Les révolutionnaires français du high-tech
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Les révolutionnaires français du high-tech
ction des inventeurs français Gâchis. Le génial concepteur de la carte à puce vient de disparaître. Il est l’un des rares à avoir décroché le jackpot. Pourquoi ? par GUILLAUME GRALLET A t-on frappé à la bonne porte ? Un homme ébouriffé répond. Sur un porte-manteau, le gilet serpillière offerte par Anémone à Thierry Lhermitte dans « Le père Noël est une ordure ». Puis, tout à coup, en ce matin de 2003, les mains potelées s’agitent pour décrire « Indécidables », un site Internet qui promet de retrouver son jumeau virtuel. Pas question de prendre notre interlocuteur pour un rigolo : Roland Moreno, invétéré défenseur de la carte à puce, a joué un rôle clé dans la naissance de Gemplus et permis la création de 10 000 emplois. Pourtant, le sexagénaire attachant n’a pas bidouillé lui-même cette carte à puce en portant un masque de soudeur. La puce avait déjà été théorisée par deux ingénieurs allemands. Mais le mérite de cet opiniâtre a surtout été de déposer une flopée de brevets. Qui l’ont protégé des assauts de Philips, IBM ou Siemens. Tout comme il a eu raison, alors qu’on le regardait de haut, de faire dix ans durant le siège des banques et des télécoms, pour les convaincre de se doter ici de distributeurs spécialisés, là d’un réseau de cabines téléphoniques. Une intuition géniale qui a donné la vie à plusieurs milliards de cartes d’un nouveau genre (bancaires, Sim, Velib, Vitale…). Moreno a amassé une fortune estimée à 150 millions d’euros : joli succès, mais qui sonne creux a posteriori. D’abord parce que Steve Jobs a accumulé une fortune cinquante fois supérieure, alors que les utilisateurs d’Apple sont quarante fois moins nombreux. Et surtout parce que nous n’avons eu qu’un Moreno. Sur les vingt plus grosses entreprises américaines, six, toutes dans le secteur électronique, ont été créées il y a moins de quarante ans. En France… aucune ! Sur les vingt plus grosses entreprises américaines, six, toutes dans le secteur électronique, ont été créées il y a moins de quarante ans. En France… aucune ! « La recherche, c’est de l’argent transformé en connaissances. L’innovation, ce sont des connaissances transformées en argent », résume le chercheur en innovation André-Yves Portnoff. La France se distingue par ses têtes bien faites, mais est allergique aux idées iconoclastes. Combien de personnes savent que le premier micro-ordinateur commercialisé était… français ? Il a été mis au point par François Gernelle, un électronicien de l’équipe d’André Truong, à la tête de la PME parisienne R2E. Et cela dès 1973, soit onze ans avant l’arrivée du Macintosh ! Vendu 8 500 francs, le Micral, qui tient sur un bureau, concurrence alors le PDP-8, un « mini-computer », pourtant quatre fois plus grand et vendu alors 45 000 francs par l’américain Digital Equipment. Bref, la France est en avance comme jamais ! Mais la firme, qui doit gérer une crise de crois- … 1971 Le datagramme Père fondateur. Louis Pouzin, chercheur, invente le datagramme, protocole majeur de l’Internet. 1973 Le Micral Précurseur. François Gernelle, le concepteur du Micral, premier micro-ordinateur du marché. 2000 L’écran LCD En avance. Le CEA Léti, à Grenoble, a joué un rôle décisif dans les écrans plats dès… les années 80. Le Point 2069 | 10 mai 2012 | 123 boccon-gibod/sipa - hamilton/réa - dr - bernhard classen/sipa Les révolutionnaires français du high-tech économie des entreprises… étrangères. Ainsi, Illustrator, logiciel phare de l’amé ricain Adobe (9 000 employés, 4,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires), doit beaucoup aux cour bes dessinées par Pierre Bézier, ex-Renault et pionnier de la concep tion assistée par ordinateur. IBM, de son côté, a su exploiter mieux que quiconque les travaux du Prix Nobel français Albert Fert, dans ses têtes de lecture sur PC. Des tra vaux réalisés pour l’essentiel dans un labo mixte CNRS-Thomson… Usurpés. Certes, la partie n’est pas finie. La France possède tou jours des talents. A l’instar de Parrot, fabricant de minidrones, pilotés par iPhone, l’entreprise de stockage LaCie, le pionnier de l’Internet des objets Withings ou encore le fabri cant d’objets électroniques Archos. Mais ce dernier n’avait-il pas lancé le Jukebox 6000, un lecteur MP3 avec disque dur, en 2000, un an avant l’iPod ? Le français, qui a frôlé la faillite il y a deux ans, refuse toute proposition de rachat afin d’éviter un destin à la DivX, un logiciel de compression de données conçu en 2001 par Jérôme Rota qui a atterri en 2010 chez l’américain Rovi. Centre mondial de l’informati que, pôles de compétitivité, grand emprunt… Depuis la publication du rapport Minc-Nora en 1977, la France a lancé plusieurs plans des tinés au numérique. Mais l’argent public n’est peut-être pas assez 2000 Le lecteur MP3 Autonome. Henri Crohas, PDG d’Archos, et le Jukebox 6000, premier baladeur MP3 à disque dur. 124 | 10 mai 2012 | Le Point 2069 Après le ratage du micro-ordinateur, le mépris des élites françaises a également empêché Internet d’être une invention… hexagonale. 2001 Le codec DivX Stockage. Jérôme Rota. L’ex-infographiste a inventé le format de compression vidéo DivX. focalisé. « Les pôles de compétitivité sont trop nombreux », expliquait-il y a quelques années Bernard Charlès, à la tête du champion Dassault Systèmes. Faudra-t-il un retour au système du plan pour fixer de nouvelles priorités ? Surtout, on a du mal à parier sur les petites structures, regardées comme une bizarrerie. En 2005, impressionné par la puissance que prend Google, Jacques Chirac tire la sonnette d’alarme : « Il nous faut un Google européen. » Ce sera Quaero. Pour le piloter, il a face à lui Fran çois Bourdoncle, un ingénieur hors pair qui a participé au développe ment d’Altavista, l’ancêtre de Goo gle, et qui, de nouveau en France, a mis au point l’ingénieux Exalead. Tant mieux, il a besoin d’argent ! Or, au lieu de mettre le paquet sur une start-up, on noie le projet dans un consortium où l’on croise France Télécom et Deutsche Telekom. Google n’a pas de souci à se faire. Trêve de pessimisme : jamais, dans l’Hexagone, on n’a créé autant de start-up… Peut-être est-il urgent de leur faire confiance. Et de répon dre aux priorités. Dans « Théorie du bordel ambiant », Moreno inter rogeait : « Après avoir écouté patiem ment le président américain lui parler de Microsoft, d’Internet […] ou le Pre mier ministre japonais lui parler de circuits intégrés, de mémoires et de Walkman, que peut lui répondre le di rigeant de la France ? » Une question posée… il y a plus de vingt ans § 2007 L’iPhone Référence. L’informaticien d’Apple Jean-Marie Hullot est le véritable inspirateur de l’iPhone. hamilton/réa - dr - afp- jean-paul guilloteau/express/réa - dr sance, atterrit en 1978 dans l’escarcelle de Bull qui… enterre le projet pour se convertir aux ordi nateurs IBM en 1982. « A l’époque, on faisait carrière dans les couloirs, et ce projet venu de nulle part dérangeait », se souvient Gernelle. Dommage, alors que Bull était censé faire rayon ner l’informatique française… Le mépris des élites a également empêché Internet d’être une inven tion… hexagonale. En 1971, le poly technicien Louis Pouzin met au point le datagramme, un protocole d’échanges d’informations par pa quets de données, le mode de com munication utilisé par Internet. Il présente son projet, « Cyclades », à Maurice Allègre, un haut fonction naire passionné. « J’ai déployé de grands efforts pour faire adopter le projet par la direction générale des télécommunications, se rappellera plus tard Allègre. Mais je me suis heurté à un mur. » Pourquoi ?« L’élite française n’a pas cru en la solution Pouzin, car elle ne savait pas comment facturer les communications », se sou vient le spécialiste de l’innovation Jean-Michel Billaut. « Nous aurions pu être parmi les pionniers du monde Internet », reconnaît aujourd’hui Allègre. D’ailleurs l’Américain Vint Cerf, qui a mis au point le protocole TCP/IP, reconnu comme le « père de l’Internet », ne cesse de rendre hommage aux travaux de Pouzin, sur lesquels il s’est appuyé… D’ailleurs, trop souvent, le pro duit de nos cerveaux fait le bonheur …