Antirétroviraux et traitement des épigastralgies : point de vue
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Antirétroviraux et traitement des épigastralgies : point de vue
T R I B U N E Antirétroviraux et traitement des épigastralgies : point de vue pharmacologique Antiretroviral drugs and epigastralgies treatment: pharmacologic approach ● G. Peytavin* Connaissez-vous la fréquence des épigastralgies chez les sujets infectés par le VIH ? Aucune étude n’aborde le problème du patient infecté par le VIH et non traité par des antirétroviraux (ARV). Dans la population générale, la Caisse primaire d’assurance maladie de la région Rhône-Alpes a mené, fin 2002, une enquête téléphonique auprès d’un échantillon aléatoire de 308 médecins généralistes concernant les raisons et les modalités de prescription des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Celle-ci révélait une utilisation large (347 patients traités au long cours) des IPP (oméprazole en tête), selon la conférence de consensus franco-belge de 2001 (1). Chez le patient infecté par le VIH, la survenue d’effets indésirables gastro-intestinaux imputables aux antirétroviraux ou aux combinaisons utilisés est fréquente (1-10 %) à très fréquente (> 10 %) dans les études de phase II/III. Ces effets indésirables se déclinent en nausées, vomissements, douleurs abdominales, selles anormales, diarrhées, dyspepsies, flatulences, troubles gastro-intestinaux, épigastralgies, etc. Ils peuvent être communs à plusieurs classes d’antirétroviraux associés au sein d’une même stratégie thérapeutique anti-VIH (2). Selon une étude américaine récente (3), près de 50 % des patients commençant un traitement antirétroviral vont l’arrêter ou le modifier pour une alternative thérapeutique, dans la première année, en raison d’effets indésirables majoritairement gastro-intestinaux. Dans cette étude, 62 % des 200 patients interrogés ont signalé une dyspepsie survenue dès le début de leur traitement et 32 % un reflux gastro-œsophagien. * Service pharmacie, hôpital Bichat, 75018 Paris. Connaissez-vous le pourcentage de patients infectés par le VIH traités à la fois par antirétroviraux et “antiacides” ? Peu d’études sont aujourd’hui disponibles pour évaluer le nombre de patients infectés par le VIH traités de manière concomitante par antirétroviraux et “antiacides”. Les “antiacides”, au sens large du terme, peuvent correspondre aux pansements gastriques (médicaments à base d’hydroxyde d’aluminium, d’hydroxyde de magnésium ou de phosphate d’aluminium), aux anti-H2 et aux IPP. Mais la classe pharmacologique des pansements digestifs est hétérogène et comprend aussi des gels antireflux (associant un alginate et un antiacide), des topiques digestifs (charbon) et des argiles naturelles (silicate d’aluminium et de magnésium). Parmi les “antiacides”, la plupart sont en vente libre et/ou prescrits systématiquement au décours de différentes situations pathologiques (hors infection VIH), ce qui rend difficile le recensement exhaustif des pratiques et l’évaluation des interactions médicamenteuses. Malgré ces difficultés méthodologiques auxquelles s’ajoute le double circuit ville-hôpital de dispensation des antirétroviraux, une enquête française récente (4) réalisée sur la base d’un questionnaire téléphonique anonyme en juin 2005 a révélé que près d’un patient sur deux avait recours à un antiacide. Sur les 76 patients interrogés, 47 % souffraient de dyspepsies, 26 % de reflux gastro-œsophagiens et 3 % d’ulcères ; ils recevaient soit des IPP (22 %), soit des anti-H2 (21 %) et ce, dans les 8 dernières semaines. Parmi ces 76 patients, 35 % faisaient l’objet d’une prescription, 30 % d’une automédication et 35 % à la fois d’une prescription et d’une automédication. Chez les 37 patients dont le traitement contenait un inhibiteur de la protéase du VIH (IP), 30 % recevaient un IPP et 27 % un anti-H2. .../... La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 2 - mars-avril 2006 83 T R I B U N E .../... Dans l’étude prospective américaine de A. Luber et al. portant sur 200 patients interrogés (3), 93 % étaient traités par une trithérapie dite hautement active (HAART) depuis plus d’un an (moyenne de 8,4 ans) et 55 % recevaient un IP. Depuis le début de la HAART, 77 % des patients étaient traités par antiacides (médicaments à base d’hydroxyde d’aluminium, d’hydroxyde de magnésium ou de phosphate d’aluminium), 51 % par IPP ou anti-H2 en vente libre (automédication) et 39 % par IPP sur prescription médicale. Une durée d’utilisation de plus de 8 semaines était retrouvée dans respectivement 52 % (antiH2) et 88 % (IPP) des cas. Quels sont les mécanismes d’action des antiacides ? ✓ Les médicaments à base d’hydroxyde d’aluminium, d’hydroxyde de magnésium ou de phosphate d’aluminium s’opposent à l’acidité gastrique soit par neutralisation, soit par la combinaison d’une action neutralisante et d’un pouvoir tampon. Ainsi, les antiacides à base d’hydroxyde d’aluminium et de magnésium (Maalox®) associent l’activité neutralisante de l’hydroxyde de magnésium et la capacité tampon de l’hydroxyde d’aluminium. Cette dernière se manifeste pour des pH compris entre 3,5 à 3,8 et repose sur la formation de complexes alumino-magnésiens (5). ✓ Les anti-H2 (cimétidine, ranitidine, famotidine, nizatidine) inhibent de manière compétitive les récepteurs histaminiques H2 responsables de l’activation de l’adénylate cyclase, de l’augmentation des concentrations d’AMPc et de la stimulation finale du système H+/K+-ATPase (pompe à protons) situé dans la membrane apicale des cellules pariétales. ✓ Les IPP (oméprazole, lansoprazole, pantoprazole, rabéprazole et ésoméprazole) sont des prodrogues, bases faibles (pKa ~ 4), absorbées dans le duodénum avant de rejoindre les cellules pariétales, lieu de leur transformation dans cet environnement très acide (protonation, puis dérivé sulfonamide tétracyclique actif). Devenues chargées, ces entités sont incapables de retraverser la membrane des cellules pariétales et forment un complexe d’inhibition avec la pompe à protons (ponts disulfures avec les cystéines de la chaîne α du système H+/K+-ATPase). Bien que la demi-vie d’élimination des IPP soit courte, leur action perdure en raison de la nature irréversible de la liaison covalente formée. La rapidité d’action des IPP dépend de la vitesse de formation du dérivé sulfonamide et ce, d’autant plus que le milieu est acide (6). ✓ Les argiles naturelles (actapulgite, montmorillonite, bedeillitique, smectite) agissent en formant une couche protectrice homogène tapissant la muqueuse digestive. 86 Existe-t-il des interactions entre les différentes familles d’antirétroviraux et le traitement des gastralgies ? Si oui, lesquelles ? Quels sont les mécanismes de ces interactions ? Absorption, métabolisme hépatique, etc. ? Les interactions médicamenteuses à proprement parler concernent surtout la phase d’absorption intestinale des antirétroviraux et plus particulièrement celle de deux IP, l’indinavir (IDV) et l’atazanavir (ATV) [non boostés par le ritonavir] et dont l’absorption est dépendante du pH acide. Ces deux interactions ont été initialement découvertes à l’occasion d’une administration concomitante avec l’ancienne formulation galénique tamponnée de didanosine (ddI), destinée à augmenter le pH gastrique évitant son hydrolyse en milieu acide. L’altération du pH ainsi obtenue engendrait une diminution de la biodisponibilité par voie orale de l’IP consécutive à une probable modification de la solubilité de l’IP. Les paramètres pharmacocinétiques (aires sous la courbe [ASC] et concentrations plasmatiques maximales) d’IDV et d’ATV étaient réduits de plus de 80 % à cause de cette association. Cette interaction s’estompait avec la disparition de l’effet tampon lorsque la didanosine était administrée à distance de l’IP ; elle disparaît complètement avec la nouvelle formulation galénique gélule “enterocoated” de la ddI. Sur un plan métabolique, la cimétidine est connue pour inhiber les cytochromes P450 (surtout l’isoforme 3A4), alors que les IPP (excepté le rabéprazole) sont transformés par le cytochrome P450 2C19 soumis à un polymorphisme génétique. L’isoenzyme 2C19 présente deux génotypes à l’origine de deux phénotypes : “métaboliseur lent” et “métaboliseur rapide”. La fréquence du phénotype “métaboliseur lent” est de 2 à 6 % chez les Caucasiens et d’environ 20 % chez les Asiatiques. Les effets de ces génotypes varient en fonction des IPP concernés : oméprazole > lansoprazole > ésoméprazole > pantoprazole > rabéprazole (par ordre décroissant). Les métaboliseurs lents présentent les concentrations plasmatiques d’IPP les plus élevées, ce qui représente un avantage théorique en termes de contrôle de la sécrétion acide, mais peut aussi générer des effets indésirables imprévisibles (7). L’association d’oméprazole à l’IDV non boosté diminue les ASC et les concentrations plasmatiques maximales d’IDV de près de 50 % (8). Plus récemment, une lettre aux prescripteurs faisait état d’une interaction potentielle entre l’ATV boosté par le ritonavir (300/100 mg x 1/j) et un IPP, l’oméprazole (40 mg x 1/j), coadministrés chez des volontaires sains. L’ASC et la concentration plasmatique minimale d’ATV étaient abaissées de plus de 75 % à la suite d’une diminution probable de l’absorption de l’ATV consécutive à la modification du pH gastrique induite par l’oméprazole [Lettre aux prescripteurs EMEA-BMS, 2004 (9)]. Depuis cette La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 2 - mars-avril 2006 T étude, l’association d’ATV à l’oméprazole est non recommandée et cette mise en garde est étendue à l’ensemble de la classe des IPP. Les principales critiques adressées à cette étude concernent surtout sa réalisation chez des volontaires sains recevant un seul IPP, l’oméprazole, et à une seule dose de 40 mg x 1/j. Cependant, si elles ne remettent pas en cause la prudence d’utilisation de ces associations, elles encouragent à la réalisation d’études menées chez des patients infectés par le VIH comportant un monitoring étroit des concentrations plasmatiques d’ATV et à la recherche d’alternatives thérapeutiques. Ainsi, il est évident aujourd’hui que les IPP présentent une activité inhibitrice de la sécrétion gastrique supérieure à celle des anti-H2 et cela de manière dépendante des concentrations plasmatiques d’IPP. Et, si l’on définit arbitrairement le concept de puissance d’inhibition acide par l’obtention d’un pH intragastrique supérieur à 4 pendant au moins 16 heures par jour, les différents IPP disponibles ne sont pas statistiquement équivalents entre eux : après 5 jours de traitement par IPP à des doses habituelles, l’ésoméprazole (40 mg x 1/j) maintient le pH > 4 pendant 14 heures, le rabéprazole (20 mg x 1/j) pendant 12 heures, l’oméprazole (20 mg x 1/j) pendant 12 heures, le lansoprazole (30 mg x 1/j) pendant 11,5 heures et le pantoprazole (40 mg x 1/j) pendant 10 heures (10). Par ailleurs, le rabéprazole est l’IPP qui agit le plus rapidement, contrôlant dès le premier jour la sécrétion acide (pH le plus élevé à 24 heures) > lansoprazole > pantoprazole > oméprazole (11). Inversement, après une dose unique d’IPP, la sécrétion acide gastrique redevient normale après 72 à 96 heures (12). Consécutivement à une étude menée chez 28 volontaires sains, l’administration simultanée de famotidine (40 mg x 2/j) et d’ATV (400 mg x 1/j) est déconseillée en raison d’une diminution de l’exposition plasmatique d’ATV d’environ 40 %. En revanche, elle est autorisée si les administrations de famotidine et d’ATV sont réalisées à distance l’une de l’autre (10 heures après et 2 heures avant), de même que l’administration simultanée si l’ATV est boosté par le ritonavir (400/100 mg x 1/j) (13). Dans une étude proche de la précédente, menée chez 26 volontaires sains recevant en doses uniques ranitidine (300 mg) et fosamprénavir (1 400 mg), l’ASC de l’amprénavir était diminuée de 30 %, alors que l’association au Maalox® (30 ml) l’abaissait d’environ 18 % (14). En revanche, l’association du Maalox® au tipranavir/ritonavir (500/200 mg x 2/j) à l’état d’équilibre chez 23 volontaires sains diminue l’ASC du tipranavir d’environ 27 % (15), alors qu’il ne semble pas y avoir d’interaction avec l’oméprazole. Enfin, excepté le cas de l’ATV déjà abordé, les IP boostés par le ritonavir (lopinavir, fosamprénavir, saquinavir, darunavir) ne semblent pas souffrir d’interactions significativement pertinentes, ni avec les IPP, ni avec les anti-H2 (16-20). La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 2 - mars-avril 2006 R I B U N E Et force est de constater à l’issue de cet article qu’il n’existe aucune étude d’interaction entre antirétroviraux et argiles naturelles. Pourtant, les propriétés physicochimiques et l’importante surface de contact (structure chargée en feuillets parallèles) pourraient favoriser les phénomènes d’échanges et de fixation des principes actifs. Ainsi, les composés non polaires pourraient être adsorbés sur la surface externe, alors que les polaires s’insèrent entre les feuillets. Les interactions médicamenteuses doivent-elles influencer le choix des antirétroviraux par le clinicien ? (Risque d’altération importante de l’efficacité antirétrovirale). Quelles précautions thérapeutiques doit-on prendre en pratique quotidienne pour prévenir les risques liés à l’automédication ? Le principal risque d’interactions (surtout entre IP non boosté et IPP ou anti-H2) réside dans la possibilité d’une diminution des concentrations plasmatiques des IP, favorisant ainsi la réplication, puis l’émergence de virus résistants exposés à une faible pression de sélection. Si l’on prend en compte à la fois les exigences immunovirologiques et cliniques pour le traitement anti-VIH et gastroentérologiques pour le traitement des désordres gastriques, les alternatives en présence sont limitées compte tenu des études et des informations à disposition. En ce qui concerne les antiacides, les IPP semblent les plus efficaces, mais leur utilisation reste limitée en raison de la nécessité d’une prescription médicale. En ce qui concerne les antirétroviraux et en fonction des études à disposition, l’utilisation d’ATV est déconseillée avec les IPP. En revanche, cette association ne pose aucun problème avec les autres IP pourvu qu’ils soient boostés par le ritonavir. Les anti-H2 constituent une alternative intéressante en cas de prescription d’ATV non boosté, administré à distance, mais leur puissance d’inhibition acide est plus modeste, alors que leur accessibilité est plus facile en automédication. L’association des anti-H2 aux autres IP boostés par le ritonavir ne semble poser aucun problème. En revanche, les interactions potentielles avec les médicaments à base d’hydroxyde d’aluminium, d’hydroxyde de magnésium ou de phosphate d’aluminium et d’argiles naturelles semblent plus inquiétantes, car elles sont peu étudiées et s’inscrivent dans le registre de l’automédication. À l’occasion des consultations médicales ou d’observance, le questionnement systématique des patients sur l’usage éventuel de produits d’automédication doit permettre d’an- 87 T R I B U N E ticiper ces risques d’interactions. Une fois le traitement commencé, l’exploration systématique de concentrations plasmatiques des IP anormalement basses doit faire évoquer une malabsorption intestinale et une interaction sous-jacente. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, les études d’interactions pharmacocinétiques font défaut, surtout chez le patient infecté par le VIH. Elles pourraient avoir pour objectifs non seulement l’approche mécanistique de l’interaction et la recherche d’alternatives thérapeutiques, mais aussi d’éventuels ajustements de doses permettant de préserver le traite■ ment antirétroviral pendant la durée de l’association. 8. Rublein JC, Donovan BJ, Hollowell SB. Effect of omeprazole on the plasma concentrations of indinavir in HIV-negative subjects. 43th ICAAC, 14-17 september 2003, Chicago, États-Unis, abstract A-1811. 9. Lettre aux prescripteurs de l’EMEA. Important new pharmacokinetic data demonstrating that Reyataz® (atazanavir sulphate) combined with Norvir® (ritonavir) and omeprazole should not be co-administered. EMEA public statement : emea/202649/2004. Londres, Grande-Bretagne, 21 december 2004. 10. Mearin F, Ponce J. Potent acid inhibition: summary of the evidence and clinical application. Drugs 2005;65 (suppl. 1):113-26. 11. Robinson M. Proton pump inhibitors: update on their role in acid-related gastrointestinal diseases. 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