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10 • FRANCE L’enseignement confessionnel faitécole A l’occasion des 50 ans de la loi Debré sur les relations entre l’Etat et le privé, plongée dans un complexe scolaire juif tenu par les Loubavitch. Par VÉRONIQUE SOULÉ Photos JEANMICHEL SICOT D ebout sur une estrade au milieu de la cour, des écolières récitent au micro des versets de la Bible en hébreu. Les centaines d’élèves rassemblées les acclament. L’école juive Beth Hanna, dans le XIXe arrondissement de Paris, célèbre Hanouccah, la fête des lumières. Le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, est venu, REPORTAGE au septième jour, allumer les sept lumières de la Menorah, le chandelier juif à huit branches de plusieurs mètres de haut installé dans la cour. Et monte pour ce faire sur la grue que l’on a fait venir pour la circonstance. Les enseignantes distribuent les beignets traditionnels. Le complexe scolaire Beth Hanna est le plus grand établissement juif de France, et sans doute d’Europe. De la maternelle au lycée, il compte quelque 1800 élèves, uniquement des filles à partir du primaire. Le bâtiment de six étages a été construit au début des années 90 pour rassembler les élèves disséminés dans des préfabriqués depuis les années 80. Tenu par les Loubavitch, un mouvement orthodoxe, l’établissement est sous contrat avec l’Etat, qui finance les salaires des enseignants. Les professeurs doivent y suivre les programmes scolaires du public. Et théoriquement, les matières confessionnelles ne sont pas obligatoires. «MOTIVATION». Les élèves viennent de tout Paris mais aussi des Yvelines, de l’Essonne, etc. Certains font jusqu’à deux heures de trajet par jour. Le directeur, André Touboul, petit homme souriant en kipa et barbe blanche, explique que la demande ne REPÈRES La loi Debré «sur les rapports entre l’Etat et les établissements d’enseigne ment privé», adoptée le 31 décembre 1959, stipule que l’Etat prend en charge tout ou partie des dépenses de fonc tionnement des écoles privées. En échange, cellesci ont des obligations de service public «dans le respect total de la liberté de conscience». cesse de croître: «Nous essayons de ne refuser personne car les familles sont très motivées». Du coup, certaines classes comptent jusqu’à 30 élèves. Les écoles juives – très religieuses comme celle-ci ou plus libérales – sont en pleine expansion. Elles accueillent plus de 30000 élèves aujourd’hui. On estime par ailleurs qu’un tiers des enfants juifs sont scolarisés dans ces établissements, un autre dans le privé catholique, le dernier tiers dans le public. LIBÉRATION LUNDI 28 DÉCEMBRE 2009 traditionalistes» [des juifs peu pratiquants qui marquent surtout les grandes fêtes, ndlr]. Conformément à la vision loubavitch, l’école est rythmée par les règles et les fêtes juives. La cantine prépare des repas casher. Il est interdit d’apporter de la nourriture de l’extérieur. La tenue vestimentaire est stricte : uniforme bleu marine, chasuble pour les petites et jupe pour les grandes, avec un chemisier blanc. Le règlement intérieur du primaire exige que «les élèves portent des collants ou mi-bas, des jupes couvrant les genoux, des manches couvrant les coudes, les cheveux attachés». Celui du secondaire précise que «les élèves doivent ranger leurs affaires de sport dans un sac opaque, fermé, destiné à cet effet et non dans un sac plastique». De plus, «la tenue de sport (survêtement, manches longues et baskets) doit impérativement rester cantonnée au gymnase. Pour toutes les sorties vers les toilettes ou autres, les jeunes filles doivent remettre leur jupe». «CONTRE NATURE». Officiellement, les établissements sous contrat doivent accepter les élèves de toutes confessions. Mais on voit mal dans ce cadre des familles non juives inscrire leurs enfants. De même, toujours selon la loi, il n’y a pas obligation à ce que les enseignants soient juifs. «Ce n’est pas une règle mais généralement ils le sont, car ils doivent vouloir marquer les fêtes comme nous le faisons», souligne le directeur. A défaut de mixité confessionnelle, les Loubavitch vantent la mixité sociale. Une partie des élèves, issus du XIXe, l’un des derniers quartiers populaires de la capitale, sont de milieu modeste. D’autres, au contraire, très aisés. Les frais de scolarité, en fonction des revenus, vont de la gratuité à 200 euros par mois, explique le directeur. Comme pour toutes les écoles sous contrat, l’Etat paie un «forfait» annuel – environ PAS LE DROIT DE SORTIR. André Touboul avance plusieurs explications. «D’abord, nous sommes une école avant tout, affirme cet ancien prof de maths, fils d’enseignants, et nous avons de très bons résultats.» Le taux de réussite au bac –dans les séries S (scientifique) et ES En primaire, le règlement exige (économique et sociale), l’école que «les élèves portent des collants n’ayant pas de L (littéraire) – tourne autour de 90-95 %. «Et ou mi-bas, des jupes couvrant pour y arriver, plutôt que de sélec- les genoux, des manches couvrant tionner nos élèves, nous préférons les coudes, les cheveux attachés». les faire redoubler.» Il y a aussi, comme toujours dans le privé, le souci des 200 euros par élève du secondaire – pour parents de voir leurs enfants mieux enca- l’entretien des bâtiments. La région, elle, drés. A Beth Hanna, les élèves sont demi- a rejeté la demande de l’école. «Il y a eu une pensionnaires et n’ont pas le droit de sortir. alliance contre nature entre le Front National Avec les études religieuses qui occupent et les Verts, ces derniers au nom de la laïcité», trois heures tous les matins, du lundi au explique André Touboul qui dénonce une vendredi, ils commencent à 8h45 et finis- «discrimination». sent à 16h30 pour le primaire, à 18 heures La grande fierté des Loubavitch est de voir pour le secondaire. revenir une première génération formée par Enfin, ajoute André Touboul, les familles, l’école. Anna, enseignante de 23 ans coiffée même peu religieuses, souhaitent que leurs d’une perruque –ce qui signifie qu’elle est enfants aient un enseignement confes- mariée – a fait toute sa scolarité dans les sionnel, connaissent les textes bibliques, établissements loubavitch du quartier. Elle les fêtes juives, l’hébreu – la seconde lan- a décroché son bac, puis a passé un an dans gue vivante au collège. «Les enfants de fa- un séminaire du mouvement au Canada. milles loubavitch sont moins d’un quart, esti- Revenue, elle enseigne, le matin, les matième-t-il. Nous accueillons aussi des res religieuses aux primaires. • «Nous ne sommes plus à la fin du XIXe siècle où l’Etat luttait contre la religion pour être l’Etat.» Michel Debré, Premier ministre, devant l’Assemblée nationale, le 23 décembre 1959 2 millions C’est le nombre d’élèves scolarisés dans près de 10000 établissements pri vés, soit 17% des effectifs totaux du pre mier et du second degré. Elèves de CM2 du complexe Dans la cour de l’école, Gilles