Le rapport ambivalent à la violence des « ultras » français

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Le rapport ambivalent à la violence des « ultras » français
Le rapport ambivalent à la violence des « ultras » français
Nicolas Hourcade
Professeur agrégé de sciences sociales
Ecole Centrale de Lyon
La mort d’un supporter à Paris en novembre 2006 puis celle d’un policier à Catane en
février 2007 ont suscité des réactions similaires. Le grand public, les médias, les autorités
sportives et politiques ont massivement affirmé qu’il fallait éloigner les voyous des stades en
renforçant la répression. Quant aux groupes de jeunes supporters animant les virages des
stades, s’ils ont regretté ces décès, ils ont surtout protesté contre les amalgames effectués
entre ultras et hooligans ainsi que contre la répression selon eux excessive et abusive.
En écoutant ces discours, l’observateur a souvent le sentiment de ne pas savoir de quoi il est
question. Le hooliganisme est un terme courant, particulièrement depuis le drame du Heysel,
mais il est loin d’être clairement défini. De même, les termes ultras et hooligans sont souvent
présentés comme distincts : pourtant, les réalités qu’ils désignent sont rarement précisées et
manifestement les divers acteurs comprennent ces mots différemment.
Cette communication s’efforce d’abord de clarifier ces termes. Puis le regard est porté sur un
type de supporters ayant recours à la violence, les ultras, dans un pays, la France, où ce style
de supportérisme est très développé. L’analyse du rapport ambivalent des ultras à la violence
conduit enfin à s’interroger sur les modalités de lutte contre les incidents autour des stades. Ce
colloque rassemblant chercheurs, praticiens et décideurs, ce texte s’éloigne des canons
universitaires. Ainsi, les références (limitées de surcroît à quelques textes en langue française)
sont concentrées dans la bibliographie et le matériau (observations, entretiens, documents) tiré
de mes enquêtes menées dans plusieurs villes françaises et européennes depuis une quinzaine
d’années apparaît peu directement, l’analyse étant privilégiée.
I. Hooligans, ultras, violences
1. Hooligan, une catégorie sociale confuse
Pour étudier les violences des supporters, il importe d’abord de définir les termes
employés. Déjà, qu’entend-on par hooligan ? De prime abord, ça paraît clair : le hooliganisme
désigne les violences physiques ou les dégradations de biens commises à l’occasion d’un
match, dans le stade, aux alentours ou sur le chemin. Ce terme est néanmoins confus.
D’abord, il est souvent appliqué à tout incident dans un stade, même aux catastrophes comme
celles de Sheffield en 1989 ou de Furiani en 1992 où il n’y eut pourtant aucune violence
physique délibérée. De même, certains comportements ne relevant ni de l’agression aux
personnes, ni du vandalisme sont rattachés au hooliganisme. Dans le cas de la violence
verbale, c’est compréhensible puisqu’elle est souvent un préalable au passage à l’acte.
Cependant, les insultes et les attitudes outrancières sont fréquentes dans les stades. Est-il
légitime de toutes les associer au hooliganisme ? Est-ce qu’exprimer des idées racistes dans
un stade sans jamais être physiquement violent, c’est du hooliganisme ? Plus largement, tout
transgresseur d’une loi relative aux événements sportifs tend à être catalogué comme
hooligan. Or ces lois rassemblent des comportements prohibés dont le seul point commun est
d’être reliés à une manifestation sportive. Des actes de nature et de gravité très diverses sont
ainsi amalgamés. L’entrée dans le stade en état d’ébriété, la revente de billets au marché noir
ou l’allumage festif de fumigènes sont régulièrement présentés comme des faits de
hooliganisme au même titre que des violences physiques, des outrages à agents de la force
publique ou des jets de projectiles.
Même quand des violences physiques et leur lien avec un événement sportif sont établis,
l’usage du terme hooligan demeure complexe. S’applique-t-il à toute personne ayant été
violente une fois dans un stade ? A tout membre d’un groupe de supporters régulièrement
violent, même s’il ne s’engage pas personnellement dans les incidents ? Lorsque des
violences surviennent autour des matches de football, ceux qui y sont impliqués sont
généralement présentés comme des hooligans. Ce fut par exemple le cas des agresseurs
allemands du gendarme Nivel (grièvement blessé à Lens lors du Mondial 1998). L’un d’entre
eux s’est pourtant défendu d’être un hooligan. Au-delà d’une stratégie de défense, il voulait
dire qu’il n’appartenait pas à un groupe se considérant comme hooligan. Il avait des amis dans
de tels groupes, il était allé à Lens avec eux et s’était, selon lui, laissé porter par les
événements, mais il ne se définissait pas comme hooligan, contrairement à d’autres qui
revendiquent ce qualificatif.
2. Différentes formes de violence
Pour y voir plus clair, il convient de distinguer plusieurs formes de violence. De
nombreux chercheurs (par exemple, Van Limbergen, 1992) différencient les violences
spontanée et préméditée. La violence spontanée advient de manière subite et imprévue. Elle
est provoquée par une défaite, une erreur d’arbitrage, les provocations verbales des supporters
adverses, la rencontre fortuite de fans ennemis aux alentours du stade… Elle existe depuis les
débuts du football et s’exprime dans de nombreux sports. A cette violence spontanée qui
perdure s’ajoute et se combine, depuis les années 1960, d’abord autour du football anglais
puis dans toute l’Europe, une violence préméditée. Celle-ci est portée par des groupes qui
vont au stade avec l’idée qu’ils peuvent se battre et qui, éventuellement, organisent ces
violences. Les incidents autour des stades de football professionnel européens (il n’en va pas
de même dans le monde amateur) sont essentiellement causés par des groupes de supporters
qui pratiquent une violence préméditée.
Au-delà de la planification plus ou moins forte des affrontements par les protagonistes, les
formes d’une telle violence préméditée peuvent être diverses. Le drame de PSG-Tel Aviv en
offre un bon exemple. Le tir du policier qui a causé la mort de Julien Quemener fait suite à
une tentative de lynchage d’un supporter adverse isolé par un groupe de fans parisiens, dont
certains avaient vraisemblablement des motivations racistes. Or, les autoproclamés hooligans
parisiens qui se sont exprimés dans les médias les jours suivants ont présenté leur violence
comme opposant des groupes d’individus consentants et en nombre équivalent, ce qui est bien
différent. Ceux qui fréquentent la tribune Boulogne du Parc des Princes le font pour des
motivations variées (l’amour du PSG, le goût pour l’ambiance de cette tribune, la violence, la
possibilité d’exprimer des idées politiques extrémistes…). Certains recherchent avant tout la
violence et méprisent ceux qui s’adonnent au lynchage. D’autres viennent essentiellement là
pour exprimer, parfois par l’agression physique, leur hostilité aux « racailles » et aux
immigrés. Et ces deux populations (les violents et les politisés) se recouvrent partiellement.
Il existe donc, parmi ceux qui ont recours à la violence préméditée, des divergences dans les
formes de cette violence, dans sa fréquence et dans les logiques du passage à l’acte. Certains
groupes, explicitement axés sur la violence, assument l’étiquette de hooligans. D’autres la
pratiquent plus occasionnellement et refusent d’être considérés comme des hooligans. Nous le
verrons, en France, le comportement de ceux qui se disent ultras n’est pas celui de ceux qui se
proclament hooligans. En Angleterre, de nombreux fans ne rechignent pas à faire le coup de
poing si l’occasion se présente, mais ne s’engagent pas pour autant dans les firms rassemblant
les spécialistes de la violence.
3. Partir des catégories « indigènes »
Les termes « ultras » et « hooligans » sont à la fois des catégories de sens commun
appliquées par la collectivité à des individus et à des groupes (souvent comme stigmate) et des
catégories « indigènes », c’est-à-dire que des individus et des groupes se définissent euxmêmes comme ultras ou hooligans. Les catégories communes sont floues, nous l’avons vu
pour ce qui est du hooliganisme. La notion d’ultras est également employée de manière
fluctuante : elle désigne tantôt tous les supporters violents, tantôt tous les supporters des
« kops » (les tribunes rassemblant les supporters les plus engagés dans le soutien à l’équipe),
tantôt des supporters actifs et virulents mais différents des hooligans… En revanche, les
catégories indigènes sont stables et claires. Dans toute l’Europe, les supporters des kops
utilisent les mêmes modèles et les mêmes cadres d’interprétation. Ils distinguent notamment
trois catégories de supporters actifs. Premièrement, les fans non violents. Deuxièmement, les
supporters démonstratifs acceptant le recours à la violence, en particulier les ultras.
Troisièmement, les spécialistes de la violence qui viennent au stade essentiellement pour se
battre et qui se donnent des noms différents selon les pays et les époques (hools, casuals,
siders, indépendants, cani sciolti…).
Dans cette communication, les termes ultras et hooligans sont utilisés comme des catégories
indigènes, dont il s’agit de mettre en évidence le contenu et d’interroger la pertinence. Ainsi,
ces mots ont un sens précis. De même, il paraît préférable de parler, comme T. Busset (2002),
de violences ou de supportérisme violent plutôt que de hooliganisme puisque cette notion
charrie des représentations sociales souvent erronées ou floues.
II. Les ultras français
1. Ultras et hooligans
Sous certains aspects, ultras et hooligans français se ressemblent. Ils touchent la même
population : principalement des jeunes hommes de 16 à 30 ans issus des catégories populaires
et moyennes. Ils s’opposent aux associations officielles de supporters très liées aux dirigeants
des clubs. Contrairement à ces dernières, leur conception du football n’est pas consensuelle
mais conflictuelle. Ils ont recours à la provocation et à la violence et refusent la morale selon
eux hypocrite du fair-play. Ils sont aussi contestataires : ils n’hésitent pas à remettre en cause
les joueurs et dirigeants de leur club. De plus, ils se passionnent au moins autant pour leurs
activités de supporters que pour le football. Enfin, ils sont apparus en France de manière
concomitante, à une époque, le milieu des années 1980, où, du fait du drame du Heysel, la
violence autour des matches de football devenait un problème social.
Au-delà de ces points communs, les logiques des ultras et des hooligans se distinguent
nettement. La pratique des hooligans est centrée sur la violence : essentiellement préoccupés
par la recherche de l’affrontement avec les hooligans adverses ou avec la police, ils
s’investissent peu dans l’ambiance et dans la vie du club. Au contraire, les ultras s’engagent
fortement dans le soutien à l’équipe ; ils cherchent également à jouer un rôle au sein de leur
club et donc à nouer des relations avec les dirigeants. Si les ultras ont parfois recours à la
violence, ils ne se focalisent pas sur elle, ils ne la recherchent pas à tout prix : elle ne constitue
pour eux qu’un moyen d’action parmi d’autres. Tandis que les hooligans forment des bandes
informelles cultivant le secret, les groupes ultras sont structurés et adoptent généralement une
forme associative : les membres paient une cotisation annuelle, un bureau directeur régit les
activités, des porte-parole interviennent dans les médias. Alors que les hooligans assument
l’étiquette de « mauvais garçons », les ultras jouent sur plusieurs registres : ils veulent être
reconnus comme des interlocuteurs respectables tout en demeurant « rebelles ».
Selon une idée répandue, la différence principale résiderait dans la moindre violence des
ultras par rapport aux hooligans. En fait, la différence entre ultras et hooligans n’est pas
quantitative, elle est qualitative. Les pratiques et logiques des ultras et celles des hooligans ne
sont pas identiques. Elles ont certes des aspects similaires mais elles ont aussi des dimensions
distinctes, ce qui se traduit dans leurs modes d’organisation, leurs types de participation au
spectacle, leurs relations avec le monde du football ou encore leur manière d’appréhender la
violence. Les ultras forment des associations engagées dans la vie du club, acceptant
occasionnellement la violence. Les hooligans constituent eux des bandes informelles centrées
sur la violence et ne cherchant guère à avoir de rapports avec les dirigeants. Dès lors, les
ultras sont, en général, moins violents que les hooligans. Cela dit, les groupes ultras sont plus
ou moins portés sur la violence. Certains ne se battent quasiment jamais. D’autres sont
extrêmement violents, comme les ultras de l’ex-Yougoslavie. Et quelques groupes européens
(quasiment aucun en France) tentent de marier les deux modèles. En tout cas, cette distinction
analytique des ultras et des hooligans ne conduit ni à tracer des frontières entre les individus
ou les groupes, ni à les classer dans telle ou telle case. Le modèle ultra et le modèle hooligan
sont deux pôles du supportérisme, deux idéaux-types, dont tel individu ou tel groupe se
rapproche plus ou moins.
2. Un mouvement ultra français de masse
En France, la tendance hooligan ne s’est guère affirmée en dehors de Paris où le
contingent de hools du PSG varie, selon les périodes et l’importance des matches, entre 50 et
400 unités. Ailleurs (à Lille, Lyon, Metz, Nancy, Nantes, Strasbourg ou Toulouse), seuls
quelques groupes peu étoffés (20 à 50 personnes) revendiquent leur appartenance à la
mouvance hooligan. Ainsi, hors de Paris, le phénomène hooligan est bien moins présent que
dans les autres pays d’Europe (particulièrement du Nord et de l’Est).
En revanche, les groupes ultras ont réussi à s’implanter dans les kops français en mettant en
avant les dimensions de leurs pratiques valorisées par le monde du football (le soutien apporté
à l’équipe ou l’organisation d’animations – les fameux tifos colorant les virages à l’entrée des
joueurs), en montrant qu’ils pouvaient être des interlocuteurs crédibles, en limitant ou en
rendant moins visible leur violence, en n’exprimant plus ouvertement d’idées d’extrême
droite voire en affichant leur antiracisme, et en se démarquant des hooligans. Quasiment tous
les clubs professionnels comptent un ou plusieurs groupes s’inspirant du modèle ultra ;
d’ailleurs, ce sont généralement eux qui mènent l’ambiance. En 2003, Gérard Rousselot, alors
président de la commission de sécurité et d’animation des stades, affirmait : « Aujourd’hui, à
85 %, ce sont les groupes ultras qui font vivre les stades » (Libération, 17/2). Les effectifs de
ces groupes varient, en fonction du club soutenu (de sa popularité, de son histoire, de ses
résultats actuels, de la taille de l’agglomération, des avantages que les dirigeants du club
accordent aux groupes de supporters), de quelques dizaines à des milliers d’adhérents. Ainsi,
les ultras sont devenus le pôle le plus actif du supportérisme français.
3. Des ultras structurellement ambivalents
Habitués à distinguer les bons des mauvais supporters, les observateurs sont souvent
perplexes face aux ultras. En fait, selon les critères socialement dominants, les ultras sont
bons et mauvais. Non seulement ils en sont conscients, mais ils cherchent à faire tenir
ensemble ces différents registres : ils sont structurellement ambivalents. Ils se comportent de
manière « chaotique », comme des fanatiques, et ordonnée, encadrée par les meneurs. Ils
abusent parfois de l’alcool et de la drogue, et ils aiment être vus comme des individus
réfléchis capables de défendre de manière argumentée leur point de vue. Ils expriment leur
haine de l’adversaire, sont violents, et ils s’organisent en associations au point de mener
parfois des actions sociales (pour les sans-abri, les enfants malades…). Ils se présentent
comme les supporters les plus fidèles, et ils manifestent violemment leur colère en cas de
mauvais résultats récurrents. Ils aiment utiliser la parodie pour dénigrer leurs adversaires, ils
se moquent parfois d’eux-mêmes, mais ils considèrent leur engagement de supporter comme
très sérieux et n’ont pas toujours de distance critique à leur rôle d’ultra. Ils se veulent
anticonformistes et le sont parfois de manière stéréotypée. Ils souhaitent être reconnus
socialement, mais ils craignent d’être « récupérés par le système ». Les ultras sont tiraillés
entre rébellion et institutionnalisation, radicalisation et responsabilisation.
III. Violences ultras et prévention
1. Un discours mouvant et ambigu sur la violence
Contrairement aux hooligans qui assument leur penchant pour la violence (mais qui
répugnent à avouer qu’ils ne respectent pas toujours leur code d’honneur), les ultras sont mal
à l’aise par rapport à elle. Comme le confie l’un d’entre eux, ils savent que c’est leur « point
faible », que ça peut les discréditer. Par conséquent, leur discours sur la violence est fluctuant.
A l’extérieur de leur monde, ils s’efforcent de la masquer ou de la minimiser et ils insistent
sur les autres aspects de leurs pratiques. Ils affirment, ce qui est d’ailleurs vrai, que leur
violence est amplifiée et exagérément dénoncée par rapport à des violences s’exprimant dans
d’autres sphères sociales, qu’elle représente une part infime de leurs activités, qu’elle ne
concerne qu’une petite partie des membres. Le derby le plus tendu de France, celui entre Lyon
et Saint-Étienne, mobilise dans chaque camp au grand maximum 150 individus souhaitant en
découdre, ce qui est peu par rapport aux milliers d’adhérents des groupes ultras de ces deux
clubs. Si les ultras sont prompts à dénoncer les prétendus errements de la police, les
provocations des supporters adverses ou le système social (« s’il y a de la violence autour des
stades, c’est parce que la société est violente »), ils ont plus de mal à admettre leurs propres
responsabilités. Pourtant, la violence découle des valeurs qu’ils prônent puisqu’ils mettent en
avant leur extrémisme, leur honneur, leur réputation et qu’ils sont en compétition les uns avec
les autres. De fait, à l’intérieur du monde ultra, ils assument la violence. Même des groupes
jamais mêlés à des incidents ne la récusent pas et affirment qu’ils sauront se défendre s’ils
sont attaqués. Comme l’explique un ultra : « si vous enlevez complètement la violence, vous
n’êtes plus ultra. »
« Pour autant, ajoute-t-il, ça ne veut pas dire faire n’importe quoi ». Quand ils finissent par
admettre qu’ils ont parfois recours à la violence, les ultras tentent de la présenter comme
acceptable. Ils expliquent qu’ils ne la recherchent pas, qu’ils ne font que répondre à des
provocations. Les hooligans prennent plaisir à raconter comment ils créent des incidents. Les
ultras prétendent que la violence vient à eux, certains affirmant même qu’ils aimeraient mieux
ne pas se battre mais qu’ils sont obligés de passer par là pour se faire respecter. Ils soulignent
aussi que cette violence est librement consentie (elle n’implique que des ultras et des
hooligans et ne touche donc pas – en théorie du moins – les autres amateurs de football) et
qu’elle suit certains codes censés éviter des blessures graves aux protagonistes.
Pour autant, tous ne sont pas sur la même longueur d’ondes. La violence doit-elle être
planifiée ou demeurer fortuite ? Doit-elle être un objectif ou faut-il s’efforcer de la limiter ?
Suite à la mort de Julien Quemener et aux mesures répressives qui en ont découlé, plusieurs
responsables ultras ont manifesté leur souhait de canaliser leurs troupes et de modérer les
débordements. Parallèlement, les affrontements organisés entre petits groupes se développent
et d’anciens ultras forment des firms dont certaines s’adonnent à une violence complètement
dérégulée. Les rapports entre ultras et hooligans sont également une source de débats et
d’ambiguïtés. S’ils refusent d’être amalgamés aux hooligans, les ultras ont parfois du mal à
prendre leurs distances avec ceux de leur club. Parce qu’ils ne veulent pas stigmatiser une
catégorie de supporters de la même manière qu’eux sont stigmatisés par le grand public. Parce
qu’ils apprécient, en cas d’incidents, de pouvoir compter sur « leurs » hooligans. Et parce
qu’ils ont parfois peur de s’opposer à des bandes qui, dans certaines villes, ont un pouvoir de
nuisance.
Au final, la place de la violence dans le monde ultra est paradoxale. Elle est marginale, dans
la mesure où elle ne concerne qu’une minorité de membres et où elle est rare. Pourtant, elle
est centrale en ce sens qu’elle est la valeur ultime, ce qui permet de trancher les différents et
de tester la solidarité du groupe.
2. Une violence canalisée ou exacerbée ?
Les meneurs ultras affirment qu’ils évitent à des jeunes de sombrer dans la
délinquance et qu’ils sont un rempart à une violence plus dure. Les groupes ultras attireraient
des jeunes tentés par la violence, ils leur permettraient parfois d’exprimer cette agressivité
mais en la contrôlant largement. A en croire les responsables, une dissolution de leur groupe
conduirait les éléments les plus durs à former des firms de hooligans et ferait augmenter la
violence. Il y a du vrai dans cet argumentaire. En Italie, quand certains grands groupes ultras
sont devenus trop aseptisés aux yeux d’une partie des jeunes supporters, des groupuscules
plus virulents se sont développés et les incidents se sont sensiblement accrus. Par conséquent,
il y a sans doute plus à attendre de groupes ultras capables de canaliser leurs excès et de
maintenir le dialogue avec les autorités sans renier leur âme que d’associations qui perdraient
toute radicalité et risqueraient d’être débordées par des bandes extrêmement violentes. En
effet, les groupes ultras permettent à des jeunes de milieux différents de vivre des expériences
déviantes tout en leur offrant un cadre structuré par des règles et des valeurs fortes,
l’opportunité de mener des actions collectives et la possibilité d’entrer en relation avec
d’autres mondes sociaux. Mais les groupes ultras peuvent aussi exacerber la violence et
organiser des activités ouvertement délinquantes comme le deal de drogues ou le marché noir.
Pour que les groupes ultras jouent vraiment le rôle social qu’ils prétendent remplir, il faut
donc qu’ils se responsabilisent.
4. Responsabiliser les groupes de supporters
Les autorités ont tout intérêt à aider les groupes ultras à entrer dans cette voie de la
responsabilisation. En 2004, des groupes de travail sur le supportérisme, auxquels des ultras
ont participé, ont été mis en place par la LFP. Ils ont produit de nombreuses idées mais ont eu
peu d’impact sur le terrain. Cet échec a donné du grain à moudre à ceux qui prétendent que le
mouvement ultra n’a rien à attendre du dialogue avec les autorités et doit demeurer marginal.
Il n’existe pas de recette miracle contre la violence des supporters. En tout cas, la répression
seule n’a jamais marché. En Angleterre, des résultats probants ont été obtenus non pas tant
dans les années 1980 quand le gouvernement a déclaré la guerre aux hooligans, mais dans les
années 1990 quand le monde du football s’est complètement rénové. Il convient donc de jouer
sur plusieurs leviers. Proposer des infrastructures adaptées : la situation italienne témoigne des
effets néfastes de la vétusté des stades. Former les forces de l’ordre à la gestion de ces foules
particulières. Cibler la répression, en distinguant plus nettement les faits répréhensibles selon
leur gravité, en concevant bien les textes de lois et en les appliquant vraiment. Recourir à des
dispositifs de prévention sociale à long terme, comme les Belges le font avec le fan coaching
ou les Allemands avec les fan projekte. Ce qui implique notamment de dialoguer avec les
associations de supporters, afin de désamorcer certaines tensions et de faire des supporters des
partenaires avec des droits et des devoirs. Marier ainsi répression et modalités diverses de
prévention devrait aider les ultras à limiter leurs violences et encourager les jeunes supporters
à rejoindre ces groupes plutôt qu’à former des bandes de hooligans.
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