VERS UNE FORCE EUROPEENNE DE PROTECTION CIVILE ? L

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VERS UNE FORCE EUROPEENNE DE PROTECTION CIVILE ? L
VERS UNE FORCE EUROPEENNE DE PROTECTION CIVILE
?*
Abdennour Benantar, Chercheur associé au CREAD
Introduction
L’Europe est régulièrement touchée par des catastrophes naturelles (inondations, tempêtes, séismes,
incendies de forêts) et industrielles ou technologiques (explosion d’usines, fuites de produis chimiques…). Les moyens nationaux sont insuffisants pour face à de tels risques majeurs, naturels ou
d’origine humaine, c’est pourquoi la coopération communautaire en matière de protection civile s’est
accrue. D’importants efforts sont déployés pour une meilleure préparation et une amélioration des capacités européennes en matière de prévention ou d’atténuation des conséquences de tels risques, y
compris terroristes. C’est ainsi que s’est amorcée la construction de l’Europe de la protection civile,
rythmée par des catastrophes à répétition aussi bien en Europe que dans le reste du monde. Les enseignements tirés de ces crises majeures ont révélé l’incapacité de l’UE à agir rapidement et efficacement, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union.
Le propos de cette contribution n’est pas d’examiner en détails les différentes mesures prises par
l’Europe pour prévenir et lutter contre les catastrophes y compris les attaques terroristes, mais
d’analyser les réflexions et les différentes propositions portant sur l’amélioration des capacités communautaires et plus particulièrement l’idée d’une force européenne de protection civile.
Protection civile et aide humanitaire de l’UE
Selon la Commissions européenne, « la protection civile désigne l’intervention d’urgence des équipes et moyens de secours dans les premières heures et les premiers jours suivant une catastrophe ».
Ces secours couvrent la recherche et le sauvetage, l’aide médicale d’urgence, la lutte contre les incendies, la fourniture d’abris, de nourriture et d’eau. Les opérations de protection civile peuvent, selon le
type de la catastrophe, nécessiter l’emploi de moyens plus techniques : avions de lutte contre les incendies (incendies de forêts) ; matériel de pompage (inondations) ; navires de lutte contre la pollution
(naufrages de pétroliers) ; équipements de détection et décontamination (incidents chimiques, biologiques ou nucléaires). Les interventions de protection civile, qui exigent une évaluation rapide et efficace des besoins pressants et une capacité immédiate de réaction, s’achèvent quand il n’y a plus de
vies humaines à sauver. Les intervenants de l’aide humanitaire et de la reconstruction prennent alors le
relais. La protection civile de l’UE diffère de l’aide humanitaire communautaire assurée par l’ECHO
(Office humanitaire de la Communauté européenne), sur quatre aspects : elle permet de faire face aux
conséquences, aussi bien écologiques qu’humanitaires des catastrophes; elle est effectuée par des
équipes et équipements mis à disposition de l’UE par les États participants au mécanisme communautaire.1 L’ECHO est un instrument d’aide humanitaire, créé en 1992, en vue d’améliorer l’efficacité de
l’aide européenne aux victimes de catastrophes naturelles ou de conflits. Les diverses actions de protection civile européenne appuient l’aide humanitaire dans la mesure où le mécanisme communautaire
peut aussi servir d’instrument pour faciliter et appuyer la gestion des crises dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).2 La protection civile est l’un des quatre domaines prioritaires de la gestion de crises (les trois autres sont la police, l’Etat de droit et l’administration civile).
*
Communication présentée à la 3ème édition des Journées d’études parlementaires (JEP) consacrée à la « Défense civile »,
colloque organisé par la Commission de la Défense Nationale/Conseil de la Nation, Alger, 25-27 février 2006, 14 p.
1
Sur le plan organisationnel, la protection civile dispose d’une identité claire et visible au sein de
l’organigramme de la Commission : l’Unité Protection civile qui dépend de la Direction générale de
l’environnement. Cette unité a assuré la coordination des interventions des Etats membres à l’occasion
de certaines catastrophes majeures dont l’une des dernières fut le naufrage du pétrolier Erika (2001)
près des côtes françaises. Le cadre organisationnel de la protection civile au niveau européen comprend le réseau permanent des correspondants nationaux et le comité du programme d’action. Composé de représentants des administrations nationales, il constitue le premier réseau communautaire coordonné de protection civile européenne. C’est en son sein que l’on échange les informations et l’on discute les différentes initiatives dans ce domaine. Quant au comité (du programme d’action et du mécanisme communautaire), il est constitué de représentants des Etats membres et présidé par la Commission. Sa mission est d’aider celle-ci à mettre en œuvre le programme et le mécanisme, et à améliore la
coopération au niveau des interventions européennes de protection civile.3 Pour ce qui est des moyens
financiers, le budget général de l’UE a alloué pour 2005 une enveloppe de 7,400 millions d’euros pour
la protection civile. Pour 2006, son budget pourrait être réduit à environ 7 millions, si le Conseil européen suit la proposition de la Commission où légèrement supérieur si il approuve celle du Parlement
européen, qui avait porté, en première lecture, ce budget à 7,010 millions.4
Dispositif communautaire de protection civile
La protection civile demeure une compétence nationale, toutefois elle fait l’objet d’une coopération
communautaire accrue qui a pris de l’ampleur depuis ces dernières années. La construction de
l’Europe de la protection civile a réellement démarré dans les années 80, lorsque les Etats membres se
sont mis d’accord (réunion de Rome, 1985), pour la première fois, sur la coordination de leurs politiques de protection civile. Deux ans auparavant, des pays européens et la CEE avaient jeté les premiers
jalons d’une coopération européenne contre des catastrophes maritimes en mer du Nord en signant
l’accord de Bonn.5
En 1987, le Conseil européen décide d’instituer un « groupe de coopération en matière de prévention, de protection et d’organisation des secours contre les risques naturels et technologiques majeurs »
ayant « pour objectif d’examiner d’un point de vue pluridisciplinaire les modes de coopération pour la
prévention, la protection et l’organisation des secours » contre ces risques majeurs. De 1987 à la mi90, le Conseil a adopté une série de résolutions concernant la protection civile. Certains éléments (information au public, préparation aux catastrophes, coopération et coordination, échange d’information,
exercices de simulation et échange d’experts…) de ces résolutions sont repris plus tard par la Commission. C’est aussi à l’initiative du Conseil que des réunions annuelles se tiennent entre les directeurs
généraux des services de la protection civile des Etats membres. 6 En 1997, il lance le premier programme d’action communautaire en faveur de la protection civile.
Les initiatives de protection civile communautaires repose sur le principe de subsidiarité : la Commission soutient et complète les politiques nationales. Son intervention en cas de catastrophe vient
donc en appui des efforts étatiques en coordonnant les actions des services spécialisés des Etats membres ainsi que des pays candidats à l’adhésion (Bulgarie, Roumanie et Turquie) et de ceux de l’Espace
économique européen (EEE), à savoir l’Islande, Liechtenstein et la Norvège. Les objectifs de l’UE en
matière de protection civile peuvent être résumés comme suit :7 soutenir et compléter les efforts de
prévention des Etats ; accroître le degré de préparation des services spécialisés en vue d’améliorer leur
capacité d’intervention ; contribuer à informer le public8 aidant les citoyens de l’UE à mieux se protéger; créer un cadre de coopération efficace et rapide entre les services nationaux spécialisés; renforcer
2
la cohérence des actions menées à l’échelle internationale, notamment dans le cadre de la coopération
avec les pays candidats et ceux de la Méditerranée.
En 1997, l’Europe adopte le premier programme d’action en faveur de la protection civile pour une
durée de deux ans (1998-1999) et ce pour soutenir et à compléter les efforts des Etats membres en faveur de la protection des personnes, des biens et de l’environnement, en cas de catastrophes. Avec ce
programme, destiné à faciliter la coopération, les échanges d’expérience et l’assistance mutuelle entre
les intervenants nationaux du secteur, l’Europe de la protection civile prend un nouvel élan. Un second
programme a été approuvé (décembre 1999) pour la période 2000-2004, doté d’un budget de 7,5 millions d’euros.9 En décembre 2004, le Conseil l’a prolongé jusqu’au 31 décembre 2006 en lui allouant
une enveloppe de deux millions d’euros par an. Ce second programme vise notamment à : prévenir des
risques et des dommages aux personnes, à l’environnement et aux biens en cas de catastrophes naturelle ou technologiques ; accroître le degré de préparation des services nationaux ; contribuer à la détection et à l’étude des causes des catastrophes ; perfectionner les méthodes d’intervention et de gestion post-situations d’urgence ; informer et sensibiliser le public. De ces objectifs découlent les activités à financer par ce programme : évaluation, prévention et atténuation des risques ; information du
public ; état de préparation et capacité d’intervention....10
Puisque ce programme expire fin 2006, la Commission a adopté une proposition de règlement du
Conseil instituant un « instrument de préparation et de réaction rapide aux urgences majeures » pour la
période 2007-2013. Il s’agit d’une nouvelle base juridique, un nouvel instrument financier doté d’un
budget estimé à 173 millions d’euros pour les sept ans. Il financera donc les actions et les mesures de
préparation et de réaction aux catastrophes survenant dans les pays l’UE et les pays participant au mécanisme communautaire. Cet instrument vise donc à soutenir et à compléter financièrement les efforts
étatiques en matière de protection civile. Il est conçu pour contribuer à l’efficacité des systèmes de
préparation et de réaction aux urgences majeures (résultant de catastrophes naturelles, industrielles et
technologiques, ou d’actes terroristes) et faire face à leurs conséquences sur la santé publique. Selon la
Commission, la préparation en amont des moyens et équipements appropriés à dépêcher sur les sites
sinistrés est capitale car l’efficacité des opérations de réaction rapide en dépend. Pour qu’elle soit efficace, une action européenne exige des équipes de protection civile nationales « de mettre en commun
leurs ressources » et de « se porter mutuellement assistance ». De nombreuses activités peuvent bénéficier du financement de l’instrument : mise au point des stratégies, procédures et systèmes
d’évaluation des besoins favorisant la constitution de moyens et d’équipements appropriés à déployer
rapidement en cas d’urgence majeure; promotion d’une coopération rapide et opérationnelle entre les
services nationaux de protection civile; soutien de l’échange de savoir-faire et d’expériences…11
Il convient de rappeler que pour des catastrophes survenues sur le territoire de l’Union, l’Europe
dispose déjà d’un instrument financier complétant les efforts des Etats : le Fonds de solidarité de l’UE
qui dispose d’un budget annuel d’un milliard d’euros. Il avait été crée suite aux inondations d’août
2002 en Europe. Les moyens de cet instrument de solidarité communautaire sont mobilisés pour venir
en aide aux pays européens touchés par des catastrophes.12
Le mécanisme communautaire de protection civile
La Commission a été à l’origine du premier jalon d’une stratégie européenne protection civile en
proposant, en 2000, la mise en place d’un mécanisme communautaire consacré aux interventions de
protection civile et complétant le programme d’action. Les attentats du 11 septembre ont accéléré cette
prise de conscience de l’importance de la protection civile, puisque moins plus tard, le Conseil de l’UE
3
institue (octobre 2001) un « mécanisme communautaire visant à favoriser une coopération dans le cadre des interventions de secours relevant de la protection civile ». Sa mission est de coordonner
l’intervention des services de secours de la protection en cas de catastrophe naturelle, technologique,
radiologique et environnementale, y compris de pollution marine accidentelle, survenant tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE. 13 Doté d’un budget annuel de trois millions d’euros, ce mécanisme
est opérationnel depuis août 2002. Outre, les Etats membres de l’UE, la participation y aussi ouverte
aux pays candidats à l’adhésion ainsi qu’aux pays membres de l’EEE.14
Ce mécanisme peut être activé lorsque se produit une catastrophe naturelle ou industrielle, y compris
un accident nucléaire. Il s’appuie sur une base de données répertoriant les moyens nationaux de protection civile disponibles pour les interventions européennes de secours. Il dispose aussi d’un accès à
la base de données militaires de l’état-major de l’Union européenne (EMUE) qui donne une vue
d’ensemble des ressources disponibles pour gérer les conséquences des catastrophes. L’organe opérationnel du mécanisme est le Centre de suivi et d’information (CSI) – ou Monitoring and Information
Center – MIC. Activé par la Commission et basé Bruxelles, il est accessible 24 heures sur 24 heures et
relié en permanence aux centres de crises de la protection civile des 30 Etats participants. Il assure la
coordination des interventions européennes en la matière. Tout pays touché par une catastrophe majeure, à l’intérieur ou en dehors de l’Union, peut formuler une demande d’assistance auprès du CSI, un
« guichet unique », qui la transmet immédiatement aux points de contacts dans les Etats participants
au mécanisme. Le CSI compile ensuite les réponses obtenues et informe le pays demandeur d’aide de
la disponibilité des secours. Il peut aussi, à la demande du pays sinistré, déployer de petites équipes
d’experts pour évaluer les besoins sur place, coordonner les opérations d’assistance et établir des
contacts avec les autorités locales, et éventuellement avec les intervenants internationaux sur le terrain.
Le CSI est assisté par le Centre commun de recherche (CCR) de l’UE qui le soutien techniquement
(images satellites avec analyses intégrées…). Le CSI se charge aussi du suivi en temps réel de
l’évolution de la situation sur le terrain ; collecte et validation des données et d’informations, leur mise
à jour régulière et leur diffusion aux pays participants. Les procédures de gestion des opérations européennes diffèrent selon le lieu d’intervention. En Europe, c’est l’État qui a sollicité l’aide du CSI qui
coordonne les contributions apportées coordonnées par le mécanisme. En dehors de l’UE, la coordination des interventions européennes est assurée par la Commission et la présidence. Ces interventions
peuvent être menées au titre d’une opération d’assistance autonome (purement européenne) ou d’une
contribution à une opération internationale. Dans ce dernier cas, le CSI assure la coordination avec
l’ECHO et le BCAH. Quant à l’ECHO, il apporte une assistance aux victimes de catastrophes, en coopération avec ses partenaires (agences de l’ONU, Croix-Rouge et ONG). 15
Depuis son entrée en vigueur, le mécanisme a été activé des dizaines de fois à l’occasion de crises
majeures en Europe et ailleurs.16 Les enseignements tirés de ces crises ont souligné la nécessité de perfectionner et de renforcer le dispositif européen de protection civile. En fait, c’est au fil de situations
d’urgence et de crises majeures,17 que se consolide la construction européenne dans ce domaine.
Compte tenu de son ampleur, le tsunami (26 décembre 2004) a mobilisé plus de moyens européens
que des catastrophes précédentes. 18 Dès le premier jour, le CSI a coordonné l’envoi sur place de six
experts européens. Répartis sur trois les pays touchés (Sri Lanka, Indonésie, Thaïlande et Maldives),
ils avaient pour mission d’évaluer l’aide d’urgence que les Européens pouvaient apporter et de la
coordonner. L’équipe d’experts dépêchée sur place a permis de mieux déterminer les besoins et de
coordonner l’acheminement de l’aide apportée par les Etats européens (hôpitaux de campagnes, équi4
pes de médecins légistes, matériel de purification des eaux, matériel médical et médicaments, tentes,
couvertures...). Ces experts européens ont transmis en temps réel au CSI des informations précieuses
sur l’ampleur de la catastrophe. 19
La Commission et le perfectionnement du mécanisme communautaire
La Commission a exploré, dans une communication de mars 2004, les pistes possibles pour renforcer les capacités européennes de protection civile. Elle affirme d’emblée que tant les récentes catastrophes naturelles (inondations et incendies de forêt en Europe, séismes en Algérie, Iran, Maroc…) que
les attaques terroristes ont signalé l’urgence d’une approche communautaire plus concertée et d’une
amélioration de la capacité européenne pour mieux répondre à ces défis. Si le mécanisme communautaire est devenu « un élément de plus en plus important » de la capacité européenne d’intervention en
matière de protection civile, les expériences ont montré ses limites. En vue de le perfectionner, la
Commission a identifié quatre éléments majeurs à revoir : les carences en matière d’information ; la
nécessité de renforcer la formation et l’interopérabilité et enfin la nécessité d’améliorer la communication et la coordination On s’arrêtera ici sur le premier élément seulement car les autres sont amplement
développés dans une communication ultérieure de la Commission et sur lesquels on reviendra. Les carences en matière d’information sont dues au fait que la base de données sur laquelle s’appuie le mécanisme ne répertorie que les équipes d’intervention. Or, pour une meilleure efficacité, il faut qu’elle
fasse aussi état de données précises sur les caractéristiques du matériel disponible. En conséquence, la
Commission demande aux Etats membres de la compléter donnant ainsi une vue d’ensemble des équipes et moyens mobilisables en cas de catastrophes naturelles, mais aussi de menaces CRBN (chimique, radiologiques, biologiques et nucléaires) ou d’attaques terroristes. Selon la Commission, la mise
en commun des capacités d’intervention des Etats membres « fonctionnera seulement si le système
peut fournir toutes les informations nécessaires » sur les moyens disponibles. 20
En fait, après chaque intervention européenne, l’action menée dans le cadre du mécanisme communautaire est évaluée pour agir en conséquence. Juste après le tsunami, l’UE a lancé un plan d’action
destiné à renforcer sa capacité de réaction, ainsi qu’à améliorer l’efficacité et la visibilité de son action. C’est dans cette perspective que s’inscrit la communication d’avril 2005 dans laquelle la Commission détaille davantage ses réflexions. 21 Inscrivant sa réflexion dans la perspective du renforcement
des structures existantes, elle envisage le perfectionnement du mécanisme communautaire suivant quatre axes : 1) mieux préparer les interventions ; 2) développer les moyens d’analyse et d’évaluation ; 3)
renforcer la coordination ; 4) améliorer l’assistance en faveur des ressortissants européens victimes de
catastrophes hors de l’Union.
Concernant le premier axe, elle recommande aux Etats membres de poursuivre les formations et les
exercices de préparation, d’établir des scénarios et d’accroître l’interopérabilité, y compris civilomilitaire, pour une meilleure préparation aux situations d’urgence. Dans cette optique, elle met
l’accent sur trois volets : évaluation des moyens de protection civile, approche modulaire et enfin formation et exercices. En matière d’évaluation de moyens, l’expérience de recensement des ressources
que chaque État membre était en mesure de mettre à disposition de l’UE en cas d’attaque terroriste, a
permis d’identifier les lacunes du système européen de protection civile. Partant de ce constat, la
Commission recommande d’étendre ce travail aux autres catastrophes. S’agissant de l’approche modulaire, elle propose que chaque pays participant identifie « à l’avance les modules autonomes » rapidement mobilisables pouvant être mis à la disposition d’une opération européenne de protection civile.
Ainsi identifiés, ces modules suivront ensuite des stages de formation communs et organiseront des
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exercices conjoints. Cette approche modulaire permettra au CSI « de constituer des ensembles cohérents de secours et de cibler plus précisément les besoins spécifiques à chaque situation d’urgence », et
de renforcer la capacité de réaction. Enfin, suggère l’intensification des programmes de formation et
les exercices de simulation pour « accroître l’interopérabilité » et « développer une culture commune
de l’intervention ». Elle encourage la participation des militaires à ces programmes en vue de
l’interopérabilité civilo-militaire. S’inscrivant dans une démarche internationale, elle met l’accent sur
« la cohérence et les synergies avec les efforts de formation » déployés dans le cadre de l’ONU et de la
Croix-Rouge et ce en vue d’une culture opérationnelle commune et de l’interopérabilité. 22
Au titre du second axe (analyse et évaluation des besoins), la Commission insiste sur deux éléments
majeurs : l’alerte rapide et l’analyse ; l’affinement de l’évaluation des besoins sur le terrain. En vue de
gagner du temps en situation d’urgence, elle recommande de « resserrer les liens entre le CSI et les
systèmes d’alerte rapide et de veille » au niveau de l’Europe et de l’ONU. Si le CSI parvient à apprécier la situation à temps – savoir si une catastrophe ayant déclenché des alertes pouvait-elle impliquer
une demande d’assistance – le délai pour monter une opération de protection civile sera écourté. Le
CSI doit être par ailleurs capable de suivre en permanence l’évolution des situations engendrées par
les catastrophes pour pouvoir agir en conséquence. Pour ce qui est du second élément, elle souligne
que l’expérience du tsunami a montré la nécessité de renforcer les moyens d’évaluation sur le terrain
pour déterminer les besoins exacts de protection civile. Pour y parvenir, elle recommande que le CSI
dépêche, à l’avenir, selon l’ampleur de la catastrophe, de petites équipes d’évaluation composées de
cinq personnes au lieu d’experts individuels comme c’est le cas actuellement.23
S’agissant du troisième axe (renforcement de la coordination), il est question d’une coordination à
deux paliers. A l’échelle européenne, la Commission demande que les moyens de protection civile
soient fournis de « façon coordonnée » et qu les Etats membres travaillent ensemble, à travers le mécanisme communautaire, pour que l’UE puisse réagir efficacement. Au plan international, elle appelle
à un développement des complémentarités et à la coordination avec l’ONU. Outre ces deux paliers, la
Commission préconise le développement de la complémentarité et de la coordination entre les intervenants de la protection civile et ceux de l’aide humanitaire. Au niveau européen, le mécanisme communautaire travaille avec l’ECHO de manière à garantir « une réaction européenne globale ». En outre,
l’urgence entraînée par le tsunami a montré l’apport des ressources militaires en cas d’urgence majeure, d’où la nécessité d’une interopérabilité civilo-militaire. Grâce à la coordination entre civils et
militaires, le mécanisme pourra bénéficier de moyens militaires afin de soutenir ses opérations civiles,
notamment en cas d’attaque terroriste en Europe.24 C’est dans cette perspective que la Commission
plaide pour une articulation entre le mécanisme et la PESC, d’autant plus que le Conseil européen
considère « la protection civile comme l’un des domaines prioritaires dans lequel il convient de renforcer les moyens européens de gestion de crise ». A ce propos, la Commission avait souligné, en
2004, qu’en cas de catastrophe majeure, les équipements militaires ou à double usage sont souvent utilisés dans les interventions relevant de la protection civile. Ils sont même le principal outil en cas
d’attaques CBRN ou terroristes. 25
Enfin en ce qui concerne le quatrième axe, force et de constater que la Commission – à l’instar du
Conseil – intro duit un élément nouveau dans la stratégie européenne de protection civile, à savoir
« l’amélioration de l’assistance portée aux ressortissants européens victimes de catastrophes hors de
l’Union ». L’expérience du tsunami a révélé l’importance de la coopération entre les équipes européennes de protection civile et les autorités consulaires des Etats membres pour secourir les citoyens
6
européens. Le mécanisme communautaire peut être très utile notamment pour ce qui est de besoins
bien précises (équipes d’identification des victimes, rapatriement et évacuation médicale). 26 A ce sujet,
le Conseil européen de Bruxelles (juin 2004) avait appelé au renforcement des « coopérations existantes dans le domaine de la protection civile », entre les Etats membres, pour traduire leur volonté
« d’agir solidairement en cas d’attentat terroriste dans un des Etats membres ou en cas d’attentat
contre les citoyens de l’Union européenne vivant à l’étranger ».
Pour être complet, notons que cette communication (avril 2005) de la Commission a été examinée
par le groupe « Protection civile » du Conseil ainsi que par les directeurs généraux de la Protection civile des Etats membres (à l’occasion de leur 14ème réunion). Ces derniers ont décidé à cette occasion
d’entamer des discussions en vue de développer une approche modulaire reposant sur des modules nationaux de protection civile, intensifier les activités de formation et d’exercices pour développer
l’interopérabilité, mettre en place des insignes communs pour le personnel européen intervenant sur le
terrain ; renforcer la capacité d’analyse et de planification du CSI…
Force européenne de protection civile : une initiative française
L’idée française d’une telle force remontre à 1999. Lors des tremblements de terre ayant frappé la
Turquie la Grèce, le français Michel Barnier venait juste de prendre ses fonctions de commissaire européen à la politique régionale. Constant l’incapacité des Européens à agir ensemble, il suggère alors,
devant le Parlement européen, l’idée d’une force européenne de protection civile. Mais il n’avait visiblement pas eu beaucoup de soutiens. Depuis, l’Europe a connu de nombreuses catastrophes sans que
les leçons n’aient été tirées réellement au niveau européen. Face à ses catastrophes à répétition en Europe et ailleurs, la France réitère en 2004 sa proposition d’autant plus que l’idée avait entre temps bien
germé et gagné quelques soutiens, notamment celui du parlement européen.
Suite aux attentats de Madrid (mars 2004), Barnier insiste à nouveau sur la mise en commun des forces de protection civile européennes. Il préconise l’amélioration de la capacité communautaire pour
mieux répondre à des tels catastrophes, d’autant plus que seul aucun pays ne peut y faire face efficacement. Pour lui, l’Europe n’est pas encore « prête » à réagir de manière rapide et efficace, notamment
en cas attentats par des armes non conventionnelles, d’où l’urgence de mieux utiliser et renforcer ses
capacités. Il appelle à une meilleure information, à mettre à disposition de l’Union, sur les moyens
humains et techniques disponibles, leur expertise, leur localisation et leurs types de formation. La mise
en commun de moyens exige évidemment que l’on s’occupe des problèmes pratiques (de langues,
d’interopérabilité des matériels et de la coordination des acteurs) pour pouvoir agir conjointement. Il
ne s’agit pas selon Barnier « de créer quelque chose de ‘ nouveau ’, sorti de rien et centralisé à Bruxelles » ou ailleurs, « mais bien de former et de préparer dans chaque pays des unités nationales ‘ prêtes à
l’emploi ’, et quasiment mobilisables ‘ dans l’instant’ ». Des unités qui auront un programme commun
d’entraînements et de formation. Cette force complèterait les instruments communautaires existants.
Enfin, il plaide en faveur de l’augmentation des fonds publics. 27 Ses idées sont reprises par la Commission évoquée plus haut. Mais l’idée française n’a pas vraiment trouvé de soutiens au sein de l’UE.
Le tsunami relance le projet d’une force de protection civile européenne
La mise en place de l’aide européenne post-tsunami a mis la question de la protection civile au centre du débat communautaire, notamment pour ce qui relève de la coordination de l’aide et des interventions européennes sur le terrain. Constatant la lenteur de l’Europe et son manque d’efficacité lors
des récentes catastrophes survenues en Europe et dans le monde, des Européens entendent tirer les le-
7
çons de ces événements. Pour les plus enthousiastes d’entre eux, le drame de tsunami est l’occasion ou
jamais de mettre sur pied une force européenne de réaction rapide.
Le tsunami fut l’occasion d’une réflexion européenne sur le renforcement des capacités communautaire. On a avancé à nouveau l’idée d’une « Agence européenne de protection civile », 28 mais certains
pays comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas se montent réticents, ou encore celle d’un « Corps
volontaire européen d’aide humanitaire ». Doté d’un état major européen, ce corps de volontaires superviserait la mobilisation et la coordination des moyens que les Etats membres pourraient mettre à
disposition de l’UE. Mais la Commission y semble défavorable. Son commissaire au Développement
et à l’aide humanitaire, Louis Michel, redoute d’importants coûts financiers et opte pour un renforcement, humain et financier, de l’ECHO. 29 C’est donc dans le contexte post-tsunami que le débat
s’intensifie relançant la proposition française. Il fut aussi l’occasion pour la France de réitérer sa proposition et de saisir le commissaire européen Michel au sujet d’une force européenne de protection rapide. Avant de voir quel accueil les Européens ont réservé et réservent à l’idée française, voyons quelques précisions françaises à ce sujet.
Juste après le tsunami, Barnier, alors ministre des Affaires étrangères français, a encore précisé les
idées qu’il a suggérées il y a plus de cinq ans. Selon lui, il faut très rapidement tirer des leçons de ce
raz-de-marée en mettent en place une « force européenne de protection civile » à travers une mutualisation des moyens nationaux existants. Cette force disposerait d’un petit état-major commun pouvant
mobiliser différents moyens (pompiers, techniciens, médecins, vaccinateurs, hôpitaux transportables…). Elle sera composée d’unités nationales, qui en cas d’urgence et en fonction de la catastrophe,
opèreraient ensemble tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Europe. Stationnées dans leurs locaux nationaux, ces unités continueront à faire leur travail localement. Il ne s’agit donc « pas de doubler les
structures existantes », mais d’avoir « un petit état major » coordonnant ces unités nationales. Enfin,
Barnier constate que l’idée avance et que dans les conclusions du CAGRE, « il est question en effet
d’une capacité européenne ».30
La France porte cette proposition au niveau européen afin de la concrétiser, mais certains de ses partenaires redoutent des multiplications de structures lourdes qui n’ajouteraient rien en terme d’efficacité
et qui exigeraient encore plus de moyens. Toutefois, au fond, l’idée fait son chemin et les divergences
concernent plus les modalités de sa mise en œuvre que l’idée elle-même puisque tout le monde est
d’accord sur la nécessité de renforcer les capacités de l’UE à partir des structures existantes.
Au sujet de l’idée d’un « corps européen de protection civile » évoquée suite au tsunami, le commissaire européen Michel estime que « tout dépend de la manière dont ça s’organise. Si c’est l’idée de
Michel Barnier d’établir un état-major à Bruxelles, avec des représentants des Etats, qui permettrait de
tenir à jour les capacités de projection logistique disponibles de chacun, j’y suis totalement favorable
et ça ne coûte pas cher ».31 Certains pays comme la Belgique soutiennent l’idée française. Suite au
tsunami, le ministre belge de la Coopération au développement, Armand De Decker avait, avec Barnier, appelé l’UE à créer une force de protection civile. 32
Suite au cyclone Katrina qui a ravagé la Nouvelle Orléans (Etats-Unis), Barnier plaide à nouveau
pour une mutualisation des forces de protection civile estimant qu’une « ’force européenne de protection civile’ est plus que jamais nécessaire ». Pour rassurer des partenaires européens, encore réticents,
il précise que cette mutualisation de moyens reposera sur l’acquis communautaire, à savoir le mécanisme communautaire. Toutefois, il relève que bien qu’il ait été efficace en terme coordination, ce mécanisme demeu re « modeste » car il s’est principalement contenté de recenser les efforts des Etats
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membres. Ce fut le cas pour le tsunami, et tout récemment pour Katrina ou encore séisme au Pakistan.
Pour y remédier, Barnier suggère deux idées principales. La première est de faire en sorte qu’en cas de
catastrophe hors de l’UE, le pays sinistré « puisse avoir, non pas 25, mais un interlocuteur au niveau
européen ». Pour y parvenir, il faut « éviter les circuits bureaucratiques et créer une structure légère, à
Bruxelles, rassemblant quelques experts de protection civile de la Commission et des Etats membres,
détachés en permanence au sein d’un ‘état-major’ de protection civile européen’ ». La seconde est
d’améliorer la capacité collective de l’Europe à répondre aux crises à travers l’organisation
d’exercices conjoints et la mise sur pied de « véritables équipes européennes pluridisciplinaires ». Des
équipes qui, en cas d’urgence, « seraient agrégeables immédiatement pour des missions d’assistance
conjointes auxquelles elles se seraient préparées à l’avance ». Il estime en outre que la réponse européenne suite à Katrina n’a été ni efficace ni adaptée aux besoins des sinistrés, puisque les Etats-Unis
n’avaient pas d’un « interlocuteur unique » à Bruxelles en mesure de veiller à l’adéquation entre besoins américains et les ressources disponibles des Etats de l’Union. Cet « éparpillement » des efforts
européens a une incidence directe sur l’efficacité des actions menées et sur la visibilité de l’aide communautaire.33
De son côté, le ministre belge du Développement De Decker a plaidé, lors de la réunion (24 octobre
2005) des ministres européens de la Coopération au développement (consacrée à l’aide au Pakistan),
en faveur de « la création d’une force européenne de protection civile d’action rapide, s’inspirant du
modèle B-Fast ».34 Les belges parlent plus de EU-Fast que de la force européenne de protection civile.
Les deux principaux promoteurs d’une telle structure sont Louis Michel (ancien ministre des Affaires
étrangères, actuellement Commissaire européen) et André Flahaut (ministre de la Défense), qui sont
d’ailleurs les pères de la B-Fast,35 créée à leur initiative commune.
Un consensus européen ?
Si l’idée française n’a pas été rapidement adoptée, elle eu le mérite de lancer le débat et même de
l’orienter vers une conception plus au moins partagée d’une force européenne de protection civile.
Cette idée gagne de plus en plus de soutiens au sein des instances de l’Union (parlement, Conseil de
l’UE et Commission) comme l’attestent les appels qui se multiplient en faveur d’une telle force. Globalement, les pays européens s’accordent sur la nécessité d’améliorer les capacités de réaction de l’UE
en se basant sur « le mécanisme existant plutôt que de créer de nouvelles structures redondantes ». 36
Cependant, telle qu’elle est suggérée par la France, une force européenne de protection civile n’est pas
une nouvelle structure lourde et indépendante mais une simple mise en commun structurée des moyens
au niveau européen.
L’idée française a été dès le début bien accueillie par le parlement européen qui en fait sienne dès
2002 suite au naufrage du pétrolier Prestige près des côtes espagnoles. Il demande alors à l’UE de se
doter « d’une structure de coordination et d’intervention pour agir dans des situations d’urgence », et
« propose la mise en place d’une force de protection civile européenne à même d’intervenir en cas de
catastrophe écologique, dotée de moyens d’interventions appropriés, y compris en mer ». Après la canicule de l’été 2003, il « invite la Commission et le Conseil à traiter en priorité la question de la création d’une Force européenne de protection civile ». 37 D’ailleurs, cette résolution a eu un écho en Europe, puisque le Conseil de l’UE, a reconnu qu’elle contenait « d’importants éléments pertinents du
point de vue de la protection civile ».38 Suite au tsunami dans l’océan Indien, le parlement européen se
prononce en faveur de la « création d’un groupe d’unités civiles spécialisées de protection civile, dotées du matériel adapté, qui suivraient une formation commune et seraient disponibles en cas de catas9
trophe naturelle, environnementale ou humanitaire, ainsi que pour faire face aux risques industriels »,
tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE.39
De son côté, le Conseil européen – Affaires générales et relations extérieures (CAGRE) – décidé,
lors de sa réunion de janvier 2005, consacrée aux conséquences du tsunami, d’« examiner toutes les
possibilités d’amélioration du mécanisme de protection civile et d’aide humanitaire » de l’UE. Dans
cette perspective, il demande à la Commission et aux instances compétentes d’étudier les possibilités
de développement d’une capacité européenne de réponse (structure de planification, de coordination et
de mobilisation des moyens) aux catastrophes. Il leur demande par ailleurs d’entamer « l’évaluation de
la mise en place d’un corps volontaire européen d’aide humanitaire ».40 Lors de sa réunion de juillet
2005, le CAGRE souligne l’importance de perfectionner le mécanisme communautaire et de doter
l’UE d’une force d’intervention rapide. Plus précisément, il encourage aussi bien la Commission que
les Etats membres à poursuivre le développement d’une « approche modulaire » à travers « un programme qui établira des scénarios, l’évaluation de la capacité, les plans opérationnels, les formations
et les exercices ainsi que les méthodes communes pour évaluer les risques sur la base d’une approche
‘tous-risques’ couvrant » des catastrophes de toute nature (naturelle, industrielle, terroriste). Considérant « les modules civils » comme « un élément essentiel de la construction de la capacité européenne
de réaction », le Conseil les encourage à « développer une capacité européenne de réaction rapide
s’appuyant sur les modules de protection civile » nationaux. Il s’agit d’« unités autonomes et indépendantes placées sous la responsabilité nationale ». Il les incite également à promouvoir l’interopérabilité
(via des formations et des exercices) et la coopération civilo-militaire avec l’état-major de l’UE. Il invite en outre la Commission à renforcer « les systèmes de détection et d’alerte rapide en général » et
tout particulièrement en Méditerranée et dans l’océan Atlantique.41 Ainsi, le CAGRE se joint au Parlement européen pour demander la création d’une force européenne de protection civile, ajoutant ainsi
une pierre supplémentaire à la construction de l’Europe dans ce domaine.
Quant au Conseil européen de Bruxelles (juin 2005), il souhaite pour sa part « qu’au cours du second
semestre 2005, le renforcement des capacités de protection civile, en particulier les ressources médicales disponibles pour faire face à une attaque bioterroriste, ainsi que le développement d’une capacité
de réaction rapide fondée sur les modules de protection civiles des Etats membres, fassent l’objet d’un
traitement prioritaire ».42
La Commission, pour sa part, s’est déjà prononcée en faveur d’une certaine mutualisation des
moyens nationaux et certaines de ses recommandations vont dans le sens d’une visibilité européenne
en matière de protection civile. Ainsi, elle propose de « doter les équipes de secours coordonnées de
l’UE d’insignes et d’équipements communs pour permettre une identification aisée de leurs membres
sur le terrain dans le cadre d’une force de protection civile européenne ad hoc composée à partir
d’unités nationales existantes ».43 Notons à ce sujet que le Conseil de l’UE a demandé (janvier 2005) à
la Commission de concevoir pour la fin 2005, « en complément des insignes nationaux, des insignes
communs » à l’UE pour le personnel intervenant sur le terrain.
C’est à travers les « modules de réserve » que la perspective d’une force européenne de protection
civile se précise. Visiblement, la Commission n’exclue pas une telle perspective à long terme. En vue
d’une réaction plus rapide, les États membres pourraient « prendre une mesure supplémentaire, sur la
base de l’approche modulaire », en gardant « constamment un petit nombre de modules principaux en
réserve pour les opérations européennes de protection civile ». Des modules peuvent être immédiatement mobilisés et déployés à la demande l’autorité européenne compétente. Cette approche modulaire
10
à deux principaux avantages : elle assure la disponibilité d’un certain nombre de « modules principaux, prêts à intervenir à tout moment », et réduit énormément « le temps nécessaire pour mobiliser
les moyens de protection civile ». Les Etats membres pourraient aussi envisager d’autres dispositions
pour ce qui est de situations dépassant les besoins nationaux. Un certain nombre d’entre eux pourrait
assumer conjointement la mission de garder certains modules en réserve assurant de la sorte leur disponibilité permanente à l’échelle européenne. Ces unités doivent être rapidement projetables sur le
théâtre des catastrophes et complètement autonomes. Des exercices et de formations conjoints permettront de réaliser leur interopérabilité. « Au cœur de toute intervention européenne en matière de protection civile », ces unités « constitueraient le noyau effectif d’une force européenne de protection civile ». 44 C’est la première fois que la Commission parle explicitement et dans des termes on ne peut
plus claire d’une cette force.
En somme, cette approche modulaire de la Commission reprend au fond la proposition française
d’une force européenne de protection civile, puisqu’elle y propose l’identification au préalable, aux
niveaux nationaux, de modules autonomes, rapidement mobilisables lors d’opérations européennes de
protection civile... Il existe une convergence de points de vues entre le CAGRE et la Commission sur
la manière de bâtir une telle force européenne. Les deux organes de l’Union insistent sur l’approche
modulaire et leurs conceptions ne sont pas loin d’une structure légère permanente ayant son propre
quartier général à Bruxelles et disposant d’unités nationales prédéfinies ou pré-désignées stationnées
dans leurs propres pays. C’est en substance l’idée française. Toutefois, la France parle d’un état-major
léger, tandis que la Commission assigne ce rôle au mécanisme communautaire. Elle entend en faire le
centre névralgique d’un système européen global de protection civile, le noyau d’une « force globale
d’intervention de l’UE », combinant protection civile et aide humanitaire. Aussi, elle recommande de
regrouper les moyens de protection civile. 45
L’ensemble de ces réflexions et propositions pourrait donner à terme naissance à un corps européen
de protection civile composé d’unités nationales prédéfinies et projetables en fonction du type de la
catastrophe et des besoins. La perspective d’une force européenne de protection civile est aussi inscrite
dans la future constitution européenne. Celle-ci reconnaît en effet, d’une part une compétence partagée
en matière de protection civile et de santé publique (article III-184), et d’autre part comporte une
clause de solidarité (y compris la mobilisation de moyens militaires) en cas de catastrophe naturelle,
d’origine humaine ou d’attaques terroristes (article I-42).
Le protection civile européenne insérée dans une perspective internationale
La construction de l’Europe de la protection s’inscrit dans une perspective internationale puisque les
différentes instances européennes insistent sur la complémentarité et l’interopérabilité avec les agences spécialisées de l’ONU. Même le projet français d’une force européenne de protection civile, relancé à l’occasion du tsunami, s’inscrit dans une démarche internationale. Dans la conception française,
les deux perspectives sont liées. Autrement dit, l’amélioration des capacités européennes doit être aussi pensée en complémentarité et en appui des efforts de l’ONU. C’est aussi l’avis aussi bien de la
Commission que du Conseil de l’UE. C’est dans cette optique que le président français Jaques Chirac
a proposé, dans une lettre adressée au Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, l’idée d’une « force
internationale humanitaire ». Composée d’unités nationales pluridisciplinaires, pré-identifiés et dotée
de moyens appropriés, cette force sera rapidement mobilisable et projetable. Elle disposera d’une
« structure permanente de coordination et d’alerte » auprès du BCAH. Cette force, dont les opérations
devraient être financées par le budget de l’ONU, pourrait « compter sur un pôle européen disposant de
11
ressources préalablement identifiées et d’équipes entraînées à travailler conjointement ». 46 Cette perspective multilatérale semble jouir d’un certain soutien européen, toutefois ce sont les modalités et surtout les aspects financiers qui détermineront le devenir d’une telle proposition.
A l’échelle régionale, l’UE finance, à travers le programme MEDA, un projet pilote euro-med en
matière de protection civile. Ce projet constitue, selon les experts italiens et égyptiens qui ont en la
charge, la première pierre d’un système euro-méditerranéen de protection civile. Il prévoit diverses activités : formation, échanges d’experts, mise en réseau des écoles de protection civile...47 Dans le
contexte pos-tsunami, on a aussi examiné, dans le cadre du processus de Barcelone, la mise en place
d’un système d’alerte précoce contre les raz-de-marée en Méditerranée. Il faut rappeler que la Méditerranée occupait déjà une place importante dans les préoccupations européennes en matière de protection civile. En effet, l’accord « Eur-opa Risque majeurs » de 1987 visait à favoriser la coopération
dans le domaine de la prévention et la lutte contre les risques naturels et technologiques majeurs, entre
les pays d’Europe occidentale, centrale et orientale et ceux du Sud de la Méditerranée. C’est sous
l’impulsion des Européens que le Conseil de l’Europe (regroupant aujourd’hui 45 pays dont la Russie)
avait adopté une politique de prévention des risques à travers cet accord. 48
Conclusion
Constant la lenteur de l’Europe à agir et le manque coordination entre les intervenants européens, les
Européens entendent tirer les leçons des récentes catastrophes. Pour les plus enthousiastes, ces catastrophes signalent l’urgence de la mise sur pied d’une force européenne de protection civile, d’où la
multiplication des appels en faveur d’une mutualisation des moyens européens. Tandis que pour les réticents, la création d’un corps civil européen est difficile à mettre en ouvre et engendrerai des coûts
supplémentaires. Le débat est donc appelé à s’intensifier à l’avenir et devrait voir s’opposer les Etats
partisans d’une mutualisation des moyens nationaux et d’une action européenne commune en la matière (pays de l’Europe du Sud, Belgique…) et ceux (Grande-Bretagne…) qui semblent vouloir se
contenter d’une coopération circonstancielle, aux rythmes des crises.
En dernière analyse, l’initiative française s’est imposée dans le débat communautaire et constitue de
fait la base des réflexions en cours. D’ailleurs, si l’on regarde de très près les propositions de la Commission et du Conseil de l’UE, notamment celles relatives à l’approche modulaire en vue de créer une
force européenne de réaction rapide, on constate qu’elles ne divergent guère de la proposition française. Les légères divergences avec la France, y compris sur le plan sémantique (force européenne de
protection civile/force européenne de réaction rapide), sont à apprécier dans le contexte tendu de
l’adoption avortée de la constitution européenne et des enjeux financiers au niveau européen.
Notes
1
« Perfectionner le mécanisme communautaire de protection civile », Communication de la Commission, COM(2005) 137
final, Bruxelles, 20/04/05, pp. 4-5.
2
Ce mécanisme peut ainsi s’intégrer aux missions de Petersberg. Adoptées par l’UEO (1992) à Petersberg (Allemagne), ces
missions (humanitaires ou d’évacuation de ressortissants européens, maintien de la paix, gestion de crises…) sont menées
sous le commandement de l’UEO, par des unités des Etats membres de cette organisation. Intégrées au traité d’Amsterdam
(1997), elles relèvent désormais de la compétence de l’UE.
3
Le point sur la protection civile : gestion des catastrophes – coordination de la protection civile dans l’Union européenne,
Commission européenne, Direction générale de l’Environnement, Luxembourg, Office des publications officielles des
Communautés européennes, 2002, p. 14.
12
4
Ces chiffres nous ont été communiqués par l’Unité Protection Civile/Direction générale de l’environnement, Commission
européenne.
5
L’accord de Bonn, qui porte sur « la coopération en matière de lutte contre la pollution de la mer du Nord par les hydrocarbures et autres substances dangereuses », est signé en 1983 par l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède, le Royaume-Uni et la Communauté économique européenne.
6
« Résolutions du Conseil en matière de protection civile – évolutions depuis leur adoption », Document de travail des services de la Commission, SEC(2000) 136, Commission européenne, Bruxelles, 24/01/2000, pp. 1-15.
7
Le point sur la protection civile, op.cit., p. 6.
8
C’est pour informer et aider le public que l’Europe avait mis en place le « 112 » : un numéro d’appel d’urgence européen
unique. Les citoyens dans tous les États membres peuvent en situation de détresse composer ce numéro et obtenir les services d’urgence.
9
http://europa.eu.int/comm/environment/civil/index.htm (site de l’Unité protection civile/Direction générale de
l’environnement) ; Décision du Conseil de l’UE (9 décembre 1999) « instituant un programme d’action communautaire en
faveur de la protection civile », 1999/847/CE, Journal officiel des Communautés européennes, 21/12/1999, L 327/53.
10
Evaluation, prévention et atténuation des risques : réduction des risques associés à des catastrophes naturelles ou industrielles ; atténuation de l’impact des catastrophes ; élaboration de lignes directrices claires relatives à la prévention… Information du public : faire en sorte que les citoyens de l’UE disposent suffisamment lorsqu’ils sont en situations
d’urgences ou de catastrophes et ce pour les protéger efficacement. Etat de préparation et capacité d’intervention : projets
de médecine de catastrophe ; amélioration des conditions de formation des professionnels de la protection civile… Analyse
postérieure de la catastrophe : constituer un savoir sur les catastrophes passées pour pouvoir réagir efficacement à
l’avenir… Actions horizontales : projets d’études s’adressant aux professionnels de la protection civile : étude sur
l’utilisation des nouvelles technologies de l’information dans les situations de secours d’urgence aux sinistrés, le rôle des
ONG... Le point sur la protection civile, op.cit., pp. 9-11.
11
« Proposition du règlement du Conseil instituant un instrument de préparation et de réaction rapide aux urgences majeures », (présentée par la Commission), COM(2005), 113 final (2005/0052), Bruxelles, 06/04/05, pp. 3-19. L’aide financière
aux activités de protection civile (y compris contre des attaques terroristes) menées hors de l’UE, sera assurée par
« l’instrument de stabilité ».
12
Jusqu’à la fin octobre 2003, ce fonds a soutenu huit interventions dans sept pays européens, pour un total d’environ 833
millions d’euros. Les quatre premières interventions on eu lieu suite aux inondations (2002) en Allemagne, Autriche, République tchèque et France. Les quatre dernières avaient été enclenchées pour faire face au naufrage du « Prestige », aux
tremblements de terre en Italie ainsi qu’à l’éruption de l’Etna (Sicile), et aux incendies de forêts au Portugal.
13
Décision du Conseil de l’UE, du 23 octobre 2001, « instituant un mécanisme communautaire visant à favoriser une coopération renforcée dans le cadre des interventions de secours relevant de la protection civile », (2001/792/CE, Euratom),
Journal officiel des Communautés européennes, 15/11/01, L 297/7.
14
Il regroupe actuellement les 25 Etats de l’Union, la Bulgarie, l’Islande, Liechtenstein, la Norvège et la Roumanie.
15
Perfectionner le mécanisme communautaire de protection civile, op.cit., pp. 5-7 ; « Renforcement des capacités de l’Union
européenne en matière de protection civile », Communication de la Commission, COM(2004) 200 final, Bruxelles,
25/03/04, pp. 5-6.
16
Inondations en Europe centrale et orientale (2002), marée noire du Prestige en Espagne et en France (2002), incendies de
forêt au Portugal et en France (2003, 2004 et 2005), inondations en France (2003), tremblements de terre en Algérie, en
Iran (2003) et au Maroc (2004), tsunami dans l’océan Indien (2004), inondations en Roumanie et en Bulgarie (2005)…
17
La Commission entend par urgence majeure « toute situation qui a ou peut avoir des effets néfastes sur les personnes, les
biens ou l’environnement, et peut donner lieu à une demande d’assistance », par réaction rapide « toute action entreprise
pendant ou après une urgence majeure pour affronter ses conséquences immédiates; et par préparation « toute action entreprise à l’avance pour assurer une réaction rapide efficace ». Instrument de préparation et de réaction rapide aux urgences
majeures, op.cit., p. 13.
18
Financièrement, le total de l’aide européenne (Commission plus 25 Etats membres) s’élève à 1,5 milliard d’euros.
19
http://europa.eu.int/comm/environment/civil/index.htm
20
Renforcement des capacités de l’Union européenne en matière de protection civile, op.cit., pp. 9-10.
21
Perfectionner le mécanisme communautaire de protection civile, op.cit., p. 6.
22
Ibid., pp. 7-8. Les exercices de simulations de catastrophe permettent d’évaluer l’action opérationnelle de la chaîne de
commandement des secours et de tester, en grandeur nature, l’interopérabilité des équipes et des équipements européens.
La Commission finance des exercices européens de ce type comme ceux de lutte contre le feu ayant lieu en France (avril
2004) et de simulation d’un accident technologique (avril 2005) toujours en France, et ce dans le cadre de exercice Euratech. Elle a également financé des exercices de simulation (Pologne, juin 2005) portant sur des opérations de recherche et
de secours suite à une catastrophe naturelle majeure. Piloté par le CSI, l’ensemble de ces exercices est destiné à améliorer
la préparation et la capacité de réponse des services de protection civile en Europe.
23
Perfectionner le mécanisme communautaire de protection civile, ibid., pp. 8-9.
24
Ibid., pp. 9-11.
25
Renforcement des capacités de l’Union européenne en matière de protection civile, op.cit., p. 10.
26
Perfectionner le mécanisme communautaire de protection civile, ibid., pp. 8-9.pp. 11-12.
27
Europe Information, n°2855, 27 mars 2004.
28
Le Conseil européen de Laeken (décembre 2001) avait envisagé la création d’une « agence européenne de protection civile ».
29
Rapport d’information du Sénat français sur « l’aide humanitaire en Indonésie », n° 202, février 2005, pp. 39-40
(http://www.senat.fr/rap/r04-202/r04-2021.pdf).
13
30
Déclarations de Barnier à l’issue de la Session extraordinaire du Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, 07/01/05
(http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp?liste=20050110.html (site du ministère français des Affaires étrangères).
31
L’Express, 17/01/05.
32
http://www.diplomatie.be/fr/press/homedetails.asp?TEXTID=44277 (site du ministère belge des Affaires étrangères).
33
Michel Barnier, « Tsunami, Katrina : une ‘force de protection civile européenne’ devient indispensable », Libération,
17/10/05.
34
http://www.diplomatie.be/fr/press/homedetails.asp?TEXTID=44277
35
La B-Fast (Belgian First Aid & Support Team), une structure d’intervention mobilisée en permanence, a été créée en 2000
en vue d’une meilleure préparation et une meilleure rapidité et efficacité des opérations de secours. C’est une structure interministérielle (Services du Premier ministre, des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au Développement, de la Santé publique & de l’Environnement, du Budget et de la Défense nationale) placée sous l’autorité du
ministre des Affaires étrangères. Cette force, qui n’intervient pas sur le terrain d’un conflit armé, ne peut être mobilisée
que suite à une demande d’aide du pays sinistré.
36
Perfectionner le mécanisme communautaire de protection civile, op.cit., p. 3.
37
Rapport du Parlement européen « sur le renforcement de la sécurité maritime à la suite du naufrage du Prestige »,
(2003/2066 (INI)), final A5-0278/2003, 15/07/03, pp. 11, 20 ; Résolution du Parlement européen sur « les conséquences de
cet été caniculaire (2003), 04/09/03, document : P5_TA(2003)0373, p. 2.
38
Conclusions du Conseil de l’UE « sur le renforcement de la coopération communautaire dans le cadre des interventions de
secours relevant de la protection civile », 27/11/2003, Journal officiel de l’Union européenne, 30/12/03, C 317/1.
39
Résolution du Parlement européen sur « la récente catastrophe provoquée par le tsunami dans l’océan Indien », 13/01/05,
P6_TA(2005)0006, p. 6.
40
Conclusions du CAGRE, p. 6 (http://www.eu2005.lu/fr/actualites/conseil/2005/01/07cagre-coop/concl.pdf).
41
Conclusions du CAGRE sur l’« amélioration des capacités européennes de protection civile » de l’UE (diplomatie.gouv.fr/fr/europe_828/union-europeenne-monde_849/defense-europeenne_852/conclusions-du-cagre18.07.05_18281.html).
42
Conclusions du Conseil européen, p. 6 (http://www.eu2005.lu/fr/actualites/conseil/2005/06/17conseur-concl/conseil.pdf).
43
Renforcement des capacités de l’Union européenne en matière de protection civile, op.cit., p. 17.
44
Ibid., p. 13.
45
Perfectionner le mécanisme communautaire de protection civile, op.cit., pp. 12-13.
46
Cf cette « Lettre » datée du 05/01/05 sur : diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp?liste=20050110.html
47
Le point sur la protection civile, op.cit., p. 16
48
Cet accord compte aujourd’hui 25 pays participants dont trois arabes : Algérie, Liban et Maroc.
14