(12ème ch.), n°15/3413/A, 15 juillet 2015

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(12ème ch.), n°15/3413/A, 15 juillet 2015
TRIBUNAL DU TRAVAIL FRANCOPHONE DE BRUXELLES
12' chambre - audience publique et extraordinaire du
1 5 -07- Z015
JUGEMENT
R.G. n° 15/3413/A
Aud. n°: 15/3/07/162
Cpas - Aide sociale
définitif
Rép. no:
15/
0 l 28 14
EN CAUSE DE:
Madame'
domiciliée i
.020 BRUXELLES,
partie demanderesse, comparaissant par Me Tristan WIBAULT, avocat.
CONTRE:
LE CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE BRUXELLES,
dont les bureaux sont établis rue Haute, 298a à 1000 BRUXELLES,
partie défenderesse, comparaissant par Me Serge WAHIS, avocat.
****
Vu la loi du 10 octobre 1967 contenant le Code judiciaire ;
Vu la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire;
R.G. n° 15/3413/A
2e feuillet
1. La procédure
La procédure a été introduite par une requête déposée au greffe le 23.03.2015.
Des conclusions ont été déposées :
-
pour la requérante le 26.05.2015.
Les parties ont comparu et ont été entendues à l'audience publique du 08.06.2015, à laquelle Mme
FI. Michiels, substitut del' Auditeur du travail, a été entendue en son avis.
II. L'objet du litige
La requérante conteste l'absence de décision suite à la demande d'aide médicale
urgente introduite auprès du CPAS de Bruxelles le 23.01.2015 par l'hôpital
Erasme.
Par ses conclusions, la requérante critique la décision intervenue le 23.05.2015 lui
refusant l'intervention dans les frais d'hospitalisation et médicaux à partir du
30.12.2014.
Cette décision est motivée comme suit :
« Considérant :
que l'intervention des CPAS est résiduaire par rapport à l'intervention de tout
autre tiers ;
- qu'il appartient à l'assurance d'intervenir dans les frais de soins de santé;
qu'il y a un garant lequel a signé un engagement de prise en charge. »
La requérante demande que le CP AS de Bruxelles soit condamné à lui accorder
l'aide médicale urgente sur la demande introduite par l'hôpital Erasme.
III.
â~Jécédcnts
La requérante, de nationalité marocaine, est arrivée en Belgique le 18 décembre
2014 munie d'un visa« court séjour I visite familiale» délivré par le Consulat
belge à Casablanca le 15.12.2014 (après autorisation de !'Office des étrangers).
Elle est accompagnée de son fils âgé de 14 ans.
Un engagement de prise en charge ( « annexe 3 bis ») avait été souscrit pas sa
sœnr, Mme
t, qui réside à Bruxelles (une copie de cet
engagement figure en pièce 11 du dossier administratif). Ce document a été
légalisé par le bourgmestre ou son délégué le 22.07.2014. Il n'apparaît cependant
pas de la copie produite qu'il ait été déclaré recevable et accepté par le Ministre
ou son délégué.
Le 29.12.2014, la requérante est admise en urgence au CHU Brugmann pour de
graves problèmes de santé. Le lendemain, elle est transférée à l'hôpital Erasme.
R.G.
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3e feuillet
Le 23.01.2015, l'hôpital Erasme adresse une demande de prise en charge totale au
CP AS de Schaerbeek, lequel s'estime incompétent et la transmet au CP AS de
Bruxelles par courrier recommandé du 26.01.2015; le CPAS de Schaerbeek
informe l'hôpital Erasme de ce transfert par courrier du même jour.
Par courrier recommandé du 29.01.2015 adressé à la présidente du CPAS de
Bruxelles, l'hôpital Erasme demande une prise en charge totale, expliquant que
l'état de la patiente est critique et qu'il est impossible de prévoir une date de
sortie. La lettre précise que la famille a fait savoir qu'elle était dans l'incapacité
de prendre en charge les frais médicaux, mais que des démarches sont en cours
afin de faire intervenir l'assurance voyage souscrite auprès d' AXA Assistance
Maroc par la requérante.
Par lettre du 05.02.2015, le CPAS de Bruxelles invite la sœur de la requérante,
Mme .
, à se présenter au service social afin de déterminer la
possibilité d'une prise en charge des frais d'hospitalisation; il lui est demandé de
se munir des pièces justificatives de ses ressources et charges, d'une vignette de
mutuelle et du document relatif à son engagement de prise en charge.
Le 05.03.2015, une demande d'autorisation de séjour pour motifs médicaux est
introduite conformément à l'article 9 ter de la loi du 15.12.1980.
Le 16.03.2015, la requérante est sortie de l'hôpital et est depuis cette date
hébergée chez sa sœur ; de nombreux soins sont cependant encore progran1més.
Un rapport social du 23.03.2015 établi par le CPAS de Bruxelles indique
notan1ment que :
- la compagnie d'assurance AXA Assistance n'accepterait d'intervenir qu'à
concurrence d'un montant de 24.000 €,sans que l'on sache pourquoi,
- il appartiendrait à la compagnie d'intervenir jusqu'à concurrence d'un montant
de 30.000 €,
- pour le solde des frais d'hospitalisation (c'est-à-dire au-delà de ces 30.000 €),
l'indigence pourrait être établie.
Une« attestation d'assurance voyage» de la compagnie d'assurance AXA
Assistance Maroc précise que la requérante bénéficie pour la période du
03.08.2014 au 02.02.2015 de la prise en charge des soins médicaux et hospitaliers
d'urgence à l'étranger, avec un plafond de 30.000 €.
Le 23.05.2015, la présente requête est introduite, contestant l'absence de décision
du centre.
La décision attaquée intervient le même jour.
C'est le 23.03.2015 également qu'une citation en référé est introduite. Dans le
cadre de cette procédure, le CP AS de Bruxelles a cité la sœur de la requérante en
intervention forcée et garantie.
L'ordonnance de référé, rendue le 31.03.2015, condamne le CPAS de Bruxelles à
fournir l'aide médicale urgente dans l'attente du jugement au fond et déclare non
fondée la demande en intervention forcée du CP AS.
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4e feuillet
IV. Discussion
1.
L'article 57, § 2 de la loi du 08.07.1976 organique des CPAS dispose que «par
dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public
d'action sociale se limite à :
1° l'octroi de l'aide médicale urgente, à l'égard d'un étranger qui séjourne
illégalement dans le Royaume ».
L'aide médicale urgente est définie par l'arrêté royal du 26.12.1996 comme étant
l'aide qui revêt un caractère exclusivement médical et dont le caractère urgent est
attesté par un certificat médical ; elle peut être prestée tant de manière ambulatoire
que dans un établissement de soins et peut couvrir des soins de nature tant
préventive que curative (arrêté royal du 26.12.1996 sur l'aide médicale urgente, m1icle
l "). Les frais de l'aide médicale urgente sont remboursés par l'Etat au CP AS, à
condition que celui-ci fournisse un certificat médical attestant l'urgence des
prestations effectuées (article 2). Les frais d'aide médicale urgente sont remboursés
dans les limites déterminées à l'article 11, § Ier, de la loi du 2 avril 1965 relative à
la prise en charge des secours (article 3).
L'aide médicale urgente «peut comprendre un large spectre de soins» (Doc. pari.,
Sénat, 1995-1996, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales, p. 7; J. VANDEN
C. BOURUET AUBERTOT, «La mission des centres publies d'aide sociale en matière d'aide
médicale urgente», Rev. Dr. Santé, 2000-2001, p. 348).
EYNDE,
2.
Selon l'article 3 de la loi du 15.12.1980, un étranger qui souhaite entrer en
Belgique peut être refoulé par les autorités chargées du contrôle aux frontières
«s'il ne dispose pas des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du
séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ou le transit vers
un Etat tiers dans lequel son admission est garantie, et n'est pas en mesure
d'acquérir légalement ces moyens».
Selon l'article 3 bis de cette loi, la preuve des moyens de subsistance suffisants
peut être appo1iée par la production d'une attestation de prise en charge, dans
laquelle une personne physique qui dispose de ressources suffisantes s'engage à
l'égard de l'étranger, de l'Etat belge et de tout CPAS compétent, à prendre en
charge pendant un délai de deux ans les soins de santé, les frais de séjour et de
rapatriement de l'étranger.
La circulaire du SPF Intérieur du 09.09.1998 relative à l'engagement de prise en
charge visé à l'article 3 bis de la foi du 15.12.1980 précise ;
«Il est à souligner dans ce cadre qu'un C.P.A.S. est tenu de supporter /esji·ais
mentionnés ci-dessus si la loi du 8 juillet 1976 précitée le prescrit. Il ne peut donc
pas refuser d'intervenir en faisant état de l'engagement de prise en charge
souscrit par le garant à l'égard de l'étranger concerné, mais il est par contre en
droit de récupérer le montant de son intervention auprès du garant. Il est par
conséquent conseillé au garant de souscrire une assurance couvrant les soins de
santé de /'étranger.
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5e feuillet
Il convient en outre de remarquer que le C.P.A.S. ne peut se retourner contre le
garant qu'en ce qui concerne les frais supportés pour des soins de santé normaux.
Les frais supportés par le C.P.A.S. dans le cadre de l'aide médicale urgente ne
peuvent être récupérés auprès du garant.
Le garant ne sera donc pas responsable des frais découlant de l'hospitalisation
soudaine (par exemple, suite à un accident) de l'étranger pour lequel il a souscrit
un engagement de prise en charge. »
Il ressort de ces dispositions, lues à la lumière de la circulaire, que l'Etat belge ne
va pas jusqu'à exiger que l'étranger justifie de moyens de subsistance lui
permettant de prendre en charge les frais médicaux exceptionnels et imprévisibles
auxquels il serait amené à devoir faire face pendant son court séjour.
3.
Les frais médicaux dont la prise en charge est demandée se rapportent à des soins
de santé dont le caractère urgent est attesté par un certificat médical.
Ces frais médicaux relèvent de l'aide médicale urgente et concernent une
hospitalisation soudaine. Ils se situent en dehors de l'engagement souscrit par le
garant.
Le Tribunal note que la requérante avait quant à elle souscrit une assurance
offrant une couverture suffisante au regard de l'étendue prévisible de ses frais de
soins de santé.
4.
Concernant les conditions d'octroi de l'aide demandée, le Tribunal estime que
celles-ci sont remplies. Outre la condition relative au caractère urgent des soins
(voir ci-dessus), l'état de besoin de la requérante doit être considéré comme établi
au regard des éléments suivants :
- elle ne dispose au Maroc que d'une pension alimentaire de 3.500 dirhams (soit
325 €) par mois,
- !'Office des étrangers précise qu' «au Maroc, la femme divorcée cesse d'être
couverte par le régime d'aide médicale de base (AMO) » (voir l'email du
01.06.2015 adressé à l'auditorat),
- dans une attestation administrative du 20.02.2015, l'administration locale au
Maroc indique que Mme'
~st en situation matérielle et financière
faible (pièce 15 du dossier de la requérante).
La sœur de la requérante percevait un salaire de 2.576 €net mais dépend de la
mutuelle depuis le 04.03.2015. Son époux est également en incapacité de travail et
émarge à la mutuelle. Les indemnités d'incapacité s'élèveraient à un peu plus de
800 € selon les documents produits. Le couple rembourse en outre des
mensualités hypothécaires de 1.008,44 €ainsi qu'un prêt voiture à raison de
314,71 €par mois.
Il n'apparaît pas que la sœur de la requérante, qui l'héberge et la prend déjà
largement à sa charge compte tenu de ses revenus, serait en mesure de pmticiper
dans une mesure plus que symbolique aux frais d'hospitalisation.
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6e feuillet
La requérante ne pouvant raisonnablement faire davantage appel à la solidarité
familiale, l'état de besoin est établi. La demande est fondée.
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant après un débat contradictoire,
Sur avis conforme du ministère public,
Déclare le recours fondé,
l'aide
Condamne le CP AS de Bruxelles à accorder à Mme :
médicale urgente et à prendre en charge ses frais de traitement médicaux et
d'hospitalisation non pris en charge par AXA,
Déclare le présent jugement exécutoire par provision nonobstant tout recours et
sans caution ni cantonnement,
Condamne la partie défenderesse aux dépens de l'instance, liquidés à la somme de
120,25 €représentant l'indemnité de procédure.
Ainsi jugé par la ! 2ème chambre du tribunal du travail francophone de Bruxelles
où siégeaient :
Jérôme MARTENS,
Laurence WILLEMS,
Mustafa RIAD,
Juge,
Juge social employeur,
Juge social ouvrier,
etprononcé à l'audience publique et extraordinaire du
15 -07- 2015
de la 12ème chambre du tribunal du travail francophone de Bruxelles à laquelle
était présent :
J. MARTENS, Juge,
assisté de Jonathan STOQUART, Greffier délégué.
Le Greffier dé!.,
Les Juges sociaux,
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~RI:;-& L. ~ILLEMS
Le Juge,