Viticulteurs, pensez à protéger vos packagings

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Viticulteurs, pensez à protéger vos packagings
Viticulteurs, pensez à protéger vos packagings !
Le packaging viticole constitue aujourd’hui un véritable outil mercatique de
différenciation et de valorisation. Il permet, en effet, d’attirer l’attention des
consommateurs dans les linéaires, de véhiculer un message promotionnel, de susciter
l’acte d’achat et de fidéliser une clientèle.
C’est dire si le packaging est devenu un enjeu majeur pour les opérateurs viticoles dans
la conquête et la conservation de parts de marché.
La conception d’un nouveau packaging requiert des investissements humains et
financiers conséquents, lesquels doivent, pour être valorisés et rentabilisés, faire l’objet
de mesures de protection afin de les mettre à l’abri de toute atteinte concurrentielle.
Comme tout produit à succès, un nouveau packaging ne laissera pas indifférent les
concurrents qui n’hésiteront pas à s’en approcher, voire à le copier, surtout si le créateur
n’a pas pris les précautions minimales pour assurer la protection effective de ses droits.
Plusieurs modes de protection peuvent concourir, de manière alternative ou
complémentaire, à l’acquisition de droits sur un nouveau packaging. Le choix entre ces
différents outils juridiques dépendra de nombreux critères, tels que le montant de
l’investissement consacré à l’étude et à la réalisation du packaging, le degré de
différenciation avec ceux de la concurrence, la durée de vie escomptée ou encore la taille
du marché ciblé, pour ne citer qu’eux…
Aussi étonnant que cela puisse paraître, un nouveau packaging confère, du seul fait de
sa création et/ou de sa divulgation, une protection spontanée au bénéfice de son
créateur sur le territoire de l’Union européenne, avec certaines spécificités pour la
France.
Encore faut-il le savoir, car bon nombre d’opérateurs semblent méconnaître l’existence
même des droits dont ils disposent sur leurs packagings.
Au-delà des frontières intracommunautaires, la protection du packaging devient plus
délicate et nécessite de la part des opérateurs des démarches actives, sujettes à un strict
respect de délais.
I.
Protection spontanée du packaging
Au sein de l’Union européenne, les concepteurs de packagings jouissent, sous conditions,
d’une protection spontanée sur ces derniers et ce, sans la moindre formalité et donc sans
aucun coût.
A. Par le droit d’auteur français
En France, un nouveau packaging, s’il est empreint d’originalité, sera protégé par le droit
d'auteur, indépendamment de toute divulgation au public.
Cette simplicité de protection a toutefois son revers étant donné que, dans la pratique,
l’opérateur peut rencontrer de sérieuses difficultés à justifier de la paternité et de la date
de création de son packaging.
Philippe Rodhain – Conseil en propriété industrielle
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Pour prévenir ce type de difficulté, il est vivement recommandé, préalablement à toute
divulgation, de se ménager des preuves de création.
Parmi ces moyens de preuve figure la fameuse enveloppe Soleau qui devra être déposée
à l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), lequel la conservera pour une
période de cinq ans, renouvelable une fois. Il sera ainsi possible de loger une ou
plusieurs représentations du packaging dans les deux compartiments de l’enveloppe,
laquelle pourra être ouverte, en cas de litige, devant une juridiction. C’est un moyen de
preuve simple et peu coûteux (15 euros l’unité). Soulignons cependant que l’enveloppe
Soleau ne constitue pas un titre de propriété industrielle. Il n’en découle donc aucune
protection directe.
D'autres procédés probants existent, tels que le constat d'huissier, le dépôt chez un
notaire ou encore le dépôt d’un dessin ou modèle. Ils sont tout aussi efficaces, mais plus
onéreux. Certains d’entre eux sont juridiquement fragiles (donc à éviter) comme, par
exemple, l’envoi d’un recommandé à soi-même dont l’inviolabilité de l’enveloppe est
souvent contestée avec succès sur le terrain judiciaire.
Par ailleurs, il est courant que la conception d’un nouveau packaging soit confiée à des
prestataires extérieurs (sous-traitants créatifs, illustrateurs, photographes, etc.). En
pareils cas, il importera à l’opérateur de s’assurer, idéalement par voie contractuelle, que
l’ensemble des droits d’auteur cessibles sur ce packaging lui a été dûment transféré.
B. Par le dessin ou modèle communautaire non enregistré
Au-delà du droit d’auteur français, la législation communautaire a innové en instaurant,
depuis le 6 mars 2002, un régime de protection sans dépôt pour les créations divulguées
pour la première fois dans l’un quelconque des vingt-huit États membres de l’Union
européenne.
Il s’agit des dessins ou modèles communautaires non enregistrés, lesquels sont protégés
pour une période de trois ans à compter de la date à laquelle ceux-ci ont été divulgués
au public pour la première fois au sein de l’Union européenne. Ils confèrent à leurs
titulaires le droit d'en interdire toute copie.
Cette forme de protection facile à obtenir présente néanmoins certaines faiblesses car,
en cas de contentieux, le titulaire devra justifier du lieu et de la date de première
divulgation (publicité, commercialisation, exposition dans une foire...) et du fait que son
dessin ou modèle est le même que celui qui a été divulgué. Là encore, la conservation
dès l’origine de toutes les preuves de la création et de la divulgation du packaging sera
déterminante pour la défense des droits y attachés.
Cette protection est davantage adaptée aux produits qui se renouvellent fréquemment et
qui ne nécessitent donc qu'une protection limitée dans le temps. S’agissant des
packagings viticoles ayant une durée de vie relativement longue et impliquant, le plus
souvent, de lourds investissements financiers, ce mode de protection se révèlera, la
plupart du temps, insuffisant pour assurer un retour sur investissement.
Aussi, présente-t-elle l’intérêt essentiel de pouvoir tester, sur quelques mois, la valeur
commerciale d’un nouveau packaging viticole, avant de procéder, le cas échéant, à des
démarches de protection renforcée.
Philippe Rodhain – Conseil en propriété industrielle
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C. Par le droit d’auteur international
Si les créateurs peuvent bénéficier d’une protection spontanée en France et au sein de
l’Union européenne sur leurs packagings, l’internationalisation du droit d’auteur reste
encore un sujet relativement flou, car aucun consensus ne s’est, à ce jour, dégagé.
En effet, la protection des œuvres est fortement marquée par la dichotomie « droit
d’auteur vs. copyright », même si la Convention de Berne du 9 septembre 1886 tend à
réduire les disparités d’un État à l’autre dans la mise en œuvre de la protection des droits
des créateurs.
L’objectif affiché de cette Convention est d'aider les ressortissants des États membres à
obtenir une protection internationale de leurs droits d’auteur, d'exercer un contrôle sur
l'utilisation de leurs œuvres originales et de percevoir une rémunération à cet égard.
Mais dans la pratique, l’application des dispositions de la Convention de Berne s’avère
bien périlleuse. En effet, l’octroi de protection d’une œuvre dans un de ses États
membres n’emporte pas nécessairement protection dans un autre États membre. Tout au
plus, celle-ci garantit aux ressortissants des États membres de pouvoir bénéficier dans
un autre État membre d’une protection identique à celle qui serait octroyée à un national
dans les mêmes conditions.
En définitive, la complexité du droit international en matière de droit d'auteur et le risque
de ne pas être protégé dans un pays imposent de recourir au droit spécifique des dessins
ou modèles déposés afin d'être protégé efficacement au plan international, le droit
international des dessins ou modèles étant moins rigide que le droit d'auteur
international.
II.
Protection renforcée du packaging
Le renforcement des droits sur un packaging passe nécessairement par des démarches
actives auprès des Offices des territoires concernés.
A. Par le droit spécifique des dessins ou modèles français
En France, il est possible de faire enregistrer auprès de l’INPI un dessin ou modèle
conférant ainsi à son titulaire un monopole d’exploitation sur le territoire national, pour
une période initiale de cinq ans, prorogeable par tranches de même durée, jusqu’à vingtcinq ans.
Pour être protégeable, le dessin ou modèle doit être nouveau et avoir un caractère
propre.
Un dessin ou modèle est nouveau si, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement,
aucun dessin ou modèle identique ou quasi-identique n’a été divulgué.
Un dessin ou modèle présente un caractère propre lorsqu’il suscite chez l’observateur
averti une impression visuelle d’ensemble qui diffère de celle produite par les dessins ou
modèles antérieurs. Autrement dit, l’impression de déjà-vu exclut le caractère propre.
Philippe Rodhain – Conseil en propriété industrielle
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Une fois le dessin ou le modèle enregistré, le titulaire est le seul à pouvoir utiliser et à
tirer un bénéfice de sa création. Il peut ainsi se défendre à l’encontre de tout fait de
contrefaçon par reproduction, mais aussi par imitation.
Toutefois, l’enregistrement d’un dessin ou modèle ne présume en rien de sa validité, car
l’INPI ne vérifie ni sa nouveauté, ni son caractère propre, conditions qui devront être
examinées préalablement à toute opération de dépôt par le déposant lui-même ou son
conseil.
L’avantage du dépôt d’un dessin ou modèle, par rapport au recours au droit d’auteur, est
qu’il constitue un titre de propriété industrielle, avec une date de prise d’effet, un titulaire
identifié et une définition claire de la forme protégée. L’enregistrement d’un dessin ou
modèle français facilitera, en outre, l’extension des droits à l’étranger, notamment par la
revendication du droit de priorité unioniste.
En effet, à compter du jour du premier dépôt de dessin ou modèle, le déposant bénéficie
d’un droit de priorité qui lui permet, durant une période de six mois, d’effectuer à
l’étranger d’autres extensions du même dessin ou modèle, en étant immunisé contre ses
propres divulgations ou celles des tiers, intervenues à l’intérieur de ce délai de priorité.
B. Par le droit spécifique des dessins ou modèles communautaires
enregistrés
Effectifs depuis le 1er avril 2003, les dessins ou modèles communautaires enregistrés
bénéficient d’une validité sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne et d’une
période initiale de cinq ans, prorogeable par tranches de même durée, jusqu’à vingt-cinq
ans.
Contrairement à son homologue non enregistré, l'enregistrement confère au dessin ou
modèle une grande sécurité en cas de contrefaçon permettant à son titulaire de se
prémunir des atteintes constituées non seulement par des copies serviles, mais
également par des imitations plus ou moins déguisées.
En revanche, dans le cadre d’une demande de dessin ou modèle tant français que
communautaire, il conviendra de procéder au dépôt de cette demande au plus tard dans
un délai de grâce de douze mois à compter de sa divulgation, car, à défaut, le droit
attaché au packaging, objet du dépôt, pourrait être annulé postérieurement pour défaut
de nouveauté.
Pour qu’un dessin ou modèle communautaire, enregistré ou non, soit valable, ce dernier
devra être nouveau et présenter un caractère individuel (condition semblable à celle du
caractère propre de son homologue français).
C. Par le droit conventionnel de l’Arrangement de La Haye
Enfin, au niveau international, l'Arrangement de La Haye est un système
d'enregistrement international qui permet aux créateurs d'obtenir la protection de leurs
dessins ou modèles dans plusieurs territoires grâce à un dépôt unique effectué auprès de
l'OMPI.
Tout comme le Système de Madrid en matière de marques, le Système de La Haye
permet uniquement de centraliser les procédures de dépôt et évite ainsi au créateur
d'avoir à déposer ses dessins et modèles dans chaque pays où il entend acquérir une
protection.
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Cette centralisation permet également au déposant de réaliser des économies
substantielles dans l’hypothèse d’un enregistrement international désignant plusieurs
pays.
Toutefois, en comparaison des 91 membres du Système de Madrid, le Système de La
Haye ne comporte que 60 membres. En outre, l’absence des Etats-Unis et de la Chine,
marchés d’exportation de premier ordre pour les vins et spiritueux, limite
considérablement l’intérêt du recours à ce système.
D. Par le droit des marques tridimensionnelles
Un packaging est aussi protégeable en tant que marque tridimensionnelle.
Le droit français, par exemple, prévoit expressément que « les formes, notamment celles
du produit ou de son conditionnement » peuvent faire valablement l’objet d’un dépôt de
marque.
Ainsi, les packagings peuvent faire l’objet d’un droit privatif fondé sur un signe
tridimensionnel, à la double condition que ce dernier soit distinctif, d’une part, et
disponible, d’autre part.
Dans le cadre de la marque tridimensionnelle, le déposant devra s’assurer principalement
du caractère distinctif de son packaging. En effet, la jurisprudence refuse de manière
constante la protection d’un signe tridimensionnel, dès lors que la forme qui le constitue
ne se distingue pas substantiellement de celles existant sur le marché considéré et ne
permet pas au consommateur de faire le lien économique entre le packaging et
l’entreprise qui en est titulaire.
Il est classique de dire que sont exclus de la protection les signes tridimensionnels
constitués exclusivement par la forme imposée par la nature même du produit, par celle
dictée par ses impératifs techniques ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
Des dispositions similaires se retrouvent dans la législation communautaire.
Le Système de Madrid ouvre la possibilité d’étendre les droits nationaux ou régionaux sur
une marque tridimensionnelle déposée ou enregistrée, dans tout ou partie, des 90 États
membres restants.
En théorie, rien ne s’oppose à protéger un packaging par le droit des marques, tant en
France qu’à l’étranger.
En pratique, ce type de marques se trouve fréquemment au cœur des contestations des
Offices de propriété industrielle. La plupart du temps, les refus de protection reposent sur
le principe que les consommateurs n'ont pas pour habitude de présumer l'origine
commerciale des produits, en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en
l'absence de tout élément graphique ou textuel.
Ainsi, la protection du packaging par le droit des marques est non seulement
juridiquement délicate, mais le plus souvent sujette à des frais de procédure substantiels
liés à la présentation de réponses circonstanciées aux refus de protection émis par les
Offices nationaux étrangers.
A défaut de justifier d’un usage conséquent et antérieur sur le territoire concerné, les
refus de protection deviennent, dans de nombreux pays, des obstacles insurmontables.
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Le recours au droit des marques s’avère être l’ultime moyen juridique à adopter pour
protéger un packaging lorsque les conditions de protection requises en matière de
dessins et modèles et/ou de droit d'auteur font défaut.
En conséquence, les opérateurs de la filière des vins et spiritueux disposent d’un arsenal
juridique au service de la protection de leurs packagings qui, le plus souvent,
représentent une part non négligeable de leurs investissements mercatiques et de leur
capital immatériel.
Aussi, avant tout lancement d’un nouveau packaging, on ne saurait que trop
recommander aux opérateurs d’évaluer leurs besoins afin de déterminer le ou les modes
de protection les plus appropriés à leurs packagings.
Pour les packagings le plus innovants, il sera judicieux de les déposer, à titre de modèle,
en France, ainsi que sur les principaux marchés d’exportation stratégiques sous priorité
unioniste.
Enfin, le packaging peut aussi, dans certains cas, bénéficier d’une autre forme de
protection, cette fois judiciaire, par exemple en France par le biais de l’action en
concurrence déloyale et parasitaire.
Philippe Rodhain, Conseil en Propriété Industrielle,
Cabinet IP Sphère
Chargé d’Enseignement Université Montesquieu Bordeaux IV
Président de la Commission Marques de la CNCPI
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