article_de_deborah_landis

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un article de Déborah Nadoolman Landis publié dans le V&A MAGAZINE winter 2012.
"SOYEZ SEDUITS
Depuis le tout début, c’est mon amour pour l’histoire et le théâtre qui ma propulsée vers le
costume. Entendre une camarade de classe se plaindre que l’histoire c’était « ennuyeux »
me paraissait bizarre. L’histoire pour moi était vivante, pleine de récits de personnages et de
conséquences tangibles.
Enfant, j’étais obsédée par la couleur, la peinture, les arts décoratifs, l’architecture, le
jardinage, la céramique, la littérature et l’anthropologie, ce qui m’a parfaitement préparée
pour la création de costumes.
Pendant que j’étais au lycée, ayant lu Compendiums of Dress de James Laver, j’ai
correspondu avec lui alors qu’il collectionnait les gravures, peintures et dessins au Victoria &
Albert Museum. Après plusieurs décennies ça n’était pas surprenant pour moi de retourner
comme « chez moi », vers l’institution à laquelle il a consacré sa vie.
La création me venait si naturellement, il est difficile pour moi de dire à partir de quel moment
j’ai utilisé ce titre de manière officielle. Dés que mes petits pieds pouvaient atteindre la
pédale de la machine à coudre de ma grand-mère, elle m’a appris à coudre. Quant j’étais
capable de manier des aiguilles et un crochet, elle m’a passé une pelote de laine. Je ne peux
me souvenir d’un moment ou je n’étais pas en train de regarder ou faire du théâtre. Le
costume d’époque, le costume ethnique, le textile et à moindre degré la mode faisaient
toujours partie de mon monde.
Ce n’est qu’à partir du moment où, à l’université Goddard du Vermont, j’étais assise à la
cafétéria avec le dramaturge David Mamet qui était assistant de mon professeur, que j’ai pris
la décision définitive d’en faire ma carrière. Prodige du pistolet à colle, de l’agrafeuse et du
scotch adhésif, je pouvais fabriquer n’importe quoi à partir d’un set de table en papier
dentelle, d’une serviette de bain, ou d’un drap. Cela m’a été fort utile plus tard quand il a fallu
fabriquer la toge de John Belushi pour Animal House (1979), réalisé par mon fiancé John
Landis, qui est devenu mon mari.
Ma vie professionnelle a débuté comme stock girl (gestionnaire des stocks) au Studios de
NBC, travaillant sur les émissions de variétés les plus ‘glamour’ de la télévision, et j’ai rejoint
mon syndicat, le Costume Designers Guild, Local 892, en 1976.
J’ai fais la création des costumes de 1941 de Stephen Speilberg (1979), et juste après Blues
Brothers (1980), Raiders of the Lost Ark(1981) et An American Werewolf in
London (1981). J’avais découvert ma vocation et suis devenue une créatrice attitrée
d’Hollywood, avec un portfolio déjà rempli de classiques modernes.
En tant que professionnelle, travaillant aux studios et sur le plateau j’étais noyée dans mon
travail. Comme d’autres créateurs de costumes, je n’avais qu’une seule perspective : arriver
à habiller les acteurs et rester dans son budget.
En vérité j’étais consciente du malentendu culturel général autour du costume,
principalement à cause des reportages mal orientés (ou l’ignorance totale) dans les revues
de mode. Ces articles prêtant à confusion, produisaient tant de consternation dans le métier,
surtout quand le nom du créateur était absent des listes des costumes les ‘plus’ remarqués.
Le créateur de costume semblait jouir de peu d’estime en manière générale. Les récits sur la
marginalisation du costumier abondent dans l’histoire d’Hollywood. Au début, les créateurs
étaient relégués au ‘wardrobe’ (habillage). Ce travail de « bonne femme » était perçu comme
un emploi ne nécessitant aucune formation que « n’importe qui » pouvait exécuter.
Le Academy of Motion Picture Arts and Sciences a fondé les Academy Awards en 1927,
mais ce n’est qu’en 1948, après le lobby de Edith Head et d’autres qu’on a instauré l’Oscar
du costume.
Il est incroyable que les plus grands films de l’âge d’or d’Hollywood : Autant Emporte le
Vent (création de Walter Plunkett) ayant reçu plusieurs récompenses, et le Magicien
d’Oz (Adrian 1939) n’aient jamais reçu d’Oscars, la catégorie de création de costume
n’existant pas.
Depuis les débuts d’Hollywood, les créateurs de costume ont contribué à donner vie aux
personnages de films. Ces personnages, toujours au centre de l’écran, sont la focalisation
totale du public. C’est leur histoire.
Quant je suis devenue présidente du Costume Designers Guild en 2001, je nous
représentais aux réunions de négociations collectives avec les producteurs et les studios.
Pour la première fois dans l’histoire de notre syndicat, j’ai fait une présentation en
PowerPoint.
J’ai donné un cours intitulé « Introduction à la Création de Costumes » à un groupe
d’avocats déconcertés, spécialistes du droit du travail, autour de là table des négociations.
Ils étaient impressionnés, mais ont cité la « condition précédente » pour justifier leur refus
d’améliorer nos salaires et conditions de travail. Pendant les négociations j’ai aussi appris
qu’un créateur de décors (chef décorateur) recevait un salaire supérieur de 30% au créateur
de costumes selon l’accord de base d’Hollywood.
Ce fait, clairement fondé sur les sexes (chef décorateurs masculins vs créateurs de
costumes majoritairement féminins) m’a profondément choqué. La réparation des injustices
historiques a aussi joué un rôle dans la création de l’exposition « Hollywood Costume ».
Cette première négociation syndicale de contrats m’a poussé à élever le statut et le prestige
de mon métier. Au moment de ces premières négociations j’ai réalisé la pauvreté du profil
public et professionnel de la création du costume. « travail sous contrat » sans droit de
propriété sur nos créations, confondus avec la création de mode de manière quotidienne,
nous sommes des créateurs anonymes sans licence et sans étiquette sur les vêtements que
nous créons.
Le temps d’un mandat de créateur de costumes, j’étais transformée en présidente de
syndicat avec une stratégie coordonnée. Pendant les cinq années de travail sur Dressed : A
Century of Hollywood Costume Design (HarperCollins, 2007) j’ai commencé à développer
l’idée d’une grande exposition du costume comme plateforme de mise en valeur du
processus de création. Mon assistante, Natasha Rubin et moi avons passé des années à
rassembler les renseignements sur toutes les expositions précédentes.
L’ironie est que les habits eux-mêmes représentaient peu d’intérêt pour moi, mais l’occasion
de raconter l’histoire de la création de costumes m’a paru irrésistible. En fin de compte, j’ai
parlé de mon idée avec Christopher Frayling, mon directeur de thèse en tant que recteur
du Royal College of Art. Un des plus anciens membres du conseil d’administration du V&A, il
m’a suggéré d’amener la proposition au musée. L’appât était la célébrité et le glamour de
Hollywood, l’enjeu : d’allier l’aspect apparent du sujet avec sa substance qui est le rôle
véritable du créateur de costumes : la création de personnages authentiques.
J’ai fait part de mon idée d’une exposition sur la création de costume à mes collègues
(créateurs de costumes) qui n’étaient pas convaincus et sans enthousiasme. Toutes les
expositions dans ce domaine ont été décevantes : mauvais éclairage, des mannequins
chauves sur un refrain de vêtements mal ajustés et mal assortis, le commentaire général
était : « vieilles sapes sur mannequins » de la part des créateurs.
Les costumes de cinéma sont créés pour un moment précis dans un film. Ces vêtements
n’existent que pour le contenu visuel et dramatique de la scène. Ils existent pour être
projetés et non pour être exposés dans une galerie. L’objectif insaisissable était l’impossible :
remettre l’acteur en scène dans son costume dans les galeries. Certains créateurs
considéraient une exposition de costumes de cinéma comme une trahison. J’ai persévéré.
La nature même d’un ‘storytelling’ cinématographique réussi était un danger pour cette
exposition. Le meilleur compliment pour un créateur de costumes est que l’audience ait aimé
le film, sans s’apercevoir des costumes. Le film exige que l’acteur apparaisse dans son
personnage et le public doit s’investir dans l’issue de l’histoire. La création parfaite est
parfaitement invisible, et les créateurs sont punis (sans nominations aux Oscars) de leur
virtuosité.
Les costumes d’époque et de fantaisie font de jolies expositions, c’est évident. Ces
expositions populaires voyagent avec succès dans le monde entier. Les galeries du V&A
peuvent être remplies de costumes d’époque récompensés de l’Academy et mal raconter
l’histoire de la création de costumes. Dans l’élaboration de l’exposition ‘Hollywood
Costume’, la partie critique est devenue la décomposition rigoureuse du processus créatif.
Cette organisation innovatrice fait la singularité de ‘Hollywood Costume’. C’est une
exposition majeure de costumes non basée sur un spectacle d’artefacts emblématiques,
mais sur la contribution de créateurs à des œuvres inoubliables.
Si les créateurs créent véritablement les personnages de « l’intérieur à l’extérieur », j’ai
décidé que cette exposition serait crée de la même manière. » L’acte » Premier serait
« Déconstruction » (le scénario) là ou les créateurs commencent, le deuxième acte,
«Dialogue » (collaboration avec les réalisateurs et les acteurs) et le troisième acte
« Finale » (une cavalcade de costumes emblématiques).
Le rassemblement des costumes pour ‘Hollywood Costume’ était beaucoup plus complexe
que de créer sa structure en trois actes. Ma première tâche était de rédiger une liste des
films les plus importants à inclure, en demandant à tout le monde « quel est ton film préféré
? ».
Trouver les vêtements du film allait s’avérer un défit insurmontable pour moi et Keith
Lodwick, mon assistant curator du V&A. En tant que professionnelle, je savais que les
costumes pouvaient se trouver au quatre coins du monde.
Depuis l’âge d’or d’Hollywood jusqu’à aujourd’hui, les studios et productions ont sans cesse
vendu, loué et recyclé leurs costumes à la fin des tournages. Warner Bros était le premier
studio à finalement créer des archives au milieu des années 90. Le marché du souvenir
Hollywoodien est en plein essor et les costumes de films font la joie des collectionneurs, à
des prix très élevés. Les studios continuent à jeter par-dessus bord les costumes orphelins.
En 2007 l’actrice et longtemps collectionneuse Debbie Reynolds pleurait assise dans mon
salon. Tous ses efforts courageux pour fonder un musée du costume d’Hollywood ont été
vains. Elle m’offrait généreusement le choix dans son incomparable collection privée pour la
future exposition au V&A.
Puis en 2011 advint le désastre : Debbie était contrainte pour banqueroute de vendre aux
enchères sa collection. Pendant la vente, j’ai observé avec horreur la dissémination de sa
collection sur la surface du globe. Heureusement, nous avons pu tracer ces collectionneurs
disparates, leurs vêtements précieux seront visibles au V&A.
Ma plus grande surprise a été mon audace. Il y a quelques années, dans la première version
de la proposition de l’exposition, j’ai écris les noms de Meryl Streep et Robert de
Niro comme des acteurs idéaux pour parler du costume en tant que processus de
transformation. J’étais un peu appréhensive de les avoir choisis pour l’exposition, car je ne
les connaissais pas personnellement. (C’était un risque que je voulais bien prendre.)
Ayant rencontré occasionnellement les réalisateurs Martin Scorcese, Mike Nichols et Tim
Burton j’ai rajouté leurs noms à ma liste. Chacun de ces réalisateurs entretient de célèbres
complicités créatives pour les aider à raconter leurs histoires.
Le secret du bien-fondé de ma démarche était leurs créateurs et mes collègues loyales : Je
connaissais Colleen Atwood, Sandy Powell et l’incomparable Anne Roth. Ensemble nous
allions rassembler nos ressources formidables pour contacter ces artistes.
Faire les interviews avec Meryl Streep et Robert de Niro au sujet de la création de leurs
personnages était tout à fait exaltant. Les réalisateurs s’exprimaient divinement à propos du
costume. Martin Scorsese a dit : « Le costume est l’élément le plus important dans mes
films ». Je n’avais pas prévu de déclaration d’une telle vigueur !
Une fois terminé tous les interviews, j’étais toujours étonnée de ma propre audace, mais
également très soulagée. Comme tout les grands films, l’exposition ‘Hollywood Costume’
ne sera une réussite que si le public est séduit par son histoire. Jusqu'à l’ouverture je ne
saurais pas si mes amis avaient raison de douter. La romance et la magie des films devront
être présents dans les galeries. Arrachés à leur impératif cinématographique et au contexte
du récit, ces costumes devront se confondre avec leurs personnages et de nouveau prendre
vie dans les galeries. L’atmosphère se devra d’être éclectique.
Mon rêve de tout temps de célébrer la contribution de la création du costume ouvre au V&A,
à l’issue de cinq ans de travail et une vie entière de préparation intense. "
traduit de l'anglais par Virginia VOGWILL (Afcca)
Deborah NADOOLMAN LANDIS est Créatrice de Costumes Nominée aux Academy Awards,
Commissaire de l’exposition « HOLLYWOOD COSTUMES » du V&A Museum de Londres,
Auteure de l'ouvrage « Dressed : A Century of Hollywood Costume Design »,
Directrice du David C Copley Center for Costume Design à UCLA, USA
Et présidente de la Costume Designers Guild, USA