LA LANGUE EN ANGLETERRE

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LA LANGUE EN ANGLETERRE
Il y a 150 ans…
LE STATUT DE LA LANGUE DU
CANADA À L’ÉPOQUE DE LA
CONFÉDÉRATION
À la veille de la Confédération, la reine
Victoria, souveraine du Canada, avait le
français pour langue officielle et
patrimoniale
Pour nous qui vivons sous une constitution où la reine
d’Angleterre est le chef de l’État, il peut être éclairant, et même
utile, de comprendre l’évolution et le statut de la langue française
dans ce royaume.
Pendant des siècles, la langue française a été la langue
d’usage du roi et de ses barons, la langue aussi du Parlement de
Westminster et de l’administration de la justice. Le déclin de cette
langue s’est fait graduellement, sur plusieurs siècles, et non d’un
seul trait comme on est souvent porté à penser.
Sur le plan judiciaire, le français était bien établi et n’a
décliné que fort lentement, sur une période de près de quatre siècles.
Ce déclin a commencé en 1362 suite à l’adoption d’un statut par le
Parlement de Westminster qui autorisait les justiciables anglais à
s’adresser au tribunal dans leur langue maternelle. Ce revirement
témoignait de l’influence grandissante de la bourgeoisie anglaise et
de son rôle devenu prédominant dans les revenus du roi. Il s’agissait
d’une dérogation à la règle immémoriale qui avait fait du français la
langue du roi, de la justice, de la législation, de la jurisprudence et
de la doctrine ; mais le roi, qui venait de s’engager dans un long
conflit avec la France, devait se montrer conciliant avec sa riche
bourgeoisie.
Toutefois, malgré le nouveau statut de la langue anglaise
devant les tribunaux, les avocats interprèteront cette loi
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restrictivement et persisteront pendant des siècles à plaider en
français ; les juges à rendre leurs jugements en français ; et les
juristes à écrire leurs ouvrages dans cette langue. Quant aux
étudiants en droit, leurs professeurs insisteront pour qu’ils
continuent d’étudier le droit anglais en français, et ce, jusqu’au
premier tiers du XVIIIème siècle dans certains cas.
Sur le plan du pouvoir exécutif, le roi et ses barons
continueront à s’exprimer et à écrire en français jusqu’au XVème
siècle. Curieusement, c’est lorsque Henri IV – roi d’Angleterre –
deviendra régent de France suite au traité de Troyes de 1420, que
des notes et des dépêches échangées entre le roi et ses barons
apparaîtront graduellement en anglais.
Sur le plan législatif, la langue « française » remplacera le
« latin » dès le début du XIIIème siècle, puis demeurera la seule
langue de la législature jusqu’à l’élimination de la dynastie des
Plantegenêts par les Tudors en 1485. Sur la plan judiciaire, les
jugements du Banc du roi seront, dans certains recueils, publiés en
français jusqu’au début du XVIIIième siècle.
En ce qui a trait à la langue officielle et patrimoniale du
souverain, le remplacement de la dynastie des Plantegenêts au profit
des Tudors ne changera en rien le statut du français. Tout au long de
l’histoire de la monarchie anglaise, depuis les premiers rois
normands, il avait toujours été établi que le souverain était en titre
« roi des Anglais » ou « roi d’Angleterre », évitant continuellement
de le nationaliser en lui octroyant le statut de « roi anglais ». Tout au
cours de la dynastie des Plantegenêts, de 1152 à 1485, les
souverains continueront, sans interruption, à porter le titre de « roi
des Anglais ». De la sorte, la langue patrimoniale de la monarchie
anglaise demeurera le français, fait qui ne sera jamais remis en
question par le patriotisme ou le nationalisme des Anglais.
Quant aux Tudors, bien qu’Anglais de naissance et de langue
maternelle anglaise, ils ne vont rien changer à cette tradition qui
distinguait la royauté de la nation. En fait, la royauté, en Angleterre,
ne sera jamais « nationalisée » et le français continuera à être la
langue officielle et patrimoniale de la monarchie.
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De sorte que, tout au cours de l’histoire législative de
l’Angleterre, jamais un roi ne donnera sa sanction à un projet de loi
dans une autre langue que le français. Encore aujourd’hui, la reine
Élisabeth est tenue de donner son assentiment aux projets de lois qui
lui sont soumis dans sa langue patrimoniale : le français. Une
sanction donnée par mégarde en anglais serait tenue pour
inconstitutionnelle et nulle de nullité absolue. Le Parlement de
Westminster, qui a plusieurs fois légiféré sur la langue, n’a jamais
jugé opportun d’intervenir pour réformer de quelque façon le statut
de la langue du souverain. La même remarque s’applique aux
armoiries du souverain en tant que roi d’Angleterre, elles aussi en
français.
Au cours de l’histoire du Canada, nos zanglais ont souvent
tenté de justifier l’usage de l’anglais en prétendant que le respect de
la langue du roi et de l’Empire s’imposait par la force des choses. Il
aurait été plus précis, plus juste, et plus direct de dire que les
Canadiens devaient « s’incliner et se soumettre » à l’usage de la
langue anglaise par respect pour la « dignité coloniale » de ses
immigrants venus des îles britanniques : le simple fait d’une petite
croisière jusqu’ici leur aurait conféré, faut-il comprendre, un statut
résultant de leur éminence, les propulsant ainsi au-delà même des
lois du Canada !
Sur la plan légal, il nous faut le rappeler, le français est
devenu langue officielle du Canada en vertu le l’Ordonnance de
Villers-Cotterêts mise en vigueur sur le territoire de la NouvelleFrance en 1663, ordonnance qui a été oubliée, mais jamais abrogée
depuis.
Christian Néron
Membre du Barreau du Québec,
Constitutionnaliste,
Historien du droit et des institutions.