Courbe pression–volume et recrutement alvéolaire au cours du
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Courbe pression–volume et recrutement alvéolaire au cours du
Réanimation 2001 ; 10 : 16-26 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1164675600000803/REV MISE AU POINT Courbe pression–volume et recrutement alvéolaire au cours du syndrome de détresse respiratoire aiguë J.C. Richard1*, L. Breton1, S.M. Maggiore2 1 Service de réanimation médicale, centre hospitalier universitaire de Rouen, hôpital Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France ; 2 service de réanimation médicale, centre hospitalier universitaire Henri-Mondor, 51, avenue de Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil cedex, France (Reçu et accepté le 20 septembre 2000) Résumé La courbe pression–volume est un outil physiologique qui permet de caractériser l’altération des propriétés élastiques du système respiratoire. Au cours du syndrome de détresse respiratoire aigu, cette courbe présente classiquement trois segments séparés par les points d’inflexion inférieur et supérieur. De nombreuses études ont permis de mieux comprendre les informations données par l’analyse de la relation pression–volume dans différentes situations cliniques. Le point d’inflexion inférieur représente une zone au-delà de laquelle l’augmentation de pression entraîne des phénomènes de recrutement définis comme l’ouverture de territoires alvéolaires préalablement collabés. La partie linéaire de la courbe, comprise entre les deux points d’inflexion, correspond à l’ouverture successive des alvéoles survenant tout au long de l’insufflation. La pente de segment représente la compliance qui reflète l’élasticité du système respiratoire. Enfin, l’augmentation de ce volume pulmonaire, associée à l’ouverture itérative des alvéoles, laisse progressivement place à des phénomènes de distension de certaines d’entre elles au niveau de la zone d’inflexion supérieure. L’obtention de courbes avec et sans pression expiratoire positive permet de quantifier l’effet de cette dernière sur le recrutement alvéolaire. Parmi les nombreuses techniques proposées pour construire la courbe pression–volume, les méthodes dites « d’insufflation à débit lent » semblent actuellement les plus adaptées car elles peuvent être réalisables sur la plupart des ventilateurs récents. Certaines études cliniques suggèrent que l’analyse de la courbe pression–volume puisse permettre un réglage optimal et individualisé des paramètres du ventilateur au cours du syndrome de détresse respiratoire aigu. Des études supplémentaires sont nécessaires pour confirmer cette hypothèse. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS courbe pression–volume / mécanique respiratoire / pression expiratoire positive / recrutement alvéolaire / syndrome de détresse respiratoire aiguë / ventilation protectrice Summary – Pressure–volume curve and alveolar recruitment in the course of acute respiratory syndrome. The pressure–volume curve is a physiological. tool which accurately describes the elastic properties of the respiratory system. In patients with acute respiratory distress syndrome, the classical shape of the pressure–volume curve can be characterised into three segments, separated by the lower and upper inflection points. Physiological information given by the curve could be interpreted as follows: to increase pressure above the lower inflection point is necessary to allow *Correspondance et tirés à part. Courbe pression–volume et recrutement alvéolaire au cours du SDRA 17 significant lung recruitment defined as the opening of previous lung collapse. In between the two inflexion points, the linear part of the curve (linear compliance) depends on the continuous recruitment phenomena that occur during inflation, reflecting, therefore, elastic properties of the respiratory system. The flattening part of the curve above the upper inflexion point reflects the end of recruitment, progressively associated with overdistention. For a given airway pressure, alveolar recruitment could be quantified as the volume difference between the curve recorded with and without positive end-expiratory pressure superimposed on a common volume axis. Of the numerous techniques proposed to record pressure–volume curve, the low flow inflation method, which could be incorporated in most of currently available ventilators, could permit the application of this technique in routine practice. Recent data suggest that a ventilatory approach based on the pressure–volume curve analysis could be beneficial in acute respiratory distress syndrome patients. Further clinical trials are warranted to determine the role of the pressure–volume curve in acute respiratory distress syndrome patient management. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS acute respiratory distress syndrome / alveolar recruitment / positive end-expiratory pressure / pressure–volume curve / protective ventilation / respiratory mechanisms La courbe pression–volume (PV) est un outil physiologique qui permet de décrire les propriétés mécaniques du système respiratoire. Au cours du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), il existe une altération des propriétés élastiques, qui s’accompagne d’une réduction des volumes pulmonaires [1]. Pour éviter que la ventilation elle-même n’aggrave les lésions alvéolaires, il est actuellement recommandé de limiter les volumes et les pressions tout en préservant un volume pulmonaire suffisant, en particulier grâce à l’application d’une pression téléexpiratoire positive (PEP) [2]. Comme nous allons le voir, la courbe PV permet de caractériser non seulement l’interaction entre pressions et volumes, mais également de quantifier le recrutement alvéolaire induit par la ventilation. Son utilisation chez le patient de réanimation ventilé pour un SDRA pourrait permettre de décrire le stade évolutif de la maladie et aider le clinicien à régler le ventilateur [3, 4]. APPROCHE PHYSIOLOGIQUE Au cours de la ventilation mécanique, la pression dans les voies aériennes dépend, d’une part des débits, des volumes et de la PEP générés par le ventilateur, et d’autre part des propriétés résistives et élastiques de l’ensemble du système respiratoire. L’équation suivante appelée « Équation du mouvement » permet de décrire à tout moment du cycle respiratoire, la relation entre la pression dans les voies aériennes et les propriétés mécaniques du système thoracopulmonaire [1] : Équation 1 : Pva = Pres + Pel + PEP ; avec Pva : pression dans les voies aériennes ; Pres : pression résistive ; et Pel : pression élastique. En développant les termes Pres et Pel, on obtient l’équation suivante : Équation 2 : Pva = 共 V ~ ⋅ R 兲 + 共 V ⋅ E 兲 + PEP ; avec V ~ : débit ; V : volume ; R : résistance ; et E : élastance. Lorsque la pression dans les voies aériennes est mesurée dans des conditions où le débit est nul (conditions dites « statiques »), l’équation 2 peut être simplifiée : Pva = E·V + PEP, ce qui permet, si l’on connaît le volume insufflé, de calculer l’élastance et donc la compliance du système. Le point statique calculé au cours d’une occlusion représente un point de la courbe PV. Plusieurs points sont nécessaires pour reconstruire l’ensemble de la courbe. Les propriétés élastiques du système respiratoire peuvent également être mesurées dans des conditions dynamiques, à condition que le débit soit suffisamment faible pour que la pression résistive 共 V ~ ⋅ R 兲 puisse être négligée (équation 2). Cette approximation sera d’autant plus justifiée que le débit et les résistances seront faibles. Une technique récemment développée par Svantesson et al. permet de calculer la pression résistive du système respiratoire, grâce à l’utilisation d’un débit d’insufflation oscillant [5]. La pression élastique peut alors être calculée précisément à partir de la mesure de la pression dans les voies aériennes, selon l’équation suivante : Pel = Pva – Pres. Par opposition aux méthodes statiques, qui nécessitent la réalisation d’occlusions, et à la méthode dite « d’insufflation à débit lent » pour laquelle il faut éliminer les résistances, cette technique permet de déterminer précisément les propriétés élastiques et résistives sans approximation. 18 J.C. Richard et al. COURBE PRESSION–VOLUME : TECHNIQUES DISPONIBLES Quelles que soient les méthodes utilisées, l’enregistrement de la courbe PV doit être réalisé alors que les muscles respiratoires du patient sont complètement relaxés afin de refléter les propriétés élastiques passives du système respiratoire. Une sédation parfois associée à une curarisation est le plus souvent nécessaire. La super-seringue La méthode dite de la « super-seringue » fut la première décrite pour la mesure de la courbe PV chez le patient présentant un SDRA [4, 6]. Le patient est déconnecté du ventilateur, pour permettre une expiration jusqu’au volume de relaxation du système respiratoire. On connecte alors la super-seringue puis on insuffle par paliers un volume total de 1,5 à 2 L d’oxygène pur, jusqu’à atteindre une pression de 40 à 50 cmH2O. À chaque palier, une pause permet la mesure de la pression et du volume correspondant. L’ensemble de la courbe PV est ensuite reconstruit par l’intermédiaire d’une table traçante XY. L’expiration se fait de la même façon que l’insufflation, avec un retour du système respiratoire à son volume d’équilibre [1]. Cette méthode de référence a été largement utilisée comme outil physiologique, elle présente cependant de nombreux inconvénients pour la pratique clinique. En effet, la manœuvre est relativement longue, d’autre part elle nécessite de déconnecter le patient du ventilateur, ce qui s’accompagne d’un arrêt brutal de la PEP parfois mal toléré. De plus, un équipement spécial est nécessaire et les échanges gazeux qui se poursuivent pendant les mesures rendent les résultats difficiles à interpréter [7]. Enfin, l’oxygène pur utilisé dans la seringue pourrait provoquer des atélectasies de dénitrogénation. La méthode peut donc par elle-même modifier les propriétés mécaniques du système respiratoire étudié [8]. Méthode des occlusions multiples Cette méthode, initialement décrite sur le ventilateur Servo 900C™ (Siemens-Elema AB, Suède) par Lévy et al., est basée sur la possibilité d’effectuer des occlusions manuelles téléexpiratoires et téléinspiratoires [9]. La pression est mesurée au cours de l’occlusion, alors que le volume est mesuré pendant l’expiration qui lui succède. La PEP intrinsèque est mesurée avant chaque cycle étudié, grâce à une occlusion téléexpiratoire. Pour une ventilation minute donnée, la modification de la fréquence respiratoire permet d’obtenir des occlusions à différents volumes courants et donc de reconstruire point par point l’ensemble de la courbe PV [10, 11]. Cette méthode est réalisée sans déconnecter le patient du ventilateur, car les pressions et les volumes sont mesurés sur la machine. De plus, elle permet d’obtenir la courbe PV avec et sans PEP, ce qui autorise le calcul du recrutement alvéolaire induit par la PEP. L’inconvénient principal de cette technique est lié au fait que l’acquisition d’un nombre de points suffisant (15 à 20 points) pour reconstruire l’ensemble de la courbe PV peut s’avérer très longue. Par ailleurs, l’insufflation des différents volumes courants peut modifier l’histoire pulmonaire et influencer ainsi la forme de la courbe PV. Pour limiter ce phénomène, il est nécessaire de respecter un délai suffisant entre les différents cycles tests, ce qui allonge d’autant la durée nécessaire pour réaliser l’acquisition de l’ensemble de la courbe. Les méthodes statiques, longtemps considérées comme des méthodes de référence, présentent des inconvénients non négligeables, qui rendent difficiles leur réalisation et leur interprétation en routine clinique. Des efforts ont donc été réalisés pour développer des méthodes dynamiques plus faciles à réaliser et souvent mieux tolérées. Insufflation à débit lent La mesure de la pression dans les voies aériennes au cours de l’insufflation d’un volume de l’ordre de 1 à 1,5 L permet d’obtenir très simplement l’ensemble de la courbe PV à condition que le débit d’insufflation utilisé soit suffisamment lent pour pouvoir négliger la pression liée aux résistances. Cette technique proposée dans les années 1970 a été comparée aux techniques de référence (super-seringue et occlusions multiples) avec d’excellents résultats [12, 13]. En plus de sa simplicité, cette technique présente l’avantage de pouvoir être obtenue en une seule manœuvre, à l’aide de nombreux ventilateurs et sans qu’aucun matériel supplémentaire ne soit nécessaire. Néanmoins, sa réalisation nécessite de pouvoir régler le ventilateur de façon à ce que, après une expiration prolongée (obtenue le plus souvent par la baisse de la fréquence respiratoire), un volume de 1 à 1,5 L soit insufflé avec un débit constant et suffisamment réduit. Cette manœuvre n’est pas réalisable sur tous les ventilateurs, en raison de limites technologi- Courbe pression–volume et recrutement alvéolaire au cours du SDRA ques. Rodriguez et al. ont comparé cette technique obtenue sur un ventilateur classique à celle des occlusions multiples [14]. La concordance entre les deux techniques était bonne, mais trente minutes étaient nécessaires pour obtenir la courbe PV avec la méthode des occlusions, contre trois minutes avec l’insufflation à débit lent. La même technique a pu être appliquée en utilisant des débits réglés respectivement à 3 et 9 L·min–1. Les résultats étaient comparés à ceux obtenus avec la super-seringue et les occlusions multiples. Les courbes obtenues avec 9 L·min–1 étaient très légèrement décalées vers la droite en raison de la pression résistive. En revanche, la compliance linéaire était comparable avec les trois méthodes [15]. Svantesson et al. ont mis au point une technique où le débit lent utilisé n’était pas constant mais oscillant, ce qui permettait le calcul très précis de la pression résistive à partir de la pression dans les voies aériennes, et donc de la pression élastique [5]. Cette manœuvre était réalisée grâce un système électronique qui permettait de contrôler un Servo 900C™ via un ordinateur. En plus de sa précision et de sa grande reproductibilité, cette technique peut être réalisée avec des débits d’insufflation plus rapides, ce qui réduit la durée d’acquisition et améliore d’autant la tolérance clinique. Cette technique a été comparée à la méthode des occlusions multiples avec une excellente concordance concernant le calcul de la compliance et des résistances [5]. Cependant, des différences entre ces deux techniques ont pu être observées à haut volume pulmonaire (partie supérieure de la courbe PV). Ces différences sont induites par les forces de rétraction dites « viscoélastiques » qui surviennent dès que l’on se trouve dans des conditions dynamiques [16]. Parce que la ventilation est par nature un phénomène dynamique, ces forces qui s’appliquent aux alvéoles sont probablement importantes à prendre en considération. En conclusion, la technique de l’insufflation à débit lent présente de nombreux avantages par rapport aux techniques précédemment décrites. En effet, cette méthode est plus rapide, elle ne nécessite pas d’appareillage extérieur ni de déconnexion patient–ventilateur, de plus elle peut être aisément réalisée à différents niveaux de PEP. Contrairement aux techniques statiques, elle présente l’intérêt de prendre en compte la pression viscoélastique du système respiratoire, qui peut chez certains malades être considérable [16]. 19 INTERPRÉTATION DE LA COURBE PRESSION–VOLUME INSPIRATOIRE Chez les patients ventilés pour un SDRA, la courbe PV présente un aspect sigmoïdal caractéristique comprenant trois segments séparés par deux points d’inflexion (figure 1) [1]. Le premier segment, qui présente une compliance très faible, correspond au début de l’insufflation dans un système proche du volume de relaxation téléexpiratoire, comprenant de nombreux territoires alvéolaires collabés. Le deuxième segment, qui se trouve séparé du premier par le point d’inflexion inférieur, présente une compliance plus élevée et linéaire qui correspond à l’ouverture successive d’alvéoles collabés, tout au long de l’insufflation. Ce phénomène, qui débute dans une zone de pressions proche du point d’inflexion inférieur et qui se poursuit bien au-delà, peut être interprété comme du recrutement alvéolaire. Ce point d’inflexion inférieur a été proposé comme le niveau de pression minimal au-dessus duquel il convient de ventiler le poumon afin d’éviter les phénomènes de fermeture–réouverture des voies aériennes [17, 18]. Le troisième segment, qui est séparé du deuxième par le point d’inflexion supérieur, présente une compliance très faible. Ce point d’inflexion est classiquement considéré comme le marqueur du début de l’hyperinflation [19]. Cependant, un certain nombre d’études suggère qu’il reflète plutôt la fin du recrutement représenté par la partie linéaire de la courbe. Dambrosio et al. ont été les premiers à montrer, grâce au scanner réalisé à deux niveaux de PEP et de volume courant, que le recrutement s’accompagnait de surdistension dès les premières augmentations de volume pulmonaire liées à la PEP [20]. Ainsi, la surdistension pourrait débuter bien avant le point d’inflexion supérieur alors que le recrutement se poursuit vraisemblablement au-delà du point d’inflexion inférieur. Ce concept physiopathologique a récemment été étudié à l’aide de modèles mathématiques [21, 22]. Ces derniers décrivent par une représentation multicompartimentale, le comportement dynamique d’un poumon dont les lésions prédominent dans les zones déclives. Pour simuler l’hétérogénéité pulmonaire, chaque compartiment est défini par sa position sur un axe antéropostérieur et par une pression d’ouverture. Les compartiments déclives avaient une pression d’ouverture plus élevée en raison du gradient gravitationnel. La courbe PV théorique obtenue avec ce type de modèles présente un aspect très proche de celui observé en clinique (figure 2). Ces auteurs ont montré que les points d’inflexion étaient d’autant plus marqués 20 J.C. Richard et al. Afin de comprendre le rôle joué par la paroi dans l’altération des propriétés mécaniques du système respiratoire, il est nécessaire de distinguer la courbe PV obtenue à partir de la pression œsophagienne (paroi) de celle obtenue par l’analyse de la pression des voies aériennes (système thoracopulmonaire) [23]. La courbe PV du poumon est calculée par l’analyse de la pression transpulmonaire (Pva – Poeso). Autrement dit, l’élastance du système respiratoire est égale à la somme de l’élastance de la paroi et du poumon. Il a été montré que la compliance de la paroi, au cours du SDRA, pouvait être abaissée [24, 25], mais qu’elle n’influençait pas de beaucoup l’aspect global de la courbe PV du système respiratoire [19, 26]. Cependant, certains auteurs ont récemment montré que l’alté- ration des propriétés mécaniques de la paroi thoracique pouvait modifier les points d’inflexion de la courbe PV [27-29]. Ainsi, Mergoni a montré que chez la plupart des malades avec SDRA, le point d’inflexion inférieur était en partie dû aux propriétés mécaniques de la cage thoracique [27]. Rares étaient les cas où le point d’inflexion inférieur était uniquement dû au poumon. Ces auteurs ont montré également que l’augmentation de la PEP s’accompagnait d’une amélioration de l’oxygénation uniquement chez les patients qui présentaient un point d’inflexion inférieur sur la courbe PV correspondant au poumon, soulignant ainsi l’importance de mesurer la pression œsophagienne. De par leurs rapports anatomiques, le compartiment abdominal doit pouvoir influencer les propriétés mécaniques de la paroi thoracique et donc du système respiratoire. Ranieri et al. ont montré sur un groupe de patients présentant un SDRA en rapport avec un problème abdominal chirurgical, que la compliance du système respiratoire était significativement améliorée après une laparotomie de décompression [28]. Cette amélioration était due d’une part aux modifications mécaniques de la paroi, et d’autre part à des phénomènes de recrutement pulmonaire. Figure 1. Courbe pression–volume (PV) du système respiratoire d’un patient avec syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Cette courbe a été enregistrée à partir du volume de relaxation sans pression téléexpiratoire positive (PEP), grâce à la méthode de l’insufflation à débit oscillant. La partie linéaire de la courbe (Clin) est comprise entre le point d’inflexion inférieur (Pinf) et le point d’inflexion supérieur (Psup). Figure 2. Courbes pression–volume (PV) obtenues à partir du modèle mathématique multicompartimental (30 compartiments) proposé par Hickling et al. Chacune des courbes correspond à une pression d’ouverture (TOP) différente qui caractérise le modèle. Si la pression d’ouverture des compartiments est augmentée (TOP = 12), le volume n’augmente dans le système que lorsque cette pression est atteinte. Ceci se traduit par un point d’inflexion inférieur marqué et par l’apparition d’un point d’inflexion supérieur, qui témoigne de la fin du recrutement. D’après [21]. que le modèle était hétérogène, suggérant ainsi que les changements de pente de la courbe étaient principalement liés à des phénomènes de recrutement correspondant à l’ouverture successive des différents compartiments. INFLUENCE DE LA PAROI THORACIQUE Courbe pression–volume et recrutement alvéolaire au cours du SDRA 21 RECRUTEMENT ALVÉOLAIRE Au cours du SDRA, les poumons ont tendance à se collaber sur eux-mêmes en partie à cause de l’augmentation des forces de rétraction élastique (baisse de la compliance) induisant, de ce fait, une réduction de l’ensemble des volumes pulmonaires [30]. De nombreux facteurs, liés en particulier au caractère très monotone de la ventilation, à la réduction des pressions d’insufflation et aux aspirations endotrachéales fréquentes, tendent à aggraver cette tendance au dérecrutement alvéolaire [31]. Le recrutement alvéolaire est un phénomène dynamique qui correspond à l’ouverture de territoires pulmonaires préalablement collabés [32]. Comme nous l’avons vu, il résulte principalement des pressions générées par le ventilateur (PEP, pression d’insufflation), mais peut aussi être influencé par la mobilisation du malade (décubitus ventral, verticalisation) qui agit en modifiant les propriétés élastiques du système respiratoire [33, 34]. Les études scanographiques ont permis de montrer que les lésions pulmonaires observées chez les patients atteints de SDRA étaient réparties principalement dans les zones dorsales et diaphragmatiques [35, 36]. Cette répartition des lésions est responsable d’une distribution inhomogène de la ventilation (PEP et volume courant) qui se répartit préférentiellement dans les zones les plus compliantes et dont la pression d’ouverture est la plus basse. De ce fait, l’augmentation de pression qui survient à chaque cycle respiratoire s’accompagne de la distension de certains territoires et de l’ouverture itérative d’alvéoles collabées dans d’autres territoires. Le recrutement alvéolaire permet, s’il est associé à des techniques qui limitent le dérecrutement, de rendre les poumons et la distribution de la ventilation plus homogène (figure 3) [35]. En réduisant les phénomènes de fermeture–réouverture des petites voies aériennes tout en limitant les pressions de distension de fin d’inspiration, l’association d’un niveau de PEP élevé et d’un volume courant réduit pourrait « protéger » le poumon [37-39]. QUANTIFICATION DU RECRUTEMENT ALVÉOLAIRE Si les effets bénéfiques de la PEP sont connus de longue date, le volume pulmonaire qu’elle permet de recruter n’a été quantifié que récemment [18, 40]. Katz fut l’un des premiers qui a pu constater que le volume pulmonaire induit par un certain niveau de pression au cours de la ventilation en PEP, était supérieur au volume prédit par la relation PV mesurée sans PEP [41]. Ces Figure 3. Cette figure illustre la distribution du volume courant analysée grâce au scanner, à différents niveaux de pression téléexpiratoire positive (PEP). Chaque point représente la proportion de tissus aérés situés dans la partie ventrale du thorax, par rapport à la partie dorsale. Autrement dit, le volume pulmonaire aéré est environ deux fois plus important dans la partie ventrale du thorax pour une PEP = 0 cmH2O, alors que la ventilation semble se répartir de façon plus homogène à 20 cmH2O de PEP. Upper : partie ventrale du thorax (non dépendante). Lower : partie dorsale du thorax (dépendante). D’après [35]. Reproduit avec l’autorisation de l’American journal of respiratory and critical care medicine. observations suggèrent que la PEP a permis d’ouvrir un certain nombre de territoires préalablement collabés. Ce phénomène de recrutement se traduit par un déplacement de la courbe en PEP vers le haut (donc un volume plus important pour une pression donnée), par rapport à la courbe obtenue sans PEP. À l’inverse, si la PEP n’induit pas de recrutement, les deux courbes restent superposables. Cette technique qui permet de quantifier le recrutement alvéolaire à partir de l’analyse des courbes PV mesurées avec et sans PEP a été d’abord décrite puis appliquée par Ranieri et al. dans plusieurs études cliniques [10, 12, 42]. Ces auteurs ont utilisé la méthode des occlusions multiples pour tracer les courbes PV. Ces dernières, obtenues à différents niveaux de PEP, étaient replacées sur un axe de volume commun grâce à la mesure du volume téléexpiratoire compris au-dessus du volume de relaxation du système respiratoire (calculé 22 J.C. Richard et al. Figure 4. Courbes pression–volume (PV) obtenues avec et sans pression téléexpiratoire positive (PEP) (méthode de l’insufflation à débit oscillant) replacées sur un axe de volume commun grâce à la mesure du volume téléexpiratoire en PEP, compris au-dessus du volume de relaxation du système respiratoire (∆CRF). Le volume recruté (Vrec) correspond, pour une pression donnée (15 cmH2O), à la différence de volume entre les deux courbes. pour chaque niveau de PEP). Ce volume, mesuré au cours d’une expiration prolongée pendant laquelle la PEP était brutalement interrompue, servait d’origine aux courbes PV correspondant aux différents niveaux de PEP étudiés (figure 4). Grâce à cette technique, Ranieri et al. ont décrit deux types de réponse à la PEP [10]. Chez certains malades dont la courbe PV mesurée sans PEP présentait une concavité inférieure, la PEP n’induisait pas de recrutement, ce qui se traduisait par une absence de déplacement vers le haut de la courbe en PEP. Chez les autres malades qui présentaient une courbe PV à concavité supérieure, la courbe PV en PEP était déplacée vers le haut, témoignant d’un recrutement alvéolaire conséquent. Vieira et al. ont également voulu tester l’hypothèse selon laquelle l’aspect de la courbe PV sans PEP pouvait prédire l’effet de la PEP en termes de recrutement et de surdistension pulmonaire [43]. Dans cette étude, l’analyse de coupes scanographiques réalisées en fin d’expiration à différents niveaux de PEP permettait de quantifier d’une part le recrutement, et d’autre part la distension induite par la PEP. Chez les malades qui présentaient un point d’inflexion inférieur sur la courbe PV, la PEP induisait un recrutement alors que chez ceux dont la courbe PV était rectiligne, la PEP était responsable principalement de surdistension alvéolaire. L’ensemble de ces données suggère que la courbe PV peut donner un certain nombre d’indications concernant le bon réglage de la PEP. Bien avant le développement des nouvelles techniques qui aujourd’hui rendent possible l’utilisation pratique de la courbe PV, il avait été proposé de déterminer le niveau de « PEP optimale » en fonction des changements de compliance effective (volume courant / [Pplat – PEP]) [18]. Cette approche très simple reposait sur l’idée que la compliance la plus élevée reflétait le meilleur niveau de PEP. Nous avons pu obtenir grâce à la méthode de l’insufflation à débit lent des courbes PV avec et sans PEP sur un groupe de 11 patients ventilés pour un SDRA [44]. Chez l’ensemble des malades, la courbe en PEP était déplacée vers le haut, indiquant l’existence d’un recrutement alvéolaire qui atteignait plus de 200 mL en moyenne à 15 cmH2O. Les courbes PV avec et sans PEP convergeaient pour des pressions supérieures à 30 cmH2O chez tous les malades. La compliance mesurée dans la partie linéaire de la courbe en PEP était significativement diminuée par rapport à celle mesurée sur la courbe PV sans PEP. Autrement dit, le recrutement induit par la PEP était associé à une baisse de la compliance. Ces différences concernant les modifications de compliance effective et de compliance linéaire de la courbe, induites par la PEP, s’expliquent en partie par le caractère non linéaire de la relation PV. La compliance effective, mesurée très simplement au lit du malade, est donc difficilement utilisable en pratique, car elle dépend de la taille du volume courant utilisé pour les mesures et des changements de pente de la relation PV [26, 45]. Gattinoni et al. ont utilisé cette technique pour quantifier le recrutement induit par différents niveaux de PEP (5, 10 et 15 cmH2O) sur un groupe de patients qui présentaient un SDRA d’origine pulmonaire pour 12 d’entre eux et extrapulmonaire pour les neuf autres [29]. Les compliances effectives calculées avec et sans PEP étaient replacées sur un axe de volume commun grâce à la mesure par la technique de dilution à l’hélium du volume téléexpiratoire correspondant. Quand l’origine du SDRA était extrapulmonaire, la PEP induisait une augmentation du recrutement alvéolaire qui s’accompagnait d’une amélioration de la compliance effective. En revanche, la PEP n’entraînait aucun recrutement et s’associait à une diminution de la compliance effective chez les malades présentant un SDRA d’origine pulmonaire. Ces résultats, très importants puisqu’ils remettent, en partie, en cause l’intérêt de la PEP dans les SDRA d’origine pulmonaire, sont très différents des nôtres. Sur un groupe de 22 patients dont Courbe pression–volume et recrutement alvéolaire au cours du SDRA la majorité présentaient un SDRA d’origine pulmonaire, nous avons montré que la PEP était responsable d’un recrutement conséquent qui s’associait à une diminution de la compliance linéaire de la courbe PV (55 ± 18 contre 42 ± 15 mL · cm–1H2O) [46]. Il est intéressant de noter que, chez les mêmes patients, le recrutement calculé avec la compliance effective selon la méthode proposée par Gattinoni et al. sous-estimait très significativement le volume recruté par rapport à celui mesuré avec les courbes PV (52 ± 99 contre 282 ± 150 mL) (figure 5). De plus, l’erreur qui concernait le calcul du recrutement dépendait du volume courant auquel était mesurée la compliance effective. Ces observations démontrent que, bien qu’il s’agisse d’une méthode très simple, la compliance effective n’est pas une méthode fiable pour rendre compte de la mécanique respiratoire. Mercat et al. ont récemment proposé une méthode qui autorise le calcul du recrutement alvéolaire à différents niveaux de PEP sans recourir à la mesure de la compliance [47]. Cette technique repose sur le fait que le recrutement à un niveau de pression donné (par exemple à 20 cmH2O) peut être calculé si le malade est ventilé en pression contrôlée à 20 cmH2O, en comparant le volume expiré jusqu’au volume de relaxation après un cycle au niveau de PEP considéré avec celui expiré obtenu après un cycle sans PEP. Dans ce travail préliminaire, le recrutement calculé de cette façon était très proche de celui calculé par l’analyse des courbes PV avec et sans PEP. Cette technique, utilisable sur les ventilateurs récents, très simple et rapide, permet de quantifier le recrutement à différents niveaux de PEP et sans aucun appareillage extérieur. Son inconvénient principal réside dans le fait qu’elle ne renseigne pas sur l’aspect de la courbe PV et en particulier sur le point d’inflexion supérieur. Maggiore et al. ont testé un système complètement automatisé qui permet d’enregistrer, à partir de niveaux de PEP programmés à l’avance, des courbes PV (technique de l’insufflation à débit lent) [48]. Les différentes courbes sont replacées automatiquement, les unes par rapport aux autres, sur un axe de volume commun grâce à la mesure du volume expiré entre deux niveaux de PEP étudiés. La fiabilité de cette technique pour explorer des niveaux de PEP compris entre 0 et 20 cmH2O a été testée sur un groupe de patients ventilés pour un SDRA. La tolérance a été jugée bonne chez tous les malades. Les auteurs ont démontré à l’aide de cette technique que la PEP était plus efficace en termes de recrutement et d’oxygénation quand elle était réglée au-dessus du point d’inflexion inférieur. Ces résultats 23 Figure 5. Cette figure représente une courbe pression–volume (PV) sans pression expiratoire positive (PEP). Les compliances effectives (volume courant / (Pplat – PEP)), calculées à partir de volumes courants de 400 et 800 mL sont représentées par les deux segments de droite. Cette figure illustre le fait que la compliance effective ne tient pas compte du caractère non linéaire de la courbe PV et que le calcul dépend du volume courant utilisé. V400 et V800 représentent les volumes courants (respectivement 400 et 800 mL) et P400 et P800 sont les pressions mesurées pour les deux volumes courants mentionnés. Ces données sont utilisées pour le calcul des compliances effectives (Ceff400 et Ceff800). Pintr correspond à la PEP intrinsèque. renforcent l’idée que le recrutement débute au point d’inflexion inférieur, et se poursuit bien au-delà. Cette technique, très séduisante à cause de sa simplicité et de sa reproductibilité, a été développée sur un Servo 900C™ dont le débit d’insufflation et les principaux paramètres ventilatoires (PEP, fréquence respiratoire) peuvent être contrôlés par un ordinateur. Ce type d’approche pourrait être prochainement disponible sur les ventilateurs de réanimation haut de gamme. UTILISATION CLINIQUE Comme nous l’avons vu, la courbe PV est un outil probant pour aider le clinicien à régler et adapter individuellement le niveau de PEP dans le cadre de la ventilation du SDRA. Amato et al. ont été les premiers à montrer le bénéfice, en terme de mortalité, d’une approche ventilatoire dite « protectrice », fondée sur l’utilisation clinique de la courbe PV [3]. La PEP était réglée systématiquement à 2 cmH2O au-dessus du point d’inflexion inférieur, et la pression de fin d’inspiration était volontairement limitée. Par ailleurs de nombreuses précautions étaient prises pour éviter tous les phé- 24 J.C. Richard et al. nomènes de dérecrutement. Ces résultats laissent à penser qu’un réglage individualisé basé sur l’analyse de la courbe PV pourrait être un élément déterminant de la prise en charge de ce type de malades. Néanmoins, la différence de mortalité observée entre les deux bras de cette étude pouvait être liée à d’autres facteurs car les deux stratégies testées différaient par de nombreux aspects. Récemment, Ranieri et al. ont rapporté des résultats qui tendent à montrer l’intérêt d’adapter individuellement les réglages du ventilateur aux propriétés mécaniques respiratoires basées sur la courbe PV [49]. Dans cette étude randomisée, les auteurs ont comparé une approche ventilatoire conventionnelle à une stratégie protectrice dans laquelle la PEP réglée au-dessus du point d’inflexion inférieur était associée à un volume courant réduit. Alors que la réponse inflammatoire pulmonaire et systémique (IL-6, TNFα, IL-1) restait élevée dans le groupe ventilé de façon conventionnelle, ces marqueurs diminuaient significativement en cas de ventilation protectrice. Ces résultats sont d’une grande importance puisqu’ils montrent que les réglages du ventilateur peuvent être à l’origine d’un stress inflammatoire (biotrauma), récemment impliqué dans la genèse du syndrome de défaillance multiviscérale et cause principale de mortalité au cours du SDRA [50-54]. Sur un groupe de 15 malades ventilés pour un SDRA, nous avons récemment pu comparer l’effet sur le recrutement alvéolaire et les échanges gazeux d’une stratégie dite protectrice associant une PEP élevée et un volume courant réduit par rapport à une stratégie conventionnelle (PEP au point d’inflexion inférieur et volume courant de 10 mL·kg–1) [55]. Bien que la pression de plateau fût identique dans les deux bras, l’approche protectrice, dont les réglages étaient en moyenne très proches de ceux proposés par Ranieri et al. [49], était responsable d’une augmentation significative du recrutement associée à une amélioration des échanges gazeux. Il est intéressant de noter que chez ces patients, la réduction du volume courant de 10 à 6 mL·kg–1 pour un niveau de PEP constant réglé au point d’inflexion inférieur, entraînait un dérecrutement alvéolaire. Ces résultats renforcent l’idée que la réduction du volume courant actuellement recommandée et très largement appliquée doit être associée à un niveau de PEP souvent bien au-dessus du point d’inflexion inférieur, pour permettre de préserver le recrutement alvéolaire. La PEP associée au recrutement optimal semble donc être un réglage plus rationnel que celui de cette dernière au point d’inflexion inférieur. CONCLUSION Le développement de ventilateurs permettant d’obtenir en routine clinique l’analyse de la courbe PV à différents niveaux de PEP (contrairement à l’analyse d’une simple courbe), autorisera peut-être dans un avenir proche de choisir la PEP optimale en fonction du recrutement alvéolaire dont elle est responsable. L’impact d’une telle stratégie sur l’évolution du SDRA reste à démontrer. RÉFÉRENCES 1 Brochard L. Pressure-Volume curves. In : Tobin MJ, Ed. Principles and practice of respiratory monitoring. New York (NY) : McGraw-Hill ; 1997. p. 597-616. 2 International consensus conference in intensive care medicine : Ventilator-associated Lung Injury in ARDS. Am J Respir Crit Care Med 1999 ; 160 : 2118-24. 3 Amato MB, Barbas CS, Medeiros DM, Magaldi RB, Schettino GP, Lorenzi-Filho G, et al. Effect of a protective-ventilation strategy on mortality in the acute respiratory distress syndrome. 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