Attaque des barrières de Ceuta et Melilla (2005) récit d´un temoin

Transcription

Attaque des barrières de Ceuta et Melilla (2005) récit d´un temoin
Attaque des barrières de Ceuta et Melilla (2005) récit d´un temoin
oculaire
Le récit suivant d´un temoin oculaire a été présenté au festival à Jena/Allemagne
organisé par la Caravane pour les Droits des Refugées et Migrants (juin 2010)
La forêt battait son plein. Des conflits inter- communautaires naissaient. Les plus nombreux
voulaient imposer la loi du plus fort. Tous les chairmans s’étaient rassemblés pour créer une
union entre les communautés appelée « Union Africaine ». Cette Union avait préconisé une
tentative en masse que les Camerounais avaient appelée « Ho-Ha ». Tous étaient contraints de
participer à cette tentative qui, selon les dires des organisateurs, était pour tous la chance
inespérée de pouvoir passer à Melilla. Chacun se mit à fabriquer des échelles. On devait se
constituer en groupe et chaque groupe devait disposer de deux échelles, l’une permettant la
traversée du premier grillage du côté marocain moins haut, soit environ 3 mètres, dite échelle
de pose et la deuxième appelée « échelle de passe » plus longue et deux fois plus haute que la
première qui permettait d’escalader le second grillage. Cinq personnes seulement devaient se
constituer en groupe pour faciliter l’escalade rapide de tous. Et il avait bien rappelé à tous les
gars de la forêt de ne rien faire la nuit, mais de rester cachés pour surprendre tous les gardiens
le jour-J. D’où la surprise de ces derniers qui n’arrêtaient pas de demander à certains
camarades rencontrés dans la journée pourquoi ils n’essayaient plus de traverser les grillages.
La réponse était toujours la même : « Nous sommes fatigués et voulons rentrer chez nous. »
Toutes les techniques fiables pour une tentative en masse sur de nombreuses percées avaient
été planifiées par les chairmans. Les endroits ou points d’attaque étaient en général des zones
où le fil barbelé de la base du grillage, soit sur un mètre de hauteur, avait été endommagé.Ces
lieux étaient des zones éloignées des habitations. Répartis sur diverses communautés, ces
endroits étaient les suivants : celui au long de la mer appelé « Mawari » , le « Golgotha » au
sommet de la colline près de l’entrée principale , le « Frakana » derrière le poste central de
police, le cimetière où les trafiquants marocains faisaient passer drogue et marchandises de
contre bande, appelé « buses », le champ des oliviers non loin de la mosquée qui était toujours
l’endroit le plus sollicité par les camarades, car bon nombre avaient réussi leur passage, celui
de l’aéroport, le long de la piste qui donnait accès facile à la ville, les « antennes »,l’ endroit
préféré des Nigérians, bien que deux d’entre eux aient été tués par les balles des gardes
auxiliaires marocains.
La nouvelle tentative en force consistait à ce que les différents groupes de camarades
escaladent tous ces endroits au même moment pour surprendre la Guardia du côté espagnol,
et la garde auxiliaire du côté marocain qui appelle les renforts au moment des assauts.
Chaque communauté fut invitée au préalable, pendant la fabrication des échelles, à prendre un
temps de réflexion avant cet assaut. Le rassemblement avait été fixé à 19h. Les chairmans
avaient choisi des gens robustes, deux par groupe d’attaque, pour faire résistance aux premiers
gardes marocains et espagnols.
Dès 17heures, on quitta la forêt en petits groupes pour se rapprocher du grillage en évitant de
se faire remarquer par les gens du lieu aussi bavards que les oiseaux-gendarmes. Les
Camerounais devaient se retrouver au champ des oliviers. Leur commissaire ou guide avait
passé les groupes en revue en engageant chacun à être ferme et déterminé à traverser ce
maudit grillage. Une fois sur le lieu, il fallait tout d’abord ramper sur le ventre dans les herbes
avant d’arriver près du grillage pour éviter d’être vu par les sentinelles. Chacun avait les yeux
fixés sur les deux grillages et contrôlait le déplacement des gardes espagnols. Il fallait rester
concentré sur l’objectif car, avait expliqué avec insistance le chairman, « personne parmi vous
n’a droit à l’erreur, et malheur à celui- là : il vaudrait mieux pour lui fuir le Maroc, je vais lui
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arracher la peau ».
A 19heures, le chef de groupe donne le signal d’un coup de sifflet. Tous les gardes sont surpris
de voir une marée humaine de Subsahariens devant eux. Les poseurs en pleine action, les
plus rapides, escaladent le grillage du côté marocain et sont au milieu des deux grillages. Les
renforts du côté espagnol sont présents et tentent de les stopper par des tirs de balles en
caoutchouc et de gaz lacrymogène. Certains ne s’arrêtent pas et escaladent le second grillage.
Une fois du côté espagnol, ils se bagarrent avec la Guardia qui cherche à les maîtriser pour
éviter qu’ils aillent vers les habitations. Ceux restés accrochés sur le barbelé sont piétinés,
écrasés et, ne pouvant avancer, pleurent et poussent des cris de détresse. D’autres sont
bloqués entre les deux grillages et ne peuvent ni avancer ni rentrer du côté marocain. La
bagarre entre les camarades robustes et la garde espagnole est rude. Les plus malins ou
chanceux s’échappent et se faufilent directement en ville pour s’y cacher. Ceux qui sont
accidentés ou bloqués par les deux grillages sont asphyxiés par les gaz, perdent connaissance
et plusieurs d’eux vomissent le sang.
Du côté marocain, les habitants des zones environnantes sortent des maisons et regardent le
spectacle. La scène est effrayante, horrible à voir. Beaucoup de camarades se font tirer des
balles de caoutchouc en plein visage. Bras ou jambes cassés, ils sont à bout de force et ne
peuvent que crier au secours. La Guardia prend le dessus, les équipes de renfort sont triplées.
Elles neutralisent beaucoup de ceux qui ont réussi à traverser les grillages sans pouvoir
s’échapper. On entend un vacarme assourdissant, des hurlements de douleur, des coups de
feu et les cris des gens devant leurs maisons qui regardent ce spectacle.
Les gardes auxiliaires marocains, eux, tentent d’arrêter les camarades restés de leur coté, mais
ces derniers se dispersent et arrivent à se sauver dans la forêt. Fabien et Charly s’étaient
éclipsés, au signal de l’assaut, de peur de se faire violenter par la Guardia. Un bon nombre de
camarades avaient, eux aussi, battu en retraite, en voyant les renforts arriver. Derrière les
buissons, ils observaient attentivement et avec patience pour savoir ce qu’on allait faire de leurs
frères accidentés au milieu des grillages. On voyait entre autres des cas critiques : ceux qui
s’étaient évanouis et qu’on croyait morts. Un camarade camerounais avait perdu un ?il en
recevant une balle qui l’avait aussitôt percé.
Selon les prévisions des chairmans, la tentative en force « Ho Ha » devait en principe se
passer en dix minutes, avant l’intervention des équipes de renfort de la Guardia civil. Mais
malheureusement elle avait duré plus que prévu, près d’une demi-heure. La garde espagnole
avait été quadruplée, imposant ainsi une résistance farouche aux camarades. Une équipe
médicale arriva avec des ambulances pour transporter les cas les plus critiques. Tous les
camarades qui se trouvaient au milieu des grillages furent séparés en deux groupes par la
Guardia, sans souci de l’état de certains accidentés. Un groupe, au choix du chef de la Guardia,
se fait expulsé immédiatement du côté marocain, après une entente entre les deux parties.
Arrivé devant la gendarmerie et les gardes auxiliaires, le groupe est matraqué, molesté et
embarqué directement dans des camions. Stupéfiés, Fabien et ses compagnons retournent en
forêt et cherchent refuge dans un nouvel endroit bien éloigné des ghettos pour passer
prudemment les trois jours suivants.
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