Dialogue avec les bouddhistes de Chine continentale
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Dialogue avec les bouddhistes de Chine continentale
CHINE Dialogue avec les bouddhistes de Chine continentale Un récit du P. Christian Cochini, S.J. Le père Christian Cochini est un jésuite, français d’origine, qui fait partie de la Province de Chine. C’est aussi un octogénaire qui, comme beaucoup de jésuites de son âge, n’a pas jugé bon de « prendre sa retraite ». Tout le temps qu’il le pourra, il sera au service de la mission de la Compagnie de Jésus, au service de l’Église, au service du Royaume. Il est basé à Hong Kong et son intérêt principal, depuis plusieurs années, s’inscrit dans le cadre des grandes priorités des jésuites : le dialogue interreligieux. Dans son cas, il s’agit du dialogue avec les bouddhistes. LE PÈRE COCHINI AVEC LE VÉNÉRABLE XUE CHENG. Le 14 juillet 2010, jour de la fête nationale de la République française, je me trouve à Pékin. Je me rappelle alors que, 60 ans plus tôt, je paradais sur les Champs-Élysées. Jeune officier de réserve, gants blancs et arme à la ceinture, je défilais fièrement à la tête de mon peloton d’infanterie coloniale. L’octo-génaire que je suis devenu, cheveux grisonnants, fait aujourd’hui face à un auditoire de moines bouddhistes dans un des principaux monastères de la capitale chinoise. Le Vénérable Xue Cheng, abbé du Longquan Si (le Temple de la Source du Dragon), qui m’a fait l’honneur de m’inviter, est vice-président et secrétaire général de l’Association bouddhiste de Chine; il est aussi prieur de quatre grands monastères. Je le connaissais depuis longtemps de réputation, car il est l’un des leaders bouddhistes les plus en vue et son nom apparaît fréquemment dans les médias. Âgé de 44 ans, il fut, à 23 ans, le plus jeune prieur de Chine. Cherchant l’occasion de le rencontrer, il me vint un jour à l’esprit de lui offrir un exemplaire de mon « Guide to Buddhist Temples of China », édité par l’Institut Ricci de Macao. Me trouvant dans la province du Fujian, je fis un voyage à Putian pour aller au Guanghua Si (le temple de la transformation universelle) que je savais être dirigé par le Vénérable Xue Cheng. Il était absent, retenu à Pékin par ses obligations, mais le jeune moine chargé de la réception me promit aimablement de lui faire parvenir mon livre ainsi que la lettre en chinois que je joignis pour expliquer ma démarche. Quelque peu sceptique, je me préparais à une longue attente. Mais quelle ne fut pas ma surprise de recevoir de Pékin, moins d’une semaine plus tard, un coup de téléphone! L’assistant du Vénérable Xue Cheng me remerciait de sa part de l’envoi de mon livre, et m’assurait que leur Abbé serait très heureux de me rencontrer! Avec une joie non dissimulée, j’acceptais le rendez-vous qu’il me proposa, mi-juillet, dans la capitale. Arrivé à Beijing, je m’attendais à une brève réception semi-formelle au siège de l’Association bouddhiste, sise au Guangji, au centre-ville. Quelques minutes d’entretien avec le haut responsable qu’est le Vénérable Xue Cheng aurait déjà été une marque de courtoisie appréciable. Un courriel de son assistant, reçu le 13 juillet, m’informa cependant que j’étais attendu le lendemain au Longquan Si, invité à déjeuner avec le prieur, et que celui-ci comptait sur moi pour donner une conférence à la communauté! J’avais tout prévu, sauf de devoir improviser une causerie en mandarin à plus de trois cents moines et fidèles bouddhistes! Me voilà donc, en ce 14 juillet, dans le grand auditorium du Longquan Si, un ancien monastère récemment rénové, qui, par ses nombreuses activités dans le domaine social, et son engagement dans la vie de la nation, CONFÉRENCE DU P. COCHINI AU TEMPLE DE LA SOURCE DU DRAGON (PÉKIN). 16 Comment ai-je pu, pendant une heure entière, capter l’attention d’un public aussi différent de nos paroissiens du dimanche, et ce sans aucune note sous les yeux ? J’en suis encore à me le demander, n’ayant d’autre réponse que la certitude d’avoir bénéficié d’une grâce spéciale du Seigneur. Le fait est que j’ai eu droit à de chaleureux applaudissements, et, dès le lendemain, à la publication inextenso de mon texte chinois sur le site internet du temple, signe encore plus certain que j’avais bien passé la rampe. Voici un bref résumé de ce que j’ai dit ce jour-là : « Mon intérêt pour le bouddhisme date de longtemps. Dès 1961, pendant mes études du chinois à Taïwan, j’ai en effet pu réaliser l’importance du bouddhisme en Chine. Plus tard, pendant mes années d’enseignement en Chine continentale, j’ai visité de nombreux temples. À partir de 2003, avec l’aide de l’Institut Ricci de Macao, j’ai mené une enquête générale des monastères de la nationalité Han pour aider les Occidentaux à mieux apprécier et comprendre le bouddhisme chinois. J’ai visité 157 temples. L’accueil amical reçu partout m’a beaucoup encouragé. Les éditions française et anglaise de mon ouvrage ont été publiées respectivement en 2008 et 2009. Je ne suis pas bouddhiste mais prêtre catholique depuis plus de 50 ans. Il y a des différences entre nos deux religions, mais j’ai une grande estime pour la morale bouddhiste, très élevée. Mon enquête m’a fait réaliser à quel point le bouddhisme est une composante intégrale de la culture chinoise. Des cinq grandes religions de Chine, le bouddhisme est manifestement la plus importante. Taixu, le grand réformateur du bouddhisme chinois, disait qu’il avait un rêve, celui de voir toutes les civilisations, anciennes et nouvelles, occidentales et orientales, fusionner dans une civilisation mondiale. Or, la culture chinoise joue aujourd’hui un grand rôle CHINE exemplifie de façon typique le « bouddhisme humaniste » de l’époque moderne. À 13 h 30, sur un podium garni de fleurs fraîches, je deviens aussitôt le point de mire de l’assistance, curieuse de dévisager ce prêtre catholique français que vient de leur présenter en termes très amicaux leur vénéré prieur. LE VÉV. XUE CHENG OFFRE SA COLLECTION DE BLOGUES (8 VOLUMES). ENCORE DURANT L’ÉCHANGE DE PRÉSENTS. dans l’édification de cette culture mondiale. Et donc le bouddhisme, qui en est une part inséparable, peut aider à surmonter les crises mondiales actuelles et à bâtir une civilisation nouvelle. Vous, Vénérable Xue Cheng, vous avez écrit beaucoup d’articles. En 2005, après le séisme d’Indonésie, vous avez prononcé à Jakarta une conférence intitulée : « Que le monde, grâce au pluralisme religieux, soit plus harmonieux et plus beau ». C’est remarquable. Vous n’avez pas dit : « grâce au bouddhisme », mais « grâce au pluralisme religieux ». Il faut que toutes les religions concourent ensemble à l’harmonie et à la paix du monde. Le christianisme est, en Occident, la religion la plus répandue ; le bouddhisme est, en Asie, la religion la plus marquante. Nous devons nous respecter mutuellement, dialoguer amicalement et collaborer pour un monde meilleur. Vous dites souvent : 17 « L’harmonie de la société commence par un changement des cœurs » ; j’aimerais dire aussi : « Le dialogue interreligieux commence par l’amitié », car l’amitié chasse les malentendus, les préjugés, et tout ce qui empêche de se comprendre. C’est pour vous manifester mon amitié que je suis venu vous voir. Chaque religion, au cours de son histoire, a commis des erreurs. Le christianisme aussi. En réalité, les erreurs ne sont pas dues à la religion elle-même mais aux hommes. En 1962, l’Église catholique a réuni un grand concile, pour étudier les problèmes du monde moderne ; elle a changé son attitude par rapport à beaucoup de choses, en particulier par rapport aux autres religions, et a adopté une attitude très « ouverte ». Il faut que nous soyons « ouverts » mutuellement, pour la paix et le progrès de la société mondiale. Je suis très heureux d’être parmi vous, et je remercie profondément le Vénérable Xue Cheng de son CHINE d’Études bouddhistes féminin de Wutaishan. VUE GÉNÉRALE DE LA VALLÉE DE WUTAISHAN ET DU PUSHOU SI. invitation. Quand je lui ai écrit, il y a quelque temps, j’avoue que je ne m’attendais pas à ce qu’il me dise : « Venez! », ni à un accueil aussi cordial. De tout cœur, merci. Soyez sûrs que je prierai pour vous tous, pour votre bonheur! » Je garderai longtemps le souvenir de ce 14 juillet 2010, à Pékin, dans ce grand monastère bouddhiste. Le prieur m’offrit une série de huit volumes de ses « blogues » qui renferment quantité d’informations passionnantes sur le bouddhisme. Je lui ai en échange modestement offert une de mes calligraphies du « soutra du cœur » qu’il a acceptée avec plaisir. Au moment de partir, il m’a accompagné jusqu’à la porte du monastère et a attendu le départ de la voiture qui me ramenait au centre-ville. J’ai toujours devant les yeux son grand sourire et les signes d’amitié des jeunes moines qui l’entouraient. Une dernière marque d’attention, qui me toucha beaucoup, me montra une fois de plus la sincérité de leurs sentiments à mon égard. J’étais venu à Pékin avec l’intention de visiter plusieurs temples dont le Da’an Si (le temple de la grande paix), un majestueux édifice récemment construit à 50 km au sud-est de la capitale, dans une direction diamétralement opposée au Longquan Si. Ne sachant comment m’y rendre, je me renseignai par téléphone auprès de l’assistant du Vénérable Xue Cheng qui m’indiqua aussitôt les moyens de transport les plus commodes. Puis, quelques minutes plus tard, mon cellulaire sonna : « Ne vous inquiétez pas! On viendra vous chercher chez vous, et on vous accompagnera en voiture au Da’an Si! ». Comment décrire la joie que me causa cette offre, moins pour le service appréciable qui m’était ainsi rendu que pour l’amitié de ces bouddhistes du Longquan Si. Le jeune moine qui me conduisit au temple, deux jours plus tard, fit un aller-retour de plus de 200 km! « Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils fassent pour vous! » Mes amis bouddhistes me réapprirent à leur façon, ce jour-là, cette parole de l’Évangile. Quelques jours plus tard, je prenais le bus pour Wutaishan, une des quatre montagnes sacrées du bouddhisme chinois, au nord de la province du Shanxi. Dédiée au bodhisattva Mansjuri, symbole de la sagesse, elle compte plus de 120 monastères répartis dans une pittoresque vallée et sur les cinq sommets qui l’entourent. Je connaissais Wutaishan pour l’avoir visitée plusieurs fois, et y retournais surtout pour rendre visite à l’abbesse du Pushou Si, siège de l’Institut AVEC L’ABBESSE DU MONASTÈRE DE PUSHOU SI. 18 La Vénérable Ru Rui, co-fondatrice et directrice de l’institut, est connue pour son œuvre dans le domaine de la formation religieuse et pour son action sociale en faveur des enfants pauvres et des personnes âgées. Une association suisse l’avait sélectionnée parmi les candidates au Prix Nobel qu’elle avait proposées en 2005 à la célèbre institution scandinave. J’avais rencontré la Vénérable Ru Rui il y a cinq ans, et son accueil chaleureux m’avait laissé un profond souvenir. De retour à Wutaishan, ma première visite fut donc pour le Pushou Si, où l’abbesse m’accueillit une fois encore avec beaucoup de cordialité : « Revenez demain après-midi, me dit-elle avec le sourire, vous ferez une conférence à notre communauté! ». Une invitation qui m’étonna fort, car je connaissais les règlements stricts qui régissent les communautés féminines bouddhistes. La Vénérable Ru Rui, elle aussi viceprésidente de l’Association bouddhiste de Chine, avait-elle été encouragée par l’exemple de son collègue du Longquan Si, à Pékin ? Je ne pouvais, quant à moi, que rendre grâce au Ciel pour cette occasion inespérée de dialogue avec des étudiantes bouddhistes. Le lendemain après-midi, donc, j’étais bien entendu à l’heure au rendez-vous. L’abbesse me conduisit dans un grand hall, où étaient déjà rassemblées plus de 300 jeunes bikkhunis (nonnes), en robe grise, réparties en deux groupes de chaque côté de la salle. Au milieu, assis sur des coussins à même le sol, devant un micro, j’avais CHINE à mes côtés l’abbesse qui, après m’avoir aimablement présenté, me donna la parole. Comme à Pékin huit jours plus tôt, je commençai par décrire mon intérêt pour le bouddhisme, puis parlai longuement de la nécessité de développer des relations amicales entre les religions, notamment entre le bouddhisme et le christianisme, en vue de contribuer à l’harmonie de la société et à la paix mondiale. Face à cet auditoire féminin, j’insistais aussi sur le rôle de premier plan que les femmes étaient appelées à jouer aujourd’hui dans la société moderne, et sur l’importance de la formation que ces jeunes bouddhistes recevaient aujourd’hui dans leur institut. « Ne vous découragez pas devant les difficultés, et visez toujours plus haut! » « Vous avez une mission à remplir en tant que femmes, car nous ne sommes plus dans une société dominée par les hommes, mais dans une société où hommes et femmes sont à parts égales. ». Je pouvais lire sur leurs visages que mes paroles sonnaient juste à leurs oreilles. « Je suis célibataire, donc pas marié (ce qui fit rire mon auditoire!), et je considère les femmes comme mes sœurs. L’harmonie commence par le cœur, c’est-à-dire le cœur de tous, bouddhistes, chrétiens et autres, tous unis par le même idéal et le même amour… » La vénérable Ru Rui approuva, puis prit la parole, à la fin de ma causerie, pour souligner l’urgence de l’union des cœurs dans notre monde devenu de plus en plus petit grâce aux moyens de communication. Elle invita ensuite celles qui le voulaient à poser des questions. Il y en eut plusieurs. Je me souviens en particulier de l’une d’entre elles qui me demandait comment nous, chrétiens, faisions pour propager notre foi. J’en profitais pour parler, entre autres, des grands missionnaires que furent saint François Xavier – encore assez peu connu en Chine – et Matteo Ricci dont elles avaient par contre souvent entendu parler. Je me réjouissais de pouvoir ainsi partager ma foi avec ces jeunes bouddhistes, en espérant que l’avenir me réserverait d’autres occasions semblables et peutêtre des échanges encore plus fructueux. En Chine, tout finit par des photos! J’eus l’aimable et exceptionnelle permission de l’abbesse de photographier cette sympathique assemblée de bikkhunis, qui m’assurèrent avec grands LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE FÉMININE DE L’INSTITUT D’ÉTUDES BOUDDHISTES DE WUTAISHAN. AU REVOIR! sourires de leur amitié et à qui je promis de prier pour le succès de leurs études. L’abbesse me raccompagna elle-même jusqu’au hall de réception du monastère et demanda à une de ses jeunes assistantes de me donner les coordonnées de leur institut annexe de Taiyuan, où une autre communauté de plusieurs centaines de bikkhunis faisaient leurs études, m’invitant à aller aussi leur rendre visite. C’était là une nouvelle marque de confiance de la part de cette formatrice remarquable, dont l’estime et l’amitié restent le meilleur souvenir de ce voyage à Wutaishan, et dont le nom, avec celui de plusieurs autres moines et nonnes 19 de Chine, est désormais sur ma liste d’intentions de prières quotidiennes. La Vénérable Ru Rui ajouta à la toute fin : « L’an prochain, en août ou en septembre, aura lieu l’inauguration du grand hall de notre nouveau monastère. Vous viendrez, n’est-ce pas? » « Oui, bien sûr!... » si Dieu me prête vie, ajoutai-je en silence… On peut communiquer avec le P. Cochini à [email protected]