Gil Blas - Francais Juvenat

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Gil Blas - Francais Juvenat
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LESAGE
Histoire de Gil Blas
de Santillane
(livres I à VI)
no 1346 / 7,80 €
É T U D I E R G I L
E N C L A S S E D E P R E M I È R E ?
I . P OURQUOI
B LAS
S
i la classe de seconde se donne pour objectif, en matière
romanesque, d’initier les élèves d’une part aux caractéristiques typologiques du genre, d’autre part aux particularités du récit, bref ou plus développé, celle de première vise
à compléter la connaissance du roman et de son histoire à
travers l’étude approfondie d’une œuvre éclairée par des
textes complémentaires et des lectures cursives, en prenant
pour entrée privilégiée l’étude des personnages. À la croisée
du roman satirique stigmatisant le monde et la société, et du
roman comique ou antihéroïque, sous l’influence du modèle
picaresque, Lesage invente avec Gil Blas un roman d’un
genre nouveau, « critique » au sens classique du terme en
cela qu’il se présente comme « un texte qui porte sur d’autres
écrits pour en faire un examen métadiscursif 1 » ; il annonce
aussi, au début du XVIIIe siècle, la fortune littéraire du romanmémoires comme du roman d’aventures, et se met en marche
vers une représentation plus réaliste du monde que celle à
laquelle ses prédécesseurs avaient donné cours.
Synthétisant des courants et des esthétiques littéraires variés,
et précurseur d’autres veines romanesques, Gil Blas occupe une
place stratégique dans l’histoire littéraire, et s’offre comme un
promontoire de choix pour observer les grandes tendances du
1. J.-P. Sermain, cité dans la Présentation, p. 31, note 1.
Gil Blas (livres I à VI)
Édition d’Érik Leborgne
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roman. C’est dire si l’œuvre de Lesage incite à la démarche
comparatiste à laquelle invitent les Instructions officielles, qui
encouragent en outre à élargir aux XVIIe et XVIIIe siècles le choix
des romans étudiés en première. L’édition GF propose le Gil
Blas de 1715, comprenant les tomes I et II de l’œuvre intégrale,
soit les six premiers livres : ce parti pris, qui consiste à donner
exclusivement le premier volet des aventures du héros, présente
l’avantage de soustraire les élèves à la lecture du texte dans son
intégralité – elle serait inenvisageable, pour une simple question
de temps –, tout en garantissant l’unité de la lecture, centrée
sur la recherche de sa voie par le personnage principal et
confortée par le caractère spirituel et fantaisiste qui singularise
le premier Gil Blas.
En forme de roman-mémoires – l’un des premiers du
XVIIIe siècle, comme le note Érik Leborgne dans sa Présentation
(p. 16) –, l’Histoire de Gil Blas de Santillane fait se superposer
deux voix, celle du héros jeune, frappée au sceau de la naïveté,
et celle du narrateur plus âgé et doué d’expérience ; ce dédoublement de l’instance narrative en un « je narré » et un « je narrant » constitue l’occasion privilégiée de réfléchir à la fois à la
question de l’élaboration de cette créature de papier qu’est le
personnage, et à la vision de l’homme et du monde dont cette
construction est porteuse et révélatrice. Parce qu’il relève entre
autres de la catégorie du roman de formation ou d’apprentissage, le roman de Lesage montre l’itinéraire d’un homme à
l’école de la vie, mais exhibe également les mécanismes par lesquels un auteur donne vie à un être de fiction pour que fonctionne, du côté des lecteurs, ce qu’il est convenu d’appeler
« l’effet-personnage 1 » ; celui-ci ressortit d’ailleurs ici à la
dynamique des actions plus qu’à l’analyse psychologique, relativement peu fouillée au regard de la tradition romanesque.
Ainsi, le Gil Blas de 1715 offre l’opportunité de découvrir
l’une des œuvres romanesques les plus célèbres du XVIIIe siècle
– œuvre qui eut un véritable impact sur les romanciers des
siècles suivants (voir les textes reproduits en annexes, p. 463469) –, tout en satisfaisant pleinement aux exigences édictées
par les programmes de l’année préparatoire au baccalauréat.
1. Selon Vincent Jouve dans L’Effet-personnage dans le roman (PUF,
1992), les personnages peuvent induire différents types de lecture : « Un
personnage peut se présenter comme un instrument textuel (au service
du projet que s’est fixé l’auteur dans un roman particulier), une illusion
de personne (suscitant, chez le lecteur, des réactions affectives), ou un
prétexte à l’apparition de telle ou telle scène [...]. »
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S Y N O P T I Q U E D E L A S É Q U E N C E
La séquence exige des élèves la lecture cursive de l’intégralité de l’édition GF, qui restreint l’œuvre au premier Gil
Blas, celui de 1715. Pour permettre à la classe de saisir, audelà du foisonnement d’événements qui nourrit le roman, la
fermeté de son architecture à un niveau microtextuel, et
d’identifier avec précision les sources de cette œuvre conçue
comme un véritable creuset d’influences, on pourra choisir
de mettre l’accent, pour les lectures analytiques, sur le livre I,
d’où seront tirés les extraits étudiés. Dans le cadre d’un travail à la maison, on prescrira un parcours de lecture orienté
de la suite du texte, sur laquelle portera une évaluation intermédiaire visant à vérifier l’efficience du travail.
Pour lancer la première lecture, on proposera une séance
initiale de contextualisation et de problématisation de
l’œuvre et de ses enjeux, puis une séance consacrée à l’étude
de l’avis « Gil Blas au lecteur » (p. 41-42), permettant de
saisir la situation romanesque, du point de vue énonciatif.
Idéalement, la présente séquence se situera dans la continuité
de celle portant sur « Le théâtre : texte et représentation » :
la familiarité que la classe aura gagnée avec le genre dramatique lui permettra de mieux comprendre, chez Lesage,
l’assimilation du modèle forain, laquelle ne se limite pas à la
transposition de procédés propres au théâtre dans la fiction
romanesque mais relève, sous la plume du romancier, de la
parodie littéraire (voir Présentation, notamment p. 9-13).
La séquence, qui prend pour objet d’étude « Le roman et
ses personnages », se donne pour perspective dominante
l’« étude des genres et des registres » et pour perspectives
complémentaires l’« approche de l’histoire littéraire et culturelle » et la « réflexion sur l’intertextualité et la singularité
des textes ». Composée de neuf séances qui croisent lecture
analytiques d’extraits, comparaisons de textes et synthèses
portant sur l’œuvre entière, cette séquence nécessite qu’on
lui consacre cinq semaines d’étude environ.
Gil Blas (livres I à VI)
I I . T ABLEAU
Évaluation finale : exercice d’écriture.
Réinvestir les acquis de la classe de seconde
en matière narrative ; rendre compte
des caractéristiques formelles du roman.
Chercher les clés de la lecture au seuil
du roman ; caractériser le registre de
l’écriture romanesque.
Dégager la dimension réaliste de la scène ;
déterminer la fonction du dialogue ; interpréter
l’extrait en termes d’apprentissage.
Étudier le registre du texte ; identifier les
emprunts à la tradition du roman picaresque ;
analyser les effets du dédoublement de
l’instance narrative.
Mettre en regard le texte et son illustration.
Ressaisir les éléments du portrait du héros ; rendre
compte de son évolution, cerner son statut narratif et
ses liens avec les autres protagonistes de la fiction ;
étudier la mise en place d’un « théâtre du monde ».
Réfléchir à la dimension morale du roman et
à l’image qu’il donne de l’humaine condition ;
s’entraîner à la dissertation
Intégralité de l’œuvre.
Carte : l’itinéraire de Gil Blas (p. 459).
Incipit de Gil Blas (p. 43-45).
Lecture complémentaire : incipit de Manon
Lescaut de Prévost.
Livre I, chapitre 2 (p. 49-52).
Livre I, chapitre 8 (p. 73-76).
Lecture complémentaire : extrait de Don
Quichotte, I, 22.
Livre IV, chapitres 3 et 4 (p. 283-310).
Livre IV, chapitre 10 (p. 349-364).
Illustrations (p. 284 et 355).
Intégralité de l’œuvre.
Séance 3
Séance 4
Séance 5
Séance 6
Séance 7
Séance 8
Séance 9
Synthèse sur le personnage romanesque.
Prise de notes ; repérage sur l’œuvre.
Étudier l’énonciation ; analyser la structure et la
fonction de cet avis ; identifier le pacte de lecture
proposé par le narrateur au lecteur.
« Gil Blas au lecteur » (p. 41-42).
Lecture complémentaire (Annexes, p. 461-462).
Séance 2
Activités
Lecture de l’image.
Oral.
Lecture analytique.
Traitement par écrit d’un questionnaire.
Lecture analytique.
Traitement par écrit d’un questionnaire.
Lecture analytique.
Traitement par écrit d’un questionnaire.
Leçon sur la forme du roman.
Prise de notes ; restitution orale ; repérage de
l’itinéraire du héros.
Lecture analytique.
Traitement par écrit d’un questionnaire.
Introduction à l’œuvre.
Observation du paratexte ; lecture documentaire.
Objectifs
Contextualiser l’œuvre dans la production
romanesque antérieure et contemporaine de
l’auteur, et introduire à sa lecture problématisée.
Support
Illustration : frontispice de l’édition de 1771
(p. 36).
Chronologie (p. 470-472).
Documents complémentaires (Annexes, p. 463-466).
Séance
Séance 1
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I I . D É R O U L E M E N T
D E L A S É Q U E N C E
→ Frontispice de l’édition de 1771 (p. 36).
→ Chronologie (p. 470-472).
→ Documents complémentaires : extraits du compte rendu
paru dans le Journal littéraire de La Haye et du Cours
de littérature de La Harpe (Annexes, p. 463-466).
Objectifs : Contextualiser l’œuvre dans la production romanesque antérieure et contemporaine de l’auteur et introduire à sa lecture problématisée.
• Le frontispice de 1771, miroir de l’œuvre
Dans un premier temps, en prenant appui sur la reproduction du frontispice de l’édition de 1771 (p. 36), on travaillera
à faire surgir les réactions spontanées des élèves sur cette
illustration et à réactiver leurs connaissances littéraires. On
fera porter leur attention sur les détails du dessin : modèle
dramatique qui assimile le roman à une représentation, le
personnage à un acteur et le lecteur à un des spectateurs
issus de la bourgeoisie amassés dans la salle et qui présente,
réciproquement, la vie humaine comme une scène où chacun
se pare de masques pour donner l’illusion d’être autre que
lui-même. Ce frontispice se prête à un rapprochement avec
Shakespeare, pour qui « Le monde entier est un théâtre. Et
tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre
vie durant nous jouons plusieurs rôles » (Comme il vous
plaira), Calderón (La Vie est un songe), ou encore avec
Balzac qui a donné pour titre général à sa somme romanesque La Comédie humaine.
On remarquera en outre les proportions importantes que
prend le personnage tirant le rideau sur lui au premier plan
de la scène, lesquelles suggèrent peut-être un effet de grossissement, voire de caricature, dans l’écriture romanesque ;
la perspective, profonde, qui s’ouvre derrière ce dernier, dit
le voyage, la fuite – c’est également la piste retenue par
Gil Blas (livres I à VI)
SÉANCE 1
INTRODUCTION À LA LECTURE DE L’ŒUVRE
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l’éditeur pour la première de couverture de l’édition GF, qui
donne à voir Gil Blas en route sur sa mule.
Enfin, l’épigraphe, qui donne la parole au protagoniste,
mérite un commentaire : elle confère à l’œuvre une dimension réaliste (« On voit en moi de bien des gens/Le portrait
fait d’après nature ») mais surtout morale, en reprenant un
des impératifs des pièces comiques de l’âge classique où le
rire se met au service de la correction des mœurs (« Et tel rit,
voyant ma figure/Qui rit peut-être à ses dépens »).
• Lesage, dramaturge et romancier
Dans un deuxième temps, on fera se reporter les élèves à
la Chronologie proposée à la fin de l’édition GF (p. 470472). Ce sera l’occasion, d’une part, de retracer la biographie
de Lesage et, d’autre part, de replacer l’Histoire de Gil
Blas de Santillane dans la carrière de l’auteur.
– Lesage et le classicisme. Il faut attendre 1715 pour que
Lesage publie Gil Blas, son œuvre majeure aux yeux de la
postérité ; néanmoins on fera remarquer aux élèves que cet
auteur est né en 1668, soit au moment où le classicisme
connaît son apogée avec les tragédies de Racine, les comédies de Molière et les écrits des moralistes, de La Fontaine
à La Bruyère. Gil Blas est ainsi traversé de références aux
œuvres classiques, par exemple : « Soyez désormais en garde
contre les louanges » (p. 52), qui rappelle « Le Corbeau et
le Renard » de La Fontaine ; les portraits d’Arsénie, qui la
rapprochent de la Célimène du Misanthrope de Molière ; ou
encore les paroles d’Aurore, « je voudrais qu’il fût tendre,
amoureux, constant » (p. 280), où résonne la voix de Phèdre
évoquant Thésée dans Phèdre de Racine.
– L’influence des œuvres espagnoles. Les ouvrages
publiés en 1704 et 1707, respectivement l’adaptation des
Nouvelles Aventures de Don Quichotte de la Manche, continuation du roman de Cervantès par Avellaneda, et Le Diable
boiteux inspiré d’El Diablo cojuelo de Luis Vélez de
Guevara, montrent ensuite que l’Espagne constitue pour
Lesage une source d’inspiration notable (voir Présentation,
p. 5-7). L’influence des romanciers et des dramaturges espagnols se retrouve dans Gil Blas à travers le picaresque et
les représentations dramatiques auxquelles le héros assiste.
Cependant, Lesage se démarque aussi de cet héritage : ses
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ouvrages appartiennent déjà à l’époque des Lumières en proposant une franche critique de la superstition et en ouvrant
la voie à la quête du bonheur.
– Un romancier dramaturge. Ce qui frappe, au sein de
la féconde production littéraire de l’écrivain, c’est qu’à côté
de ses œuvres romanesques il fait la part belle au théâtre
(Théâtre espagnol, Le Point d’honneur, La Tontine,
Turcaret, les Arlequin successifs). Loin de considérer les
deux genres, narratif et dramatique, comme imperméables
l’un à l’autre, il ne cesse de jeter des ponts entre eux. Aussi
la critique réaliste de Turcaret se retrouve-t-elle dans Gil
Blas, où abondent les remarques sur le théâtre, où se produisent comédiens et comédiennes, où le sens de la mise en
scène informe l’écriture romanesque. À ce sujet, on lira avec
profit les pages de la Présentation (« Un début dans les Lettres », « Lesage à la Foire », « Fiction parodique et fiction
réflexive », p. 4-19), consacrées à la prégnance de l’art dramatique dans la vie et l’écriture de Lesage. Pour s’en tenir à
quelques exemples, on pourra se reporter, dans le roman :
• Aux chapitres dont les titres comportent des termes renvoyant
au théâtre – à partir de la Table détaillée (p. 483), les élèves en
feront le relevé méthodique : III, 6 (p. 232), III, 11 (p. 258), IV, 1
(p. 269)...
• Au travestissement constant des personnages, qui sont autant
de comédiens, au sens propre ou figuré (voir Présentation, p. 15).
• Aux critiques, qu’elles portent sur l’institution – les
Comédiens-Français (p. 265) notamment –, ou sur l’art théâtral.
Voir par exemple la description du comédien Carlos Alonso de
la Ventoleria, qui se singularise par sa manière de déclamer (« Il
appuyait sur toutes les syllabes, et prononçait ses paroles d’un
ton emphatique avec des gestes et des yeux accommodés au
sujet », p. 259-260), ou encore le passage consacré à la représentation organisée par Thomas de la Fuente, qui comprend une critique héritée de Crébillon père : le personnage commente son
œuvre, non sans fierté, en ces termes : « C’est un de ces sujets
tragiques qui remuent l’âme par les images de mort qu’ils offrent
à l’esprit. Je suis du sentiment d’Aristote : il faut exciter la terreur. [...] je n’aime que l’effroyable » (p. 190) – allusion à peine
déguisée au dramaturge cité, qui fondait l’écriture tragique sur
une surenchère dans l’horreur.
– Singularité du Gil Blas de 1715. L’Histoire de Gil
Blas de Santillane fut publiée en trois livraisons : 1715 (t. I
et II), 1724 (t. III), et 1735 (t. IV). Comme l’explique Érik
Leborgne dans sa Présentation, la première livraison se
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singularise par sa virtuosité dans le mélange des registres et
par son ton ironique ; la suite, soumise à une tout autre esthétique, sera « plombée par un narrateur moralisateur qui
impose un sens univoque et conformiste à ses mémoires »
(Présentation, p. 18).
• La réception de Gil Blas
Enfin, on lira deux extraits donnés en annexe de l’édition
GF, le compte rendu paru dans le Journal littéraire de La
Haye en 1715 et l’extrait du Cours de littérature de La Harpe
datant de 1804 (p. 463-464 et 465-466). Le premier texte
insiste sur la dimension réaliste et satirique de Gil Blas mais
en réduit la portée critique en l’assimilant à une sorte de
roman à clés ; à l’inverse, le second extrait défend la valeur
universelle des peintures du roman, fondées sur l’extrême
précision du trait.
SÉANCE 2
LECTURE ANALYTIQUE : « GIL BLAS AU LECTEUR »
→ « Gil Blas au lecteur », p. 41-42.
→ Lecture complémentaire : « Avertissement » du Marcos
de Obregón de Vicente Espinel (Annexes, p. 461-462).
Objectifs : Étudier l’énonciation ; analyser la structure et la
fonction de cet avis ; identifier le pacte de lecture proposé
par le narrateur au lecteur.
• Questionnaire de lecture
Afin de parfaire l’introduction à la lecture du roman, on
proposera aux élèves d’étudier l’avis que le personnage éponyme adresse à ses futurs lecteurs. Pour ce faire, on soumettra le questionnaire suivant :
1. En prenant appui notamment sur les pronoms personnels, identifiez la situation d’énonciation : qui parle ? à qui ?
à quelle occasion ? À quel titre le locuteur parle-t-il ?
Comment se situe-t-il par rapport à l’auteur du roman ?
2. Dégagez la structure du passage. Quelles analogies
découvre-t-elle ?
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3. Interrogez-vous sur la fonction de cet avis. Quelle
conception de la littérature s’y fait jour ?
Gil Blas, qui donne son nom au roman de Lesage, prend
directement la parole pour s’adresser au lecteur qu’il considère avec sympathie, utilisant l’apostrophe « ami lecteur » à
deux reprises (p. 41 et 42) et le tutoyant. L’occasion de cette
prise de parole est la lecture à venir de « l’histoire de [s]a
vie » (p. 41), soit sa pseudo-autobiographie. Le nom de l’auteur qui figure sur la couverture n’est pas le sien, mais bien
celui de Lesage, aussi ne peut-on conclure à l’existence d’un
pacte autobiographique postulant l’identité de l’auteur, du
narrateur et du personnage principal 1. Cependant, Gil Blas
semble bien revendiquer la paternité du récit qui va suivre,
ce qui conforte l’illusion de réalité devant ces faux mémoires ; tout se passe comme si l’être de fiction gagnait une
forme d’autonomie par rapport à son créateur et fondait par
là la vraisemblance de son existence.
L’avis prend la forme d’un triptyque :
1. De « Avant que d’entendre » à « te faire » (p. 41, l. 1-2) ;
2. « Deux écoliers allaient ensemble... » à « ... avec l’âme du
licencié » (p. 41-42, l. 3-31) ;
3. « Qui que tu sois... » à « ... avec l’agréable » (p. 42, l. 32 à
la fin).
À une introduction discursive succède un développement
narratif assimilable à un conte, lui-même suivi d’une
conclusion où Gil Blas revient sur le devant de la scène
pour tracer un parallèle entre l’attitude des personnages de
l’apologue et celle de ses futurs lecteurs. C’est une sorte
de méthode de lecture que livre le héros ; il en appelle à la
capacité du lecteur à s’interroger sur le sens moral de ses
aventures.
• Plaire et instruire
La page poursuit une double ambition : elle constitue une
prise de contact en même temps qu’elle fonctionne comme
un avertissement. L’avis plaît au lecteur par son ton amical et
enjoué, mais l’instruit aussi sur la démarche qu’il lui faudra
adopter. En cela, il illustre le principe qui va motiver la
1. Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975.
Gil Blas (livres I à VI)
• Un roman-mémoires fictif
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lecture imminente de l’Histoire de Gil Blas de Santillane :
il s’agit, comme le suggère également le frontispice reproduit
p. 36, de se laisser prendre à la grâce du texte tout en mesurant sa dimension proprement morale. Telle est bien la devise
que le lecteur doit faire sienne, conformément à celle énoncée par Horace dans son Art poétique : docere et placere, ou
encore utile dulci, ainsi que le note La Harpe (p. 465).
• Un intertexte de Gil Blas :
le Marcos de Obregón de Vicente Espinel
En guise de prolongement de la séance, on se reportera à
l’« Avertissement » du Marcos de Obregón (1618) de
Vicente Espinel, reproduit dans le dossier de l’édition GF
(p. 461-462), et dont Lesage s’inspire. L’emprunt est d’autant plus explicite que le héros d’Espinel, Marcos de Obregón, apparaît comme un personnage du roman de Lesage
(voir p. 166 et 175), et que de nombreuses scènes de Gil
Blas sont librement adaptées du roman espagnol (voir par
exemple p. 52, note 1 ; p. 54, note 2 ; p. 112, note 1 ;
p. 415, note 1, etc.). Voltaire alla même jusqu’à dire que
l’œuvre de Lesage était « entièrement reprise » du Marcos
de Obregón (Présentation, p. 20) !
Érik Leborgne évoque dans sa Présentation les points
communs et les divergences entre les deux avis au lecteur :
celui de Gil Blas se distingue en ce qu’il met l’accent sur la
notion d’héritage, à comprendre précisément au sens d’héritage littéraire (p. 20-21). On fera en outre remarquer que la
référence à « l’âme du Licencié Pedro Garcias » (p. 41) est
une audace qui revient à en propre à Lesage, laquelle
d’ailleurs, même si l’épitaphe est traitée de « ridicule »,
pourrait incliner le lecteur à une réflexion subversive sur la
matérialité de l’âme.
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SÉANCE 3
LEÇON SUR LA FORME DU ROMAN
→ Intégralité de l’œuvre.
→ Carte : l’itinéraire de Gil Blas (p. 459).
Objectifs : Réinvestir les acquis de la classe de seconde en
matière narrative ; vérifier la lecture de l’œuvre ; rendre
compte des caractéristiques formelles du roman.
On rapprochera la carte de l’itinéraire de Gil Blas, donnée
en annexe de l’édition GF (p. 459), de la formule du critique
Bernard Pingaud dans L’Expérience romanesque à propos
des dynamiques qui animent le récit : « l’errance, la liberté,
la fortune. L’errant est l’homme libre par excellence. Mais
cette liberté qu’il possède, qu’il est, il lui faut en même
temps la conquérir en l’exerçant. Et d’une certaine manière,
on ne peut l’exercer sans la perdre, puisque chaque conquête
automatiquement, se transforme en piège, chaque pouvoir
assumé en pouvoir subi. D’où la nécessité des rechutes 1 ».
L’écriture du roman-mémoires épouse les contours des pérégrinations successives du personnage ; lorsque celui-ci est tenu
de s’arrêter, c’est sa plume même qui se met à errer sur le
papier, cherchant à saisir le sens et le principe de ses aventures.
Le hasard, plus ou moins heureux, préside à la destinée du
héros plus qu’à la rédaction du roman lui-même, dont chaque
livre présente un motif nettement identifiable fondant son
unité :
– le livre I est centré sur l’épisode des brigands ;
– le livre II sur le chanoine Sédillo et le médecin Sangrado ;
– le livre III sur les petits-maîtres et les comédiens ;
– le livre IV sur Aurore et la marquise de Chaves ;
– le livre V sur don Raphaël ;
– le livre VI sur les amours de don Alphonse et de Séraphine, dont
le dénouement profite directement au héros (p. 453).
1. Gallimard, 1983, p. 59.
Gil Blas (livres I à VI)
• L’itinéraire de Gil Blas
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• Un roman à tiroirs
Les élèves seront amenés à identifier ce qui constitue le
noyau central du livre I, à savoir l’épisode des brigands, et on
les incitera à poursuivre la même démarche sur les livres II à
VI, dont on programmera la lecture ; c’est sur ce dernier
point que portera un devoir à faire à la maison sur les récits
emboîtés ou « tiroirs » de la narration première, qui pourra
être formalisé sous l’intitulé suivant : « Après avoir référencé
les différents récits dans le récit qui vous paraissent les plus
remarquables, vous vous interrogerez sur leur intérêt et leur
statut dans le roman. »
Pour s’assurer que la forme narrative « gigogne » est bien
comprise des élèves, on effectuera avec eux un relevé sur le
début de l’œuvre :
–
–
–
–
–
–
histoire
histoire
histoire
histoire
histoire
histoire
de Rolando, le chef des voleurs (p. 61-64) ;
du lieutenant (p. 64-65) ;
du jeune voleur (p. 65-67) ;
de doña Mencia de Mosquera (p. 84-91) ;
de Fabrice (p. 115-117) ;
du garçon barbier (p. 160 sq.).
Les déplacements de Gil Blas, ses rencontres avec des
personnages issus de toutes les conditions, les vicissitudes
de son existence et la forme même du récit à la première
personne tendraient à faire du roman un exemple de roman
picaresque. Cependant, Lesage ne pare pas son héros de tous
les attributs attendus du picaro – que l’on songe par exemple
à l’obsession de la faim ou à l’immoralité. La question de
l’appartenance générique du Gil Blas ne saurait donc être
tranchée trop rapidement, et il faudra veiller à relativiser
l’étiquette de « roman picaresque » régulièrement apposée au
roman de Lesage (Présentation, p. 19 sq.).
• Devoir à la maison :
la fonction des « tiroirs » dans les livres II à VI
Les récits secondaires foisonnent dans les livres II à VI de
Gil Blas. Parmi eux, on peut retenir :
– histoire de don Pompeyo de Castro (p. 237 sq.) ;
– histoire de don Roger, roi de Sicile (p. 285 sq.) ;
– histoire de don Alphonse et de la belle Séraphine
(p. 349 sq.) ;
– histoire de don Raphaël (p. 369 sq.) et de sa mère Lucinde
(p. 404 sq.) ;
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SÉANCE 4
LECTURE ANALYTIQUE : L’INCIPIT DE GIL BLAS
→ Incipit, de « Blas de Santillane, mon père » à « je montai
sur ma mule, et sortis de la ville » (p. 43-45).
→ Lecture complémentaire : incipit de Manon Lescaut, de
Prévost, de « Je fus surpris » à « lui vouloir du bien »
(GF-Flammarion, 1995, p. 51-53).
Objectifs : Chercher les clés de la lecture au seuil du roman ;
caractériser le registre de l’écriture romanesque.
• Questionnaire de lecture
1. Étudiez l’énonciation de cette ouverture. À quel sousgenre littéraire la rattachez-vous ?
2. Identifiez le thème général de la page.
3. Montrez qu’il s’agit d’une narration rétrospective. Quel
en est l’intérêt ?
4. Analysez le registre de la page.
• L’énonciation
Le récit est mené à la première personne par un personnage, fils de Blas de Santillane, qui se trouve être aussi le
héros de l’histoire qui va être rapportée. Le narrateur est distinct de l’auteur, Lesage, de sorte que s’il s’agit bien d’un
récit de vie, on ne peut le rattacher à la catégorie de l’autobiographie. Le lecteur est interpellé indirectement par le biais
Gil Blas (livres I à VI)
Les personnages auxquels la parole est confiée par le narrateur signalent par là leur importance dans la fiction, et
l’intérêt que le lecteur leur porte s’en trouve dès lors accru.
Les « tiroirs » ne sauraient se réduire à une fonction ornementale ou de pur divertissement : ils renseignent le lecteur
sur des événements antérieurs à la lumière desquels s’éclaire
la situation présente des personnages ; ils permettent des
recoupements avec l’intrigue principale, entretiennent avec
elle des analogies, consolident sa vraisemblance, mais
surtout permettent une multiplication prodigieuse de la population romanesque et gagent le fonctionnement de l’effetpersonnage.
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de l’impératif, si bien qu’il devient l’interlocuteur privilégié
du protagoniste, en quelque sorte le témoin de ses aventures
et de son parcours de formation.
• Temps du discours, temps du récit
Aux temps du passé, caractéristiques de l’écriture rétrospective, se mêlent ceux du présent renvoyant au moment de
l’écriture (« Représentez-vous », p. 43 ; « j’ai ouï dire »,
p. 44) : il existe un décalage temporel entre l’époque où les
événements se sont produits et celle où ils sont racontés.
L’adulte jette donc un regard sur des faits ultérieurs, source
de comique lié à la distance critique.
• Les origines sociales de Gil Blas
Le titre du chapitre, « De la naissance de Gil Blas, et de son
éducation » annonce explicitement le thème de cette page. Le
terme « naissance » est pris dans son acception avant tout
sociale : il regarde l’extraction du héros bien plus que les circonstances de sa venue au monde. C’est sur la condition des
parents qu’est mis l’accent dans les premières lignes de la narration (p. 43) : nom, description, profession, évolution, âge.
Des origines sociales des parents découle le mode d’éducation du fils, confiée à l’oncle qui tire autant que l’enfant
le bénéfice de l’instruction.
• Le portrait de l’oncle
– Le portrait de l’oncle verse dans la caricature grotesque : « un petit homme haut de trois pieds et demi, extraordinairement gros, avec une tête enfoncée entre les deux
épaules » (p. 43).
– La satire anticléricale transparaît à travers le goût du
chanoine pour les plaisirs (« c’était un ecclésiastique qui ne
songeait qu’à bien vivre, c’est-à-dire qu’à faire bonne
chère », p. 43), et son absence de lettres (« c’était [...] le chanoine du chapitre le plus ignorant », p. 44). Ce passage ne
peut toutefois être véritablement qualifié de satirique,
puisque la critique demeure ponctuelle et vise l’individu plus
que le corps ecclésiastique en son entier. L’ironie qui touche
la description du précepteur s’inscrit dans la présentation
d’un contexte historique où le personnage reste tributaire de
son milieu.
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Le cadre de l’Espagne des XVIe et XVIIe siècles situe la fiction hors de la réalité du lecteur, mais le registre ironique
indique que, derrière ce temps et cet espace romanesques, le
lecteur pourrait bien lire une critique de la France contemporaine de Lesage : « On voit en Castille comme en France [...]
partout les mêmes vices », déclare l’auteur (p. 39). De
manière générale, dans le Gil Blas de 1715, composé sous le
règne de Louis XIV, l’ironie est appelée à une certaine réserve ; on signalera néanmoins qu’elle s’exerce, comme chez
Molière, envers les médecins (cf. le personnage du docteur
Sangrado, p. 138 sq., la citation empruntée au Médecin
malgré lui p. 139), envers l’institution judiciaire (p. 95), et
qu’elle caractérise certaines réflexions d’ordre politique : « je
sais que les rois ne sont pas des tyrans ; que le bonheur de
leurs peuples est leur premier devoir ; mais doivent-ils être
esclaves de leurs sujets ? » (p. 305).
• Lecture complémentaire
Incipit de Manon Lescaut de Prévost (GF-Flammarion,
1995, p. 51-53). Comparaison avec l’incipit de Gil Blas :
comment se distinguent ces deux incipit de romansmémoires ?
SÉANCE 5
LECTURE ANALYTIQUE :
UN ÉPISODE DU ROMAN DE FORMATION
→ Livre I, chapitre 2, de « Je demandai à souper... » à « Il
me rit au nez et s’en alla » (p. 49-52).
Objectifs : Dégager la dimension réaliste de la scène ; déterminer la fonction du dialogue ; interpréter la page en
termes d’apprentissage.
• Questionnaire préparatoire
1. Quels éléments du texte permettent de camper un décor
réaliste ?
Gil Blas (livres I à VI)
• Le cadre spatio-temporel du récit
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2. Par quels procédés le narrateur donne-t-il vie au personnage-type du parasite ?
3. Quel est le registre du texte ? Montrez qu’il réside en
partie dans la coexistence du regard naïf du jeune homme et
du regard plus expérimenté du narrateur mûr.
4. En quoi cet épisode constitue-t-il une première étape
dans la formation du héros ?
• Entre roman réaliste et saynète comique
Ce passage constitue une scène au sens consacré par la
narratologie : le temps du récit coïncide avec celui de l’histoire, et le lecteur a l’impression, grâce au discours direct
notamment, que l’épisode se déroule sous ses yeux. Les
notations matérielles et les préoccupations d’ordre alimentaire abondent, concourant à renforcer le réalisme et le pittoresque de l’aventure. La parlure outrancière du piqueassiette, les « hyperboles » et les comparaisons auxquelles il
a recours pour se faire offrir à manger (« je ne doute pas que
l’Espagne ne se trouve un jour aussi vaine de vous avoir
produit, que la Grèce d’avoir vu naître ses Sages », p. 50)
font du jeune Gil Blas sa dupe, comme en une saynète de
comédie.
• Moralité de l’histoire
Cependant, l’ambition de ce passage ne se limite pas au
divertissement du lecteur ; il vise aussi son instruction,
conformément à la règle que le héros a fait sienne dans l’avis
au lecteur (voir séance 2). La moralité de l’histoire est formulée par le parasite lui-même : « Soyez désormais en garde
contre les louanges » (p. 52). « Tout flatteur vit aux dépens
de celui qui l’écoute », telle est, pour paraphraser La
Fontaine, la leçon de la fable dans laquelle Gil Blas a donné
dans sa jeunesse et qu’il rapporte, sur le mode de l’ironie
(cf. « mon panégyriste », p. 51), en homme d’expérience parvenu à la sagesse.
• Prolongement possible
Cet épisode contribue-t-il à former le protagoniste ? Les
élèves s’attacheront à relever d’autres passages du roman où
Gil Blas est dupe de belles paroles (par exemple l’épisode
du fripier de Burgos, p. 103-104).
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SÉANCE 6
LECTURE ANALYTIQUE :
GIL BLAS ET LA TRADITION PICARESQUE
→ Livre I, chapitre 8, de « Nous passâmes auprès de Pontferrada » à « trop fins et trop rusés pour toi » (p. 73-76).
→ Lecture complémentaire : Don Quichotte, I, 5.
• Questionnaire de lecture
1. Situez l’extrait dans l’économie du livre I.
2. Analysez la structure du récit.
3. En quoi cette page fait-elle le portrait de Gil Blas en antihéros ? Qu’est-ce qui la rattache à la tradition picaresque ?
4. Sur quoi repose l’habileté narrative du conteur ?
• Situation du passage
La situation du passage permettra aux élèves de ressaisir
les différentes étapes de l’itinéraire de Gil Blas depuis l’ouverture du roman (voir aussi Annexes, p. 457). Ils seront
portés à remarquer que, loin de tirer des leçons de ses expériences, sa naïveté, son étourderie autant que sa vanité vont
crescendo au gré de ses aventures (voir Présentation, p. 27),
culminant lors de son initiation au vol par les brigands qui
l’ont constitué prisonnier.
• Gil Blas, antihéros
La relation de cet apprentissage verse dans un comique
burlesque qui repose sur un des motifs de la farce, à savoir
celui du voleur volé... ici par un curé, qui, en guise de
bourse, laisse à Gil Blas « deux ou trois poignées de petites
médailles de cuivre, entremêlées d’Agnus Dei avec quelques
scapulaires » (p. 75).
• Les motifs picaresques... et leur détournement
À cet endroit, le récit se rattache également à l’héritage
picaresque avec les motifs de l’errance, de la rencontre, de
Gil Blas (livres I à VI)
Objectifs : Étudier le registre du texte ; identifier les
emprunts à la tradition du roman picaresque ; analyser
les effets du dédoublement de l’instance narrative
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l’argent et de la mauvaise fortune. Les codes sont cependant
détournés, puisque le jeune Gil Blas, loin de se laisser gagner
par le cynisme et l’immoralité de ses comparses, est en proie
au remords (« je sortis du bois et poussai vers le religieux,
en priant le Ciel de me pardonner l’action que j’allais faire »,
p. 74) ; de nature peu aventureuse, il demeure en outre prudent à l’excès (« Je n’osai [...] hasarder une démarche si délicate », p. 74). L’efficacité narrative de la page tient autant
à la capacité du narrateur à épouser les mouvements de la
conscience du jeune picaro qu’il a été qu’à la maîtrise des
codes littéraires, dont l’auteur, cette fois, fait subtilement
montre.
• Lecture complémentaire
On demandera aux élèves de comparer les deux textes
suivants :
– Gil Blas, I, 5, p. 61-68.
– Cervantès, Don Quichotte, I, 22, de « Avec sa permission » à « Tu as de l’esprit, lui dit Don Quichotte » (trad.
L. Viardot, 1969, GF-Flammarion, p. 204-208).
Lesage fait allusion, dans son œuvre, au roman de
Cervantès (III, 8, p. 248, note 2). Or l’épisode dans lequel
les voleurs, rassemblés dans la caverne, racontent tour à
tour leur histoire à Gil Blas n’est pas sans évoquer le chapitre
de Don Quichotte où le héros de Cervantès rencontre des
galériens qui lui rapportent l’un après l’autre leurs délits respectifs. De même que les récits des forçats, dans Don
Quichotte, constituent une revue succincte des épisodes
typiques du picaresque, les récits de formation des voleurs,
dans Gil Blas, héritent de cette veine (p. 64). À travers le
regard des brigands, c’est une vision pessimiste et satirique
de l’homme et du monde, inspirée de la vision picaresque,
qui se dévoile : « Hé, voit-on d’autres gens [que les voleurs]
dans le monde ? » (p. 67).
On notera plus généralement que Gil Blas et Don
Quichotte, romans parodiques, se réapproprient, pour les
mettre à distance et les tourner en dérision, les codes de différentes formes de roman 1.
1. « Gil Blas est notre Don Quichotte », selon Nodier (voir Présentation,
p. 3).
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SÉANCE 7
LECTURES D’IMAGES
→ Livre IV, chapitres 3 et 4, de « Le jour d’après » à « cette
funeste aventure » (p. 283-310).
→ Livre IV, chapitre 10 (p. 349-364).
→ Illustrations correspondantes : p. 284 et 355.
Objectifs : Mettre en regard le texte et son illustration.
Il s’agira de confronter deux passages du livre IV, extraits
respectivement des chapitres 3-4 et 10, avec les illustrations
leur correspondant, reproduites dans l’édition GF. Chacune
de ces gravures se rapporte à un récit secondaire : la première, qui représente un tableau décrit par Gil Blas à la fin
du chapitre 3 du livre IV, est « une peinture fidèle des
malheurs de [l]a famille » (p. 283) d’Elvire, rapportés au
chapitre 4 (« Le mariage de vengeance, nouvelle »,
p. 285 sq.). La seconde gravure illustre quant à elle un épisode qui prend place dans l’« Histoire de don Alphonse et
de la belle Séraphine » (p. 349 sq.).
• Illustration du « Mariage de vengeance »
La description de Gil Blas (p. 283)
La première reproduction correspond à un tableau décrit
par Gil Blas. On demandera aux élèves d’observer l’image :
est-elle fidèle à la description qu’en fait le narrateur ?
– Ils repéreront d’abord les différents personnages : le
« cavalier mort » se trouve au centre de la scène ; à côté de
lui, une « jeune dame » avec une « épée plongée dans son
sein » observe un « jeune homme », debout, l’épée à la main.
Un homme, à l’embrasure de la porte, semble observer la
scène : il s’agit du « vieillard » évoqué par Gil Blas.
– Si les différents personnages mentionnés dans la description du tableau sont bien présents, les « expressions si
fortes » dont fait état Gil Blas, en revanche, ne sont pas décelables dans la gravure : on ne retrouve ni l’« air menaçant »
du cavalier, ni la « douleur mortelle » du jeune homme. Ce
qui frappe est ainsi la distorsion qui se fait jour entre ce que
Gil Blas (livres I à VI)
• Introduction
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révèle la simple observation de la gravure et le commentaire
qu’en fait le héros. L’ekphrasis à laquelle s’adonne Gil Blas
est davantage révélatrice de sa sensibilité qu’elle ne permet
de se représenter la scène peinte.
Enfin, on s’interrogera sur les éléments absents de la description de Gil Blas : le tabouret renversé au premier plan,
et les fauteuils à l’arrière-plan, qui semblent transformer
cette scène d’après-combat en scène... de théâtre.
Le récit du duel (p. 308-310)
Un mystère plane sur la scène représentée : qui sont ces
personnages ? comment en sont-ils arrivés là ? La réponse se
trouve dans le chapitre suivant, formé d’une nouvelle narrée
par Elvire. Ce récit non seulement raconte la scène représentée par le tableau (p. 308-310), mais la resitue aussi dans
son contexte, celui d’un mariage de vengeance. On demandera aux élèves de lire la nouvelle, puis de retrouver, sur la
gravure, les personnages mis en scène (le Roi, Blanche,
Enrique, Léontio), et de résumer leur histoire.
• Illustration du récit de don Alphonse
La seconde reproduction (p. 355) s’intègre au récit de don
Alphonse (p. 349 sq.). Elle représente la rencontre de don
Alphonse et de Séraphine, les deux personnages auxquels ce
récit enchâssé doit son titre. L’image, tout comme le texte,
reprend une scène topique : celle de la belle endormie
(p. 354, note 2). L’image donne à voir plusieurs détails
évoqués dans le récit (la « bougie », les « rideaux », p. 354).
Au centre, don Alphonse contemple une femme endormie.
Sa main levée traduit son saisissement à la vue de Séraphine.
Notons que dans le texte, le « transport » amoureux dont il
est question rompt avec la bienséance : Alphonse ne calme
ses ardeurs qu’avec peine (p. 354). Dans l’illustration, c’est
la femme qui suggère l’ardeur, par sa pose langoureuse et sa
poitrine à demi dénudée.
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SÉANCE 8
SYNTHÈSE SUR LES PERSONNAGES
→ Intégralité de l’œuvre.
Objectifs : Ressaisir les éléments du portrait du héros,
rendre compte de son évolution, cerner son statut narratif
et ses liens avec les autres protagonistes de la fiction ;
étudier la mise en place d’un « théâtre du monde ».
Dans un premier temps, cette séance se donnera pour but
de livrer aux élèves une grille de lecture qui leur permettra
ensuite d’établir une fiche du héros et éventuellement du personnage de Raphaël, dont l’itinéraire est retracé p. 458-460.
I.
Le personnage comme individu
– État civil
– Éléments physiques
– Psychologie
– Fonction sociale
II.
Les origines de sa création
– Les emprunts à l’Histoire et à la réalité
– La part de l’imaginaire et de la fiction
III.
Son évolution
– L’influence des événements historiques
– Les épreuves du destin
– Les rencontres
IV.
Son statut narratif
– Le rang sur la scène narrative
– La fonction dans l’action
– La fonction dans la narration
V.
VI.
Sa place dans le système des personnages
L’appartenance éventuelle à un type romanesque
• Éléments pour l’étude du personnage principal
On demandera aux élèves de remplir cette fiche à partir
de leur lecture de l’œuvre et en tenant compte des caractéristiques de Gil Blas abordées lors des séances précédentes.
L’accent sera mis pendant le cours sur les aspects suivants :
Gil Blas (livres I à VI)
• Grille de lecture
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– L’évolution de Gil Blas. À l’ouverture du roman, il est
un jeune homme naïf qui vend sa mule pour une somme
dérisoire (p. 48-49) et se fait volontiers la dupe d’un piqueassiette, puis, comme si l’expérience n’avait pas suffi, d’une
« aventurière » qui l’invite dans son château (p. 108) – même
si, dans sa jeunesse, il sait aussi se montrer roublard quand
il le faut et feindre quand la nécessité l’impose (comme le
remarque Rolando : « Nous admirâmes comment tu avais pu
nous tromper », p. 203). On peut, dans la perspective du
roman de formation, considérer que les six premiers livres
retracent en quelque sorte l’itinéraire de sa dégradation
morale, qui le conduit à prendre l’« air libertin » (p. 228),
mais force est d’admettre que le personnage, d’un bout à
l’autre du roman, demeure avant tout dupe de ses illusions
(Présentation, p. 27-28). À un autre niveau, cependant, la
voix du narrateur suggère que le personnage a évolué : en
homme expérimenté, le vieux Gil Blas prend ses distances
avec l’individu candide qu’il a été, insistant sur sa « sottise »
à plusieurs reprises (« ce préambule, que je pris sottement au
pied de la lettre », p. 104).
– L’intériorité du personnage. En outre, les élèves
devront être sensibles aux passages du roman qui permettent
d’accéder à l’intériorité du héros, notamment les monologues
(par exemple, « Ah misérable, me dis-je à moi-même, est-ce
ainsi que tu remplis l’attente de ta famille », p. 267), ou les
dialogues où s’instaure un échange entre le je narré et le je
narrant : au premier qui s’interroge – « Ô Ciel, dis-je, est-il
possible qu’une personne qui se montre si réservée soit
capable de vivre dans le libertinage ? » (p. 332), le second
répond : « Ce sont de vrais caméléons qui changent de
couleur suivant l’humeur et le génie des hommes qui les
approchent » (p. 333). De là viennent la distance critique et
l’ironie caractéristique du narrateur-personnage.
– Modèles littéraires de Gil Blas. Le personnage se
construit sur une pluralité de modèles mis à distance : outre
le modèle picaresque et le modèle théâtral déjà signalés
(séances 1 et 6), on pourra évoquer le modèle du roman
héroïque et précieux du XVIIe siècle, également parodié dans
Gil Blas. On comparera, pour illustrer cette idée, les deux
extraits suivants, en s’attachant à leur ton et à leur contexte
respectifs (voir Présentation, p. 13-14) :
• Gil Blas, I, 6, de « Ô Ciel » à « à bout » (p. 69).
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Affiche de Jean-François Gigoux
pour la souscription à la parution en fascicules du Gil Blas de Lesage
illustré de vignettes de Jean-François Gigoux (Paulin, 1835)
De Dubercelle, qui signa huit gravures de l’édition princeps de Gil Blas, à René
Jolivet, qui adapta le roman de Lesage au cinéma en 1955, nombreux sont les
artistes que Gil Blas inspira. Ami de Delacroix et de Nodier, pionnier de l’illustration romantique, Jean-François Gigoux (1806-1894) composa pour l’édition de Gil
Blas publiée chez Paulin en 1835 plus de 600 vignettes, contribuant ainsi à la
naissance d’un nouveau genre : celui du « livre à vignettes », illustré non plus de
gravures hors texte mais de vignettes insérées dans le texte.
On reconnaît sur cette affiche de nombreux personnages du roman : la comparaison avec quelques-unes des vignettes de Gigoux consultables sur le site Gallica
de la BNF permettra aux élèves d’en identifier plusieurs (Rolando, Laure...). L’effet de masse produit par l’accumulation de personnages issus de milieux variés
renvoie à l’idée selon laquelle Gil Blas serait l’un des premiers romans réalistes :
le « théâtre du monde » de Lesage annoncerait la « comédie humaine » de Balzac.
Enfin, cette affiche, qui propose aux lecteurs de souscrire pour 40 livraisons,
témoigne d’une formule originale d’édition, annonçant la naissance du romanfeuilleton dans la presse, dont le coup d’envoi sera donné en 1836 avec la parution
du premier épisode de La Comtesse de Salisbury de Dumas.
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• Georges et Madeleine de Scudéry, Artamène ou le
Grand Cyrus, GF-Flammarion, 2005, p. 91.
• Le système des personnages dans Gil Blas
Dans un second temps, on amènera la classe à envisager
plus largement le système des personnages dans le roman de
Lesage. La diversité des protagonistes et des figures provient, en partie, de la variété des rôles qu’ils sont amenés à
jouer auprès du héros. Cependant, on ne peut les ramener
à la simple distinction adjuvants/opposants dans la mesure
où l’ambition de Lesage semble bien être de livrer, à travers
son roman, une vaste fresque sociale ; maîtres, valets, clergé,
médecins, aristocrates, gens de cour, de lettres, toutes les
catégories, tous les âges, tous les rapports sont envisagés
dans cette somme (voir l’illustration page précédente). La
scène romanesque se meut donc en théâtre du monde.
SÉANCE 9
E´ VALUATION FINALE
Objectifs : Réfléchir à la dimension morale du roman et à
l’image qu’il donne de l’humaine condition ; s’entraîner
à la dissertation.
On peut soumettre à la réflexion des élèves la citation suivante de Walter Scott, extraite d’un des documents proposés
en annexe (p. 467-468) : « Tout dans Gil Blas respire le
naturel, la bonne humeur, la gaîté, la légèreté et la vivacité.
[...] Cet ouvrage laisse le lecteur content de lui-même et du
genre humain ; les fautes de l’homme y paraissent plutôt des
folies que des vices, et les malheurs sont si bien mêlés au
ridicule qu’ils déclenchent en même temps le rire et la
compassion », Walter Scott, « Alain Lesage » (1822).
Votre lecture de Gil Blas vous permet-elle de rallier l’avis
de Walter Scott ?
Hélène BERNARD.