La plume et le pinceau. Hommage à Denis Diderot, critique d`art

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La plume et le pinceau. Hommage à Denis Diderot, critique d`art
Présentation aux enseignants
mercredi 13 février 2013, 14h
La plume et le pinceau.
Hommage à Denis Diderot, critique d'art
Bernard-François Lépicié (1698-1755)
La Gouvernante
Exposition présentée du 6 février au 28 avril 2013
Ouverture en continu le mardi de 10h à 18h,
du mercredi au dimanche de 10h à 12h et de 14h à 18h
(sauf lundis et jours fériés)
Informations pratiques
Musée des beaux-arts
20 quai Emile Zola
35000 Rennes
02 23 62 17 45
www.mbar.org
Ouverture en continu le mardi de 10h à 12h,
du mercredi au dimanche de 10h à 12h et de 14h à 18h
(sauf lundis et jours fériés)
La gratuité est accordée aux groupes scolaires accompagnés et aux enseignants préparant une visite
dont la date a été préalablement fixée.
Seuls les groupes ayant réservé seront admis dans l'enceinte du musée.
Afin de faciliter l'enregistrement des groupes, merci de présenter le carton de confirmation à l'accueil du
musée.
Pour tous les groupes, réservation obligatoire au 02 23 62 17 41
lundi, mercredi, jeudi et vendredi : 8h45 - 11h45 / 13h30 - 16h30
Permanence des conseillers-relais :
Mercredi, 14h - 17h : Yannick Louis (histoire-géographie)
Mercredi, 15h - 18h : Marie Rousseau (arts plastiques)
Téléphone : 02 23 62 17 54
Nous rappelons que :
> Les élèves sont sous la responsabilité des enseignants et des accompagnateurs.
Aucun élève ne doit être laissé seul, en particulier pour les groupes sans animation qui circulent
librement dans l'ensemble du musée.
En cas d'incident, l'établissement scolaire sera tenu pour responsable.
> Il est demandé aux établissements scolaires de prévoir un nombre suffisant d'adultes pour encadrer
les élèves.
> L'effectif du groupe ne doit en aucun cas être supérieur à 30 élèves.
> Il est interdit de manger et de boire dans les salles.
> Seul l'usage de crayons papier est autorisé : les stylos à bille ou à encre, les feutres, les compas et
les paires de ciseaux sont prohibés.
> Il est interdit de crier.
> Il est interdit de courir.
> Il est interdit de s'approcher à moins de 1 mètre des œuvres, et à plus forte raison de les toucher.
> Les photos sont autorisées, mais sans flash.
En cas de non-respect de ces règles élémentaires de conduite, le personnel du musée est autorisé à
demander le départ immédiat du groupe.
Merci de votre compréhension
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Perspective historique
LA PLUME ET LE PINCEAU
L'émergence d'un espace public au XVIIIème siècle correspond au "processus au cours duquel le public
constitué d'individus faisant usage de leur raison s'approprie la sphère publique contrôlée par l'autorité et la
transforme en une sphère où la critique s'exerce contre le pouvoir de l'État."
Jürgen Habermas, "L'espace public", 1962
L'exposition présentée au musée des beaux-arts et intitulée La plume et le pinceau. Hommage à Denis Diderot,
critique d'art célèbre le tricentenaire de la naissance de Denis Diderot (1713-1784).
Si Diderot n'est pas le premier à écrire sur les œuvres d'art, ses textes n'en constituent pas moins le prototype
de la critique et le situent à un tournant dans l'histoire de l'art, alors qu'on se lasse du Rococo et que le public
prétend faire entendre sa voix.
La critique, au XVIIIème siècle est inséparable des Salons, eux-mêmes directement liés à l'Académie dont il faut
rappeler les conditions de la naissance, son ambition et son évolution en lien avec l'affirmation d'un espace
public.
I POURQUOI L'ACADÉMIE ?
La naissance de l'Académie royale
Les premiers statuts de l'Académie royale de peinture et de
sculpture sont enregistrés en 1648, mais c'est sous l'influence de
Colbert que, vingt ans plus tard, elle devient véritablement pérenne.
Elle s'installe au Louvre en 1692
L'enjeu consiste à libérer la peinture du carcan des vieilles
maîtrises qui en règlementaient l'activité (pour le plus grand
bénéfice des maîtres) afin que, à l'exemple de Rome, la peinture
prenne toute sa place dans le monde des arts. Et c'est le mode de
réception des peintres à l'Académie qui en signale le changement :
on ne demande plus au peintre de se situer dans la lignée d'un
atelier et d'un maître, mais de faire preuve de génie évalué par l'œil
de ses pairs. L'Académie se veut élitiste ! Et si les maîtrises de
peintres s'étaient efforcées de maintenir une certaine solidarité
entre les diverses confréries qui les composaient, l'Académie réduit
le métier de peintre à sa seule dimension artistique (au mépris des
éventaillers par exemple).
Établissement de l'Académie Royale de peinture et de sculpture, (J.-B. Coignard, Paris, 1692)
Ses ambitions
L'Académie confirme une hiérarchie des genres qui place en premier la peinture d'histoire (religieuse,
mythologique ou nationale) avant le paysage, le portrait et la scène de genre.
C'est un lieu d'enseignement (on y apprend l'anatomie, la perspective...), où les conférences doivent également
rappeler les qualités des plus grands peintres (la première, par Le Brun lui-même le 7 mai 1667 s'appuie sur
"Saint Michel terrassant le dragon" de Raphaël).
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Les morceaux de réception (qui font suite aux morceaux d'agrément) constituent la collection, mais rapidement,
les peintres souhaitent s'ouvrir à un public plus large : les expositions répondent à cette ambition, alors que les
premières remises en cause de la hiérarchie des genres apparaissent (notamment avec Watteau).
II LES EXPOSITIONS ET SALONS
Les expositions : les Salons ouvrent un nouvel espace
L'Académie souhaite porter jusqu'au public les œuvres que ses membres ont retenues et espère trouver, dans
l'adhésion des spectateurs, une légitimation de ses choix.
Si les Salons obtiennent un succès rapide, d'autres lieux témoignent également du goût du public pour l'art,
notamment L'Exposition de la jeunesse qui se tient Place Dauphine, le jour de la Fête-Dieu (et permet à
Chardin de présenter "La Raie") ; à partir de 1725 et pendant quarante ans, le salon alternatif surnommé "La
Paroisse" souhaite défendre l'art classique menacé par le Rococo ; la galerie du Luxembourg ouverte au public
deux jours par semaine de 1750 à 1780 (lorsque le comte de Provence la fait fermer) expose une partie de la
collection royale. Ainsi se multiplient les lieux de rencontre entre les connaisseurs (et au-delà) et les œuvres.
Comment les Salons de l'Académie se déroulent-ils ?
En 1663, les statuts imposent aux académiciens d'exposer un tableau lors de leur réception ; la première
exposition (privée) a lieu en 1665 ; dès 1667 s'ouvre la première exposition publique
Mais l'irrégularité des expositions est encore très grande et il faut attendre le XVIIIème siècle pour que les
Salons se tiennent régulièrement.
En 1725, la "Fête de l'Académie" se tient dans le Salon Carré du Louvre ; ce qui va désormais s'appeler "Le
Salon" s'ouvre le 25 août (saint Louis) avec la visite du roi. Les premiers jours sont réservés à l'aristocratie ;
ensuite seulement, le Salon est ouvert à tous.
L'artiste après avoir présenté un morceau d'agrément qui fait de lui un académicien, n'est finalement reçu
qu'avec le tableau de réception (mais il y eut de nombreuses exceptions !), ce tableau étant exposé au Salon
après avoir été accepté par l'Académie qui, par ce procédé, présente au public et à la critique ses choix qui
peuvent ne pas être ceux du public.
Un tournant est pris avec Philibert Orry, directeur général des Bâtiments du roy en 1737 :
"L'Académie veut bien de temps en temps rendre une espèce de compte au public de ses travaux et faire voir
les progrès des arts qu'elle cultive en manifestant au grand jour les ouvrages de ses illustres membres dans les
divers genres qu'elle embrasse, afin que chacun subisse le jugement de gens éclairés, réunis dans le plus
grand nombre, et qu'il reçoive le tribu de louanges et de censures qu'il mérite, en encourageant les vrais talents
et en réprimant la fausse gloire de ceux qui ne sont pas encore assez développés et qui, fiers d'avoir d'illustres
confrères, se croient souvent aussi habiles qu'eux en négligeant leur art."
Les mots de Philibert Orry signifient bien le tournant pris alors par les Salons : si l'Académie consent à rendre
"une espèce de compte (...) de ses travaux", on relève la contradiction entre "ses illustres membres" où se
cachent peut-être de "fausses gloires" qu'il convient de démasquer, ce qui légitime le regard critique des
connaisseurs ; quelles limites fixe-t-on à cette critique ?
Dès 1745, le mécontentement exprimé par la critique face à l'inégale qualité des œuvres présentées, conduit
l'Académie à désigner un jury chargé de sélectionner les œuvres dignes d'être exposées : s'agit-il de la
première concession de l'Académie à ce "public" élément nouveau dans le paysage culturel parisien ? On
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constate que le succès conduit à accorder une attention aux spectateurs de plus en plus nombreux, à prendre
en compte ses attentes, peut-être ses goûts.
Succès des Salons...
Gabriel Jacques de Saint-Aubin (1724-1780), Vue du Salon de 1767
Plume et encre noire, lavis d’aquarelle et rehauts de gouache, 24,9 x 46,9 cm, Collection particulière, Paris
"Le Salon s'ouvre, et la foule s'empresse d'y pénétrer : que de mouvements divers agitent le spectateur ! Celuici, poussé par la vanité, ne veut être que des premiers à donner son avis ; celui-là, guidé par l'ennui n'y
cherche qu'un nouveau spectacle : l'un traite les tableaux comme un simple objet de trafic, et ne s'occupe qu'à
deviner la somme qu'ils seront payés ; l'autre espère qu'ils serviront d'ample matière à son bail. L'amateur qui
l'examine d'un œil passionné, mais trouble ; le peintre d'un œil perçant, mais jaloux ; le vulgaire, d'un œil riant,
mais stupide ; la classe inférieure du peuple, accoutumée à régler ses goûts sur ceux d'un maître, attend que le
suffrage d'un homme de marque vienne déterminer le sien. Par-dessus tout cela, beaucoup de jeunes commis
et de jeunes marchands, de jeunes clercs, en qui des travaux uniformes, journaliers et rebutants doivent
nécessairement éteindre le sentiment du beau ; voilà pourtant quels sont les hommes que chaque artiste a
désiré de se rendre favorable." Carmontelle (1717 - 1806), 1781, texte non-signé publié dans Le Frondeur
On comprend que, dans ces conditions, Diderot ne peut qu'écrire à propos d'un tableau… qu'il ne l'a tout
simplement pas vu, tenu éloigné par le nombre ; il conseille même au visiteur (dont il estime le nombre à 20
000 en 1765) de venir "avec une lunette".
… et mécontentement des peintres mal présentés, maltraités, mais parfois récompensés.
Le "tapissier" du Salon chargé de l'accrochage des œuvres présentées (comme Chardin de 1761 à 1773) joue
un rôle important ; en effet, les juxtapositions, souvent dans une proximité qui ne permet pas à l'œil d'extraire
l'œuvre du "manteau d'Arlequin" que sont devenus les murs accueillant les toiles, peuvent évidemment causer
bien des déceptions chez des peintres placés dans "l'ombre" d'un artiste plus talentueux...
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Il faut aussi supporter les critiques parfois violentes, anonymes souvent (ce qui est interdit en 1767, année du
Salon auquel François Boucher et Jean-Baptiste Marie Pierre -premier peintre du roi- refusent de participer,
refus sans doute justifié par la violence de ces écrits).
Pourtant, c'est aussi le Salon qui récompense par des prix (qui deviennent au XIXème siècle les Prix de Rome)
les artistes les plus remarquables, puisque le Salon est aussi concours...
III LA CRITIQUE
La hiérarchie des genres, au milieu des années 1770, est en totale contradiction avec les goûts du public, alors
que s'opère un glissement de l'apparat à la décoration et que s'affirme le succès grandissant du portrait (qui
représente 1/3 des tableaux en 1769 selon Diderot).
Alors que les sentiments ont détrôné les principes, la remise en question des aptitudes de l'artiste à présenter
lui-même son travail donne légitimité à l'amateur et au connaisseur qui se multiplient et écrivent... mais restent
parfois anonymes.
Les comptes-rendus des Salons
Un livret accompagne la visite pour un public de plus en plus nombreux ; essentiellement descriptif, il guide le
visiteur... mais ne pose pas de regard critique sur les œuvres, critiques mal acceptées et considérées comme
des outrages (ce qui explique l'anonymat des libelles).
Depuis 1720, le "Mercure de France" propose un compte-rendu, mais ce sont Grimm et Diderot qui s'emparent
de ce genre nouveau.
Grimm et la "Correspondance littéraire"
Grimm et Diderot, gravure de Frédéric Régamey (1877) d’après Carmontelle
(1761). Frontispice de l’édition Tourneux de la Correspondance littéraire.
Friedrich Melchior Grimm (1723-1807), diplomate et homme de lettres bavarois
d'expression française, prend en main la Correspondance littéraire en 1753 : de
quoi s'agit-il ? Un journal manuscrit présentant l'actualité culturelle
(essentiellement parisienne) destiné aux abonnés (et parmi eux, la reine de
Suède, le roi de Prusse...) ; ce journal, dont l'autocensure est parfaitement
contrôlée par Grimm, paraît deux fois par mois.
La rubrique consacrée aux Salons est assurée par Grimm lui-même ; en 1759, il
sollicite Diderot.
Diderot comprend bien l'intérêt du Salon où il voit une opportunité pour l'émancipation d'une raison critique qui
s'exerce dans un espace public où se tient un concours qui autorise donc son regard et ses écrits adressés à
des lecteurs tels que ceux de la Correspondance littéraire. (La pratique était assez répandue au XVIIIème s. :
elle permettait aux gens de lettres de trouver protection en étant "attaché à quelqu'un" et de recevoir un petit
revenu...). Diderot rédige neuf "Salons" de 1759 à 1781 et un "Essai sur la peinture" en 1766.
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Qui est Diderot en 1759 ?
Louis Michel Van Loo, Portrait de Diderot, 1767
Diderot a 46 ans en 1759 ; il a connu la prison à Vincennes en 1749
(pour la "Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient"), a
mené le projet encyclopédique à partir de 1750 (sa vente est interdite
en 1759...), vient de perdre son père et l'amitié qui le liait à
Rousseau...
De l'impertinence...
"Monsieur Pierre, chevalier de l'ordre du Roi, premier peintre de
monseigneur le duc d'Orléans et professeur à l'Académie de Peinture
vous ne savez plus ce que vous faites" (Diderot, 1763)
Avait-on envisagé une telle impertinence à l'égard d'un peintre mais
aussi d'une institution ?
Diderot adopte un ton particulier et c'est ce ton même qui doit éveiller l'attention de son ami lecteur.
Mais parfois, (comme l'écrit Pierre Lepape), le sujet intéresse davantage le critique que le tableau lui-même ;
ainsi, en 1761, lorsque Roslin représente Louis XV reçu à l'hôtel de ville de Paris, Diderot reproche au peintre
de ne pas avoir représenté la majesté royale et ne voit qu'un "monarque long, sec, maigre, élancé, vu de profil
avec une petite tête couverte d'un chapeau retapé" qui a "l'air d'un escroc qui a la vue basse." On sait que
Grimm corrige les textes de Diderot pour en retenir ce qui lui apparaît comme essentiel, lui reprochant
notamment de traiter trop largement des "pauvres choses" prêtant au peintre un peu de son génie en rattrapant
avec ses mots les faiblesses de l'œuvre. Mais il censure aussi le vocabulaire trop cru. Et sans doute les propos
les plus choquants (dans une crucifixion à refaire, le philosophe demande au peintre de représenter, entre les
deux larrons, Grimm l'hérétique et Diderot le mécréant !). De la même manière, il raille les goûts esthétiques du
marquis de Marigny, directeur et ordonnateur des bâtiments, jardins, arts, académies et manufactures royales
de 1751 à 1774.
… mais surtout, un nouveau regard...
"Touche-moi, étonne-moi, déchire-moi, fais-moi tressaillir, pleurer, frémir, m'indigner d'abord ; tu recréeras mes
yeux après, si tu peux" (Essais, 57).
Pour Denis Diderot, avant d'évaluer la prouesse technique, la virtuosité ; il faut privilégier l'émotion esthétique.
La technique ne doit rien sacrifier à l'expression.
Si Diderot apparaît comme le critique souvent cité en exemple par la suite, il n'ignore pas l'Abbé Du Bos et
Étienne La Font de Saint Yenne qui, dans la lignée de Félibien et Roger de Piles, prétendent parler du tableau
pour en mesurer son intérêt (donc poser un regard critique).
C'est l'Abbé Du Bos 1 que Diderot a sans doute lu avec le plus d'intérêt, lui même défendant ce sixième sens,
le sentiment qui fait du spectateur un connaisseur, mais à la différence de Du Bos, il s'intéresse à la production
contemporaine (ce qui fait de lui un critique au sens de Bernard Vouilloux - "La critique d'art est un genre
littéraire autonome qui a pour objet de commenter la création contemporaine").
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Abbé Du Bos : "Réflexion critique sur la poésie et la peinture" 1719 en souhaitant décrire en interprétant – allant même jusqu'à
donner la parole aux figures des tableaux, l'Abbé Du Bos parle autant des œuvres que de lui-même apannage de la critique comme
genre littéraire (Sylvain Menant, Colloque INHA 2009).
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Étienne La Font de Saint Yenne 2, véritable initiateur de la démarche critique proprement dite, met son regard
au service de la défense de la peinture d'histoire menacée par le Rococo.
… qui s'exprime dans ses "Salons"...
Quelques extraits significatifs :
"On s'arrête devant un Chardin, comme d'instinct, comme un voyageur fatigué de sa route va s'asseoir,
presque sans s'en apercevoir, dans l'endroit de verdure qui lui offre un siège, du silence, des eaux, de l'ombre
et du frais". (Diderot, 1767)
"Je m'arrête devant un morceau de peinture ; si la première impression que j'en reçois va toujours
s'affaiblissant, je le laisse ; si au contraire, plus je le regarde, plus il me captive, si je ne le quitte qu'à regret, s'il
me rappelle quand je l'ai quitté, je le prends."
Si on retient (avec Michael Fried) deux mouvements opposés que les tableaux de la seconde moitié du XVIIIème
siècle imposent au spectateur (soit l'exclusion du spectateur hors de la toile par divers moyens – notamment
l'absorption des personnages dans leurs activités à la manière de Chardin... soit l'invitation du spectateur dans
le tableau où il circule – comme les "Promenades Vernet" – Salon de 1867, ou les tableaux de Greuze),
Diderot, pour sa part, envisage souvent l'œuvre comme "matière à roman" (Pierre Sterckx). (Voir le célèbre
texte consacré à la peinture de Jean-Baptiste Greuze, L'oiseau mort).
… et se résume dans l' "Essai sur la peinture".
Diderot prétend tout ignorer de la peinture et n'avoir aucune légitimité particulière pour en parler (à la différence
du comte de Caylus "amateur honoraire" à l'Académie des Beaux-Arts, qui défend le droit de l'amateur à
s'exprimer sur la peinture. Diderot critique vivement n'y voyant qu'arrogance de "l'antiquaire" qui, comme
d'autres amateurs, s'expriment "sans exactitude, sans style et sans idées"). Pourtant, il acquiert au contact des
artistes une bonne connaissance des problèmes esthétiques et techniques ; ses "Salons" témoignent de son
expertise grandissante qui l'autorise à écrire une vaste réflexion sur la peinture où il définit le goût comme "une
facilité acquise, par des expériences réitérées, à saisir le vrai ou le bon, avec la circonstance qui le rend beau,
et d'être promptement et vraiment touché". Il est convaincu que l'équilibre du goût et de la sensibilité est la
condition essentielle de l'émotion, la raison corrigeant l'excès de sensibilité.
Conclusion : Un espace public où se définit la critique d'art, un genre nouveau.
Au XVIIIème siècle, le public, acteur nouveau, s'empare d'un espace dont l'Académie, à l'initiative de ces
innovations, semble perdre le contrôle. C'est donc à travers de nouvelles prétentions du corps social que se
crée un espace public où s'élabore le goût dans un contexte culturel pré-romantique – et au-delà des Salons, il
faudrait aussi évoquer les cafés et la presse, les correspondances littéraires, les lieux de débats et
d'échanges... Si on bouscule les perceptions des catégories jusqu'alors dominantes culturellement, le jugement
critique accompagne, encourage un tournant qu'illustrent, à leur manière, les préférences de la bourgeoisie.
Yannick Louis, conseiller-relais au MBAR ([email protected])
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On peut dater de 1747 la naissance de la critique avec la publication d'un opuscule anonyme intitulé "Réflexions sur quelques
causes de l'état de la peinture en France", en fait de La Font de Saint-Yenne (Lyon 1688 – Paris 1771), gentilhomme de la reine.
La critique est née. (Histoire du salon de peinture GGL)
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PISTES PÉDAGOGIQUES
Au musée :
- Selon Roberto Longhi, l'achat, le vol, la falsification, la copie, la restauration ou la destruction d'œuvres d'art
correspondent à des actes critiques. L'accrochage et la présentation au public également. En choisissant
quatre œuvres du musée, faites le choix d'un accrochage ; expliquez vos choix (œuvres retenues et
présentation au public).
- Dans le ton de la fiction épistolaire "Mon Ami...", choisissez une œuvre que vous présenterez en insistant sur
l'émotion ressentie et les sens alertés.
- "On s'arrête devant un Chardin, comme d'instinct, comme un voyageur fatigué de sa route va s'asseoir, sans
presque s'en apercevoir, dans l'endroit qui lui offre un siège de verdure, du silence, des eaux, de l'ombre et du
frais". (Diderot, 1767, p. 131 édition ???) : choisissez un tableau dans lequel vous entrez pour vivre avec les
personnages ; un dialogue s'engage...
- "Vous connaissez son mérite. Il est tout entier dans quatorze ou quinze tableaux. Les mers se soulèvent ou
se tranquillisent toujours à son gré. Le ciel s'obscurcit l'éclair s'allume ; le tonnerre gronde, la tempête s'élève,
les vaisseaux s'embrasent, on entend le bruit des flots, les cris de ceux qui périssent, on voit, on voit tout ce qui
lui plaît". (Diderot, Salon de 1759)
Dans cet extrait – écrit au sujet d'une marine de Vernet - , Diderot s'exprime avec ses sens : quels sont-ils ? De
la même manière, décrivez un tableau exposé en faisant référence à vos sens (toucher, ouïe, odorat, vue).
- "D'abord le genre me plaît; c'est la peinture morale: Quoi donc! Le pinceau n'a-t-il pas été assez et trop
longtemps consacré à la débauche et au vice ? Ne devons-nous pas être satisfait de le voir concourir enfin
avec la poésie dramatique à nous toucher, à nous instruire, à nous corriger et à nous inviter à la vertu ?
Courage, mon ami Greuze, fais de la morale en peinture, et fais en toujours comme cela !"
(A propos de la piété filiale, Salon 1763)
Peut-on selon vous appliquer ce jugement à la scène peinte par Lépicié ?
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Poursuivre l'étude de la notion d'espace public en histoire en classe de quatrième :
* L'espace politique // l'espace public : le peuple pendant la Révolution :
"Peuple français demandant la destitution du tyran à la journée du 10 août" de François Gérard ; dessin
(préparatoire à la toile non-réalisée)
* L'espace public et le pouvoir :
"Le Triomphe de la République" de Jules Dalou, Place de la Nation à Paris, 1880
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Biliographie // sitographie
"Salons" Denis Diderot
Les biographies de Diderot :
"Diderot", Raymond Trousson Folio Biographie, Avril 2007 ;
"Diderot", Pierre Lepape, Champs Flammarion, Avril 1994 ;
"Histoire du Salon de peinture" Gérard-Georges Lemaire, Klincksieck Études, Février 2004 ;
"Les plus beaux textes de l'histoire de l'art", Pierre Sterckx, Beaux-Arts éditions, Février 2009 ;
Stéphane Lojkine, "Vérité, poésie, magie de l’art : les Salons de Diderot", cours donné à l'université de
Provence, sept.-déc. 2011 ; mais également les travaux de René Démoris... ;
"L'espace public ; archéologie de la publicité comme dimension consultative de la société bourgeoise", Jürgen
Habermas, 1962 (Payot, Paris, 1997) ;
I.N.H.A. Colloque sur la critique d'art, organisé par Marc Fumaroli, directeur de la Société d'Histoire Littéraire
de la France, Décembre 2009.
"La place du spectateur. Esthétique et origines de la peinture moderne" Michael Fried, University of Colombia
Press, 1980, trad. Claire Brunet, Paris Gallimard, coll. "NRF essai", 1990 ;
"Diderot Salons", J.-Ch. Abramovici, P. Frantz, J. Goulemot, F. Calas, Clefs Concours, Lettres du XVIIIème,
Éditions Atlante, Octobre 2007.
Yannick Louis, conseiller-relais au MBAR ([email protected])
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Perspective plastique
Les promenades pittoresques d’un voyageur littéraire*
« Ceci n’est pas un portrait de Diderot »
Portrait réalisé par Jean-Honoré Fragonard, 1769, huile sur toile, Musée du Louvre-Lens
À la fin du mois de novembre 2012, le musée du Louvre a renommé l’œuvre Figure de fantaisie
autrefois identifiée à tort comme Denis Diderot.
Louis Michel Van Loo, Portrait de Diderot, 1767, huile sur toile exposée au Salon de 1767 sous le titre
Portrait de M. Diderot.
*Pittoresque : vient de l’italien pittore : le peintre
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Biographie de Denis Diderot : la sensibilité du philosophe et la délicatesse du peintre
Aîné d’une famille de sept enfants dont seulement quatre atteignent l’âge adulte, Denis Diderot est né le 5
octobre 1713 à Langres et est mort le 31 juillet 1784 à Paris. Très proche de sa sœur Denise dont le nez est
détruit par un cancer de la peau, il reçoit le 22 août 1726 la tonsure, car ses parents souhaitent qu’il devienne
prêtre.
En 1728, il part étudier à Paris Sorbonne la philosophie et la théologie.
Le 6 novembre 1743, il épouse secrètement Anne-Toinette Champion, fille d’un manufacturier sans fortune et
qui fait le commerce de dentelle et de linge avec sa mère.
Ils ont quatre enfants dont seule la cadette Marie-Angélique atteint l’âge adulte. Le mariage n’est pas heureux
et Diderot entretient de nombreuses liaisons dont la plus connue est avec Madeleine de Puisieux.
En août 1742, par leur passion commune (jeu des échecs), il rencontre Jean-Jacques Rousseau, avec qui il se
lie d’amitié jusqu’en 1758 suite à une incompréhension du principe de solitude chez Rousseau qui se sent
offensé et l’accuse publiquement de trahison dans la préface de la Lettre à D’Alembert. Celui-ci viendra le voir
lors de sa détention de trois mois au Château de Vincennes en 1749 pour ses prises de
positions dans la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient et La Promenade du
sceptique qui ne sera publiée qu’en 1830.
Cette visite amènera Rousseau à écrire son Discours sur les sciences et les arts auquel
Diderot a certainement pris part.
En 1746, il publie sa première œuvre originale Pensées philosophiques qui fut condamné
par le Parlement de Paris à « être lacéré et brûlé (…) par l’exécuteur de la Haute-Justice
comme scandaleux, contraire à la religion et aux bonnes mœurs » et qualifié de « venin des
opinions les plus criminelles ».
De 1747 à 1765, c’est-à-dire pendant presque vingt ans, il prend la
direction avec Jean le Rond D’Alembert de la publication de
l’encyclopédie française : L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné
des sciences, des arts et des métiers.
À partir de 1769, il est sollicité par Friedrich Melchior Grimm,
dont il fait la connaissance par l'intermédiaire de Rousseau, pour
prendre la direction de la Correspondance littéraire avec Louise
d’Epinay (qui rédigea ses contre-confessions, Histoire de Madame
de Montbrillant) suite à la fin de sa relation avec Rousseau qui rédige ses
Confessions). Ces écrits sont notamment destinés à Catherine II de Russie, pour
laquelle Diderot négocie des tableaux. Il lui vend également sa bibliothèque en 1761
afin de mettre sa fille à l’abri du besoin.
À la mort de Diderot, ses ouvrages et ses archives sont envoyés à la bibliothèque de
Saint-Pétersbourg. Pendant la Révolution, les sépultures de l’Église Saint-Roch sont
profanées et le corps de Diderot a disparu, jeté dans la fosse commune, contrairement
à celles de Voltaire et Rousseau, qui reposent au Panthéon à Paris.
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L’histoire de l’Ekphrasis : « Imiter l’imitation »
L’Ekphrasis vient du grec ancien et signifie faire comprendre, expliquer jusqu'au bout et désigne les
descriptions, précises et complètes, réalisées à partir des œuvres d'art.
« La poésie est une chose plus philosophique et plus noble que l'histoire : la poésie dit, plutôt le général,
l'histoire le particulier » : ARISTOTE, Poétique, 9, 1451ab.
Les plus célèbres sont celles que donnent Homère, à la fin du chant XVIII de l'Iliade, du bouclier d'Achille forgé
par Héphaïstos ; et Callistrate dans « Descriptions » ou « Statues » qui décrit des œuvres bien identifiées, dont
on possède encore parfois des copies tardives, ou dont l’existence est attestée par d’autres auteurs.
Mais également Philostrate, sophiste du IIe siècle après Jésus-Christ,
dans les « Eikones » ou « Imagines » (Galerie de Tableaux)
notamment dans la description donnée lors de son voyage à Naples
sur les tableaux de la galerie comme celui représentant Narcisse qui
s’appuie sur une analogie car pour lui « ne pas aimer la peinture, c’est
mépriser la vérité même » : « Cette source reproduit les traits de
Narcisse, comme la peinture reproduit la source, Narcisse lui-même
et son image » La « mimesis » de la peinture se retrouve associée à
la « diegesis » du langage. L’image peut être trompeuse : « Quant à
toi, ô jeune homme, ce n'est pas une peinture qui cause ton illusion ; ce ne sont pas des couleurs ni une cire
trompeuse qui te tiennent enchaîné ; tu ne vois pas que l'eau te reproduit tel que tu te contemples ; tu ne
t'aperçois pas de l'artifice de cette source ».
La critique d’art, qui prend sa source de l’ekphrasis, se définit comme un genre littéraire autonome dont le
discours combine le visuel et l’écrit. L’image poétique est une représentation, et s’adresse à la fantasmagorie
du lecteur.
Pour Diderot, qui ne se définit jamais comme critique, l’ekphrasis devient journal et permet de rendre présente
l’absence de l’œuvre. Le lecteur imagine l’œuvre dans l’espace :
« Je vous décrirai les tableaux, et ma description sera telle qu’avec un peu d’imagination et de goût on les
réalisera dans l’espace, et qu’on y posera les objets à peu près comme nous les avons vus sur la toile. »
Diderot, Salon 1765.
La description des tableaux est fidèle mais il s’autorise une subjectivité, une appréciation personnelle.
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Le Paragone des arts : l’impossible saisie de l’écrit de la construction plastique de l’œuvre
Plutarque, dans le discours Sur la gloire des Athéniens assure que la formule « La peinture est une poésie
muette et la poésie une peinture aveugle » est de Simonide de Céos (VIe siècle avant J.-C.).
Ces locutions : pictura loquens et muta poesis constituent des topoi qui les rapprochent comme deux
sœurs.
« Ut pictura poesis » : célèbre expression d’Horace dans l’Epître aux Pisons ou Art Poétique : « Un
poème est comme un tableau » transformée à la Renaissance en « ut pictura poesis erit » (une poésie sera
comme une peinture) compare les arts de la vue et les arts de l’ouïe.
Pour Léonardo da Vinci, dans le Trattato della Pittura, l’écrit titré Paragone ; la peinture est la « petite-fille de la
Nature » car la vue l’emporte sur tous les autres sens : elle est cosa mentale. Elles
tendent à l’imitation de la nature mais l’impossibilité de saisie de la construction
plastique : « Avec quels mots, écrivain égaleras-tu dans ta description la figure
complète que restitue ici le dessin ? ». Léonard redoute que le poète soit l’égal du
peintre s'il imite ce dernier comme Ange Politien dans les Stances pour la joute de
Julien de Médicis avec l’exceptionnel portrait de Simonetta, la préférée de Julien de
Médicis dont s’inspirera Sandro Botticelli pour peindre la figure de Flore dans le
Printemps. Il ne manque que la parole à la peinture, le poète la lui donne.
Ces deux sœurs parlant des langues différentes, la poésie parle en vers et la peinture
parle en prose, seront réconciliées par l’Amour (Le Songe de Philomathe, André
Félibien, 1683).
La célèbre maxime est inversée par Diderot lors du Salon de 1767 : « ut pictura poesis non erit » ( un tableau
est comme un poème) qui laisse entrevoir l’incapacité du texte littéraire à traduire l’image lorsqu’il sollicite le
recours à l’illustration afin de saisir « la composition » de l’œuvre, c’est-à-dire la figuration plastique de l’idée.
En effet, plus la description donne de détails, plus les figures prennent de l’importance dans l’imagination du
lecteur. Pratiquement, la description devrait être associée à l’œuvre afin de percevoir la totalité.
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Le XVIIIe siècle a-t-il donné naissance à la critique d’art ?
La date de 1747 est importante dans l’histoire des idées esthétiques car elle marque l’essor de la critique d’art,
suite à l’impression des réflexions de La Font de Saint-Yenne lors de l’exposition de 1746 pour qui « un tableau
exposé est un livre mis au jour de l’impression » et que « chacun a le droit d’en porter son jugement ». À
l’attention des artistes, il propose une « critique d’un spectateur désintéressé et éclairé qui, sans manier le
pinceau, juge par un goût naturel et sans une attention servile aux règles ».
À l’inverse, l’abbé Le Blanc se place comme défenseur des artistes dans ses Nouvelles Littéraires : « La
Tour, notre grand peintre en portraits et en pastels, a conduit la plume de l’auteur qui n’entend rien à ces
matières ».
Mais cette date marque également le renouveau des conférences académiques, sous l’impulsion de Charles
Coypel et l’aide du Comte de Caylus qui inaugurait les conférences par la lecture de ses Réflexions sur la
peinture, permettant aux connaisseurs d’exposer leurs impressions concernant les arts et notamment les
modalités nécessaires de la beauté.
Pour Caylus, dans sa conférence Sur l’amateur, il explique que celui-ci doit acquérir les mêmes
connaissances que l’artiste, et doit dessiner « d’après nature, toute imparfaite que puisse être son étude », être
accompagné pour développer le « sentiment à l’admiration ainsi qu’à l’éblouissement que causent ses
beautés », afin d’être en mesure « de parler de la peinture avec une justesse et un sentiment ».
La critique vient du grec kritikos et désigne à la fois la faculté à porter un jugement, la personne qui l’exerce et
la restitution écrite et sa diffusion imprimée. Elle s’appuie sur la description, telle que la définit l’Encyclopédie,
et s’oppose à la définition.
L’histoire de la critique d’art est intimement liée avec les « Salons » qui sont apparus après la création en 1748
de l’Académie de peinture et de sculpture, et qui faisaient l’objet de commentaires dans le Mercure galant
mais également dans les Observations sur les écrits modernes de l’abbé Desfontaines. Ces deux feuilles
faisaient les commentaires les plus élogieux à la peinture d’histoire, à Chardin et à de La Tour pour lesquels
chaque exposition est un succès auprès du public.
En instaurant la critique comme genre littéraire, Diderot, influencé par Cochin (secrétaire perpétuel de
l’Académie de peinture et de sculpture qui réalise également le frontispice de l’Encyclopédie), tend à faire
oublier ses prédécesseurs.
Qualifié de vouloir écarter l’art comme lorsqu’il remplace une œuvre qu’il n’apprécie pas par celle qu’il aurait
souhaité faire, il est qualifié par Barbey d’Aurevilly de « peintre qui crevait la peinture pour passer sa tête par le
trou de la toile afin qu’on le vit bien et qu’on l’entendit toujours ». Sa critique ironique voire humoristique devient
un oxymore à la fois dérangeant et distrayant.
Ces écrits ont également une répercussion non négligeable sur l’affluence des visiteurs au Salon (qui se tient
tous les deux ans, les années impaires), que l’on peut comptabiliser par le nombre de Livrets vendus : plus de
20 000 dans les années 1770.
L’originalité de Diderot, en tant que salonnier, est de développer une « variété de style qui répondît à la variété
des pinceaux » en s’appuyant sur le dialogue instauré par l’œuvre elle-même mais également de questionner
la porosité entre la création artistique, la description de l’œuvre et le geste du poète. Le spectateur entre
littéralement dans le tableau : « couchons-nous le long de ces animaux ».
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L’invention du goût :
« Goût se dit en peinture du caractère particulier qui règne dans un tableau par rapport au choix des
objets qui sont représentés et à la façon dont ils sont rendus. » : Diderot
« Tout ce qui nous environne est objet d’observation. Les objets qui nous sont le plus familiers peuvent être
pour nous des merveilles ; tout dépend du coup d’œil… il nous approche de la vérité » : Diderot
« Nous nous proposons, d’examiner jusqu’à quel point ceux qui ont du goût pour les arts peuvent se flatter
d’avoir les connaissances nécessaires pour en bien juger » : Cochin
Le goût dont l’étymologie latine est gustus : l’action de goûter, et désigne à la fois le sens qui permet de
différencier les saveurs des aliments ; et la notion de goût esthétique comme « faculté de juger » du beau, qui
se développe au XVIIIe siècle. Il s’effectue ainsi un transfert entre la faculté particulière, individuelle vers un
jugement universel.
Le critique, afin d’établir un bon jugement va devoir cerner et synthétiser toutes les variations qualitatives des
objets par le truchement d’un talent de la comparaison, un emploi de la conversation et une conscience de la
nature humaine.
Pour le Comte de Caylus, le critique doit avoir comme la qualité fondamentale le goût, qu’il soit inné ou acquis.
Le goût traduit une pensée qui se crée par le regard et le jugement. Le paradigme du critique est de mettre en
exergue le fondement du jugement de goût en établissant une lecture matérielle, singulière et détaillée des
œuvres, c’est-à-dire une évaluation esthétique. Hume nomme cette capacité la « délicatesse d’imagination »
(De la délicatesse du goût et de la passion) qui résulte d’un exercice raffiné des émotions.
Le processus diderotien, c’est la rencontre, la déambulation face et dans l’image qui va permettre de restituer
« l’idée » (voir les « trois idées du Lit » dans le Livre X de la République de Platon, pour qui l’image est la copie
dégradée de l’idéal, car l’œuvre est la copie de l’objet lit lui-même copie de l’idée du Lit).
« Il est bon de connaître la source des plaisirs dont le goût est la mesure » : Montesquieu
Le critique comme artiste :
« son pittor anch’io « « Et moi aussi je suis peintre » : Diderot
« Quand les critiques ne sont pas d’accord entre eux, l’artiste est en accord avec lui-même » : Oscar Wilde.
« La conversation doit tout aborder mais ne rien approfondir » : Oscar Wilde
Dans The Critic as Artist, Oscar Wilde affirme que la critique est une œuvre de création : « la critique est, en
définitive, à la fois créatrice et indépendante ».
La spécificité de Diderot, c’est d’être un critique mandaté pour voir les œuvres pour un public restreint qui ne
les verra sans doute pas dans leur matérialité.
En 1759, il n’y a qu’une quinzaine d’abonnés à la Correspondance littéraire, dont Catherine II de Russie. De
plus, ses écrits, rédigés au fil de la plume une fois rentré chez lui, constituent une restitution de sa visite et
s’adressent à son ami Grimm comme dans une correspondance qu'il retravaille pour la publication :
« Obtenez des personnes opulentes auxquelles vous destinez mes cahiers, l’ordre ou la permission de faire
prendre des esquisses de tous les morceaux dont j’aurai à les entretenir ; et je vous réponds d’un Salon tout
nouveau. » Les Salons de 1761, 1769, et 1777 seront ainsi illustrés par des esquisses des œuvres présentées.
En opérant un choix de l’œuvre sur laquelle s’appuie le discours, le critique construit son jugement. La notion
de choix est importante car il s’oppose ainsi à l’historien.
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La muséographie du Salon :
Le Salon est ouvert au public et devient ainsi un espace public, un lieu de démocratisation de l’Art. La sélection
des œuvres est réalisée par l’Académie l’année précédente de l’accrochage et tient compte de la réception par
le public.
En 1761, et jusqu’en 1773, Chardin, premier artiste à occuper la fonction de « tapissier », est nommé pour
l’accrochage des œuvres du Salon dont le nombre ne cesse de croître. Vien remplacera Chardin et Lagrenée
relèvera Vien.
La muséographie qui se construit autour des genres en peinture selon la hiérarchie établie par l’Académie au
XVIIe siècle, devient également objet de la critique :
« Le jeune Loutherbourg a aussi exposé une scène de nuit que vous eussiez pu comparer avec celle de
Vernet, si le tapissier l’eût voulu ; mais il a placé l’une de ces compositions à un des bouts du Salon et l’autre à
l’autre bout : il a craint que ces deux morceaux ne se tuassent. »
« Il me semble que la division de la peinture en peinture de genre et peinture d’histoire est sensée, mais je
voudrais qu’on eût un peu plus consulté la nature des choses dans cette division.
On appelle du nom de peintres de genre indistinctement et ceux qui ne s’occupent que des fleurs, des fruits,
des animaux, des bois, des forêts, des montagnes, et ceux qui empruntent leurs scènes de la vie commune et
domestique... Cependant je proteste que Le Père qui fait la lecture à sa famille, Le Fils ingrat et Les Fiançailles
de Greuze, que les Marines de Vernet qui m’offrent toutes sortes de scènes de la vie commune et domestique,
sont autant pour moi des tableaux d’histoire que Les Sept Sacrements de Poussin, La Famille de Darius de Le
Brun, ou la Susanne de Vanloo ». (Essais sur la peinture).
Vue du Salon du Louvre en l’année 1753, eau-forte de Gabriel de Saint-Aubin
représentant l’escalier du Louvre et le vestibule de l’Exposition
Gabriel de Saint-Aubin, Le Salon de 1765,
Plume, encre et lavis d’aquarelle, 25 x 46,5 cm, Paris, Musée du Louvre
Marie Rousseau, conseillère-relais au MBAR ([email protected]
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Bibliographie :
André Fontaine, Les doctrines d'art en France; peintres, amateurs, critiques, de Poussin à Diderot;
ouvrage illustré de 12 planches hors texte, 1909.
Pierre-Henry Frangne (sous la direction de), Jean-Marc Poinsot, L'invention de la critique d'art, Actes du
colloque international tenu à l'Université de Rennes 2 hautes Bretagne les 24 et 25 juin 1999.
Aurélia Gaillard, Pour décrire un salon Diderot et la peinture 1759-1766, 2007.
Bertrand Vieillard, Chardin, le tact du peintre, le toucher du philosophe, 2010.
Philippe Le Leyzour, La volupté du goût, Musée des Beaux-Arts, Tours, La peinture française au temps de
Madame de Pompadour, 11 octobre 2008 - 12 janvier 2009.
Maria Cristina Paoluzzi, La gravure, l'histoire, les techniques, les chefs-d'œuvre de l'art graphique, des
origines à nos jours, 2004.
Diderot et d’Alembert, Encyclopédie, Gravure-Sculpture, Bibliothèque de l’image, 2001.
Sitographie :
http://www.univ-montp3.fr/pictura/Presentation.php
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LA GRAVURE
« Pas de jour sans ligne » : Pline l’Ancien
Scènes d’extérieurs :
• Jean-Joseph BALÉCHOU, d’après Joseph VERNET, Les Baigneuses, gravure à l’eau-forte.
• Jean-Jacques FLIPART, d'après Joseph VERNET, Scène de tempête, gravure à l’eau-forte et
au burin.
• Charles-Nicolas COCHIN et Jean-Philippe LEBAS, d’après Joseph VERNET, Vue de la ville et
port de Bayonne, 1764, Salon de 1765, gravure à l’eau-forte et au burin.
Scènes d’intérieurs :
• François-Bernard LÉPICIÉ, d’après Jean-Baptiste Siméon CHARDIN, La Gouvernante, 1739,
gravure à l’eau-forte.
• Jean-Jacques FLIPART, d'après Jean-Baptiste GREUZE, L'Accordée du village, 1770, gravure
à l’eau-forte.
• Jean-Jacques FLIPART, d'après Jean-Baptiste GREUZE, La Piété filiale, gravure à l’eau-forte.
La gravure au XVIIIe siècle voit renaître la chalcographie (gravure sur cuivre) et sa diffusion par la
représentation des Vedute (vues), des Caprices, qui représentent des ruines ou des paysages par des artistes
tels que Luca Carlevarijs, Marco Ricci, Canaletto, Bernardo Bellotto… Mais également dans les impressions
qui utilisent l’illustration : Dictionnaire de l’Académie, Encyclopédie de Diderot et d’Alembert…
La préparation technique de la chalcographie est très
importante : l’apprêt de la plaque de cuivre, le dessin sur
sa surface. Le support en cuivre (ou d’un autre métal) doit
être parfaitement poli. On procède ensuite au biseautage
(l’épointage des bords) afin d’éviter les dépôts d’encre
pendant le tirage. Dans le dessin, la matérialisation de la
lumière se réalise par l’utilisation du pointillé plus ou moins
accentué.
L’eau-forte est un procédé indirect de gravure en creux dont le nom dérive de l’acqua fortis (acide nitrique) qui
par son action corrosive, entame le cuivre et permet de rétablir le dessin initial. Il est ainsi nécessaire
d’appliquer sur la plaque un vernis protecteur avant le bain d’acide. Plus l’acide vient mordre la plaque, et plus
le trait sera profond, large et noir. L’eau-forte permet de rendre la tension lumineuse des scènes d’extérieurs et
est souvent associée à la pointe sèche.
Dans le cas de la pointe-sèche, les barbes (copeaux soulevés pendant l’incision) sont laissées en place mais
cette technique ne permet que peu de tirages car il y a un éclaircissement progressif de l’image.
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LA PEINTURE
Les natures mortes :
• Jean-Jacques BACHELIER, Nature morte aux bécasses, huile sur toile
• Jean-Baptiste Siméon CHARDIN, Panier de prunes et verre d'eau,
Pêches et raisins avec un rafraîchissoir, vers 1759, huile sur toile
Les références mythologiques ou bibliques :
• François BOUCHER, La Mort de Méléagre, vers 1727 (?), huile sur toile
• François BOUCHER, Le jeune Pyrrhus sauvé (?), huile sur toile
• Jean-Jacques LAGRENÉE, La Chute des idoles et le repos pendant la fuite en Égypte,
vers 1775, huile sur toile
• Gabriel-François DOYEN, La Mort de Virginie, vers 1759, huile sur toile
• François-André VINCENT, L'Enlèvement d'Orithye, vers 1782, huile sur toile
La scène de genre :
• Nicolas-Bernard LÉPICIÉ, Les Apprêts d'un déjeuner, huile sur toile
Le portrait :
• Jean-Baptiste GREUZE, Tête de jeune fille au ruban bleu, huile sur toile
Le sublime :
• Francesco CASANOVA, Scène d'ouragan, vers 1770, huile sur toile
• Francesco CASANOVA, Paysans surpris par un orage, vers 1770, huile sur toile
• Francesco CASANOVA, Rupture d'un pont de bois, vers 1770, huile sur toile
LA SCULPTURE
• Jean-Baptiste LEMOYNE, Projet de la statue de Louis XV pour l'hôtel de ville de Rennes,
vers 1748, terre cuite
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Jean-Baptiste Siméon CHARDIN, Panier de prunes et verre d'eau, vers 1759, huile sur toile
Jean-Baptiste Siméon CHARDIN, Pêches et raisins avec un rafraîchissoir, vers 1759, huile sur toile
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Dossier : Marie Rousseau et Yannick Louis, conseillers-relais, MBAR, février 2013
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Maquette
: Carole Marsac - Mise en ligne : Nadège Mingot, MBAR
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