Accessoires et objets, témoignages de vies de femmes à Paris 1940

Transcription

Accessoires et objets, témoignages de vies de femmes à Paris 1940
Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque
et de la Libération de Paris – Musée Jean Moulin
Dossier de presse
13/05/2009
20 mai – 15 novembre 2009
Accessoires
et objets, témoignages
de vies de femmes
à Paris
1940-1944
Informations pratiques
Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque
et de la Libération de Paris – Musée Jean Moulin
Jardin Atlantique (au-dessus de la gare Montparnasse)
23, allée de la 2e DB – Paris 15e
Tél : 01 40 64 39 44
www.ml-leclerc-moulin.paris.fr
Accès
Métro : Montparnasse-Bienvenüe
Horaires d’ouverture
de 10h à 18h,
tous les jours, sauf le lundi et les jours fériés
Prix d’entrée
plein tarif : 4 euros
tarif réduit : 3 euros
demi-tarif : 2 euros
gratuit pour les moins de 14 ans
Contacts presse
Sommaire
Mémorial : Ingrid Archer
Tél. : 01 40 64 39 42
[email protected]
Communiqué de presse p. 3
Galliera : Anne de Nesle
Tél. : 01 56 52 86 08
[email protected]
Parcours de l’exposition p. 5
Commissariat et scénographie p. 4
Direction des Affaires culturelles :
Cécile Becker
Tél. : 01 42 76 84 24
[email protected]
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Communiqué de presse
Depuis 1995, le Mémorial présente des expositions sur la résistance, la déportation, la Libération
de Paris, les résistances allemandes au nazisme avec l’aide des historiens du Conseil scientifique du Mémorial.
Pour la première fois, en association avec Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, le Mémorial organise
une exposition consacrée aux accessoires de mode sous l’Occupation à partir d’un ensemble de 300 objets issus
des collections de Galliera, enrichi de prêts publics et privés. Chapeaux, sacs, chaussures… : objets témoins du
Paris des « Années noires » qui allient débrouillardise et coquetterie, ces accessoires de mode sont mis en regard
avec des photographies, journaux de mode, affiches, partitions de chansons et actualités cinématographiques.
Accessoires et documents sont superposés, juxtaposés, selon une scénographie qui donne une large place au
contexte historique de l’Occupation.
De 1940 à 1944, les Parisiennes s’adaptent aux conditions imposées par l’occupant et le gouvernement de Vichy : attendre durant des heures devant les magasins, se protéger du froid, se déplacer dans Paris.
Malgré tout, la vie reprend ses droits : les cinémas et les théâtres, seuls lieux chauffés, n’ont jamais été autant
fréquentés.
Face aux restrictions, les Parisiennes redoublent d’ingéniosité dans l’art de la récupération, de la
substitution et des astuces, tout comme les créateurs, les artisans et les fabricants qui multiplient les inventions
et adaptent leur production à la pénurie (semelle de bois articulée ou compensée, besace en bandoulière…).
L’utilisation d’ersatz (rayonne, fibranne…), de matériaux inhabituels (papier journal, bois…) ou usagés (pneu,
chutes de tissu et de cuir…) s’impose.
L’accessoire joue un rôle significatif par sa fonction et son usage. Outil de la propagande de Vichy
(le portrait de Pétain imprimé sur un foulard), il est aussi utilisé par les Résistantes dans leurs actions (sac à
double fond et à double paroi pour dissimuler les tracts). Il accompagne le quotidien des Parisiennes, des moments
tragiques à l’explosion de joie de la Libération.
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Commissariat
Fabienne Falluel
Conservatrice en chef au musée Galliera
Marie-Laure Gutton
Chargée d’études documentaires au musée Galliera
Christine Levisse-Touzé
Directrice du Mémorial-Musée
avec l’aide de Joëlle Boyer, responsable du service éducatif
et de Dominique Veillon, directeur de recherche honoraire du CNRS,
membre du conseil scientifique du Mémorial-Musée
Scénographie
« Accessoires et objets, témoignages de vies de femmes à Paris 1940-1944 »
du point de vue de la scénographie :
Les accessoires de mode et tout ce qu’ils racontent, de dignité, de fierté, de frivolité, de séduction,
de débrouille, d’invention, de misère, de compromission, de soumission, de résistance sociale ou politique…
Objets réels, en couleur et en matériaux de toutes sortes, objets fragiles et pour certains riches de la trace de ceux
qui les ont portés.
L’Occupation et ce qu’elle signifie d’inhumanité, d’oppression, de contrainte, de violence, de difficultés à vivre…
racontée par des images d’archives, en noir & blanc, agrandies et qui envahissent tout l’espace d’exposition, murs
et socles des vitrines.
C’est donc dans une confrontation aussi dense que possible avec le contexte historique dans lequel ils étaient
fabriqués et portés, que sont exposés ces accessoires.
Superpositions d’images, juxtaposition d’images et d’objets, mise en situation d’un objet d’histoire par rapport à
un autre objet d’histoire définissent la scénographie.
J.-J. R.
Maitrise d’œuvre
Jean-Jacques Raynaud, architecte et muséographe, avec David Cote, architecte
CL Design, Camille Leroy, graphisme et signalétique
Raymond Belle, éclairage
Didier Ghislain, perspectives
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Parcours de l’exposition
N.B. Le parcours ci-dessous ne recense pas la totalité des œuvres présentées.
Au fur et à mesure des pages suivantes sont repris en colonnes les textes des panonceaux – présents dans
l’exposition – évoquant le contexte historique.
Ce contexte est aussi illustré par des images d’archives en noir et blanc agrandies couvrant toutes les cimaises
de l’exposition. Quelques exemples de ces images d’archives :
Siège de la Kommandantur, place de l’Opéra, août 1944.
(D.R./Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin/coll. Gandner).
Queue devant une boulangerie sous l’Occupation, Paris, août 1944.
(Roger-Viollet)
Deux femmes juives portant l’étoile, Paris.
(D.R./Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin)
Quotidiens présentés sur chevaux de frise (fils barbelés).
(D.R./Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin)
La répression est immédiate même si l’occupant
entretient la fiction du soldat « korrect ».
Il fait la « chasse » aux Juifs et aux résistants.
En 1942, le système policier est renforcé par
l’envoi du général SS Carl Oberg. Paris captif
vit à l’heure allemande, les horloges étant
avancées d’une heure. Le couvre-feu utilisé
comme moyen répressif pour la population
est fixé à 21 heures et les contrôles sont
permanents. Les Parisiens vivent la peur
au quotidien.
PARIS ALLEMAND
Le 14 juin 1940, l’ennemi prend possession
de la capitale. Il la couvre de panneaux
indicateurs allemands et de drapeaux à croix
gammée. Les troupes allemandes défilent
triomphalement sur les Champs Elysées le
18 juin puis Hitler savoure sa victoire lors
d’une visite éclair le 23 juin. Paris n’est plus
qu’une préfecture régionale, son administration
étant placée au service de l’occupant.
C’est l’effacement de la capitale au profit
de Vichy siège du gouvernement du maréchal
Pétain qui délègue à Paris son représentant
avec rang d’ambassadeur dans les territoires
occupés. Dès l’été 1940, les services allemands
investissent les palaces : l’Abwehr au Lutétia,
le Haut commandement militaire en France (MBF)
avec ses 1 100 employés au Majestic et les lieux
chargés de sens républicain : la Luftwaffe
au Palais du Luxembourg, la Kriegsmarine
au ministère de la Marine, un service
de propagande au Palais Bourbon.
Otto Abetz s’installe à l’ambassade rue de Lille.
Les Allemands entendent mettre au pas
la population. Ils contrôlent la presse et
la culture.
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LA COLLABORATION
en profitant de l’arrivée de son chef Joseph
Darnand, au secrétariat général au Maintien
de l’ordre de Vichy.
Quant aux collaborationnistes, partisans
du nazisme pour certains dès l’avant guerre
et jusqu’au boutistes, Francistes de Bucard,
Parti populaire français (PPF) de Doriot,
Rassemblement national populaire (RNP) de
Déat, basés à Paris, ils obtiennent en juillet
1941 la création de la Légion des volontaires
français contre le bolchevisme (LVF).
Ils se battent sous uniforme allemand
sur le front russe. Ultra minoritaires,
les collaborationnistes sont très voyants
et actifs à Paris.
Phénomène aussi individuel, la collaboration
a été le fait de Parisiens et de Parisiennes
cherchant à tirer des avantages de l’occupant.
L’armistice voulu et accepté par le maréchal
Pétain et son gouvernement implique la
collaboration avec l’occupant pour la gestion
du pays. Dès l’entrevue de Montoire avec Hitler
le 24 octobre 1940, Pétain attache la destinée
de la France à celle de l’Allemagne nazie,
ligne politique que confortent Darlan et Laval.
Convaincus de la défaite prochaine
de l’Angleterre, ils veulent assurer une place
à la France dans l’Europe nazie. Dès lors
ils engagent la France dans la collaboration
totale économique, sociale et militaire avec
le IIIe Reich. Laval, après l’échec en 1942
de la Relève – trois travailleurs partant
en Allemagne pour un prisonnier de guerre
libéré –, impose, début 1943, la réquisition
de la main d’œuvre (STO). Vichy est un complice
de plus en plus actif de l’occupant pour la
chasse aux résistants et aux Juifs. La Milice
créée en zone sud à cette fin, étend son
action « policière » début 1944 en zone nord
LES FEMMES SOUS L’OCCUPATION
en augmentant les allocations familiales,
en instituant le salaire unique (mars 1941),
en généralisant la journée des mères.
La loi du 5 février 1942 durcit la loi de 1920
contre l’avortement : Marie-Louise Giraud,
accusée d’en avoir pratiqué, est guillotinée.
La loi du 11 octobre 1940 interdit toute
embauche féminine dans la fonction publique
sauf pour les femmes seules. Cette mesure est
abrogée en 1942 car près de 700 000 épouses
de prisonniers sont contraintes de travailler.
Beaucoup doivent assumer le rôle de chef
de famille.
Les obligations domestiques qui leur échoient
habituellement sont devenues encore plus
pesantes du fait de la guerre et des
restrictions. Ce qui ne les empêche
pas de s’engager dans la Résistance.
À la différence des Anglaises, des Allemandes
et des Américaines, les Françaises n’ont pas
obtenu le droit de vote après la Première
Guerre mondiale. Certes en 1936, Léon Blum
fait entrer Irène Joliot-Curie, Cécile Brunschwig,
Suzanne Lacore comme secrétaires d’État
dans le premier gouvernement de Front
populaire. Mais pour le commun des mortelles
rien ne change réellement même si le statut
des femmes connaît quelques avancées.
En 1938, elles obtiennent le droit d’exercer
un métier sans l’autorisation de leur mari
ou de leur père.
Le régime de Vichy impose un retour en arrière
en les cantonnant à un rôle d’épouse et de
mère que glorifient les nombreuses affiches.
Le gouvernement poursuit les actions incitatives
sur le modèle du code de la Famille de 1938
pour lutter contre la chute démographique,
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Section I : Des phénomènes de mode
Cette première partie propose au public une vision d’ensemble des grandes tendances de l’accessoire sous l’Occupation à travers la production des grandes maisons (griffes) mais également les objets fabriqués
par les Parisiennes elles-mêmes, souvent d’après des modèles vus dans la presse féminine.
Évolution de la silhouette
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la tendance aux formes structurées et géométriques de
la silhouette féminine s’accompagne d’accessoires souvent extravagants et démesurés où les chapeaux tiennent
la vedette.
L’année 1939 demeure fidèle à l’esprit des collections de 1938, au style original et romantique. La nouveauté est
l’arrivée du tailleur qui s’impose dès le début des hostilités. Les petits bibis haut perchés et en équilibre précaire
ne peuvent se porter sans la voilette et les gants courts multicolores égayent les tenues souvent d’allure militaire.
Au cours de cet hiver, le rouge et le noir sont les couleurs vedettes.
En 1941 et 1942, la mode dicte toujours ses lois : « tous les chapeaux ont une écharpe » (Mode du jour, 30 janvier 1941),
tandis que l’Officiel parle de « l’audace » des boutons à la fantaisie inventive. Ces deux années de transition font
la part belle aux réminiscences historiques, du goût marqué pour le Moyen-Âge au regard nostalgique porté sur
la Belle Époque.
Les exagérations que l’on peut noter dès les collections de l’automne-hiver 1942 ne vont qu’en s’accentuant. Une
silhouette plus marquée, une longueur de jupe encore diminuée, des sacs trapézoïdaux démesurés et des chapeaux
monumentaux bouleversent les proportions. Marie-Claire, le 10 mai 1943, applaudit aux « Dernières idées de la
rue de la Paix ». Les frivolités de grands faiseurs exécutées avec un savoir-faire accompli, mais dans des matériaux
souvent modestes se rapprochent de plus en plus des ouvrages que propose Mode du Jour, revue féminine spécialisée dans le « fait maison ». Cette tendance à la démesure traduit une mode finissante.
Silhouette 1939-1940
• Chapeau de Rose Descat, 1939-1940
Feutre noir, garni d’un ruban noir en ruché et d’un nœud de satin noir.
Galliera.
• Prototype de bottillon de Di Mauro, 1939-1940
Daim noir doublé de cuir beige, décor de triangles, talon haut.
Galliera.
• Sac VAP, 1938-1939
Fourrure de singe noire, monture en métal doré gainée d’antilope noire.
Galliera.
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Silhouette 1941-1942
• Chapeau et étui de parapluie de Legroux Sœurs, 1941-1942.
Chapeau de feutre beige à calotte garnie d’un gros nœud de toile à rayures.
Étui de parapluie assorti en toile à rayures beige et marron.
Galliera.
• Sac, 1941-1942
Cuir marron, monture en bois verni, fermoir en métal doré.
Galliera.
• Sandales, 1941-1942
Box et velours marron, boucle en métal argenté, semelle plate-forme à talon compensé.
Galliera.
Silhouette 1943-1944
• Sac, 1943-1944
Velours de soie noir façonné, fermoir en métal doré, anse en cuir noir.
Galliera.
• Sandales de Pevin, 1943-1944
Cuir et daim noir, semelle à plateau et talon haut.
Galliera.
• Turban de Made Pierre, 1943-1944
Velours de rayonne rouge drapé autour d’une forme cylindrique en feutre noir.
Galliera.
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Tendances de mode
« L’Écossais est à la mode. N’avez-vous pas été impressionnés par l’allure magnifique des Écossais
lors de la dernière revue du 14 juillet ? Il semble que oui... car nous rencontrons beaucoup de kilts dans Paris… »
Plaisir de France, octobre 1939. La présence des soldats français et alliés à Paris en 1939-1940 se répercute sur
les tendances de mode. Cette influence militaire s’exprime tout particulièrement dans les chapeaux réinterprétant
le Glengarry, calot des troupes écossaises ou la chéchia, cette haute calotte de drap rouge portée par les zouaves.
On retrouve par ailleurs ces mêmes zouaves sur le carré Hermès Petits Soldats présenté dans le catalogue des
suggestions de cette maison pour l’année 1940. Les militaires inspirent également les bijoutiers et les joailliers à
l’image de Boucheron qui propose à ses clientes ses Silhouettes 1940, broches figurant aviateur, chasseur alpin,
artilleur ou encore cavalier. Parallèlement, le bleu RAF gagne les accessoires et les tailleurs. Cette influence du
costume militaire apparaît à nouveau à la Libération, notamment sur les chapeaux.
Selon Marie-Claire en février 1940 « l’écossais va avec tout », ce qui explique peut-être le succès rencontré par le
tartan durant toute la guerre. Véritable phénomène de mode, certaines femmes le portent en l’honneur des Alliés,
provocation face à l’occupant. Le tricolore, bleu, blanc et rouge, est une autre tendance largement répandue au cours
des « années noires ». Symboles patriotiques, les trois couleurs s’affichent sur les accessoires comme sur les robes.
L’Influence militaire
• Béret de Thérèse Peter, 1939-1940
Lainage écossais, plume couteau noire, pompon de plumes d’autruche bleues.
Galliera.
• Béret de Rose Valois, 1944
Large béret bordé d’un tissu écossais, orné de chardons et d’un nœud.
Galliera.
L’écossais
• Chapeau, 1942-1943
Velours de rayonne écossais marron, blanc et noir, gros grain noir.
Galliera.
• Parapluie, vers 1940
Taffetas de fibres artificielles écossais beige et noir, poignée et embout en plastique noir.
Galliera.
Le tricolore
• Carré Chats sur les toits, Hermès, 1940. Dessin de Charles Pittner.
Twill de soie imprimé.
Maison Hermès.
• Espadrilles, vers 1941
Raphia tressé naturel, bleu et rouge, semelle plate-forme en corde.
Galliera.
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Les modistes : le chapeau, entre élégance et extravagance
Face aux restrictions draconiennes, le chapeau, cet « article éphémère et charmant, indispensable
à […] l’élégance », selon les mots d’Images de France en février 1941, semble être le dernier refuge de l’esprit
d’invention et de distinction des femmes comme des créatrices.
En 1939, l’Annuaire de la Chapellerie et de la Mode recense plus de 1900 modistes ; ce nombre reste à peu près
constant pendant l’Occupation. Beaucoup d’entre elles travaillent en appartement ou dans leur petite boutique.
À celles-ci viennent s’ajouter 162 chapeliers et 25 créateurs classés dans la prestigieuse rubrique « haute mode »
parmi lesquels Rose Valois, Mme Agnès, Claude Saint-Cyr, Caroline Reboux, Albouy, Gilbert Orcel ou encore Paulette
qui a su imposer le turban si pratique à bicyclette et propre à dissimuler les cheveux que l’on ne peut entretenir
régulièrement.
Le chapeau est sans aucun doute l’accessoire de mode dont l’évolution est la plus frappante au cours de ces quatre
années. En 1940-1941, les Parisiennes portent de tout petits bibis, toques ou tambourins, très inclinés sur le front,
généralement du côté droit. Dès l’été 1942, la passe (le bord du chapeau) se relève, les couvre-chefs basculent et
se dressent à l’arrière de la tête ; leur volume, comme celui des coiffures qui les soutiennent, augmente progressivement jusqu’à la démesure en 1944. Les modistes semblent faire abstraction de l’obligation faite au Comité
d’organisation de la haute couture en novembre 1942, de limiter les quantités de textile employées. De surcroît
elles ornent leurs créations de tulle, rubans, résille, voilette, plumes et fleurs en tissu souvent retrouvées dans des
stocks anciens ou récupérées sur d’autres chapeaux. Cette surenchère de garniture et ce volume exagéré peuvent
être interprétés comme un élan de dignité et d’arrogance face à l’occupant, mais ils témoignent avant tout d’une
lassitude et d’un découragement. Les journaux qui conseillent davantage de sagesse et de sobriété ne semblent
pas être suivis.
• Canotier de Albouy, vers 1940-1941
Façonné de rayonne crème, bouillonné à l’arrière.
Galliera.
• Chapeau Gilbert Orcel, vers 1940-1941
Feutre rouge, voile de mousseline imprimé à décor de fleurs blanches sur fond noir.
Galliera.
• Turban madras de Madame Charlotte, 1943
Velours vert drapé formant un nœud.
Galliera.
• Turban de Rose Valois, 1943-1944
Velours de soie noir drapé sur une calotte tronconique en feutre noir.
Galliera.
• Béret de Le Monnier, vers 1943
Feutre noir garni d’un nœud sur le côté gauche.
Galliera.
• Chapeau, 1943-1944
Feutre rouge, satin de fibranne rayé blanc et gris.
Galliera.
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Les bottiers maroquiniers
• Dessin des sandales Léandre et Grésy, 1940-1944
Aquarelle sur papier de Roger Rouffiange.
Galliera.
• Bottillon de Léandre, vers 1942
Feutre noir, décor de passementerie, semelle plate-forme à talon compensé recouvert de toile enduite.
Galliera.
• Sandales Bally, 1940-1941
Cuir noir, bride lacée à l’avant, semelle à plateau en bois laqué noir et talon haut décoré d’une japonaise.
Galliera.
• Sandales de Maniatis, 1942-1944
Daim et chevreau noirs, applications de chevreau noir, semelle plate-forme à talon compensé.
Musée International de la Chaussure de Romans.
• Sandales de Hellstern & Sons, 1942-1944
Hellstern & Sons,
Chevreau noir, semelle plate-forme à haut talon compensé, orné d’un motif en métal ajouré.
Musée International de la Chaussure de Romans.
• Sandales de Goya, 1943-1944
Chevreau noir, daim rouge et vinyle, semelle plate-forme à trois intercalaires et talon compensé avec partie transparente.
Musée International de la Chaussure de Romans.
• Sac pour bicyclette à bandoulière de Keller, 1939
Cuir marron, boucle en métal argenté, bandoulière réglable par boutons pression.
Galliera.
Porté par Mlle de Léoncourt, future duchesse de Gramont, durant toute la guerre.
• Sac de Lilette vers 1942
Fine peau de serpent collée sur cuir, monture et fermoir en métal doré, doublure en peau.
Galliera.
• Sac de Duvelleroy vers 1942
Cachemire, monture en métal doré gainée de cuir rouge et fermoir en métal doré.
Galliera.
Ce sac a été réalisé dans un châle cachemire. La maison Duvelleroy proposait à ses clientes de transformer leurs châles
en d’élégants sacs. Elle fit paraître en 1942, dans divers journaux, notamment Images de France, des publicités présentant
l’« un de [ses] modèles de sacs en Cachemire des Indes ».
• Pochette Hermès vers 1940
Panama, patte carrée en cuir verni noir à trois reliefs bombés, fermeture par bouton décolleté. Maison Hermès.
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La fabrication maison
« Les ressources d’une femme de goût sont infinies. Dans des vêtements usagés, avec des dentelles,
galons, rubans, on peut combiner divers arrangements. » C’est ainsi que Mode du Jour, le 9 octobre 1941, invite ses
lectrices à faire preuve d’ingéniosité et de débrouillardise. La presse féminine multiplie les pages consacrées à la
fabrication maison. « À l’ouvrage ! », « Faites-vous même ce grand sac pratique et élégant ! »… Recommandations
auxquelles s’ajoutent les encouragements adressés aux mères de famille, pour habiller et protéger du froid leurs
enfants et leurs époux parfois prisonniers. Ces journaux qui proposent conseils pratiques, croquis et patrons, vantent
la fierté que l’on gagne à fabriquer soi-même des accessoires qui viendront agrémenter les tenues les plus simples.
Pour cela, les femmes peuvent utiliser des matériaux non contingentés, récupérer ficelle, sangle de sommier ou
encore galon d’ameublement, découper leurs robes usées pour créer gants et sacs coordonnés. La laine étant devenue rare, les ménagères détricotent de vieux vêtements tandis qu’elles découpent en lanières la lingerie défraîchie
ou les chiffons, les roulent en pelote et les tricotent pour obtenir chaussons, cache-col et moufles.
En ces temps difficiles, les femmes ne renoncent pas au raffinement et pour embellir leurs tenues, elles crochètent de légers gants d’été, brodent sur leurs ceintures et leurs boutons devises et motifs naïfs ou humoristiques,
confectionnent bijoux et garnitures en feutre, perles et paillettes.
• Capuchon, vers 1940
Réalisé à partir de deux écharpes, l’une en sergé de laine marron, l’autre en satin de soie à rayures,
griffée « made in Scotland ».
Galliera.
• Sandales, 1942-1943
Assemblage de rubans de velours et de taffetas de rayonne rouge, semelle bois à plateau et talon haut.
Galliera.
Les rubans, achetés sans tickets, sont très utilisés pour la réalisation de tiges de chaussures montées
ensuite par un cordonnier sur une semelle de bois ou de liège.
• Pour Elle, n° 52, 6 août 1941, pp. 8-9
« Le Ruban s’achète “sans points” ».
Galliera.
• Sac, 1940-1944
Velours de coton rouge, toile de laine bleue.
Galliera.
• Marie-Claire, n° 157, 1er mars 1940, p.30
« Avec 55 cm de drap je fais ce sac ».
Galliera.
• Gants, vers 1940
Crochet de fil de coton écru.
Galliera.
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Section II : La vie au quotidien
Face aux restrictions, les Parisiennes redoublent d’ingéniosité dans l’art de la récupération, de la
substitution et des astuces, tout comme les créateurs, les artisans et les fabricants qui multiplient les inventions
et adaptent leur production à la pénurie (semelle de bois articulée ou compensée, besace en bandoulière…).
L’utilisation d’ersatz (rayonne, fibranne…), de matériaux inhabituels (papier journal, bois…) ou usagés (pneu,
chutes de tissu et de cuir…) s’impose.
LA PÉNURIE
aussi outil de propagande, il joue un rôle-clé
dans l’assistance sociale privée. Dans
le département de la Seine, il porte le nom
d’« Entr’aide d’hiver du Maréchal », fruit
de la collusion des collaborationnistes avec
l’occupant. Il accorde des secours d’urgence,
organise des soupes populaires, – 153 à Paris
en 1941, avec des repas à 0,75 Francs – et
distribue des biscuits de caséine dans
les écoles.
Les coupures d’électricité, la rareté du charbon
sont durement ressenties en ces hivers
rigoureux de la guerre de 1941 et 1942.
La pénurie concerne aussi les chaussures de
cuir, les vêtements. A la rentrée scolaire 1942,
une circulaire du Secrétaire d’État à l’Éducation
nationale, Abel Bonnard, recommande aux
professeurs d’interroger les élèves à l’oral pour
économiser le papier.
Comme l’écrit l’historienne Dominique Veillon,
les privations rétrécissent l’horizon au « vivre
et survivre ».
Paris occupé a faim, Paris a froid…
L’économie est désorganisée en l’absence
de 1,8 million de prisonniers et des exigences
exorbitantes de l’occupant : 400 millions
de francs par jour et l’entretien des troupes
allemandes. Les produits indispensables
à la vie quotidienne sont réquisitionnés
car la France est fournisseur attitré du
IIIe Reich. Les premières difficultés précèdent
l’instauration par le gouvernement de Vichy
le 23 septembre 1940 d’un rationnement général
qui divise la population en 8 catégories en
fonction de l’âge et du travail avec un apport
calorique journalier équivalant à la moitié
de celui de 1939.
En 1943, la ration officielle de viande n’est
plus servie ; un poulet vaut 100 Francs pour
un salaire mensuel moyen de 1 100 Francs.
Le Secours national, organisation caritative
née en 1914, est recréé. Vivant de dons et
d’aides du gouvernement de Vichy et donc
Les restrictions
Dès la signature de l’armistice le 22 juin 1940 à Rethondes, la France devient fournisseur officiel de
l’Allemagne qui réquisitionne dès lors les matières premières, aussi bien les denrées alimentaires, que le charbon,
l’essence, la laine (plan Kehrl) ou le cuir (plan Grunberg). L’occupant réclame au gouvernement de Vichy, pour l’année 1941, six millions de paires de chaussures. Pour répondre à cette mise en demeure, les premières mesures sont
prises à partir de l’automne 1940 : les artisans du cuir sont dans l’obligation de déclarer leurs stocks, la vente des souliers en cuir est interdite le 27 novembre 1940 et les bons d’achats pour les chaussures sont instaurés par la loi du 3
janvier 1941. Pour les obtenir, chaque individu doit se rendre à la mairie afin de déposer une demande écrite. Celle-ci
sera satisfaite ou non, selon des critères d’âge et de profession, dans la limite des dix millions de paires attribuées aux
Français en 1941. En parallèle, les bottiers proposent à leurs clientes des modèles en « vente libre », « sans tickets »,
réalisés en raphia, ruban ou paille tressée, employant les matériaux contingentés dans les quantités autorisées.
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Des mesures similaires touchent rapidement le textile, avec l’entrée en vigueur de la carte de vêtements en juillet
1941. Certes l’élégance et le goût ne sont pas rationnés, mais les Parisiennes doivent user d’astuces pour se vêtir.
Non sans humour, quelques accessoires témoignent des difficultés quotidiennes et des privations, notamment
alimentaires, comme la ceinture Les Flacons de l’ivresse de Line Vautrin ou le carré A la Gloire de la cuisine
française d’Hermès.
• Chaussures d’homme, Au Bon marché, 1941-1942
Derby en paille et cuir gold, semelle en bois, étiquette de vente « Bon Marché / Vente libre ».
Galliera.
• Sandales « Preciosa » de Heyraud, vers 1943
Cuir noir imitation crocodile, boucle métallique, semelle à plate-forme et talon compensé en bois peint noir.
Galliera.
• Carte de vêtements et d’articles textiles délivrée le 11 janvier 1942 par la mairie de Montigny les Cormeilles.
Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin.
• Carré Hermès À la Gloire de la cuisine française , 1943
Dessin de Robert Dumas. Twill de soie imprimé, bords roulottés.
Maison Hermès.
Ce carré fut dessiné en 1942 par un descendant de la famille Hermès, Robert Dumas, se remémorant les plats raffinés
d’avant guerre et s’inspirant d’un ouvrage culinaire allemand du xixe siècle. Il s’était évadé d’un Oflag allemand et avait
rejoint sa famille en zone libre, à Cannes. Sa fille Catherine décrivait à son petit frère Jean-Louis les mets représentés
sur ce carré qu’elle avait connus avant guerre.
• Ceinture Les Flacons de l’ivresse de Line Vautrin, 1943
Métal doré. Ceinture composée d’une chaîne à doubles mailles et de deux ressorts métalliques de chaque côté du décor
central, six flacons en verre et métal doré, fermés par un bouchon de liège et gravés de noms d’alcools : « chartre »,
« kumme », « bénédic », « cognac », « marc » et « calvad ».
Galliera.
Cette ceinture de Line Vautrin évoque les restrictions dont l’alcool fait l’objet dès 1940. Depuis la fin de la Grande Guerre,
la consommation d’alcool en France va croissante, ce qui inquiète le gouvernement de Vichy. La loi du 23 août 1940
interdit leur vente et consommation les mardis, jeudis et vendredis dans les lieux publics. Cependant, la prohibition
n’est pas seule cause de l’effective baisse de la consommation. Les pénuries et la raréfaction de l’alcool sur le territoire
français sont également responsables de cette évolution.
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Pénurie, astuces et inventions
« Aujourd’hui une femme ingénieuse est une femme élégante » (Marie-Claire, 1er octobre 1943).
Une femme qui doit désormais se jouer des restrictions et de la pénurie, et faire siens les mots d’ordre : réemploi,
transformation, adaptation, détournement, invention.
Tout se récupère. Albouy, célèbre modiste parisien, propose en août 1941, une série de chapeaux en papier journal
titré Paris-soir ou Comoedia. Petit canotier ou grand chapeau à bords relevés style 1900, ils sont garnis de tulle,
de voilette, de rubans ou de plumes.
Les accessoires eux-mêmes peuvent être détournés et changer ainsi de fonction ou de destination. Des bretelles
sont transformées en bandoulière pour un sac attribué à Jeanne Lanvin. Un béret de chasseur alpin devient un
ravissant chapeau de femme grâce à quelques points de couture créant un délicat plissé. S’éloignant un peu des
accessoires de mode pour aborder l’univers de la lingerie, comment ne pas rappeler la disparition des bas de soie
et l’astuce des femmes pour en recréer l’illusion ? S’inspirant de leur teinture au brou de noix imitant le voile sur
les jambes, les parfumeurs proposent alors une série de lotions aux noms évocateurs tels « le 200 fin » d’Elizabeth
Arden ou le « Filpas » de Bienaimé.
Nombre de brevets d’invention sont déposés à l’Institut National de la Propriété Industrielle au cours des quatre
années d’Occupation. S’agissant des accessoires, si l’on trouve un chapeau pliant, une canne minaudière ou
encore un sac de marché transformable en sac à main, la plupart des inventions concernent les chaussures et plus
particulièrement les semelles. La société SICDAM exploite en France, sous le nom Smelflex, un brevet allemand de
semelle en bois articulée nommé Zierold. Le patin est pourvu de stries en quinconce qui donnent une plus grande
flexibilité au soulier. Seul inconvénient, si le procédé permet une démarche plus souple, personne n’est à l’abri
du petit caillou qui se coince dans une strie…
• Gants « Tric-Trac » de Guibert Frères, 1941
Patchwork de chutes d’agneau glacé et peau suédée, crochet de coton, couture machine piqué anglais.
Musée de Millau et des Grands Causses.
Afin de ne pas perdre les chutes de peau, dans un contexte de pénurie et de manque de matières premières,
les établissements Guibert Frères ont créé ce modèle utilisant la méthode du patchwork.
• Sac à bandoulière, 1939-1944.
Croco et box gold, fermeture à glissière et bouton pression, bandoulière à boucle fixée par deux anneaux métalliques.
Galliera.
Ce sac de 1939 était initialement pourvu d’une double anse et d’un fermoir. Face aux difficultés de la vie quotidienne,
la donatrice le transforma en sac à bandoulière, modification visible par les quatre œillets masquant l’attache des anses.
Cette bandoulière réalisée dans un cuir de plus mauvaise qualité que celui d’origine, fut montée sur des anneaux métalliques
passés dans de larges trous percés dans le soufflet du sac. Le fermoir fut également remplacé par un bouton pression
et la donatrice ajouta une fermeture à glissière sur la poche centrale. L’état d’usure et de salissure de ce sac, indique
qu’il a sans doute été utilisé durant toute la guerre.
• Béret, 1943-1944
Feutre noir, tour de tête et nœud en gros grain noir, broche papillon en perles rondes tricolores.
Collection Laurent Charbonneau et Florence Pateyron.
Tarte réglementaire de chasseur alpin transformée en chapeau de femme garnie d’une broche papillon de 1936.
Cette tarte de chasseur alpin a été transformée pendant la guerre en béret pour femme par un travail de plis relevant
la passe et le rajout d’un nœud en gros grain. La broche a sans doute été rajoutée au moment de la Libération.
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• Sac de Jeanne Lanvin (attribué à), 1944
Feutre et cuir noir, rabat fermé par un bouton pression.
Galliera.
Une paire de bretelles en cuir noir, doublées de feutre, a été adaptée pour constituer la bandoulière de ce sac.
• Sac « Moto » de chez Hermès, 1940
Cuir noir, faille de soie noire, fermoir en métal argenté pivotant, anse transformable en bandoulière grâce à un système
de fermeture par pontet à glissière en laiton nickelé breveté SGDG (sans garantie du gouvernement).
Galliera.
• Prototype de sandale avec semelle Smelflex, 1940-1944
Cuir rouge et toile à carreaux rouge et bleue, semelle à talon compensé articulée en bois peint rouge.
Galliera.
Ce modèle est présenté dans le catalogue de la société SICDAM, page 15.
• Catalogue Documentation S.I.C.D.A.M SMELFLEX, janvier 1944.
Galliera.
Extraits du catalogue :
« Le patin SMELFLEX est fabriqué dans des bois durs, sélectionnés, généralement dans du hêtre. Ces bois sont choisis
exempts de tout défaut et les plots utilisés sont spécialement séchés à l’étuve. La matière première ainsi obtenue est
de haute qualité. La fabrication des patins est rigoureusement contrôlée.
Elle permet de garantir une élasticité sans rupture, caractérisée par le fait que, dans sa flexion maximum, un patin doit
avoir une corde de longueur au plus égale aux ¾ de la longueur du patin à l’état de repos. »
« En raison de ses qualités d’élasticité, le patin SMELFLEX s’emploie pour le montage et la réparation de toutes
les chaussures, comme un patin de cuir ou de caoutchouc. »
« La durée du patin peut être étendue, par l’emploi de protecteurs divers, spécialement étudiés par nous à cet effet. »
• Carte de rationnement de vêtements et articles textiles, délivrée le 02.02.1944 à Paris XIe
Collection Françoise Vittu.
• Carte de « ressemelage perfectionné », « Bon pour ressemelage cuir ou caoutchouc »
Collection Françoise Vittu.
• Fiche de demande d’espadrilles de gymnastique pour enfant, octobre 1942
Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin.
• Coupon d’achat de chaussures de ville, 5 août 1944
Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin. Don de Mme Thévenet.
• Boîte « Récupération », 1942-1944
Bois peint.
Collection Henri Joannis Deberne.
Cette boîte à couvercle coulissant sert à la récupération des mégots de cigarettes, en raison du rationnement.
La carte de tabac est instaurée en novembre 1941, elle permet d’obtenir en moyenne deux paquets de tabac pour les hommes
de plus de 18 ans.
16
Les nouveaux matériaux Face aux difficultés d’approvisionnement en matières premières, les plus célèbres créateurs comme
les ménagères innovent par l’emploi de nouveaux matériaux.
La pénurie de cuir se fait cruellement ressentir dans la fabrication des accessoires de mode à partir de l’établissement
du plan Grunberg durant l’été 1940, qui impose à la France de fournir six millions de paires de chaussures à
l’Allemagne en 1941. De ce fait, la vente des chaussures en cuir est interdite par le gouvernement de Vichy le 27
novembre 1940. Les semelles en bois, liège, rhodoïd ou paille tressée apparaissent sur le pavé parisien dès 1941
tandis que des succédanés tels que les cuirs reconstitués ou la moleskine entrent rapidement dans la conception
des souliers et des sacs.
Bottiers, modistes ou maroquiniers font preuve d’imagination en s’appropriant les matières les plus surprenantes :
ficelle de paille, raphia, carton, sangle, peau de chamois ou bois. Certains matériaux sont quant à eux détournés de
leur usage traditionnel. Le feutre, généralement réservé aux chapeaux, gagne les sacs, les ceintures ou les bijoux.
Les poils de chien comme les cheveux, dont la récupération dans les salons de coiffure est rendue obligatoire par
le décret du 25 mars 1942, sont mélangés à la fibranne pour la réalisation de gants et de chaussons.
Parallèlement à l’utilisation de ces matériaux naturels, se développe la production des fibres artificielles, rayonne
et fibranne, obtenues à partir d’acétate de cellulose. Employées largement par l’industrie vestimentaire pour
pallier la pénurie de coton et de laine importés, elles permettent aussi la réalisation de divers accessoires comme
les chapeaux ou les foulards.
• Canotier de Denise Squéville, 1941-1943
Celluloïd blanc, gros grain bleu marine.
Galliera.
• Turban de Jeanne Lanvin, 1942-1943
Ficelle de paille sur organza beige, gros grain noir.
Galliera.
• Sandales du soir de Rayne, vers 1943
Tissu façonné vert d’eau, semelle à plateau et talon haut en bois peint vert d’eau, gravé et doré.
Galliera.
• Sac, 1942-1943
Cuir gold, marqueterie de bois, fermeture par une patte en cuir munie d’un bouton pression.
Galliera.
• Bottillons, 1941-1944
Faille de rayonne bleue, doublure et bordure en fourrure de lapin blanche, semelle à plateforme et talon compensé.
Galliera.
• Sandales d’été de Perugia, 1943
Cuir vert et paille tressée, brodée de raphia, semelle plateforme et talon compensé en liège.
Galliera.
17
La vie quotidienne
Les Parisiennes doivent faire face aux nouvelles difficultés qui s’imposent à elles : faire la queue
devant les magasins, se déplacer dans Paris à bicyclette ou en métro, se précipiter dans les abris à chaque alerte et
surtout, se protéger du froid des hivers rigoureux qui ont marqué cette période.
Dans cette lutte contre le froid, le capuchon remporte un grand succès dès l’hiver 1940-1941. Bonnet, châle, gants,
guêtres et bottillons complètent la tenue. La fourrure, modeste (chat, lapin) ou plus luxueuse (vison, renard), indispensable pour se prémunir des frimas, garnit nombre de ces accessoires. Les innovations se multiplient, telles
que l’écharpe-poches ou le manchon-sac, dans une recherche de confort, de commodité mais aussi d’élégance.
La mode s’adapte aussi aux fréquentes alertes qui rythment la vie des Parisiens. Dès septembre 1939, les grands
couturiers comme Schiaparelli ou Piguet proposent à leurs clientes des « tenues d’abri » chaudes et confortables.
Elles sont accompagnées de ceintures retenant lampe et pochette, de sacs à longue anse et de grosses chaussures
fourrées. Répondant aux besoins quotidiens de leurs clientes, les maroquiniers imaginent de grands sacs munis
d’un compartiment propre à dissimuler le masque à gaz.
En raison des restrictions draconiennes de carburant, les automobiles restent au garage et le vélo s’impose. Pour
ses déplacements, la Parisienne peut hésiter entre la jupe-culotte et la culotte sous la jupe, mais elle choisira
certainement un grand sac gibecière à bandoulière réglable. Si certaines femmes renoncent au chapeau l’été,
d’autres n’en démordent pas, optant pour la résille ou le turban lorsque le vent est trop fort. Pour pédaler aisément
mieux vaut se munir d’une chaussure adaptée à semelle plate compensée. Et pour celles qui ne veulent ou ne
peuvent pas se plier aux exigences de la petite reine, il reste le vélo-taxi, la calèche ou le métro.
• Tenue d’abri d’après une tenue d’aviateur par Elsa Schiaparelli, 1939
Laine bleu marine, cuir, plastique.
Musée de la Mode de Marseille.
« Au moment où la guerre a commencé, la rue de la Paix présentait de luxueux modèles pour l’hiver. Quelques jours plus
tard, des numéros improvisés s’ajoutaient à ceux de la collection. Si l’on y voyait toujours les toilettes fastueuse, réservées,
hélas ! à des continents plus heureux, les mannequins présentaient des ensembles confortables destinés aux Parisiennes
que les alertes obligeaient à descendre dans les caves. »
• Capuchon de Paulette, 1944
Jersey de laine vert, gros bouton recouvert du même tissu, doublure en jersey de laine rouge. Galliera.
• Manchon, 1940-1942
Fourrure de sconse brun, velours de soie noir, fermeture à glissière, doublure en satin de rayonne noir. Galliera.
• Turban de La châtelaine de Nantes, vers 1939-1942
Velours de rayonne marron à pois verts, fond en paille tressée, tour de tête en extra-fort bleu marine. Galliera.
• Chapeau d’Irène, 1942-1944
Feutre beige, tour de tête en gros-grain kaki, large passe relevée rigidifiée par une tige métallique. Galliera.
• Sac gibecière, vers 1943
Cuir marron, bandoulière réglable par boutons pressions, doublure en cuir beige. Galliera.
• Chaussures « Préciosa », production Heyraud, 1941
Cuir marron, doublure en cuir marron et toile écrue, semelle en bois à plateau et talon recouvert de matière plastique.
Galliera.
18
La vie culturelle : théâtres, restaurants et cinémas
La vie parisienne
du Palais royal de longues files d’attente
devant la Comédie française.
Les recettes de cinéma triplent entre 1937
et 1943. Y sont communément sifflées les
actualités surtout à partir de 1942.
Le cinéma constitue une évasion par le rêve,
une distraction indispensable et un espace
de liberté où le froid se fait moins sentir.
C’est une intense période de production
de chefs d’œuvres : L’Assassin habite au 21,
Les Visiteurs du soir, Les Enfants du Paradis.
Au total 220 longs métrages ont été tournés
d’août 1940 à mai 1944 dont seulement 30
produits par la Continental, société allemande
créée en 1940. Le contrôle de l’occupant est
contourné par un contenu romanesque alors que
les problèmes du moment ne sont pas abordés.
Le succès populaire est extraordinaire.
Contre toute attente, le Paris de l’Occupation
connaît aussi une activité culturelle et festive
intense.
Les lieux huppés, comme les théâtres,
restaurants, bars et cabarets sont bondés
d’une clientèle composite et fortunée qui y
côtoie les officiers allemands.
Malgré les refus de jouer de certains artistes,
l’Opéra et les théâtres rouvrent. Naïveté
politique ou opportunisme, certains acteurs/
actrices, chanteurs, écrivains, musiciens,
peintres participent à la vie mondaine, ne
répugnant pas à fréquenter les Allemands.
Les bibliothèques, les musées, le music hall,
les théâtres conservent une activité forte.
Ce sont, il est vrai, les seuls endroits chauffés
de la capitale. Colette observe de ses fenêtres
Alors que difficultés matérielles et peurs sont le quotidien du plus grand nombre, une minorité
semble ne pas avoir conscience ou nie la réalité de l’occupation. On continue dans certains milieux de s’interroger
sur ce que doit porter la parisienne au cours de ses différentes activités. Pour déjeuner en ville, l’élégante revêt un
tailleur de ville et un chapeau raffiné de Paulette ou d’Albouy, avec un manchon de fourrure assorti à son étole.
En octobre 1942, Votre Beauté conseille à ses lectrices, pour aller prendre le thé chez Carrère, « [...] vaste salon
d’un goût très vieille France », de choisir une robe d’après-midi accompagnée d’un chapeau qui sera également
parfait pour l’heure de l’apéritif dans les salons du Ritz ou du Crillon.
Si, au cours de ces quatre années, les robes longues du soir sont plus rarement portées, elles restent de mise pour
les premières, les galas de bienfaisance et certaines réceptions officielles.
En mai 1941, Images de France suggère, pour accompagner ces robes, de porter une coiffure du soir de Rose Valois
faite « d’un nid de ruchés de tulle noir ». En janvier 1943, L’Officiel consacre un article aux ensembles de « grand
soir » parés des créations de grands joailliers. On les admirera à la grande fête donnée au Gaumont-Palace en avril
1944 à l’occasion de la Nuit du Cinéma ou pour la première de Huit clos, le 24 mai 1944, au Vieux-Colombier.
Au cinéma, nul ne fait assaut d’élégance, mais les spectatrices rêvent en regardant les actrices merveilleusement
parées qu’elles essaieront ensuite d’imiter avec beaucoup d’astuce. En 1941, le film de Roger Richebé, Madame
Sans-Gêne, lance la mode du haut-de-forme, chapeau créé par Caroline Reboux pour Arletty, tandis que la projection des Visiteurs du Soir de Marcel Carné, film qui tiendra l’affiche pendant un an au cinéma Madeleine, provoque
un engouement pour une mode d’inspiration médiévale.
19
• Haut-de-forme de Caroline Reboux, 1941.
Peluche de soie noire, passe bordée d’un gros-grain noir et garnie d’un cordon tressé en coton noir. Galliera.
Ce haut-de-forme fut porté par Arletty dans la scène finale du film Madame Sans Gêne, de Roger Richebé, sorti en 1941. Après
la sortie de ce film en salle, on constate la multiplication de ce type de chapeau dans les pages des journaux de mode.
• Turban de Paulette, vers 1942
Sergé de soie noir, passementerie à décor de boules de soie rose entourées d’une résille de coton noir. Galliera.
• Coiffure du soir de Annette Daumont, vers 1944
Coiffe du soir à voilette garnie de fleurs en velours et de grappes de raisin en matière plastique, voilette fantaisie à l’arrière.
Galliera.
• Cape, 1940-1944
Renard argenté, doublure en satin de soie noir. Galliera.
• Robe du soir de Jean Dessès, 1943-1944
Taffetas crêpé de rayonne noir, sergé de rayonne vert pâle brodé de paillettes argentées. Galliera.
• Plan des « Abris réservés en cas d’alerte aux spectateurs de la Comédie Française »
Bibliothèque Forney.
À l’hippodrome
Reprenant la tradition très parisienne des présentations de mode aux courses, dès la réouverture
de l’hippodrome d’Auteuil le 12 octobre 1940, les mannequins des maisons de haute couture posent pour les
photographes des revues de mode. Les chapeaux des grandes modistes sont l’accessoire privilégié des champs de
courses comme celui de Longchamp ou du cynodrome d’Asnières où l’on assiste aux courses de lévriers avant
de se rendre au restaurant privé du Pesage qui attire le « Tout-Paris ».
Les hippodromes sont fréquentés par des visiteurs de diverses catégories sociales, qui s’y rendent par les moyens de
locomotion les plus surprenants : vélo-taxi, fiacre, omnibus, et même haquet de tonnelier tiré par des percherons…
La pénurie d’essence signe l’arrêt des concours d’élégance automobile, mais beaucoup de Parisiens assistent,
le 23 juillet 1941, à la Journée de l’Elégance à bicyclette organisée par Paris-soir au Pavillon d’Armenonville.
• Lucile Manguin
Feutre noir, roses en taffetas de soie rose et feuilles en papier vert, voilette noire. Galliera.
• Prototype de sandale, 1940-1944
Sergé de laine noir, semelle en bois noir évidé, doublée de matière synthétique. Galliera.
• Turban de Coralie, 1944
Jersey de rayonne beige, roses et feuilles en taffetas de soie, fond en paille et tarlatane, armature métallique, voilette en tulle.
Galliera.
• Prototype de sandale de Di Mauro, 1943
Cuir vert et blanc, boucle en métal argenté, semelle compensée à bourrelets, recouverte de cuir vert et blanc. Galliera.
20
Section III : L’accessoire témoin de la vie politique
L’accessoire peut jouer un rôle significatif par sa fonction et sa symbolique politique. Outil de la
propagande de Vichy (le portrait de Pétain imprimé sur un foulard), il est aussi utilisé par les Résistantes dans
leurs actions (sac à double fond et à double paroi pour dissimuler les tracts). Il accompagne le quotidien des
Parisiennes, des moments tragiques à l’explosion de joie de la Libération.
LE RÉGIME DE VICHY
Le régime de Vichy naît le 25 juin 1940,
date d’entrée en vigueur des armistices
avec l’Allemagne et l’Italie qui démantèlent
le territoire. Le gouvernement du maréchal
Pétain conserve cependant sa souveraineté
sur la France et l’Empire (sauf les trois
départements annexés). Il ordonne à son
administration de collaborer avec l’occupant
et livre les ressortissants allemands et
autrichiens anti-nazis.
De Vichy, les parlementaires le 10 juillet votent
par 569 voix pour, 80 contre et 20 abstentions,
les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. La
République est remplacée par l’Etat français.
Toute vie démocratique disparaît. Pétain,
le vainqueur de Verdun qui se proclame le
« sauveur » en faisant « le don de sa personne »
est l’objet d’un véritable culte. Il tente
d’imposer un « redressement moral et
intellectuel », la Révolution nationale, régime
fort, autoritaire, qui prône l’ordre et le retour
à la terre…
Le régime est fondé sur l’exclusion
de « l’Antifrance » c’est-à-dire pour lui, les
étrangers, les gaullistes, les Francs-Maçons,
les communistes, les Juifs qui sont les victimes
désignées pour les exécutions d’otages et les
déportations. En 1941, il fait de la collaboration
avec l’Allemagne et de la lutte contre le
bolchevisme, une priorité et paradoxalement
envoie un « ambassadeur » à Paris. La France
de Vichy devient un état satellite de l’Allemagne
nazie. Le régime se fait de plus en plus
répressif pour maintenir son autorité, en dépit
des défaites de l’armée allemande, de l’action
de la résistance intérieure et extérieure, enfin
d’une opinion publique de plus en plus distante.
21
La propagande
Le mot propagande fait son apparition à
l’été 1940. C’est un instrument fondamental
utilisé par l’occupant et le gouvernement de
Vichy pour contrôler et endoctriner la société
civile sur l’antisémitisme, l’antibolchevisme,
l’antigaullisme et l’anglophobie. Brochures,
affichettes et affiches de très grands formats
recouvrent les murs de Paris. De l’avis de Berthe
Auroy, institutrice parisienne, « La propagande
s’est follement dépensée… ».
Si certains journaux français se sont sabordés,
Le Populaire, ou se sont repliés à Lyon comme
Le Figaro, quelques journaux d’avant guerre
(6 sur 40) reparaissent en zone nord sous la
censure allemande : Paris Soir, Le Matin, Le Petit
Parisien… sont sous leur contrôle financier.
On peut lire la presse allemande Pariser
Zeitung et le magazine Signal dans son édition
française. Les journaux collaborationnistes
Je suis partout, La Gerbe, Le Pilori, Le Franciste,
L’Oeuvre portent aux nues l’idéologie nazie avec
des plumes célèbres comme Robert Brasillach.
Beaucoup de familles possèdent la TSF
(76 postes pour 1 000 habitants), la radio
en dépit des interdictions allemandes, reste
très écoutée.
Les voix collaborationnistes les plus célèbres
de Radio Paris créée par les Allemands,
Philippe Henriot et Jean-Hérold Paquis mènent
une guerre des ondes contre la voix de Londres
captée à la BBC aux heures communiquées
par un tract largué aux Français dès l’été 40.
Outre les messages personnels auxrésistants,
l’émission « Les Français parlent aux
Français » apporte une autre information sur le
déroulement de la guerre et une lueur d’espoir
et d’humour dans ces années de plomb.
22
Accessoires de propagande
Certains accessoires – foulards, pochettes ou breloques – illustrent la propagande du gouvernement
de Vichy autour de thèmes privilégiés de la Révolution Nationale : « Travail, famille, patrie », « Le retour à la terre »
ou affichent le portrait du maréchal Pétain, objet d’un véritable culte. Des publicités pour les foulards édités par
le soyeux lyonnais Colcombet, « Les Carrés du Maréchal », paraissent régulièrement dans L’Officiel et L’Art et la
Mode pendant l’année 1941. Le musée Galliera possède trois de ces foulards. « Le Portrait du Maréchal » ; « Les
Voyages du Maréchal » qui retrace ses voyages en zone libre en 1940-1941 ; « Le Coq gaulois », dessiné par Jean
Dunand, qui exalte les idées patriotiques. Nombre de breloques à l’effigie du Maréchal sont également éditées
à l’occasion de ses déplacements et des manifestations auxquelles il participe. La couverture de Pour Elle du
4 décembre 1940 porte le titre « Retour à la terre », illustré par le portrait d’une jeune femme souriante, coiffée
d’un fichu, tenant un épi de blé entre ses dents ! Plus étonnant encore est un numéro de Mode du Jour, le 29
mai 1941, entièrement consacré à ce thème de prédilection du régime et dont l’un des articles déclare « Vous serez
de jolies fermières »…
• Foulard « Vive la France » de Colcombet, 1941. Dessin de Jean Dunand.
Taffetas de soie blanc, imprimé au cadre polychrome.
Galliera.
• Foulard « Portrait du Maréchal » de Colcombet, 1941.
Taffetas de soie blanc imprimé.
Galliera.
• Broche francisque.
Perles rondes tricolores.
Collection Guilhem Touratier.
• Carré Hermès Le Retour à la terre, 1941-1942
Twill de soie blanc, imprimé polychrome, décor central représentant la famille Hermès dans son jardin ;
sur le pourtour, scènes agricoles.
Galliera.
• Affiche « Journée des mères », 31 mai 1942
Musée d’Histoire Contemporaine – BDIC.
23
Aryanisation et spoliation des biens juifs
PersÉcution des Juifs
à se nourrir dans les cantines juives. Leur sont
interdits : poste de radio, bicyclette, téléphone,
sortie de 20h00 à 6h00. Ils ne peuvent faire
leurs courses qu’entre 15h00 et 16h00.
Le décret du 29 mai 1942 oblige les plus
de 6 ans à porter l’étoile jaune.
De l’étouffement à l’élimination totale, en
passant par les camps d’internement puis la
déportation, le pas est franchi. Les arrestations
par les services allemands avec l’aide
des policiers français débutent en 1941,
année au cours de laquelle près de
9 000 personnes sont arrêtées.
La rafle « du Vel d’Hiv », les 16 et 17 juillet 1942,
touche 12 884 enfants, femmes, hommes,
vieillards. L’occupant, en 1943 et 1944,
multiplie les rafles qui ne donnent pas les
résultats escomptés en raison de l’aide des
habitants. Le dernier convoi quitte Drancy
deux jours avant l’insurrection générale
en août 1944.
Parisiens en majorité, les Juifs, français
ou étrangers, contraints au recensement
dès fin septembre 1940, sont victimes des
mesures discriminatoires de l’occupant et du
gouvernement de Vichy.
« L’aryanisation », mot nazi désignant
la dépossession des biens des Juifs
au profit de gérants « aryens », est très vite
appliquée. Les entreprises, par exemple les
Galeries Lafayette, passent sous la tutelle
d’un administrateur « provisoire ».
Vichy institue le 3 octobre 1940 un premier
statut définissant la « race » juive. Suivent
57 textes qui leur interdisent les professions
littéraires et artistiques, l’accès aux
bibliothèques, aux salles de spectacles,
aux parcs à jeux pour les enfants et les
obligent à utiliser le dernier wagon du métro…
3 000 fonctionnaires parisiens sont révoqués.
Privés de revenus, les exclus en sont réduits
L’histoire de Fanny Berger est un exemple saisissant des persécutions, puis de l’élimination dont
ont été victimes les Juifs. Sa vie est retracée dans le film de Catherine Bernstein, sa petite nièce, Assassinat d’une
modiste, réalisé en 2006. Odette Fanny Bernstein est née à Neuilly, le 2 juillet 1901. À trente ans, elle ouvre son
premier salon de mode rue de Richelieu, puis avenue de Wagram. En 1932, elle s’inscrit au registre du commerce
sous le nom de Fanny Berger, son établissement est alors situé 4, rue Balzac. Ses créations déjà connues,
remportent un réel succès. L’ordonnance allemande du 27 septembre 1940 précise que tout Juif propriétaire
d’un commerce, doit placarder une affiche spéciale avec la mention « entreprise juive ». Elle oblige les Juifs de
zone occupée à se faire recenser sur un registre spécial ce que fait Fanny Berger le 4 octobre ; son dossier porte le
numéro 20.9000. Le 3 octobre, le gouvernement de Vichy, sans pression de l’occupant, a adopté une « loi portant
statut des Juifs ». Suivent 57 textes qui multiplient les interdits. Le 26 avril 1941, Fanny Berger ne peut plus
recevoir ses clientes et le 28 mai elle n’a plus accès à son compte en banque. Le 5 juillet 1941, Georges Nérot,
administrateur de biens, est chargé de vendre son salon qu’achète fin septembre, une de ses anciennes employées,
Mlle Martin. Le 19 septembre 1942, elle est arrêtée en tentant de franchir la ligne de démarcation. Détenue
à la prison allemande de Moulins, elle est ensuite transférée au camp de Beaune-la-Rolande, puis à Drancy
le 19 juin 1943. Le convoi qui l’emmène en Allemagne part de la gare de Bobigny le 18 juillet. Trois jours plus tard,
il arrive au camp d’extermination de Auschwitz-Birkenau. Fanny Berger est gazée peu après son arrivée.
Au cours des recherches effectuées pour le tournage de ce documentaire, trois de ses chapeaux ont été retrouvés
dans les collections du musée Galliera. Ces créations de Fanny Berger sont non seulement les « objets-témoins »
d’une histoire douloureuse, mais également le souvenir préservé d’une des victimes disparues dans les camps
d’extermination nazis. Elles sont ici exposées.
24
L’accessoire, symbole d’opposition et de résistance
Les Parisiennes dans la RÉsistance
Raymond, communiste, conseiller municipal
du 14e, membre de l’Organisation spéciale
(0S) puis des FTP jusqu’à leur arrestation en
mai 1942 ; Cécile Rol-Tanguy assure
le secrétariat et nombre de liaisons pour son
mari Henri Rol-Tanguy futur chef des FFI
d’Ile-de-France, en juin 1944.
France Bloch-Sérazin, ingénieur chimiste dans
l’OS puis les FTP et Olga Bancic, Roumaine
d’origine, du groupe Manouchian-MOI sont
condamnées pour leurs actions armées puis
exécutées en Allemagne en 1943 et 1944.
Madeleine Riffaud, FTP, arrêtée après avoir
abattu un Allemand, libérée par les tractations
du consul de Suède, reprend le combat lors
de l’insurrection parisienne.
Chevilles ouvrières de la Résistance sans en
attendre aucune récompense, elles ont repris
leurs activités quotidiennes après guerre.
L’assemblée consultative provisoire d’Alger
reconnaissant le rôle des femmes pendant
la Seconde Guerre mondiale leur octroie le droit
de vote le 24 mars 1944.
Par patriotisme, antinazisme, refus de
l’occupation, attachement aux valeurs de 1789,
les femmes aux côtés des hommes distribuent
des tracts, hébergent des résistants, prennent
les armes le moment venu.
L’ethnologue Germaine Tillion participe
à une filière d’évasion de prisonniers
de guerre dès l’été 1940, puis au groupe
du Musée de l’Homme. Les étudiantes
Hélène Mordkovitch et Charlotte Nadel,
Geneviève de Gaulle, nièce du Général ont
un rôle important au sein du mouvement
Défense de la France avec Philippe Viannay.
Odette Pilpoul, employée à la Mairie du 3e, plus
tard honorée du titre de Juste parmi les Nations,
établit des faux papiers pour les Juifs et les
cache au péril de sa vie.
La famille Morin (père, mère, fille), gardiens
aux Invalides, est arrêtée en juin 1944 pour sa
participation à un réseau d’évasion d’aviateurs
alliés.
Marie-Hélène Lefaucheux remplace son mari
arrêté en juin 1944, au sein du Comité Parisien
de la Libération. Louise Losserand aide son mari
L’accessoire peut être associé à des actes de résistance contre le gouvernement ou l’occupant –
manifestation de bravoure ou simple contestation de l’ordre établi. Les sacs à double paroi ou à double fond
permettent de dissimuler tracts ou armes légères tandis que les valises cachent des émetteurs. Les aviateurs alliés
ne se défont jamais du foulard qu’ils portent autour du cou ; créé par les services de renseignement anglais, il
est imprimé d’une carte de France d’une très grande précision, qui leur permet de se déplacer au cours de leurs
missions en territoire occupé. L’attitude même de certaines Parisiennes, leur volonté farouche de rester élégantes
malgré les circonstances difficiles, apparaît comme un défi, une provocation adressée aux Allemands. La presse
féminine, reprenant le discours de Lucien Lelong, président de la Chambre syndicale de la couture parisienne,
incite sans cesse ses lectrices à prendre soin d’elles, à adapter leur garde-robe et leurs accessoires aux circonstances sans pour autant sacrifier l’élégance, maître mot de la période. Défendre l’image de Paris et de la couture
française internationalement renommée, tel est le devoir de chacune d’elles.
Au quotidien, malgré l’interdiction allemande, les Parisiennes arborent avec plus ou moins d’arrogance les couleurs
du drapeau national. Elles portent de petits boutons cocardes, assemblent divers accessoires qui forment ainsi les
couleurs françaises ou doublent le fond de leur sac d’un tissu à rayures bleu blanc rouge.
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• Foulard « carte imprimée », 1940-1944
Sergé de soie enduit et imprimé.
Galliera.
Sur une face est reproduite la carte au 1 : 1 000 000 du Nord de la France, d’une partie de la Belgique et des Pays-Bas ;
au dos, le sud de la France, la frontière espagnole et la Suisse. Créées à l’origine (1942) pour faciliter l’évasion en particulier
des équipages de la R.A.F opérant au dessus de l’Allemagne et des territoires occupés ; elles ont été largement distribuées
pour le jour J. Les cartes en soie (ou en popeline) sont de dimensions variables. Il a existé des dizaines de modèles différents
pour l’Europe, les Pays de l’Est, l’Extrême-Orient et le Moyen-Orient ; certains sont imprimés recto-verso. Certaines cartes
étaient faites sur papier de soie, d’autres sur soie artificielle imperméabilisée (Tenasco).
• Sac à double fond, 1940-1944
Cuir marron, fermoir en métal doré.
Musée de la Résistance Nationale de Champigny-sur-Marne.
Ce sac à main à double fond a appartenu à l’un des agents de liaison d’André Tollet, résistant syndicaliste, fondateur du Comité
parisien de la Libération.
• Broche aux deux masques de la Maison Mittler, 1940
Céramique émaillée, épingle et chaîne en métal.
Galliera.
Les deux visages représentés sur cette broche sont ceux d’un homme noir et, semble-t-il, d’Adolf Hitler.
• Mouchoir, 1943
Toile de coton, broderie en fil rouge et bleu « ESPOIR ».
Galliera.
• Boutons, 1940-1944
Céramique blanche à décor peint de fleurs rouges et bleues.
Galliera.
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La Libération de Paris
Enfin sonne l’heure de la Libération. À la suite des combats menés par les insurgés et la 2e DB du
Général Leclerc, soutenus par la 4e division américaine, les Allemands se rendent le 25 août 1944. Ils laissent derrière
eux un « Paris outragé, brisé, martyrisé mais Paris libéré », comme le proclame le Général de Gaulle dans la soirée, à
l’Hôtel de Ville. La foule émue est en liesse. Partout fleurissent les couleurs du drapeau français. Chacun confectionne
le petit accessoire symbole de fierté nationale et de liberté retrouvée ; des cocardes en tissu ou en bois peint, des
broches à décor de fleurs tricolores apparaissent aux revers des vestes ou des corsages. Le 26 août, lors du défilé
triomphal sur les Champs-Élysées, les jeunes femmes arborent des calots décorés des drapeaux français, américain,
anglais et soviétique. Des marchands ambulants proposent au tout-venant des breloques aux couleurs des alliés, des
cartes de France miniatures marquées du V de « victoire », des croix de Lorraine... Certains fabricants n’hésitent pas,
pour produire ces petits objets, à fondre les médailles à l’effigie du maréchal Pétain, le métal restant une matière
première rare et coûteuse. Au cours des mois suivant la Libération, les accessoires se font commémoratifs. Les
Parisiennes portent des broches jeep, avion ou char, des foulards évoquant les débarquements et les mouvements des
troupes sur le territoire français, des boutons ornés d’une croix de Lorraine ou d’un coq… L’oiseau libéré, s’opposant
à l’oiseau en cage de la période d’Occupation, apparaît sur les bijoux de Cartier, Van Cleef & Arpels ou encore sur une
écharpe de Jeanne Lanvin intitulée Liberté… Liberté chérie. Symbolique et commémoratif, l’accessoire est aussi
objet souvenir. Paris mon cœur, Paris sweet home, Souvenir de Paris… autant de messages qui s’inscrivent sur les
foulards, mouchoirs ou bijoux que les soldats américains pourront offrir à leur fiancée dès leur retour.
• Broches « Jeeps du Débarquement », 1944
Céramique émaillée marron et dorée, inscription « 6.6.44 ».
Galliera.
• Croix de Lorraine, août 1944
Métal peint, ruban tricolore. Inscription : 24 août 1944.
Mémorial Leclerc et de la Libération de Paris/Musée Jean Moulin.
• Écharpe « Liberté… Liberté chérie… » de Jeanne Lanvin, 1944
Satin de soie peint, motifs de cages ouvertes et d’oiseaux bleus et rouges, inscription « Liberté… Liberté chérie… ».
Galliera.
• Calot de la Libération aux couleurs américaines, françaises et anglaises, août 1944
Collection M. Guilhem Touratier.
• Insigne, 1944
Métal doré peint, décor des drapeaux des alliés (France, Belgique, Hollande, Royaume-Uni, États-Unis, URSS),
montés sur une chaînette dorée, épingle métallique.
Galliera.
• Sandale « Les Quatre Grands » de Di Mauro, 1944
Peau teintée, décor des drapeaux des quatre Alliés, semelle compensée en bois recouverte de matière synthétique.
Galliera.
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