Texte de Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l`origine des langues

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Texte de Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l`origine des langues
Texte de Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues, chap. IX, extrait :
Remarques liminaires : a) ce qui suit n’est qu’un plan détaillé, et non un commentaire de texte philosophique : lors de la rédaction
finale, il conviendra surtout de ne pas se contenter de juxtaposer les arguments, et de développer certainement davantage ; b) tout ce
qui figure ici entre crochets droits, toute indication correspondant à la démarche suivie, comme les numéros des paragraphes, devront
disparaître dans un devoir.
[Introduction]
[Objet du texte]
Dans cet extrait, il est question de l’opposition majeure entre les cultures du Nord et celles du Sud, qui
symbolisent selon Rousseau deux rythmes très différents de transformation des langues. Au Nord se
trouverait la norme idéale, au Sud l’écart maximal qui puisse être conçu relativement à cette norme.
L’origine des langues nous met ici en présence d’une importante différenciation en fonction des facteurs
géographiques et climatiques.
[Position du problème]
L’unité de l’humanité peut-elle être conçue sur le fondement des préoccupations communes des hommes,
ayant trait avant tout à la satisfaction de leurs besoins, ou bien les différences entre les cultures humaines
sont-elles proprement irréductibles ?
[Moments de l’argumentation]
Dans un premier moment, l’auteur montre qu’au Nord, les premières formes de communication entre les
hommes trouveraient leur origine dans le rapprochement communautaire autour du foyer, à l’occasion des
repas communs et des fêtes, c’est-à-dire sous le signe du plaisir, et non du travail.
Dans un second moment, il explique qu’au Sud au contraire la nécessité de disposer de points d’eau
communs pour abreuver le bétail et de les entretenir régulièrement sous un climat aride rapprocherait les
hommes tout en alimentant leurs conflits, à défaut de pouvoir fonder un véritable lien social.
[1ère partie : explication du premier moment]
1) Tout au Nord de l’Europe, la nature ne se laisse pas maîtriser par l’homme. Les hivers longs et rigoureux
qui succèdent sans transition aux étés, la longueur des nuits hivernales, l’omniprésence de la neige et de la
glace, jusqu’au printemps, contraignent à des efforts constants pour la survie, que les aléas climatiques
menacent sans cesse. Il fut d’abord nécessaire de s’entraider pour seulement passer l’hiver, ce dont la fable
de La Fontaine porte le lointain témoignage. Les hommes, avant tout mus par l’individualisme et leur
véritable passion pour la liberté, passent alors presque sans transition de la vie sauvage à la vie sociale, en
brûlant en quelque sorte l’étape de la société naissante, c’est-à-dire chez Rousseau de la barbarie. C’est ce
qui expliquerait selon Rousseau le caractère prématuré des sociétés nordiques : elles conserveraient de la
férocité des premiers âges de l’humanité, alors même que les langues parlées seraient plus adéquates à
l’expression des besoins que des passions. Le feu, indispensable à la cuisson des aliments et pour réchauffer
les corps, est l’élément ayant pu immédiatement favoriser le rapprochement des hommes. Il fournit
l’occasion des festins et des fêtes, qui constituèrent les remèdes par excellence contre la longue nuit
hivernale.
2) Mais les repas conviviaux et les fêtes ne peuvent être l’occasion que de rassemblements provisoires. C’est
là toute la différence avec le Sud : le lien social se forme en marge du besoin, dans un temps mort, celui des
hivers les plus rigoureux, à partir du sentiment d’une identité communément partagée. Dès le printemps
revenu, chacun peut recouvrer son indépendance et travailler de son côté. La chasse et la pêche suffisent pour
l’essentiel à la satisfaction des besoins de populations clairsemées, alors que la fécondité traditionnellement
bien plus élevée des femmes africaines et orientales, accrue encore par la pratique de la polygamie, nourrit de
constants mouvements migratoires et contraint à des contacts toujours plus fréquents entre des tribus
voisines. Les langues parlées par les différents peuples en porteraient selon Rousseau le témoignage tout
autant que les mœurs : gutturales et fortement articulées pour les unes, à l’image de mœurs rudes mais
franches et simples, tout au contraire chantantes et harmonieuses dans les pays méditerranéens,
correspondant à des mœurs en apparence plus raffinées, mais au travers desquelles l’hypocrisie et la
malhonnêteté constituent souvent les règles mêmes de la vie en commun.
3) C’est sur le foyer domestique que « brûle le feu sacré qui porte au fond des cœurs le premier sentiment de
l’humanité » : le « feu sacré » entretenu en permanence fut le germe du sentiment religieux primitif, lequel
permit d’unir les hommes en des communautés cultuelles vivantes. Dans toutes les sociétés indoeuropéennes, on retrouve son importance, des bûchers funéraires aux vestales de la Rome antique. Le feu est
rénovateur, purificateur. Toutes les religions indo-européennes célèbrent par exemple au centre du foyer ou
de la communauté le solstice d’hiver, soit le moment précis de l’année où les jours commencent à rallonger,
la fête par excellence de Sol invictus, le Soleil invaincu, récupérée par les chrétiens comme Dies Natalis
Solis, le jour de la Nativité, Noël en français. Et partout en Europe, des campagnes françaises jusqu’au nord
de la Russie, les feux de la Saint Jean sont de tradition immémoriale.
[2ème partie : explication du second moment]
1) Dans les pays chauds et arides, la domestication des ressources en eau fut probablement dès l’origine la
première préoccupation des hommes. L’eau, qui permet d’entretenir la vie, constituait sans doute une
richesse en soi. Dans de telles contrées, il est nécessaire de creuser des puits, de les entretenir régulièrement
pour éviter leur assèchement ou leur ensablement, de prévoir des canaux d’irrigation, d’aménager le cours
des rares rivières. Les familles et les tribus nomades, qui ne peuvent survivre que de leurs troupeaux ou du
pillage de leurs voisins, sont régulièrement contraintes d’unir leurs efforts dans le travail commun. C’est
autour des points d’eau qu’éclatent les sempiternelles querelles de ces peuples jouisseurs et possessifs, dont
le type est donné par celle du chapitre XXI du livre de la Genèse entre Abraham et Abimèlèkh, dont l’enjeu
était la possession d’un puits que les esclaves du second avaient spolié. C’est aussi là que se concluent les
pactes, à l’occasion du rapprochement forcé des troupeaux et des tentes.
2) Les fontaines, comme le décrit Rousseau, pouvaient aussi constituer des lieux de rendez-vous favorisant le
rapprochement entre les sexes, habituellement rigoureusement séparées, dans des cultures où les femmes
sont assimilées à des biens meubles, où la virginité des filles est considérée comme un capital
particulièrement précieux. Les hommes en charge des troupeaux qu’ils abreuvent avaient l’occasion
d’approcher des femmes auxquelles ils ne sont pas apparentés, qui viennent puiser de la même eau pour les
besoins domestiques. Ils pouvaient ainsi échanger des regards, et davantage encore. Là se tissaient, de même
que les traités et les pactes, sans doute aussi les futures alliances matrimoniales.
3) Quoi qu’il en fût, le nomadisme pastoral, en forçant les hommes à se rassembler autour des points d’eau et
à travailler constamment à leur entretien, favorisa certainement la sédentarisation des hommes et
l’établissement des premières cités. Que le berceau des premières civilisations doive être recherché au
Proche Orient ou en Afrique ne tient pas au hasard : la communauté véritable ne pouvait naître selon
Rousseau que du travail nécessaire à la satisfaction des besoins communs, constituant le moment même de la
seconde naissance de l’homme, en réunissant celle des langues et des premières cités.
[3ème partie : approfondissement réflexif et critique]
1) On aura beau jeu de reprocher à Rousseau ses ignorances, tant en matière linguistique que dans l’histoire
des premières sociétés, lesquelles ne remontent certainement pas à l’Antiquité, mais aux origines mêmes de
l’humanité. Et sa plus grave erreur est certainement de croire que l’origine des langues serait à trouver dans
la formation des sociétés à partir d’un état d’isolement primitif de l’humanité. Non seulement, aussi loin
qu’on remonte dans le passé, on peut se convaincre de ce que les hommes ont toujours vécu en société,
depuis la naissance de l’humanité, mais de ce que les hommes préhistoriques parlaient déjà des langues tout
à fait distinctes, et entre lesquelles aucune communication, même simplement utilitaire, n’était possible, ce
que la linguistique contemporaine a permis d’établir.
2) Rousseau a cependant approché ici l’opposition absolument irréductible entre deux univers mentaux
fondamentalement hétérogènes l’un à l’autre, indo-européen et sémite, ou, plus conventionnellement, et ce
qui serait sans doute politiquement plus correct, entre l’Occident européen et l’Orient, le Nord et le Sud. Au
Nord, le despotisme serait impossible, tant les hommes peuvent tenir à leur indépendance, ce qui n’empêche
pas la formation de liens d’allégeance réciproques fondés sur la fidélité à ses engagements et le respect de la
parole donnée. Au Sud, c’est l’esclavage qui constitue d’abord la règle, comme les législations les plus
contraignantes qui puissent être, incluant, en matière pénale, les châtiments corporels les plus cruels. Le
Coran par exemple affirme dans cet esprit et à plusieurs reprises que tous les êtres vivants, ce qui inclut les
croyants musulmans eux-mêmes, ne sont autres que les esclaves d’Allah : « Tous les êtres des cieux et de la
terre viennent esclaves au Miséricordieux ». « Il les a dénombrés, il en a fait le compte » (19, 93-94) ; « La
terre est à Allah, il en fait héritier qui il veut d’entre ses esclaves » (7, 128) ; « Allah n’est pas injuste envers
ses esclaves » (3, 182) ; « Allah est maître des croyants » (2, 207, 257 ; 3, 30) ; etc. ; ce qui paraît
insupportable à un esprit européen.
3) Il faut rendre aussi à Rousseau le mérite d’avoir compris que la réalité humaine ne se conçoit que comme
fait de culture, c’est-à-dire sous l’aspect de la diversité, que l’unité de l’humanité n’est qu’une abstraction
pure, chère aux différents monothéismes. Seule est immédiatement perceptible la singularité des cultures. De
même que pour Montesquieu, celle-ci serait déterminée avant tout par le climat et la forme prise par
l’organisation du travail. Les pays chauds produiraient des hommes naturellement faibles et indolents, qu’il
faudrait contraindre au travail par la menace constante des peines les plus sévères, alors que dans les contrées
du Nord de l’Europe, ils se montrent spontanément bien plus actifs et entreprenants, puisqu’il en irait
souvent de leur survie même – cf. la seconde partie du Second Discours : « Il est inconcevable à quel point
l’homme est naturellement paresseux, etc. » – La diversité des langues témoigne de celle des communautés
humaines : la langue, en étant située à la frontière entre la nature et la culture, manifeste l’identité propre aux
différents peuples de la Terre, l’enracinant dans un lieu géographique toujours particulier.
[Conclusion]
[Résumé de la démarche suivie]
Dans une première partie, nous avons vu comment au Nord de l’Europe les hommes étaient passés sans
transition selon Rousseau d’un état d’isolement primitif à l’état social, à l’occasion des festins et des fêtes
occasionnelles autour du feu commun. Dans une deuxième partie, nous avons souligné au contraire
l’importance de l’élément eau pour la compréhension des cultures orientales et africaines. Dans une
troisième partie enfin, nous avons relevé les erreurs commises par l’auteur, mais aussi les apports de ses
analyses.
[Solution du problème posé]
Entre les cultures humaines, comme le pensait Rousseau, les différences sont irréductibles. On ne saurait
alors que considérer leur diversité comme un bien, car source d’enrichissement mutuel, et l’homogénéisation
culturelle du monde comme un mal, que ce soit par les standards de la consommation de masse, par la
diffusion massive d’une sous-culture valorisant partout à l’heure actuelle l’ignorance et la paresse, l’argent
facile et la prédation, ou sous le couvert d’un impérialisme ou un autre, toujours au service des intérêts du
commerce et de la finance.

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