Eloge d`une soi-disant moribonde

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Eloge d`une soi-disant moribonde
Eloge d’une soi-disant moribonde
Qu’est-ce qu’elle a pris comme volée de bois vert ces dernières années : la famille ! A croire
qu’elle était responsable de tous nos maux, de notre mal-être comme de notre mal- vivre et
qu’il fallait s’en affranchir pour enfin vivre libre. Alors en faire un thème rotarien, annuel de
surcroît, le même mois que celui où l’on fête une autre famille, sanctifiée celle-là - la sainte
famille- c’est courageux, c’est même un peu provocateur à moins que ce soit totalement
inconscient, ce dont je doute.
La famille rotarienne donc, vaste sujet à géométrie variable, fort usité pour nous présenter et
dire notre appartenance, floue le plus souvent, mais à dessein, car largement recomposée,
donc, tout à fait moderne et pourtant si traditionnelle par les valeurs qu’elle porte, anciennes
peut-être, mais guère encroûtées. Mérite-t-elle, elle aussi, qu’on la haïsse, qu’on la vilipende
et qu’on la démolisse?
Vous connaissez tous le cri d’André Gide qui résonne dans les Nourritures terrestres : «
Famille je vous hais ». Elle fait écho au même cri, celui de Jules Vallès, chroniqueur pugnace
des conditions de vie du peuple et l’un des chefs de file de l’insurrection de la Commune de
1871. Ce cri sert en général de cri de ralliement à tous ceux qui ont quelque compte à régler
avec leur famille. Il est bien commode pour tous les contempteurs de l’antique cellule
familiale. Mais une citation sans situer le contexte est une facilité dont il faut se méfier. Vallès
avait quelque raison d’en vouloir à ses géniteurs, une mère violente et un père instituteur
particulièrement sévère, le tout sur un fond d’extrême pauvreté. Quant à celle de Gide, la plus
connue, elle gagne à être citée en entier : «Famille je vous hais. Foyer clos, portes refermées,
possession jalouse du bonheur».
En réalité, l’indignation de Gide est justifiée. Si la famille doit être ce lieu étriqué, égotiste et
égoïste voire même autiste, elle ne nous intéresse pas. C’est tout l’antithèse de la famille
rotarienne ouverte sur le monde, les gens et les choses. Que me chaut que la famille soit une
notion périmée. Je n’en crois pas un mot et revendique mon appartenance à la famille
rotarienne. Tant qu’elle reste animée par le souffle de l’ouverture sur le grand large et la
curiosité d’autrui. Mais le grand large, chacun le sait, commence à nos portes. J’aime cette
géographie rotarienne qui me conduit de la porte de la maison à celle de mon club, pour aller
ensuite rejoindre celle du district, des districts de mon pays puis des autres pays, de tous les
pays. J’aime cette notion d’une famille infiniment extensible qui s’en vient toujours se
ressourcer à la famille de base, ma famille nucléaire, mon club, avant de repartir vers d’autres
cieux, d’autres gens, que ce soit à l’autre bout de la ville comme du monde.
Voilà toute la richesse de la famille rotarienne. Elle n’est pas ma famille légitime, elle n’est
pas davantage ma famille naturelle. Elle est plus que cela, elle est ma famille d’accueil, ma
famille d’adoption. Elle m’a choisi autant que je l’ai choisie. Elle aurait pu ne pas vouloir de
moi, j’aurais pu me défier d’elle. Finalement, comme dans les histoires d’amour, on s’est
rencontré et on s’est dit que c’est peut-être pas tout fait par hasard. Est-ce pour la vie? jJe n’en
sais rien. Mais cela risque d’être durable tant qu’elle comme moi, nous essayerons de rester
fidèles aux quatre questions, aussi simples qu’exigeantes qui fondent notre pacte et assurent
sa solidarité. On me dit que les quatre questions sont l’expression d’une éthique
professionnelle. Elles sont plus que cela : elles sont l’expression d’une éthique familiale.
Installez les quatre questions au milieu de votre vie intime, parmi vos proches, vous verrez !
Si aujourd’hui la famille nucléaire est en crise c’est que probablement elle s’est éloignée des
quatre questions, qu’elle les méconnaissait le plus souvent.Qui disait que la famille est une
notion ringarde?
Gabriel Braeuner

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