La prédiction des marées : épilogue

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La prédiction des marées : épilogue
UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE
985
La prédiction des marées :
épilogue
par Bernard LAHAYE
14000 Caen
RÉSUMÉ
En France, la prédiction officielle des marées est confiée au Service hydrographique
et océanographique de la marine (SHOM). Dans l’article De la Théorie à un calendrier
des marées océaniques (TCM) paru dans Le Bup n° 862 (mars 2004), nous indiquions
que cet organisme avait opéré un changement de méthode de calcul des coefficients en
1993, et signalions que les « nouveaux » petits coefficients étaient systématiquement plus
faibles que les « anciens » les grands restants inchangés. Lesquels correspondaient le
mieux aux marées observées ? Ayant attendu l’exceptionnelle très faible marée du 7
octobre 2004, nous avons maintenant la preuve « officielle », fournie par le SHOM luimême, que les « nouveaux » sont plus faibles, mais s’avèrent meilleurs.
Pour comprendre la situation, rappelons notre expression de la force de marée
exercée sur une masse unité de l’Atlantique par la Lune ou le Soleil (TCM, formule 6) :
3GMa
fm =
8 - sin2D $ cos2L $ cosAH + cos2 D $ sin2L $ _ cos2AH + 1i /2 - sin2 D $ sin2L B
2r3
avec : G, constante de la gravitation ;
M, masse de l’astre (Lune ou Soleil) ;
D, sa déclinaison (angle avec l’Équateur) ;
AH, son angle horaire (angle entre son méridien et le méridien Sud du lieu) ;
r, sa distance au centre de la Terre ;
a, rayon de celle-ci ;
L, latitude du lieu (ici, Brest, port de référence : L = 48,38°).
Cette expression comporte :
♦ un terme diurne (en cosAH) ;
♦ un terme semi-diurne (en cos2AH) ;
♦ un terme de longue période (en sin2 D, soit environ 14 jours pour la Lune).
Jusqu’en 1992, le SHOM prédisait les marées à partir d’une relation analogue, la
formule de Laplace, mais, pour simplifier les calculs des coefficients, seul le terme semidiurne (de loin le plus important pour Brest) était pris en compte.
Depuis 1993, ses prédictions reposent sur une tout autre méthode (cf. article TCM
Vol. 99 - Octobre / Novembre 2005
Bernard LAHAYE
La prédiction des marées : épilogue
?
100
100
22
22
27/09/1986
7/10/2004
8/10/2004
29/09/2004
Coefficient
Date
Vendredi 19 sept. 1986
Samedi 20 sept. 1986
Dimanche 21 sept. 1986
Lundi 22 sept. 1986
Mardi 23 sept. 1986
Mercredi 24 sept. 1986
Jeudi 25 sept. 1986
Vendredi 26 sept. 1986
Samedi 27 sept. 1986
Date
11h03
6h15
18h34
10h51
0h05
Heure
100
98
92
82
70
56
42
29
22
100
99
93
83
71
57
43
31
24
5h32
6h03
6h33
7h02
7h31
8h01
8h37
9h31
11h09
Pleine mer
479
711
741
495
481
493
717
746
501
485
Hauteur
standard
Tableau 2
Pression
atmosphérique (hPa)
1027
1019
1018
1019
1017
PLEINE MER
Hauteur
observée
11h50
0h03
0h42
1h13
1h43
2h14
2h49
3h37
4h49
Basse mer
17h24
6h13
4h43
11h36
Heure
100
96
88
77
64
50
36
26
Coefficient
ancien
Tableau 1 : Annuaire des marées.
Coefficient
nouveau
Coefficient
ancien
MATIN
17h47
18h19
18h50
19h20
19h50
20h23
21h07
22h23
Pleine mer
347
350
338
102
Hauteur
observée
1019
1016
Pression
atmosphérique (hPa)
1025
1019
BASSE MER
100
96
88
77
63
49
35
24
Coefficient
nouveau
APRÈS-MIDI
353
353
350
108
Hauteur
standard
12h24
12h57
13h29
14h01
14h37
15h20
16h21
17h53
Basse mer
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Le Bup no 877-878
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p. 361) dont nous ignorons les paramètres, mais qui, nous semblait-il, conduit, pour les
très faibles marées, à des coefficients encore plus petits que l’ancienne méthode.
Rappelons que les marées présentent un cycle long - le Saros - de 6585 jours, soit
18 ans et 10 (ou 11) jours, duquel il résulte que la marée du 7 octobre 2004 devait être
de même coefficient que celle du 27 septembre 1986. Or, le SHOM avait annoncé respectivement 22 et, à l’époque, 24. À laquelle de ces deux valeurs satisfaisait le marnage
observé de 1986 ? Pour le savoir, nous avons interrogé le SHOM. La réponse de celui-ci
comportait, outre les hauteurs demandées, également le coefficient de cette marée, coefficient, était-il précisé, calculé (et, donc, non archivé), en fait recalculé en 2004. Sa valeur ?
À notre grande surprise, mais à notre grande satisfaction : 22 ! Voilà donc la preuve officielle de la modification. Le tableau 1 ci-contre reproduit, pour Brest, les renseignements
reçus du SHOM, auxquels nous avons ajouté, en italique, la colonne « anciens coefficients » qui permet de constater que ceux-ci étaient d’autant plus surévalués qu’ils sont
plus petits. Toutes les heures sont en TU+1.
Notons encore que - cas des deux marées étudiées - :
♦ les faibles coefficients (mortes-eaux) apparaissent toujours en Quadrature (PQ ou
DQ), la marée solaire se retranchant alors de la marée lunaire ;
♦ les plus faibles se manifestant alors lorsque la marée lunaire est la plus faible (Lune
en apogée et avec une déclinaison maximale en valeur absolue) et la marée solaire la
plus forte, donc en équinoxe !
Pour calculer les coefficients de ces marées, il faut se rappeler qu’ils sont évalués
pour des conditions météorologiques standard (pression atmosphérique de 1013 hPa, vent
nul) ; les hauteurs observées doivent donc être ramenées à ces conditions. Le tableau 2
reproduit les hauteurs brutes, fournies également par le SHOM, et les hauteurs ainsi corrigées.
Remarque : Le vent ayant été très faible au moment des marées concernées, nous
n’avons opéré que la correction barométrique (un centimètre par hectopascal au-delà de
1013) donnant la hauteur « standard ».
Calculs
Deux marées de même coefficient montent à des hauteurs différentes à cause de
l’inégalité diurne (due au premier terme de la force). Le coefficient n’en tenant pas
compte, on l’élimine en prenant la moyenne des deux hauteurs, soit 732 et 493 cm pour
les 29 septembre, 7 et 8 octobre 2004 respectivement. La basse mer n’est pas affectée
par l’inégalité diurne. Avec ces dernières hauteurs, si m et M sont les marnages de deux
marées, c et C leurs coefficients respectifs, on a, pour Brest c = C $ m/M.
493 - 353
= 22, 43 arrondi à 22.
♦ Pour le 7 octobre 2004, la relation donne c = 100 #
732 - 108
C’est bien le résultat annoncé par le SHOM.
♦ Pour le 27 septembre 1986, pas de marées successives de même coefficient ; nous
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avons pris la même inégalité diurne que celle du 7 octobre 2004 (même situation),
soit – 7 cm, d’où un marnage de 493 - 7 - 350 = 136 cm, et un coefficient de
136
22, 43 #
= 21, 8 arrondi à 22.
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Les deux coefficients sont donc bien égaux, comme nous l’avions pressenti. Et ce sont
les « nouveaux » coefficients du SHOM qui rendent le mieux compte des marées. Cela
n’a rien d’étonnant car cette amélioration apportée par le SHOM peut aussi bien l’être
avec notre modèle d’oscillateur (programme dit P2 dans la TCM) en tenant compte, en
plus du terme semi diurne dans l’expression de la force, du terme en sin2 D, terme
toujours négatif pour Brest et qui croît vite dès que D devient importante (c’est le cas en
2004, cf. article TCM figure 5c).
CONCLUSION
Ce qui précède confirme :
♦ la réalité d’un Saros des marées (même s’il n’est pas parfait) ;
♦ la différence entre « anciens » et « nouveaux » petits coefficients mais prouve que ces
derniers apportent une amélioration dans leur prédiction.
Remarque : Pour avoir des coefficients identiques sur toutes nos côtes, le SHOM
les évalue toujours sans tenir compte du terme diurne (qui, contrairement au terme semidiurne, dépend sensiblement de la latitude). D’autre part, l’introduction de cette inégalité
diurne dans les coefficients remplacerait leur évolution bien « lissée » en une variation
en dents de scie qui pourrait choquer les habitués. Les coefficients ne donnent donc
toujours pas accès, avec précision, aux hauteurs qui, elles, sont calculées, pour chaque
port, en tenant compte non seulement de cette inégalité diurne, mais aussi, éventuellement, de paramètres spécifiques à ce port.
À quand la prochaine marée aussi faible que ces deux dernières ? Un Saros après le
7 octobre 2004 nous conduit au 18 octobre 2022, avec un coefficient 23 (et non plus 22,
car nous serons plus loin de l’équinoxe).
REMERCIEMENTS
Nos remerciements renouvelés aux membres du SHOM qui ont répondu à toutes
nos demandes (sauf la toute première !) à Benoist CAILLAUD, de nouveau sollicité pour
les conditions météorologiques.
Bernard LAHAYE
Maître de conférences retraité (physique)
Membre de l’ASNORA (Association normande d’astronomie)
Caen (Calvados)
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Le Bup no 877-878

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