Protection de la propriété
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Protection de la propriété
L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 52-57 www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr Protection de la propriété CourEDH, Dacia SRL c. Moldova, 18 mars 2008 Mots clés : Annulation de la privatisation d’un hôtel, Irrégularités formelles, Obligation de cohérence L’affaire concerne l’annulation de la privatisation d’un hôtel plusieurs années après son acquisition aux enchères par la société requérante. Celle-ci a investi dans la rénovation de l’hôtel et a acheté à la municipalité le terrain sur lequel l’immeuble était construit. Quatre ans plus tard, le Procureur a demandé et obtenu l’annulation des contrats de vente dans l’intérêt de l’État, en se fondant notamment sur le non respect des procédures. Le bien a donc été rendu à l’État et le prix initialement versé pour l’hôtel a été restitué à la société qui s’en est servi pour rembourser le prêt qu’elle avait contracté pour l’achat du bien. La requérante estime avoir été privée de son bien sans raison valable et sans compensation adéquate. La Cour analyse les trois raisons présentées par les juridictions pour prononcer l’illégalité de la privatisation. Tout d’abord, le prix versé était inférieur à la valeur réelle du bien. La Cour rejette l’argument en soulignant que le prix versé par la requérante était supérieur au prix de réserve, décidé par les autorités, et qu’aucun acte criminel à la charge de la société n’avait pu être établi dans le processus de vente. Ensuite, les juridictions internes ont mis en avant le fait que la Chancellerie, administrateur de l’hôtel, n’avait pas donné son accord formel à la vente. La Cour rejette l’argument car la Chancellerie, en tant qu’organe du gouvernement qui a mis publiquement en vente le bien, était nécessairement au courant du transfert de propriété et ne s’est pas plainte avant 2003 de cette situation. Finalement les juridictions ont souligné que la commission de mise aux enchères avait illégalement étendu le délai prévu pour le versement du prix. En effet, ayant quelques difficultés à réunir les fonds, la société avait demandé aux autorités un délai afin de s’acquitter du prix. Si cette décision est bien en dehors des compétences de la commission, aucune juridiction n’a pourtant trouvé bon de l’annuler. De plus, la Cour estime que cette irrégularité formelle doit être comparée à la gravité de la privation de propriété subie. Elle estime qu’aucun effet négatif n’a découlé de l’extension du délai de paiement et que toutes les garanties avaient été prises pendant cette période pour préserver les intérêts de l’État. La Cour relève enfin que les autorités ne se sont pas conformées à leur obligation de réagir rapidement et de manière cohérente puisque, tout en maîtrisant le processus de vente et ses conditions, elles ont pu faire procéder quatre ans plus tard à son annulation et bénéficier des investissements réalisés par la requérante. Prenant en compte le fait que les irrégularités qui ont affecté la vente étaient uniquement formelles et ne résultaient pas des actes de la société, la Cour estime que le juste équilibre a été rompu et que l’article 1 du Protocole 1 a été violé. CourEDH, Megadat.com Moldova, 8 avril 2008 SRL c. Révocation de licence de télécommunications, Sanction disproportionnée, Garanties procédurales, Obligation de cohérence La société requérante était à l’époque des faits le plus grand fournisseur d’accès internet du pays. La requérante se plaint de l’annulation de ses licences en raison de la communication tardive de sa nouvelle adresse à l’agence nationale de régulation Peggy Ducoulombier L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 52-57 des télécommunications et de l’informatique. Il faut noter que d’autres organes étatiques étaient informés de ce changement d’adresse et que, lors de la demande de régularisation faite par l’autorité, la société a transmis les informations requises. De plus, d’autres entreprises dans la même situation ont simplement vu leur licence suspendue pendant trois mois. L’entreprise a dû cesser son activité, ce qui a permis à la société publique de télécommunication de récupérer ses clients. Elle a également été condamnée à payer une amende pour avoir opéré pendant onze mois avec une licence non valide. La Cour estime être face à une mesure de réglementation de l’usage des biens car la société est restée propriétaire de ses capitaux et biens immeubles. Malgré les doutes sur la légalité et la légitimité de l’ingérence, la Cour préfère se concentrer sur sa proportionnalité, ces questions étant, il est vrai, étroitement liées. La Cour souligne la gravité des conséquences de l’ingérence. Celle-ci, en plus d’avoir entraîné la cessation de l’activité de la requérante, a eu des effets rétroactifs qui ont amené à des sanctions émanant d’autres autorités. Or, l’existence de conséquences négatives découlant du non respect par la société de simples conditions procédurales est uniquement théorique. Le gouvernement n’a pas été en mesure de présenter des effets négatifs concrets résultant du délai dans la communication de l’adresse. La compagnie, qui avait gardé son ancienne adresse, n’est pas soupçonnée d’évasion fiscale ou d’un autre délit. Ses clients n’ont apparemment eu aucun problème à la joindre. La Cour relève le comportement peu cohérent de l’autorité de régulation. Elle a laissé la société poursuivre son activité alors qu’elle avait connaissance du défaut de communication de la nouvelle adresse. De plus, la demande de l’autorité de régulariser la situation dans un délai de dix jours pouvait laisser penser à la société www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr qu’elle n’aurait plus de difficultés lorsque ce détail serait réglé. Enfin, la Cour relève l’absence de garanties procédurales entourant la décision de révocation des licences devant l’autorité comme devant les juridictions. Le caractère arbitraire des procédures, le traitement discriminatoire imposé à la société et le caractère disproportionné de la sanction amène la Cour à conclure à l’absence d’une politique cohérente de la part des autorités dans la manière de gérer la révocation des licences. L’article 1 du Protocole 1 a donc été violé. CourEDH, Balan c. Moldova, 29 janvier 2008 Propriété intellectuelle, Alternatives à la réalisation du but légitime Le requérant se plaint de l’utilisation par le ministère de l’Intérieur d’une photographie dont il est l’auteur comme fond des cartes nationales d’identité. Par décision de justice, le requérant a perçu un dédommagement pour l’utilisation de son travail mais uniquement pour la période antérieure à 1999. Comme il n’avait pas exigé que sa photo ne soit plus utilisée, la Cour suprême a estimé qu’il n’avait pas subi d’ingérence dans son droit de propriété pour les usages postérieurs à la décision de justice reconnaissant la violation de ses droits. Après avoir rappelé que l’article 1 du Protocole 1 protège la propriété intellectuelle, la Cour souligne que le requérant avait un droit clairement établi au niveau national et pas une simple espérance légitime de se voir reconnaître des droits de propriété. Réfutant l’argument de la Cour suprême, la Cour européenne estime que le requérant a subi une ingérence dans son droit du fait de l’utilisation continue et illégale de son travail. La législation ne prévoit, en effet, aucune condition particulière à la reconnaissance de l’illégalité d’un usage non autorisé de travaux artistiques. De Peggy Ducoulombier L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 52-57 plus, le requérant s’est opposé de manière constante à l’usage de cette photo en demandant au ministère de signer un contrat avec lui et en introduisant des actions contentieuses. Malgré d’importants doutes sur la légalité de l’ingérence (notamment quant à la prévisibilité de la base légale), la Cour se concentre sur sa légitimité et sa proportionnalité. Tout d’abord elle émet des réserves sur la légitimité du but poursuivi. Si elle reconnaît que l’émission de cartes nationales d’identité poursuit un intérêt public important, elle souligne immédiatement que ce but aurait pu être atteint de différentes manières et surtout sans porter atteinte au droit du requérant. Le ministère aurait pu utiliser une autre photo ou passer un contrat avec le requérant. Il n’y avait aucune raison impérieuse à l’utilisation de cette photo comme son remplacement après le 1er mai 2000 le démontre. D’une manière suffisamment rare pour être signalée, la Cour se fonde sur la partie « nécessité » du test de proportionnalité (l’existence d’alternatives moins intrusives dans le droit garanti) pour estimer que l’article 1 du Protocole 1 a été violé. CourEDH, Nacaryan et Turquie, 8 janvier 2008 Clause de réciprocité, Espérance légitime Deryan c. Héritage, Dans cette affaire, la Cour, par cinq voix contre deux, constate la violation de l’article 1 du Protocole 1. L’arrêt se situe dans la lignée de l’arrêt Apostolidi c. Turquie du 23 mars 2007 (voir cette Revue, n° 23, p. 51-52). Les juridictions turques ont refusé de reconnaître les requérants, de nationalité grecque, comme héritiers de biens immeubles. Ce refus se fonde sur l’appréciation de la clause de réciprocité entre la Turquie et la Grèce dans l’acquisition de biens immeubles par des étrangers. www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr En l’absence de bien actuel, la Cour doit déterminer si les requérants disposaient d’une espérance légitime. Elle estime que les juridictions internes ont commis une erreur en décidant que la clause de réciprocité n’était pas satisfaite. Par conséquent, les requérants dont les liens de filiation avec le défunt étaient établis avec certitude pouvaient légitimement croire qu’ils avaient répondu à toutes les exigences pour être reconnus héritiers. Ainsi, l’article 1 du Protocole 1 est applicable. Une fois cette question réglée, la Cour suit le même raisonnement que celui de l’arrêt Apostolidi. Elle estime que l’application de l’article 35 du code foncier n’était pas prévisible. Dans la mesure où la condition de réciprocité était effectivement remplie, aucun obstacle ne subsistait à la reconnaissance de la qualité d’héritier des requérants. Les juges dissidents critiquent la position de la Cour par rapport à la notion d’espérance légitime. Ils rappellent que la jurisprudence conventionnelle impose que la créance soit suffisamment établie en droit interne pour donner lieu à une espérance légitime (Kopecký c. Slovaquie, Gde Ch., 28 septembre 2004, voir cette Revue, n° 15, p. 44-45). Or, contrairement à l’arrêt Apostolidi, les requérants n’avaient pas obtenu de certificat d’héritier et aucune juridiction n’avait reconnu leur qualité d’héritier sur les biens immeubles. Pour le juge Garlicki, la seule manière d’éviter l’incohérence avec la jurisprudence Kopecký serait de reconnaître la spécificité du droit des successions dans lequel les limites entre simple espoir et espérance légitime seraient différentes. CourEDH, Glaser c. République tchèque, 14 février 2008 Restitution d’objets d’art, Charge de la preuve, Espérance légitime Dans cette affaire, la Cour confirme la sévérité de la jurisprudence Kopecký sur la Peggy Ducoulombier L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 52-57 notion d’espérance légitime. En 1948, lors de son émigration, le requérant avait confié au musée juif de Prague sa collection d’objets arabes. Les objets devaient être conservés par le musée tout en restant sa propriété. Une liste avait été fournie pour faciliter l’identification et la restitution des biens. En 1975, la collection a été en partie cédée à un autre musée. En 1989, le requérant a entrepris des démarches pour recouvrir la possession de ses biens. Son action en revendication a été rejetée au motif que les listes établies n’étaient pas suffisamment fiables pour prouver la propriété des biens et que les objets avaient été frappés de prescription acquisitive au profit du musée. Ses demandes d’inspection afin de procéder à l’identification des objets ont été refusées. La Cour estime que l’article 1 du Protocole 1 n’est pas applicable. L’État n’a pas directement privé le requérant de ses biens, le litige ayant pris naissance entre personnes privées. La demande du requérant ne portait pas sur des biens actuels et celui-ci n’a pas réussi à obtenir la reconnaissance par les juridictions de son titre de propriété. Par conséquent, sa créance n’avait pas de base solide en droit interne et il ne peut être considéré comme ayant une espérance légitime. La Cour insiste sur le fait qu’elle n’a pas à substituer son interprétation du droit à celle des juridictions internes en l’absence d’arbitraire ou d’irrationalité manifeste. Le juge Maruste émet une opinion dissidente pertinente en rappelant que le requérant n’a jamais souhaité perdre la propriété de ses biens, qu’il a fourni une liste d’objets au musée à charge pour celui-ci d’en assurer la conservation. Il apparaît pour le moins surprenant que la charge de la preuve pèse sur le requérant et non sur le musée. Le juge dissident distingue l’affaire de l’arrêt Kopecký qui portait sur des pièces de monnaie, difficilement individualisables, contrairement aux objets de la collection du requérant. www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr CourEDH, Keçecioğlu Turquie, 8 avril 2008 et autres c. Expropriation, Non affectation des biens au but d’utilité publique, Refus de restitution Les requérantes ont demandé la restitution de leurs biens expropriés il y a vingt et un ans pour réaliser un projet d’utilité publique. Finalement les biens des requérants n’ont pas été intégrés dans ce projet. Le plan d’urbanisme a été annulé et les biens classés monuments historiques, rendant l’affectation initiale impossible. Les juridictions internes se sont opposées sur l’application de l’article 23 de la loi sur l’expropriation qui précisait que si les terrains expropriés n’étaient pas exploités conformément aux objectifs de l’expropriation dans les cinq ans suivant la date à laquelle l’indemnité est devenue définitive, les propriétaires pouvaient en demander la restitution. La Cour de cassation a estimé que le projet d’utilité publique devait être appréhendé de manière globale et a conclu que les travaux prévus avaient été réalisés dans la majorité de la zone concernée alors que le tribunal de première instance a insisté sur la non utilisation des biens des requérantes. Finalement le tribunal de première instance s’est incliné face à la Cour de cassation. De manière très prévisible au regard de sa jurisprudence (voir notamment l’arrêt Beneficio Cappella Paolini c. Saint-Marin du 13 juillet 2004, cette Revue, n° 15, p. 42), la Cour estime que l’absence de restitution des biens, pourtant prévue par le droit interne, n’est pas justifiée. L’annulation du plan d’urbanisme et le classement en monument historique ont « rendu caduc le fondement de l’expropriation ». La municipalité, devenue copropriétaire de l’immeuble dans lequel les requérantes sont désormais locataires, fait une exploitation des biens contraire aux raisons qui justifient une expropriation. De plus, trois autres propriétaires dans la même situation ont Peggy Ducoulombier L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 52-57 obtenu la restitution de leurs biens. La Cour estime que l’expropriation ne repose plus sur une cause d’utilité publique et prive les requérants d’une plus-value sur leurs biens ce qui a pour effet de rompre le juste équilibre entre les intérêts. CourEDH, Karaman c. Turquie, 15 janvier 2008 Cession volontaire, Non affectation au but d’utilité publique, Refus de restitution, Interprétation du droit national Cette affaire est proche de l’affaire Keçecioğlu précitée. Les requérants avaient cédé leurs biens aux autorités municipales dans le but de réaliser des ouvrages d’intérêt public. Or, certaines parties des biens cédés n’ont pas été affectées à l’usage prévu : l’une a été vendue à un tiers et l’autre a été inscrite au registre foncier par la mairie. Les requérants ont réclamé une indemnité pour le bien vendu et la restitution du lot inscrit au registre. La Cour de cassation a infirmé le jugement de première instance qui avait donné satisfaction aux requérants en se fondant sur les dispositions du code des obligations concernant la donation conditionnelle. La Cour de cassation a estimé que les biens cédés volontairement relevaient de la loi sur l’expropriation, laquelle postulait que les anciens propriétaires ne pouvaient pas revendiquer un droit de propriété ou une compensation pour les biens qui avaient été cédés à l’usage de l’intérêt public avec leur consentement. La Cour va s’ingérer dans l’interprétation du droit national en appliquant sa jurisprudence Beneficio Cappella Paolini c. Saint-Marin précitée, dans laquelle elle avait estimé que l’absence de restitution d’un bien exproprié puis non affecté à l’usage public prévu posait problème par rapport à l’article 1 du Protocole 1. Bien que l’affaire concerne une cession volontaire et non une expropriation, la Cour estime que les principes applicables www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr sont similaires. Les requérants qui avaient cédé leurs biens dans un but précis pouvaient espérer leur restitution dès lors qu’ils n’étaient pas en réalité affectés à ce but. La Cour estime que l’autorité, qui n’a pas invoqué d’autre but d’utilité publique pouvant justifier le refus de restitution, ne pouvait tirer bénéfice du statut créé par l’article 35 de la loi sur l’expropriation. Elle estime, par six voix contre une, que l’interprétation de la Cour de cassation a rompu le juste équilibre entre les différents intérêts. CourEDH, Kemp et Luxembourg, 24 avril 2008 autres c. Cession volontaire, Refus de restitution, Absence d’espérance légitime Dans cette affaire, la Cour se trouve face à un cas similaire à celui de l’affaire Karaman. En 1970, les parents des requérants ont cédé leur terrain à l’État pensant qu’une expropriation était inévitable. Selon les informations fournies par les autorités, le bien devait être inclus dans le tracé d’une autoroute. Toutefois, celle-ci n’a pas été réalisée conformément au tracé initial. En 1992, les requérants ont demandé la rétrocession des terrains non utilisés, ce qui a été refusé. Ce refus se basait sur le fait que la cession était amiable et que la loi sur l’expropriation, prévoyant une restitution, ne s’appliquait pas en l’espèce. Après un parcours judiciaire chaotique au cours duquel les juridictions administrative et civile de première instance ont donné raison aux requérants avant d’être déjugées en appel, leur pourvoir en cassation fut rejeté (pour des raisons qui seront déclarées contraires à l’article 6 par la Cour européenne). Au titre de l’article 1 du Protocole 1, la Cour estime que les requérants ne disposaient pas d’une espérance légitime d’obtenir la restitution du bien. La Cour relève que les décisions de justice contradictoires, aboutissant au rejet de la demande des requérants, démontrent que Peggy Ducoulombier L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 52-57 leur créance n’était pas suffisamment établie en droit interne. Dans ces conditions, ils ne disposaient pas d’un bien au sens de la Convention. L’article 1 du Protocole 1 n’est pas applicable. La comparaison avec l’arrêt Karaman précité laisse perplexe. Certes il est possible de trouver des éléments factuels justifiant les constats divergents. Le tracé n’était encore qu’un projet et la procédure d’expropriation n’avait pas débuté. Le règlement Grand Ducal prévu par la loi pour approuver le tracé définitif et la liste des expropriations n’avait pas été pris et les actes de vente ne mentionnaient pas le but d’utilité publique. Pourtant, les divers écrits échangés entre les autorités ministérielles, communales et les propriétaires confirment qu’il était prévu que le terrain soit touché par le tracé de l’autoroute. Le terrain était devenu non aedificandi et les demandes de construction des propriétaires furent refusées. Ils pouvaient légitimement croire que leurs terrains allaient être expropriés. La philosophie soutenant l’arrêt Beneficio Cappella Paolini c. Saint-Marin cité dans l’affaire Karaman pouvait également s’appliquer en l’espèce. La Cour ne pouvait-elle s’ingérer dans l’interprétation du droit national comme elle l’a fait dans l’arrêt Karaman ou, dans un autre domaine, dans l’arrêt Nacaryan et Deryan c. Turquie ? La solution de l’arrêt Kemp n’est pas en elle-même critiquable si on se réfère à la jurisprudence traditionnelle de la Cour mais l’impression qui résulte de cette succession d’affaires est celle du flou entourant la notion d’espérance légitime et les raisons qui font que la Cour s’ingère ou non dans l’interprétation du droit national. En bref Catastrophe positives naturelle, Obligations Dans l’arrêt Budayeva et autres c. Russie du 20 mars 2008, les requérants ont perdu des membres de leurs familles ainsi qu’une www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr partie de leurs biens dans des inondations et coulées de boues en raison de la négligence des autorités. En ce qui concerne l’article 1 du Protocole 1, la Cour se situe dans le prolongement de l’arrêt Öneryıldız c. Turquie du 30 novembre 2004 (voir cette Revue, n° 16, p. 18) ; les requérants étaient cependant les propriétaires légaux des biens détruits. La Cour rappelle les obligations positives qui pèsent sur l’État en matière de protection de la propriété. Toutefois, elle distingue les obligations de protection dans le cadre de la réglementation des activités humaines dangereuses de celles qui pèsent sur l’État dans le cadre de la prévention des catastrophes naturelles. Cette différenciation lui permet également de séparer les obligations positives imposées au titre de l’article 2 de celles découlant de l’article 1 du Protocole 1. Ainsi, elle estime que les négligences de l’État sont, au pire, une circonstance aggravante des dommages causés par des forces naturelles et qu’il n’est pas certain qu’ils auraient pu être évités si l’État avait rempli ses obligations. L’entièreté du dommage ne peut être attribué de manière non équivoque aux négligences des autorités. De plus, elle souligne que les requérants ont été dédommagés et qu’il n’est pas nécessaire au regard des exigences conventionnelles que ce dédommagement couvre la valeur réelle des biens perdus. La Cour constate la non violation de l’article 1 du Protocole 1. Non exécution des décisions de justice, Compétence ratione materiae L’intérêt de l’affaire Wasserman c. Russie (n° 2) du 10 avril 2008 réside principalement dans l’examen de la compétence ratione materiae de la Cour. Le requérant, qui avait obtenu la condamnation de l’État devant la Cour sur le fondement des articles 6 et 1 du Protocole 1, se plaint de la non exécution continue de la même décision de justice. La Cour rappelle que si elle n’a pas Peggy Ducoulombier L’Europe des Libertés, Revue d’actualité juridique, N°26, pp. 52-57 compétence pour examiner les mesures prises par l’État dans le cadre de l’exécution de l’arrêt au principal, tâche qui relève du Comité des ministres, cela ne veut pas dire que celles-ci tombent en dehors de sa juridiction. Rien ne l’empêche de connaître d’une requête concernant une nouvelle question non décidée par le premier arrêt. En l’espèce le requérant se plaint de la période de deux ans suivant l’arrêt de la Cour pendant laquelle la décision de justice qui lui était favorable www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr n’a pas été exécutée et soulève un nouveau grief concernant l’article 13 (voir cette chronique, p. 49). La Cour estime donc qu’elle a compétence pour connaître de l’affaire. Une fois cette question réglée, le constat de violation des articles 6 et 1 du Protocole 1 est évident. Les autorités ont privé le requérant de la somme qui lui était due pendant deux ans, sans justification raisonnable. Peggy Ducoulombier Peggy Ducoulombier