La lettre de

Transcription

La lettre de
n°
47
Mars / avril 2012
La lettre de
Éditions Gallimard
5, rue Gaston Gallimard
75007 Paris
• La lettre de la Pléiade n° 47,
mars / avril 2012.
Cette Lettre comprend les
programmes des livres paraissant en mars
et avril, sous réserve de modification de
dernière heure.
Les indications de pagination et
de prix ne sont pas contractuelles.
Achevé d’imprimer en 2012
par La Compo Photo
N° d’impression : 2012.02.0082
Dépôt légal : Mars 2012 .
Illustrations.
Couverture : James McNeill Whistler,
Sea and Rain, 1865 (détail).
The University of Michigan Museum
of Art, Ann Arbor (USA), legs Margaret
Watson Parker.
Page 2 et 14 : Pierre Drieu la Rochelle.
© Studio Lipnitzki / Roger-Viollet.
Page 4 : Jean Grosjean. Photo © Jacques
Robert / Archives Éditions Gallimard.
Page 5 : raymond Queneau. Archives
Éditions Gallimard.
Page 6 et 7 : Manuscrit autographe
de Jean Grosjean. 1978.
© Archives Éditions Gallimard.
Page 8 et 11 : Bois gravés de Vanessa
Bell. DR.
Page 12 : Virginia Woolf en 1902.
Photo George Charles Beresford.
© Collection particulière /
Bridgeman - Giraudon.
Sommaire
L’histoire de la Pléiade
4
• « Rendez-vous avec l’émerveillement… »
Raymond Queneau vu par Jean Grosjean
Avant-première
8
• Virginia Woolf,
Lundi ou mardi
Parmi les nouveautés
12
• Virginia Woolf
• Pierre Drieu la Rochelle
À nouveau disponible
16
• Romantiques allemands
À paraître prochainement
16
• F. Scott Fitzgerald
Les Rois et les Grands ne disent pas ce qu’ils pensent, mais ils me
traiteront toujours généreusement.
La vraie noblesse, qui aime la gloire et qui sait que je m’y connais,
m’honore et se tait.
Les Magistrats me haïssent à cause du tort qu’ils m’ont fait.
Les Philosophes, que j’ai démasqués, veulent à tout prix me
perdre et réussiront.
Les Évêques, fiers de leur naissance et de leur état, m’estiment
sans me craindre et s’honorent en me marquant des égards.
Les Prêtres, vendus aux philosophes, aboient après moi pour faire
leur cour.
Les beaux esprits se vengent en m’insultant de ma supériorité
qu’ils sentent.
Le peuple, qui fut mon idole, ne voit en moi qu’une perruqueA
mal peignée et un homme décrétéB.
Les femmes, dupes de deux pisse-froid qui les méprisent,
trahissent l’homme qui mérita le mieux d’elles.
Les Suisses ne me pardonneront jamais le mal qu’ils m’ont fait.
Le Magistrat de Genève sent ses torts, sait que je les lui pardonne,
et les réparerait s’il l’osait.
Les chefs du peuple, élevés sur mes épaules, voudraient me cacher
si bien que l’on ne vît qu’eux.
Les auteurs me pillent et me blâment, les fripons me maudissent,
la canaille me hue.
Les gens de bien, s’il en existe encore, gémissent tout bas de mon
sort ; et moi je le bénis, s’il peut instruire un jour les mortels.
Voltaire, que j’empêche de dormir, parodiera ces lignes. Ses
grossières injures sont un hommage qu’il est forcé de me rendre
malgré lui.
Sentiment du public sur mon compte
dans les divers états qui le composent.
Texte tracé sur une porte par Rousseau « dans le fort de [s]es chagrins »
(1768 ; Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 1183-1184).
A. perruque : vieillard dépassé. B. décrété : poursuivi.
On célèbre cette année le tricentenaire de la naissance
de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778).

L’histoire de la Pléiade
« Rendez-vous avec l’émerveillement… »
Raymond Queneau vu par Jean Grosjean
Consacrée à l’intérêt que portent les écrivains aux œuvres de leurs pairs et aux effets de leur
mutuelle attention sur la vie éditoriale de la NRF depuis 1911, l’exposition « Portraits pour un
siècle. D’un écrivain l’autre » – présentée à l’automne dernier à la Galerie des bibliothèques de la
Ville de Paris, en partenariat avec la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, l’Agence RogerViollet et les Éditions Gallimard – présentait, entre autres pièces d’archives inédites, quelques
documents ayant trait à l’histoire de la « Pléiade ». Comme on l’a vu ici à plusieurs reprises,
l’histoire de la collection illustre elle-même ce dialogue constant entre vie littéraire et activité
éditoriale ; la « Pléiade » a notamment accueilli quelques exemples fameux de cette critique
d’écrivains qui est l’un des apports singuliers de la NRF : André Gide présentant le Théâtre de
Shakespeare et de Goethe, Roger Caillois, les œuvres d’Antoine de Saint-Exupéry, Albert Camus,
celles de l’ami Roger Martin du Gard, André Maurois, La Recherche du temps perdu ou encore
Jean Grosjean, le premier tome des Œuvres complètes d’André Malraux.
C’est aussi à Jean Grosjean que Robert Gallimard fait appel en juin 1977 pour la préface au
premier tome de l’Histoire des littératures de l’« Encyclopédie de la Pléiade ». Ce texte en cache
un autre : ce n’est pas tant cette nouvelle édition du premier volume de l’Encyclopédie, paru
initialement en 1956, que Jean Grosjean présente, mais l’introduction qu’en avait faite, à l’époque
de sa première parution, Raymond Queneau. Rappelons que ce dernier avait été le directeur
de la série encyclopédique de la « Pléiade », close depuis 1991. Disparu le 25 octobre 1976, il
avait travaillé lui-même à la refonte de ce volume, qui lui tenait particulièrement à cœur pour
en avoir dirigé l’édition. Il s’agissait, au vrai, d’une actualisation, apportant des compléments
L’histoire de la Pléiade
d’information et d’analyse pour la période 1950-1975. Deux écrivains dialoguent ainsi à la proue
d’un volume consacré à cette ambitieuse histoire des littératures ! Nous reproduisons ci-après le
manuscrit original de ce profond hommage rendu par Jean Grosjean au maître-encyclopédiste
de la « Pléiade ».
L’occasion est belle d’évoquer la figure du poète et traducteur Jean Grosjean, disparu en
2006, et dont les Éditions Gallimard salueront le centenaire de la naissance cette année. Né
le 21 décembre 1912, ce grand connaisseur des cultures du Proche Orient, ordonné prêtre en
1939, mobilisé puis fait prisonnier, avait été le compagnon de détention d’André Malraux, Roger
Judrin, Albert Beuret et Claude Gallimard, en France puis en Poméranie. Publiant ses premiers
poèmes en 1946 dans la collection « Métamorphoses » de Jean Paulhan (Terre du temps, lauréat
du prix de la Pléiade en 1946), il renonce à la prêtrise en 1950 et se consacre dès lors à son œuvre
propre (recueils de poèmes et récits bibliques) et aux traductions de grands textes. Il donne ainsi
à la « Bibliothèque de la Pléiade » ses versions des Tragédies d’Eschyle et de Sophocle (mai 1967) et
de textes du Nouveau Testament (avril 1971) et préface Le Coran (février 1967) ; encyclopédiste aux
côtés de Raymond Queneau (comme Robert Antelme et Louis-René Des Forêts), membre du
comité de lecture des Éditions Gallimard et attaché à la direction de La NRF de Marcel Arland,
il crée avec J.M.G. Le Clézio la collection « L’Aube des peuples » en 1990.
Comment présenter Jean Grosjean, disparu en 2006 ? En laissant la parole à l’un de ses amis
poète, lui-même lecteur et éditeur, Jacques Réda, qui veille à l’édition prochaine d’un recueil de
textes de son ami disparu, prolongeant ainsi le jeu d’échos d’œuvre à œuvre évoqué plus haut...
Jacques Réda, qui écrivait à propos de l’auteur de Terre de temps : « Si la poésie est un élan du
langage qui se déprend de la fixité où la poésie aussi peut se complaire, si un vrai poète est celui
qui, à travers les métamorphoses non moins méditées qu’instinctives de ses dons, maintient le
ton fondamental de son entretien avec la splendeur silencieuse du monde, du Dieu qui l’ont saisi,
alors, Mesdames et Messieurs, félicitons-nous de cette rencontre... »


L’histoire de la Pléiade
Manuscrit autographe de Jean Grosjean. Introduction à la préface d’André Malraux pour la nouvelle édition de Histoire des littératures
dans l’« Encyclopédie de la Pléiade », 1978.
L’histoire de la Pléiade
« Raymond Queneau a disparu au moment
de présenter cette réédition du premier tome
d’Histoire des littératures qu’il venait de préparer.
Mais peut-être à la faveur de ce brusque silence
voit-on mieux se dessiner sa silhouette.
De ses expériences diverses qui ne furent ni
sans secrets ni sans tumultes, il en est très tôt venu
à une passion de connaître. Et il s’agissait moins
pour lui de capitaliser un savoir que de vivre au
devant de ce qui est autre, le miracle grec comme
les mathématiques modernes et tous les lointains
de l’espace et du temps comme toute l’étrangeté de
nos prochains. Il a réussi à frayer un chemin entre
deux fondrières, entre le goût de l’insignifiance et la
prétention au passe-partout. Il s’est tenu à l’écart de
la niaiserie criarde des manifestes sans tomber dans
la canaillerie des attitudes centristes. Il s’est mis à
organiser par l’étude et par la création ses rendezvous avec l’émerveillement.
Il ne faut donc pas dissocier de ses œuvres, où
triomphe un singulier humour, cette encyclopédie
de la Pléiade à laquelle il s’est non moins consacré.
Les savants chercheurs qu’il a réussi à rassembler
dans celle-ci ne nous proposent pas moins de
surprises que les trouvailles qui font affleurer dans
ses poèmes ou ses romans une architecture sousmarine. Et ne classons pas les surprises car, sériées,
elles ne surprendraient plus guère. Elles n’étonnent
qu’autant qu’elles viennent d’un point chaque fois
insoupçonnable et modifient une dimension de
l’univers. Raymond Queneau les guette, à l’affût des
choses et des gens, de l’existence et du possible et
peut-être plus particulièrement du fonctionnement
de l’esprit humain. Tant par l’exercice de l’écriture
et de la fiction que par l’entreprise encyclopédique,
il piège les anomalies du monde qui témoignent de
lois plus inouïes.
Il n’aimait d’ailleurs pas qu’on l’en remercie, puisque ce travail lui paraît la seule activité qui
ne soit pas fade. Comment vivre si on n’est pas curieusement saisi par autre chose que soi ? Il y a
sans doute une fuite dans cet élan. Mais toute œuvre n’en est-elle pas là ? et même toute vie. Il a
fallu la malformation mentale de certains philosophes pour imaginer un dieu ou une matière qui
ne se fuient pas. Mais Raymond Queneau, ce contemporain à l’allure quotidienne, voilait un peu,
derrière sa discrétion amusée ou cordiale, qu’il était attablé avec les grands esprits et, comme eux,
affamé de ces vérités qui affament à mesure qu’on s’en repaît. […] »


Avant-première
Virginia Woolf,
Lundi ou mardi
En avril 1921, Virginia Woolf
réunit huit textes très divers en
un volume auquel elle donna le
titre d’une de ses composantes,
Lundi ou mardi. Six de ces textes
ayant été repris après la mort de
l’écrivain dans un recueil plus
vaste (Une maison hantée, 1944),
Lundi ou mardi disparut, et le
volume en tant que tel demeura
inédit en français. Traduit par
Michèle Rivoire et illustré des bois
Bois gravés de Vanessa Bell.
gravés que Vanessa Bell, la sœur
de Virginia, avait réalisés pour l’édition originale, il figure au sommaire du
tome i des Œuvres romanesques. Nous en proposons ici quelques pages.
Une maison hantée
Quelle que fût l’heure à laquelle on se
réveillait, on entendait une porte se fermer.
D’une pièce à l’autre, main dans la main, ils
allaient, soulevant ceci, ouvrant cela, vérifiant
— un couple fantôme.
« C’est ici que nous l’avons laissé », disait-
elle. Et il ajoutait : « Oh, mais là aussi ! » « À
l’étage », murmurait-elle. « Et dans le jardin »,
chuchotait-il. « Doucement, disaient-ils
ensemble, sinon ils vont se réveiller. »
Mais non, vous ne nous avez pas réveillés.
Oh que non ! On pouvait se dire : « Ils le
Avant-première
cherchent ; ils tirent le rideau », puis on lisait
encore une page ou deux. « Maintenant ils l’ont
trouvé », fort de cette certitude, on arrêtait le
crayon dans la marge. Puis, fatigué de lire, il
arrivait qu’on se lève pour faire sa propre ronde,
maison entièrement vide, portes ouvertes, et,
au loin, à la ferme, les roucoulades satisfaites
des pigeons ramiers et le ronron de la batteuse.
« Que suis-je venue faire ici ? Qu’est-ce que je
cherchais ? » J’avais les mains vides. « Alors
peut-être à l’étage ? » Les pommes étaient bien
au grenier. Plus qu’à redescendre, rien n’avait
bougé dans le jardin, hormis le livre qui avait
glissé dans l’herbe.
Mais dans le salon, ils l’avaient trouvé.
Non pas que l’on pût jamais les voir. Dans les
vitres le reflet des pommes, et celui des roses ;
toutes les feuilles étaient vertes dans ce miroir.
S’ils bougeaient dans le salon, seule la pomme
montrait sa face jaune. Mais un instant plus
tard, si l’on ouvrait la porte, il y avait, répandu
sur le sol, accroché aux murs, suspendu au
plafond — mais qu’y avait-il donc ? J’avais les
mains vides. L’ombre d’une grive traversait le
tapis ; des profondeurs insondables du silence
le ramier exhalait le son de ses roucoulades.
« Sauvé, sauvé, sauvé », martelait doucement
le pouls de la maison. « Le trésor enfoui ; la
chambre… », le pouls s’arrêtait net. Oh, était-ce
là le trésor enfoui ?
En un instant le jour s’était fané. Eh bien
dehors, au jardin ? Mais les arbres vrillaient les
ténèbres, en quête d’un rayon de soleil égaré.
Si ténu, si fugace, tranquillement enfoui sous la
surface, le rayon que je cherchais brillait toujours
derrière la vitre. La mort était cette vitre, la mort
était entre nous ; venue d’abord vers la femme,
il y avait de cela des siècles, laissant la maison
à l’abandon, scellant toutes les fenêtres ; les
chambres se remplirent d’ombre. Il avait quitté
la maison, quitté la femme, voyagé dans les pays
du Nord et ceux d’Orient, avait vu les étoiles
inversées du ciel austral ; recherché la maison,
l’avait trouvée nichée au pied des Downs.
« Sauvé, sauvé, sauvé », martelait gaiement le
pouls de la maison. « À vous le trésor. »
Le vent s’engouffre en hurlant dans l’avenue.
Les arbres ploient, courbés en tous sens. Des
rayons de lune giclent en gerbes sauvages sous
la pluie. Mais le rayon de la lampe tombe tout
droit à travers la vitre. La chandelle brûle sans
fléchir ni frémir. Parcourant la maison, ouvrant
les fenêtres, parlant à mi-voix pour ne pas nous
réveiller, le couple fantôme vient quêter sa joie.
« C’est ici que nous dormions », dit-elle.
Et lui d’ajouter : « Que de baisers. » « Le matin
au réveil… » « Ciel argenté entre les arbres… »
« À l’étage… » « Au jardin… » « Quand venait
l’été… » « L’hiver par temps de neige… » Les
portes se ferment une à une au lointain, battant
doucement comme un cœur qui bat.
Voici qu’ils se rapprochent ; s’arrêtent sur
le seuil. Le vent tombe, la pluie fait des rigoles
argentées sur les vitres. Nos yeux s’emplissent
d’ombre ; nous n’entendons venir aucun pas,
nous ne voyons aucune dame déployer son
impalpable cape. De ses mains, il protège la
lanterne. « Regarde, dit-il dans un souffle.
Endormis du sommeil du juste. L’amour aux
lèvres. »
Penchés au-dessus de nous avec leur lampe
d’argent, ils nous contemplent longuement, le
regard pénétrant. Longuement ils s’attardent. Le
vent souffle sans mollir ; la flamme fléchit sans
faiblir. Des rayons de lune hagards s’irradient sur
le sol et le mur, éclairant au passage les visages
inclinés ; les visages méditatifs ; les visages qui
scrutent ceux des dormeurs, quêtant leurs joies
secrètes.
« Sauvé, sauvé, sauvé », martèle fièrement le
cœur de la maison. « Après toutes ces années…
soupire-t-il. Tu m’as retrouvé. » « Ici, murmuret-elle, endormi ; dans le jardin en train de lire ; de
rire, de retourner des pommes au grenier. C’est
ici que nous avons laissé notre trésor… » Quand
ils se penchent, leur lumière entrouvre mes
paupières. « Sauvé ! Sauvé ! Sauvé !», le pouls de
la maison bat la chamade. Je m’éveille et m’écrie :
« Oh, est-ce donc là votre trésor enfoui ? Cette
lumière au cœur. »


Avant-première
Une société
(Extrait)
Voici comment les choses ont commencé.
Nous étions six ou sept, un soir après le thé. Les
unes regardaient la vitrine de la modiste d’en face,
où chatoyaient encore dans la lumière plumes
écarlates et mules dorées. D’autres trompaient
leur désœuvrement en empilant des morceaux
de sucre sur le bord du plateau à thé. Au bout
d’un moment, si ma mémoire est bonne, nous
nous étions rapprochées de la cheminée pour
entonner, selon notre habitude, notre antienne
à la gloire des hommes — comme on admirait
leur force, leur noblesse, leur intelligence, leur
courage, leur beauté — comme on enviait celles
qui, coûte que coûte, parvenaient à jeter le
grappin sur l’un d’eux, pour la vie — et soudain
Poll, qui jusque-là n’avait dit mot, a fondu en
larmes. Il faut dire que Poll a toujours été un
peu bizarre. Son père lui-même était d’ailleurs
un homme singulier. Il lui avait légué une belle
fortune, mais à la condition qu’elle lise tous
les livres de la London Library. Nous l’avons
consolée de notre mieux ; mais nous savions
au fond de nous que nos efforts étaient vains :
nous l’aimons bien, Poll, mais ce n’est pas une
beauté ; avec ses chaussures même pas lacées ; et
pendant notre apologie des hommes, elle avait
dû penser qu’il ne s’en trouverait jamais un seul
pour la demander en mariage. Elle a fini tout de
même par sécher ses larmes. Tout d’abord, elle
nous a raconté des choses incompréhensibles.
Étrangement, elle en avait pleine conscience.
Elle nous a dit, et nous le savions, qu’elle passait
le plus clair de son temps à lire à la London
Library. Elle avait commencé par la littérature
anglaise, au dernier étage ; et progressait
méthodiquement vers le rez-de-chaussée, où
se trouvait le Times. Or, voilà qu’à mi-chemin,
ou peut-être au quart, une chose affreuse s’était
produite. Impossible de continuer à lire. Les
livres n’étaient pas ce que nous croyions. « Les
livres », a-t-elle déclaré en se levant, avec dans la
voix des accents désolés que je ne suis pas près
d’oublier, « les livres sont presque tous d’une
médiocrité au-delà de toute expression. »
Nous nous sommes récriées, naturellement ;
Shakespeare et Milton et Shelley en avaient écrit
des livres, non.
« Ah oui ! On voit que vous avez bien appris la
leçon. Mais vous n’êtes pas abonnées à la London
Library, vous ! »
Elle s’est remise alors à sangloter. Puis, un peu
rassérénée, elle a tiré un volume de la pile qu’elle
traînait partout avec elle — Vu d’une fenêtre ou
Dans un jardin, quelque chose d’approchant,
œuvre d’un certain Benton ou Henson, un nom
comme ça. Elle s’est mise à lire les premières
pages. Nous l’écoutions en silence. « Mais ce
n’est pas un livre, ça ! » s’est exclamé quelqu’un.
Elle en a donc pris un autre. Cette fois, c’était
un livre d’histoire dont j’ai oublié l’auteur. Notre
exaspération montait au fil de sa lecture. Pas une
once de vérité, dans ce livre d’un style exécrable.
Nos exhortations impatientes l’ont
interrompue : « De la poésie ! De la poésie !
Lis-nous de la poésie ! » Je ne saurais décrire la
consternation qui s’est abattue sur nous quand,
ayant ouvert un petit volume, elle s’est mise à
déclamer le fatras sentimental et verbeux qu’il
contenait.
« C’est sûrement une femme qui a écrit ça »,
a remarqué l’une d’entre nous avec conviction.
Mais non. Poll a répondu que c’était un jeune
homme, un des poètes les plus en vue du
moment. Je vous laisse imaginer le choc produit
par cette découverte. Malgré les hauts cris et les
supplications, elle s’est obstinée à nous lire des
extraits de Vies des Grands Chanceliers. À la fin,
Jane, la plus âgée et la plus sage d’entre nous,
s’est levée pour dire qu’elle n’était pas du tout
convaincue :
« Voyons, si les hommes écrivent de telles
sornettes, pourquoi faudrait-il que nos mères
aient gâché leur jeunesse à les mettre au monde ? »
[…]
Avant-première
Lundi ou mardi
Nonchalant et indifférent, se libérant
aisément de l’espace à chaque coup d’ailes, sûr
de sa route, le héron survole l’église, sous le ciel.
Blanc et lointain, tout entier à lui-même, le ciel
se couvre et se découvre, se meut et demeure. Un
lac ? Effacez-en les rives ! Une montagne ? Oh,
parfait — l’or du soleil sur ses pentes. Duvet qui
tombe. Des fougères, alors, ou bien des plumes
blanches, toujours et encore…
Désir de vérité, attente de vérité, distiller
laborieusement quelques mots, et désirer encore
et toujours — (un cri retentit sur la gauche, un
autre à droite. Les roues divergent. Les omnibus
s’assemblent et s’affrontent) — désirer encore
et toujours — douze coups distincts frappés
par l’horloge attestent qu’il est midi ; la lumière
répand des écailles d’or ; la rue grouille d’enfants
— désirer encore et toujours la vérité. Rouge
est le dôme; les arbres sont couverts d’écus, des
traînes de fumée s’échappent des cheminées ;
aboiement, cri, appel : « Ferraille à vendre » —
et la vérité ?
Convergence vers un seul point de souliers
masculins et féminins, noirs ou incrustés d’or
— (Quel brouillard — Un sucre ? Non merci
— L’avenir de la chose publique) — bond d’une
flamme dans l’âtre teintant de rouge toute la
pièce, à l’exception des silhouettes noires aux
yeux brillants, cependant qu’au-dehors on
décharge un camion, qu’à son bureau Miss
Trucmuche boit son thé, et que les vitrines
veillent sur des manteaux de fourrure…
Exhibée, légère comme une feuille,
amoncelée dans les carrefours, soufflée sous les
roues, éclaboussée d’argent, plantée droit dans
la cible ou à côté, recueillie, dissipée, dispersée à
tous vents, soulevée dans les airs, rabattue au sol,
déchirée, naufragée, rassemblée — et la vérité ?
Et maintenant se recueillir près du foyer sur
la dalle de marbre blanc. Jaillis de profondeurs
ivoirines, les mots répandent leurs ténèbres et
leurs bouquets pénétrants. Tombé le livre ; dans
la flamme, la fumée, les étincelles fugaces —
Bois gravés de Vanessa Bell.
ou alors il navigue maintenant, pendant carré
marmoréen dans la voûte céleste au-dessus
des minarets et des mers indiennes, tandis que
l’espace vire au bleu et que les étoiles scintillent
— et la vérité ? Ou alors maintenant, se
contenter d’approximation ?
Nonchalant et indifférent le héron s’en
revient ; le ciel voile ses étoiles ; puis les dévoile.


Parmi les nouveautés
Virginia Woolf
Œuvres romanesques
Deux volumes sous coffret
Parution mars
Cette édition propose, dans des traductions pour la plupart nouvelles, tous les livres de fiction
publiés par Woolf ou, pour Entre les actes, au lendemain de sa mort : dix romans, et un recueil de
nouvelles, Lundi ou mardi, qui n’avait jamais été traduit dans notre langue en l’état. S’y ajoutent
les nouvelles publiées par l’auteur mais jamais rassemblées par elle, ainsi qu’un large choix de
nouvelles demeurées inédites de son vivant. Les nouvelles éparses qui présentent un lien génétique
ou thématique avec un roman sont réunies dans une section Autour placée à la suite de ce roman.
On trouvera ainsi, « Autour de Mrs. Dalloway », un ensemble de textes dans lequel Woolf voyait
« un couloir menant de Mrs. Dalloway à un nouveau livre » ; ce « nouveau livre » sera un nouveau
chef-d’œuvre, Vers le Phare.
Romans et nouvelles, donc, mais ces termes ne s’emploient ici que par convention. Woolf
en avait conscience : « Je crois bien que je vais inventer un nouveau nom pour mes livres, pour
remplacer “roman”. Un nouveau … de Virginia Woolf. Mais quoi ? Élégie ? » L’élégie, qui a
partie liée avec la mort, est une forme poétique, et le roman, chez Woolf, emprunte en effet à la
poésie (« Il aura une part de l’exaltation de la poésie »), aussi bien qu’à l’essai et au théâtre (« Il sera
dramatique »), jusqu’à un certain point (« mais ce ne sera pas du théâtre »). Play-poem, « poème
dramatique », qualifiera Les Vagues ; essay-novel, « roman-essai », désigne une première version des
Années ; Flush et Orlando partagent la même indication de genre : a Biography, ce qui ne dit à
peu près rien de ces deux livres, mais confirme qu’il faut ici renoncer aux catégories reçues et, plus
largement, considérer d’un œil neuf tout ce qui semblait définir le romanesque : « Le récit peut-être
vacillera ; l’intrigue peut-être s’écroulera ; les personnages peut-être s’effondreront. Il sera peut-être
nécessaire d’élargir l’idée que nous nous faisons du roman. »
Élargir : rompre avec la continuité chronologique, en finir avec l’hégémonie de la
représentation, faire du vécu subjectif de la conscience la
véritable matière du roman. Woolf le reconnaissait, elle n’avait Édition publiée sous la direction de
pas le don de la réalité : « J’immatérialise le propos… » Il s’agissait Jacques Aubert, avec la collaboration de
Bernard, Michel Cusin, Adolphe
moins pour elle de bâtir des intrigues que d’isoler des « moments Catherine
Haberer, Josiane Paccaud-Huguet, Maried’être », déchirures éclairantes dans l’obscur tissu d’une existence, Claire Pasquier, Françoise Pellan, Michèle
témoignant « qu’une chose réelle existe derrière les apparences ». Rivoire et André Topia. — Préface de
« Je rends [cette chose] réelle en la mettant dans des mots. Ce Gisèle Venet.
tome I contient : préface, chronologie,
sont mes mots et eux seuls qui lui donnent son intégrité ; et cette Le
note sur la présente édition. Traversées,
intégrité signifie qu’elle a perdu le pouvoir de me faire souffrir. » Nuit et jour, Lundi ou mardi (avec les
Telle est la puissance de l’écriture. En consacrant ses forces illustrations), La Chambre de Jacob,
à donner réalité à ce qui existe derrière, Virginia Woolf a tenu « Autour de La Chambre de Jacob », Mrs.
Dalloway, « Autour de Mrs. Dalloway »,
à distance la peur, la souffrance, la folie ; elle s’est maintenue Nouvelles non recueillies du vivant de
hors de la zone dangereuse, jusqu’au jour de mars 1941 où, ayant l’auteur (1920-1923). Notices et notes,
achevé Entre les actes, elle s’est sentie incapable de lutter plus cartes des environs et du centre de
Londres.
longtemps.
N° 576 de la collection.
Parmi les nouveautés
Gisèle Venet, préface aux Œuvres romanesques
de Virginia Woolf (extrait).
« Toujours il y avait quelque chose d’autre. Un autre visage, une autre voix. Une pensée venait
couvrir l’autre », dans l’étang « insondable à l’œil », écrit Virginia Woolf — elle qui sait ce que
veut dire plonger « dans [s]on grand lac de la Mélancolie ». Dans cette réserve inépuisable d’eau
morbide, il y a «toutes sortes de rêves, de plaintes, de confidences, non pas imprimés ou dits à voix
haute, mais à l’état liquide », qui ont fait la liquidité de sa prose. Toujours, il y a eu « quelque chose
d’autre», un roman pour couvrir l’autre, un essai, des conférences — « aussitôt que je cesse de
travailler, je sombre de plus en plus profond », écrit-elle dans son Journal. Pourtant la tentation est
toujours là : « comme toujours, je sens que si je m’enfonçais encore plus je parviendrais à la vérité».
Elle éprouve la nécessité d’écarter tout alibi sur fond de néant — « il faut que je m’oblige à regarder
en face cette vérité tangible qu’il n’y a rien… rien pour personne ». La banalité du sort commun
lui est ascèse, refus de toute illusion : « Travailler, lire, écrire, ne sont que des faux-semblants. » Tout
en elle récuse la pharmacopée d’une prose samaritaine. Elle garde au contraire son écriture à l’écart
de tout attendrissement sur soi — l’ironie y fait surface sous les mots comme une irisation de plus,
l’autocritique s’y invite dans le méandre des phrases confiées à des voix d’emprunt. L’épagneul
de la mélancolie cher à Robert Burton, cet anatomiste de l’humeur noire qu’elle cite aussi, est un
chien de plein air, qui l’entraîne dans d’interminables périples de colline en colline ou dans les
rues de Londres.
Si elle ne veut pas d’une écriture qui serait potion contre le mal, elle ne veut pas davantage d’une
sérénité qui serait « fadeur » : elle craint toujours de « tomber dans la platitude de Nuit et jour ».
Elle prend la pleine mesure d’un affranchissement de sa démarche en écrivant Mrs. Dalloway.
Profitant d’un intervalle heureux « sans la moindre interruption due à la maladie », observe-t-elle,
« j’ai l’impression d’y avoir fait passer, plus complètement que j’y parviens d’ordinaire, tout ce que
je voulais y mettre ». Dont cette prose délirante de la folie de Septimus, qui ne peut s’écrire que
dans le jeu erratique de l’association libre. Par cette écriture de la folie, un principe de réalité inscrit
dans la prose réaliste se déconstruit, au bénéfice d’un principe de plaisir de la prose moderniste
qui surprend et agace pour mieux plaire : par la fragmentation même du sens, la discontinuité des
narrations, la violence faite aux canons en usage, l’œuvre assure assez de cohérence pour mieux
provoquer le plaisir d’être déconcerté.
[…] Dans l’écriture de Virginia Woolf, audacieusement
Le tome II contient : chronologie,
moderne tout en se gardant, à l’anglaise, du clinquant de la théorie
avertissement. Vers le Phare, Orlando
et des leurres de l’idéologie extrême, la folie ne se radicalise pas en
(avec les illustrations), Les Vagues,
expérience de laboratoire. C’est à peine si l’aristocratique soirée
Flush (avec les illustrations),
chez les Dalloway est un court instant menacée par l’annonce du
Les Années, Entre les actes,
Nouvelles non recueillies du vivant
suicide enfin réussi de Septimus. L’effet sur Clarissa reste tout
de l’auteur (1928-1939), Nouvelles
intérieur, l’humour de Woolf mêlant intimement l’incongruité
non publiées du vivant de l’auteur
mondaine — « De quoi se mêlaient les Bradshaw, de venir parler
(1929 ?-1941 ?). Notices et notes,
de mort à sa soirée ? » — et la perception vertigineuse, cinétique,
cartes des environs et du centre
de Londres, bibliographie.
d’une chute dans le vide qui s’impose à elle : « Le sol avait surgi
N° 577 de la collection.
à sa rencontre, en un éclair. Les pointes rouillées l’avaient
transpercé, aveuglément, le meurtrissant. » Virginia Woolf aura
porté l’écriture subjective du courant de conscience à un tel degré
d’excellence que sa position d’auteur omniscient lui permet à la
fois de dire le délire et de maîtriser les mots pour le dire.


Parmi les nouveautés
Pierre Drieu la
Rochelle
Romans, récits,
nouvelles
Drieu assignait à l’intellectuel le devoir « d’essayer les
chemins de l’Histoire ». Le jeu est risqué, il le savait. Mais
prévoir le risque d’égarement n’est pas tout. Une erreur est une
erreur, une faute est une faute ; il faut en répondre. Il savait
cela aussi. Peu avant la fin, il fit le bilan : « nous avons joué, j’ai
perdu. Je réclame la mort. » Il fut son propre procureur, son
propre juge, son propre exécuteur. « Il était sincère, dira Sartre ;
il l’a prouvé. »
Il fut aussi son propre avocat, non sans talent, mais sans grande conviction. Sa nature le
poussait plutôt à l’autodénigrement (la critique le suivit sur cette pente), au doute, aux
contradictions réelles ou apparentes : « Un artiste doute, en effet, de lui-même ; il est en même
temps sûr de lui. » Il savait qu’il appartient à la postérité de juger en appel, voire en cassation, mais
il ne s’y fiait pas trop. Préservé de toute certitude par une inquiétude foncière, il doutait autant de
son élection future que de sa condamnation définitive. « Et pourtant la cohérence de ma sensibilité
et de ma volonté apparaît à qui me fait la justice de relire dans leur suite une bonne partie de mes
ouvrages », écrivait-il au moment de rééditer Gilles.
Cette édition propose, précisément, «une bonne partie» de ses œuvres romanesques : des
romans, des nouvelles et des textes dans lesquels le récit tourne à l’essai ou à l’autobiographie. Au
reste, les idées de Drieu et sa propre histoire (« je n’ai qu’elle à raconter ») sont présentes partout,
avec une intensité variable. Lui-même parlait de « fiction confessionnelle », mélange de confession
et d’invention, de sincérité et d’affabulation, de mémoire et de rêve. La richesse du cocktail n’est
pas pour rien dans le charme qu’exercent ses livres et que renforcent encore des alliances peu
fréquentes, entre désinvolture et gravité, lucidité et aveuglement, espoir et désarroi.
Hantée par l’idée de décadence, l’œuvre de Drieu est, comme sa vie, dominée par la mort, qui
est l’informe, c’est-à-dire l’envers de l’art. Peut-on, par et dans les livres, donner forme à l’informe ?
Selon Drieu, qui avait le culte de l’échec (en art, en amour, en politique…), « l’œuvre d’art la plus
réussie est une déception pour qui a tenu dans ses mains la misérable vérité ». Mais le lecteur qui lui
fera « la justice de relire dans leur suite » ses ouvrages ne sera sans doute pas de son avis. Il découvrira
l’une des plus fortes analyses romanesques du cynisme, la satire d’une époque qui pèse encore sur
la nôtre, et une forme inédite de diatribe, dans laquelle l’écrivain retourne à tout instant ses armes
contre soi. Toujours incertain de lui-même, Drieu s’est mis à la merci de ses contemporains. C’est
peut-être cette même incertitude de soi qui permet qu’aujourd’hui l’on s’attache à lui.
Édition publiée sous la direction de Jean-François
Louette. Avec Julien Hervier et la collaboration
d’Hélène Baty-Delalande et de Nathalie Piégay-Gros.
Ce volume contient : introduction, chronologie, note
sur la présente édition ; État civil, La Valise vide,
Blèche, Adieu à Gonzague, Le Feu follet, La Comédie
de Charleroi, Rêveuse bourgeoisie, Gilles, Mémoires
de Dirk Raspe, Récit secret ; notices et notes,
bibliographie. — N° 578 de la collection.
Parmi les nouveautés
Pierre Drieu la Rochelle,
préface à la réédition de Gilles,
Gallimard, 1942
[…] Je crois que mes romans sont des romans ; les
critiques croient que mes romans sont des essais déguisés
ou des mémoires gâtés par l’effort de fabulation. Qui a
raison ? Les critiques ou l’auteur ?
Le saura-t-on jamais ? Quelle pierre de touche
détient-on ? Attendons la postérité ? Mais par qui est
faite la postérité ? Par d’autres critiques… Ceci n’est pas
exact. Le jugement de la postérité est fait par les écrivains
qui lisent et qui imposent leur opinion compétente
aux critiques. C’est ainsi que Stendhal et Baudelaire et
Mallarmé ont été peu à peu élevés à leur haute situation.
Gilles, éd. de 1942.
Les écrivains deviennent bons juges à l’égard d’un
confrère d’une génération disparue : l’envie n’a plus que
faire et, au contraire le laudateur s’accroît de la puissance du fantôme qui est loué.
Il faut beaucoup d’audace pour songer qu’on passera à la postérité. Cette audace, la nourrissent
dans leurs cœurs bien des timides. Ceux qui ont eu un succès retentissant pensent que ce succès
continuera. Ceux qui en ont eu moins se rassurent en pensant à Stendhal ou à Baudelaire. Toutefois,
ceux-ci de leur vivant étaient fort connus et respectés au moins d’une petite élite. Car il n’y a pas de
génies méconnus.
Un écrivain est obligé de croire dans le fond de son cœur qu’il passera à la postérité, sinon l’encre
se tarirait dans ses veines. Et, sauf chez les médiocres, cela est touchant. Nous sommes bien une
centaine en ce moment à ne pouvoir arracher de notre cœur cette pensée séduisante comme tous les
buts du courage. Il faut cet élan des appelés pour épauler les élus.
Je m’écrierais volontiers que je suis sûr que, par exemple, Montherlant passera à la postérité et
que je n’y passerai pas. Mais j’avoue aussitôt après que je doute par moments d’être si certainement
condamné.
Comment savoir quoi que ce soit de certain sur soi-même alors qu’il y a des jours où ceux qu’on
croit les plus solidement assis dans votre propre estime et admiration vacillent ? Comment s’équilibrer
entre l’excès de confiance et l’excès de méfiance ? Vraiment, on hésite entre la modestie et la fierté :
l’une et l’autre peuvent être une duperie.
Mais tout cela, ce sont des humeurs qui passent. Il reste deux choses: la joie de l’artisan qui fait
son travail, qui se dit qu’il participe à cette aventure merveilleuse qu’est le travail de l’homme — et la
joie d’être un homme, de rester un homme pur et simple, à côté de l’homme de métier, de l’écrivain.
Un homme qui mange, qui boit, qui fume, qui fait l’amour, qui marche, qui nage, qui ne pense à rien
et qui pense à tout, un homme qui ne fait rien et qui n’est rien, un homme qui rêve, qui prie, qui se
prépare à la terrible et splendide mort, un homme qui jouit de la peinture ou de la musique autant
que de la littérature, qui s’enivre de ce que font les autres bien plus que de ce qu’il fait, et un homme
qui a d’autres passions encore, qui est pour ou contre Hitler, un homme qui a une femme, un enfant,
un chien, une pipe, un dieu. […]


À nouveau disponible
ETUI_ROMANTIQUE_ALL_I 03/01/12 15:40 Page1
Romantiques allemands
Deux volumes
Romantiques
allemands
I
Jean Paul - Novalis - Friedrich Schlegel
Ludwig Tieck - E.T.A. Hoffmann
Heinrich von Kleist
Frédéric de la Motte-Fouqué
VO LU ME PU BLIÉ SO U S LA D IR ECTIO N
D E MAX IME ALEX AN D R E
BI BL IOTH ÈQUE
DE
L A
PL ÉIADE
ETUI_ROMANTIQUE_ALL_II 03/01/12 15:40 Page1
Comme leur nom le dit à peine, tant il semble aujourd’hui redondant, les Romantiques
allemands, pour l’essentiel poètes et conteurs du début du xixe siècle, familiers du mystère,
du rêve et des univers enfouis dans la mémoire allemande, ont aussi, comme en écho à la
Révolution française, ouvert leur pays, son histoire, sa langue, sa culture philosophique,
scientifique et religieuse et même sa littérature à la curiosité universelle, révélant une
étonnante puissance d’investigation du monde, souvent éclairée d’humour et d’amour
de la vie.
Jean-Pierre Lefebvre.
Tome I : Édition sous la direction de Maxime Alexandre, comportant introduction, notices et notes.
JEAN PAUL : VIE DE FIXLEIN, RÉGENT DE CINQUIÈME (trad. P. Velut) – LE JUBILÉ « APPENDICE »
(trad. A. Béguin) – NOVALIS : LES DISCIPLES À SAÏS (trad. M. Maeterlinck) – HEINRICH VON
OFTERDINGEN (trad. Y. Delétang-Tardif ) – FRIEDRICH SCHLEGEL : LUCINDE (trad. Y. DelétangTardif ) – LUDWIG TIECK : LA COUPE D’OR – ECKBERT LE BLOND – LE RUNENBERG – LES
Romantiques
ELFES – LES AMIS – VIE DE L’ILLUSTRE EMPEREUR ABRAHAM TONELLI (trad. A. Béguin) – E. T. A.
allemands
HOFFMANN : LE VASE D’OR (trad. M. Alexandre) – DON JUAN (trad. A. Coeuroy) – KREISLERIANA
Bonaventura - C. Brentano
(trad. A. Béguin) – LA PRINCESSE BRAMBILLA (trad. M. Alexandre) – HEINRICH VON KLEIST : LA
Bettina et Achim von Arnim - Grimm
J. von Eichendorff - A. von Chamisso
MARQUISE D’O... – LE DUEL – LE TREMBLEMENT DE TERRE DU CHILI (trad. G. La Flize) – LES
J. Kerner - E. Mörike - G. Büchner
FIANCÉS DE SAINT-DOMINGUE – L’ENFANT TROUVÉ (trad. M.-L. Laureau) – LA MENDIANTE
DE LOCARNO (trad. M. Alexandre) – MICHAEL KOHLHAAS (trad. L. Lentin) – FRÉDÉRIC DE LA
MOTTE-FOUQUÉ : ONDINE (trad. J. Thorel) – LA MANDRAGORE (trad. A. Coeuroy) – APPENDICE :
JEAN PAUL : QUELQUES « JUS DE TABLETTES » POUR LES MESSIEURS (trad. P. Velut). NOVALIS :
NOTICE DE LUDWIG TIECK SUR « HEINRICH VON OFTERDINGEN » (trad. Y. Delétang-Tardif ).
WILHELM WACKENRODER : VISION DE RAPHAËL, LA REMARQUABLE VIE MUSICALE DU
COMPOSITEUR JOSEPH BERGLINGER, LE MERVEILLEUX CONTE ORIENTAL DU SAINT
HOMME NU (trad. A. Coeuroy). JOHANN JOSEPH VON GÖRRES : SAINT FRANÇOIS D’ASSISE TROUBADOUR (trad.
E. de Cazalès). Notices sur A. W. SCHLEGEL ET ZACHARIAS WERNER.
N° 168.€
II
I N T R O D U C T I O N PA R E R I K A T U N N E R
N OT I C E S E T N OT E S
PA R J E A N - C L AU D E S C H N E I D E R
BI BL IOTH ÈQUE
DE
L A
PL ÉIADE
Tome II : Édition établie par Erika Tunner et Jean-Claude Schneider, comportant introduction, notices de présentation,
bibliographie, chronologie, notes.
BONAVENTURA : LES VIEILLES (trad. J.-C. Hémery) – CLEMENS BRENTANO : GODWI (extrait : trad. J.-C.Schneider) – LA
CHRONIQUE DE L’ÉCOLIER ITINÉRANT (trad. J. Carrère) – LA DEMOISELLE AU MYRTE – RAIMONDIN – GOCKEL, HINKEL
ET GACKLEIA (trad. H. Thomas) – HISTOIRE DU BRAVE GASPARD ET DE LA BELLE ANNETTE (trad. G. Picabia) – BETTINA
VON ARNIM : CORRESPONDANCE DE GOETHE AVEC UNE ENFANT (trad. S. Albin) – ACHIM VON ARNIM : MISTRIS LEE –
MELUCK MARIE BLAINVILLE – LE PRINCE TOUTDIEU ET LE TÉNOR DEMIDIEU (trad. J.-C Shneider) – ISABELLE D’EGYPTE
(trad. R. Guignard) – MARTIN MARTIR – HASARD DES RENCONTRES ET DES RETROUVAILLES (trad. J. Lambert) – MADAME
DE SAVERNE – LES HÉRITIERS DU MAJORAT (trad. H. Thomas) – L’INVALIDE FOU (trad. A. Béguin) – LES FRÈRES GRIMM :
CONTES DE L’ENFANCE ET DU FOYER (trad. Y. Delétang-Tardif ) – JOSEPH VON EICHENDORFF : LA STATUE DE MARBRE
– SCÈNES DE VIE D’UN PROPRE À RIEN (trad. R. Laureillard) – ADELBERT VON CHAMISSO : LA MERVEILLEUSE HISTOIRE
DE PIERRE SCHLEMIHL OU L’HOMME QUI A PERDU SON OMBRE (trad. A. Dietrich) – JUSTINUS KERNER : LES APATRIDES
(trad. D. Naville) – EDUARD MÖRIKE : LE PEINTRE NOLTEN (trad. L. Servicen) – GEORG BÜCHNER : LENZ (trad.J.-C. Schneider)
– APPENDICE : BRENTANO : LETTRE À CAROLINE VON GÜNDERODE. BETTINA VON ARNIM : LETTRE À ACHIM VON
ARNIM. ACHIM VON ARNIM : DÉSESPOIR D’AMOUR ET FUITE (trad. J.-C. Schneider). PRÉFACE DES GARDIENS DE LA
COURONNE (trad. A. Béguin). KERNER : LA VOYANTE DE PRÉVORST (extrait ; trad. du docteur Dussart).
N° 246.
À paraître prochainement
F. Scott Fitzgerald
Deux volumes
En septembre, la Bibliothèque de la Pléiade
accueillera un nouvel auteur : Francis
Scott Fitzgerald, dont elle proposera deux
volumes de Romans, récits et nouvelles dans
de nouvelles traductions réalisées sous la
direction de Philippe Jaworski.
De cette édition Folio propose un avantgoût. La traduction inédite de Gatsby
le magnifique par Philippe Jaworski est
proposée en avant-première dans une
édition limitée à l’occasion de l’anniversaire
de la collection.

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