Jésus, la biographie non autorisée

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Jésus, la biographie non autorisée
EXCLUSIF
Jésus, la biographie non autorisée
Sous le titre provoquant « Jésus, la biographie non autorisée » (Éditions
Michel Lafon) Patrick Banon dont nous avions apprécié le "Moïse"
s’attaque à la figure tutélaire du christianisme. Ecrivain, essayiste et
spécialiste des sciences des religions et systèmes de pensée - dans cette
biographie écrite à la manière d'un roman – Patrick Banon dresse le portrait
d'un monde en pleine turbulence spirituelle et politique à la veille de l'ère.
chrétienne. Pour la première fois un auteur, à partir de sources précises, propose de connaître
la vie « censurée » de l'enfant qui devint dieu. Son livre devrait faire du bruit. Ce n’est pas un
pamphlet, ce n’est pas un livre ésotérique, c’est une analyse sociologique, historique et
philosophique sur une figure (la figure ? la plus importante du monde des religions. En avantpremière pour Actualité de l’Histoire, il explique sa démarche et développe sa méthode et les
attendus de ses recherches
En alliant expertise historique et souffle romanesque, Patrick Banon dépasse la légende
écrasante de la Bible.
Pourquoi ce titre « Jésus, la biographie non autorisée » ?
Entre le IVe et le VIe siècle, l’Église trace la ligne officielle de la vie de Jésus. Ne seront alors
inscrits au Canon que les quatre Évangiles que nous connaissons, et des textes qualifiés
d’« inspirés », dont les actes des Apôtres, les écrits de Paul et de Jean… Ce Canon ou
« Règle de Vérité » désigne depuis le concile de Laodicée en 360 et un texte d’Athanase
d’Alexandrie de 367, la version « officielle » de l'Église de Rome.
Au VIe siècle, un décret attribué faussement à Gélase 1er dresse la liste des textes interdits.
Exclus de la version officielle, environ soixante-dix textes, pour la plupart rédigés entre les IIe
et Ve siècles, constituent le corpus des évangiles dits « apocryphes », c'est-à-dire « cachés ».
Interdits de lecture et de copie sous peine de mort ou de mutilation, ces textes détiennent
pourtant la même légitimité historique que les autres évangiles, et témoignent avec précision
d’une vision populaire de Jésus et du christianisme en formation. N’oublions pas que les
quatre évangiles officiels étaient comme nombre de récits « apocryphes » des textes
anonymes.
1 Les évangiles canoniques ne seront eux-mêmes attribués à des apôtres que vers le début du
IIIème siècle. Il n’existe donc pas dans le christianisme d’un côté des vrais évangiles qualifiés
« d’inspirés » et de l’autre, des faux qualifiés « d’apocryphes ». Il s’agit en fait d’une version
officielle face à une version non autorisée.
En quoi votre livre est-il décapant? En quoi est-il différent de celui de Jean-ChristianPetitfils, de Max Gallo, de Robert Graves, d’Armand Puig…?
Je n’ai pas cherché à écrire une biographie choquante, ni tenté de prouver une vérité contre
une autre. Récits canoniques et apocryphes forment un tout. La philosophie du christianisme
est complexe et son message se veut universel. Chacun de ces textes porte une parcelle de
vérité. J’ai d’ailleurs placé en exergue une phrase de Condorcet à méditer en ces temps de
confusion culturelle et politique : « La vérité appartient à ceux qui la cherchent, et non point à
ceux qui prétendent la détenir. »
Certes, quantité d’ouvrages de qualité plus ou moins égale ont déjà été publiés autour de la vie
de Jésus sur la base des Évangiles canoniques et de leurs interprétations, les uns pour
exprimer la foi de leur auteur, les autres pour en nier la légitimité. Des centaines d’essais
scientifiques enrichissants ont été consacrés à l’étude des textes apocryphes. Néanmoins, j’ai
constaté qu’aucun ouvrage destiné au grand public ne relatait à ce jour la vie de Jésus sur la
base exclusive des Évangiles apocryphes.
J’ai choisi un ton romanesque pour cette biographie non autorisée de Jésus afin de pouvoir
remettre en scène les récits jadis interdits, emmener le lecteur à la source de la pensée
populaire du christianisme, à ses liens inaltérables avec le judaïsme, et faire découvrir le
monde, parfois fantasmé, dans lequel est supposé évoluer Jésus en Galilée et en Judée, sous
le joug d’Auguste et de Tibère, durant le règne d’Hérode le Grand et de ses fils Archelaüs et
Antipas.
Je me suis attaché à cerner la croyance populaire qui anime ces textes pour mieux dévoiler le
regard sur Jésus des premiers chrétiens, juifs ou païens, et en même temps esquisser leur
immense influence sur l’édification de l’islam.
Cette biographie non autorisée offre une source d’information complémentaire. Je n’avais pas
la prétention de réécrire une vie de Jésus sur le modèle inégalable d’Ernest Renan, de Blaise
Pascal, de François Mauriac ou encore d’Edmond Fleg, mais de m’aventurer hors des sentiers
battus pour suivre le chemin ombragé des textes interdits. Ces récits apocryphes représentent
en effet un immense intérêt, celui de relater des épisodes de la vie de Jésus absents de la
version canonique. Les Évangiles apocryphes ou canoniques sont en effet semés
d’anachronismes et d’inexactitudes. Il me fallait combler les lacunes de l’histoire officielle
pour mieux cerner ces récits populaires à la frontière entre folklore, mythologie et foi. Les
personnages de cette biographie dressent le portrait d’un monde chaotique, aux limites de la
disparition et à la veille de sa reconstruction. Le temps que vivaient les rédacteurs des
évangiles. Un temps qui ressemble étonnamment au nôtre.
Je raconte ainsi l’histoire de Joseph et celle des parents de Marie et notamment d’Anne, la
grand-mère de Jésus, la relation entre Marie et Joseph, le tirage au sort qui mènera à leur
union, la virginité et la grossesse de Marie, la naissance de Jésus, son enfance et ses prodiges,
la fuite en Égypte, la descente aux enfers de Jésus, le destin de Marie après la crucifixion, le
châtiment de Pilate…
2 Cette biographie non autorisée peut apporter aussi des réponses à quelques questions plus
théologiques : Jésus était-il un prêtre du temple de Jérusalem ? Était-il marié ? Anne, la mère
de Marie, était-elle stérile ? Judas était-il vraiment l’apôtre préféré de Jésus sans lequel Jésus
n’aurait pu accomplir sa mission sur terre? Marie de Magdala, à laquelle Jésus prodigua un
enseignement secret entre sa résurrection et son ascension, était-elle une initiée plus douée
que les autres, ou une véritable épouse ? Ces textes donnent une vision souvent plus
contrastée et plus humaine de Jésus, loin du personnage parfait et « tout amour » du Nouveau
testament.
Pourquoi, selon vous, plus de soixante-dix textes ont été interdits de lecture et de copie,
parfois sous peine de mort ou de mutilation?
Ne voyons pas dans cette séparation entre Canon et Apocryphe une simple distinction
philosophique. Il s’agit d’abord d’un débat politico-religieux, d’un type de société en
édification et de la survie d’un espace romain d’occident. La conversion de Constantin au
culte du Christos en 312 bouleverse la diversité des religions qui évoluent dans l’empire et
notamment dans le monde méditerranéen. Les empereurs des Ve et VIe siècles tenteront par la
suite d’éliminer tout particularisme religieux. D’abord envers les païens, puis envers les
branches chrétiennes dissidentes ou trop proches de l’empire d’Orient ou encore des vandales
et des wisigoths. Nombre de textes considérés non acceptables par les autorités laïques ou
religieuses sont détruits lors de cérémonies publiques. Les écrits des religions passées sont
mis de côté. Même Cicéron est mis à l’écart. Des textes non chrétiens sont brulés, et leurs
copistes châtiés. Le christianisme, c’est la « religion pour tous ». Alors il faut rassembler les
croyants- des plus ignorants aux plus érudits - autour d’une égalité de conscience. La sélection
de textes officiels obéit à cette vision d’un christianisme universel. Les superstitions, les
sacrifices d’animaux, les rites et les écrits rappelant le culte de Jupiter et ses olympiens sont
interdits.
Il s’agit aussi de tracer des frontières intérieures dans un empire trop grand pour que ses
frontières terrestres soient protégeables. En 476, Romulus Augustulus est le dernier empereur
de l’empire romain d’Occident. Le seul ferment de l’empire reste pour l’instant l’évêque de
Rome (Même Clovis devra se convertir pour régner) Les hordes barbares qui déferlent sur
Rome sont chrétiennes, mais d’obédience arianiste. Et 325, le premier concile de Nicée
condamne l’arianisme (doctrine qui ne reconnaît pas la divinité de Jésus, principe
fondamentale à la foi chrétienne selon Rome). Reste à définir un corpus spirituel et à interdire
tout texte qui ne serait pas en conformité avec le « catholicisme » naissant, une religion
« totale et universelle » sous l’autorité du pape, l’évêque de Rome…
A votre avis comment va réagir l’Église catholique face à votre livre ?
Malgré les efforts de l’Église pour minimiser leur importance, les Évangiles apocryphes ont
été transmis par la tradition populaire et contribuent à nourrir le culte religieux : nombre de
fêtes actuelles du christianisme en sont inspirées et l’art religieux a perpétué à travers les
siècles les récits « interdits ».
Benoit XVI dans son récent ouvrage explique que Jésus n’est sans doute pas né il y a 2013
années, mais quelques années auparavant, peut être selon lui vers l’an 4 avant J.C. Le moine
Denys le Petit (Dionysius Exiguus) s’est donc trompé !
3 En fait, une naissance de Jésus vers l’an 6 me paraît plus probable, tout simplement en
m’appuyant sur les écrits de Flavius Josèphe [1], seul preuve contemporaine et historique,
hors évangiles, de l’existence de Jésus et de celle de Jean le Baptiste. Si le pape lui-même
prend ses distances avec des idées officielles mais fausses comme celle de l’année de
naissance de Jésus, L’Église ne peut donc qu’apprécier ma démarche de proposer une
biographie de Jésus exclusivement fondée sur les textes apocryphes. Je n’ai pas cherché en
effet à dresser les textes les uns contre les autres (Nombre d’émules du Da Vinci code le font
très bien) ni à établir une hiérarchie de la vérité. C’est au lecteur de se faire une opinion. Il le
pourra enfin car cette biographie non autorisée présente les apocryphes dans leur ensemble,
rédigés dans un style romanesque et accessible à tous, pas seulement aux théologiens. Jusqu’à
présent, des phrases extraites de leur contexte servaient à élaborer les théories les plus
fumeuses. C’est désormais au lecteur de décider ce qu’il veut croire ou ne pas croire. Enfin,
le lecteur découvrira des textes qui à l’état brut sont le plus souvent confus, symboliques et
toujours difficiles à lire.
Que fallait-il pour que Jésus accomplisse son œuvre messianique?
La vie de Jésus s’inscrit dans un contexte historique de fin du monde. L’asservissement des
enfants d’Israël, l’intrusion impure d’idolâtres sur les terre de Judée, de Galilée et de Samarie,
l’imminence de la destruction du temple de Jérusalem par Titus (en 70) ; tous les éléments
sont réunis pour que le messie annoncé par les prophètes du judaïsme (Notamment Isaïe, Elie,
Ézéchiel, Daniel…) se révèlent enfin. La Judée est réduite à une province romaine. Les
Hérode, une dynastie étrangère règne sur le royaume de David par le bon vouloir d’Auguste
puis de Tibère. Les Grands prêtres du temple de Jérusalem sont nommés directement par
Rome. Des mouvements politico-religieux veulent résister à la disparition annoncée de leur
peuple. Les zélotes, les sicaires, les pharisiens, les saducéens, tous les partis se rencontrent
(malgré leur divergences philosophiques) autour d’une seule idée sauver le peuple d’Israël de
la disparition. La venue d’un messie parait imminente. Seul le retour de Dieu sur terre peut
sauver les hommes de la disparition. Un sauveur, un être choisi par Yahvé pour sauver son
peuple ne tardera pas à se manifester. Les zélotes n’en doutent pas. Les souffrances du peuple
sont comparables aux douleurs de l’enfantement. C’est un nouveau monde qui va voir le jour.
Le pire précède le mieux. L’hébreu Machiah se traduit par Messie, « celui qui a reçu
l’onction » En grec le terme donnera « Christos ». Voilà pour cet environnement politicoreligieux qui favorise la venue d’un messie, de ce sauveur universel annoncé par les textes
juifs. Concernant les signes qui viennent conforter l’espérance, le premier réside dans la
crucifixion et la résurrection de Jésus. La bonne nouvelle est celle de la victoire de la vie sur
la mort. Cet affrontement entre lumières et ténèbres est exprimé à travers l’ensemble des
textes apocryphes. La révolte des Juifs éclatera finalement en 66, (soit une trentaine d’années
après la crucifixion de Jésus) et mènera à la destruction du temple de Jérusalem, une
catastrophe présente dans l’atmosphère des évangiles canoniques qui ne seront rédigés que
bien après la chute du Temple entre 80 et 200. Une grande partie des apocryphes sera rédigée
vers 150 jusqu’au Vème siècle. Au delà de la crucifixion de Jésus, de sa résurrection et de son
ascension, les apocryphes abordent largement l’enseignement de Jésus, annonçant par
exemple que la Christ séjournera une douzaine d’années sur terre afin de former les apôtres
mais avant tout des femmes, telle Marie de Magdala.
Propos recueillis par Eric Garnier-Covo
[1] Flavius Josèphe, un juif dans l’empire romain, Patrick Banon, Presses de la Renaissance.
4 Patrick Banon, Jésus, la biographie non autorisée, en librairie le 17 janvier 2013, Michel
Lafon, 19,5 €
Patrick Banon est écrivain, essayiste et spécialiste des sciences des religions et systèmes de
pensée. Il est l’auteur de nombreux romans, de biographies historiques, parmi lesquels Flavius
Josèphe, un juif dans l’Empire romain, vendu à plus de 35 000 exemplaires et traduit dans
plusieurs langues, Moïse, Bethsabée, Etemenanki, le secret de la tour de Babel, La
Prophétesse oubliée… Chercheur associé à la chaire Management & Diversité de l’université
de Paris Dauphine, Patrick Banon est aussi directeur de l’Institut des sciences de la diversité.
www.patrickbanon.com
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