Mickey Baker - JUKEBOX MAGAZINE

Transcription

Mickey Baker - JUKEBOX MAGAZINE
A
l’occasion de la réédition de l’album
« Take A Look Inside » et de la parution
de « The Real Folk Blues », concert inédit
à Montreux en 1973, Mickey Baker a quitté Toulouse pour Paris et répondre à nos questions. Ce
soir-là, le 20 février 2006, il a même joué un peu
de guitare sur scène pour le lancement de la série
Maison de blues. Pas une occasion choisie au hasard car, même si lui ne se définit pas comme un
pur bluesman, il a beaucoup contribué à la popularisation de ce style de ce côté de l’Atlantique,
en accompagnant notamment Memphis Slim
pour le LP produit par Lee Hallyday en 1964,
« Clap Your Hands », et Champion Jack Dupree
sur disque, en concert et à la télé, ainsi à Bouton
Rouge les 27 janvier et 23 mars 1968. De son vrai
nom McHouston Baker, Mickey est né le 15 octobre 1925 à Louisville, Kentucky. Après une enfance plutôt difficile, en partie élevé dans un orphelinat, il part à New York dès qu’il en a l’occasion, en 1941. Il y vit de petits boulots voire d’expédients. Flirtant avec la délinquance, il se rend
souvent à l’Apollo pour écouter du jazz et a une
illumination lorsqu’il s’aperçoit que la gent féminine craque pour les musiciens. Il n’a alors plus
qu’une idée en tête, quitter son univers d’apprenti
criminel pour devenir guitariste. On est en 1945
et, coup de chance, il s’avère être un virtuose.
EN FRANCE
- Juke Box Magazine : Pour quelle raison êtesvous venu en France ? Il y a deux théories, le racisme mais aussi l’amour.
- Mickey Baker : Les deux ! Je suis tombé
amoureux d’une Française, mais elle ne savait
pas du tout que j’étais épris d’elle. Ce n’est que
lorsque je me suis installé ici qu’elle s’en est rendue compte. Mais le racisme a aussi beaucoup
compté. Il y a plein de choses en fait. Joséphine
Baker a fait un succès énorme en France dans
les années 30 et j’ai décidé – je devais avoir 11
ans, parce que j’avais entendu parler d’elle à la
radio – qu’un jour j’irai à Paris. On parlait de sa
gloire et je n’avais plus que cette idée, venir ici
pour faire comme elle ! C’est ma première impression de la France. Des années plus tard, j’ai
fait la connaissance d’une Française qui travaillait aux Etats-Unis, j’en suis devenu amoureux et c’est devenu une sorte d’obsession. Je
voulais aller à Paris pour la séduire. Entre-temps
il y a eu plein de choses qui m’ont poussé dans
cette voie-là.
L’Amérique est un pays raciste. Ça l’était déjà
dans les années 50 et ça l’est encore, il suffit de
regarder ce qui s’est passé à la Nouvelle-Orléans
fin 2005, le président George W. Bush n’a rien fait
pour les Noirs. A mon époque c’était encore pire.
J’ai eu un gros tube dans la seconde moitié des
années 50 et, le racisme, je me le suis pris en
pleine figure ! Peut-être que dans cent ans ça
sera mieux, mais je n’en suis pas sûr. Je jouais
souvent dans des états du Sud. Je me souviendrai toujours de ce concert à Augusta, Géorgie :
impossible de trouver un hôtel qui m’accepte.
Tout ce que l’on m’offrait c’étaient des chambres
chez des personnes venues à mon spectacle. Le
chauffeur de taxi ne connaissait aucun hôtel qui
puisse m’accueillir, tout ce qu’il me proposait
c’était de me conduire chez des amis à lui qui
étaient venus me voir jouer. J’ai dû coucher dans
un hôtel borgne, avec les pauvres et les prostituées, j’avais quand même 5 000 dollars dans ma
poche ! Qu’est-ce que ça veut dire de toucher
une telle somme dans un pays qui refuse de te
louer une chambre ? C’était à l’époque de Mickey & Sylvia, en 1957-58 et, dès lors, je me suis
organisé pour quitter les USA. Je n’avais plus
que ce but, me barrer. Heureusement, la situation n’était pas toujours aussi extrême qu’en
Géorgie. Dans de nombreuses autres villes il y
avait toujours un quartier noir et un hôtel pour
m’héberger. Avant Mickey & Sylvia, j’étais un
musicien de studio connu, Mickey Baker ou plus
exactement McHouston Baker. Par contre,
quand j’ai commencé à enregistrer avec Sylvia,
ma première période a été complètement effacée, on ne parlait plus que de Mickey & Sylvia. Je
gagnais beaucoup d’argent, mais cela ne me
correspondait pas complètement. C’est la troisième raison qui m’a fait partir des Etats-Unis, je
56
Peu connu du grand public, Mickey Baker est pourtant
une légende du rock. Une signature que l’on remarque au
dos des pochettes et qui devient rapidement une
obsession. Musicien de studio, il a également assumé
plusieurs disques sous son nom et en duo avec Sylvia
(Mickey & Sylvia), ainsi que des méthodes de guitare. Ces
trois activités se confondent, notamment en France. Né
aux Etats-Unis, il choisit de s’installer ici en 1962. Vite
adopté, il enchaîne les séances en parallèle à sa
carrière. Et la liste de ses collaborations est si
incroyable qu’il est difficile d’en venir à bout. Sa période
américaine le voit accompagner Ray Charles, Louis
Jordan, Jimmy Scott, Screaming Jay Hawkins, Ike & Tina
Turner et les Coasters. En France il joue pour Billy
Bridge, Sylvie Vartan, Ronnie Bird, Eric Charden, Chantal
Goya (on le voit dans «Masculin-Féminin»), Gillian Hills...
Côté palmarès personnel, son énorme tube de 1957, «Love
Is Strange », est repris par Buddy Holly, Wings, Herb
Alpert ou Kenny Rogers et illustre des B.O.F. telles
« Deep Throat » (« Gorge Profonde ») ou « Dirty Dancing ».
voulais me retrouver en tant que Mickey Baker.
J’en avais marre de n’être réduit qu’à la moitié
d’un duo ! Quand j’ai quitté les USA, j’étais une
grande vedette. D’ailleurs tout le monde pensait
que j’allais revenir au bout de quelque temps. Tu
ne parles déjà pas très bien anglais, comment
crois-tu que tu puisses apprendre le français !?
Voilà ce que me disaient mes proches. Je m’en
foutais, je suis parti ! Durant longtemps on m’a répété : Tu ne peux pas rester là-bas ! Bah si, ça fait
plus de quarante quatre ans que je vis en France !
MICKEY & MONIQUE
- Quand vous arrivez à Paris, vous connaissez
des gens ?
- Oh oui, cette fille justement.
- Monique, avec laquelle vous allez enregistrer ?
- Oui, elle était mariée avec un ingénieur du son
aux USA, mais elle avait décidé de revenir en
France. Elle m’avait écrit en me disant qu’elle
avait entendu parler de moi et elle voulait que je
travaille pour elle. J’ai sauté sur l’occasion, je lui
ai répondu : C’est moi qui vais venir chez toi !
Quand je suis arrivé, j’ai vécu chez elle avec son
mari, je suis resté deux semaines. Ensuite j’ai
trouvé un petit appartement, toujours grâce à elle,
dans le 16e arrondissement. J’ai commencé à
faire mon numéro et voilà. [Mickey oublie de préciser que sa femme, Barbara Baker, une ItaloAméricaine née dans le Queens, est éditrice, et
que bien évidemment elle le suit à Paris. Elle n’a
aucun problème pour trouver un emploi, d’abord
chez Decca – d’où la connexion avec Ronnie Bird
– puis chez DiscAZ.]
- C’est la Monique avec laquelle vous réalisez
des 45 tours sous le nom de Mickey & Monique?
- Oui. Très souvent j’adaptais les chansons de
Mickey & Sylvia et je les traduisais, enfin pas moi
directement car je ne parlais pas encore français.
Mais au moins j’avais de la matière première disponible immédiatement. En 1963, j’enregistre