marie noel

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marie noel
MARIE NOEL
Mademoiselle Marie-Mélanie ROUGET appelée, dans son enfance : Ménie.
Par Madame GUET
Ne vous attendez pas à une leçon de littérature magistrale, j’en suis incapable et ce n’est pas mon but.
« Je vais m’attacher à dresser un portrait de femme, plus que je n’évoquerai ses écrits », ce n’est pas de moi,
mais d’un conférencier, Serge MOREAU, venu à Joigny, le 17 février 2001, parler de « Marie Noël en sa
bonne ville d’Auxerre ».
Malheureusement, je n’ai pas pu y assister et je n’ai pas son adresse pour le contacter.
Moi, je veux vous parler de Mademoiselle Rouget, comme je l’ai connue...
Donc, née le 16 février 1883, elle était de 30 ans mon aînée.
Elle est venue à Diges en 1925 ; j’avais 12 ans, elle en avait 42.
Revenons à son enfance.
Elle est née Ruelle des Véens (on dit des Vents) dans une maison modeste, qu’elle a quittée elle avait un an.
Ses parents sont allés s’installer rue Saint Pierre en Château, dans un triangle entouré de la rue Lebeuf (que la
grand’mère appelait sur Saint Pancrace), la rue des Lombards et la rue Saint Pierre en Château.
La famille possédait tout le groupe de maisons et l’appelait : l’Ile.
Ayant acheté la maison en 1866, le grand-père Joseph Rouget, nous apprend Marie Noël, en avait fait
solennellement chasser le Diable à grands coups d’eau bénite et d’exorcismes pour rassurer les locataires qui la
louaient d’abord et ensuite refusaient de l’habiter dès qu’ils avaient oui-dire, en ville, le mal que chacun savait
d’elle.
C’était « la Maison du Diable » qui avait été habitée par Cantianille Bourdois, terrible diablesse dont la ville de
M. de Caylus garde encore le souvenir.
Abel Moreau dit : « une sibylle de chair et de sang, vouée au Diable dès sa quinzième année, avant de présider
une secte de Possédés » (extrait de la Neige qui brûle).
Ses parents étaient cousins germains.
La famille Rouget n’était pas d’Auxerre.
Le grand-père était meunier à Fontenelle, en Côte d’Or, non loin de Fontaine Française.
Mort jeune, il n’avait laissé qu’un fils, Joseph, qui s’était fait confiseur et qui, en 1846, épousa MarieThéodorine Barat.
Il avait acquis un fond d’épicerie à Auxerre, Place du Marché, sans doute de son patron.
Ils eurent 3 enfants, dont seul Louis, le père de Marie Noël, survécut.
Louis Rouget voulut d’abord faire l’Ecole des Beaux-Arts pour devenir architecte, ce sera toujours un manuel,
mais son épicier-confiseur de père l’entendit autrement et il dut aller à Paris au Collège Sainte-Barbe d’où il
suivait les cours du Lycée Louis le Grand.
Pas reçu à l’Ecole Normale Supérieure, rue d’Ulm, il fut quelques années plus tard licencié es-lettres et agrégé
de philosophie.
En 1870, il s’engage ; il est fait prisonnier, il s’évade. Il est repris, mis au cachot. La signature de la paix en fera
un homme libre.
En 1878, il épouse sa cousine germaine (fille d’un frère de sa mère), Emilie Barat, fille de Pierre Eugénie Barat,
entrepreneur à Auxerre, d’une famille de « compagnons de rivière ».
« Hommes de l’eau, hommes du vin, hommes de pierre » dit Raymond Escholier.
Les jeunes mariés partent en Languedoc, au Lycée de Cahors, où ils retrouveront le plus ancien camarade de
Louis à Sainte-Barbe, marié le même jour qu’eux, collègue au Lycée : Raphaël Périé, qui sera un personnage
très important dans la vie de Marie Noël.
Rappelé dans sa ville, avec insistance, par ses parents (les confiseurs), Louis Rouget leur sacrifia sa carrière.
En 1882, il revint à Auxerre pour occuper, au Collège, la chaire de philosophie.
Dans le même temps, au Lycée de Jeunes Filles, fondé récemment par Paul Bert, le petit-fils de Barat, le
constructeur, est le premier en France chargé d’un cours d’Histoire de l’Art, ce qui le ramènera à ses premiers
désirs.
Ils s’installent Ruelle des Véens, autrefois Ruelle des Vicomtes, je pense dans la maison qui fait face au lavoir
municipal, encore en usage dans les années 1960.
La petite Marie-Mélanie naît le 16 février 1883, le vendredi des Quatre temps de Carême, le jour le plus
pénitentiel de l’année. « C’est un signe » dit-elle et en effet, elle eut toujours de la peine pour manger tantôt sa
soupe, tantôt un délicieux poisson à la sauce aux câpres.
Elle arriva dans une chambre où des femmes avaient allumé un grand feu, mais elle ne s’éveilla pas vraiment à
la vie. Elle demeura longtemps « éveillée à demi, ainsi qu’une petite fille environnée de ciel absent, qui n’a pas
l’air tout à fait née… ». Mais, cinq mois plus tard, pour son baptême le 5 août, jour de la fête de Notre Dame des
Neiges, sa mère la trouvait gentille, « gentille et toute mignonne, grasse et bien réveillée ».
Raphaël Périé est son parrain.
Ensuite, ils emménagent rue Saint Pierre en Château.
Son frère, Henry, naît en 1884.
A trois ans, Marie Rouget était une toute petite fille blonde, très pâle, avec des mains toutes petites et de
longs, si longs cheveux qui lui couvraient les épaules et même un peu le dos, d’un blond cendré.
On lui coupa ces beaux cheveux à l’âge de cinq ans « pour l’aider à vivre ». Sa maman en garda une longue
mèche.
Elle portait alors un tablier à carreaux blancs et bleus, une pèlerine de flanelle bleu marine ornée de deux petits
rangs de galons blancs, une petite calotte ronde de laine bleue bouclée, de petits sabots noirs et des mitaines.
Encore aujourd’hui, il faut aller voir ce groupe d’habitations pour en comprendre la mélancolie, l’obscurité,
dominé par la haute silhouette de la cathédrale qui couvrait d’ombre le jardin et la cour.
La rue est toujours aussi étroite, encaissée de hauts murs et toujours « herbeuse ».
La petite Marie vivait là avec sa nourrice, une cuisinière : Jeanne Danton, des bonnes, une ravaudeuse :
Mademoiselle Alphonsine, ensuite une institutrice : Mademoiselle Ernestine Cherbuy (elle n’alla pas à l’école
primaire étant trop maladive), une maîtresse de piano : Mademoiselle Oberti. Elle devint une très bonne
musicienne.
Et puis, vivaient tout près : la grand-mère Rouget, sa grand-mère chanteuse qui, tout comme sa maman, chantait
tout le jour, et Jeanne Danton, la cuisinière qui lui racontait des histoires de loups, de brigands, de criminels en
plus.
Et le grand-père Rouget, plus distant, disait « ça rabâte », voulant attirer l’attention sur la venue du Père
Janvier ; son père, Louis Rouget, était sur le petit toit de la cuisine et lançait des oranges, des billes, vidait ses
mains pleines par la porte de ramonage, le feu ne brûlait rien.
Avec sa grand-mère, elle allait à la Cathédrale, par le portail sud (je suis allée faire une reconnaissance ; il est
magnifiquement sculpté).
L’enfant était bien avec le sacristain, avec les sœurs, mais pas bien avec les curés, surtout quand ils étaient en
soutane, en noir.
Les parents ne les recevaient pas chez eux.
Son petit frère, Pierre Rouget, est né en 1886 et enfin Eugène en 1892.
La voilà l’aînée de quatre enfants.
Un peu lassée des promenades avec les bonnes, sur les boulevards circulaires d’Auxerre, des visites chez les
vieilles parentes, ou encore des stations à l’église, surtout le Jour des Morts, dans la pénombre, apeurée par le
glas qui sonnait, elle rentrait parler à ses poupées ou chanter à la cuisine avec sa chère Jeanne.
A quatre ans, son père la jugeait une petite personne volontaire, pour ne pas dire capricieuse ; elle faisait
des colères terribles qui la rendaient malade.
« C’est une rusée dont la langue est singulièrement affilée. Ainsi elle s’en sert au point de fatiguer son monde.
Elle promet, la petite ! »
Et pourtant, Marie Noël ne sera jamais comme elle dit : « une femme ». Elle s’appelait « une vieille petite
fille ».
Voilà qu’elle prépare sa communion solennelle. Quel souci pour elle !
Elle doit d’abord écrire une longue confession. Elle en couvrira six pages de cahier et encore n’en a-t-elle pas
oublié ?
Mais, le plus pénible sera de s’agenouiller devant sa mère pour lui demander pardon de sa vie passée.
Elle le fera, après grande hésitation, en éclatant en pleurs.
Pour son père, ce fut plus facile ; il l’embrassa tout de suite.
Et bien sûr, le lendemain ce fut la joie de porter une belle, longue robe blanche, le chapelet de nacre, le livre
d’ivoire et, par dessus tout, le voile « comme une sainte du Paradis » auprès de Jeanne Folliet, sa sœur de
communion.
Se sentant en état de grâce, elle fait la folle prière de « mourir ».
En automne 1894, la famille quitta la rue Saint Pierre en Château pour venir s’installer au 27 rue
Milliaux, autrefois rue Valentin et changea de paroisse. Ce fut maintenant l’église Saint Pierre.
Avec les quatre enfants, il lui fallait se loger plus grandement.
Cette maison avait été construite par la famille Barat sur un chantier où le père Barat exerçait son négoce : il
construisait des bateaux sous l’égide de Saint Nicolas, patron des « hommes de l’eau » parent des Barat de
Joigny, de Jacques Barat, tonnelier et de sa fille Madeleine Sophie, Sainte Madeleine Barat, fondatrice de la
Société des Dames du Sacré-Cœur.
Il construisit cette maison en bordure de la rue ; elle s’ouvrait à l’intérieur sur cour et jardins très agréables, au
midi.
Une annexe, à gauche du portail, où vécut Marie Noël, a, je pense, servi de logement aux grands parents.
Dans la cour, Marie Noël raconte qu’on y organisait une distribution des prix fictive, avec Monsieur Rouget en
robe de professeur, les éducatrices, les bonnes, tous en grande toilette. On y préparait aussi les retraites
illuminées.
Son père se transformait en un animateur de kermesse et cavalcades, en un créateur de chars les plus
fantaisistes, consacrés tantôt au triomphe de la République, tantôt à l’apothéose de Bacchus.
Alexandre Dumas, candidat à la députation dans l’Yonne, après 48, en a fait un grand éloge. Une aubade était
jouée sous les fenêtres du Maître et une grande clameur s’élevait : « Vive Rouget ! Vive Rouget ! ».
La fillette ne vit pas dans un milieu confit en dévotion où M. le Curé a son couvert, voire où l’on subit plus ou
moins directement l’influence de tel ordre religieux. Elle vit dans une famille provinciale où les femmes sont de
bonnes chrétiennes, où le père professe un agnotisme respectueux, où le cher parrain est un mécréant.
Dans la ville de Paul Bert, mort en 1886, la dévotion est agressive et la laïcité a pour mot « à bas la calotte ».
Dans la famille Rouget, au contraire, l’Eglise et l’Université font bon ménage. « Dans ce vieil Auxerre, écrit
Marie Noël, tout respirait la morale sévère, la crainte de Dieu ». Elle emploie le « jansénisme ». Cette religion
n’a pas réjoui sa jeunesse ; elle l’a brimée.
Mais il semble que la petite Marie eut beaucoup de mal à s’acclimater à sa nouvelle maison, grande
bâtisse à la façade assez morose.
Dès sa treizième année, elle vit ses cheveux se ternir, son teint se décolorer, ses yeux perdre leur éclat.
Marie appartenait désormais à une nouvelle paroisse, paroisse de petits bourgeois, de petites gens, de
commerçants, d’ouvriers, de vignerons.
Par ailleurs, en vraie Bourguignonne, Marie ne bouda jamais pour prendre part aux vendanges.
De même, elle accompagnait sa grand-mère à un grand jardin situé au bout de la ville, rue des Rosoirs, allait en
vacances à Usy, à Villiers Nonains.
En somme, elle fut toujours fragile, clouée trop souvent à la chambre ; elle se replia sur elle-même, devint
farouche, vieillie avant l’heure.
Comment cela lui est-il arrivé ?
D’abord le père : homme infiniment cultivé, mais d’une sensibilité mesurée.
C’était un homme grand et sec, barbu, deux pointes grises au menton, le regard volontiers inquisiteur sous la
glace du lorgnon. « Toutes ses paroles étaient vraies, elles ne pouvaient tromper ni nous tromper quand elles
nous révélaient, l’un après l’autre, les étonnants secrets du monde ».
Homme de pure et haute conscience, pas religieux, mais moraliste à l’excès. Il ne supportait pas la fantaisie :
« tu brodes, enlève ce que tu brodes, tu verras ce qu’il en restera ».
Quand il la grondait, elle disait : « Je tremble, je tremble comme une souris qu’on va tuer ».
Il appelle sa fille « une passionnée » et se méfie de ce qui se cache dans son « arrière-boutique ».
Par ailleurs, très adroit travailleur manuel dans un atelier bien aménagé (les retraites illuminées).
La mère : jeune, on la dit si gaie, si active, si joyeuse, une jolie figure de la Vieille France.
Marie Noël pense qu’elle ne l’a pas dirigée dans ses pensées : « Elle avait bien trop de vie ailleurs, bonne
chrétienne comme il se doit, de la grand’ messe du dimanche à la morne mortification du Vendredi saint.
Encore pendant la grand’ messe où elle préférait arriver un peu en retard, poussait-elle des Oh ! et des Ah ! fort
peu étouffés quand l’éloquence du curé s’attardait dans l’homélie. Bien plus chèvre que brebis. Vous la voyez
d’ici. Je passe ».
Petite fille Marie Noël pleurait quand sa mère sortait et la laissait aux bonnes.
Une fois, elle a demandé à sa mère : « Tu veux m’embrasser ? ». Bien sûr, la mère l’embrassa, lui dit qu’elle
était bien gentille, mais cela ne se reproduit pas, dit-elle.
Elle a beaucoup manqué d’affection.
« La famille… grand péril pour les âmes fortes. Elle les plie à ses préjugés, à ses intérêts, à ses affections ; elle
les asphyxie, les stérilise à son profit ».
Servitudes de famille … elles commencent avec le bien de famille. « Parce que la famille avait du bien au
soleil…ces quelques bâtisses croulantes »
« Avant moi, la maison… et les autres maisons… les bien du passé qu’il faut garder en bon ordre.
Il y avait beaucoup de biens, beaucoup de bâtiments, de chambres, de meubles et de vieux linge chez nous. Et
aussi de l’argent. Avant moi, encore l’argent qu’il faut surveiller comme une troupe d’oies qui veulent se perdre
et que le renard guette ».
« Je ne me suis pas assez aimée. Toute ma vie a été de m’user, me raboter pour faire passer – difficilement –
mon chameau et ses bosses par le trou de l’aiguille bourgeoise, paroissiale et familiale ».
Je n’ai pas connu Louis Rouget, né en 1843, mort en 1923, mais j’ai bien connu Madame Rouget, née
Emilie Barat, née en 1852, mariée en 1878, décédée en 1941.
De cette union, quatre enfants devaient naître :
. Marie Mélanie en 1883 qui deviendra Marie Noël,
. Henri (1884 – 1971) dont je reparlerai, Pierre (1888 – 1941) qui sera avocat puis magistrat, homme de goût,
homme d’esprit, poète lui aussi : « Rimes sans raison », très nerveux je pense. Je l’ai vu un jour monter au
moins dix fois à la poste de Diges, voir s’il n’avait pas de télégramme lui apprenant qu’il avait le poste de Juge à
Orléans, et puis
. Eugène, né en 1892, mort à 12 ans, le 27 décembre 1904, mort que rien ne laissait prévoir, trouvé le matin
inanimé dans son lit.
« Maman a hurlé tout haut pendant des semaines … moi, je fus en danger de tout ».
Elle avait 20 ans.
Ses gros chagrins :
●
au lycée :
en 1895, Marie Noël est inscrite au Lycée Paul Bert, mais souvent malade elle ne le fréquentera assidûment que
de octobre 1897 à juillet 1900.
« J’étais si sauvage que je n’osais sortir de moi, pour aller vers les autres », d’ailleurs j’étais « gauchement
vêtue, aux paroles maladroites, au visage fermé ».
Pourtant, à seize ans, une parmi « les autres », Rachel, la première de la classe, la prit en vive amitié.
Marie Noël, exclusive, vécut mal cette camaraderie, et quand une surveillante, Melle Léa, « arriva du Nord » et
prit la place de Marie Noël dans le cœur de Rachel, celle-ci se sentit abandonnée et au désespoir.
Rachel tomba malade et pour la sauver Marie Rouget envoya une rose rouge à Léa, ce qui lui signifiait qu’elle
lui donnait Rachel. Quel sacrifice pour elle !
Rachel, guérie, obtint un poste de surveillante d’internat dans le Nord, sur l’intervention du Grand-père Rouget
qui connaissait un sénateur. Rachel mourut jeune dans une ville où elle était de passage.
Léa était loin. Marie Ménie prit le train. « J’arrivai – Il était temps – Alors, pour la première fois, je devins sa
seule amie. Je tins compagnie à sa mort ».
Bien triste tout cela.
●
Un amour contrarié :
Marie Noël a toujours été secrète sur ce sujet.
En ce temps-là, filles et garçons, on se mariait dans la famille.
Marie Noël est à l’âge de l’amour. La sève de printemps trouble une jeune fille moins d’accord avec la société et
les conventions qu’avec la nature.
Près d’elle, vit Julien Barat, le cousin germain, le compagnon de son enfance avec qui elle fait de la musique,
elle-même très bonne musicienne.
C’est lui qui l’initia à Mozart et à Verlaine. Elle a écrit qu’il lui murmurait à l’oreille des strophes de poésie qui
la ravissaient. Puis, Julien entreprit des recherches à travers les textes romans et gothiques sur la légende du
Saint Graal « et je le suivais pas là, attentive comme une fille d’église ».
Mais le jour de Noël 1904, il partit à Paris.
Raymond Escholier dit que la mère, qui lisait dans le cœur de sa fille, n’aurait pas pris au sérieux un rêve si
manifestement déraisonnable ; la situation des deux familles était trop inégale ; n’en parlons plus, n’est-ce pas ?
Marie Noël en parlera toute sa vie.
Julien Barat passa quelque temps à Bonn, comme lecteur de l’Université. Il y connut une jeune fille venue de
Livonie. Il l’épousa en 1908 à Riga.
Revenus en France, ils furent bien accueillis par la famille Rouget. Ils eurent une petite fille en 1910,
Madeleine, dont Marie Noël fut la marraine.
A Pâques de la même année, il fut délégué comme censeur au collège de Blois, près des Périé.
Marie Noël le retrouva donc en 1910 et 1911.
En 1910, il lut dans la Revue des Deux Mondes des poèmes signés Marie Noël, « il se rétracta comme effleuré
d’une épine. On eut du mal à lui faire accepter cette étrangère, Marie Noël, qui venait sans crier gare, de se
substituer à la Marie Rouget de la famille ».Il était déjà malade. Il mourut le 3 mai 1928 dans une clinique de
Grenoble ; il fut ramené à Auxerre. Marie Noël lui apporta un petit bouquet bleu de scilles sauvages.
Au grand regret de notre poétesse, il n’a jamais chanté ses Chants Sauvages en duo avec elle « Je ne m’en suis
jamais consolée ».
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Autre déception :
Inquiète de l’état de santé de sa petite-fille, la mère-grand lui avait laissé une somme pour lui permettre d’aller
se reposer dans le midi.
En janvier 1912, Le Cannet fut choisi. Le parrain Périé et sa femme y étaient. Un médecin la soigna très bien.
Malheureusement, l’âme fut aussi malade que le corps. Quand Marie s’installa chez ses amis, elle dut bien
reconnaître qu’elle était « remplacée ». Une jeune Américaine, Daisie, savourait l’affection chaleureuse que lui
avait témoignée tout de suite Raphaël Périé, un peu ébloui par cette jeunesse en fleur.
Madame Périé, sa bonne marraine, lui dit un jour qu’il fallait prendre les hommes comme ils sont, qu’elle-même
avait dû accepter du sien ses emballements, ses successives jeunes filles favorites. Marie Noël parut raisonnable,
mais tellement malheureuse !
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La mort de sa Grand-mère :
En novembre 1911, meurt sa grand-mère paternelle, Marie-Théodorine Barat, devenue Madame Rouget, fille de
Madame Pierre Barat née Marie-Catherine Tafaille, originaire de la Creuse. C’était sa grand-mère chanteuse.
C’est à elle que Marie Noël doit beaucoup de son inspiration.
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Le décès du petit frère :
Eugène meurt à 12 ans, le 27 décembre 1904. Son père en 1923.
Que de deuils entre 1883 et 1923 !
Quand on sait comment on portait le deuil en ce temps-là, quelle jeunesse ! à faire de la musique, de la lecture,
mais aussi de la couture, du tricot, des châles pour les pauvres.
Je l’ai connue ainsi en 1925.
Elle avait essayé un séjour à Vézelay où elle croyait enfin avoir « sa maison » mais le climat, le vent surtout, la
rendit malade.
Une famille, M. et Mme Lecourieux et leurs deux enfants, avait acheté l’importante maison à côté de chez ma
mère, autrefois maison d’instituteurs.
Ils faisaient « pension de famille ».
Madame Rouget et sa fille Marie sont arrivées en noir et en bleu marine. Madame Rouget commandait et Marie
obéissait.
Un jour, les Lecourieux ont décidé de quitter Diges. Ils ont prit un commerce d’épicerie rue Milliaux à Auxerre.
Alors, les dames Rouget ont loué la maison à l’année et y sont venues passer l’été avec leur bonne :
Mademoiselle Madeleine.
Plus tard, la maison a été vendue et Marie Rouget venait seule chez une Dame aux Jolivets, d’abord près du
jardin de Maman, puis en haut du pays, dans une modeste maison.
Au temps de Madame Rouget, elles recevaient Henry Rouget qui arrivait d’Alençon, je crois, dans une vieille
auto avec laquelle il faisait des tournées d’épicier, marchand de fruits et légumes.
Madame Rouget n’en était pas très fière.
Il avait deux filles qui se marièrent après le retour de la famille à Auxerre.
L’une était Madame Chambault, la maman de Danielle Chambault.
La grand-mère trouvait ses petites-filles bien coquettes parce qu’elles soignaient bien leurs ongles.
Cette bourgeoise disait aussi qu’il n’y avait plus qu’elle à Auxerre pour savoir dresser une bonne….
Et Mademoiselle Madeleine était dressée !
Le vendredi, on faisait le ménage à fond ; le samedi, de la cuisine et le dimanche, toutes les trois, à l’Eglise,
allaient à la messe et aux vêpres.
Mademoiselle Rouget, comme elle voulait qu’on l’appelle, me conseillait pour mes lectures : Le merveilleux
voyage de Nils Holgerssen de Selma Lagerlof, puis l’hebdomadaire « Femmes d’aujourd’hui ».
Nous étions devenues très amies aussi, en 1939, mon mari étant rappelé à la guerre, elle apprit que des troupes
arrivaient à Auxerre. Elle savait qu’elle allait avoir à loger des officiers avec des billets de logement. Elle
s’affolait de prendre le car. Je lui ai proposé d’aller avec elle ; elle était soulagée. Nous avons fait une dizaine de
lits ; la maison était grande et, à la fin, elle m’a demandé de l’aider à cacher l’argenterie ; j’ai voulu m’éloigner,
mais rien à faire. Nous l’avons mise dans des paniers à linge, au milieu de draps, de serviettes ; je ne sais pas si
la cachette était sûre.
Elle rêvait d’une maison à elle : « j’ai habité chez mon père, une maison, des chambres – ma maison de
naissance – et d’autres ; je n’ai jamais eu de maison mienne. Et toute ma vie, j’ai cherché autre part ma maison à
moi. J’ai rêvé d’un château de contes de fées, puis, un peu plus tard, je trouvai la terre et j’inventai la réelle
maison d’une femme vraie. Je la connaissais ; je l’avais presque vue. Elle n’était ni riche, ni grande et donnait
sur une pauvre rue, mais elle avait un petit jardin. Je savais comment les meubles étaient rangés dans les
chambres ; je le dérangeais et les rangeais encore. Je savais où était la corbeille des bas à repriser. J’attendis ; les
ans passèrent et je m’en irai d’ici sans savoir ce qu’était une demeure humaine ».
Avec la guerre, elle devint très pauvre.
J’aime ce livre car, à trente ans de distance, j’y retrouve l’histoire de mon enfance.
Née chétive, souvent malade, surtout après la coqueluche et de nombreuses bronchites, j’avais
heureusement une bonne grand-mère et un oncle pour me dorloter.
Après le décès de mon père, à trois ans, je n’ai, comme elle, jamais joué dans la rue, perdu très vite en
jouant au ballon, jamais su sauter à la corde.
Je voyais très peu et, quand j’ai porté des lunettes, les autres enfants se moquaient de moi.
Ma famille, comme la sienne, sans être particulièrement pratiquante, allait à l’église les jours de fêtes
carillonnées et j’ai fait ma première communion en robe blanche.
Le père Janvier venait par la cheminée mais .. quand je dormais. Et quelle sagesse !
Et maintenant, il nous faut lire « le Cru d’Auxerre » écrit fin 1967.
Il est émouvant de constater que le dernier livre publié par le poète est ce recueil dédié « Aux
vieux Auxerrois pour qu’ils se souviennent ».
Pour qu’ils se souviennent du temps des vendanges « Je fus petite vendangeuse de 8 à 13 ans dans les
vignes de mon père ».
Pour qu’ils se souviennent de ce petit monde d’autrefois où leurs grands-parents jouaient la Passion, où
leurs arrière grands-parents construisaient, avec le Professeur Rouget, les chars merveilleux des
« retraites illuminées » qui faisaient le tour de la ville sous le ciel étoilé d’une nuit d’été.
Et aussi, des jours sombres de l’invasion, de l’occupation d’ « Auxerre en cave ».
Ma première route disparue depuis plus de quatre-vingts ans ; je l’avais presque oubliée quand, cette
semaine, je perdis en pleine ingrate réalité… la lumière de mon escalier.
J’appelle un électricien. Il se fait attendre – il arrive – je l’accueille avec allégresse.
C’est un homme d’âge. Il travaille avec science et minutie. Il va s’en aller.
Je lui offre une petite gratification.
- « Pas la peine !
- mais si, vous m’avez fait plaisir. J’aimerais vous faire plaisir aussi … »
Et le voilà qui continue :
« J’ai lu dans Petit-Jour – si les électriciens se mettent à lire Petit-Jour !!! – que vous n’aviez jamais pu
où retrouver votre première route de Sermizelles à Usy.
Je la connais, moi, cette route, je sais où elle passe ».
De Sermizelles à Usy, c’est le chemin le plus court, le plus droit, le plus dur : Sermizelles, Givry,
Domecy-sur-le-Vault où il monte à l’étroit entre de hauts talus qui, à une petite de trois ans ont semblé
peut-être plus hauts encore…
Ah ! c’est elle, c’est bien elle, ma route perdue entre les parois de cette muraille calcaire qu’on aperçoit
de la vallée aux abords roides et secs de Tharoiseau.
C’est bien elle, ma route retrouvée après quatre-vingts ans d’oubli.
J’en rêve. Je voudrais l’aller voir tandis que je suis encore en ce monde.
Aller ? c’est tout simple.
Voir ? Impossible. Trop tard.
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