Italie PIZZICA ET MUSIQUES DU SALENTO

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Italie PIZZICA ET MUSIQUES DU SALENTO
DOSSIER Pédagogique
à l’usage de l’enseignant
Italie
PIZZICA ET MUSIQUES DU SALENTO
Anna Cinzia Villani et MacuranOrchestra
Le Cabaret Sauvage
Parc de la Villette, 211 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris
Jeudi 17 novembre 2016 de 14h00 à 15h30
(1 h de représentation suivie de 30 mn d’échange avec les artistes)
Pour le confort de tous, les classes sont priées
d’arriver sur le lieu de représentation à 13h45 dernier délai.
Merci !
Contact :
Maison des Cultures du Monde, 101 boulevard Raspail, 75006 Paris
01 45 44 72 30 / [email protected]
Les photos utilisées dans ce dossier ne peuvent être reproduites
La Maison des Cultures du Monde : vivre l’expérience de la rencontre avec l’autre....
Fondée en 1982, la Maison des Cultures du Monde est une institution culturelle pionnière en
matière de dialogue des cultures qui s’engage activement auprès du jeune public.
Dans le cadre du Festival de l’Imaginaire, des élèves de tous âges sont invités à découvrir les
patrimoines culturels du monde à travers une série de spectacles.
Choisis tant pour leurs qualités esthétiques et leur représentativité culturelle que pour leur potentiel pédagogique, ces spectacles sont conçus sous forme de rencontres, généralement 1h de
représentation suivie de 30 minutes de discussion avec les artistes.
Le SALENTO, TALON DE LA BOTTE ITALIENNE
Anna Cinzia Villani et ses quatre musiciens du MacuranOrchestra interprètent les chants
et les musiques de danse caractéristiques du monde agricole de l’après-guerre dans le
Salento.
Le Salento, également appelée Terre d’Otrante, est la péninsule située au sud-est de la
région des Pouilles. Bordé au nord par l’Adriatique, au sud par la mer Ionienne et séparé
de l’Albanie par le détroit d’Otrante, c’est le « talon de la botte italienne ». Le Salento
comprend la province de Lecce, une partie de la province de Brindisi et une partie de la
province de Tarente. La côte orientale, rocheuse, se compose de falaises et de criques,
tandis que la côte occidentale est constituée de grandes plages de sable. À l’intérieur, les
terres, plutôt plates, se présentent comme un maillage de bourgs et de villages à l’architecture baroque, séparés par des oliveraies et des vignes.
Ci-dessus, une oliveraie du Salento. Ci-dessous la Piazza Plebiscito à Ceglie Messapica.
PIZZICA, TARENTELLE ET TARENTULES
« Ils font semblant d’avoir été piqués par certaines
bêtes qui peuplent la région de Tarente (d’où elles
prennent leur nom) et d’être tombés malades par cette
maladie qui les rend fous. Ils vibrent, tapent leur tête,
ils tremblent des genoux et, poussés par la musique,
ils chantent et dansent, ils bougent les lèvres, grincent
des dents et se comportent comme des fous. Ils ne
demandent rien mais leurs amis crient qu’ils sont
“attarantati” pour demander l’aumône… »
R. Frianoro, Il Vagabondo, Viterbo 1621.
Vers le XVe siècle dans le sud de l’Italie, apparut un type de danse incontrôlée (chorée) que
l’on associait à la piqûre de deux araignées : la tarentule et la Veuve noire. Ces crises survenaient en général au début de l’été et frappaient surtout les femmes travaillant comme
journalières dans les exploitations agricoles. Les symptômes étaient des chutes, des pertes
de connaissance, un état catatonique pouvant conduire au décès de la « tarentulée ».
La cure consistait à faire venir des musiciens au logement de la patiente et à la faire danser
pendant plusieurs jours, couchée sur le sol ou debout, jusqu’à ce qu’un saint – en général
saint Paul car il avait survécu à une piqûre de serpent – accordât la grâce d’une guérison,
même temporaire. La malade ou tarantata était stimulée par le rythme ternaire du tambour
et par certains sons et couleurs. Au XVIIe siècle, ces danses et musiques de la région de
Tarente, prirent le nom de tarentelles et étaient dansées lors des fêtes populaires (G. di
Lecce, « Attarantati… à propos des tarentelles dans les Pouilles (Italie) », Bulletin de l’AFAS
n°25, 2003).
Une tarentelle accompagnée à la chitarra battente et au tamburello
Quelques piqûres d’araignée ne suffisent pourtant pas à justifier la diffusion de ces rites
thérapeutiques, de cette musique et de ces danses dans tout le sud de l’Italie. Il est assez
largement admis par les anthropologues que le tarentisme servait d’exutoire à une population soumise à l’oppression masculine, morale et ecclésiastique. Il y a dans ces pratiques
nocturnes de musique, de danse et de transe, et dans le fait que les protagonistes soient
surtout des femmes, des similitudes frappantes avec les cultes de possession du sud de la
Méditerranée qui ont eu aussi une forte dimension thérapeutique.
Le tarentisme a perduré jusque dans les années 50. Après quelques décennies d’oubli,
les musiques du Salento connaissent un renouveau sous l’effet du regain identitaire, du
tourisme et du développement des festivals de musique comme La Notte della Taranta à
Melpignano. Ce faisant, elles tendent à se transformer au contact des musiques actuelles
(rock, hip hop…), mais quelques artistes qui, comme Anna Cinzia Villani, mènent un
travail de collectage auprès des anciens, continuent de les interpréter dans leur style
original tout en les enrichissant de compositions nouvelles.
Née dans la région de Tarente, la tarentelle a essaimé dans toute l’Italie du sud, dans
les Pouilles, en Calabre, en Sicile, en Campanie. Dans le Salento elle a pris la forme de
la pizzica, (littér. : piqûre , pincement). Si la tarentelle a été assez vite réinterprétée et
exploitée par les musiciens et les compositeurs, la pizzica est restée une musique purement curative tant que le rituel existait. Elle se décline en plusieurs types selon les villages
et le rôle au sein du rituel. Son rythme est généralement ternaire, souvent fébrile, c’est-àdire difficile à identifier pour un non-initié, et marqué par le tamburello (un tambourin à
cymbalettes) sur un tempo qui peut varier du lent jusqu’au rapide.
La pizzica-taranta, individuelle ou collective, est la danse par excellence du rite de guérison
des tarantati et de leur pèlerinage à Galatina (dans les environs de Lecce).
La pizzica de core (pizzica de la joie) se danse à
l’occasion des fêtes populaires, des mariages et
des fêtes de famille. C’est une danse de couple
dans laquelle les danseurs sautent légèrement
sur chaque pied alternativement.
La pizzica-pizzica propose peu de figures et son
intérêt réside dans l’endurance des danseurs car
son rythme ne cesse d’accélérer. Elle est exécutée
lors des baptêmes, mariages, moissons, vendanges,
etc. Elle est accompagnée à la guitare, à l’accordéon
diatonique, au tambourin, tandis que les chanteurs se succèdent pour improviser les paroles.
La pizzica-scherma ou danse des couteaux se danse
dans la nuit du 15 au 16 août, veille de la San
Rocco. Aux sons des tambourins, des danseurs se
lancent des défis en pointant leurs mains comme
des couteaux. Le premier touché est éliminé.
AUTRES RÉPERTOIRES
Dans la petite région de la Grecìa salentina rassemblant plusieurs bourgs et villages
de la province de Lecce, se parle encore un dialecte grec appelé gríco. Cette communauté est réputée pour ses chants de Noël et de la Semaine sainte. Traditionnellement,
à partir du dimanche des Rameaux, deux chanteurs a cappella ou accompagnés par
un accordéon vont d’un carrefour à un autre, portant un rameau d’olivier décoré de
rubans de couleur, des images saintes et des oranges qui sont un vieux symbole de
fertilité. Ils interprètent à tour
de rôle les srophes des canti di
passione (chants de la Passion).
À la fin, ils reçoivent une
offrande en espèces ou en
nature. La théâtralité de leur
interprétation, de leurs gestes,
de leurs mimiques, rappelle
que ces chants sont les vestiges
des représentations sacrées qui
avaient lieu autrefois pendant
la Semaine sainte.
Anna Cinzia Villani et Carla Maniglio dans un chant de la Passion.
Le répertoire d’Anna Cinzia
Villani comprend aussi des chants
de travail, a cappella comme les
chants de trainieri (charretiers),
ou accompagnés par les instruments.
Certains sont à deux voix, on les
appelle canti alla stisa ou paravoce. Ce sont des chants responsoriaux dans lesquels la seconde
voix se superpose à la première
en tierces, ou en quartes ou en
quintes parallèles.
Anna Cinzia Villani et Carla Maniglio chantent également des sérénades, des berceuses
(ninnananne) et des stornelli, courtes strophes parfois improvisées qui étaient chantées
pour faire la cour à une jeune fille.
Rondinella, que viennent les oiseaux de mer / car je dois vous dire
deux mots / et j’ai besoin d’une plume / pour écrire cette lettre. /
Prenez-en une belle, / juste sous l’aile / afin qu’elle ne déchire pas
le papier / sur lequel vous lui offrirez votre âme et votre cœur.
La voix et les instrumentS
La voix salentina se caractérise par son extrême tension qui produit un timbre acide mais
aussi une grande énergie. Les Salentins disent que c’est une voix faite pour couvrir de
longues distances à travers la campagne. Mais il n’est pas impossible aussi qu’il y ait une
relation esthétique entre la qualité de la voix et la fébrilité
du tarentisme.
L’organetto est un accordéon diatonique utilisé depuis le
XIXe siècle et qui a peu à peu remplacé le violon dans les
musiques de tarentelle et de pizzica. Il est largement répandu
dans les musiques populaires d’Europe, d’Amérique du nord
et du sud mais sa facture varie selon les régions et les styles
musicaux. Annamaria Bagorda joue d’un organetto bi-sonore
à deux rangées et à huit basses » de la firme italienne Dino
Baffetti : à la main droite, le clavier mélodique comprend
deux rangées d’une dizaine de boutons, une pour la gamme
de la majeur, l’autre pour la gamme de ré. En tirant ou en
poussant le soufflet, chaque bouton produit deux notes
différentes de sorte que 10 boutons produisent 20 notes. À
la main gauche, 8 boutons permettent de jouer les basses
d’accompagnement, également en « poussé-tiré ».
Attilio Turrisi joue de deux guitares différentes, une guitare
classique à six cordes en nylon et une chitarra battente qui
s’est répandue dans toute l’Italie méridionale
au XVIIIe siècle. La chitarra battente a une
caisse plus étroite que la guitare classique.
Ses cordes sont doubles et en métal. Un fil
de fer en spirale est placé à l’intérieur de la
caisse. Lorsque le musicien joue en égrenant
ou en plaquant ses accords, ce fil résonne par
sympathie avec les cordes, donnant à l’instrument un timbre métallique très particulier.
Roberto Chiga est un virtuose du tamburello,
le tambourin à cymbalettes autrefois utilisé Guitare classique
dans les rituels. C’est un instrument difficile
car il est battu tour à tour avec
la paume, les doigts à plat, les
doigts repliés, les phalanges
ou la tranche de
la main, sur
un
rythme
rapide qui
ne
tolère
a u c u n e
faiblesse.
Chitarra battente
Depuis l’essor du festival La Notte della Taranta qui rassemble chaque année des milliers
de personnes dans le petit village de Melpignano, les musiques du Salento connaissent un
regain sans précédent mais aussi un fort métissage avec les musiques actuelles et amplifiées (rock, rap etc.) ce qui les écartent de plus en plus des sonorités traditionnelles.
Sans tomber dans une démarche folklorique ou muséographique, Anna Cinzia Villani s’attache
à préserver le son et les techniques vocales des paysannes d’autrefois, des techniques qu’elle
a acquises au fil de ses années de
collectage dans les villages de sa
région, et qu’elle utilise dans ces
répertoires anciens mais aussi dans
ses propres compositions.
Chanteurs de stornelli
photographiés dans les années 50
par Alan Lomax.
Photos D. R.
Texte, conception et maquette, Pierre Bois (MCM)