’activité économique d’un pays. Au niveau des individus, des recherches ont porté sur l’effet de l’éducation entrepreneuriale en termes de sélection et de performance des entrepreneurs. A
64
Mwasalwiba (2010 :28) montre que le public des étudiants en business schools reste dominant (30% des étudiants) suivi par
celui des entrepreneurs et employés actuels des PME, et les groupes de minorités (femmes, immigrants…). Les étudiants hors
business sont estimés à 16%.
78
partir d’une revue de littérature portant sur plus de 100 articles économiques sur le sujet,
Van der Sluis et al. (2008) montrent que l’impact sur la sélection des entrepreneurs est insignifiant, mais que l’effet sur la performance est positif et significatif. Cet effet se traduit
par un retour sur investissement de la formation directement visible dans les salaires des
entrepreneurs, lequel est plus fort aux Etats-Unis qu’en Europe et plus fort pour les femmes que pour les hommes. Par contre, l’évaluation des effets précis d’un module de formation reste controversée. Pittaway et Cope (2007) s’appuyant sur d’une revue de littérature thématique, argumentent que la mesure principale utilisée actuellement auprès des
étudiants (l’évolution des intentions d’entreprendre) est forcément très dépendante de
facteurs sociétaux et surtout ne dit pas grand-chose de la capacité des étudiants à s’engager effectivement dans la création d’entreprise ou à agir réellement comme des entrepreneurs.
Nous ajoutons que ces mesures n’analysent pas les compétences ou capacités réellement
acquises, étant donné que celles-ci n’ont pas été clarifiées.
Aux niveaux primaire et secondaire, nous avons assez peu d’informations. Aux Etats-Unis,
l’IDA-STPI montre que 17 Etats sur 50 ont mis en place un cadre législatif favorable à
l’éducation à l’entrepreneuriat, ce qui se traduit par au moins quatre modes opératoires différents65 selon la cible visée et la répartition des rôles entre l’école et le milieu extérieur. Il en ressort que les acteurs principaux de l’éducation à l’esprit d’entreprendre sont en réalité moins les enseignants que des fondations, associations privées ou publiques66, qui
sponsorisent et souvent réalisent un grand nombre d’actions. Leur offre comprend des
curricula complets, des contenus standards, du mentorat, des compétitions de business plan,
des sites internet offrant ressources et réseaux, des camps d’été. L’ensemble de ces acteurs ont des visions de l’objectif et des pratiques très variées, sans aucune forme de consensus
concernant la définition de l’objet et l’évaluation de leurs impacts. Quelques chercheurs
suggèrent que le potentiel entrepreneurial doit être détecté au niveau du secondaire pour
pouvoir orienter les choix de carrière (Gasse, 1985, Filion, 1994). Mais quelques recherches
signalent les écoles actuelles sont plutôt anti-entrepreneuriales, allant jusqu’à décourager voire supprimer les capacités des jeunes à entreprendre (Chamard, 1989 cité par Gorman,
1997).
Au final, il apparait que la définition de l’esprit d’entreprendre en tant que tel n’est pas
véritablement l’objet des débats, mais il est au cœur de la discussion sur la manière
d’enseigner l’entrepreneuriat à l’Université. Deux arguments majeurs prévalent : 1)
L’entrepreneuriat est un phénomène complexe encore en définition, mais en tout état de
cause, il s’oppose au management classique, car il met en œuvre un mode de penser et d’action différent. 2) L’enseignement tel qu’il est dispensé actuellement (notamment) dans
les écoles et facultés de management est inadéquat pour entraîner les comportements,
attitudes et valeurs spécifiques de l’esprit d’entreprendre.
65
Ces 4 modalités sont nommées « incorporated model » : notions d’entrepreneuriat intégrées dans un cours de gestion ou de marketing, mais associé à une compétition entrepreneuriale gérée par une association extérieure, « start-up model » :
programme spécifique de création de business local résevé aux élèves à risque, « intern model » : notions d’entrepreneuriat intégrées dans un cours normal avec opportunité d’application lors de stages extérieurs, « partnered model » : module confié à
une association externe. Rapport IDA-STPI (2010 :10)
66
Les trois principales associations non gouvernementales recensées par le rapport IDA-STPI (2010 :13) sont le Junior
Achievement, la fondation Kauffman, le NFTE (Network for Teaching Entrepreneurship).
79
Les critiques adressées au système actuel d’éducation à l’entrepreneuriat.
Un grand nombre d’acteurs et d’auteurs expriment que le système éducatif dans son
ensemble est profondément inadapté. Le rapport du World Economic Forum l’affirme avec
force : « Entrepreneurship education is essential for developing the human capital necessary
for the society of the future. It is not enough to add entrepreneurship on the perimeter – it
needs to be central to the way education operates. Educational institutions, at all levels
(primary, secondary and higher education) need to adopt 21st century methods and tools to
develop the appropriate learning environment for encouraging creativity, innovation and the
ability to “think out of the box” to solve problems. This requires a fundamental rethinking of
educational systems, both formal and informal. Also in need of rethinking are the way
teachers or educators are trained, how examination systems function and the way rewards,
recognition and incentives are given” (2009:16). Patrick Molle, directeur général de l’Ecole de Management de Lyon le met particulièrement en évidence pour la France : « En France, nous
sommes sous la coupe d’un modèle qui va à l’encontre de l’entrepreneuriat. Le système éducatif nous prépare dès l’enfance à être conformistes, à réciter, à obéir. Il ne favorise ni la prise de risque, ni l’imagination. Notre mission, à EM Lyon est donc de « déformater » nos
étudiants, de les préparer à autre chose, de les aider à mieux comprendre les lois du monde
dans lequel ils vivent67 ».
Un certain nombre d’enseignants-chercheurs au cœur de ce système éducatif, argumentent
de même que les business schools et leurs MBA produisent et entraînent leurs étudiants
dans un mode de pensée académique, désincarnée, vide de sens et de sagesse pratique,
totalement à l’opposé de l’orientation entrepreneuriale nécessaire dans le monde d’aujourd’hui. (Leavitt, 1989, Pfeffer et Fong, 2001, Binks, Starkey et Mahon, 2006 ; Kirby,
2007). Analysant un vaste corpus de littérature à partir d’un point de vue éducatif, Béchard et Grégoire (2005) montrent parallèlement que les questions des chercheurs sur l’éducation
à l’entrepreneuriat reflètent une vision essentiellement socio-économique68, techniciste
(quelles technologies utiliser ?), académique (quels contenus ?) et personnaliste de
l’éducation (quels besoins individuels des étudiants ?) au détriment de questionnements
d’ordre psycho-cognitif, socio-cognitif et éthique. Ces points de vue nécessiteraient des
approches multidisciplinaires et des expertises pédagogiques, lesquelles sont encore peu
présentes dans les business schools. Or nous croyons que ce sont précisément celles qui sont
en jeu dans la pédagogie de l’esprit d’entreprendre. Elles sont proches de celles que nous avons affrontées dans l’accompagnement des jeunes ingénieurs vis-à-vis de l’apprentissage de l’autonomie à Centrale Lille (Verzat et Bachelet, 2001) et vis-à-vis de l’engagement dans
les projets d’innovation. Autrement dit, la question reste entière et peu abordée par les
enseignants-chercheurs les plus concernés, à savoir : comment apprendre à devenir des
personnes pensant et agissant de manière autonome et responsable dans un monde
incertain ?
67
68
Cité par Fayolle A. (dir) L’art d’entreprendre, Paris, Pearson Education France/Les Echos Editions, p 61
Selon Béchard et Grégoire (2005 :31), deux questions dominantes sont traitées dans ce domaine : la contribution de
l’éducation entrepreneuriale à la performance économique, et l’organisation d’une université qui serait entrepreneuriale en termes de rôles et de contribution économique au développement d’une région.
80
A. Gibb (2002, 2005) professeur pendant 35 ans à la Durham Business School analyse avec la
clairvoyance d’un praticien réflexif, les points qui font défaut dans le système éducatif actuel
par rapport à celui qui serait souhaitable. Il en donne une représentation visuelle
particulièrement marquante que nous reproduisons ci-dessous.
Figure 10. Le système actuel d’éducation à l’entrepreneuriat et celui qui conviendrait
selon A. Gibb (2005)
Selon Gibb, l’enseignement actuel promeut une vision héroïque de l’entrepreneur, héritée de
Schumpeter, comme un créateur de changement. Ce faisant, il ignore un grand nombre de
salariés indépendants, qui manifestent aussi des comportements entreprenants sans pour
autant penser être des héros. Le centre de l’enseignement est le business plan qui répond utilement aux besoins de planification des parties prenantes externes de l’entrepreneur mais
ne constitue pas le cœur de son activité. Le point majeur est que l’enseignement actuel
comporte beaucoup trop peu de programmes orientés sur l’éducation des comportements, et lorsque c’est le cas, les objectifs en sont mal définis. Il fait appel à une manière de penser
rationnelle, basée sur une culture de l’information, de la planification et du contrôle qui se
situe à l’opposé du mode de penser holistique, intuitif, informel de l’entrepreneur. Il se
focalise sur les concepts managériaux valables pour les grandes entreprises sans voir que
toutes organisations (police, services sociaux, arts, santé, écoles…) pourraient être entrepreneuriales et n’utilisent pas les mêmes systèmes de gestion. Il consiste à faire réciter
des savoirs explicites sans véritable considération pour les savoirs tacites de prise de
décision, de réseautage, de résolution de problèmes, de recherche d’opportunités qui s’apprennent dans l’action et les erreurs. Il apporte des outils (bras) spécifiques sur les
processus de création et de croissance ainsi que sur les compétences de l’entrepreneur
(finance, marketing, RH…) mais de manière disjointe et peu appliquée. Au-delà de la création,
il envisage deux applications possibles (jambes) : l’intrapreneuriat et la gestion des PME ou
des entreprises familiales, mais les modèles utilisés proviennent surtout du management
stratégique et manquent d’apprentissage des relations dans un monde différent. Les projets
d’application concrets (pieds) et les modules optionnels (ex. entrepreneuriat social) arrivent
souvent en fin de cursus, sous la forme d’un cas ou d’une étude académique, dont rien ne
garantit qu’ils soient menés de manière entrepreneuriale. Le modèle du marché constitue la
base du raisonnement sans imaginer que d’autres contextes économiques et sociétaux sont 81
possibles (par exemple les économies de transition). Dans cette représentation,
l’entrepreneur finit par faire peur, il est presque diabolique (Frank N. Stein).
A l’inverse, Gibb préconise un cœur de valeurs à faire partager par tous, qui consiste en une empathie avec les manières de penser et d’agir des entrepreneurs. La stratégie à mettre en
œuvre y prend la forme d’une vision et d’un planning opérationnel bien plus proches de la réalité des entrepreneurs que les plans glissants pluri-annuels. Il préconise un travail très
important sur les attributs et qualités personnelles nécessaires, par des formes créatives
variées (théâtre, dessins, jeux…), ce qui fait travailler aussi l’intelligence émotionnelle
nécessaire à l’entrepreneur. L’élaboration des visions stratégiques doit être associée selon
Gibb, à la perception personnelle de l’étudiant, à ses désirs et ses projets de vie.
L’apprentissage devrait se faire majoritairement sous forme expérientielle, afin de maximiser les opportunités de pratique et de vécu entrepreneurial. Les domaines à travailler mêlent les
dimensions affectives (préférences, sentiments, émotions), conatives (motivation,
engagement, impulsion, effort) et cognitives (reconnaissance, jugement, mémoire). Le
management à apprendre doit être holistique à partir de situations-problèmes afin
d’articuler les différents domaines fonctionnels entre eux. Les outils ou moyens (bras) à
privilégier sont d’ordre socio-émotionnel : il s’agit d’approfondir la confiance, pour pouvoir
apprendre de l’environnement, oser et savoir comment poser les questions et bâtir des
relations. Les applications (jambes) doivent s’appuyer sur différents contextes en relation avec toutes les parties prenantes de l’université. De ce point de vue, le design organisationnel doit être particulièrement étudié afin d’encourager l’entrepreneuriat. Les pieds d’application sont la recherche d’opportunités sous le mode de la découverte,
l’expérimentation, la relecture et le réajustement systématique en cas d’erreur, ce qui rejoint la notion d’effectuation de Sarasvathy. Toute cette dynamique s’inscrit dans un univers
global, vis-à-vis des sources d’incertitude et de complexité qui exigent des réponses entrepreneuriales. Dans cette représentation, l’individu entreprenant, c’est vous et moi, qui agis et pense à la manière d’un entrepreneur.
Selon Gibb, éduquer l’esprit d’entreprendre dans une telle perspective, représente un véritable changement de paradigme éducatif afin de passer d’une organisation savante à une organisation apprenante. Selon Linard (2002), un paradigme est un ensemble cohérent de
théories, de modèles, de méthodes et d’instruments formant un cadre homogène dans un champ de connaissance donné. Pour une institution éducative, un paradigme désigne un
ensemble cohérents d’objectifs, de contenus et de missions éducatives, de postulats et
théories sur l’apprentissage, de méthodes d’enseignement et d’évaluation impliquant un certain partage des rôles entre l’enseignant et les apprenants, ainsi que des indicateurs et des modalités de pilotage de l’institution. Peut-on dire que l’éducation à
l’entrepreneuriat exige un bouleversement global à la fois épistémologique, identitaire,
culturel et organisationnel des écoles et de ses enseignants ? Ou bien suppose-t-il
simplement un changement de méthodes d’enseignement sans bouleversement de la
logique globale du système ? Ou encore, l’éducation à l’entrepreneuriat peut-il se faire à
travers un ensemble de méthodes variées sans nécessairement remettre en cause le
fonctionnement actuel du système éducatif ?
82
Pour répondre à cette question, nous revisiterons dans la prochaine section, les apports
théoriques d’un certain nombre de chercheurs s’intéressant à l’éducation à l’entrepreneuriat et des apports empiriques des trois experts de l’éducation que nous avons sollicités en
première partie (Pelletier, 2005, Gibb, 2005, Surlemont et Kearney, 2009) à la lumière de
théories sur l’évolution des paradigmes éducatifs.
B – Un nouveau paradigme éducatif ?
Repères sur l’évolution des paradigmes éducatifs
Nous avons eu l’occasion de nous documenter sur l’évolution des pratiques et des conceptions de l’enseignement afin de comprendre l’apparition des pratiques d’accompagnement (Verzat, 2010). Rappelons ici rapidement les principaux éléments que
nous avons synthétisé à partir de nombreux auteurs en éducation (Barr et Tagg, 1995,
Thousand et al. 1998, De Ketele, 2000, Bourdoncle et Lessard, 2002, Barbier, 2003,
Ramsden, 2003). Ces auteurs observent depuis la fin du XIXème siècle, un changement
progressif de pratiques soutenues par des théories différentes de l’apprentissage et en lien avec des contextes socio-économiques spécifiques.
On passe ainsi graduellement de la logique traditionnelle de transmission de connaissances
par un maître à une logique de formation de capacités transférables (pédagogie de maîtrise
ou pédagogie par objectifs) à une logique d’apprentissage actif par développement de compétences visant la professionnalisation. La première étape du changement se produit
dans l’enseignement primaire à travers le mouvement de l’école Nouvelle (Ferrière, Freinet,
Montessori, Decroly, Cousinet…) en réaction au traumatisme de la guerre de 1914-18 et en
lien très étroit avec les conceptualisations constructivistes de l’apprentissage de Piaget et
Dewey. Mais les nouvelles pratiques actives échouent à se diffuser au-delà des mouvements
des fondateurs du fait de nombreuses résistances politiques et corporatistes. Elles
bénéficient d’un regain d’attention aujourd’hui car elles se révèlent performantes là où
l’école classique échoue aujourd’hui (Lillard et Else-Quest, 2006, Reuter, 2007, Viaud, 2005).
A l’Université quelques expérimentations actives voient le jour à Harvard dans les années
1930 mais restent marginales. Les théories behavioristes concurrentes de l’apprentissage (Skinner, Pavlov, Watson) donnent naissance de leur côté à la pédagogie de maîtrise (Bloom,
Mager) qui introduit des outils décisifs (taxonomies) pour concevoir, évaluer et certifier les
formations dans une optique d’assurance qualité. Toutefois, les théories de Piaget et Dewey
prolongées par les conceptualisations socio-constructivistes de l’apprentissage (Bandura,
Vygotsky, Bruner) reviennent à l’honneur à partir des années 60-70 dans le courant des
pédagogies actives (projet et problème) qui se développent aujourd’hui graduellement à
partir du Canada et l’Europe du Nord. Elles offrent une réponse aux problématiques
nouvelles que doit affronter l’université : afflux massif d’étudiants à l’Université, forts taux
d’échec dans les premières années jugés inacceptables par la société, démotivation des
étudiants… Il faut aussi répondre à la demande des entreprises qui exigent de leurs jeunes
83
recrues, des compétences transversales complexes comme interpréter un problème,
reconnaitre les opportunités, réagir de façon critique et responsable à une situation
complexe, travailler en équipe… Ces compétences, proches de la définition que nous avons
donnée de l’esprit d’entreprendre, apparaissent non maîtrisées par la majorité étudiants qui
sortent de l’université car la pédagogie transmissive classique ne les développe pas, et le
transfert attendu des pédagogies par objectif ne s’opère pas mécaniquement (de Ketele, 2000, Noël et Parmentier, 1998, Perrenoud, 2000).
Chacune de ces logiques présente une cohérence conceptuelle qui influe sur la pratique
enseignante (Carlile et Jordan, 2005) et mais aussi une cohérence organisationnelle, car
chaque logique justifie un certain type d’organisation de la classe et de l’institution éducative. C’est en ce sens qu’on peut parler de paradigmes. Le tableau suivant, repris de
Verzat et Garant (2010) et reformulé à la lumière des principaux courants théoriques en
éducation69 fait la synthèse de ces trois logiques successives
69
Les théories explicites sur l’apprentissage n’ont vu le jour qu’à partir de la fin du XIXème siècle. Elles sont donc plus récentes
que les pratiques d’enseignement qui sont millénaires. La vision que nous donnons réduit les différents courants à trois écoles
de pensée telles qu’elles influencent aujourd’hui les pratiques des enseignants. Mais l’histoire des courants en éducation est plus complexe (Bourgeois, 2006). Les frontières entre les courants et les auteurs sont en réalité poreuses : Notamment si les
théories cognitivistes actuelles soutiennent la pratique magistrale et l’apprentissage par cœur, elles sont apparues en réalité dans le prolongement de la théorie constructiviste de Piaget et induisent une vision plus active de l’apprenant (qui structure
l’information) que celle perceptible dans la vision traditionnelle où l’élève est considéré comme un réceptacle passif du savoir
dispensé par le maître. D’autre part, il existe des auteurs charnières comme Bandura, issu de l’école empiriste mais qui introduit des concepts proches du socio-constructivisme (apprentissage vicariant (par imitation) et perception d’auto-efficacité) à tel
point que certains auteurs le rattachent au socio-constructivisme.
84
Objectifs et
missions
Focus et référence
centrale
Postulats
philosophiques
et théories sur
l’apprentissage
et son rapport à
l’environnement
Rôle de
l’enseignant
figure
emblématique de
l’enseignant, Méthodes
privilégiées
Pratiques
d’évaluation
Rôle des
apprenants
Transformation
identitaire
attendue
Pilotage de
l’institution
Logique 1
« Teaching » - Pédagogie
transmissive
Logique 2
« Organising » - Pédagogie
par objectifs
Logique 3
« Learning » – Pédagogies
actives
Mettre à disposition des savoirs
sous une forme appropriable,
Classer et grouper les étudiants.
Focus sur l’enseignant et les contenus
Référence = savoirs
Le savoir est objectif. Les faits
sont inscrits dans des cadres, des
lois qui président à leur
organisation et que la raison peut
saisir (philosophie rationnaliste).
Apprendre, c’est transformer des
structures cognitives (input) de
manière à les encoder et les
récupérer dans la mémoire à
court terme et à long-terme
(théorie cognitiviste de
l’apprentissage)
Rapport à l’environnement = conceptualisation et application
(théorie / pratique)
L’enseignant a le rôle central : il
doit structurer et transmettre
l’information et la connaissance de manière simple et facile à
mémoriser par l’apprenant.
Figure emblématique = l’expert
Méthode = exposé magistral
Evaluation certificative finale
(contrôle de connaissances) par
l’enseignant.
Produire des capacités
transférables par l’organisation du processus éducatif
Focus sur les techniques
d’enseignement Référence = capacités
Le savoir est empirique : il n’y a pas d’organisation préexistante, il
n’y a que des faits à percevoir et
associer (philosophie empiriste).
Apprendre, c’est modifier son
comportement en établissant ou
renforçant des associations entre
des stimuli et des réponses.
(théorie behavioriste de
l’apprentissage)
Rapport à l’environnement =
décontextualisation /
recontextualisation
Favoriser l’apprentissage de chaque
étudiant pour qu’il développe talents et compétences professionnelles
Focus sur les relations étudiant /
matière à apprendre.
Référence = compétences
Le savoir se transforme et se
construit au sein d’une communauté, d’un groupe social
(philosophie interactionniste)
Apprendre, c’est désirer et
construire et négocier des nouvelles
représentations des situations à
partir de ses connaissances
antérieures en relation avec autrui
(théorie socio-constructiviste de
l’apprentissage)
Rapport à l’environnement = transformation conjointe de l’action et de l’environnement de l’action
L’enseignant garde le contrôle du processus : il balise le parcours en
petits paliers successifs, indique
les objectifs, formule des
consignes claires et guide les
apprenants.
Figure emblématique = le
formateur
Méthode = séminaires, exercices
et travaux pratiques.
Cycle enseignement, test
formatif, remédiation, test final.
Suivre les indications, investir le
travail personnel.
Transformation identitaire
attendue des apprenants = le
transfert
L’enseignant est en retrait : il
formule des problèmes, accompagne
les apprenants, met à disposition des
ressources.
Figure emblématique =
l’accompagnateur, Méthodes = apprentissage par
problème et par projet.
Evaluation formative au début et au
long de l’activité. Certification finale avec des professionnels externes.
Ecoute attentive, rétention de
l’information.
Transformation identitaire
attendue des élèves =
l’appropriation
Pas de formation des enseignants
Moteur du changement =
apparition de nouveaux savoirs et
disciplines
Critère de succès = sélection à
l’entrée Indicateurs = quantité et qualité
des ressources facultaires, et des
étudiants à l’entrée, croissance du Chiffres d’affaires
Productivité = coût par heure
d’instruction et par étudiant
Formation des enseignants à des
techniques
Moteur du changement =
apparition de nouvelles pratiques
ou champs de pratiques
L’apprenant est au centre, il doit être motivé, mobiliser ses connaissances,
collaborer, imaginer, développer,
être créatif pour résoudre des
problèmes avec d’autres.
Transformation identitaire attendue
des apprenants-praticiens réflexifs =
transformation conjointe de l’acteur et de l’action
Formation-recherche en pédagogie
intégrée à la progression des
enseignants, Auto-analyse des
pratiques, Formation-action…
Moteur du changement = apparition
de pratiques de gestion combinée
d’opérations jusque-là disjointes
Critère de succès = qualité des
débouchés à la sortie
Indicateurs = quantité et qualité des
étudiants à la sortie, croissance de
l’apprentissage cumulé
Productivité = coût par unité
d’apprentissage de l’étudiant.
Tableau 5. Evolution des logiques éducatives (Verzat et Garant, 2010)
Le passage à la logique 3 est souvent perçu comme révolutionnaire car il remet
fondamentalement en cause les relations entre l’enseignant et les apprenants : En plaçant
l’apprenant au centre, il détrône l’enseignant de son estrade et le dépossède d’une partie de son pouvoir. Tel l’entraîneur sportif, il se retrouve sur la touche, c'est-à-dire à côté, et non
85
plus dans une position de contrôle étroit du processus d’apprentissage. Sommé de
développer des compétences professionnelles évolutives et à forte composante
interpersonnelle, l’enseignant dont la légitimité première est la maîtrise des savoirs savants
de type disciplinaire, se sent souvent démuni. D’autant plus qu’il a rarement été professionnel des métiers concernés, ni formé à la pédagogie ou à la psychologie. De plus, on
lui demande souvent de négocier la définition des objectifs et l’évaluation des apprentissages avec des professionnels extérieurs. Par ailleurs, l’organisation de situations collectives
d’apprentissage en petits groupes suppose une réorganisation a minima des plannings, et si
possible des formats de classe, voire des locaux, ce qui induit un certain nombre de coûts.
Pour toutes ces raisons, la mise en place d’une telle logique soulève de nombreuses
résistances culturelles, corporatistes et organisationnelles. L’examen que nous avons fait de
situations éducatives réelles qui visent la professionnalisation, y compris dans des institutions
ayant opéré des réformes institutionnelles majeures orientées vers la logique 3, montre en
réalité que les trois logiques cohabitent souvent (Verzat et Garant, 2010). Tout d’abord parce que les enseignants sont largement autonomes dans leur classe et la manière dont euxmêmes se positionnent par rapport à ces théories d’apprentissage, guide leur logique d’action effective, qu’ils en soient conscients ou non (Carlile et Jordan, 2005). Ensuite, parce
que même si la tendance est de professionnaliser les formations, les contenus des
programmes ne justifient pas tous des méthodes actives. Enfin, parce que les dispositifs et
structures institutionnelles éducatives (syllabi, systèmes d’évaluation, systèmes de recrutement et de promotion des enseignants, budgets…) ont un degré de contrôle très relatif sur l’enseignement réalisé et des marges de manœuvre assez étroites dans la mise en
œuvre de changements.
Que conclure pour l’éducation de l’esprit d’entreprendre ? Suppose-t-elle d’inventer quelque chose de nouveau qui va au-delà de la logique 3 ? S’inscrit-elle dans la logique 3 ? Dans une
combinaison de logiques ?
L’éducation à l’esprit d’entreprendre, un débat pédagogique non tranché
Il existe un certain consensus sur le fait que les pédagogies actives sont théoriquement plus
cohérentes que les autres avec les processus entrepreneuriaux à éduquer. En effet, par
définition, si l’on vise l’acquisition de la compétence professionnelle d’un entrepreneur, il est cohérent de s’inscrire dans la logique 3. A fortiori sachant que cette compétence est, on le
sait, particulièrement difficile à définir et complexe, difficile à prévoir et contrôler. Et d’autre part qu’elle met en œuvre un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être articulés
dans une dynamique de processus originaux où l’individu est acteur et auteur de son projet.
Dans cette inspiration, Löbler (2006) analyse que les processus entrepreneuriaux présentent
de profondes similarités avec la vision socio-constructiviste de l’apprentissage qui s’observe chez les tous jeunes enfants non encore soumis au formatage scolaire. Higgins et Elliott
(2011) argumentent de manière proche que les entrepreneurs sont des praticiens dont
l’apprentissage est incrémental au cours de leur vie, et que par conséquent la seule manière 86
de former des étudiants à l’entrepreneuriat est de leur faire vivre des expériences de
découverte au-delà de la classe, conformément au principe socio-constructiviste. Gibb (2010)
argumente pour sa part, que les théories70 sur lesquelles s’appuient la conceptualisation et la
possibilité d’enseigner les savoir-être entrepreneuriaux sont directement affiliées au
mouvement socio-constructiviste. Sarasvathy et Venkataraman (2011) affirment que le mode
de penser-agir effectual des entrepreneurs peut être considéré comme une méthode de
raisonnement à apprendre dès le plus jeune âge, qui s’oppose point par point au raisonnement scientifique, lequel constitue le soubassement épistémologique du système
éducatif actuel. Il faut donc réexaminer selon eux, le statut de l’entrepreneuriat, qui n’est pas une sous-discipline du management mais une force sociale capable de libérer le potentiel
humain et d’inventer les solutions durables dont notre monde a besoin. Sur un plan plus
directement pédagogique, Neck et Greene (2011) affirment que cette méthode de penser et
d’action effectuale va au-delà de la connaissance explicite et nécessite une démarche
pédagogique active non prévisible.
Notons au passage qu’au-delà du débat sur la nature fondamentale des objets et des
processus à enseigner, le débat sur la nécessité d’un changement de paradigme pédagogique
qui anime la communauté des éducateurs en entrepreneuriat ne semble pas indépendant de
l’histoire et du contexte d’enseignement actuel de la discipline. L’entrepreneuriat est en effet
récent en tant que discipline et positionné comme une sous-discipline des sciences du
management. Il est majoritairement enseigné dans les facultés de gestion dans un mode
transmissif dominant qui apparait à bien des égards insuffisant. La volonté de changer de
paradigme éducatif peut donc aussi être interprétée comme une volonté de sortir du cadre
étroit dans lequel la discipline se sent confinée, de prétendre à une légitimité supérieure et
d’augmenter le territoire de l’enseignement de l’entrepreneuriat. Par ailleurs, on peut aussi
supposer que l’appel à un nouveau paradigme n’engage pas forcément la mise en œuvre d’un paradigme différent du socio-constructivisme, étant donné que celui-ci est
généralement perçu comme révolutionnaire et d’autant plus déstabilisant pour les
enseignants chercheurs de cette discipline encore phase de consolidation de sa légitimité
scientifique.
Quoi qu’il en soit, si la plupart des auteurs que nous avons consultés s’accordent sur l’idée que l’enseignement de l’entrepreneuriat devrait évoluer vers le socio-constructivisme, tous
ne sont pas aussi radicaux ou systématiques dans le changement de logique éducative
nécessaire. Si Heinonen et Poikkijoki (2006) évoquent le principe constructiviste d’une facilitation du processus d’apprentissage des étudiants par les enseignants, la mise en œuvre qu’ils décrivent tient plutôt d’une démarche articulant différentes méthodes pédagogiques
relevant des trois logiques, adaptées aux différentes phases du processus entrepreneurial71.
70
Gibb fait l’inventaire suivant des concepts éducatifs à mobiliser en entrepreneuriat : théorie de l’auto-efficacité de Bandura,
apprentissage expérientiel, psychodrame de Moreno, zone de développement proximal de Vygotsky, apprentissage situé et
distribué de Lave et Wenger, apprentissage tacite de Polanyi, intelligence émotionnelle de Goleman, Heuristiques et décision
intuitive de Manimala et al., métacognition de Bransford et al., andragogie de Knowles.
71
La phase 1 consiste à travailler l’intention d’entreprendre par des événements organisés par les enseignants (triggering event), La phase 2 d’apporter des savoirs sur l’entrepreneuriat par des méthodes traditionnelles (conférences, lectures). Ce
n’est vraiment qu’en phase 3 que les expériences actives sont convoquées pour expérimenter et exploiter les opportunités. 87
De même, Fayolle et Gailly (2009) s’inspirant des 3 logiques de Ramsden, rapportées par
Béchard et Grégoire (2005), pensent qu’elles doivent nourrir la réflexivité des enseignants sur les méthodes qu’ils utilisent afin de les adapter aux différents objectifs, finalités et cibles
visés. Ils différencient trois types de finalités possibles en éducation à l’entrepreneuriat à
l’Université auxquelles correspondraient trois types de méthodes différentes :
1) Devenir entreprenant, qui intéresse tous les étudiants quel que soit leur discipline
avec la visée de développer des intentions d’entreprendre et devrait se faire plutôt
par conférences et rencontres avec des entrepreneurs,
2) Apprendre les compétences entrepreneuriales pour ceux qui ont l’intention d’entreprendre et se ferait par des projets de nature entrepreneuriale,
3) Apprendre les théories entrepreneuriales à destination des chercheurs et
enseignants en entrepreneuriat à enseigner via un mode transmissif classique.
Concernant l’éducation à l’esprit d’entreprendre, le débat n’apparait donc pas clairement
tranché. D’un côté, les partisans d’une logique active systématique cohérente avec à la
nature des processus de penser-action engagés en entrepreneuriat. De l’autre, les partisans d’une approche pragmatique en fonction des objectifs visés et dans le cas de l’esprit d’entreprendre, pas forcément persuadés qu’un mode d’apprentissage actif soit nécessaire.
En l’absence d’évaluation systématique des formations en entrepreneuriat, il n’est pas démontré que les méthodes actives soient d’une efficacité et d’une pertinence supérieure.
Ce débat apparait difficile à résoudre. Il dépend tout d’abord de la définition que l’on donne de l’esprit d’entreprendre, des objectifs éducatifs qu’on lui assigne aux différents niveaux
d’enseignement et de l’évaluation qu’on pourrait en faire. Or on a vu en première partie que
cette définition est loin de faire l’objet d’un consensus académique et que le modèle que
nous proposons suggère une pluralité d’objectifs à étaler de manière progressive sur très
longue durée, donc particulièrement difficiles à évaluer. Des observations locales et
longitudinales instrumentées en rapport avec des objectifs précis et avec l’objectif global dans des situations données seront nécessaires pour apporter des réponses dans ce
domaine.
D’autre part, il faut s’entendre aussi sur ce qu’on appelle une pédagogie et une méthode
pédagogique. Dans un entretien disponible sur son site internet72, le pédagogue P. Meirieu,
explique que les méthodes pédagogiques peuvent désigner trois niveaux de réalités, qui vont
du général au particulier :
1) Un courant pédagogique, caractérisé par les finalités qu’il cherche à promouvoir et les pratiques qu’il préconise, 2) Un ensemble d’activités caractérisé par les outils qu’elles mettent en œuvre, 3) Une activité précise, un outil identifié, un moyen très pointu pour faire apprendre un
contenu de savoir déterminé.
72
http://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/entretienmethodes.pdf,
88
Même au niveau de l’outil, les méthodes ne sont jamais neutres car elles renvoient toujours
plus ou moins explicitement à des finalités et statuent sur les rapports au savoir, au
formateur et rapports des apprenants entre eux. Mais en même temps, les finalités ne
décrètent pas les méthodes : « La caractéristique de la pédagogie, c’est que les finalités ne portent pas en elles-mêmes les méthodes capables de les incarner. Les méthodes, il faut les
inventer en permanence. Il faut les glaner ici ou là avec le souci permanent de leur cohérence
avec nos intentions véritables ». Il s’agit donc d’un art, où le formateur clarifie les finalités et
les objectifs qu’il poursuit, choisit des méthodes adaptées et régule leur mise en œuvre dans la classe.
Pour comprendre les points-clé de cet art et comprendre son éventuelle spécificité en
entrepreneuriat, il est donc nécessaire de donner la parole aux praticiens, qui ont cherché à
formaliser leurs pratiques sous forme de principes, de recommandations, de règles ou
d’outils. Que disent donc les trois « experts » (Pelletier, 2005, Gibb, 2005, Surlemont et
Kearney, 2009) sur leur pédagogie et leurs méthodes visant le développement de l’esprit d’entreprendre ?
Le point de vue des praticiens sur les méthodes pédagogiques qui développent
l’esprit d’entreprendre : une démarche active progressivement immergée dans le
monde des entrepreneurs.
Dans son texte sur les méthodes pédagogiques73, P. Meirieu, propose un modèle pour
analyser leur organisation interne. Il en propose cinq composantes essentielles :
1) Le degré de didactisation du contenu qui renvoie à son degré de formalisme
académique sur un axe ou l’on trouverait d’un côté les savoirs théoriques construits
par les disciplines scientifiques et de l’autre, les savoirs d’action émergeant des situations « naturelles »,
2) La structure de communication qu’elles instaurent (magistrale, individualisée ou
groupale) qui induit un degré de guidage cognitif plus ou moins fort,
3) Les outils mobilisés (texte écrit, parole, corps, objets à manipuler, technologies
éducatives…), 4) Le type de relation pédagogique qui peut être plutôt directif, plutôt non directif
(laisser-faire) ou néo-directif (lorsque le formateur implique les apprenants dans la
gestion de la régulation de la classe),
5) Le mode d’évaluation, laquelle peut être certificative et/ou formative, comporter une
phase de pronostic au départ, se dérouler pendant le processus éducatif, comporter
une négociation des critères avec les apprenants…
Lorsqu’on examine les textes des trois experts, il apparait que toutes ces dimensions, sauf
celle des outils qui est laissée très libre74, sont colorées d’une manière spécifique et 73
74
http://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/methodepedagogique.htm
Les pédagogues de l’esprit d’entreprendre mentionnent peu les outils et instruments nécessaires à la mise en œuvre matérielle de chaque projet pour la bonne et simple raison que ces projets sont la plupart du temps nouveaux et différents,
conçus et réalisés par les apprenants eux-mêmes.
89
convergente. Les principes généraux que nous avons repérés chez les trois auteurs ont
beaucoup de points communs avec les pédagogies actives, en particulier avec la pédagogie
par projet. Mais elles présentent aussi quelques spécificités liées aux valeurs, au monde
entrepreneurial et au contexte de mise en œuvre actuel de cette pédagogie, que nous allons
nous efforcer de mettre en évidence. En faisant la synthèse des propositions de Surlemont et
Kearney, et de Pelletier75, on y trouve quatre principes majeurs qui convergent avec ceux de
Gibb que nous avons déjà développés (voir figure 9).
Principe 1 : Apprendre par l’expérience de projets innovants en lien avec des problèmes
réels.
Les composantes de savoirs disciplinaires de type déclaratif sont assez peu importantes dans
l’esprit d’entreprendre au regard de l’ensemble des savoir-faire et savoir-être à acquérir (voir
modèle dans la partie 1-C). Les trois auteurs sont donc particulièrement attachés au principe
de l’apprentissage expérientiel (learning by doing) au travers d’expériences directes de
projets. Le but est de développer les capacités et attitudes entrepreneuriales, comme le sens
de l’initiative, de l’engagement, de l’organisation, de la responsabilité, la capacité à résoudre
des problèmes, mobiliser des ressources… Pelletier (2005 :18) note ainsi « Les qualités et
attitudes entrepreneuriales, de par leur nature, demandent à être développées dans l’action
et sont pour ainsi dire connaturelles à l’exercice consistant à mener un projet ainsi qu’à la mise en œuvre d’une pédagogie participative ». Pour les auteurs, pour que l’expérience soit
vraiment impliquante, il faut qu’elle soit perçue comme utile, qu’elles puissent se rattacher à l’univers de référence des apprenants, qu’elles comportent un défi et que les élèves puissent y faire des choix qui les responsabilisent. On retrouve ici quatre des dix conditions des
activités d’apprentissage synthétisées par Viau (2000), pour renforcer la motivation des
apprenants (signifiantes, authentiques, stimulantes, responsabilisantes).
Là où les pédagogues de l’esprit d’entreprendre font un pas de plus que les partisans
classiques des pédagogies actives, c’est qu’ils ajoutent dès que possible à ces projets, la visée
de rentrer en empathie avec le monde des entrepreneurs, donc d’interagir le plus souvent
possible avec des situations réelles comportant des besoins à explorer, un enjeu
d’innovation, des réels objectifs et des conséquences comportant une part d’incertitude.
Ainsi Pelletier (2005 :28) note : « Le projet entrepreneurial doit être distingué du projet de
recherche qui conduit à un savoir ou à des apprentissages disciplinaires. [il vise à] produire de
la nouveauté, innover, mener des actions en vue d’un bien, d’un service, d’un événement à créer qui a une valeur dans le milieu parce qu’il répond à un besoin ». Le but est d’entrainer le
fameux mode de pensée entrepreneurial (projectif, visionniste, créatif et effectual) vis-à-vis
d’un problème à résoudre. Pour éduquer cette capacité, Pelletier signale qu’il est particulièrement important d’impliquer les apprenants dans la conception du projet (et pas
seulement dans l’exécution) afin qu’ils apprennent à élaborer une vision et une stratégie. Il convient de sélectionner des projets dans lesquels ils perçoivent des enjeux qui les
passionnent, dans lesquels ils ont un intérêt personnel à s’investir et vis-à-vis desquels il leur
75
Nous citerons plus largement ici Surlemont et Kearney (2009) et Pelletier (2005) car leurs recommandations s’adressent à tous les niveaux d’enseignement du primaire au supérieur, alors que Gibb (2005) est plus focalisé sur les étudiants du supérieur.
90
faut rapidement discerner si le projet est faisable compte tenu de leurs capacités et des
ressources qu’ils peuvent mobiliser autour d’eux. Il y a là plus qu’un souci de motivation de
l’apprentissage. Il s’agit d’entraîner les apprenants à formuler des « configurations
intuitives » à l’origine des idées entrepreneuriales: « Il y a des idées d’entreprise qui naissent ainsi : une possibilité est tout à coup perçue comme neuve et prometteuse. Elle correspond
aux aspirations du concepteur : - ça me plait -, à ses compétences – je suis capable -, et aux
ressources du milieu – on peut y arriver ». La configuration intuitive (Bruyat, 1993) se
manifeste avec la même fugacité que le fait de saisir une occasion. C’est une sorte de « préconception » qui allume chez le futur entrepreneur, un point focal qu’il mettra parfois des années à transformer en une vision d’entreprise. » (Pelletier, 2005 :35). Il est
recommandé d’éviter les activités répétitives ou routinières dans lesquelles il n’y a rien à inventer. Que le projet soit proposé par l’enseignant ou par les apprenants, « il faut une
situation qu’on veut changer, une amélioration qu’on veut apporter, un produit, un service ou un événement qu’on veut créer ». (Pelletier, 2005 :36)
Ceci ne veut pas dire toutefois que les activités et les projets doivent nécessairement être
très complexes, au contraire. Les pédagogues conseillent beaucoup de prudence et de
progressivité dans le choix des activités et le degré d’immersion dans l’univers réel des entrepreneurs. Les auteurs repèrent ainsi plusieurs degrés d’authenticité progressifs qui vont des jeux et simulations proches de la vie réelle jusqu’aux mini-entreprises et juniorentreprises, en passant par les projets cadrés par l’enseignant et les projets ouverts proposés
par l’enseignant. C’est à l’enseignant d’adapter le niveau d’ambition et de complexité à ce
dont ses apprenants sont capables pour les amener très progressivement à rentrer dans la
logique entrepreneuriale. L’enseignant doit faire particulièrement attention à la « zone de
développement proximal » des apprenants. Car s’il s’agit de les faire sortir de leur zone de
confiance et de les confronter à des problèmes dont la solution n’est pas évidente et des
actions dont le résultat n’est pas entièrement prévisible, il convient de toujours garder à
l’esprit de les amener à la réussite afin de renforcer la confiance en eux. Un grand nombre de
petits projets authentiques mais peu complexes (par exemple, pour des jeunes enfants,
peser les choses à la maison pour rendre service à la cuisine et apprendre les poids et les
mesures, lire des histoires aux plus petits avant la sieste… ou pour des plus grands, organiser
un marché interne de vêtements de sports d’occasion, écrire un procédurier informatique
pour expliquer aux autres élèves comment se servir des logiciels installés sur les ordinateurs
de l’école, organiser et animer la réunion d’information pour les parents…) sont jugées
préférables aux expériences trop complexes ou ambitieuses : « Plus l’expérience se basera sur des idées simples et réalisables, plus il est probable que 1) les apprenants seront capables
d’assumer le contrôle et la gestion du projet, et donc d’augmenter leur sens de l’appropriation et les chances d’acquérir les habiletés entrepreneuriales, 2) les apprenants ne seront pas consumés par les demandes techniques qui les distrairaient d’autres aspects importants comme les processus managériaux, le travail en équipe, la communication,
l’évaluation et la réflexion ». (Surlemont et Kearney, 2009 :64).
91
Principe 2 : Encourager, guider et faciliter la prise de responsabilité des apprenants
Les trois auteurs s’inscrivent clairement dans la démarche socio-constructiviste où
l’apprenant est l’acteur central, responsable de son apprentissage. La relation pédagogique
est nettement néo-directive : l’enseignant doit systématiquement encourager les apprenants
à se concerter pour définir la liste des tâches à réaliser et à déterminer parmi elles, celles
qu’ils peuvent réaliser eux-mêmes. Comme le suggèrent Surlemont et Kearney, (2009 :48)
« l’enseignant sera obsédé par cette question qu’est-ce que je fais actuellement que les
apprenants pourraient faire eux-mêmes ? ».
Le guidage du processus éducatif n’a rien d’un laisser-faire, car « en l’absence d’une structure préparée et d’un guidage attentif du processus par l’enseignant, ce type d’expérience peut vite dégénérer en une sorte de découverte fortuite et improvisée des choses qui peut, au
mieux s’avérer largement insuffisante du point de vue de l’apprentissage et, au pire, inutile, voire décourageante pour tout le monde » (Surlemont et Kearney, 2009 :60). Concrètement,
l’enseignant a pour rôle de s’assurer que les objectifs d’apprentissage sont respectés, que le
processus conçu par les apprenants est réaliste, que la mise en œuvre ne risque pas de produire des conséquences désastreuses, que les apprenants consacrent du temps à
l’évaluation des résultats et de la démarche. Comme dans toutes les méthodes actives,
l’enseignant a donc un rôle d’accompagnant, bien résumé par le modèle CQFD de Bouvy, De
Theux, Raucent, Smidts, Sobieski et Wouters (2010) : Conduire, Questionner, Faciliter,
Diagnostiquer. Ces différentes facettes sont bien sûr à moduler selon les exigences de la
situation concrète (projet cadré, ouvert, problème…). Dans cette situation, comme dans la pédagogie par projet, le guidage cognitif se fait
essentiellement par questionnement. Il est toujours de la responsabilité de l’enseignant de
s’assurer que les apprenants ne perdent pas de vue les visées d’apprentissage au profit des exigences de réalisation. Mais suivant que le projet est proposé par les apprenants (projet
ouvert) ou par l’enseignant (projet cadré), la rencontre entre les objectifs d’apprentissage du programme ne se fait pas au même moment : négociation des objectifs au départ avec les
apprenants dans les projets cadrés, recherche d’information en cours du projet puis relecture des résultats et de la démarche en relation avec les points pertinents du programme dans les
projets ouverts. Dans tous les cas, les auteurs soulignent que l’art de l’enseignant est de s’efforcer de susciter les questions et d’éviter de suggérer les bonnes décisions ou les bonnes réponses.
Quelles variantes nouvelles introduit la pédagogie entreprenante par rapport à la pédagogie
par projet sur le principe de responsabilisation ? Nous pensons que la spécificité
entrepreneuriale tient au rapport qu’elle entretient avec les risques. Ce thème est délicat, car
il est souvent interprété dans le milieu scolaire de manière très caricaturale et tout à fait
contraire à l’état d’esprit réel des entrepreneurs. Les formateurs à l’entrepreneuriat expliquent bien qu’il ne s’agit en aucun cas de pousser les jeunes à prendre des risques
inconsidérés. L’idée est bien plutôt de les amener à une attitude responsable et optimiste
considérant que les risques existent de manière inéluctable dès lors qu’on agit mais qu’il y a moyen d’engager et de réussir des projets comportant des défis et de l’incertitude. C’est possible si l’on s’entraîne à identifier et évaluer les risques d’une situation à court terme et à 92
long terme, à s’engager avec discernement, à renforcer sa confiance en soi76, à ne pas
paniquer lorsque l’imprévu survient de manière à pouvoir mobiliser des moyens pour réagir
ou bien renégocier l’objectif. Autrement dit, en augmentant sa perception de contrôle
interne77 et en apprenant à gérer ses émotions en situation de déstabilisation. Comme le
signalent Krichewsky et Fourcade (2011), le but est d’amener les jeunes à être courageux et
non téméraires, prudents et non timorés afin de réussir des activités de plus en plus
ambitieuses dont ils pourront être fiers. L’enjeu est d’ordre de la construction identitaire,
engageant une image de soi, des valeurs, des buts de vie, une gestion de ses émotions et de
son corps (adrénaline, endorphines, stress…), un rapport à la sécurité et à l’intégration dans
des mondes professionnels ayant une relation au risque (soldats, pompiers, managers,
banquiers, entrepreneurs…).
Les auteurs indiquent clairement que cette visée n’est pas facile à gérer sur le terrain :
« L’enseignant est parfois placé devant un dilemme : « intervenir ou laisser les apprenants
prendre des décisions qui auront manifestement des conséquences fatales pour leur projet ? »
(Surlemont et Kearney (2009 :52-53). Le rôle de l’enseignant peut apparaitre quelque peu paradoxal : Il convient par exemple « d’encourager les élèves à se voir dans des rôles où ils
vont réussir, mais non sans avoir surmonté quelques difficultés ». Face à ces dilemmes, les
auteurs préconisent plusieurs voies de réponse : faire preuve d’un grand discernement dans
le diagnostic78 avant d’intervenir, laisser les élèves tenter de résoudre eux-mêmes les
difficultés et intervenir en cas de besoin seulement, intervenir de manière modérée en
attirant l’attention des apprenants sur les conséquences dommageables de leur décision. Ils
mettent en garde contre l’apprentissage à partir de l’échec car c’est un processus
particulièrement délicat qui nécessite beaucoup de doigté. Il leur paraît essentiel que
« l’école reste « un espace amical » pour l’apprentissage », et invitent à « résister à la
tentation de se précipiter vers la voie la plus « dure ». Pour que les risques encourus restent
dans l’espace de la zone de développement proximal, la prudence, la progressivité et la
bienveillance sont donc de rigueur : éviter les projets à risque trop élevé (financier,
réputation,…), offrir de la liberté mais structurer très clairement le cadre d’exigence au départ (points de rencontre obligatoires…), désigner les personnes qui peuvent aider et les processus de recours possibles au cours de l’action, offrir un feedback distant mais attentif et
bienveillant : encore une fois, tout le contraire du laisser-faire.
76
« Dans la pédagogie entreprenante, la confiance en soi se construit dans la mesure où l’apprenant est amené à sortir de sa zone de confiance, à expérimenter de nouvelles choses, à sortir de son domaine d’expertise. Cela suppose une prise de risque par
rapport aux choses qu’il a l’habitude de faire. Nourrir sa confiance en soi consiste en réalité à multiplier les occasions d’expérimenter, de se remettre en question, de se mettre en danger par rapport à ce que l’on sait faire facilement. » Surlemont
et Kearney, 2009 :120.
77
Pelletier fait référence à la notion de locus de contrôle de Rotter, dont on sait qu’il a un lien fort avec la plus faible aversion
des entrepreneurs vis-à-vis des risques que la moyenne des individus : « Si l’on croit en son pouvoir d’agir, on peut vouloir augmenter son rendement par plus d’effort, par l’amélioration de sa manière de faire ou par l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences, même en demandant de l’aide si nécessaire, l’important étant d’être la cause de l’effet souhaité,
d’avoir la conviction de pouvoir surmonter les obstacles ». (Pelletier, 2005 :16)
78
L’enseignant se demandera : quelle est la gravité de l’erreur ? quelles sont les conséquences de l’échec probable sur les apprenants, l’établissement, la communauté ?... (Surlemont et Kearney, 2009 :52)
93
Principe 3 : Apprendre en groupe coopératif et en relation avec des adultes extérieurs à
l’école
La structure de communication privilégiée dans la visée de l’esprit d’entreprendre est celle des projets et activités en groupes. La responsabilisation dans l’apprentissage est donc pensée collectivement, tant pour ses bénéfices bien connus des éducateurs en termes de
conflit socio-cognitif que pour ses vertus d’apprentissage des relations interpersonnelles décisives dans les ressources de l’esprit d’entreprendre. Les groupes coopératifs sont aussi
préconisés pour renforcer la motivation (voir 7ème condition de Viau, 2005) mais aussi pour
susciter un entraînement collectif entre les jeunes afin de diffuser et renforcer le goût
d’entreprendre. S’appuyant sur la théorie de l’apprentissage vicariant de Bandura79, Pelletier
cite Perrenoud (2001) : « Comment apprend-on à former des projets ? […] D’abord en
participant à des projets conduits par d’autres. On est alors pris « dans le mouvement », sans
avoir à porter tout seul le poids de l’imagination et de la cohérence. On joue le deuxième couteau d’un projet avant de devenir chef de projet. Si l’on veut amener des élèves qui n’ont pas construit en famille le rapport au projet, le plus urgent n’est pas de les individualiser en leur disant de s’inventer prématurément un projet personnel, c’est de les embarquer dans des projets collectifs ». Surlemont et Kearney (2009 :66) indiquent aussi d’autres situations pédagogiques de coopération comme le tutorat (où un apprenant en assiste un autre) ou
encore des situations où des apprenants plus âgés sont amenés à jouer le rôle du professeur
vis-à-vis d’apprenants plus jeunes. Ces situations (préconisées aussi par les pédagogies actives) nous semblent du même ordre que le projet coopératif en groupe, car ils requièrent
une préparation, un suivi et une facilitation du processus très proches de celles qui sont
vécues avec les petits groupes.
L’accompagnement des groupes coopératifs nécessite des manières d’agir particulières de la part de l’enseignant qui sont bien cernées par les formateurs en pédagogie active : faire
définir clairement au début les objectifs et les tâches à réaliser par le groupe, faire réfléchir
d’abord individuellement de manière à inciter mais aussi autoriser80 chacun à y contribuer,
proposer des tâches suffisamment complexes pour qu’on ne puisse pas réussir seul, faire clarifier les rôles et les responsabilités, faciliter le processus de gestion du groupe par les
apprenants.
La nouveauté introduite par l’approche pédagogique entreprenante est liée à l’importance accordée à l’interaction avec le milieu extérieur, et particulièrement avec des « adultes
autres que l’enseignant ». Ceux-ci peuvent intervenir à plusieurs niveaux : comme experts
consultants d’un projet, comme coachs des groupes, comme clients du travail réalisé, comme conférenciers, comme témoins… « Une culture entrepreneuriale devrait multiplier les
79
“L’expérience vicariante nous fournit l’ouverture par où entrevoir l’action pédagogique. Si des élèves se retrouvent ensemble pour réaliser un projet collectif, ils auront à prendre des initiatives, à proposer des buts et des moyens, à s’engager solidairement dans des tâches complémentaires ; ils devront coordonner leurs activités, travailler en équipe, s’encourager, échanger de l’information, gérer les contraintes, consentir à faire des efforts pour respecter les échéances. Chacun étant une ressource pour
lui-même et pour les autres, devra se mettre à l’épreuve dans une situation globale inédite. Il s’ensuit une responsabilité solidaire, une part de devoir qu’impose, dans les circonstances, l’urgence de faire ce qu’il faut, enfin la réussite partagée. Après
cela, on se sentira plus estimable et on fera un retour sur l’histoire du projet et du groupe, sur les points forts, sur les points
faibles qu’on pourrait améliorer, et surtout, on voudra recommencer » (Pelletier, 2005 :18)
80
Surlemont et Kearney (2009 :67) expliquent de manière limpide que cette manière de faire « pousse légitimement chacun à
penser qu’il doit non seulement contribuer à l’effort de groupe mais qu’il en aussi le droit ».
94
occasions de faire se rencontrer l’école et les milieux d’affaires, qu’ils soient industriels,
productifs, créatifs ou médiatiques. Tout projet devrait se prêter à des consultations»
(Pelletier, 2005 :55). Les pédagogues de l’esprit d’entreprendre n’hésitent pas à nouer des partenariats avec des personnes très variées, car « Les apprenants peuvent retirer
énormément des personnes qu’elles n’auraient pas rencontrées dans d’autres circonstances, par exemple, des personnes moins valides, des chômeurs, des retraités, des étrangers, des
entrepreneurs… » (Surlemont et Kearney, 68).
L’apport recherché avec le milieu extérieur est multiple : il s’agit de renforcer la perception d’authenticité et d’utilité de l’apprentissage on l’a déjà vu sur le principe d’apprentissage expérientiel. Mais aussi, de développer les contacts avec les milieux extérieurs en vue de
favoriser l’orientation professionnelle (Pelletier, 2004). Une autre raison majeure avancée est
d’entraîner la capacité à percevoir les ressources disponibles dans l’environnement :
« L’entrepreneur doit considérer son milieu comme une ressource et se considérer lui-même
comme une ressource qu’il peut mettre au service des buts qu’il veut atteindre » (Pelletier,
2005 : 48). Enfin, il s’agit de nourrir les valeurs et de fournir des modèles de rôles adultes aux
jeunes d’aujourd’hui, qui manquent singulièrement de repères.
Les auteurs expliquent clairement que ces interventions nécessitent une vigilance
particulière dans la manière dont l’enseignant (avec les apprenants) recrute et noue ces
partenariats. Il faut impérativement s’assurer au préalable et en cours d’action que ces
adultes non pédagogues, n’aient pas tendance à « influencer démesurément l’apprenant et ne prennent pas trop le contrôle du processus d’apprentissage. Cela arrive même avec les meilleures intentions du monde. Ces personnes doivent comprendre qu’elles sont une ressource qui doit être réactive plutôt que proactive et que les apprenants ne vont rien
apprendre si elles font les choses à leur place et, en particulier, si elles prennent les décisions
qui incombent aux apprenants ». (Surlemont et Kearney, 2009 :68).
Principe 4 : L’évaluation : une approche formative par le travail réflexif et la valorisation
externe.
Comment garantir que l’expérience entreprenante conduit à des apprentissages réels et
pertinents ? Comme dans les pédagogies actives, les formateurs en entrepreneuriat sont
particulièrement intéressés par l’approche formative de l’évaluation81 qui met en œuvre un accompagnement de l’apprentissage tout au long de l’activité et fait largement participer les apprenants à l’évaluation.
L’évaluation certificative est peu abordée en tant que telle dans les textes que nous avons
consultés. C’est à nos yeux, une dimension sous-explorée dans les textes des pédagogues de
l’entrepreneuriat. Ceci est peut-être lié à la marginalité des dispositifs actifs dans les curricula
81
Il existe beaucoup d’autres finalités possibles de l’évaluation. Milgrom, Mauffette, Raucent et Verzat (2010 :318-319)
s’appuyant sur de nombreux auteurs en éducation relèvent trois catégories d’évaluations en fonction de leurs finalités : 1)
évaluations formatives visant à soutenir et favoriser l’apprentissage (aider à se situer, donner un signal, mesurer le chemin parcouru, mesurer le degré d’atteinte des objectifs), 2) évaluation certificatives, normatives ou sommatives (classer les groupes,
les étudiants, attribuer des notes, décider qui a réussi), 3) régulatrices (évaluer l’efficacité du dispositif de formation, évaluer la performance des enseignants, ajuster les dispositifs de formation).
95
actuels et à la difficulté à décrire précisément les objectifs. A la lumière de notre expérience
de réforme du système d’évaluation à l’Ecole Centrale de Lille, dans le cas d’un dispositif actif central dans le curriculum, nous savons que c’est aussi un point particulièrement délicat, qui met en jeu les identités et les enjeux de pouvoir de l’ensemble des acteurs de l’institution (Verzat et Bachelet, 2007). Nous savons aussi que dans les institutions éducatives ayant fait
le pari de miser radicalement sur les méthodes actives, c’est un enjeu central (Verzat et Garant, 2010). C’est donc un point nodal sur lequel nous reviendrons dans la partie
organisationnelle. Il ne faut pas oublier que l’évaluation certificative est absolument cruciale
aussi du point de vue des apprenants : s’ils s’engagent dans une activité d’apprentissage dans
le cadre d’une école, c’est certes pour apprendre, mais aussi (et généralement d’abord) pour
obtenir une certification manifestée par un diplôme. Cela revient à se situer dans un cadre de
normes sur ce qu’il convient d’apprendre, afin être reconnu comme compétent et légitimement fier. La négociation de ce qui est acceptable ou non ainsi que des critères à
respecter pour valider une activité entreprenante est donc inéluctable au sein d’une institution éducative.
Pelletier fournit la réflexion la plus avancée sur les critères qui permettraient d’évaluer un
projet entrepreneurial réussi. Il faut :
1) qu’il génère une action (il ne consiste pas seulement en une heuristique consistant à
produire un savoir),
2) qu’il soit novateur et s’inscrive dans une problématique économique, communautaire ou technologique pour répondre à un besoin réel,
3) qu’il soit mobilisateur en termes de nombre et de types d’acteurs impliqués,
4) qu’il conduise à une relation de grande envergure se signalant par la gestion efficace de ressources matérielles et financières.
Toutefois note t’il aussi, « En ce qui nous concerne, un projet entrepreneurial réussi et celui
qui est formateur pour l’élève en lui permettant de mettre en valeur ses qualités et ses compétences entrepreneuriales, spécialement son autonomie et sa responsabilité ».
(Pelletier, 2005 :40). Si ces critères ont le mérite d’exister, on voit que leur applicabilité à
différents niveaux d’enseignement, à différents types de projet, aux différents apprenants impliqués et à la nature des objectifs d’apprentissage recherchés pour chacun mérite d’être largement affinée. Un grand travail sur ce thème nous semble nécessaire.
Quoi qu’il en soit, l’approche actuellement développée chez les formateurs de la pédagogie entreprenante concerne surtout la dimension formative de l’évaluation, qui permet de soutenir l’apprentissage tout au long du processus afin de convertir l’expérience en
apprentissage. La philosophie autonomisante qui traverse les textes est tellement puissante
que le terme même d’évaluation est peu présent. Comme si l’enseignant n’avait pas à juger
lui-même de la valeur des apprentissages réalisés mais seulement à faire réfléchir les
apprenants à ce qu’ils ont appris et à outiller leur réflexion.
Le travail réflexif est justifié par les formateurs en entrepreneuriat en s’appuyant sur la
théorie du cycle d’apprentissage expérientiel de Kolb (1984) qui explicite les différentes
phases et processus de conversion d’une expérience en apprentissage : expérimentation
concrète, observation réfléchie, conceptualisation abstraite, expérimentation active (Toutain,
96
2011). Mais les formateurs sont bien conscients qu’il ne suffit pas de mettre en place des
expériences pour que l’apprentissage expérientiel se fasse « naturellement ». Il est
nécessaire de guider le travail réflexif des apprenants pour qu’ils aillent au-delà de
l’expérimentation concrète et engagent consciemment le travail cognitif d’observation, de conceptualisation et d’expérimentation réfléchie. Il leur faut donc apprendre à apprendre,
afin d’acquérir et intérioriser les mécanismes de raisonnement entrepreneurial souhaité. C'est-à-dire qu’il faut les aider dans le travail métacognitif82 sous-jacent à la manière de
penser et d’agir entrepreneuriale.
Ils rappellent donc que l’un des rôles principaux de l’enseignant consiste à structurer, outiller et accompagner le travail réflexif des apprenants pour qu’ils transforment l’expérience en
leçons pour l’avenir, les relient aux apprentissages disciplinaires visés par le programme et
aux stratégies d’apprentissage visées. Le contenu du travail réflexif évoqué porte donc autant
sur le projet lui-même que sur la démarche mise en œuvre. Surlemont et Kearney distinguent
la révision de l’action (passer en revue ce qui s’est passé) de la réflexion qui analyse ce matériau de base dans un deuxième temps, séparant les faits et les processus (comment cela
a-t-il été réalisé) afin d’identifier les contextes, les causes, les conséquences, de mettre en
évidence les tendances, les thèmes, les principes, les idées, d’évaluer la qualité et les performances, de projeter ce que cela suppose pour des engagements futurs… Un point
particulièrement utile à nos yeux dans le contenu de la réflexivité concerne les
apprentissages pour soi, constitutifs de l’identité en cours de formation (image de soi, buts et valeurs en rapport avec leur parcours scolaire actuel et professionnel futur) comme le signale
Pelletier : « L’évaluation pourrait donner lieu à une activité très enrichissante surtout chez les plus jeunes. Il serait possible, en faisant un retour sur l’expérience, de leur enseigner le vocabulaire entrepreneurial et de nommer les valeurs et qualités qui rendent l’action efficace et qui font de chacun une personne engagée dans ce qu’elle fait. Ce serait également le moment de leur montrer tous les rapports qui existent entre l’expérience vécue et leurs études et la réussite scolaire ».(Pelletier, 2005 :41)
En termes de déroulement concret, les formateurs recommandent d’organiser des débriefings intermédiaires qui permettent de corriger l’action en cours de route, d’encourager l’évaluation mutuelle entre les apprenants, de donner des outils pour cadrer la
réflexion, d’utiliser différents supports (notes de réunions et journaux d’apprentissage). Ils
recommandent d’éviter les formes trop scolaires, notamment la discussion en classe dirigée
exclusivement vers l’enseignant. Cela peut se faire par exemple en encourageant les
apprenants à poser des questions à des invités ou aux autres membres de la classe. Il s’agit d’être créatif et de trouver des formes stimulantes de témoignages qui rendent fiers :
« l’histoire du projet peut être racontée, mais elle peut aussi être dessinée ou mise en vidéo ;
elle peut donner lieu à une composition musicale, à la reconstitution scénique d’un événement particulier survenu dans le cours de la réalisation du projet ». (Pelletier, 2005 :42)
82
Cité par Toutain (2011), Flavell (1976) définit la métacognition comme la prise de conscience par l’apprenant de son activité
mentale au cours de l’apprentissage en vue d’en améliorer le contrôle (donc son utilisation ultérieure). L’activité mentale au
cours de l’apprentissage se définit par l’organisation et de gestion des processus de traitement de l’information que l’individu met en œuvre pour résoudre la situation-problème dans laquelle il se trouve. La métacognition se caractérise donc selon Wolfs,
Noël et Romainville (1995) par « des opérations mentales sur des opérations mentales ».
97
Une originalité de l’approche entreprenante de l’évaluation, on le voit ici, est de chercher systématiquement la valorisation des activités vis-à-vis d’un public extérieur. Plusieurs
commentaires signalent l’importance de ce processus qui vise à la fois à renforcer l’estime de soi des apprenants, à apprécier la valeur de l’action réalisée et à diffuser l’esprit d’entreprendre par contagion : « La culture entrepreneuriale serait contagieuse si les élèves
qui ont réussi l’expérience du projet entrepreneurial pouvaient en témoigner devant leurs semblables et leurs proches. Pourquoi pas une tournée des meilleures histoires
entrepreneuriales dans les classes de l’école ou même dans les écoles environnantes ? »
(Pelletier, 2005 :42).
Il nous parait important de souligner que si cette recherche de valorisation extérieure a des
vertus indéniables, elle peut aussi comporter un risque. En effet, la plupart des personnes
répugnent à exposer publiquement leurs erreurs et leurs échecs. Or Milgrom (2010) explique
à la suite de Shank (1997) que l’apprentissage – particulièrement en pédagogie active - passe
par des erreurs et des ratés : apprendre suppose de remettre en cause les scripts inadaptés,
de révéler et corriger des préconceptions erronées, d’essayer et de réajuster des
comportements inadaptés... Mais pour que l’échec et l’erreur deviennent une opportunité
d’apprentissage, Milgrom explique qu’il faut un réel droit à l’erreur. C’est à dire que l’ensemble des acteurs (enseignants, apprenants, parents…) donnent effectivement à l’échec un statut d’étape vers le succès plutôt que d’impasse terminale afin que la remise en question soit considérée comme normale et acceptable par tous. Pour arriver à cette
perception partagée, le processus d’évaluation doit évoluer par rapport aux pratiques courantes d’évaluation finale par les notes : l’encadrant doit fournir des rétroactions
qualitatives fréquentes, précises, et bienveillantes tout au long de l’activité : c’est tout le rôle de l’évaluation formative.
Dans la situation de la pédagogie entrepreneuriale, il nous semble que les protections à
mettre en œuvre sont du même ordre et peut-être même encore plus exigeantes. En effet,
les remises en question de comportements et d’attitudes inadaptés peuvent s’avérer quelquefois d’autant plus douloureuses que les apprenants sont encouragés à se percevoir
comme solidaires et responsables de ce qui leur arrive et qu’on attend d’eux des récits à
tendance héroïque, alors qu’ils sont placés dans des situations pleines d’aléas. D’autre part, l’exposition des apprenants à des enjeux et des partenaires externes peut les placer dans des
situations d’inégalité de puissance, des enjeux de communication qui les dépassent et dans
des contraintes de délais telles qu’il est difficile de mûrir et d’exprimer une parole vraie sur
les difficultés d’apprentissage.
Par exemple, à l’Ecole Centrale de Lille, où nous avons accompagné de nombreux projets d’innovation ouverts en partenariat avec des entreprises, nous savons qu’il fallait des lieux très spécifiques de parole libre, pour dénouer les enjeux complexes dans lesquels les équipes
d’étudiants étaient parfois englués. Même lorsque les projets provenaient des étudiants euxmêmes, ils manquaient souvent de maturité pour prendre conscience de leurs enjeux
propres (Quel sens le projet a pour eux ?, Que peuvent ils en attendre ?, Quels pouvoirs
peuvent-ils exercer dans la situation ?, Quelles ressources peuvent-ils mobiliser en eux et
autour d’eux ?). En tant que jeunes étudiants face à des hommes d’affaires ou des professeurs qui les impressionnaient, ils avaient souvent tendance à sous-estimer leurs désirs
98
et leurs potentialités. De même, nous savons d’expérience que les équipes d’étudiants sont loin de fonctionner toujours en harmonie mais qu’ils répugnent à en parler aux professeurs
qui les encadrent, et même entre eux. La peur de subir une sanction (mauvaise note) est
fréquente, de même que la honte de dénoncer les « copains » de l’équipe, ou la crainte de ne
plus être accepté dans le groupe si on ose faire des reproches aux autres.
Dans tous ces cas, l’accompagnement de la part de l’encadrant nécessite une grande bienveillance, du temps, du tact, des techniques de communication empathiques et non
violentes. Mais ce n’est pas qu’une question d’attitude. Il lui faut aussi construire l’espace de communication libre qui permettra à chacun des participants de discuter de la situation sans
honte et sans crainte afin de négocier ou inventer de nouvelles manières de faire, plutôt que
de faire semblant que tout va bien… Cet espace ne se met pas en place naturellement, car les
apprenants - généralement peu habitués au travail réflexif et avides de répondre aux
sollicitations gratifiantes des adultes - n’en voient pas la nécessité. Il faut donc structurer cet
espace, l’imposer dans le planning, négocier les règles du dialogue entre et avec les
étudiants, proposer des outils. Dans le cas des projets ouverts en relation avec l’extérieur, il est impératif aussi de faire accepter cette démarche par les partenaires externes,
professionnels en activité, pas toujours enclins à prendre en compte le temps et les erreurs
nécessaires pour apprendre. En entrepreneuriat, il y a donc toujours un équilibre à négocier
avec les partenaires externes sur les lieux, les temps et les techniques de communication
permettant la valorisation externe des réussites, mais aussi l’examen interne des erreurs et
des ratés.
Points communs et spécificités par rapport aux pédagogies actives
Pour résumer ce long développement sur les points clé de la pédagogie entreprenante, nous
avons défini quatre principes à partir des apports des praticiens. Ils décrivent une démarche
pédagogique très proche des méthodes actives.
Toutefois, nous avons remarqué sur chacun de ces principes que l’immersion progressive dans le monde entrepreneurial et la construction identitaire en jeu présentent quelques
exigences complémentaires. Le pédagogue entreprenant choisit ses méthodes avec
discernement en fonction de la situation des apprenants à un moment donné mais aussi de
la visée à long terme. La progressivité est de mise afin de s’adapter au niveau des apprenants et aux différents types d’objectifs visés dans l’apprentissage dans une situation donnée. La
démarche pédagogique entreprenante signifie donc que les pédagogues n’hésitent à recourir à des méthodes plus simples et moins exigeantes lorsqu’ils visent un objectif d’apprentissage particulier. Ou encore à des situations dont le degré d’incertitude et de complexité est faible lorsqu’elles concernent des apprenants dont le niveau de confiance par rapport à l’objectif
est faible.
Mais en même temps, les pédagogues de l’entrepreneuriat ont à cœur de tenir l’objectif à long terme d’aider un jeune à développer ses talents personnels et sa capacité à les transformer en projets innovants vis-à-vis du monde qui l’entoure. S’ils choisissent des 99
méthodes appropriées à une situation donnée, il existe une finalité identitaire à long terme
toujours sous-jacente. Les méthodes actives ont aussi bien sûr à cœur de mettre l’apprenant au centre et de partir de ses motivations pour renforcer son engagement cognitif et sa
persévérance dans l’apprentissage. Suivant le modèle de la motivation de Viau (2005), ils
s’attachent à construire des situations d’apprentissage authentiques, stimulantes, signifiantes, diversifiées, collaboratives, interdisciplinaires… visant à renforcer la perception de valeur de l’activité, de compétence et de contrôlabilité. Là où la visée entreprenante nous semble plus forte, c’est qu’elle attache à ces perceptions une dimension de projection identitaire à long terme plus systématique.
Cela est perceptible à travers chacun des quatre principes : En ce qui concerne le 1er,
L’exigence de répondre à des besoins réels doit permettre aux apprenants d’apprendre à
formuler des visions stratégiques faisant la synthèse de ce à quoi ils aspirent
personnellement et dont ils s’estiment capables vis-à-vis des besoins qu’ils perçoivent autour d’eux. Ceci demande une vision critique et un recul vis-à-vis de ses propres valeurs qui va un
cran plus loin que la perception de la valeur d’une activité proposée par l’enseignant. Le 2ème
principe de responsabilisation commun avec la pédagogie active vis-à-vis de l’apprentissage (faire des choix d’activité, s’engager sur le plan cognitif) va dans la pédagogie entreprenante, jusqu’à l’apprentissage progressif du rapport au risque dans une perspective identitaire de
construction de l’image de soi, de gestion de son corps et de ses émotions, et d’intégration de valeurs professionnelles. Le 3ème principe de coopération, lorsqu’il est fondé sur une
relation étroite avec les milieux extérieurs à l’école vise à directement favoriser l’orientation professionnelle en donnant accès très tôt à des modèles de rôles différents de ceux
généralement connus des élèves (leurs parents et les maîtres). Le dernier principe
d’évaluation partage les principes et attitudes du guidage de la réflexivité sur la démarche
d’apprentissage avec les pédagogies actives. Il nous semble qu’il accorde plus d’importance au travail sur l’image de soi, les buts et valeurs personnels en rapport avec le parcours
scolaire et les métiers futurs, tant dans le travail réflexif que par la recherche de valorisation
vis-à-vis des publics extérieurs.
Pour résumer les points communs et les spécificités par rapport aux méthodes actives, nous
proposons donc le tableau suivant.
100
Principe de la pédagogie
entreprenante
Points communs avec les
méthodes actives (projet,
problème)
Spécificités de la pédagogie entreprenante =
Immersion progressive dans le monde
entrepreneurial et construction identitaire d’une personne entreprenante
1) Apprendre par l’expérience de projets innovants en lien avec
des besoins réels
Apprentissage expérientiel dans des
expériences authentiques, stimulantes,
signifiantes et responsabilisantes
Projets innovants en réponse à des besoins réels avec
une part d’incertitude
2) Encourager, guider et faciliter
la prise de responsabilité des
apprenants
Guidage cognitif néo-directif (Conduire,
Questionner, Faciliter, Diagnostiquer le
processus d’apprentissage)
Apprentissage progressif du rapport au risque (évaluation
des situations, discernement personnel, adaptation
comportementale et émotionnelle)
3) Apprendre en groupe
coopératif et en relation avec
des adultes extérieurs à l’école
Apprentissage coopératif (conflit sociocognitif, processus de travail en équipe,
apprentissage vicariant)
Confrontation précoce à des métiers réels et des adultes
ayant des valeurs différentes de soi (modèles de rôles)
4) Evaluer par une approche
formative et la valorisation
externe
Guidage, facilitation et outillage du
travail réflexif de chaque projet et
chaque apprenant (évaluation
formative)
Critères normatifs d’évaluation certificative au sein d’une
cohorte encore à construire.
Visée d’acquisition du mode de penser-action projectif,
visionniste, créatif et effectual
Engager des partenariats avec le monde extérieur
(identifier les ressources, savoir les mobiliser, se
considérer soi-même comme ressource)
Valorisation des projets et de leurs auteurs par l’extérieur (visée de renforcement de l’estime de soi)
Attitudes bienveillantes et espaces de
communication protégés nécessaires
pour apprendre des erreurs et des
dysfonctionnements dans l’action.
Tableau 6. Les points-clé d’une pédagogie entreprenante, spécificités et points communs par rapport aux méthodes actives.
S’inscrire dans ces principes suppose donc que l’enseignant adopte une posture d’accompagnement plutôt que magistrale et qu’il accepte de partager avec des adultes
extérieurs à l’école (non spécialistes de l’apprentissage), la définition des objectifs, le déroulement des activités et l’évaluation de l’atteinte des objectifs. Cette évolution s’inscrit dans le changement de paradigme éducatif vers les pédagogies actives, qui fait évoluer la
professionnalité enseignante mais et plus globalement l’organisation de l’école dans la
relation avec son milieu. Sont en jeu des changements institutionnels et organisationnels,
que nous allons essayer de préciser dans la partie suivante. Mais faut-il tout bouleverser,
peut-on faire évoluer le système graduellement, ou peut-on simplement ajouter des modules
sans remettre en cause les organisations existantes ?
C – Quelles sont les évolutions souhaitables et faisables du cadre
organisationnel et institutionnel
pour éduquer l’esprit d’entreprendre ?
Si l’on suit un certain nombre d’auteurs en entrepreneuriat, l’esprit d’entreprendre nécessite d’être cultivé et éduqué dans un cadre institutionnel qui fonctionne lui-même de manière
entrepreneuriale. Cet argument est surtout développé au niveau universitaire. Dans leur
revue de littérature thématique sur l’éducation entrepreneuriale, Pittaway et Cope (2007 :488) montrent que tout un courant de recherche explore depuis un certain nombre
101
d’années le concept et le fonctionnement de l’université entrepreneuriale, qui développe des
relations étroites avec son milieu économique. Sont précisés ses finalités, sa stratégie, son
mode de leadership, sa culture organisationnelle, les infrastructures spécifiques qui visent à
faciliter le transfert de la recherche vers les milieux économiques et à héberger les projets
entrepreneuriaux des étudiants et des enseignants-chercheurs. Peut-on parler d’un modèle organisationnel qui influence significativement la démarche pédagogique des enseignants et
les comportements et attitudes des étudiants ? Un cadre organisationnel comparable seraitil souhaitable et faisable au niveau de l’enseignement primaire ou secondaire ?
L’université entrepreneuriale, un modèle ?
Le modèle de l’Université Entrepreneuriale développé notamment par Clark (1998, 2004),
Etzkowitz, (1998, 2003a,b), Etzkowitz et Zhou (2008) est de viser non seulement à former les
jeunes et produire des connaissances (missions classiques de l’université) mais aussi d’en
tirer des revenus propres (dépôt de brevets, spin-off, consultance) et constituer ainsi une
source majeure de création de richesse économique et sociale. A partir d’une large littérature sur l’Université entrepreneuriale Heinonen et Hytti (2010) expliquent que le
concept de l’Université entrepreneuriale est présenté comme une 3ème révolution
académique83 sur le modèle de la « triple hélice ». La spécificité entrepreneuriale est
l’intégration complète de la diffusion et surtout de la production de nouvelles connaissances
dans les milieux économiques. Les bénéfices attendus sont multiples : rendre ces institutions
moins dépendantes des Etats en crise budgétaire, contribuer au développement économique
local et à l’innovation en général et enfin, acculturer l’ensemble du système éducatif à l’esprit entrepreneurial : le rendre plus innovant, plus flexible et mieux inséré dans les
milieux économiques et sociaux locaux. Ce qui permettrait in fine d’imprégner les étudiants
de l’état d’esprit entrepreneurial qu’on cherche à leur faire acquérir. Qu’en est-il en réalité ?
Selon l’étude du cabinet Niras, 200884 ayant mené l’enquête auprès de 459 institutions
d’enseignement supérieur en Europe, les universités dont les étudiants participent le plus à
des formations ou activités entrepreneuriales et qui produisent le plus de transferts
(créations, brevets, licences et produits innovants) sont celles qui sont caractérisées par 6
dimensions principales formant un système cohérent :
83
Selon Heinonen et Hytti (2010) la première révolution est attribuée aux prescriptions de Humboldt à Berlin en 1810 visant à
associer la recherche aux finalités antérieures d’enseignement de l’Université. La deuxième révolution « invisible » toujours en
cours mais amorcée dans les années 30 inclut le développement économique et social dans les missions de l’université, à côté de l’enseignement et la recherche. La révolution entrepreneuriale intègre les 3 missions dans son fonctionnement
organisationnel.
84
NIRAS (2008) Survey of Entrepreneurship in Higher Education in Europe, September 2008 : enquête de l’Union Européenne réalisée par un consortium de consultants danois et norvégiens conseillés par deux chercheurs experts du domaine, auprès de
459 institutions d’enseignement supérieur issus de 31 pays (459 questionnaires généraux, 198 questionnaires détaillés, 46
entretiens
approfondis).
http://ec.europa.eu/enterprise/policies/sme/files/support_measures/training_education/highedsurvey_en.pdf
102
1) Une stratégie entrepreneuriale portée par la direction générale et traduite en
objectifs concrets de formation à l’entrepreneuriat pour toutes les facultés et visant tous les étudiants,
2) Des infrastructures spécifiques dédiées à l’entrepreneuriat et ouvertes à toutes les
facultés : centres/maisons de l’entrepreneuriat, incubateurs, officines de transfert technologique, centre de recherche sur la formation à l’entrepreneuriat, chaires en entrepreneuriat,
3) Un système de financement mixte incluant la génération de revenus par l’université elle-même à travers les activités de transfert (consultance, licences et brevets…) et des fondations dédiées,
4) La présence de pratiques pédagogiques innovantes, actives, pluridisciplinaires et
basées sur des enjeux réels (au moins sur certains modules),
5) Des réseaux et des partenariats très développés avec l’environnement économique et les anciens élèves,
6) Un système formalisé d’évaluation des objectifs auprès de l’ensemble des parties prenantes et des systèmes de rémunération, d’incitation et de formation pour les personnels de l’université.
Mais ce modèle ne représente qu’une faible part des universités européennes : L’étude
NIRAS de 2008 estime que moins de la moitié des institutions européennes (48%) offrent des
cours d’entrepreneuriat, dont le tiers (donc 16%) sont des cours généraux dans lesquels la dimension entrepreneuriale ne dépasse pas 25% du contenu du cours. De plus, la majorité
des cours d’entrepreneuriat reste à dominante transmissive. Ce qui revient à dire que
l’extension réelle de la pédagogie active à visée entrepreneuriale, qu’on pourrait qualifier d’entreprenante est faible et qu’elle cohabite avec de nombreux autres objectifs et méthodes.
En effet, de nombreux auteurs distinguent trois types de finalités, correspondant à des
contenus, des cibles et des méthodes distinctes dans l’éducation à l’entrepreneuriat dans
l’enseignement supérieur: la transmission de connaissances académiques SUR
l’entrepreneuriat, destinée aux étudiants chercheurs en entrepreneuriat, l’entraînement des compétences entrepreneuriales PAR l’entrepreneuriat, idéalement par des pratiques actives
(business plan, compétitions, projets entrepreneuriaux…) à cibler sur les étudiants futurs
entrepreneurs, et enfin la sensibilisation aux carrières et aux valeurs de l’entrepreneuriat destinée aux étudiants de toutes les disciplines qui n’ont pas encore d’intention de créer une entreprise (éducation POUR l’entrepreneuriat). Cette dernière finalité concerne le plus grand
nombre d’étudiants. Mais c’est la plus ambigüe, certains la voyant comme une initiation
active à l’état d’esprit d’entreprendre « pour la vie », d’autres plutôt comme une information sur l’entrepreneuriat et les carrières entrepreneuriales, selon la demande des étudiants et surtout les moyens disponibles pour l’assurer. Du fait de la rareté des ressources
pédagogiques innovantes, la méthode des cours et des conférences à dominante
transmissive reste majoritaire. En réalité, Heinonen et Hytti (2010) expliquent que la
pédagogie est le parent pauvre du modèle de l’Université entrepreneuriale. Sauf exception,
les réflexions à caractère pédagogique sur la nécessité d’un nouveau paradigme éducatif
soulevées dans la partie B ne font pas partie du champ des chercheurs qui explorent le
concept de l’Université entrepreneuriale. Ces derniers sont plus focalisés sur les relations entre la recherche et le monde économique. Il s’agit de deux champs de recherche disjoints.
103
Par ailleurs, il faut noter que la mesure utilisée pour définir les universités présentant les
meilleures pratiques (et donc caractérisées par les 6 dimensions présentées ci-dessus), reste
assez frustre : Faute de données accessibles sur les changements de compétences et
d’attitudes des étudiants à l’issue des formations, ce qui est pris en compte est d’une part, le nombre d’étudiants qui participent à des cours d’entrepreneuriat ainsi qu’à des activités de type entrepreneurial, et d’autre part, le nombre de transferts de l’université. Autrement dit, on ne sait pas grand-chose de l’influence réelle d’une telle structure organisationnelle sur l’état d’esprit plus ou moins entrepreneurial des enseignants et des étudiants.
Gibb et Hannon (2006) précisent aussi que le modèle de l’Université entrepreneuriale peut prendre plusieurs formes organisationnelles selon le degré d’intégration des activités entrepreneuriales au sein de l’Université : du modèle intégré, où l’enseignement de l’entrepreneuriat est présent dans tous les départements, au modèle externalisé, où un
centre de ressources adjacent mais extérieur à l’université offre des services juridiques,
financiers et pédagogiques aux facultés et laboratoires de recherche, en passant par un
modèle intermédiaire85. Les auteurs préconisent clairement le modèle intégré qui offre aux
étudiants et aux chercheurs le plus d’opportunités pour s’initier aux manières d’agir du monde entrepreneurial, mais reconnaissent qu’il faut continuer la recherche à partir des exemples déjà existants pour en estimer les bénéfices réels.
Des recherches plus qualitatives permettent d’apporter quelques informations complémentaires sur la mise en œuvre des Universités entrepreneuriales. Sans pouvoir
prétendre à l’exhaustivité, nous avons trouvé un certain nombre de recherches qui étudient
l’influence et le degré d’acceptation de l’Université Entrepreneuriale parmi les enseignantschercheurs. Le paysage apparait très contrasté. Certains chercheurs s’attachent à démontrer
des effets économiques et culturels positifs (Sondakh et Rajah, 2006, Rasmussen et Borch,
2010, Culkin et Mallick, 2011, O’Neal et Shoen, 2011). D’autres plus critiques mettent au jour
les résistances liées au conflits de procédures et aux dilemmes de rôles pour les chercheurs
pris entre les normes de gratuité et d’ouverture dans les réseaux académiques, et celles de
valorisation et de protection dans les réseaux économiques (Goldstein, 2008, Tuunainen et
Knuuttila, 2009, Ollila et Williams-Middleton, 2011, Philippot, Dooley, O’Reilly et Lupton, 2011). Dans ce contexte trouble, certains pointent l’importance d’un leadership charismatique pour assurer la faisabilité d’une dynamique entrepreneuriale tout en
maintenant la collégialité propre au milieu universitaire (Ryan et Guthrie, 2009, Monsted et
85
Dans le modèle intégré, présenté comme optimal, l’enseignement de l’entrepreneuriat est présent dans toutes les facultés avec un support pédagogique dans chaque département, des formations spécifiques pour les enseignants et un fort
encouragement à l’interdisciplinarité, l’officine de transfert appartient à l’université, il y a des chaires en entrepreneuriat, des
professeurs praticiens, assistants et invités, des congés sabbatiques pour les chercheurs qui veulent créer une entreprise à partir
de leurs chercheurs, des partenariats systématiques avec les entreprises pour la recherche, des équipes entrepreneuriales
invitées pour développer des idées avec les chercheurs ou les étudiants, des membres de l’université présents dans des jointventure avec des entreprises, une approche ouverte de la propriété intellectuelle.
Dans le modèle intermédiaire, le centre d’entrepreneuriat reste possédé par l’université et dirigé par un universitaire mais c’est un service spécifique, qui développe des programmes pédagogiques en entrepreneuriat pour les étudiants des différentes
facultés et les enseignants. Le personnel du centre est composé de personnels extérieurs et de volontaires issus des facultés. Le
centre met en œuvre des joint-venture et des partenariats avec les laboratoires universitaires, et encourage les liens avec les
entrepreneurs locaux et les structures de financement entrepreneurial.
Le modèle externe met en place un centre de ressources externalisé, dans lequel l’université à des parts, mais dirigé par un cadre d’entreprise. Il est physiquement proche de l’université, offre des programmes de formation et des conseils (juridiques,
financiers…) aux chercheurs e aux étudiants, ainsi que des campagnes promotionnelles. Il facilite les partenariats entre le monde
entrepreneurial et les chercheurs.
104
Hansson, 2010). D’autres minimisent l’importance de la révolution en cours, argumentant
que le mouvement n’est qu’en cours de construction et de négociation (Styhre et Lind, 2010). D’autres encore montrent que les académiques développent plusieurs types d’attitudes qui
vont des plus traditionnalistes aux plus entrepreneuriales, les positions hybrides étant
dominantes et plus habiles à exploiter les opportunités créées par l’ambiguîté des contours entre le travail académique et le travail pour l’entreprise (Lam, 2010).
Nous retenons à ce stade que l’Université Entrepreneuriale ne se met en place que très
progressivement en Europe. Loin de faire l’unanimité sur ses visées et son fonctionnement,
elle semble dans la plupart des cas cohabiter avec d’autres logiques. Par ailleurs, nous
pouvons noter que les recherches qualitatives qui explorent son fonctionnement, concernent
essentiellement le travail des chercheurs, et non celui des pédagogues et encore moins
l’effet sur les étudiants. Nous connaissons deux études qui tentent de mesurer des relations
entre une structure ou une culture éducative et la pédagogie utilisée par les enseignants, et
in fine les changements de comportements ou d’attitudes des étudiants mais les résultats ne
sont pas très convainquants. La thèse de Rajhi (2011) sur les universités tunisiennes
interroge 24 doyens et présidents d’université sur ce point mais ne parvient pas à conclure au-delà de déclarations politiques quelque peu dogmatiques faute de mesures précises
concernant les caractéristiques des universités et l’état d’esprit des étudiants et du
personnel. La thèse de Y. Wang (2010) quant à elle, compare deux institutions de formation
d’ingénieurs et montre que les deux écoles se caractérisent par une offre pédagogique et une
culture perçue par les étudiants légèrement différentes. Ce qui influe sur la proportion
d’étudiants qui développent une intention entrepreneuriale au cours de leur scolarité. On
peut supposer que les comportements et attitudes des étudiants sont plus proches de l’esprit
d’entreprendre dans la plus innovante des deux institutions. Mais d’une part la thèse n’offre pas les instruments de mesure adaptés pour le démontrer86. D’autre part, cette institution n’est pas à proprement parler conforme au modèle de l’Université entrepreneuriale.
Il y a donc tout un travail de recherche à mener pour explorer finement les liens entre les
structures et cultures organisationnelles plus ou moins entrepreneuriales des institutions
éducatives, les pédagogies effectivement mises en oeuvre et les comportements et attitudes
résultantes chez les étudiants.
En ce qui concerne la structure et le fonctionnement d’une école entreprenante (primaire ou
secondaire), il existe encore moins de réflexions et de travaux de recherche que sur
l’université entrepreneuriale. Si les pédagogues de l’esprit d’entreprendre prescrivent
effectivement d’immerger les jeunes dans une culture entrepreneuriale dès l’école, ils préconisent plutôt à l’heure actuelle une démarche pragmatique d’introduction de projets de
type entrepreneurial dans des écoles traditionnelles.
86
Voir l’article de Wang, Bigand et Frugier (2011) qui présente les deux écoles d’ingénieurs concernées et résume les points clé
de la thèse.
105
La visée actuelle du primaire au lycée : introduire progressivement des projets à
pédagogie entreprenante.
On a vu dans l’état des lieux sur l’offre éducative (partie A) que l’éducation entrepreneuriale au primaire et au secondaire était surtout documentée aux Etats-Unis. Là-bas, elle apparait
en fait moins réalisée par les enseignants eux-mêmes que par des associations et fondations
publiques ou privées qui offrent des programmes clé-en-mains, des mallettes pédagogiques,
du mentorat, des sites et des réseaux de ressources, des camps d’été. En Europe, la vision
que nous pouvons avoir de l’organisation d’une école entreprenante est d’ordre prescriptif, à partir des recommandations pragmatiques de Surlemont et Kearney (2009). Leur réflexion
est liée à leur expérience de mise en œuvre de projets entrepreneuriaux dans les écoles, financées par une fondation extérieure (fondation FREE en Belgique). Au Québec, le guide de
Pelletier (2005) s’intitule « invitation à la culture entrepreneuriale », mais il vise à outiller les
enseignants pour qu’ils puissent préparer les élèves au concours québecois en
entrepreneuriat, orchestré au niveau national. Le guide ne comporte pas de prescription
organisationnelle claire pour chaque école autre que la mise à disposition de temps pour des
projets et l’injonction à tisser des liens avec des acteurs externes à l’école autour des projets des élèves.
Selon Surlemont et Kearney, qui proposent donc la vision la plus avancée d’un cadre
organisationnel souhaitable, la mise en place d’une pédagogie entreprenante serait facilitée
s’il existait une culture entrepreneuriale dans l’établissement. Cette culture se manifesterait
selon les auteurs d’abord par l’adoption d’une stratégie de l’école en direction des parents. La stratégie devrait expliciter la vision, les motivations et les objectifs de la démarche
entrepreneuriale, les priorités d’affectation des ressources, les étapes nécessaires, les mesures adéquates et les responsabilités de chacun dans la mise en œuvre. Les auteurs
mentionnent rapidement qu’une telle stratégie suppose des outils administratifs flexibles,
conçus en fonction des besoins des apprenants, des bureaux plus ouverts et accueillants, des
espaces de classe plus « naturels » et permettant le travail coopératif. Il faut aussi que le
personnel puisse disposer de plages de temps afin de se livrer à des activités
entrepreneuriales générant des fonds pour l’établissement. De plus, il faudrait pouvoir conduire des audits de qualité sur les processus scolaires, faire appel à des évaluations
indépendantes sur les locaux et équipements et réaliser des enquêtes de satisfaction auprès
des apprenants, des parents, des membres du personnel, etc.
Mais les auteurs savent bien que ces processus manifestant une culture entrepreneuriale
sont loin d’être présents dans les écoles actuelles. Pour l’introduire, ils préconisent de
commencer par des projets entrepreneuriaux reliés au programme scolaire87. Et pour que la
dynamique engagée par ces projets ne s’étiole pas, ils préconisent une démarche
d’évaluation et de promotion de ces projets notamment par les élèves eux-mêmes auprès
87
Plusieurs formes sont possibles : des activités entrepreneuriales (jeux, simulations…), des projets comme les Entreprises d’Entraînement Pédagogique qui fonctionnent au sein d’un réseau national et international, des projets où les jeunes arrivent avec des idées de réalisations relatives à la vie hors de l’école, planifient, trouvent et gèrent des ressources, prennent de réelles décisions, les évaluent et en assument les conséquences, ou encore
montent de mini-entreprises où l’activité reflète le fonctionnement d’une société commerciale.
106
d’un large public de parties prenantes extérieures (parents, autorités locales, entrepreneurs, employeurs, médias locaux, etc.). Ils notent que le rôle incitatif du directeur est également
très important lorsque, par exemple, il s’agit d’attribuer des micro-crédits utilisables par les
apprenants, de valoriser publiquement les réalisations et leurs auteurs ou d’œuvrer à la promotion des enseignants impliqués. Les auteurs sont aussi très conscients qu’il existe des
freins et des résistances au sein du monde éducatif. Sur ce point, ils conseillent d’adopter une vision large de l’entrepreneuriat (être entreprenant plutôt que de créer une entreprise), de contourner les préjugés négatifs vis-à-vis de l’entreprise et l’entrepreneuriat en général (mettre en avant les activités entrepreneuriales non commerciales comme l’entrepreneuriat social et solidaire, être vigilant sur la terminologie utilisée (parler plus de « projet » ou
« d’organisation » que « d’entreprise » ou « d’affaires »).
Au fond, Surlemont et Kearney (2009) préconisent donc dans un premier temps, une
démarche de changement afin de légitimer des espaces pédagogiques ouverts à la pédagogie
entreprenante au sein des classes. Ensuite pourrait se mettre en place une stratégie et des
processus véritablement entrepreneuriaux. Mais l’autonomie de gestion qui permettrait à un tel projet pédagogique dans l’ensemble d’un établissement est-elle réaliste ? Les enseignants
et les chefs d’établissements sont-ils prêts à rentrer dans cette évolution de leur métier et de
leur fonctionnement ? Des auteurs en éducation explorant le management et le
fonctionnement des écoles nous permettent de préciser plus avant les implications et les
conditions de faisabilité d’une école entreprenante.
L’école autonome, cadre réaliste ou utopique d’une pédagogie entreprenante ?
Perrenoud (2001b) rappelle que par opposition au monde anglo-saxon, le cadre
organisationnel des écoles primaires et secondaires en Europe est majoritairement centralisé
et laisse peu d’autonomie aux établissements. Dans cette logique de mandat, le chef
d’établissement n’a guère la possibilité de négocier les finalités et les moyens d’enseignement. En mobilisant une vaste littérature en éducation et en sociologie des
organisations, Perrenoud explique qu’il y a des risques et de nombreuses conditions pour
qu’un projet d’établissement, tel que le suggèrent Surlemont et Kearney, puisse se mettre en
place. Il est inévitable qu’un tel projet augmente les débats, les conflits, les désordres et
l’incertitude au sein de chaque établissement : « Si l’établissement peut et doit définir sa politique, il devient un champ politique, parfois au sens le plus politicien et partisan de
l’expression, un champ où s’affrontent des visions divergentes, des priorités à respecter et des
stratégies à mener » (Perrenoud, 2001b :9).
On peut estimer qu’il suffirait que les chefs d’établissements possèdent des compétences
tactiques et stratégiques importantes pour jongler avec les attentes des enseignants et des
différentes parties prenantes locales (parents, lobbies divers, collectivités locales,
entreprises… influant sur le recrutement des élèves, les priorités des programmes, les locaux
et moyens à disposition…). Mais si l’on ne souhaite pas accroître les inégalités d’éducation entre les écoles disposant des chefs d’établissement plus habiles et de forces locales plus
107
importantes que d’autres, il est préférable que le projet puisse être élaboré collectivement.
Alors, comme le souligne Perrenoud en s’appuyant sur de nombreux auteurs, « L’enjeu est de taille : si ce sont les établissement qui deviennent plus autonomes, et non leurs directeurs
seulement, il faut s’attendre à la mise en place de nouveaux fonctionnements, parmi
lesquels : le développement de projets d’établissements, de nouveaux modes de régulation entre les établissements et le réseau ou l’organisation dont ils dépendent, des formes nouvelles de coopération professionnelle et de décision démocratique à l’intérieur d’un établissement entier » (Perrenoud, 2001b :11).
Très concrètement, cela exige un certain nombre de transformations par rapport aux modes
de travail actuel à l’école, à commencer par celui des enseignants : Citant Derouet et Duterq
(1997 :187) « Pour que la notion de projet d’établissement vive, il faut qu’elle rentre plus profondément dans ce qui constitue le cœur de l’activité de l’établissement, c'est-à-dire
l’enseignement. [ ] Cela signifie maîtriser collectivement les choix et les interprétations qui
sont faits par les enseignants à partir des programmes nationaux ». Autant dire, demander
davantage de transparence et de cohérence aux enseignants et surtout empiéter sur leur
part de liberté individuelle. Aujourd’hui, ils sont les maîtres du choix des méthodes
pédagogiques dans leur classe. Il y a fort à parier que la plupart des enseignants interprètent
ce marché comme un jeu de dupes… Une piste de négociation évoquée par Perrenoud, à la
lumière de ce qui est réalisé dans le cadre de la réforme québécoise de 1997-98, est de
dégager des heures réservées à des démarches de projet libre (un quart du temps scolaire au
Québec), le reste du temps étant consacré au programme.
Mais même dans ce cas, les projets nécessitent des volontaires et des coopérations avec
d’autres acteurs, pour obtenir des ressources, des savoirs, de l’expérience, des relations pour franchir les obstacles… Il faut donc des initiateurs qui en amènent d’autres à vouloir changer et à dépenser de l’énergie pour mener des projets. C'est-à-dire des pionniers qui prennent
des risques, ont envie de promouvoir des changements et qui sont capables de négocier des
compromis avec d’autres. Il faut que ces pionniers et leurs suiveurs y trouvent leur compte :
une utopie à promouvoir, des visées à réaliser, des intérêts à défendre, une influence à
prendre ou à garder… Nous sommes très proches des innovateurs bien étudiés par Alter
(1990, 1993) et des intrapreneurs. Nous avons fait la même analyse au sujet de la mise en
œuvre des pédagogies actives dans les établissements d’enseignement supérieur :
l’innovation pédagogique peu valorisée dans les carrières actuelles est essentiellement le fait d’équipes d’innovateurs très engagés et militants, qui pour se faire entendre et convaincre à
leur tour leurs collègues, construisent des stratégies de conviction et mettent en place des
actions de traduction. (Verzat et Garant, 2010 :530).
Toutefois, les initiatives ne peuvent émerger que si le cadre l’y autorise, il faut donc que la
dynamique des projets soit encouragée, tout en restant non obligatoire. Sinon les projets
sont commandés et aucun acteur n’y trouve un sens, sauf les bons soldats. Encourager les
projets ne suffit pas. Car si l’on souhaite que le projet d’établissement poursuive une visée de
bien commun au-delà d’une minorité active, il importe qu’une grande partie des apprenants
et des enseignants puisse y participer. Cela devient délicat, car la plupart des projets élaborés
de manière démocratique tournent souvent au consensus mou ou à un ensemble peu
108
cohérent très difficile à piloter. Pour échapper au dilemme, Perrenoud suggère la voie du
leadership distribué et coopératif. Citant Derouet et Dutercq, il souligne que « tout
établissement d’enseignement est une cité à construire [ ] non seulement pour que les élèves
ou les étudiants y trouvent leur place et développent leur citoyenneté, mais pour que les
professeurs se sentent aussi, citoyens d’une cité politique d’un genre particulier, puisqu’elle est inscrite à l’articulation du travail salarié et d’une institution servant le bien commun »
(Perrenoud, 2001b :19). Mais comme il le note, « cette citoyenneté ne se décrète pas, sa
genèse n’est pas inscrite dans l’identité des enseignants, elle n’est pas favorisée par les pesanteurs des bureaucraties ».
Pour qu’un leadership distribué s’instaure, il suggère que le chef d’établissement se contente
de faciliter la démarche en s’entourant d’un acteur collectif qui prendra en charge les différentes fonctions du leadership distribué (Barry, 1991) : définition d’une vision commune,
organisation et suivi du projet, représentation externe, gestion des ressources, maintien d’un climat positif au quotidien entre toutes les parties prenantes. Comme nous l’avons mis en exergue (Verzat et Garant, 2010), cette dynamique implique l’évaluation permanente sous la
forme d’une réflexivité constante qui permet à tous les acteurs d’apprendre. Cette vision d’une dynamique d’apprentissage permanent et collectif des acteurs est partagée par
Ramsden (1998), spécialiste du leadership dans l’enseignement supérieur. C’est la solution selon Ramsden pour instaurer un compromis entre la culture académique classique visant la
collégialité et le respect des territoires et la culture managériale centrée sur l’efficacité et la
responsabilisation. Concrètement, il s’agit de créer une vision partagée du futur, de motiver
les étudiants et les personnels de l’université à (se) réaliser davantage, de revisiter les
problèmes anciens avec un regard nouveau, de faciliter l’échange collaboratif, et d’envisager
le changement de manière positive.
Selon Perrenoud, l’auto-évaluation doit être complétée par une évaluation et une discussion
critique des résultats par des instances indépendantes. Il précise que l’idée n’est pas de contrôler les résultats de l’école à partir d’une grille préétablie car « l’efficacité des résultats ne se mesure pas : elle se construit, se négocie, se pratique et se vit ». Le rôle des
observateurs indépendants et avertis est d’entrer dans une interaction à la fois critique et
constructive afin de discuter des moyens de l’école offerts pas l’instance de régulation (ministère ou réseau) qui donne mandat à l’école. Si l’instance de régulation soumet l’école à un contrôle bureaucratique classique, il y a fort à parier que les innovateurs se lassent et se
découragent. On voit que la dynamique d’un projet collectif d’école nécessite des protections
de la part de l’institution mandante : du temps pour apprendre des erreurs et surtout pour
construire l’acteur collectif capable de réaliser un tel projet, ainsi qu’une marge d’autonomie budgétaire et une manière constructive d’évaluer les résultats.
Alors projet idéal ou dynamique réaliste ?
Les conditions organisationnelles et
institutionnelles développées plus haut paraissent si complexes à réunir que l’on peut douter de la faisabilité à court terme d’un tel programme. Mais on peut rester optimiste. L’exemple
d’institutions d’enseignement supérieur qui ont réussi à mettre en œuvre des réformes pédagogiques pérennes suivant les principes actifs dans l’ensemble du curriculum (Ecole
Polytechnique de Louvain La Neuve, Faculté de génie de l’Université de Sherbrooke) nous 109
incite à penser que la mise en place d’un projet d’établissement de type entrepreneurial est
faisable. Mais cela reste à prouver sur le terrain à partir d’exemples de mise en œuvre réelle dans les écoles primaires ou secondaires. Nous ne connaissons pas d’étude qui en ait fait la démonstration à l’heure actuelle. Encore un vaste chantier de recherche !
Les retours d’expérience des institutions d’enseignement supérieur « converties » aux
méthodes actives nous invitent à revenir sur l’une des conditions de base évoquées rapidement plus haut, à savoir la présence d’enseignants volontaires pour une telle évolution. « La question fondamentale a été et reste comment amener tout le corps
professoral impliqué dans un programme à adhérer à de nouveaux fondements pédagogiques
et à modifier leurs habitudes de travail », reconnait un pionner de l’apprentissage par problème à l’Université de Sherbrooke. En quoi les enseignants d’aujourd’hui peuvent-ils se
sentir concernés et s’impliquer dans une dynamique pédagogique entreprenante ? Pourquoi
et à quelles conditions noueraient-ils des partenariats avec le milieu entrepreneurial ? Qu’en est-il des pratiques actuelles d’acculturation du milieu enseignant au milieu entrepreneurial et vice-versa ?
Enseignants et entrepreneurs : deux cultures professionnelles qui peuvent
coopérer ?
En ce qui concerne l’enseignement supérieur, l’enquête NIRAS indique que les universités
qui forment actuellement le mieux à l’entrepreneuriat savent recruter des enseignants qui ont à la fois un savoir-faire pédagogique et une expérience de l’entreprise privée (Verzat,
2009). En effet, pour inciter et aider les étudiants à prendre des risques, innover, s’exposer aux aléas de l’offre et de la demande, construire des réseaux… il faut donner l’exemple. Plusieurs manières de faire coopérer les deux cultures professionnelles existent à l’heure actuelle.
Plusieurs approches organisationnelles possibles.
Une première solution consiste à recruter d’anciens entrepreneurs ou cadres d’entreprises dans les institutions éducatives. Mais cette pratique est rare en France car elle se heurte à de
nombreux blocages institutionnels. Les différentiels de salaires et les barrières à l’entrée dans les carrières de l’enseignement et la recherche (diplômes du CAPES ou de l’agrégation pour le secondaire en France, doctorat et publications pour l’enseignement supérieur) sont tels que
le nombre de personnes intéressées est limité. A l’université, les postes temporaires
d’enseignement et de recherche n’offrent qu’une réponse insatisfaisante car les salaires sont
peu attractifs et la pérennité des postes n’est pas assurée. Les professionnels que nous avons
rencontrés dans ces positions à l’Ecole Centrale de Lille avaient rarement longtemps une
vision positive de leur statut. De notre expérience, c’est beaucoup moins le cas dans les écoles de commerce où il existe une autonomie de gestion des salaires et des carrières.
Aucune solution ne peut donc être trouvée tant que l’autonomie vis-à-vis des instruments de
gestion du personnel des écoles (grilles salariales et systèmes de promotion et d’incitation)
ne sera pas décentralisée au niveau des établissements, avec tous les conflits que cela ne
110
manquera pas de susciter... Et à nombre de postes équivalent, il faudrait aussi que les
enseignants et chercheurs actuels laissent des places vacantes, donc aient l’envie et l’opportunité de partir au moins pour un temps, afin de créer un business ou exercer une
responsabilité d’une autre nature. Or les recherches sur la mobilité externe des enseignants
chercheurs montrent que le flux est faible.
La méthode la plus couramment pratiquée pour rapprocher le monde académique de
l’économie et la société réelles à l’Université est donc de faire intervenir les entrepreneurs
dans la formation, et particulièrement les jeunes anciens de l’institution. De fait, nous reconnaissons que leurs témoignages en conférence ou leurs avis en jury ont une puissance
de conviction que les meilleurs professeurs leur envient. Au-delà de ce rôle ponctuel,
l’enquête NIRAS signale que les meilleures universités mettent en place des coopérations sur
la durée entre entrepreneurs et enseignants : projets réels d’innovation, études de marché, organisation d’événements innovants à réaliser par les étudiants. Nous avons largement
contribué à développer de tels partenariats dans le cadre des projets d’innovation à l’Ecole Centrale de Lille et nous en observons quotidiennement à Advancia. L’avantage est double
pour les étudiants comme pour les entreprises partenaires : pré-structuration de réseaux,
opportunités de rencontres pour valider des idées innovantes et les transformer
éventuellement en business rentables… De l’avis unanime des élèves ingénieurs dont nous
avons recueilli les témoignages, cette première expérience d’ouverture au monde professionnel était fondamentale pour envisager leur avenir professionnel. Au niveau des
écoles primaires et secondaires, on a vu que la pédagogie entreprenante incite aussi à mettre
en œuvre des partenariats avec des acteurs extérieurs. Mais l’extension réelle et le vécu de
ces pratiques au primaire et au secondaire ne sont pas très documentés à notre
connaissance.
La dernière voie consiste à organiser des formations afin de développer les compétences
entrepreneuriales des enseignants actuels. Le nombre des professeurs compétents en
entrepreneuriat étant très insuffisant dans les universités européennes, un certain nombre
d’initiatives ont vu le jour à destination des enseignants universitaires (Verzat, 2009) : au
Danemark, IDEA a mis en place en 2008 un Master International en Education et Formation à
l’Entrepreneuriat ainsi qu’un programme qualifiant en entrepreneuriat destiné aux
professeurs. En Pologne, le ministère de la Science et de l’Enseignement Supérieur finance un programme de formation à l’entrepreneuriat destiné aux professeurs de 20 universités. Au Royaume Uni, le NCGE et le UKSEC en partenariat avec la Higher Education Academy et la
Fondation Kauffman ont lancé un programme de formation à l’entrepreneuriat en 2007. Mais il semble que ces formations soient davantage focalisées sur les compétences liées à la
création d’entreprise que celles liées à l’esprit d’entreprendre. Dans ce domaine, nous avons contribué avec B. Raucent à mettre au point une formation pionnière en France à
destination des enseignants et agents de sensibilisation sur le thème de la pédagogie de
l’esprit d’entreprendre (Verzat et Raucent, 2011).
Quel que soit le contenu des formations, il importe d’inciter les professeurs à y participer
alors que la pédagogie est souvent une dimension peu valorisée du métier d’enseignantchercheur par opposition à la recherche. A partir de plusieurs études sur la pédagogie
111
universitaire et de l’analyse de situations réelles, nous avons noté (Verzat et Garant, 2010) qu’il fallait mettre en œuvre une palette de moyens en plus de l’offre de formation pédagogique pour que celle-ci porte du fruit. Ces moyens sont les suivants : la valorisation
de la pédagogie dans la carrière au même titre que les publications en recherche (scholarship
of teaching and learning), un système d’évaluation des enseignements qui renvoie aux enseignants des informations sur l’efficacité de ses méthodes pédagogiques en cours, une
incitation88 à participer à des recherches en collaboration avec des chercheurs en pédagogie
et une offre de ressources pédagogiques spécifiques (outils, techniques, contenus… comme des études de cas, des jeux de simulation, des outils multi-médias…). Enfin, dans le cas des
formations à l’entrepreneuriat, la difficulté spécifique d’acculturer les professeurs au monde de l’entreprise s’ajoute à tous les freins observés en pédagogie universitaire en général.
A la lumière de nos expériences de ces différentes voies de coopération entre monde
enseignant et monde entrepreneurial, que pouvons-nous dire à propos de la coopération
telle qu’elle est vécue par les enseignants, par les entrepreneurs et par les étudiants ? En
quoi cela peut-il être bénéfique ? Y a-t-il des risques ? Des conditions spécifiques à
respecter ?
Bénéfices, risques et conditions de succès des coopérations entre professeurs et
entrepreneurs à la lumière de notre expérience.
Une première remarque évidente est qu’il s’agit bien de deux mondes professionnels vraiment très différents avec des identités professionnelles, des parcours et des contraintes à
court et long terme très éloignées. Mais nous avons remarqué qu’entrepreneurs et
professeurs partagent au moins deux caractéristiques à partir desquelles une rencontre peut
être perçue comme positive : La première est commune à tous les professionnels que nous
avons interrogés en entretien, quel que soit leur métier. Mais elle souvent oubliée et gagne
à être rappelée si l’on veut nouer des partenariats : ils ont tous deux un immense plaisir (et
sans doute un besoin) de se raconter et de faire partager leur expérience. C’est d’ailleurs sur cette base élémentaire que le projet Vis-ma-vie de l’Institut d’Entrepreneuriat de l’Université Catholique de Lille, consistant à organiser des rencontres entre des entrepreneurs et des
enseignants a pu fonctionner (Dervaux, 2011).
La deuxième caractéristique est plus ambivalente car elle peut générer un grand
enthousiasme mais aussi des belles frustrations, voire des rivalités. Il nous semble que les
entrepreneurs comme les enseignants ont un grand goût pour l’apprentissage, ils aiment apprendre et transmettre ce qu’ils savent à des jeunes. Mais dans les deux métiers, cela ne
se fait pas forcément de la même manière (par l’action /par la conceptualisation). Surtout il
n’y a pas la même référence au savoir pour se légitimer professionnellement et s’imposer dans la relation avec les autres. Si les entrepreneurs sont des praticiens réflexifs, le savoir qui
les rend crédible est tacite : les scripts des entrepreneurs experts aujourd’hui mal connus ne 88
Par exemple, en incluant les publications en pédagogie dans le portefeuille des publications reconnues par l’institution, ou en
attribuant des incitations financières au même titre que pour les revues de la discipline d’origine du chercheur, ou en attribuant des budgets de recherche…
112
sont pas revendiqués en tant que tels mais attestés par leur réussite économique. C’est le résultat final obtenu qui est le critère de reconnaissance pertinent. A l’opposé, l’enseignant impose sa légitimité par la maîtrise d’une discipline qui ne vaut que si elle est énoncée explicitement à travers des textes écrits ou des exposés savants.
Professeur et entrepreneur seront donc fatalement à la recherche de signaux différents vis-àvis de ce que les jeunes doivent acquérir ou produire. En outre, il peut y avoir lutte
d’influence entre les deux acteurs vis-à-vis des élèves : Lequel va être perçu comme plus
prestigieux par les élèves ? Pour qui travailleront-ils préférentiellement ? Quel type de
démonstration / d’action sera la plus importante à leurs yeux ? S’il n’y a pas un grand respect des deux acteurs l’un envers l’autre, la négociation risque d’être douloureuse… Si ou
contraire les deux acteurs sont curieux et qu’ils prennent le temps d’apprendre ensemble, c’est à-dire de faire dialoguer leurs savoirs, alors le bénéfice pour chacun et pour les
étudiants est immense. Au cours de mes contacts avec des entrepreneurs lors de projets
partagés avec les étudiants, ou lors de recherches-action ou encore à l’occasion de
témoignages en cours, j’ai souvent vécu des échanges très stimulants avec les intervenants.
Nous pouvions mettre en lien l’analyse et les enseignements d’une situation avec des
théories pertinentes. Et dans la plupart des cas, j’ai observé une relation passionnée avec les
étudiants.
Cependant, les partenariats peuvent être durs à mettre en place et à faire durer. Assez
prosaïquement, les agendas des uns et des autres n’ont pas les mêmes temporalités, ni les
mêmes contraintes et reflètent des modes d’action opposés (respecter le programme /
s’adapter en permanence). La recherche d’un rendez-vous commun révèle souvent
l’existence d’une hiérarchie informelle qui s’instaure rapidement entre les deux
acteurs, notent subtilement Desonnay, Dervaux et Gesp (2009): Qui subit l’agenda de l’autre : l’entrepreneur autodidacte qui admire le professeur d’université ou l’enseignant qui
s’incline devant le dirigeant d’entreprise ? Par ailleurs, le jargon professionnel inévitable de
chaque métier peut aussi constituer un frein lorsqu’on a passé le stade de la curiosité et qu’on veut travailler ensemble. A la longue, il peut dégénérer en dialogue de sourds à
connotation idéologique négative (académisme élitiste / capitalisme focalisé sur la recherche
du profit). Dans le monde de l’école primaire ou secondaire, les préconceptions à connotation idéologique négative vis-à-vis du monde entrepreneurial semblent tenaces si
l’on en croit les réactions suscitées par la formation que nous avons expérimentée sur l’esprit d’entreprendre (Verzat et Raucent, 2011).
Si l’on regarde plus spécifiquement le point de vue des enseignants vis-à-vis de tels
partenariats, quel est l’avantage ?
Au travers des échanges avec mes collègues de l’Ecole Centrale de Lille investis fortement ou
ponctuellement dans des projets d’innovation avec des partenaires d’entreprise notamment entrepreneurs, il apparait plusieurs types de bénéfices possibles. Ces bénéfices sont liés aux
centres d’intérêt de chacun des enseignants.
Les plus intéressés par la relation pédagogique y voyaient le moyen d’intéresser les étudiants démotivés et désinvestis de la matière dans les cours traditionnels, de connaitre plus
113
personnellement les étudiants que dans les cours, de se sentir alliés des étudiants vis-à-vis
d’un problème précis et réel à résoudre plutôt que de se positionner exclusivement comme
l’évaluateur qui sanctionne, de gérer des petits groupes moins instables et plus contrôlables
que les amphis ou les classes de 30 à 50 étudiants dissipés. Les plus intéressés par le contenu
des projets étaient plus sensibles au fait que les projets toujours nouveaux et actuels des
partenaires extérieurs les sortaient de la routine des cours ou encore leur permettaient de
trouver un terrain d’application pour leurs recherches. Il pouvait s’y loger aussi des motivations plus matérielles comme obtenir quelques marges budgétaires utiles pour
acheter du matériel pour le labo, ou encore des heures de cours sans obligation de préparer
des supports ou de corriger des copies. En outre, certains professeurs comblaient un besoin
de reconnaissance sociale par la participation à des projets d’entreprises prestigieuses ou à des réseaux d’affaires locaux. Un dernier intérêt professionnel non négligeable était de se
sentir appartenir à une équipe d’enseignants, ce qui aidait considérablement les jeunes professeurs à s’intégrer dans l’institution, et offrait à tous les autres aussi, des lieux de
dialogue voire d’entraide dans un métier où l’on se sent parfois bien seul. Il nous semble que
la plupart de ces motivations pourraient concerner les enseignants des écoles primaires ou
secondaires, souvent aux prises avec des situations d’enseignement difficiles. Mais en même
temps, l’exposition aux autres de ses pratiques réelles, lorsqu’on a pris l’habitude d’une très grande autonomie, est un véritable risque à prendre. La culture coopérative est encore peu
présente dans les écoles (Perrenoud, 1996). L’intérêt des enseignants à établir des
partenariats avec des entrepreneurs au-delà d’un simple échange de vues reste donc à
valider par des recherches qualitatives approfondies.
Toutefois, le risque principal de ces projets en relation partenariale concerne à nos yeux
surtout l’apprentissage par les apprenants. En effet trois finalités sont idéalement interreliées dans ces projets :
1) Réussir le projet (atteindre l’objectif, résoudre effectivement le problème),
2) Acquérir des connaissances et des savoir-faire prescrits par le programme de l’école, 3) Développer son identité (réaliser de quoi j’ai été capable et envisager des
conséquences pour mon avenir à court ou moyen terme : choix d’options, de projets ou de matières pour la prochaine période, attirance pour des métiers…).
Chacune des trois catégories d’acteurs du projet est plus spécifiquement attachée à chacune de ces finalités : les partenaires visent et valorisent d’abord la réussite, les professeurs visent et accompagnent essentiellement la construction des connaissances et savoir-faire, les
étudiants quant à eux, ont besoin de prendre conscience du cheminement identitaire
accompli dans le projet pour faire des choix qui les concernent. Dans beaucoup de cas, la
réalisation du projet permet aux trois acteurs d’atteindre leurs finalités, la complémentarité
des trois enjeux joue à plein et le projet est une réussite dont les trois protagonistes se
félicitent. On peut appeler cette configuration le « trio gagnant ».
Mais la réalité sociale des relations de pouvoir et de savoir par essence inégales entre les
trois acteurs nous conduit à mettre en garde contre un déséquilibre potentiel au profit de
l’une et/ou l’autre des parties au détriment de(s) autre(s) si l’on n’y prend pas garde. Dans
notre expérience d’accompagnement et de coordination des projets d’innovation, nous
114
avons observé à l’Ecole Centrale de Lille un certain nombre de configurations moins
gagnantes que le cas idéal présenté ci-dessus. Nous avons repéré cinq configurations
déséquilibrées nommées ci-après :
-
« La sous-traitance » : l’équipe étudiante a une relation très étroite avec un
partenaire qui a un enjeu si fort qu’il met une forte pression sur le planning et le
niveau de performances afin de tirer le meilleur parti de cette main d’œuvre quasigratuite. Les professeurs ne voient pas le problème ou n’osent pas s’interposer, ou
encore, ils y trouvent un intérêt (par exemple, s’il s’agit d’une application de leur
recherche). Le surinvestissement pour réussir coûte que coûte laisse peu le temps
aux étudiants pour apprendre de leurs erreurs et tirer les leçons de l’expérience. Elle
peut en outre les laisser très amers si leur effort n’est pas reconnu à la hauteur des sacrifices qu’ils ont consentis.
-
« L’académisme » : l’équipe étudiante investit son énergie intellectuelle sur un sujet
de recherche étroitement coaché par l’encadrant scientifique, mais négligent la
réalisation pratique au profit d’un dossier, au mieux d’une simulation, vis-à-vis de
laquelle le partenaire n’a rien à investir et se contente d’attendre un dossier ou un
fichier final. In fine les étudiants sont frustrés de montrer une réalisation
immatérielle quelque peu scolaire qui fait pâle figure par rapport aux prototypes ou
réalisations bien visibles de leurs camarades. Ils réalisent confusément qu’ils ont raté
l’occasion d’y découvrir un métier et un environnement professionnel futur.
-
« L’exécution » : les étudiants se perçoivent comme de simples exécutants au profit
d’un binôme de dirigeants (professeur-partenaire) soudés et très directifs vis-à-vis
desquels ils n’osent pas ou ne savent pas comment négocier des marges de manœuvre pour concevoir et penser par eux-mêmes les orientations du projet. A tel
point qu’ils finissent par apprendre bêtement et ne peuvent pas y saisir des bénéfices
personnels.
-
« La récréation » : Les étudiants considèrent le projet comme un espace de détente.
Ils passent de bons moments ensemble mais négligent les attentes du partenaire qui
faute de contacts, s’éloigne du projet et récupère in fine une réalisation pleine de
défauts. Les professeurs peuvent se laissent berner par la bonne ambiance du groupe
dont ils pensent qu’elle garantit l’efficacité. L’apprentissage est banal car les
étudiants ne vont pas au fond des choses et ne s’exposent pas au conflit sociocognitif.
-
« Le hors-jeu » : les étudiants s’investissent très inégalement voire désertent le
projet parce qu’il génère trop de conflits entre eux et qu’ils se sentent impuissants
pour les affronter et trouver des solutions. Les professeurs voient tardivement le
problème ou pensent que ce n’est ni dans leur rôle ni dans leur compétence de le résoudre. Les partenaires peuvent percevoir le malaise mais leurs rétroactions en
forme de jugements ne donnent pas la clé qui aiderait les étudiants. La production
comme l’apprentissage sont quasi-inexistants. Tous les acteurs sont déçus et
rejettent éventuellement la faute sur un bouc émissaire.
115
Dans notre expérience selon les années, un peu plus de 50 % des équipes d’étudiants sont proches de la configuration du trio gagnant89, c’est-à-dire qu’elles atteignent honorablement
les trois finalités. Les autres sont décevantes en termes d’apprentissage académique, de
réalisation effective et/ou de construction identitaire. Ce n’est pas catastrophique si les
apprenants ont l’occasion de participer à plusieurs projets au cours de leur cursus et qu’ils ne sont pas stigmatisés par un échec trop cuisant dont ils s’estimeraient seuls responsables. Ils
peuvent toujours espérer faire mieux la fois suivante. Mais le dispositif éducatif peut tenter
de maximiser les chances d’atteindre ces trois finalités conjointement et surtout, d’éviter le cas rare mais grave du hors-jeu où les étudiants développent une perception très négative de
leurs capacités90. A la lumière de notre expérience, plusieurs garde-fous peuvent être mis en
place :
89
-
Tout d’abord un système d’évaluation multi-critères qui donne le temps et le poids
nécessaire à chaque catégorie d’acteurs afin d’élaborer et de défendre son point de
vue. C’est un système qui est long à construire et qui en soi, constitue un
apprentissage collectif au sein d’une communauté éducative (Verzat et Bachelet,
2007).
-
Ensuite un accompagnement à plusieurs visages, où sont idéalement joués plusieurs
rôles : celui de superviseur académique, celui de maître de la relation avec
l’entreprise, et celui de médiateur qui vise à aider les étudiants à prendre conscience de ce qui se joue pour eux au sein d’une équipe et de la relation tripartite. Ces trois
rôles bien décrits par Roussel-Gillet et Scoyez-Van Poppel (2010) rejoignent les trois
postures d’accompagnement identifiées par Paul (2004). L’accompagnement idéal de
situations de partenariat se fait donc en équipe. L’équipe d’accompagnants ellemême fait partie d’une communauté d’encadrants qui échange régulièrement et
peut donc apprendre collectivement en comparant les situations auxquelles ils sont
confrontés. Nous retrouvons ici toute la dimension d’équipe qui s’inscrit dans une culture professionnelle de coopération bien étudiée par Perrenoud (1996 :119).
-
Enfin, la mise en place de lieux d’apprentissage sans risque à côté de ceux qui font
vivre des expériences risquées, par exemple à travers des expériences de jeu. Le but
est de permettre aux apprenants de dépasser leurs préconceptions ou
comportements les plus gênants et d’inventer des nouvelles manières de faire ou de penser dans un lieu protégé, qu’ils pourront ensuite utiliser dans une expérience avec des enjeux réels. Notre expérience de mise en place d’un jeu de spaghetti emprunté à Busk-Kofoed et Roesnorm (2003) au démarrage de l’activité projet à l’Ecole Centrale de Lille a ainsi fait évoluer de manière significative les croyances des
étudiants et leurs capacités vis-à-vis du travail en équipe. L’hypothèse que nous avons faite s’appuie sur la théorie de l’expérience transitionnelle à travers le jeu
Cette estimation provient du taux de projets nominés chaque année lors de l’évaluation finale. Ce taux est à peu près constant depuis que le système d’évaluation mis au point avec un grand nombre d’acteurs (notamment étudiants) s’intéresse à un grand nombre de critères reflétant les trois finalités et offre des opportunités de réflexivité régulière.
90
Dans notre expérience de plusieurs années, nous évaluons les cas graves à 1 équipe sur 40. Si l’équipe en grande difficulté est repérée précocement et accompagnée avec tact et fermeté, on peut par des reconfigurations de groupe ou de mission,
redonner des chances de succès.
116
formulée par Winnicot (1975). Le jeu offre en effet un espace bienveillant et
stimulant qui a permis aux étudiants de découvrir de manière intuitive, non
rationnalisée, tacite, de nouvelles manières de s’y prendre en groupe (bonnes
pratiques de créativité, d’organisation du travail et de régulation de la dynamique de groupe) puis d’en prendre conscience après avoir joué. (Verzat, 2009b, Verzat,
Fayolle et Byrne, 2009).
Ces enseignements sont-ils transposables dans le cas d’une école primaire ou secondaire
dont nous n’avons pas l’expérience ? Nous pouvons supposer qu’au moins quatre des cinq
risques identifiés dans le supérieur se présenteraient aussi dans le cas de projets d’élèves en partenariat avec des milieux économiques locaux. Le risque de sous-traitance et d’exécution sont en effet bien identifiés par Surlemont et Kearney. Les risques de récréation et de horsjeu nous semblent assez universels et bien au cœur de toute régulation pédagogique, même
si les enseignants n’aiment pas toujours en parler. Le risque d’académisme est probablement le moins fort aux niveaux secondaire et primaire qui n’ont pas d’enjeu de recherche. Vis-à-vis
de ces risques, on peut faire l’hypothèse que les trois types d’instruments que nous avons
testés dans l’enseignement supérieur pourraient y être transposés en étant un peu inventifs :
système d’évaluation pluri-critères, rôles d’accompagnement différenciés et complémentaires, expériences transitionnelles parallèles.
Nous croyons à la lumière de l’expérience de réforme à l’Ecole Centrale de Lille, qu’une réforme est possible à l’échelle d’un établissement, pour peu qu’il dispose d’une petite marge d’autonomie vis-à-vis du programme, de l’emploi du temps et de la gestion des personnels. Il s’agit d’abord d’inclure des plages projets dans l’emploi du temps des apprenants, au lieu de penser que c’est du travail à faire de manière autonome en dehors du
temps scolaire et sans aucun encadrement, comme le cas des exposés au primaire par
exemple. Deuxièmement, il faut y engager quelques moyens incitatifs pour les enseignants
en fonction de leur système de rémunération actuel (par exemple des heures aussi bien voire
légèrement mieux rémunérées que pour un cours classique) et les former à
l’accompagnement. On peut aussi trouver des marges de manœuvre supplémentaires en formant et supervisant des apprenants plus âgés pour qu’ils accompagnent des plus jeunes.
Si l’on commence par les enseignants et les apprenants les plus volontaires et qu’on en fait
une belle promotion au sein de l’établissement, l’enthousiasme pourrait même être de la partie et fournir quelques raisons de sortir de la désespérance de certaines classes actuelles !
Il s’agit bien d’une véritable démarche de changement avec des dimensions
organisationnelles (nouveaux rôles à mettre en place, évolution du planning, moyens
d’incitation, dispositifs pédagogiques spécifiques, systèmes d’évaluation nouveaux, formation des enseignants, budgets d’amorçage, locaux…) et un soubassement culturel
immense (reconnaissance et respect des critères de professionnalité de l’autre, négociation
des places au sein de la relation avec les étudiants, constitution d’équipes, augmentation des
tensions et des zones d’incertitudes …). L’examen des différentes sources de motivation des
enseignants mais aussi des freins et des risques liés aux partenariats avec le milieu
économique font ressortir la nécessité de créer les conditions d’un apprentissage collectif au 117
sein de la communauté éducative élargie constituée des enseignants, des apprenants et de la
direction de l’établissement en relation avec ses parties-prenantes.
Nous retrouvons ici la démarche de changement par apprentissage préconisée dans la mise
en œuvre des pédagogies actives (Verzat et Garant, 2010), de même que la démarche de
projet d’établissement largement analysée par Perrenoud (2001:b), ainsi que la proposition
de démarche de changement de Surlemont et Kearney (2009). Dans une telle démarche, tout
reste à construire. Les difficultés liées à l’intercompréhension entre monde entrepreneurial
et monde enseignant restent vives et tenaces. La coopération entre enseignants au sein d’un établissement scolaire constitue déjà en elle-même une nouvelle culture professionnelle qui
n’a rien d’acquis (Perrenoud, 1996 :116). Les instances mandantes des écoles (ministères,
réseaux, instances d’accréditation) qui attribuent des budgets et des moyens doivent mettre
en place de nouvelles formes de négociation et de contrôle autour de marges de manœuvre élargies pour les établissements… Enfin, il subsiste une belle inconnue que nous avons peu
examinée faute de données : Quels seraient les avantages d’une telle démarche perçus par les entrepreneurs eux-mêmes ? Quels moyens, quelle disponibilité sont-ils prêts à
accorder vis-à-vis d’une mission qui n’est, à première vue, pas la leur ? En échange de quelles
contreparties ? Une grande discussion demanderait à être menée aussi sur ce point si l’on parle de coopération entre les deux mondes…
Finalement, le chemin à parcourir en vue d’une éducation à l’esprit d’entreprendre apparait finalement loin d’être totalement balisé aujourd’hui tant dans les institutions
d’enseignement supérieur que dans les écoles primaires et secondaires. Tout au long de
cette deuxième partie, nous avons examiné un certain nombre d’éléments qui nous invitent à poser des hypothèses à explorer plus avant dans des démarches de recherche. Nous allons
les expliciter dans la conclusion générale de ce dossier.
118
Conclusion : Programme de recherches pour approfondir la
compréhension de l’esprit d’entreprendre et son éducation.
Quel est le rôle du chercheur par rapport à la double problématique évoquée dans ce
dossier ? Définir les objectifs éducatifs de l’esprit d’entreprendre est un travail particulièrement ardu qui suscite beaucoup de questionnements et nécessite une grande
vigilance. A la fois parce que cet objet est d’une grande complexité à cause de la multiplicité de ses composantes et des processus dynamiques qui interagissent entre eux. Mais aussi
parce que seule la mise en œuvre de programmes et modules visant le développement de
l’esprit d’entreprendre dans des situations éducatives réelles pourra rendre ces objectifs
éducatifs acceptables et réalistes. Seule l’expérimentation et l’observation de situations
éducatives réelles permettra de clarifier les conditions-clé en termes de pédagogie,
d’organisation de l’école, de relations avec l’environnement socio-économique et de cultures
professionnelles de la part des enseignants ainsi que les mesures d’impact adaptées.
Les chercheurs à notre sens, ont vocation à apporter des connaissances sur deux plans. En
premier lieu, ils peuvent rendre intelligible la complexité de l’objet, c'est-à-dire à éclairer ses
différentes facettes, nommer et décrire les processus en jeu, observer et décrire la
dynamique des trajectoires et des interrelations entre les composantes. Mais nous
soutenons aussi que dans le domaine de l’éducation à l’entrepreneuriat éminemment ancré dans une réalité sociale et répondant à des enjeux vitaux et risqués tant pour les acteurs
individuels que pour la société en général, le rôle du chercheur ne peut pas se contenter de
produire des connaissances académiques pour les chercheurs. Il consiste aussi dans la
mesure du possible, à aider les acteurs concernés à agir, à commencer par lui-même en tant
qu’enseignant du domaine. Il s’agit dans notre domaine de fournir aux acteurs la compréhension des différentes facettes et leurs articulations de manière à choisir et
formuler les objectifs éducatifs visés en connaissance de cause, mais aussi d’offrir la possibilité de réfléchir à leur manière de choisir.
Cette double visée de production de connaissances et de transformation de la réalité sociale
chère à aux principes et valeurs de la recherche-action ne va pas sans difficultés et sans
compromis. Car c’est une posture de recherche complexe. A propos de sa posture de sociologue de la gestion portant un triple regard de chercheur rigoureux en quête
d’objectivité scientifique, de citoyen préoccupé par les dérives de la société inégalitaire et de
clinicien partageant les souffrances et les espoirs des personnes qu’il écoute, V. de Gaulejac résume bien le dilemme : « Comment saisir la complexité sans être pris soi-même dans une
posture complexe ? » (Gaulejac, 2005 :32). Au fil de notre expérience de recherche depuis
notre démarrage en thèse en 1995, nous avons appris à alterner différentes postures de
recherche attachées à des méthodologies variées. Ceci s’est construit de manière pragmatique en réponse aux désirs de compréhension et aux besoins de de reconnaissance
tant du chercheur que des parties prenantes du terrain, tout en restant fidèles à quelques
valeurs fondamentales liées à la recherche de la vérité, de l’utilité et au respect des personnes impliquées. Nous n’envisageons pas de recherche qui n’ait pour visée 119
fondamentale d’améliorer le système au bénéfice des acteurs concernés les plus faibles, en l’occurrence les apprenants. En revanche, nous savons d’expérience que les principes de déroulement de la recherche-action sont loin d’être faciles à mettre en place et que la nature des résultats produits n’est pas aisément publiable dans les revues académiques reconnues.
Sans renier cet idéal de recherche, nous considérons avec pragmatisme que notre objet
actuel, l’éducation à l’esprit d’entreprendre, a besoin d’être abordé à partir de plusieurs approches et méthodes complémentaires, dont la recherche-action fait partie. Seule cette
multiplicité nous parait susceptible de produire sur la durée des connaissances à la fois
pertinentes, éprouvées, actionnables et valides sur le plan scientifique pour les chercheurs
spécialisés sur le sujet comme pour les enseignants, les directeurs d’écoles et les apprenants concernés.
Notre programme de recherche articule donc plusieurs questionnements complémentaires
qui nécessitent diverses approches méthodologiques. Elles visent toujours à la fois à produire
des connaissances académiques et à éclairer des acteurs qui ont à faire des choix vis-à-vis de
la mise en place de politiques ou de programmes éducatifs.
1) Un premier projet de recherche issu de notre essai de définition dans la première
partie porte sur la mesure de l’esprit d’entreprendre au fil du temps, sur ses étapes et ses finalités. Cette recherche vise d’une part, à faire avancer la compréhension
théorique de la construction de l’esprit d’entreprendre et des trajectoires
impliquées pour les apprenants de milieux variés. Et d’autre part, elle vise à éclairer
des responsables politiques ou des acteurs socio-économiques qui voudraient
soutenir une action éducative de longue durée sur ce thème.
2) Une deuxième série de recherches se donne pour objet d’accompagner le démarrage
de programmes ou de modules éducatifs cherchant à développer l’esprit d’entreprendre au niveau local d’une communauté éducative donnée : Quelles priorités décider entre les différents objectifs éducatifs ? Quels indicateurs concrets
faut-il suivre ? Comment mettre en place et faire respecter les points de vigilance
nécessaires quant aux indicateurs de performance pour ne pas aboutir au contraire
des finalités visées ? En termes de connaissances académiques, ces recherches
peuvent apporter une contribution au domaine encore peu exploré de l’impact réel des formations à l’esprit d’entreprendre en termes de compétences pour les
apprenants, les mesures adaptées, les écarts entre ce qui est souhaité et ce qui est
obtenu…
3) Une troisième série de recherches vise à éclairer et accompagner les enseignants et
les partenaires impliqués dans la mise en œuvre de pédagogies entreprenantes au
sein d’un module ou d’un programme donné : Quelles méthodes, quelles activités et
situations pédagogiques choisir pour atteindre les différents objectifs possibles de
l’esprit d’entreprendre ? Peut-on identifier des facteurs-clé décisifs vis-à-vis des
différentes catégories d’apprenants ? Quelles sont les bonnes pratiques permettant
d’affronter les dilemmes de son accompagnement et de construire des relations
partenariales saines entre les acteurs de l’école, les apprenants et les acteurs
extérieurs ? Les connaissances académiques à produire concernent la mise en
120
évidence des postures et des méthodes éducatives efficaces vis-à-vis des objectifs
éducatifs de l’esprit d’entreprendre.
4) Une dernière série de recherches vise à accompagner des démarches de changement
au sein d’une institution éducative qui voudrait faire évoluer son offre afin de
développer l’esprit d’entreprendre de ses apprenants. Quel(s) projet(s) formuler
pour rallier le maximum d’acteurs internes et externes ? Comment préparer les
acteurs novices impliqués (enseignants nouvellement recrutés, partenaires à engager
au démarrage d’un projet, tuteurs étudiants à former et superviser…) à adopter des bonnes pratiques ? Peut-on repérer des profils d’intrapreneurs académiques capables de conduire et de maintenir des dynamiques d’apprentissage au sein des institutions éducatives ? Quels réseaux de soutien seraient nécessaires pour
institutionnaliser une prise en charge significative du développement de l’esprit d’entreprendre au sein des programmes existants au-delà d’une mise en place de
projets expérimentaux en marge du programme ?
Ces différents projets sont détaillés ci-dessous.
1- Questionnements et recherches proposées sur la construction de
l’esprit d’entreprendre.
Comment mesurer la construction de l’esprit d’entreprendre sur longue durée ? Pour
aboutir à quels bénéfices finaux ?
On a vu dans la première partie du dossier que l’esprit d’entreprendre, considéré par
beaucoup comme le moteur de la richesse dans nos sociétés vieillissantes, est une notion
dynamique et complexe difficile à définir. En s’appuyant sur différents courants de recherche en entrepreneuriat et sur le modèle de la compétence, nous avons réussi à le définir comme
un mode de pensée-action projectif, visionniste, créatif et effectual associé à un système de
croyances, d’attitudes et de valeurs favorables à l’entrepreneuriat ainsi qu’à une perception
d’auto-efficacité issue des expériences antérieures de la personne. Dans une situation
donnée, ce « système de guidage » motive et rend l’individu capable de mobiliser un vaste
ensemble de capacités personnelles et de solliciter des réseaux d’information et de conseil accessibles dans son environnement. Cette mobilisation de ressources se manifeste par
quatre comportements observables typiques de l’entrepreneur :
1)
2)
3)
4)
Identifier une opportunité,
Créer une idée de projet innovant, pertinent et faisable,
Identifier, trouver et gérer des ressources,
Apprécier et faire connaitre la valeur créée par le projet.
Les différents éléments recensés (mode de pensée-action, croyances, attitudes et valeurs
favorables à l’entrepreneuriat, perception d’auto-efficacité vis-à-vis des ressources
personnelles et d’environnement à mobiliser) peuvent être représentés comme une série
121
d’objectifs éducatifs inter-reliés qui renvoient à une dynamique de construction sur longue
durée.
Propositions de mesures longitudinales quantitatives et qualitatives.
Nous pensons qu’une série de recherches est nécessaire pour mesurer rigoureusement
l’évolution des croyances, attitudes, valeurs et capacités perçues par des apprenants sur des
trajectoires de très longue durée vécues par des cohortes d’apprenants dans différents
milieux sociaux et éducatifs. Idéalement, il faudrait pouvoir suivre des cohortes d’apprenants de l’entrée au collège à la sortie de l’université, dont certains auront été exposés à des programmes présentant des visées de développement de l’esprit d’entreprendre et d’autres n’ayant jamais suivi ces formations.
Sur le plan méthodologique, nous préconisons des études longitudinales associant des
mesures quantitatives et des récits qualitatifs, des perceptions des sujets ainsi que des
observations de parties prenantes extérieures (professeur principal, maîtres de stage,
conseillers d’orientation…). Les mesures peuvent utiliser des construits existants (variables
attitudinales du modèle d’intention, modèles d’auto-efficacité entrepreneuriale). Mais un
certain nombre de construits restent à développer pour rendre compte des dimensions peu
explorées à l’heure actuelle (par exemple sur le mode de pensée-action entrepreneurial) et
des capacités mal connues (comme la prise de décision intuitive, la capacité à faire face à
l’incertitude et la complexité, la non appréhension des risques, la compréhension des
émotions…). Les construits sont aussi à travailler pour s’adapter aux différentes populations
d’apprenants notamment en termes d’âges.
La finalité de toutes ces recherches est de valider la pertinence de ce référentiel éducatif et
de repérer des balises susceptibles d’orienter la progression des différents apprenants au fil
du temps. Ce questionnement permettra en outre de vérifier une série d’hypothèses aujourd’hui avancées mais non démontrées par les partisans du développement de l’esprit d’entreprendre. Une question clé est de comprendre si les différents profils d’apprenants (en fonction de leur âge, de leur sexe, de leur niveau de départ, de leur origine sociale…) bénéficient au même degré de la participation à des dispositifs visant le développement de
l’esprit d’entreprendre.
Hypothèses à valider vis-à-vis du rapport à l’emploi :
H1) Les jeunes qui ont développé un esprit d’entreprendre (mode de pensée-action
projectif, visionniste, créatif et effectual, croyances, attitudes et valeurs favorables
à l’entrepreneuriat, perception d’auto-efficacité entrepreneuriale) sont
effectivement plus innovateurs que ceux qui ne l’ont pas développée, H2) Ces jeunes ont une meilleure employabilité,
H3) Ces jeunes ont une intention entrepreneuriale plus élevée.
Hypothèses à valider vis-à-vis du rapport aux études :
H4) Ces jeunes manifestent une plus grande motivation vis-à-vis de leurs études,
H5) Ces jeunes ont une meilleure capacité à auto-diriger leurs apprentissages,
H6) Ces jeunes sont moins confrontés à l’échec scolaire.
122
Ce projet de recherche est difficile à mettre en œuvre, car il nécessite un financement sur
très longue durée, un recrutement de cohortes pertinentes en commençant dès le collège et
des instruments de mesure nouveaux et complexes. Des projets européens ou un mécénat
seraient susceptibles d’offrir une opportunité pour démarrer de tels projets de recherche.
2- Questionnements et recherches sur les objectifs et l’impact de modules et programmes visant le développement de l’esprit d’entreprendre.
Quels objectifs et quels indicateurs choisir au démarrage d’un programme ou d’un module éducatif visant le développement de l’esprit d’entreprendre ? Nous avons montré que le référentiel d’objectifs éducatifs n’est qu’un outil théorique de départ. Car c’est aux communautés éducatives de se mettre d’accord sur les priorités
d’objectifs et sur les indicateurs de performance à atteindre dans chaque situation
d’apprentissage locale. Le problème est d’abord pragmatique : les objectifs éducatifs recensés dans notre modèle
sont tellement vastes et leur construction s’étale sur une durée si longue qu’aucun module,
aussi complet soit-il, ne peut viser de les atteindre tous. Il faut choisir des priorités tant au
niveau des responsables de programme (concepteurs de maquettes pédagogiques), qu’au niveau des enseignants (concepteurs de modules). Mais par où faut-il commencer ? Existe-t-il
des enchaînements logiques entre les différents types d’objectifs ? A l’heure actuelle, nous ne disposons pas de données empiriques permettant d’aider les responsables de programme
ou les enseignants à ordonner leurs choix d’objectifs éducatifs.
Un premier travail de recherches consiste à constituer systématiquement des bases de
données sur l’impact des programmes menés vis-à-vis des différents types d’objectifs et des
différents publics concernés tel qu’il est mesuré actuellement. Un deuxième travail pour les
chercheurs est d’accompagner les décideurs qui démarrent des programmes ou des modules
par des recherches-action procédant par questionnement de leurs critères de choix,
établissement de scenarii prospectifs, mesures et bilans.
Le problème comporte aussi une dimension technique très importante à propos du système
de mesure : En effet, les objectifs éducatifs sont à mesurer par des perceptions d’autoefficacité vis-à-vis des capacités concernées, des attitudes et des croyances à mettre en
relation avec des comportements résultants observables en situation. Le caractère
nécessairement contextualisé des mesures de comportements nécessite une très grande
série d’observations dans des situations voisines avec des apprenants comparables avant de pouvoir identifier des régularités de comportements. S’il existe des invariants repérables, on pourrait ensuite établir des répertoires de comportements-types utilisables sur le terrain. Ils
permettraient d’aider les éducateurs et partenaires impliqués à accompagner efficacement
les apprenants au long de l’expérience, à produire des évaluations équitables in fine et par 123
ricochet, à aider les apprenants à prendre conscience des objectifs à atteindre dès le
démarrage et des progrès réalisés in fine. Sur ces points, on peut proposer des recherchesaction dont le but serait de construire ces référentiels avec l’ensemble des acteurs impliqués
au sein une communauté éducative volontaire et de tester la manière dont les acteurs
(éducateurs, partenaires et apprenants) s’en servent effectivement pour accompagner la
progression et évaluer in fine les progrès réalisés.
Mettre en place de tels référentiels d’indicateurs de performance sur le terrain comporte enfin nécessairement une dimension éthique.
Comment rester vigilant pour ne pas aboutir au contraire des finalités visées ?
Il s’agit de se demander quels sont les objectifs réalistes et acceptables du point de vue des
apprenants concernés. Nous avons longuement expliqué en fin de première partie que cela
exige un grand discernement de la part des communautés éducatives face au danger
d’exposer des jeunes trop uniformément ou trop précocement à la prise de risque, la
responsabilité et l’incertitude, ce qui pourrait conduire à l’effet inverse de celui qui est
recherché. Ce constat nous a conduits à formuler un certain nombre de points de vigilance
concernant la formulation des critères de performance à observer en situation :
V1) Il faut veiller à ce que les critères de performance restent dans la zone de
développement proximal des jeunes concernés,
V2) Il faut veiller à ce que les critères de performance soient accessibles à tous les
jeunes engagés dans l’activité, V3) Il faut veiller à ce que les critères de performance priorisent la finalité
d’apprentissage par rapport à la finalité de création de valeur économique, V4) Il faut veiller à ce que les critères de performance puissent être modulés en
fonction des acquis de départ de chacun des participants.
Comment ces points de vigilance sont-ils formulés et régulés effectivement sur le terrain ? La
manière dont ils sont explicités puis régulés (ou non) par une communauté éducative donnée
est une facette nécessaire du programme de recherche-action proposé. Compte tenu de la
complexité de l’esprit d’entreprendre, de son caractère dynamique, de sa dimension
idéologique91, émotionnelle92 et politique93, nous pouvons faire l’hypothèse que ces 91
Les croyances et valeurs entrepreneuriales formulées par Gibb (goût pour l’indépendance, méfiance vis-à-vis de la
bureaucraité, autodidaxie, sens de l’appartenance, croyance que les efforts personnels et le travail intense seront récompensés,
conviction de pouvoir changer le monde à partir de croyances, orientation vers l’action, valeur des arrangements informels, du réseau (know-who) et de la confiance, croyance dans la liberté d’agir, valeur de l’individu et la communauté plus que de l’Etat) traduisent une posture (Perrenoud, 2001), c'est-à-dire une certaine forme de rapport au monde, au travail, au savoir, à la
société
92
On a vu qu’un ensemble d’émotions positives (confiance, optimisme, fierté, enthousiasme…) ou négatives (appréhension,
prudence, doute, embarras…) sont sollicitées dans le rapport au risque, à la complexité, la responsabilité et l’incertitude
caractéristiques de l’esprit d’entreprendre. Tolérer et faciliter l’expression de ces émotions chez les apprenants exige de la part
des accompagnants, une capacité à entrer en empathie avec les émotions des apprenants, mais aussi à bien connaitre et
maîtriser les leurs. Nous pouvons faire l’hypothèse que les vigilances que nous exprimons ont des liens avec les émotions des
accompagnants vis-à-vis des risques, de la complexité, de la responsabilité et de l’incertitude.
124
vigilances seront d’autant mieux prises en charge que les acteurs en place ont des raisons de
vouloir et sont en mesure de modifier les règles du jeu social en place en faveur de publics
d’apprenants spécifiques. A notre sens, il faudrait donc que les conditions suivantes soient
réunies :
C1) Les communautés éducatives sont responsables de publics d’apprenants en difficulté,
C2) Les acteurs dominants dans le jeu éducatif local manifestent un fort engagement
éthique.
Proposition de recherches sur la mesure d’impact de programmes et de recherches-action
sur la mise en place de référentiels d’indicateurs de terrain. Les recherches de cette section peuvent commencer par un travail de recensement
systématique des mesures d’impact de programmes actuellement utilisées et leurs résultats.
Quelques pratiques sont documentées. Mais très vite, il faudra interroger les acteurs de
programmes en cours par exemple en collaborant avec l’Observatoire des Pratiques
Pédagogiques en Entrepreneuriat en France. Surtout, nous envisageons de démarrer des
recherches-action avec des acteurs de terrain volontaires (responsables de programmes ou
groupes de professeurs intéressés avec des partenaires volontaires). Au niveau de
l’enseignement supérieur français, des candidats doivent se trouver compte tenu de
l’encouragement des PEE (Plans Entrepreneuriat Etudiant). Ces travaux peuvent aussi être
engagés au sein de la commission pédagogie de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation dont je fais partie. Au niveau de l’enseignement primaire et secondaire français,
il nous semble qu’il existe un grand besoin d’évaluation des programmes mis en œuvre mais
peu évalués (par exemple les mini-entreprises). Des partenariats de recherche-action sont
envisageables avec des associations comme Entreprendre pour apprendre.
3- Questionnements et recherches sur les facteurs clé des
pédagogies entreprenantes.
Quelles sont les méthodes, activités et situations pédagogiques efficaces pour développer
l’esprit d’entreprendre ?
Dans la deuxième partie de ce dossier, nous avons explicité les principes-clé d’une pédagogie entreprenante à partir des écrits des chercheurs et des praticiens de l’éducation de l’entrepreneuriat, à la lumière de l’évolution des paradigmes pédagogiques. Nous avons vu
que l’éducation à l’esprit d’entreprendre fait théoriquement débat sur les méthodes à
93
Vouloir que tous puissent entreprendre n’est pas indépendant d’une volonté politique de permettre à tous d’accéder à une autonomie sociale et économique. Toutefois, les sociologues de l’école ont montré depuis longtemps que les compétences
psychosociologiques de l’autonomie, proches de l’esprit d’entreprendre, ne sont pas également maîtrisées selon le milieu social
auquel on appartient. Mettre en avant ce type d’objectif pour un ensemble d’apprenants d’une classe ou d’une école est susceptible de déplacer à terme, les rapports de domination entre les différents acteurs et milieux sociaux concernés. A
contrario, penser que tous les apprenants en sont capables au même moment et s’y lancer sans prendre en compte les disparités d’origine socio-économiques de départ peut être interprété comme une manière de légitimer une domination de fait.
Le débat sur les vigilances est donc aussi de nature politique.
125
mettre en œuvre. D’un côté, les partisans d’une logique active systématique cohérente avec à la nature des processus de penser-action engagés en entrepreneuriat. De l’autre, les partisans d’une approche pragmatique en fonction des objectifs visés et dans le cas de l’esprit d’entreprendre, pas forcément persuadés qu’un mode d’apprentissage actif soit nécessaire. Seule l’évaluation rigoureuse de nombreux dispositifs locaux mis en relation avec
les différents objectifs visés et les résultats obtenus en termes de comportements
observables par les apprenants de profils variés permettra de trancher. La comparaison
systématique des résultats obtenus dans des dispositifs différents vis-à-vis de publics
comparables avec des objectifs similaires est un premier travail de recherche à engager.
La difficulté ici sera de relier les résultats des dispositifs (en termes d’atteinte des différents
objectifs éducatifs de l’esprit d’entreprendre) à la description fine de leurs modalités
pédagogiques. L’enquête de Gasse (2011) auprès de 240 jeunes apprenants québécois issus
de 6 classes primaires et 7 classes secondaires montre en effet qu’il est difficile de prouver
l’impact des pédagogies projets sur le développement de leur profil entrepreneurial94. Le
problème apparait en partie méthodologique car les déclarations des apprenants sur leur
participation à un projet ne correspondent pas au recensement de la pédagogie pratiquée
dans ces classes par la commission scolaire québécoise (projets ou magistrale). De plus, ce
que les apprenants assimilent à un projet entrepreneurial n’est pas clarifié. Sur une question voisine, nous avons analysé des récits qualitatifs d’élèves ingénieurs ayant participé à des projets d’innovation à première vue similaires car liés au même dispositif pédagogique
(Wang, Verzat, Frugier, Bigand, 2008). La pédagogie projet analysée par les différents
étudiants est apparue légèrement différente en fonction de leurs perspectives
professionnelles. Les entrepreneurs potentiels ont en effet mis en avant des caractéristiques
sensiblement différentes de celles qui ont été perçues par les étudiants se projetant dans
une fonction d’ingénieur classique en grande entreprise. On peut ainsi suggérer que les
projets perçus comme entrepreneuriaux présentent quelques caractéristiques spécifiques :
une origine interne (projet initié par les étudiants plutôt qu’un projet proposé par l’école ou une entreprise partenaire), un objectif perçu d’innovation et de valorisation économique sur
le marché (plutôt que d’invention technologique seule), un accompagnement qui laisse
systématiquement l’initiative aux étudiants (plutôt qu’un guidage plutôt directif). C’est donc à travers l’analyse fine des méthodes pédagogiques pratiquées et leur perception par les
apprenants eux-mêmes que l’on pourra juger ce qui créée les conditions d’un apprentissage de l’esprit d’entreprendre.
Existe-t-il des facteurs-clé décisifs en fonction des profils d’apprenants ? Comment
affronter les dilemmes de l’accompagnement et bâtir des partenariats sains entre les acteurs de l’école, les apprenants et les acteurs extérieurs ?
Les méthodes pédagogiques relèvent en réalité toujours d’un art local par lequel l’enseignant choisit un ensemble d’activités reliées à des contenus, une structure de communication, des
94
Le modèle utilisé est basé sur une approche par les traits revue à partir du livret de Pelletier (2005). Il teste les motivations,
des attitudes et des aptitudes des apprenants à partir de 60 énoncés, et les relie aux caractéristiques de l’enseignement telles
que déclarées par la commission scolaire ayant donné accès au terrain (pédagogie projet / pédagogie magistrale) et telles que
déclarées par les apprenants (avoir participé ou non à un projet entrepreneurial dans l’année). 126
outils, un mode de régulation avec les apprenants, et des modes d’évaluation. Si l’on examine cet art, tel qu’il est décrit aujourd’hui par les quelques pionniers de l’éducation à l’esprit d’entreprendre qui ont formalisé leur expérience, quatre principes majeurs
apparaissent :
Principe 1) Apprendre par l’expérience de projets innovants en lien avec la vie réelle,
Principe 2) Encourager, guider et faciliter la prise de responsabilité des apprenants,
Principe 3) Apprendre en groupe coopératif et en relation avec des adultes
extérieurs à l’école,
Principe 4) Evaluer par le travail réflexif des apprenants et la valorisation externe.
Ces principes présentent de nombreux points communs avec les principes des méthodes
actives dans le courant de l’apprentissage socio-constructiviste (apprentissage expérientiel et
authentique, guidage cognitif néo-directif, apprentissage coopératif, évaluation formative).
Les quatre points spécifiques de la pédagogie entreprenante soulignent la double exigence
de construction identitaire sous-jacente et d’engagement progressif de relations avec des
adultes extérieurs dans un environnement entrepreneurial :
1) La confrontation à des environnements réels en vue de formuler des projets
innovants reliés à une vision du futur désirable pour soi,
2) L’apprentissage progressif du rapport au risque, 3) L’engagement de relations avec des adultes extérieurs considérés comme des modèles de rôle et des ressources,
4) La réflexivité et la valorisation de soi par la reconnaissance externe des projets en
l’absence (du moins actuellement) de critères de performances normés par la
communauté éducative.
Beaucoup de questions restent à explorer quant à la mise en œuvre concrète de ces
méthodes et leur perception par les apprenants. Comment les formateurs s’approprient-ils
effectivement ces méthodes ? Les adaptent-ils en fonction de leurs publics, de leurs
pratiques et de leurs valeurs et croyances personnelles ? Peut-on repérer des éléments-clé
dans la pratique qui favorisent le développement chez les apprenants du savoir penser et agir
entrepreneurial et de ses savoir-être dont l’injonction peut être paradoxale (apprendre
l’autonomie, le rapport au risque, à l’incertitude, la créativité voire la déviance…) ? Peut-on
préciser ce que dont parlent les praticiens lorsqu’ils évoquent le tact et le discernement nécessaire face aux risques d’échec (Surlemont et Kearney, 2009 :52-53) ?
A la lumière de nos recherches sur les processus transitionnels dans l’expérience de jeu (Verzat, 2002, Verzat, 2009, Verzat, Byrne, et Fayolle, 2009), nous pouvons faire l’hypothèse
que l’un des éléments-clé de la pédagogie entreprenante est la bienveillance du guidage par
l’accompagnant qui permet aux apprenants d’inventer-trouver de nouvelles représentations
et finalement de s’en sentir auteurs. Un autre élément-clé dont nous formulons l’hypothèse à la lumière des processus d’accompagnement en éducation (Paul, 2004, Raucent, Verzat et Villeneuve, 2010) et en entrepreneuriat (Gaujard et Verzat, 2009, Verzat, Gaujard et François,
2010) consiste dans le degré d’adéquation des postures des accompagnants aux trois types
127
de besoins des apprenants (technique, psychologique, méthodologique). A partir de nos
travaux sur le développement de l’autonomie des élèves ingénieurs (Verzat et Bachelet, 2001) et des témoignages recueillis dans notre livre sur l’accompagnement des étudiants (Raucent, Verzat, Villeneuve, 2010), nous savons que l’une des résistances principales des
enseignants concerne la difficulté à mobiliser une posture herméneutique répondant au
besoin psychologique de développement personnel des étudiants.
Or nous avons vu que l’exigence de construction de soi constitue l’une des deux spécificités
de la pédagogie entreprenante au sein des pédagogies actives (avec la relation partenariale).
Dans une recherche-action auprès de conseillers de créateurs d’entreprise (Verzat et
Gaujard, 2009), nous avons constaté la même difficulté à mobiliser la posture herméneutique
de la part des jeunes conseillers. La réponse que nous avons trouvée dans une rechercheaction en cours (Carré, Verzat et Fayolle, en cours) consiste à faire expliciter par les praticiens
ces difficultés sous forme de situations-problème. De même dans notre livre sur
l’accompagnement des étudiants (Raucent, Verzat, Villeneuve, 2010, préambule) le travail a commencé par faire rédiger par les enseignants les situations pédagogiques dans lesquelles
ils se demandaient comment accompagner. Ce travail d’explicitation des situations
problèmes face à la mobilisation de la posture herméneutique nous parait donc un premier
moyen de mettre au jour les points discriminants de la pratique encore mal connue de la
pédagogie entreprenante. Le deuxième moyen que nous suggérons concerne la deuxième
spécificité des pédagogies entreprenantes, à savoir la modélisation des configurations de
relations partenariales vécues au cours des projets entreprenants par les différents acteurs
(équipes d’apprenants, enseignants, partenaires) assortie d’une explicitation des problèmes
concrets vécus par les apprenants et par les accompagnants.
Propositions de recherches comparant des situations pédagogiques et de recherches-action
visant à expérimenter et tester des méthodes pédagogiques.
Nous résumons ici les propositions qui permettent d’amorcer des travaux de recherche à propos des conditions de mise en œuvre des pédagogies entreprenantes :
L’apprentissage des savoir-être de l’esprit d’entreprendre dont l’injonction peut être paradoxale (initiative, prise de risque, créativité-déviance, rapport à l’incertitude…) est
facilité si :
C3) L’accompagnant est suffisamment bienveillant pour laisser les apprenants inventertrouver de nouvelles règles et se les approprier en tant qu’auteurs,
C4) L’accompagnant sait ajuster ses postures (fonctionnaliste, herméneutique, réflexif
et critique) aux trois natures de besoins des apprenants en situation de projet
entreprenant (expertise technique, développement personnel, méthodologie de
projet)
La mise au jour des pratiques discriminantes en pédagogie entreprenante est possible
par la formalisation des situations-problèmes à partir :
C5) de récits de praticiens vis-à-vis de leurs difficultés à mettre en œuvre la posture herméneutique d’accompagnement des apprenants,
128
C6) d’une modélisation des configurations de relations entre équipe d’apprenants, enseignants et partenaires impliqués dans les projets entrepreneuriaux, assortie du
récit des problèmes vécus par les acteurs.
Ces recherches prendraient idéalement la forme d’observations participantes ou de
recherches-action en situation pédagogique réelle afin d’apporter des données stabilisées et
instrumentées mettant en relation trois catégories d’informations :
-
-
-
les modalités pédagogiques précises pratiquées en termes d’activités, de contenus, de structure de communication, d’outils, de mode de régulation avec les apprenants, et de modes d’évaluation,
les situations-problèmes telles qu’elles sont vécues et analysées par les acteurs en
particulier par les deux catégories d’accompagnants (enseignant et partenaire), vis-àvis de la mobilisation de la posture herméneutique et vis-à-vis de la situation
partenariale,
les bénéfices (outputs de ces situations) en termes de performance pour les
partenaires extérieurs, et surtout d’apprentissage et de construction identitaire des
apprenants (mesurés par les objectifs éducatifs du modèle de l’esprit d’entreprendre pertinents dans cette situation).
4- Questionnements
organisationnelles
entreprenante.
et
et
recherches
sur
les
institutionnelles d’une conditions
pédagogie Quels sont les projets réalistes dans les établissements d’enseignement supérieur ou secondaire ? Quels en sont les acteurs-clé ? Propositions de recherches et de rechercheaction.
L’examen que nous avons fait de l’état des lieux et de la littérature porte à croire que
l’éducation à l’esprit d’entreprendre est face à deux niveaux de défis sensiblement différents
dans l’univers de l’enseignement supérieur et dans les écoles primaires et secondaires.
Dans l’enseignement supérieur, l’offre éducative en entrepreneuriat vit une augmentation exponentielle et commence à s’étendre hors du cadre des business schools. Elle a été
longtemps inadaptée à la finalité de développer l’esprit d’entreprendre. Soit parce qu’elle restait à dominante transmissive (cours sur l’entrepreneuriat ou conférences d’entrepreneurs), soit parce qu’elle passait par la réalisation de business plans qui peinent à
saisir le mode de pensée-action, effectual, créatif, visionnaire et projectif des entrepreneurs.
La nécessité de former des jeunes à des attitudes et des comportements via une pédagogie
spécifiquement entreprenante a donc été longtemps mal comprise. Les freins étaient pluriels
: Les professeurs en entrepreneuriat, peu nombreux structuraient prioritairement leurs
forces autour de l’enjeu de reconnaissance académique de leur discipline dans le champ de la
gestion. La réflexion pédagogique, par essence peu prisée par les enseignants-chercheurs et
nécessitant un investissement pluridisciplinaire au-delà de la gestion a été longtemps
129
négligée. Même si un champ entier de recherches s’est progressivement constitué sur l’éducation à l’entrepreneuriat, il a peiné à formuler ses différentes finalités, il a été
longtemps disjoint de la réflexion organisationnelle sur l’université entrepreneuriale centrée
sur l’articulation entre recherche et milieu économique, il a peu investi le champ des
réflexions proprement pédagogiques sur les styles et cycles d’apprentissage des différentes cibles d’apprenants, les relations entre apprenants et enseignant, l’organisation de l’école, la
mise en œuvre de pédagogies innovantes, l’articulation entre objectifs d’apprentissage,
pratiques d’évaluation et activités pédagogiques, les effets des pédagogies sur la
transformation effective des compétences et des identités des apprenants...
Mais…, l’insatisfaction d’un certain nombre d’enseignants-chercheurs pionniers, praticiens
réflexifs de l’enseignement de l’entrepreneuriat, a conduit à faire émerger des convictions et
des expérimentations documentées qui constituent un vivier de ressources accessibles. Les
recherches à contenu plus spécifiquement pédagogique commencent à apparaitre. La
réflexion sur l’évaluation des enseignements en entrepreneuriat commence à s’instrumenter. Par ailleurs, la pratique des stages et des projets en relation avec les milieux économiques est
déjà largement répandue dans de nombreux établissements. Parallèlement, l’environnement local et gouvernemental formule des demandes pour développer un esprit entrepreneurial
chez l’ensemble des étudiants et met en place des institutions spécifiques (PEE en France,
fondations dans différents pays) auxquelles on ne manquera pas de demander des comptes.
Enfin et surtout, les établissements disposent pour la plupart, de marges de manœuvre locales pour négocier leurs objectifs de formation, leurs plannings et leurs ressources
pédagogiques.
On peut faire l’hypothèse en se basant sur les théories de la traduction (Akrich, Callon,
Latour, 1986), et de l’innovation (Alter, 1990, 1998, 2010) et sur nos analyses d’histoires d’innovations pédagogiques réussies ou avortées (Verzat et Garant, 2010) que la capacité des
enseignants-chercheurs pionniers en entrepreneuriat à intéresser leur environnement
interne et externe à leurs efforts en les enrôlant dans de nouvelles pratiques sera décisive.
Nous proposons de mener des recherches systématiques comparant des démarches en cours
au sein d’institutions d’enseignement supérieur. Nous pourrions y vérifier l’hypothèse que
l’offre éducative va se structurer graduellement autour de centres d’excellence pédagogique concernant l’éducation à l’esprit d’entreprendre, si les enseignants-chercheurs en
entrepreneuriat réussissent à :
-
-
constituer des petites équipes locales engagées et soudées autour de l’effort d’innovation pédagogique reliée à leurs enjeux de recherche,
nouer des alliances en nombre suffisant avec des acteurs internes : apprenants qui y
voient un enjeu de réalisation personnelle, professeurs d’autres disciplines ayant
déjà des liens et des enjeux avec les entreprises, directeurs d’école charismatiques et convaincus d’une différenciation possible par la pédagogie, chercheurs en pédagogie
déjà intéressés par la pédagogie active…,
enrôler des acteurs externes : familles demandeuses d’un nouveau modèle éducatif pour leurs jeunes à la dérive, figures d’autorité locales, mécènes d’un effort de 130
-
-
recherche en pédagogie, entrepreneurs militants, réseaux de recherche en
entrepreneuriat et en pédagogie…),
structurer les nouvelles pratiques de manière durable à travers des outils
d’évaluation et des supports de partage entre les apprenants, les enseignants et les
partenaires (référentiels d’évaluation, plates-formes pédagogiques, mallettes,
réseaux sociaux…)
obtenir un soutien institutionnel afin d’inventer, mettre en place, protéger puis
diffuser les expérimentations : décharges horaires pour mettre au point les activités
pédagogiques nouvelles, incitations à publier adaptées à l’horizon temporel et à la
nature des recherches et recherches-action engagées, aménagements des plannings
des apprenants, protection des statuts et des postes actuels malgré les changements
de postures et de rôles dans une logique socio-constructiviste, budgets pour
l’évaluation des expérimentations, l’accompagnement et la formation des acteurs
novices ou non engagés au départ.
La route parait plus longue au niveau de l’enseignement primaire et secondaire. Les acteurs
militants ne sont pas encore repérés, les chefs d’établissement disposent d’encore peu de marges de manœuvre sur les programmes, les plannings et les ressources, les équipes enseignantes sont encore faiblement coopératives, ont de fortes aversions envers
l’entreprise et peu d’habitude du partage du travail pédagogique avec leur environnement. On se demande quel basculement des forces locales ou des instances de régulation qui leur
donnent mandat pourrait les amener à changer… La démarche d’introduction de projets préconisée par Surlemont et Kearney (2009) et mise
en œuvre à grande échelle depuis quelques années au Québec (Pelletier, 2005, Gasse, 2011)
apparait la plus raisonnable. Encore faut-il qu’elle soit introduite par des acteurs ayant une forme de légitimité dans chaque établissement, qu’elle soit cautionnée par les institutions de
régulation mandantes et qu’elle y rencontre des intérêts suffisants pour qu’au moins des
groupes d’apprenants et quelques enseignants en accord avec des acteurs de leur
environnement socio-économique aient envie de s’y lancer et soient protégés pour le faire. Si l’on ne veut pas que ces efforts locaux s’étiolent par lassitude des acteurs pionniers (Alter,
1993), nous faisons l’hypothèse qu’il est indispensable de les soutenir par des formes
d’apprentissage collectif. Cet apprentissage collectif peut prendre la forme d’une dynamique
locale menée par un chef d’établissement charismatique ou celle plus souple d’un réseau social autour d’associations ou d’agences locales qui se sont données la mission de développer l’esprit d’entreprendre (par exemple l’Agence de Stimulation Economique en
Wallonie). Des recherches qualitatives comparant des expériences réussies ou non dans
différents contextes ou des recherches-action accompagnant les dynamiques émergentes
seraient passionnantes. Dans les deux univers toutefois (supérieur, secondaire et primaire),
la question de la coopération entre les deux mondes académique et entrepreneurial reste
posée.
131
Comment faire coopérer monde académique et monde entrepreneurial ? Propositions de
recherches et de recherches-action.
Comment favoriser une l’instauration d’un apprentissage réciproque entre professeurs et entrepreneurs et en faire bénéficier les apprenants ? Nous avons vu que les freins à la
coopération entre les deux mondes sont nombreux et tenaces (temporalités et logiques
d’action opposées, jargons professionnels différents, préconceptions idéologiques
négatives). A la lumière de notre expérience à l’Ecole Centrale de Lille, nous avons montré
que les bénéfices possibles du côté des enseignants sont multiformes (apprenants plus
motivés, projets moins routiniers que les cours, accès à quelques avantages matériels,
élargissement des relations sociales, travail en équipe plutôt que seul). Nous pouvons faire
l’hypothèse que ces bénéfices sont mieux perçus dans l’enseignement supérieur, où les
projets et les stages sont présents depuis longtemps et les enjeux de mise en relation écoleentreprise plus évidents que dans les niveaux secondaire et primaire, où la culture
coopérative est encore balbutiante (Perrenoud, 1996). Mais cela est probablement aussi lié
aux intérêts professionnels des enseignants concernés, donc à leur représentation du métier
et à leurs valeurs personnelles. Tout cela reste à prouver par des entretiens approfondis avec
les enseignants des différents niveaux. Du côté des entrepreneurs, nous ne connaissons pas à
l’heure actuelle les bénéfices qu’ils en retirent. Tout un travail d’investigation reste donc à
faire de ce côté. Enfin, nous avons montré qu’il existait différentes configurations de relations partenariales dans les projets (trio gagnant, sous-traitance, exécution, académisme,
récréation, hors-jeu) conduisant à des réalisations inégales en termes de performance,
d’apprentissage et de construction identitaire par les étudiants. L’exploration systématique de la construction de ces dynamiques de relations partenariales dans le temps et des moyens
de facilitation appropriés (modalités d’accompagnement et d’évaluation) reste à conduire et à documenter.
Pour résumer, un grand nombre de recherches apparaissent utiles ici. Deux objectifs sont
posés vis-à-vis des problématiques de coopération entre enseignants, entrepreneurs et
apprenants :
1) Bien comprendre les perceptions réciproques et les enjeux de coopération des
enseignants, des entrepreneurs et des apprenants engagés dans des relations
partenariales
2) Mieux cerner les moyens de structurer ces relations de manière à engager des
dynamiques apprentissages bénéfiques pour chacun des acteurs.
Les recherches doivent être menées sur une durée suffisamment longue et confronter de
multiples points de vue : apprenants, enseignants de différents statuts, parties prenantes,
instances de direction et de régulation. Il nous parait important de mener plusieurs types de
démarche de recherche : Des entretiens approfondis avec les acteurs d’innovations
pédagogiques passées ou en cours est une première méthode de recherche utile pour
préciser nos hypothèses en les comparant dans des contextes variés. Une autre démarche est
d’engager des recherche-actions permettant d’accompagner des dynamiques émergentes
132
dans les différents univers. Si cela est possible, il serait formidable de mener plusieurs
recherches-action en réseau afin d’apprendre de l’une vers l’autre et vice-versa.
Quels soutiens et quelles formations sont nécessaires pour viser l’institutionnalisation ?
Propositions de recherches et de recherches-action.
Dans les dynamiques de transformation engagées, la première phase est certes de réussir à
mettre en place une innovation pédagogique dans un milieu globalement hostile. On a vu
que cela repose sur l’énergie d’acteurs pionniers et la force de leurs réseaux d’alliance. Mais nombre de témoignages dans l’enseignement supérieur95 montrent que le véritable enjeu est
le passage de la phase expérimentale innovante à celle de l’institutionnalisation : Comment
faire perdurer une pédagogie nouvelle au sein d’une institution dont les logiques d’action majoritaires ne sont ni entrepreneuriales ni fondées sur la logique d’apprentissage du learning by doing ?
L’une des problématiques que nous avons abordée concerne la formation et
l’accompagnement des acteurs nouveaux à impliquer au-delà des pionniers militants :
enseignants classiques, partenaires à engager au démarrage d’un projet, tuteurs étudiants à
former et superviser… Comment les conduire à adopter des pratiques et des rôles qui ne sont
pas conformes aux préconceptions initiales qu’ils ont de leurs métiers ? La proposition que
nous avons faite avec B. Raucent (Verzat et Raucent, 2011) consiste à se baser sur la notion
d’isomorphisme utilisée en formation de formateurs (de Ketele, 2000, de Theux, Sobieski,
Raucent et Wouters, 2010 :423). Il s’agit de leur faire vivre la même expérience que celle attendue de leurs apprenants. Ensuite il s’agit de leur permettre de prendre conscience de
l’écart entre préconceptions initiales et nouveaux rôles joués après l’expérience. La
motivation à changer s’appuie alors sur une expérience vécue et analysée, de la même manière que pour les étudiants, la motivation à apprendre repose sur le « learning by doing »
face à une situation-problème.
Au-delà de la formation et l’accompagnement à un nouveau mode d’exercice du métier d’enseignant, sont en jeu les statuts et les moyens d’évaluation des enseignants et enseignants-chercheurs et plus globalement, les objets et les instruments de gestion des
institutions d’enseignement. Dans le contexte actuel de pénurie de moyens, on peut supposer que les institutions qui sauront faire exister des pédagogies entreprenantes de
manière significative au sein de leur curriculum, sont celles qui auront réussi à faire la
démonstration d’un coût acceptable pour une qualité de formation supérieure. Le défi
majeur est d’offrir la possibilité de mener des projets ouverts et en partenariat à des petits groupes d’étudiants, nécessitant un accompagnement de qualité en dépit d’une nécessaire économie de moyens. Deux pistes nous apparaissent probables pour résoudre une telle
95
Dans notre numéro spécial d’Entreprendre et Innover en cours de finalisation sur l’éducation à l’entrepreneuriat, cinq
articles mettent en lumière ces problématiques dans différents contextes francophones : institutionnalisation apparemment
réussie à l’Université Laval au Québec (article de Y. Gasse), mise en œuvre tâtonnante et partielle dans le passage des maisons de l’entrepreneuriat aux PEE français (article de J.P. Boissin et N. Schieb-Bienfait), insertion réussie d’une école d’ingénieursmanagers-entrepreneurs au sein d’une grande école d’ingénieurs française (article de Y.Wang, M. Bigand et D. Frugier), remise en cause du modèle d’école d’entrepreneuriat au sein de l’univers des business schools (article de R. Redien-Collot et F. Vidal),
changement de logique pédagogique en faculté d’ingénieur en Belgique limitée aux premières années du curriculum (interview de B. Raucent).
133
équation : D’une part, recourir à l’utilisation massive de tuteurs étudiants gratuits mais formés et supervisés, donc maximiser le processus d’apprentissage (au niveau des jeunes coachés et à celui des coachs étudiants). D’autre part, recourir à des plates-formes
pédagogiques générant des économies dans les transferts d’informations entre apprenants, tuteurs et partenaires, mais aussi permettant de partager des outils et supports
pédagogiques entre institutions (gains espérés sur le temps de conception pédagogique).
Dans ces deux cas, cela nécessite davantage de coopération entre des acteurs dont la culture
professionnelle est plutôt caractérisée par l’autonomie individuelle. Là aussi, il est question
de projets nécessitant un apprentissage collectif…
Vis-à-vis de ces problématiques de changement organisationnel et institutionnel, il nous
semble donc que le soubassement culturel des logiques d’enseignement et des pratiques de
coopération est une question centrale. Cette hypothèse pourra être vérifiée par des
recherches comparant l’évolution vécue et perçue par les acteurs de différentes institutions. Elle peut aussi être testée sous forme de recherches-action auprès d’institutions volontaires.
Au total, on voit que chacun de ces thèmes de recherche suppose de mobiliser une variété de
disciplines et de méthodes ce qui appelle une discussion épistémologique finale sur
l’articulation entre ces différentes approches.
5- Discussion épistémologique finale sur l’articulation entre domaines et méthodes de recherches pertinents pour
comprendre les dynamiques éducatives de l’esprit d’entreprendre.
Notre programme de recherche est vaste et multidimensionnel. Il suppose de mettre en
œuvre et de relier entre eux des moyens intellectuels variés que d’aucuns pourront juger disparates quant aux contenus disciplinaires sollicités, aux sources mobilisées et aux
méthodes de recherche mises en œuvre. Nous souhaitons défendre ici l’originalité d’un tel programme en soutenant que le chercheur en entrepreneuriat innove et bricole dans une
logique effectuale qui n’est pas sans rappeler celle de l’entrepreneur.
L’objet de l’éducation à l’esprit d’entreprendre suppose des explorations conceptuelles
pluridisciplinaires.
Les apports actuellement disponibles dans le domaine de l’éducation à l’entrepreneuriat, on l’a vu sont assez minces. A fortiori si l’on s’intéresse plus particulièrement à l’esprit d’entreprendre. D’immenses zones d’ombre sont à couvrir pour comprendre la dynamique
des interrelations entre composantes-clé et les processus en jeu au niveau individuel des
apprenants et au niveau collectif de processus éducatifs et des systèmes d’enseignement.
Un grand nombre de disciplines et de théories sont à mobiliser pour en rendre compte. Au
niveau individuel, on peut citer en vrac : la psychologie du développement et les théories de
l’apprentissage expérientiel en éducation qui pourraient aider à faire des hypothèses sur les
134
trajectoires individuelles liant développement des connaissances et développement
identitaire, le rôle de l’intelligence émotionnelle et l’auto-direction des apprentissages dans
la construction progressive de l’auto-efficacité entrepreneuriale, le processus de résilience et
le processus de deuil des stades de l’autonomie dans la capacité à apprendre des échecs
pour réussir. Au niveau organisationnel, on a aussi besoin de théories sur les dynamiques
d’apprentissage collectif et organisationnel, les théories sur l’évolution des paradigmes éducatifs, les théories sur les méthodes en éducation, les théories sur l’innovation en organisation, les théories sur les dynamiques de groupes et les logiques de partenariat… Nous croyons très fort à la fécondité d’une approche conceptuelle pluridisciplinaire, qui apporte les idées neuves et l’oxygène dont les chercheurs ont un besoin vital et qui seules
permettent de rendre compte de phénomènes complexes. Nous savons qu’elle trouve sa source dans la créativité des chercheurs et leur capacité à travailler de manière coopérative
avec d’autres différents d’eux. Le laboratoire de recherche idéal en entrepreneuriat allie
selon nous des chercheurs issus de plusieurs disciplines académiques. Dans le paysage
académique actuel, il n’est pas facile à mettre en œuvre au sein d’une institution mais des réseaux de partenariats sont toujours envisageables.
La compréhension des dynamiques éducatives de l’esprit d’entreprendre suppose une variété d’approches méthodologiques.
Nous suggérons dans notre programme une grande variété de méthodes de recherche qui
articulent les différents projets de recherche entre eux.
Des enquêtes quantitatives longitudinales sur longue durée seront utiles pour mesurer des
évolutions progressives des apprenants sur les différents éléments du modèle (projet 1).
Seules ces recherches permettront de comprendre s’il existe des phases sensibles dans la construction de l’esprit d’entreprendre, si certains comportements sont appris avant d’autres, si la visée de carrière entrepreneuriale apparait systématiquement ou pas, si les
trajectoires individuelles suivent des régularités ou sont toutes différentes. Vu la complexité
du modèle que nous proposons (multidimensionnel et dynamique), il parait utopique de
réussir à construire et démontrer la dynamique et les trajectoires possibles à partir de
données quantitatives uniquement. Ce travail doit donc porter sur les points-clé les
articulations sensibles dans le modèle, à identifier à partir de l’exploration conceptuelle et de
confrontations avec des acteurs du terrain. Celle-ci suppose une deuxième méthode de
travail, qui peut être conduite en relation avec le deuxième projet de recherche.
Des recherches-action mettant en place des groupes de travail avec des responsables de
programme, des enseignants, des parties prenantes externes et des apprenants permettront
en effet d’identifier les critères de mesure adéquats avec leurs indicateurs de
comportements à observer sur une série de situations considérées comme typiques (projet
2). Elles permettront aussi de tester la pertinence des points de vigilance qui seront
probablement affinés à partir de la connaissance des trajectoires réelles d’apprenants (projet
1) et de mettre en évidence les facteurs critiques dans la réalisation et la mise en œuvre de programmes éducatifs visant à développer l’esprit d’entreprendre (projet 3). Notre
expérience de recherches-action au cours de la thèse chez PSA-Peugeot-Citroën et à l’Ecole 135
Centrale de Lille pour la mise en place des référentiels d’évaluation de l’activité projet et pour l’activité spaghettis nous a prouvé que le chercheur peut réellement amener une communauté de terrain à innover face à des impasses perçues au départ. Il offre en outre
une occasion de relecture et d’interprétation a posteriori à partir de théories qui permet de
mettre en évidence les points-clé des processus de transformation en jeu, inconnus a priori
des chercheurs et des acteurs. Il constitue en soi, une véritable dynamique d’apprentissage collectif et peut offrir des formes de réponse aux problématiques organisationnelles et
institutionnelles (projet 4).
Dans tous les projets, il est impératif de recueillir aussi des données qualitatives individuelles
riches auprès de personnes intéressées par la recherche, par exemple sous forme
d’entretiens approfondis, de relectures d’expérience, de journaux de bord, de récits de vie.
Les acteurs à solliciter sont autant les responsables de programmes, les enseignants de
différents statuts, les partenaires extérieurs impliqués et les apprenants. Ces données
qualitatives riches viseront à saisir la dimension éprouvée des relations et des progressions,
des engagements, mais aussi des échecs, des refus, des raisons et des refus de coopérer dans
les partenariats… Ces dimensions sont pertinentes dans tous nos projets : l’apprentissage de l’esprit d’entreprendre par les apprenants (projet 1), l’étude d’impact des modules et programmes (projet 2), la compréhension des pratiques d’accompagnement en pédagogie entreprenante (projet 3), et des conditions partenariales et organisationnelles (projet 4).
Notre expérience de ces pratiques de recherche montre que c’est toujours une source extrêmement riche pour l’exploration et la compréhension fine des processus et des interrelations qu’on n’avait pas forcément imaginées au départ ou qu’on a mises au jour par des analyses statistiques mais qu’on ne sait pas complètement expliquer. Elles nous semblent
constituer un complément indispensable au travail d’enquête quantitative et aux démarches de changement procédant par groupes de travail.
Une série de documents et de supports peut aussi compléter nos sources pour tous les
projets de recherche suggérés : les écrits lors des activités professionnelles ou scolaires (par
exemple les documents déposés sur une plate-forme), les ordres du jour et comptes rendus
de réunion, les supports de travail ou encore les articles de promotion dans les revues
internes ou externes. En effet, dans notre recherche sur l’évaluation des projets à Centrale
Lille, il est apparu avec force que les versions successives des référentiels progressivement
construits par les acteurs avaient une valeur de stabilisation des compromis absolument
majeure, comme le suggère la lecture de l’innovation par la théorie de la traduction ou de
l’acteur-réseau. (Akrich, Callon et Latour, 1988 a et b). Le processus social de mise en place
successive des référentiels de compétence et plus largement de mise en place de modules et
programmes de l’esprit d’entreprendre (projet 4) peut ainsi être observé à travers ce regard
afin d’analyser les formes d’intéressement et les alliances conduisant à la mise en place de
normes acceptables.
Enfin, nous pensons que des observations fines des interactions dans les phases cruciales de
négociation et de confrontation entre acteurs pourraient s’avérer décisives. Bien que nous
ayons peu pratiqué systématiquement cette forme d’intervention ou d’analyse de données, nous sentons bien que les dimensions émotionnelles et socio-affectives sont cruciales pour
136
faciliter la construction de l’esprit d’entreprendre (projet 1). Des protocoles d’intervention participante ou d’observation de données filmées prises en situation réelle sous réserve d’accord des acteurs, sont certainement à mettre en place, voire à inventer pour observer le
non-dit, le tacite et les tabous concernant les doutes, les risques encourus et leurs
protections dans l’apprentissage de l’esprit d’entreprendre et son accompagnement. Cette
méthode peut nous instruire sur les points de vigilance (projet 2) mais aussi sur les prises de
positions des acteurs dans les situations de partenariat ou lors des phases de négociation du
changement (projet 4). Nous avons en effet très souvent repéré qu’ils sont peu commentés dans les écrits et dans les discours des enseignants, des chercheurs comme des étudiants
souvent plus prompts à faire l’éloge et l’analyse des réussites que de s’appesantir sur les failles et les doutes embarrassants, générant des théories épousées bien différentes des
théories d’usage réellement mises en œuvre dans l’action comme l’ont bien montré Argyris et Schön (1978).
Une articulation par causation et par effectuation.
L’articulation de ces différentes approches est une exigence de base du chercheur pour permettre la prise de distance avec l’objet et sa mise en questionnement rigoureux et
systématique. Pour autant, le processus d’articulation ne nous parait pas entièrement prédictible. Il dépend tellement des opportunités de rencontre entre des réseaux de
chercheurs et d’acteurs intéressés autour de motivations et d’intérêts communs.
Il n’en reste pas moins qu’il nous parait particulièrement important de mener différentes approches en parallèle au sein d’une même recherche afin de donner du sens aux données et articuler les points de vue entre les différents acteurs et les différents processus. C’est le principe connu et fécond de la triangulation méthodologique. Je suis aussi très attachée à
organiser différents types de rencontres entre les données du terrain et l’interprétation conceptuelle. Au-delà de la démarche hypothético-déductive traditionnelle du chercheur,
nous avons pratiqué des démarches inductives de relecture et d’interprétation théorique avec des enseignants-chercheurs à partir de descriptions de situations par d’autres enseignants. Cette articulation relève d’une approche volontaire et programmatique que l’on assimiler à la causation.
Mais d’expérience, il nous semble bon que l’articulation des enseignements entre différentes études suive aussi des processus non prévisibles par percolation entre des concepts, des
objets, des terrains ou des acteurs disjoints mais présents à l’esprit du chercheur au même moment. En effet, il nous est souvent arrivé qu’une recherche en féconde une autre apparemment sans lien. Et plus que jamais dans le paysage de la recherche académique qui
s’est beaucoup durci depuis mon démarrage en thèse, il me semble impératif de garder un
espace de rêverie, de rencontres et de pensée non contrôlé, afin de se ressourcer,
d’échapper au risque d’épuisement par dérive productiviste et de saisir des nouvelles
opportunités de pensée et d’action. Si le chercheur s’intéresse à l’esprit d’entreprendre, ne doit-il pas faire preuve lui aussi de certaines capacités et comportements dont il est
question dans son objet: créativité, risque raisonnable, projets ouverts, vision et
effectuation… ?
137
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Curriculum Vitae de Caroline VERZAT
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146
Table des illustrations
Figure 1.
Les « ingrédients » de l'esprit d'entreprendre dans mon parcours ________________________ 9
Figure 2.
La « cuisine » de l’esprit d’entreprendre dans mon parcours ___________________________ 15
Tableau 1. Objectifs et activités pour l’éducation entrepreneuriale à chaque niveau, recommandés par le Best procedure project 2002, repris en 2006. ______________________ 27
Tableau 2. Résumé du référentiel français « Entrepreneuriat et Esprit d’Entreprendre », décembre
2010. _________________________________________________________________________ 29
Tableau 3 : Caractéristiques les plus souvent attribuées aux entrepreneurs
par les psychologues du comportement selon Filion (1997:9) ___________________________ 33
Figure 3.
Relations entre personnalité, carrière et identité professionnelle en entrepreneuriat _______ 34
Figure 4.
Modèle exploratoire sur la construction des identités entrepreneuriales et entreprenantes
à partir de la notion d’auto-efficacité entrepreneuriale ________________________________ 38
Figure 5.
Modèle d’intention adapté de Krueger et al. (1993, 1994, 2000) à partir d’Ajzen (1991) et Shapero et Sokol (1982).____________________________________ 40
Figure 6.
Théorie de l’essai de Bagozzi et al. (1999, 2003). _____________________________________ 42
Tableau 4. Dimensions de la cognition entrepreneuriale recensées
à partir de Carsrud et Brännback (2009). ____________________________________________ 44
Figure 7.
Modèle simplifié de la cognition entrepreneuriale. ___________________________________ 49
Figure 8.
Objectifs de formation proposés pour l’esprit d’entreprendre. __________________________ 55
Figures 9.
Dynamique de construction de l’esprit d’entreprendre dans des situations problème
répétées et progressives. ________________________________________________________ 59
Figure 10. Le système actuel d’éducation à l’entrepreneuriat et celui qui conviendrait selon A. Gibb (2005)
Tableau 5. Evolution des logiques éducatives (Verzat et Garant, 2010) ____________________________ 84
Tableau 6. Les points-clé d’une pédagogie entreprenante, spécificités et points communs par rapport aux méthodes actives. _____________________ 100