LA CHANSON DES VIEUX AMANTS (Jacques BREL)

Transcription

LA CHANSON DES VIEUX AMANTS (Jacques BREL)
LA CHANSON DES VIEUX AMANTS (Jacques BREL)
Daniel Levallois
Un duo de chant, mais aussi amants, entre en studio pour enregistrer… Elle tient un micro et
un pied, lui une guitare et une chaise… Ils s’installent… (Silence…Hélène
est de mauvaise humeur…).
LE REGISSEUR
De la régie, vous disposez d’une heure. Je vous propose un essai avant
d’enregistrer. OK. C’est quand vous voulez…
François démarre à la guitare…
ELLE
- (Théâtralement)-« Bien sûr nous eûmes des orages
Vingt ans d’amour c’est l’amour fol
Mille fois… »
LUI
- Hélène ! Arrête ! Excuse-moi mais c’est faux…
ELLE
- (Désagréable)- Quoi ! C’est faux ! Je chante comme d’habitude. C’est ta
guitare qui est mal accordée…
LUI
- (Les yeux au ciel…)- On va dire que c’est ça. (Il fait signe au régisseur de
reprendre).
LE REGISSEUR - C’est … C’est bon, là ? (Silence…).
ELLE
- (Reprenant son chant…)- « Bien sûr nous eûmes des orages
- Vingt ans d’amour c’est l’amour fol… »
- Tu crois que c’est facile de chanter après ce que je viens de subir. Pour
bien chanter, il faudrait avoir le cœur à chanter… hein ! L’envie de
chanter…
LUI
- Bon ! C’est quoi ton problème, Hélène ?
ELLE
- Et bien ! J’ai pas envie. J’ai plus envie… Quand je vois comment tu la
regardais à table, je me demande bien ce que je faisais là…
LUI
- Mais Hélène, elle était juste en face de moi, je ne pouvais pas faire
autrement que la regarder quand elle me parlait…Je ne pouvais pas non plus
m’asseoir à l’autre bout de la table…
ELLE
- Y a regarder et regarder. Tu la dévorais des yeux. Que dis-je, tu la
déshabillais des yeux… Avec son décolleté provoquant et ses gros nichons
siliconés…
LUI
- Qu’est-ce que tu racontes ? Ce sont ses vrais nichons… ses vrais seins.
Elle a peut-être un peu pris en taille et en poitrine ces derniers mois… Ca
doit être l’approche de la ménopause…
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ELLE
- Entre nous, c’est devenu un boudin. Ah ! Ca ! T’as eu le temps de les
mater, ses lolos… Deux heures, ça a duré… Deux heures à supporter cette
humiliation, à faire risette devant l’autre crétin, là…le président de
l’association de mes deux…
LUI
- C’est quand même grâce à lui si on a décroché ce contrat, hein ! L’autre
crétin, comme tu dis… Je ne vois pas ce que tu lui reproches. Il est très
professionnel et efficace…
ELLE
- C’est tout ce que t’as vu ? Par contre, le gringue qu’il me faisait à table, ça,
tu ne l’as pas vu…
LE REGISSEUR - Excusez-moi ! Est-ce qu’on pourrait avancer un peu, parce que le studio
est repris dans trois quarts d’heure… (Silence…).
ELLE
- (reprenant son chant…)- « Mille fois tu pris ton bagage
- Mille fois je pris mon envol… »
- Ah ! C’est sûr que si j’avais pu m’envoler. J’avais vraiment l’impression
d’être le vilain petit canard…mais un canard qui ne vole pas puisque je suis
restée…Quelle conne !
LUI
- Mais Hélène, je te rappelle que c’est ma femme et que je vis encore avec
elle…
ELLE
- Justement, y en a marre de tout faire en cachette… de s’envoyer en l’air en
dix minutes sur la banquette arrière d’une bagnole minable entre deux galas
foireux…
LUI
- Une BMW série 5, si t’appelles ça une voiture minable… Y a pire…
ELLE
-Oui ! Et bien ! BM, tu leur diras que leurs bagnoles, elles sont peut-être
bien à conduire, mais pour les galipettes, c’est nul… On ne sait pas où
mettre les jambes…
LUI
- Une voiture, c’est surtout fait pour conduire…Quand je pense que je
l’avais choisie exprès pour nous… Et puis, dans le Kamasoutra, y a
certainement des positions spéciales banquette arrière…
ELLE
- De toute façon, y en a marre des voitures. Moi, je voudrais prendre mon
temps, faire l’amour dans un lit normal, comme tout le monde, de quatre
mètres sur quatre, avec un baldaquin et des miroirs partout…
LUI
- Mais ça viendra, Hélène ! Encore un peu de patience. Tu vois bien que le
succès commence à pointer son nez…
LE REGISSEUR - Excusez-moi d’insister, mais le temps passe et on a encore rien fait…
ELLE
- (Elle reprend…)-« O mon amour
- Mon doux mon tendre, mon merveilleux… »
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LUI
- (Un peu perdu dans ses accords…)- Ah ! T’es au refrain ?
ELLE
- Ah ! Ca ! Le refrain, je l’ai entendu : « Oh ! Mon amour, je vais divorcer,
et on partira loin pour s’aimer… On fera de merveilleux voyages avec
Costa-Croisières… ». En attendant, c’est moi qui rame… T’as confondu
croisière et galère, pépère !
LUI
- Mais Hélène, tu comprends bien que ce n’est pas possible en ce moment.
C’est trop tôt. Notre carrière internationale n’est pas encore assurée. Ce
serait suicidaire de faire ça maintenant…
ELLE
- Le pognon ! C’est tout ce qui compte pour toi. Elle a le pognon, et moi,
c’est que pour la bagatelle…
LUI
- Arrête, Hélène ! Tu crois que c’est le moment de déballer tout ça ?
ELLE
- Est-ce que tu te rappelles la dernière fois qu’on a fait l’amour, François ?
LUI
- Ben ! Evidemment ! (il réfléchit) C’était samedi.
ELLE
- Ca, ça devait être avec ta légitime, parce qu’avec moi, ça remonte au
samedi d’avant… (Elle compte sur ses doigts comme à l’école…).
Dimanche- Lundi- Mardi- Mercredi- Jeudi- Vendredi- Samedi- DimancheLundi- Mardi- Mercredi. C’est bien ça ! Ca fait onze jours…
LUI
- Désolé, Hélène, mais je ne tiens pas une comptabilité de nos rapports
sexuels…
LE REGISSEUR - Moi, par contre, je tiens une comptabilité du temps. Il vous reste dix
minutes.
ELLE
- (Se concentrant sur le chant…)- « O mon amour mon doux
- Mon tendre mon merveilleux amour
- De l’aube claire jusqu’à… »
- Quand on compte pas, c’est qu’on a son compte.
LUI
- Son compte de quoi ?
ELLE
- Son compte d’amour. Evidemment, toi, ça fait pas onze jours… (Elle
recompte avec ses doigts…). Ça fait quatre jours… Et encore, rien ne me dit
que tu ne l’as pas culbutée aux toilettes tout à l’heure. Ca, t’en es capable…
Vous vous êtes absentés en même temps. Je vous ai vus…
LUI
- On est sortis fumer une cigarette, c’est tout… Non mais, tu me vois faire
l’amour avec ma femme dans des toilettes publiques ?
ELLE
- Et pourquoi pas ? La recherche de nouvelles sensations dans des situations
improbables, c’est connu… En tout cas, moi, ça me plairait…
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Pour connaître la fin de ce sketch, vous pouvez contacter
l’auteur par courriel à [email protected]
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