La guerre kanak de 1917

Transcription

La guerre kanak de 1917
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La guerre kanak
de 1917 N° 62 • octobre - novembre - décembre 2008 • 700 FCFP
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Rencontres de la Médiathèque
« La parole de Jean-Marie Tjibaou…
Par Eric Waddell, département de géographie, Université Laval, Québec
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La parole voyage dans l’espace et dans le temps. Et parfois elle arrive de loin. De très loin ! Alors professeur à l’université
Laval (Québec), Éric Waddell a entendu la parole de Jean-Marie Tjibaou pour la première fois aux Îles Fidji. C’était au
début des années quatre-vingt-dix, soit deux ou trois ans après que le leader politique et penseur kanak eut été arraché
au monde des vivants. L’acte d’écouter et de partager ses mots avec des collègues et étudiants océaniens a eu un effet
déclencheur et Éric Waddell est parti par la suite à la recherche de l’homme et de sa pensée. Le voyage a duré plus d’une
décennie. Éric Waddell raconte, dans sa conférence, la parole de Jean-Marie Tjibaou telle qu’il l’a appréhendée et ce,
dans sa portée universelle aussi bien que nationale. Il évoque ses valeurs, ses espoirs, ses expériences formatrices et
les hommes qui l’ont marqué, grâce en bonne partie aux rencontres que le conférencier a eues avec des gens qui ont
côtoyé ou ont été à l’écoute de ce très grand Océanien : à Nouméa, Hienghène, Tiendanite et aussi à Suva, Canberra,
Christchurch, Paris, Genève, au Larzac et en Amérique.
Puisant l’essentiel de cette conférence dans une biographie qu’il vient de faire paraître à l’University of Hawai’i Press,
sous le titre Jean-Marie Tjibaou, Kanak Witness to the World, et publiée avec le concours de l’Agence de développement
de la culture kanak, Éric Waddell souhaite remplir un double objectif. Faire en sorte, par le biais d’un ouvrage adressé
au monde océanien anglophone, que la parole de Jean-Marie Tjibaou puisse poursuivre son chemin à travers le Grand
Océan, montrant ainsi l’importance de sa pensée pour la suite du monde.
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« Littératures calédoniennes »
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Par Hamid Mokaddem, agrégé de Philosophie
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Après avoir enquêté, au sens conféré à ce mot par l’anthropologie sociale, sur les écritures littéraires, Hamid Mokaddem se
décide d’interroger les inscriptions des jeux d’écriture vis-à-vis de la langue française. Ces jeux d’inscription ne sont jamais
neutres a fortiori en Nouvelle-Calédonie où la destinée politique, ou si on préfère, le rapport politique entre la France
et l’archipel, est toujours paradoxal, ambigu pour ne pas dire contradictoire. À travers l’étude des énoncés littéraires, il
s’agit de comprendre ces espaces littéraires dans lesquels se positionnent les manières, les styles, les procédures, les
écritures. Au bout du compte, une seule question s’impose, franche, lapidaire, sommaire, qui est celle-ci : les littératures
de la Nouvelle-Calédonie, dont la plupart s’expriment en français, sont-elles pour autant françaises ? Derrière l’apparente
niaiserie de la question, la communication s’assigne comme objet de démontrer que la littérature peut être lue autrement
que pour le plaisir esthétique. Elle est objet de connaissance, elle est connaissance littéraire pour parler comme Jacques
Bouveresse. La connaissance littéraire contribue-t-elle à infléchir les façons de sentir et de comprendre le monde ? Autre
question à laquelle Hamid Mokaddem s’efforcera d’apporter des éléments de réponse. Cette conférence poursuit trois
travaux dont deux sont achevés et prennent la forme de deux publications : Œuvres et Trajectoires des écrivains de la
Nouvelle-Calédonie (2007) et Littératures calédoniennes. La littérature océanienne francophone est-elle une littérature
française ? (2008).
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Exposition
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Hamid Mokaddem est professeur agrégé de philosophie à l’IFMNC à Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Il est auteur de plusieurs livres et
articles dont notamment Ce souffle venu des ancêtres… L’œuvre politique de Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), Expressions, 2005. Il finit
la rédaction d’une thèse d’anthropologie sociale « Conjonction des systèmes socioculturels en Nouvelle-Calédonie contemporaine ».
La Médiathèque organise chaque année une exposition dont l’objectif est la mise
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en valeur de fonds méconnus
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du grand public, en particulier les documents iconographiques. En 2008, la manifestation Trésors de la Médiathèque 10 ANS DE P
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met à l’honneur la programmation particulièrement riche et variée de l’Agence de développement de la
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culture kanak à travers une rétrospective d’affiches et de captations photographiques réalisées depuis la
préfiguration du centre culturel Tjibaou jusqu’à aujourd’hui. Les grands moments de l’ADCK seront exposés
au regard du public et témoigneront du formidable attrait qu’ont suscité les expositions accrochées, les
spectacles présentés, les conférences animées au sein de cette institution, véritable catalyseur de la
décennie qu’elle vient de traverser. Réunis dans l’allée centrale du 4 novembre 2008 au 29 mars 2009, ces documents
montrent la prodigieuse dynamique du CCT de 1995 à 2008 tant dans le cadre de sa préfiguration que dans l’espace
majestueux de la presqu’île de Tina. Sont évoquées l’émergence d’un lieu favorisant une offre culturelle différente
répondant aux besoins d’un public soucieux de qualité, l’apparition de nouveaux talents pouvant s’exprimer dans cet
écrin de la culture kanak et des cultures océaniennes ainsi que la multiplicité des projets artistiques défendus.
EXPOSIT
Waké nâimâ : créons ensemble, Pacific Tempo, Egu kaje : la mer et les océaniens, Le sentier : Kaa Wegna, Âji âboro : l’homme vrai, Manu Dibango,
Ko Névâ : art contemporain kanak, Le Kookaburra qui vola la lune, Fragments nomades, Premiersclichés@nc, Figninto : l’oeil troué, Robes
mission : histoire(s) de femmes, Tokiko : entrevoir les mots des murs, Visages du Cinéma océanien, Le Papalagui, Les Damnés, Feu nos Pères.
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Au-delà de cet échantillon, la Médiathèque présente un petit catalogue des incarnations des rêves d’un destin commun, nichés entre
tradition et modernité. Qu’il s’agisse de pièces de théâtre, de spectacles accueillis, d’expositions du Fonds d’art contemporain kanak et océanien,
ces événements culturels qui soulignent une ouverture d’esprit, apprennent aussi à grandir et racontent à leur façon l’évolution de la société d’un
Pays en devenir.
Mwà Véé n° 62
Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1917-1918 - Chronologie de la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
La « Dernière Révolte » de Kanaky Nouvelle-Calédonie : vision de conflits passés dans un avenir commun .
1917 et 1878 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Document : Histoire de la rébellion du côté de Koné .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Document : Baco, 21 mai 1917, Tein Bayyol Mangol à Pasteur Milo à Nouméa .
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Document : Un épisode de la révolte kanak de 1917 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Entretien avec Adrian Muckle, historien : la guerre kanak de 1917, ses causes et ses conséquences .
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Interrogatoire de Poindet Apengou & commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
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Interrogatoire de Tiapy Moueaou dit Tihain & commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
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Noël de Tiamou et ses « frères » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
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Entretien avec Sylvette Boubin-Boyer, historienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Récit : Joseph Karie Bwarhat, de Hienghène .
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Récit : Noël Tuaï Gohoup, de Maïna. Neveu de « Noël de Tiamou » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
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Récit : Pascal Kalewaik Couhia, de Tiendanite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
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Entretien avec Patrice Godin, anthropologue .
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Les souvenirs de Nicolas Ratzel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
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Complément bibliographique sur la guerre de 1917 et son contexte historique .
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Photo de couverture : Eric Dell’Erba.
Objets représentés : fusil Lebel (collection musée de la Ville de Nouméa), képi d’officier supérieur (collection musée de la Nouvelle-Calédonie),
monnaie kanak dans son étui (collection musée de la Nouvelle-Calédonie), hache à lame de métal trouée par une balle (ancienne collection Nicolas Ratzel,
musée de la Nouvelle-Calédonie).
Dossier élaboré et réalisé par Emmanuel Kasarhérou, Gérard del Rio, Emmanuel Tjibaou, en collaboration avec Adrian Muckle, historien.
Remerciements pour leur contribution à : Sylvette Boubin-Boyer, historienne ; Alban Bensa, anthropologue ; Patrice Godin, anthropologue ; Marianne
Tissandier : musée de Nouvelle-Calédonie (armes de l’ancienne Collection Ratzel) ; Véronique De France : musée de la Ville de Nouméa (fusil et képi utilisés
pour la photo de couverture de ce numéro) ; Ismet Kurtovitch, service des Archives de la Nouvelle-Calédonie (photos anciennes de l’album Maurice et Raymond
Leenhardt. Ainsi qu’à toutes les personnes qui, par leur parole, ont nourri ce dossier.
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Mwà Véé, le titre de cette
revue, est issu de la langue
drubéa. Il essaie de traduire
l’idée de journal : un
support ou contenant de
paroles, de mots, d’idées.
D’une langue à l’autre, la
traduction du concept
« journal » n’est jamais
identique, chaque langue
découpe à sa façon la
réalité. En pije, le concept
renvoie à la notion de
« maison de paroles » :
Ngen Falik. En paicî, on
dira plutôt Popaï : « vrai
discours » ou « discours
sacré ». Dans les langues
des îles Loyauté, le terme
peut se définir comme
« panier, enveloppe de
discours » : Cenge Eberedro
(nengone) ou encore
« fragments de paroles » ou
« morceaux de paroles » :
Ut Ho Fuuc (iaai).
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SOMMAIRE
1917 Circulation de la parole de guerre et déplacement des populations suite à la répression . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Erratum
Dans l’éditorial de notre précédent numéro : Mwà Véé n°61, « Les kanak et le football », nous avons quelque peu contracté le temps qui a séparé l’exposition coloniale de 1931
et la victoire de l’équipe de France en coupe du monde de football en 1998. Soixante-sept ans séparent ces deux événements et non trente-sept comme nous l’avions écrit.
Mwà Véé
Revue culturelle kanak éditée par l’Agence de développement de la culture kanak (ADCKcentre culturel Tjibaou).
Rue des accords de Matignon • BP 378 - 98 845 Nouméa cedex.
Tél : (687) 41 45 55 - Fax : (687) 41 45 56 • [email protected] • www.adck.nc.
Directeur de publication : Emmanuel Kasarhérou.
Direction éditoriale : Emmanuel Kasarhérou - Emmanuel Tjibaou.
Rédacteur en chef : Gérard del Rio.
Documentation : Médiathèque du centre culturel Tjibaou.
Crédit photographique : Toutes les illustrations de ce dossier, sauf mention, sont
de Gérard del Rio.
Mise en page : TOTEM Infographie • Tél : 79 54 30 – Fax 26 24 97
– [email protected]
BP 526 – 98845 Nouméa Cedex.
Impression : Impression IRN - Nouméa
sur papier recyclable.
Distribution/diffusion : Nouvelles messageries calédoniennes de presse
Tél : (687) 27 57 44 - Fax : (687) 24 01 50 • BP 2215 • 98845 Nouméa Cedex •
Nouvelle-Calédonie.
Gestion commerciale/publicité : ADCK - centre culturel Tjibaou.
Communication : Jérôme Devillers, ADCK - centre culturel Tjibaou.
Gestion abonnements : Brigitte Delpouve, ADCK - centre culturel Tjibaou.
Les articles publiés dans ce numéro peuvent être reproduits avec mention de la
revue et de l’éditeur : Mwà Véé-ADCK. Les œuvres reproduites dans ce numéro ne
peuvent être reproduites sans l’autorisation de leur auteur.
Financement : La revue Mwà Véé est éditée grâce à la participation du ministère
de la Culture, du ministère de l’Outre-Mer, de la Province des Îles Loyauté, de la
Province Nord, de la Province Sud.
Partenariat : Air Calédonie, transporteur domestique officiel de l’ADCK-centre
Tjibaou.
Dépôt légal : 4 e trimestre 2008 • Nouméa • ISSN n° 1250.7776
La guerre kanak de 1917
Ce titre souligne à lui seul l’importance de ce qui s’est passé entre avril 1917 et fin janvier 1918 dans la région
comprise entre Koné et Hienghène. Des événements à ce point décisifs qu’ils ont conduit des gens à la mort,
à la prison, à la guillotine. À ce point sensibles qu’ils ont engendré la migration de populations entières,
la destruction de villages entiers avec leurs cultures, la dépopulation de vallées entières, la déstructuration
coutumière, sociale et politique de toute cette région. À ce point marquants qu’ils ont mobilisé l’attention
d’acteurs ou d’observateurs de l’époque tels que le pasteur Maurice Leenhardt ou le père Rouel, puis, plus
tard, celle d’historiens tels que Sylvette Boubin-Boyer, Adrian Muckle, Alain Saussol, Joël Dauphiné,
d’anthropologues tels que Jean Guiart, Alban Bensa, Patrice Godin, pour ne citer qu’eux.
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Pourquoi ce soulèvement a-t-il pris une telle ampleur ? Sans doute en raison des maladresses involontaires ou
intentionnelles du gouverneur de cette époque et de son administration coloniale, comme le relève Nicolas
Ratzel dans ses souvenirs. Et pourquoi la répression a-t-elle pris, elle aussi, de telles proportions, et qui
avait intérêt à exacerber à ce point cette politique de la terre brûlée en décimant des villages entiers et des
cultures de façon aussi systématique ? En provoquant une déstructuration aussi radicale de l’organisation
traditionnelle dans cette région encore peu concernée par la colonisation par rapport à d’autres, mais
néanmoins réfractaire à sa percée ? Toujours est-il que cette organisation traditionnelle ne s’est jamais
vraiment remise du traumatisme et des conséquences de cette guerre de 1917. Le fait est, aussi, qu’à partir
de 1917, la colonisation foncière a rattrapé le « temps perdu », en particulier dans la région de Hienghène
qui s’était longtemps opposée à elle.
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© Coll. Fritz Sarasin (Museum Der Kulturen Basel, Musée des Civilisations de Bâle)
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Ce travail de recherche, étayé en premier lieu par les descendants de ceux qui ont vécu et subi cette guerre
et par les historiens qui travaillent sur le sujet, est d’autant plus difficile à mener que la mémoire vivante de
1917 a aujourd’hui disparu. Il faut donc se baser sur les récits souvenirs des descendants et sur les archives.
Toutefois, et en dépit des lacunes, des bribes et parfois des pans entiers de l’histoire s’éclairent au détour
d’une rencontre, d’un texte poétique ou d’un discours de guerre. Nous en avons retrouvé quelques-uns.
Par ailleurs, un ouvrage conçu par Alban Bensa, Yvon Goromoedo et Adrian Muckle à partir de récits
oraux kanak sur 1917, recueillis par Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre, et de documents d’archives est
actuellement en préparation.
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ÉDITORIAL
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Nous avons tenté, à travers ce dossier, d’apporter une lecture engagée de ces événements. Ce, dans le sens
d’un engagement dans la recherche non pas d’une vérité édictée comme telle et difficile, voire impossible,
à établir, mais d’une meilleure compréhension de cette période-clé de la colonisation, tout au moins avérée
comme telle en ce qui concerne la région placée au centre de ce conflit.
Aujourd’hui, et même s’il reste encore beaucoup à apprendre et à déchiffrer, d’interdits à lever, la zone
d’ombre qui a longtemps recouvert cette période de 1917-début 1918, mais aussi de 1919, année du procès
des « insurgés », s’estompe donc peu à peu pour laisser place à une vision de plus en plus précise de la guerre
kanak de 1917.
Mwà Véé (Gérard del Rio)
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
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Chronologie de la guerre
Établie par Adrian Muckle
Première vague de recrutement de tirailleurs volontaires : 716 hommes inscrits.
décembre
1916-avril 1917
Seconde vague de recrutement de tirailleurs volontaires : 390 hommes inscrits.
Début des préparations pour le départ du 3e contingent.
7 février 1917
Arrêté ordonnant l’appel des mobilisables jusqu’à la classe 1889 inclusivement. Suite à un violent cyclone
(14-15 février), la mobilisation sur la côte Ouest est reportée au 2 avril. Des retards supplémentaires
se produisent, et le départ des mobilisés du district de Koné n’a lieu que le 5 avril.
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janvier-mars 1916
Paris notifie à Nouméa que le Gange doit appareiller début avril avec le contingent suivant, qui doit
comprendre : 1. « Derniers soldats carrière ayant pas fait campagne » ; 2. « Classes 1916 et 1917 groupe
et 1918 Nouvelle-Calédonie seulement, en tout 400 hommes » ; 3. « Canaques recrutés dans limite
500 » ; « S’il y a lieu d’après capacité Gange mobilisables service armé plus jeunes classes ».
25-26 mars 1917
Repiquet se rend à Koné pour inspecter les dégâts causés par le cyclone de février.
Au cours des jours qui suivent, des hommes armés se rassemblent à Pwanaki et
effectuent des raids dans les réserves de Koniambo (Grombaou) et de Noéli.
4 avril 1917
Les gendarmes de Koné (Faure et Thomassin, accompagnés par le père Halbert) rendent visite aux hommes armés de
Pwanaki, parmi lesquels se trouve Noël de Tiamou. Ces hommes leur expliquent qu’ils agissent ainsi parce qu’ils ont reçu
des menaces (de la part de la police de Koniambo) au moment du recrutement de volontaires pour la guerre en Europe.
5 avril 1917
L’affaire de Koné : des hommes armés venant de Pwanaki font leur apparition aux abords
du village de Koné au moment où les mobilisés se préparent à appareiller du wharf de Foué.
Panique chez les colons locaux, qui exigent une intervention de l’Administration.
6 avril 1917
L’Administration décrète la « censure », donne l’ordre au Kersaint (Cdt Bouju) d’appareiller pour Koné, et donne à
l’administrateur (chef du Service des affaires indigènes) Fourcade (mobilisé) mission de prendre les mesures nécessaires
pour neutraliser les fauteurs de troubles, calmer les populations de colons et ramener la paix parmi les tribus.
8-9 avril 1917
Arrivée de Fourcade à bord du Kersaint avec un détachement d’infanterie de marine. Les
colons plaident auprès de Fourcade et de Bouju pour que ces derniers mettent certains
chefs aux arrêts. Une tentative d’arrestation de Poindet Apengou échoue.
12 avril 1917
L’unité d’infanterie de marine est remplacée par 40 tirailleurs, en grande partie des Tahitiens, commandés par
le lieutenant Pannetrat. Un ordre secret est donné pour l’arrestation de Noël et de Poindet Apengou.
24 avril 1917
Retour de 60 permissionnaires européens.
8-25 avril 1917
Fourcade et les tirailleurs visitent les réserves de la région de Koné : Baco (16 avril), Koniambo
(17 avril), Poindah et Naparouen (19 et 24 avril), Pwanaki (20 avril) et Paola-Netchaot (25 avril). Les
tribus sont invitées à participer à une cérémonie de réconciliation à Tiamou le 28 avril.
17 avril 1917
L’Administration est informée que le départ des mobilisés est retardé (en raison du naufrage du Gange).
25 avril 1917
Noël et ses hommes sont observés en train de faire des préparatifs pour la cérémonie du 28 avril.
26 avril 1917
Fourcade rencontre Maurice Leenhardt. Discussion du plan secret pour
l’arrestation des meneurs pendant la cérémonie « de paix ».
27 avril 1917
30 soldats arrivent à Hienghène pour y établir un poste d’observation.
28 avril 1917
Affaire de Tiamou : la cérémonie de « réconciliation » de Fourcade finit dans un bain de sang. Fourcade arrête
17 hommes. Des guerriers, commandés par Noël et Waï, tendent une embuscade au détachement.
2 mai 1917
Le gouverneur Repiquet arrive à Koné avec des renforts, et un ultimatum final est signifié à Noël de Tiamou.
env. 1-21 mai 1917
Raids des « rebelles » sur les stations des hautes vallées de Koné, Pouembout, Amoa et Tiwaka : la station Chautard à
Pombéi, la station Barada à Amoa, la station Gros à Boutana, ainsi que chez des colons de la Forêt-Plate (env. 18 mai).
6 mai 1917
Soldats et volontaires attaquent Pwanaki.
8-9 mai 1917
Soldats et volontaires attaquent Pana.
12-13 mai 1917
Soldats et volontaires attaquent Pamoa.
19 mai 1917
Démobilisation provisoire des hommes. Ceci ne s’applique pas aux contingents tahitiens ou aux hommes déjà en
poste dans l’intérieur, auxquels on demande de rester à leur poste jusqu’à leur relève par des troupes entraînées.
21-22 mai 1917
Soldats et volontaires attaquent Atéu.
23 mai 1917
Maurice Paétou commande un assaut « rebelle » sur la mine du Kopéto.
env. 26 mai 1917
Deux unités viennent en renfort du détachement de Koné : « infanterie blanche
et tirailleurs ». Un poste militaire est établi à Touho.
30 mai 1917
Attaque « rebelle » contre la réserve de Noéli. Un détachement est envoyé à la station Caujolle à Poinda.
env. 31 mai 1917
Attaque « rebelle » contre une station dans la vallée de la Côgo ; le régisseur est tué.
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19 février 1917
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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La guerre kanak de 1917
1er juin 1917
Soldats et volontaires kanak attaquent Paola-Netchaot. La mitrailleuse est installée pendant que
des feux de salve sont dirigés sur le village de Paola. Les indigènes fuient en montant les pentes
du Paolau, non sans laisser en arrière plusieurs blessés. Bilan : au moins 9 morts.
9 juin 1917
Attaque « rebelle » contre la station Gros à Néouiou, suivie d’attaques
contre d’autres propriétés dans la vallée de la Tipindjé.
10 juin 1917
Soldats et volontaires kanak attaquent Néua (vallée de la Pana).
12 juin 1917
Repiquet fait appel à toutes les communes du Nord et leur demande « l’aide de cavaliers
disposés à se porter volontaires pour servir d’éclaireurs et d’observateurs, ainsi que pour
combattre dans l’effort de poursuite et de répression des indigènes « rebelles » ».
16 juin 1917
Attaque « rebelle » contre les colons de Oué-Hava (Tipindjé).
19-20 juin 1917
Les soldats mettent le feu à un village abandonné de la haute Amoa.
20 juin 1917
Soldats et volontaires kanak attaquent Paouta (réserve Kovéi).
? 23-30 juin
Des bataillons venant de Koné et de Tipindjé encadrent une attaque contre Pamalé.
26 juin 1917
Mobilisation sur place des colons des classes 1889-1911 dans les communes concernées par les conflits.
28 juin 1917
Repiquet indique dans son rapport que la phase de déploiement est terminée, et qu’il convient maintenant
de mener une « véritable campagne de guérilla ». Le recrutement des auxiliaires commence durant la
première quinzaine de juillet à Bourail, Houaïlou, Kouaoua, Canala, Poindimié et Ponérihouen.
Étendue maximum du déploiement militaire dans le Nord : 400 soldats (infanterie coloniale,
infanterie de marine et tirailleurs) et au moins 14 postes militaires séparés.
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1er-7 juillet 1917
Le détachement de Tipindjé (comprenant des troupes d’infanterie de marine et une mitrailleuse
actionnée par des artilleurs du Kersaint) reçoit l’ordre d’attaquer Ouen-Kout.
8 juillet 1917
Attaque « rebelle » contre le poste militaire de la station Laborderie (Tipindjé).
9 juillet 1917
Les soldats et les volontaires kanak contre-attaquent à Ouen-Kout et à Oué-Hava.
8-9 juillet
Raid sur Noha par des colons volontaires à cheval. Des volontaires kanak
essaient de capturer Noël de Tiamou dans la région de Tâji.
9-16 juillet 1917
Raids « rebelles » sur Tiouandé et Ouanache.
14 juillet 1917
347 auxiliaires entrent en action sous le commandement des géomètres Bernier et Martin-Garnaud,
avec le soutien de soldats du détachement de Poindimié-Amoa (et accompagnés du père Rouel).
Les ordres sont de « nettoyer » les hautes vallées d’Amoa, Koné, Pamalé et Tipindjé.
14-19 juillet 1917
Les auxiliaires attaquent et détruisent des habitations dans la haute vallée de l’Amoa
et sur les flancs du mont Poilou au-dessus de Paola-Netchaot.
18 juillet 1917
Le détachement de Tipindjé reçoit l’ordre d’attaquer la tribu de Kavéat et de procéder à
un « nettoyage intégral » de la zone comprise entre Oué-Hava et Tiouandé.
19-20 juillet 1917
Attaque « rebelle » sur des propriétés et villages de colons à Ouarégath et à Pindache (près de Hienghène).
20-22 juillet 1917
Les auxiliaires attaquent Néami et Bobéitio.
23 juillet 1917
Les auxiliaires attaquent le campement « rebelle » du rocher Até.
24 juillet 1917
Des soldats du détachement de Voh attaquent le village « rebelle » de Morandia, au sud-ouest de Oua-Tilou.
24-25 juillet 1917
Les auxiliaires pénètrent dans le bassin de la Pamalé et entament une descente vers la
vallée de la Tipindjé. Pendant la quinzaine qui suit (jusqu’au 11 août), des assauts répétés
sont lancés contre les villages de la région de Oué-Hava et Ouen-Kout.
3 août 1917
Le détachement de Koné, assisté de volontaires, attaque Paloua (haute Pouembout).
10 août 1917
Il est signalé qu’une station à Côgo a été pillée.
11 août 1917
Auxiliaires démobilisés à Tipindjé et renvoyés dans leurs foyers.
14 août 1917
118 personnes de la région de Koné se placent sous la protection de Tobie, chef de
Tiwaka. 10 hommes sont envoyés à Nouméa comme prisonniers.
19-23 août 1917
Le détachement de Voh tue plusieurs personnes aux environs de Côgo tandis que les
« rebelles » lancent un raid sur la réserve de Ouanache pour la deuxième fois.
23-24 août 1917
L’épouse de Poindet Apengou et plusieurs autres femmes sont capturées près de Bopope.
26-27 août 1917
Soldats et volontaires attaquent un campement près de Tiouandé.
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env. 30 juin 1917
9 septembre 1917
Attaque « rebelle » contre le poste militaire de la station Martin à Pouépaï (Voh).
c.13-15 septembre 1917
Poindet Apengou et Paétou rencontrent Maurice Leenhardt à Poyes ; Paétou se rend à Leenhardt.
21 septembre 1917
L’Administration décide de mobiliser à nouveau les auxiliaires.
25-26 septembre 1917
Le détachement de Koné capture 5 hommes et 10 femmes à Noéna dans la vallée de la haute Tiwaka.
env. 15 octobre 1917
Soldats et tirailleurs sont retirés de la côte Est en attente de l’arrivée du El Kantara. 200
auxiliaires sont déployés à Tipindjé sous le commandement du géomètre Bernier.
16 octobre 1917
Les auxiliaires repèrent un groupe important (présumés « rebelles ») comprenant des femmes et
des enfants, sur les crêtes séparant les vallées de la Tipindjé et de la Hienghène près de Tiendanite.
Ils reçoivent ordre de ne pas pénétrer dans les vallées de Poyes, Tiendanite et Hienghène où
des tentatives de pourparlers avec différents groupes de « rebelles » sont en cours.
21 octobre 1917
Le détachement de Koné repère un groupe de « rebelles » à Pamalé occupé « à rallier le bétail ».
22-23 octobre 1917
Poindet Apengou est arrêté dans la vallée de la haute Tiwaka.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
15 personnes de Pouépaï et de Coumpetch (y compris 7 « rebelles ») se rendent à
Fourcade à Hienghène. Permission leur est accordée de rester à Tiendanite.
23-24 octobre 1917
Le détachement de Koné et les volontaires coordonnent une opération contre les « rebelles » aperçus à
proximité de Pamalé. Les auxiliaires de Tipindjé sont positionnés de manière à empêcher toute retraite.
27 octobre 1917
Arrivée du El Kantara avec environ 200 permissionnaires européens. Repiquet indique dans son rapport que la rébellion
est « en voie d’extinction » ; le nombre de capitulations augmente, ainsi que le nombre de tentatives de pourparlers.
N.B. : Les auxiliaires sont mis en repos pour la plus grande partie du mois de novembre.
10 novembre 1917
Départ du El Kantara avec environ 773 hommes (soldats et tirailleurs).
14-18 novembre 1917
Négociations avec les « rebelles » dans la région de Tiendanite. Louis Poulet, un colon
de Hienghène, rencontre Kavéat pour négocier vers le 16 novembre 1917.
env. 22 novembre 1917
Repiquet demande à Murard de faire une dernière tentative de négociation avec Kavéat.
23 novembre 1917
Le commandant supérieur Durand doit être remplacé par le capitaine Milledrogues (à ce moment-là en
route pour la France). Repiquet se retrouve seul maître des opérations finales de la répression.
24 novembre 1917
Repiquet indique dans son rapport que les pourparlers avec Kavéat ont échoué ; les troupes
reçoivent ordre de reprendre les opérations dans les régions de Tipindjé et Pamalé.
28-29 novembre 1917
Les auxiliaires reprennent les combats et lancent une attaque contre un campement à Compouech,
au-dessus de Tiendanite ; l’attaque échoue. Dans son rapport, Bernier écrit que l’expédition a été « un
fiasco complet » et que les « rebelles » avaient tous trouvé refuge à Tiendanite. Bernier ordonne aux
auxiliaires de ne pas faire feu, dans le but de donner aux fuyards une fausse impression de sécurité.
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env. 23 octobre 1917
Permission est donnée aux auxiliaires de franchir les crêtes séparant les vallées de la Tipindjé et
de la Tiendanite. Un poste militaire est installé à l’extrémité de la vallée de la Tiendanite.
3 décembre 1917
Un communiqué annonce que les permissionnaires (qui devaient partir ce jour-là)
doivent maintenant rejoindre le 1er bataillon d’infanterie coloniale.
6 décembre 1917
Un communiqué confirme qu’un « sursis provisoire » est accordé aux permissionnaires. Ratzel appareille de
Nouméa pour prendre le commandement de la phase finale de la répression à Hienghène. Il est accompagné
de « soldats calédoniens de retour du front ». Il débarque à Hienghène le 8 décembre 1917.
8 décembre 1917
Les auxiliaires tuent trois personnes à Tendo.
9 décembre 1917
Doui Bwarhat conseille aux habitants de la haute Hienghène de descendre vers la côte pour éviter d’être
considérés comme des « rebelles » ; il installe des drapeaux pour indiquer les limites de son territoire.
13-14 décembre 1917
Trois colonnes d’auxiliaires et de soldats (240 hommes) attaquent un campement à l’est de Tendo.
16 décembre 1917
16 décembre 1917- ? janvier 1918
Les auxiliaires tuent 16 personnes près de Tendo.
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Les auxiliaires poursuivent les « rebelles » en direction de Coulna à travers une forêt dense et sous une forte pluie.
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Un cessez-le-feu de 24 heures permet à Goa, grand chef de Tendo, ainsi qu’à Mindia, petit chef de Tiendanite,
et à leurs hommes de descendre dans la vallée pour se rendre. À la date du 26 décembre à Hienghène, 212
« rebelles » se seront rendus, dont 167 adultes. 67 seront envoyés à Nouméa comme prisonniers.
10 janvier 1918
Noël de Tiamou est tué et décapité près de Koniambo par Mohamed ben Ahmed.
11 janvier 1918
Poindi, « frère de Noël », est tué et l’épouse de Noël est capturée.
15 janvier 1918
Les auxiliaires reprennent les opérations. Bernier remplace Ratzel au
commandement des opérations dans la région de Ouango.
23 janvier 1918
Les auxiliaires retournent à Tipindjé et sont finalement démobilisés.
31 janvier 1918
Repiquet demande en vain la permission de décréter l’état de siège, pour pouvoir faire juger les
meneurs présumés par un tribunal militaire autorisé à prononcer des peines capitales.
6 février 1918
Le corps de Kavéat, chef de Tipindjé, est retrouvé et identifié.
23 février 1918
Des patrouilles sillonnant la région de Katémoinda (source Ouasibou, région d’Ouindé Poaye,
Paola) ne trouvent rien. Les partisans de Tiaoué rentrent sans avoir trouvé trace de « rebelles »
dans la région Atéou Néami, pas plus que dans les massifs de Tandji et de Poindala.
27 février 1918
Arrestation de Oigni/Waï, frère de Noël de Tiamou, et de quatre autres hommes.
21 mars 1918
Adjudant-chef Durand (Koné) : « Estimant campagne répression rebelles presque terminée
demande autorisation retirer fusils 74 entre mains partisans Baco, Koniambo, Tiaoué. »
L’aménagement du fort de Tiénitap est terminé.
mars 1918-mai 1919
Instruction judiciaire : au moins 971 procès-verbaux d’interrogatoires.
23 mai 1918
6 hommes se rendent à Kouya.
env. juin 1918
Plus de 256 personnes inscrites comme prisonniers à Nouméa.
1er juin 1918
Adjudant-chef Durand (Koné) : page 9 : « Quelques mauvaises têtes irréductibles ont groupé autour d’elles
quelques inconscients et trouvent encore asile dans certains coins reculés et inexpugnables des forêts
de la chaîne centrale. Ils sont peu nombreux, méfiants et ont surtout peur. » Durand explique que la seule
façon d’atteindre ces hommes est à travers « des paroles de paix » ou « nuitamment et par surprise ».
3 juin 1918
Environ 200 soldats restent sur la région, cantonnés en 13 postes : Hienghène, 30 ; Tiendanite, 15 ; Tendo, 15 ; Gaavatch,
4 ; Tipindjé, 26 ; Néhouyou, 15 ; Koné, 31 ; Poindah, 10 ; Pana, 8 ; Voh, 25 ; Tiénitap 15 ; Ouapane, 6 ; Pouépaï, 6.
juin 1919-septembre
1919
Le procès : 68 hommes sont jugés. Bilan : 5 décèdent pendant le procès ; 12 sont acquittés ; 56 sont condamnés aux
travaux forcés ; 5 sont condamnés à mort (2 décèdent en prison, 1 est gracié, et 2 sont guillotinés le 8 octobre 1920).
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22 décembre 1917
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Traduction française : Stéphane Goiran
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La guerre kanak de 1917
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La guerre kanak de 1917
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lors que d’autres messages du même
type étaient envoyés vers Koogo et
Haut-Coulna, l’invitation à entrer en
guerre a été lancée par le chef Bwarhat de Hienghène.
Le bùrù était signifié par une monnaie noire qu’apporta
Näbatögöröwèè – vraisemblablement un émissaire
de Kaféat, chef de Wankuut, ou Kaféat lui-même – à
Pamalé. L’invitation à entrer en guerre a ainsi atteint
les gens de Koné, sur la côte Ouest, via les villages
kanak, alors nombreux, de la haute vallée de la Tipijé.
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Le messager expliquait qu’il fallait se battre pour échapper
à la conscription forcée à laquelle la France procédait alors
pour envoyer des « volontaires » à la guerre de 14-18.
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La parole de guerre fut tantôt acceptée, tantôt refusée
par les tribus du bassin de Koné. Les partisans de
la guerre eurent du mal à convaincre beaucoup de clans à s’engager
dans l’aventure. Les incidents de Cémû, en avril 1917, radicalisèrent
les positions et firent passer Bwëé Noël Néa mä Pwëtiba [dit « Noël
de Tiamou »] et son frère Wâii à l’action contre les Blancs.
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La répression contre les Kanak a été systématique et a rayé de la
carte au moins une vingtaine de villages, dans les vallées de Pwëbuu
(Pwaalowë), de Tipijé et de la haute Hienghène. Le nombre des victimes
a été jusqu’à ce jour, à mon avis, largement sous-évalué. Les opérations
militaires orchestrées par les autorités françaises et mises en œuvre sur
le terrain par des bataillons composés de soldats français et tahitiens, de
quelques fils de colons et appuyés par des « auxiliaires indigènes » venus
principalement de la région de Houaïlou ont contraint les rescapés à
s’enfuir et à chercher refuge, soit auprès des clans qui n’étaient pas entrés
en guerre, soit auprès des missionnaires catholiques ou protestants qui
troquaient leur protection contre la soumission à l’ordre missionnaire.
Ainsi, de nombreux fuyards originaires de la côte Ouest gagnèrent la
côte Est ou bien attendirent la fin des hostilités pour retrouver, quand
cela était possible, leurs habitats antérieurs. En 1917, la carte foncière et
l’implantation des populations dans leurs espaces en ont été profondément
bouleversées au détriment des Kanak et ce, jusqu’aux événements de 1984.
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Alban Bensa
Cette carte, publiée en 1978 dans le courrier du musée
de l’homme, a été revue et corrigée pour sa réédition
dans ce numéro de Mwà Véé. Les corrections
et ajouts ont été reportés par Johana Téin.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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La guerre kanak de 1917
La « Dernière Révolte » de Kanaky
vision de conflits passés dans un avenir
Par Adrian Muckle
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Le préambule de l’Accord de Nouméa signé en 1998 offre
un prisme utile à la réflexion sur les représentations du passé
colonial en Nouvelle-Calédonie. La France et les communautés
locales de colons reconnaissent que la colonisation a privé
les Kanak de leur identité, aujourd’hui reconnue comme
légitime. À leur tour, les Kanak reconnaissent que certains
colons furent plus compatissants que d’autres, que certains
d’entre eux arrivèrent en Nouvelle-Calédonie contre leur gré,
et que les nouvelles communautés ont beaucoup contribué
au développement du pays : « Le moment est venu de
reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle
ne fut pas dépourvue de lumière1. ». Mais ceci constituet-il une fondation suffisamment solide pour bâtir un avenir
commun ? Ces « ombres » ont-elles été explorées ? Les temps
difficiles ont-ils été reconnus ? En quoi un tel souvenir ou
une telle reconnaissance peuvent-ils affecter les tentatives
visant à établir une nouvelle identité nationale ?
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L’importance accordée à l’identité « néo-calédonienne » et
à une société multi-communautaire doit être considérée au
regard des efforts engagés par les indépendantistes dans les
années 1980 pour défendre et soutenir une identité nationale
kanak tout en reconnaissant aux descendants de colons le statut
de « victimes de l’histoire ». Cet effort de reconnaissance
trouve cependant ses limites lorsqu’il s’agit de concilier
la mémoire d’une mobilisation commune dans la Grande
Guerre et celles de conflits locaux, générés précisément par le
recrutement des « volontaires ». C’est le cas des affrontements
qui eurent lieu en 1917-1918 dans le nord de la Grande Terre.
Il est instructif d’examiner comment un tel événement a pu
être représenté localement. Il est importe aussi de mettre
en question les récits nationaux aujourd’hui émergents qui
tentent d’éluder ou de marginaliser ces aspects du passé.
Ce texte étudie la façon dont « cette guerre dans la guerre »
a été représentée sur une période de quatre-vingt-dix ans,
ceci permettant d’ouvrir la critique d’une certaine lecture
des identités « néo-calédoniennes » et la manière dont ces
identités sont formulées5.
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
Revoir en détail la guerre de 1917-1918 n’a pas sa place ici.
Cependant, pour l’analyse qui suit, il est nécessaire d’en passer
brièvement en revue les grandes lignes6. La « guerre de 17 »
eut lieu à l’ombre de la Grande Guerre, en terrain vallonné,
entre Koné et Hienghène, entre avril 1917 et mars 1918. Le
recrutement massif de Kanak comme « volontaires » pour la
guerre en Europe en fut le catalyseur immédiat. Des guerriers « rebelles » kanak lancèrent des raids sur des propriétés
appartenant à des colons, attaquèrent des postes militaires et
tendirent des pièges à des colonnes militaires. L’évènement
causa un véritable bouleversement ; les propriétés européennes
et les hameaux mélanésiens se vidèrent, forçant les habitants
à trouver refuge sur la côte. La répression impliqua trois cents
Kanak « loyalistes », quarante colons à cheval et jusqu’à quatre cents hommes de troupes (y compris des colons mobilisés
ainsi que des volontaires kanak et tahitiens recrutés pour la
guerre en Europe). Les forces « rebelles » comptaient environ
cent guerriers dans leurs rangs, provenant d’une population
locale de quatre mille cinq cents personnes. La répression
se joua dans un contexte marqué par la limitation des ressources, l’emploi du temps des mobilisés et la question du
retour d’Europe des soldats permissionnaires. L’un des derniers actes du conflit fut la décapitation du leader présumé
des « rebelles », Noël de Tiamou, en février 1918.
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Le symbolisme est une partie importante du type de projet
de décolonisation et de construction de la nation annoncé
par l’Accord. En 1999, dans un acte symbolique qui fit la une
du journal Le Monde, le premier gouvernement élu après les
dispositions de l’Accord inscrivit sur le mémorial de guerre
de Nouméa les noms des Kanak volontaires morts au combat
lors de la Première Guerre mondiale2. Au même moment,
une exposition se tenait au musée de la Ville de Nouméa
sur l’implication de la Nouvelle-Calédonie dans la guerre.
À l’exposition et dans son catalogue, les Néo-Calédoniens
apprirent que mille deux cent trente-quatre (1 234) citoyens
français (y compris des métis) avaient été mobilisés ou appelés,
et que mille dix (1 010) Kanak avaient été recrutés comme
volontaires et enfin que cent quatre-vingt-cinq (185) de ces
citoyens (soit 15 %) et trois cent quatre-vingt-cinq (385) Kanak
(38 %) étaient morts à l’étranger3. Bien que la Grande Guerre
n’ait pas joué le rôle de pilier qui a pu soutenir le genre de
nationalisme observé dans les colonies voisines d’Australie et
de Nouvelle-Zélande, l’un des historiens locaux participant à
l’exposition a écrit depuis qu’insister sur la participation de tous
les groupes ethniques à la Première Guerre mondiale aidera
« l’ensemble des communautés calédoniennes à se forger ce
destin commun prévu par l’Accord de Nouméa de 19984 ».
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À l’ombre de la Grande Guerre
La guerre kanak de 1917
Nouvelle-Calédonie :
commun
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© Archives de la Nouvelle-Calédonie, album des pasteurs Maurice et Raymond Leenhardt, 2 Num9
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Au total, la guerre contribua, directement
et indirectement, à la perte de deux
cents à trois cents vies humaines dont
environ quatorze colons et militaires.
Une estimation officielle, portant à
soixante le nombre de « rebelles » tués,
sous-estima au moins de moitié le
nombre de personnes tuées en action7.
De plus, deux cent cinquante Kanak
furent emprisonnés à la fin de la guerre
et plus de soixante Kanak moururent
en captivité. En 1919, soixante-dixhuit hommes furent jugés, soixante et
un furent condamnés et deux furent
exécutés8.
Le cadre administratif
et judiciaire de « 1917 »
Durant 1917 et 1918, des hommes s’efforcèrent des deux côtés de comprendre
le conflit. Un enseignant protestant,
Téin Baï, saisit les incertitudes de nombre des belligérants kanak et signala
qu’il existait plusieurs causes au conflit.
Certes, l’opposition au recrutement des
Kanak comme soldats et les méthodes de
recrutement de l’administration représentèrent les premiers griefs. Mais des
plaintes plus anciennes portaient sur
l’imposition de régulations sanitaires,
la collecte de l’impôt de capitation et
les réquisitions de main-d’œuvre. Des
doléances évoquaient insultes, inimitiés,
conflits liés à des questions de terres et
de femmes et rivalités entre chefs9.
Soldats avec des
auxiliaires kanak
Les premières explications officielles
données à la « guerre de 17 » laissèrent
entrevoir le jeu de contradictions
intéressées. Au début de l’année 1918, le
gouverneur Jules Repiquet demanda la
permission de déclarer l’état de siège afin
de hâter l’application des sanctions et,
si nécessaire, l’exécution des prisonniers
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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La guerre kanak de 1917
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devant les tribunaux militaires. Cette
demande fut rejetée. Le ministère des
Colonies fit remarquer qu’il n’y avait
aucune preuve d’un danger imminent –
preuve exigée légalement pour appliquer
l’état de siège – et que la demande serait
rejetée par le Parlement qui devrait en
être informé. L’administration locale,
en imposant la reconnaissance du
conflit comme « guerre étrangère » ou
« insurrection à main armée » (comme
l’impliquait l’état de siège), espérait ainsi
rendre le gouvernement métropolitain
redevable des frais occasionnés par
la répression. Ceci aurait permis de
contourner les conventions conclues
en 1905 entre le gouvernement central
et le gouvernement local, marquant
officiellement la fin de la « conquête »
française – conventions qui prévoyaient
de transférer sur le budget de la colonie
le coût du maintien de l’ordre et des
opérations désormais qualifiées de
« police » (terme utilisé lors de la
première mention de la situation en
mai 1917). En guise de compromis,
les représentants du ministère à Paris
admirent que le conflit puisse avoir été
lié aux conditions exceptionnelles créées
par la guerre en Europe, l’administration
locale refusant néanmoins de
reconnaître sa responsabilité concernant
ses pratiques de recrutement militaire.
En revanche, l’État français n’admettait
pas que la guerre soit interprétée comme
une conséquence de sa conquête de la
Nouvelle-Calédonie. Elle devait être
envisagée comme une affaire intérieure
résultant de conditions exceptionnelles
de temps de guerre.
une tradition persistante de résistance
dans la région de Koné-Hienghène.
Il s’agissait d’un « sursaut de l’esprit
de sauvage indépendance » émanant
des tribus les moins civilisées et les
plus farouches de la Grande Terre.
Les Kanak, cependant, s’en étaient
pris « moins à l’Administration qu’ils
savaient bienveillante qu’au colon ; ils
voyaient en lui l’ennemi10 ». Ce refrain
d’un argument bien connu reflétait
la détermination des administrateurs
locaux à défendre leurs positions contre
des critiques potentielles à la fois dans
la colonie et en France. Il fut repris lors
du procès de 1919.
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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Monument de Tiwandé.
L’administration locale, témoignant
devant une cour de justice pénale et
dont l’action pouvait d’autant plus être
mise en cause, défendit au contraire
la thèse d’un conflit « racial » ancien,
inhérent à la situation coloniale.
Repiquet, se référant au rapport de
l’officier de marine Henri Rivière, à
propos de l’insurrection de 1878, soutint
que malgré de nombreuses « causes
directes et indirectes » impliquant
l’administration, la cause la plus ancienne
était « l’antagonisme existant entre les
deux races en présence ». Il dépeignit la
guerre à la fois comme un mouvement
d’indépendance nationale naissant et
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Dans un rapport soumis avant le procès,
l’inspecteur colonial Pégourier accepta
l’argument de Repiquet selon lequel
les « raisons occasionnelles » (« rivalités entre groupements indigènes, propos inconsidérés tenus par un petit chef
et ses gens à l’occasion de la levée des
tirailleurs volontaires, négligence et
maladresse imputables au syndic de la
circonscription ») étaient moins importantes que « l’antagonisme des races ».
Pégourier nuança pourtant ce propos
d’une manière significative, en faisant
remarquer que « cet antagonisme est
plus ou moins aigu et ses manifestations
ne sont pas forcément armées. C’est
aux pouvoirs publics qu’il appartient
de prendre des mesures en temps utile
pour éviter des excès douloureux suivis
de répressions impitoyables11. » La critique voilée de Pégourier renvoyait en
écho à l’insurrection de 1878 et au rapport de la commission d’enquête dirigée
par le général Trentinian, pour porter
la critique contre l’action des fonctionnaires locaux. Trentinian, en 1878, avait
soutenu qu’une grande partie de la responsabilité incombait à l’administration
locale qui aurait dû prévoir « l’envahissement des Blancs » et conseiller aux
colons d’« être plus prudents » vis-à-vis
des Kanak12.
De nombreux colons, gendarmes,
soldats et missionnaires, appelés à
témoigner dans le procès de 1919,
s’opposèrent à la thèse de la haine
raciale soutenue par l’administration
coloniale. Ils affirmèrent qu’ils avaient
été abandonnés par une administration
irresponsable qui aurait dû agir avec plus
La guerre kanak de 1917
de fermeté dès le départ. Ceci montre combien ils se sentaient
négligés par l’administration. Début 1919, les colons érigèrent
[à Tiwandé, sur la côte Est], un mémorial officiel en mémoire
des victimes non kanak du conflit. Selon le comité de collecte
des fonds, l’obélisque de granit bleu devait affirmer « la
vitalité » de la colonisation française, exprimer la gratitude
envers les marins et soldats tués et imposer le respect aux
« indigènes ». Ils exprimaient avec impatience l’attente d’une
solidarité plus forte parmi la population coloniale à l’avenir,
ceci faisant référence non pas aux relations entre colons et
Kanak mais aux divisions sociales entre petits et grands
propriétaires fonciers : il n’était alors nullement question des
Kanak dans cette perspective13. ©
Lors du procès de 1919, les arguments avancés par
l’administration furent contestés par l’un des avocats de la
défense. Celui-ci affirma que « l’antagonisme des races » était
une explication spécieuse et que l’administration, à cause d’un
manque de « politique indigène » cohérente, avait échoué
dans son devoir de civiliser les Kanak. Le chef du Service des
affaires indigènes (SAI), Fourcade, reconnut que peu avait
été fait pour les Kanak depuis 1853, que son service était
désorganisé et ne comptait pas assez de personnel. Des colons
attestèrent d’une administration qui refusait d’entendre leurs
craintes et de les soutenir. D’autres témoins de la région de
Koné déclarèrent à la barre qu’un ancien syndic abusait à un
tel point de son statut que « des mécontentements devenaient
inévitables ». En effet, le syndic avait imposé aux Kanak des
amendes non officielles et en partageait les bénéfices avec
ses complices kanak14.
les clôtures (qui ne fut appliqué que
temporairement), le contrôle du service
exercé par la gendarmerie. Les nouveaux
colons récemment arrivés sur le territoire
furent rassurés : en dépit de la récente
« insurrection indigène » qui eut lieu en
1917, « tout le monde nous assura qu’il
n’y avait rien à craindre des Kanak qui
nécessitaient seulement d’être tenus
d’une main ferme15 ».
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Vé
L’administration ne fut pas la seule à
se livrer à ce genre d’exercice. Le père
Rouel, un missionnaire catholique
qui avait exercé le rôle de caporalchef durant la répression, écrivit sur sa
volonté de ne pas évoquer les « troubles
récents » : « le silence dans la plupart
des cas sera ma règle16 ». Il se félicita
néanmoins de la défaite kanak qui lui
avait donné « un argument de poids
contre les funestes superstitions17 ».
Nommé par la suite à la mission de
Hienghène, Rouel prit en charge plus
de vingt enfants orphelins. L’un des
enfants placés à sa charge, dont la mère
avait été tuée, s’appelait Wenceslas Thi,
le père du futur dirigeant politique JeanMarie Tjibaou.
Le procès n’avait pas complètement résolu la question de la
responsabilité mais le débat devint moins virulent après 1920,
lorsque deux des hommes jugés coupables furent exécutés.
À ce stade-là, les gens, toutes communautés confondues,
désiraient oublier le passé. Des mesures furent prises pour
éviter de nouvelles révoltes et dissiper les craintes des colons :
le rétablissement de postes militaires, la construction de
routes, le renforcement de la réglementation portant sur
Les Kanak prirent part aussi à cette
œuvre du silence. La discrétion protégea
en effet plusieurs hommes recherchés
par les autorités ; ils vécurent cachés
jusque dans les années 1940. De
nombreux Kanak recherchèrent la
protection des missions. De nouvelles
conversions au christianisme ainsi que
des projets de constructions d’églises
k.
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Alors que les tensions entre les colons et l’administration
semblaient dominer les débats, des témoignages de Kanak
mirent en lumière les rivalités entre Kanak. En vue du
procès, la plupart des prisonniers furent interrogés au
sujet de leur participation au conflit. Nombre d’entre eux
saisirent l’opportunité pour y dénoncer leurs rivaux. Ainsi fut
révélé le rôle majeur du chef de Hienghène, Doui Philippe
Bwarhat, dans la mobilisation de combattants pour la guerre.
Cette accusation ne fut jamais prouvée officiellement mais la
mort ultérieure de ce chef (largement admise comme étant
un suicide, bien qu’il ait été également atteint d’une maladie
incurable) fut considérée comme la preuve de sa culpabilité ;
elle contribua à obtenir l’acquittement de douze des soixantedix-huit hommes accusés.
|w
L’œuvre du silence Pour sa part, Maurice Leenhardt, le
missionnaire protestant, trouva une
flèche d’église sculptée qu’il sauva des
cendres d’une maison appartenant à un
chef « rebelle » présumé. Il l’exposa à
son poste de missionnaire, en espérant
que cela incite à la réflexion sur « la
folie de la guerre » et sur l’échec
« du paganisme18 ». Il fit également
pression sur l’administration afin qu’elle
permette aux femmes et aux enfants
capturés par les auxiliaires kanak de
retourner dans leurs tribus respectives19.
Leenhardt avait de la compassion pour
les « rebelles » mais regrettait qu’ils
n’aient « jamais su formuler d’avance
leurs griefs, si faciles à justifier en bien
des points20 ».
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
Monument de Tiwandé.
11
© Archives de la Nouvelle-Calédonie, album des pasteurs Maurice et Raymond Leenhardt, 2 Num9
La guerre kanak de 1917
Gendarmerie de Koné, 1917.
©
M
absorbèrent les énergies. Le silence bien
gardé ne signifiait en aucun cas que la
guerre avait été oubliée. Les séquelles
de la guerre, les orphelins, les cicatrices
des survivants, les paysages défigurés,
les jardins et les villages abandonnés,
rappelaient à tous ce qui s’était passé.
Malgré le souci de l’administration de
dissiper les peurs, la possibilité d’une
nouvelle révolte, cependant, resta une
préoccupation majeure et les familles,
de colons et de kanak, vécurent, dans
les années 1920, dans la peur mutuelle
de représailles21.
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Vé
récits européens tendirent quant à eux
à minimiser la durée et le nombre de
victimes du conflit même si l’image
d’une « sauvagerie » si proche pouvait
tenter quelques écrivains.
T
C
Bien que cette idée de l’extinction d’un
peuple persistât, la population kanak
commença à se redresser à partir de
1921, après avoir atteint son niveau
démographique le plus bas dans le
sillage immédiat de 1917 et de la guerre
en Europe.
À l’ombre de la Deuxième Guerre mondiale
et de l’arrivée massive des troupes alliées
en Nouvelle-Calédonie, les visions reliant
un passé récent exotique ou sauvage, aux
Kanak civilisés d’aujourd’hui, étaient
particulièrement mises en avant. Pour H.P.
Schmidt, l’auteur néo-calédonien de New
Caledonia : Know Her to Love Her (1944),
la guerre de 1917-1918 reste un exemple
récent et séduisant du cannibalisme des
mers du Sud, mais il minimise l’ampleur
du conflit et il met l’accent sur l’absence
de tout danger :
En 1917, alors que de jeunes recrues, en
partance pour la France, quittaient Koné
pour Nouméa, les indigènes de Koné et de
Hienghène s’insurgèrent. Il fallut trois mois
pour les soumettre. Ils tuèrent trois colons
et deux soldats.
Mais de nos jours, grâce à nos missionnaires,
grâce à la sollicitude de notre Parlement
local, qui a également ouvert des écoles et
civilisé les indigènes, il n’y a rien à craindre
d’eux 28 .
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
Les chiffres avancés par Schmidt sont
les plus bas jamais donnés, que ce soit
en ce qui concerne la durée de la guerre
ou le nombre de victimes. Ils sont
également un exemple de la manière
dont les mentions aux décès kanak
ont été complètement supprimées des
archives publiques.
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Je ne m’attendrissais pas sur le sort de ces
Noirs, car nous n’étions là que pour les tuer.
Mais il y a dans l’agonie d’une race une si
tragique mélancolie qu’elle émeut ceux-là
mêmes qui la provoquent — ne serait-ce
k.
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Lors des décennies suivant 1917, la part
consacrée au conflit dans les archives
publiques diminua. Les récits kanak
ne furent évidemment pas publiés. Les
K-
Les migrations liées à la « guerre de
17 » réorganisèrent les espaces de
résidence. On a parfois affirmé que la
guerre n’avait pas entraîné de pertes de
territoires22. De fait, il n’y eut aucune
confiscation de terres et les réserves
étaient déjà délimitées. Mais ce n’est
qu’après 1917 que les Kanak furent
véritablement contraints d’y résider. Il y
avait eu des mariages pendant la guerre
comme il y en eut après – l’échange
de femmes faisant partie des alliances
formées dans le passé – et des enfants
étaient nés de ces unions. Leurs décès
donnèrent avec le temps l’opportunité de
se souvenir des alliances ou des unions
passées. Le mariage de Wenceslas Thi
à une femme de la famille Bwarhat fut
considéré comme une de ces alliances,
servant de moyen de réconciliation entre
les chefs du haut et du bas de la vallée
de Hienghène23.
C
AD
Dans les années 1920, 1930 et 1940,
les « rebelles » kanak furent dépeints
comme de féroces cannibales. On fit
référence aux évènements de « 1917 » de
manière à laisser supposer qu’un peuple
sauvage vivait toujours à proximité.
En 1922, tout ce que l’historien local
Clovis Savoie trouvait à dire à propos
de « 1917 », c’était que les Kanak,
« restés à l’état sauvage », avaient dévoré
leurs prisonniers comme un signe de
l’« ultime vengeance » du vainqueur
sur le vaincu 24. Dans la préface de
l’édition de 1941 d’une collection de
nouvelles, Jean Mariotti, écrivain natif
de Nouvelle-Calédonie, fit remarquer
que « lors de la dernière révolte en 1917,
les tribus du Nord tentèrent un retour à
la vie d’autrefois, selon toute la rigueur
du rite ancestral 25 ». Dans sa nouvelle
intitulée « Paysage », Mariotti décrit la
vie dans un poste militaire pendant la
répression et évoque les « incohérences »
des guerres faites simultanément en
Europe et en Nouvelle-Calédonie26.
Son récit évoque rapidement la brutalité
de la répression et la chasse aux têtes,
officiellement autorisée, perpétrée par
les auxiliaires kanak. Il termine sur le
commentaire suivant :
que dans le court instant où le vainqueur,
sentant le vaincu au penchant de l’abîme,
jette sur lui ce regard que nous accordons à
ce que le néant engloutit 27.
Le journaliste australien Wilfred
Burchett raconta les expériences de
Nicolas Ratzel, chef géomètre du Service
topographique, qui avait organisé la
répression, ainsi que les impressions de
ce dernier à propos du talent de limier
des traqueurs kanak 29. Dans l’avantpropos de Cannibal Island (1944),
H.E.L. Priday rappelle aux lecteurs
que « le passé de l’ancienne Mélanésie »
n’est pas « si loin, et que cela fait même
La guerre kanak de 1917
comme un choc de trouver à Nouméa
des gens dont les parents ont été tués
à la hache, pas plus tard que 1917, par
des sauvages couverts de peintures de
guerre. » C’est Priday qui fit référence
à « 1917 » comme à la « dernière des
révoltes kanak 30 ». Il fut le premier à faire
remarquer qu’elle n’avait reçu que peu
d’attention hors de Nouvelle-Calédonie,
le conflit ayant été éclipsé par la Grande
Guerre ; selon lui, l’histoire de « 1917 »
attendait d’être écrite.
©
Il se peut que cet intérêt renaissant
pour la Nouvelle-Calédonie lors de la
Deuxième Guerre mondiale poussât
Ratzel à écrire ses propres Mémoires en
1944. L’idée de la sauvagerie travaille de
façon significative son texte. Ratzel se
dépeint, en même temps qu’il dépeint
ses compagnons de route, comme
ceux qui ont excité la sauvagerie des
auxiliaires. Il se targue de l’opportunité
rare qui lui est alors offerte : « D’avoir
saisi sur ces faces humaines cette fugitive
image de la cruauté ancestrale était
certainement une chose très rare31… ».
En pensant à l’avenir, il chercha à fournir
une description détaillée pour donner
aux historiens futurs un matériel capable
de fonder une appréciation objective32.
M
travailler dans la région de TouhoKoné dès les années 1970, tranche avec
ces interprétations d’un conflit limité
et sans conséquence. « La répression »,
selon eux, prit « la forme d’une véritable
catastrophe » pour les Kanak dans la
région. Les migrations et la perte des
villages eurent des effets durables. Ils
présentent « 1917 » comme un moment
déterminant où les structures, les
alliances ou les divisions qui perdurent
encore aujourd’hui furent créées : « Tous
les faits de l’histoire individuelle ou
collective évoqués de nos jours sont
situés par rapport à cette coupure dans le
devenir du monde mélanésien colonisé :
“c’était avant 17, c’était après 17”. Cela
n’était pas seulement dû à l’impact de
la répression mais également à la longue
période d’organisation qui impliqua
une reprise intense de la diplomatie
et des alliances, à la fois politique
et symbolique : “Les relations entre
lignages et entre clans prirent alors une
configuration particulière qui, malgré
le temps, s’est perpétuée jusque dans
les discours et les actes des Mélanésiens
d’aujourd’hui39” ».
à
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points de vue, savoir si ces évènements
se réduisent à une « rébellion » organisée
(argument de l’accusation au procès) ou
s’ils sont simplement la conséquence
des provocations européennes et
de l’incompétence administrative
(argument de la défense). Il conclut
qu’ils étaient un acte de désespoir voué
à l’échec, provoqué par la confiscation
des terres et par l’incapacité de
l’administration à rendre la justice.
Mais à part mentionner les liens avec
la guerre de 1878-1879 et le déclin
démographique, Guiart ne dépasse pas
le cadre de l’acte d’accusation émis en
1919 et des commentaires fournis par
Leenhardt. Les seules histoires orales
citées par Guiart sont européennes ; il
minimise lui aussi le nombre de victimes,
réduisant de moitié le chiffre officiel de
soixante Kanak tués35.
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Dans les années 1970, « 1917 » est
déjà devenue l’incarnation de la fin de
l’apaisement colonial et de la fin de la
soi-disant sauvagerie. Mais les partis
politiques [NDLR : sous-entendu,
indépendantistes] commencent alors à
prôner l’indépendance de la NouvelleCalédonie ; dans les quinze ans de
lutte parfois violente qui suivirent,
« 1917 » et les périodes antérieures de
conflits coloniaux prirent une nouvelle
importance.
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Le travail d’Alban Bensa et de JeanClaude Rivierre, un anthropologue
et un linguiste qui commencèrent à
La lutte pour l’indépendance :
les histoires en noir et blanc
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En 1970, Jean Guiart, un ancien
étudiant de Leenhardt, publie un exposé
sommaire de « 1917 » dans le Journal de la
Société des Océanistes. Guiart y examine les
« évènements de 1917 » et confronte deux
AD
Jusqu’au milieu des années 1970, les récits
publiés sur les « évènements de 1917 »
continuent de minimiser leur ampleur
et leur importance. Le travail de l’ancien
missionnaire Maurice Leenhardt a une
influence notable. Dans des travaux
ethnographiques publiés dans les années
1930, 1940 et 1950, Leenhardt fait appel
à sa propre expérience de « 1917 » dans
ses échanges de points de vue sur la
guerre et la diplomatie kanak 33, portant
un jugement moral sur la nature de la
résistance qu’il estimait être un modèle
de résistance inappropriée et rétrograde
impliquant la réapparition de pratiques
païennes34.
é/
Vé
L’héritage de Leenhardt
À la fin des années 1970, l’implication
de Leenhardt dans la guerre devient le
centre de l’attention dans les publications
produites lors du centenaire de sa
naissance en 197836. Ces publications
soulignent les critiques de Leenhardt au
sujet des abus du colonialisme et célèbrent
le moment où il parvient, en septembre
1917, à convaincre l’un des jiaou (sorciers)
de se rendre. Les Mémoires de sa fille,
Roselène Dousset-Leenhardt, cherchent
à corriger la couverture partiale du
procès de 1919 dans la presse locale.
Néanmoins, en décrivant l’implication
de son père, elle donne l’impression que
la reddition du sorcier marque la fin de la
guerre alors que celle-ci durera plusieurs
mois encore et elle minimise l’étendue
de la répression37. Dans sa biographie
de Leenhardt, James Clifford est plus
critique. Il décrit les appréhensions de
Leenhardt, ses tentatives angoissées
de maintenir son indépendance vis-àvis de l’administration et son regret de
ne pas avoir été franc plus tôt. Dans
l’ensemble pourtant, le compte-rendu de
Clifford de la « guerre et de la rébellion »
reprend et paraphrase les propres points
de vue de Leenhardt : « 1917 était une
rébellion « vouée à l’échec » qui manquait
de « stratégie d’ensemble », même si
« beaucoup reste encore incompris38 ».
En 1976, Firmin Dogo Gorohouna, lié
de près à une famille qui avait soutenu
l’administration en 1917, publie l’un des
premiers récits kanak de « 1917 » dans
le journal Les Nouvelles calédoniennes
et s’oppose aux revendications de
« l’indépendance kanake ». Son propos
souligne la futilité de la guerre pour
laquelle des gens « se sont fait tuer pour
rien », l’importance du respect de la
France et ce qui pouvait être obtenu en
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
13
La guerre kanak de 1917
collaborant avec les autorités françaises.
Le compte-rendu de Gorohouna insiste
sur les conflits entre Kanak, la guerre
entre les chefs de Koné et de Hienghène,
et déplore le « grand trou » que le
conflit provoque dans la population de
la région.
©
Alors que Gorohouna dénigre « 1917 »
et les guerres précédentes – des
actes de violence inutiles selon lui –,
les partisans de l’indépendance les
placent dans la lignée d’une résistance
héroïque. « 1917 » et le nom de Noël
deviennent les symboles de la résistance
à la colonisation et vont de pair avec
1878 et son leader, Ataï. La mort d’un
gendarme à Néami en 1987, l’arrestation
d’un maire kanak de Koné, l’occupation
de la gendarmerie de la région de Koné
ainsi que la tentative du gouvernement
français de faire une distinction entre
la gendarmerie, « chargée de l’ordre
public », et l’armée, « qui n’intervient
seulement qu’en temps de guerre »,
poussent le journal pro-indépendant
L’Avenir Calédonien à rappeler ceci aux
lecteurs :
M
à
w
aidé à l’arrestation d’un chef kanak dans
leur propre maison. À part le débat sur
l’identité du chef en question, l’enjeu
essentiel pour Griscelli est de défendre la
réputation des colons. Il insiste sur le fait
qu’il s’agissait d’une guerre entre Kanak,
et que les colons, présentés comme des
amis intimes des Kanak, en furent les
innocentes victimes47.
La polarisation politique se reflète dans
les histoires des Noirs et des Blancs dans
lesquelles il n’y a pas vraiment d’entredeux. Les récits politiques écrits par des
journalistes français et des universitaires
principalement australiens dans les
années 1980 réutilisent pour la plupart
des récits des années 1970, et, dans
certains cas, de manière inappropriée44.
Dans la lignée de Guiart (1970) et de
Saussol (1979), la plupart d’entre eux
produisent des résumés succincts. Les
points généralement répétés sont les
suivants : les évènements de 1917 sont de
moindre envergure et moins sanglants
que ceux de 1878, les causes principales
en sont les dommages occasionnés
aux récoltes par le bétail, et dans une
faible mesure, le recrutement ; « 1917 »
témoigne, enfin, de la réapparition du
paganisme et comporte des accents
socio-religieux45. Le récit de Martin
Lyons est le seul qui offre de nouvelles
perspectives. En plus d’établir un lien
entre l’assaut brutal au cours duquel le
chef Tiéou de Paola perdit un œil en
1908-1909 et l’implication de celui-ci
dans le conflit de « 1917 », Lyons
insiste sur le fait que le conflit n’était
pas simplement une redite en miniature
de la grande insurrection : « Il y avait
de nouvelles tensions en présence,
superposées aux vieilles doléances par
les pressions de la guerre. » Cependant,
il donne l’impression que la mort de
« seize Blancs » et l’internement de dix
Kanak furent les seules conséquences
de la guerre46.
Cette réaction reflète à quel point les
descendants des colons se sentent alors
agressés par les critiques anticoloniales.
La Société d’études historiques de
Nouvelle-Calédonie, qui publie la
critique de Griscelli, défend l’idée
que « les contacts étaient constants,
amicaux entre les deux ethnies : ils
n’étaient pas des rapports d’oppresseurs
à opprimés48 ». La vision des choses de
Griscelli peut être mise en contraste
avec les opinions exprimées par les
colons à l’époque de la mort de ses
grands-parents : ces derniers avaient
été martyrisés pour leur empressement
à aider l’administration, à soutenir la
colonisation et à maintenir la justice
française49. Ce point de vue, qui est
admis presque aussitôt par les colons et
l’administration, cache la violence et la
duplicité utilisées lors de l’arrestation
du chef.
T
Jacques Vasseur, l’auteur d’un article
(1985) sur le rôle de Leenhardt dans la
guerre, souligne la difficulté d’écrire sur
« 1917 » pendant les évènements sans
prendre l’un des adversaires à partie :
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
nc
La place accordée à « 1917 » dans
la rhétorique de la résistance au
colonialisme provoque des réactions
critiques de la part de ceux qui se posent
en défenseurs des colons français. Un
débat historique mineur voit le jour
lorsque Paul Griscelli, le petit-fils de
deux colons tués en 1917, rejette l’idée
qu’ils aient pu avoir été tués pour avoir
k.
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Comme le craignait Gorohouna, il y eut
des morts dans les années 1980, ce qui
revint à une guerre entre partisans de
l’indépendance et opposants à celle-ci.
En 1984, dix Kanak de Tiendanite,
dont deux frères du leader du parti
FLNKS, Jean-Marie Tjibaou, sont
pris dans une embuscade et assassinés
par des descendants de colons locaux.
Juste après cette tragédie, Tjibaou
rappelait que sa grand-mère avait été
tuée en 1917 dans la même vallée
C
Dans la rhétorique de cette période,
les noms de Noël et d’Ataï ainsi que
les dates sont interchangeables : sur la
couverture d’une histoire de la guerre
de 1878, Terre natale, terre d’exil (1976)
de Roselène Dousset-Leenhardt,
apparaît une photo de la tête décapitée
de Noël.
K-
L’armée en 1917, la gendarmerie en 1987 =
mêmes méthodes. C’est l’armée, en 1917,
qui fut chargée de la répression après la
révolte des Kanak. Et l’on sait que les têtes
de Noël et des leaders kanak furent mises à
prix, tout comme celles d’Ataï et de Baptiste
en 1878 40 .
C
AD
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Vé
et que son père, alors orphelin, n’en
avait réchappé que de justesse41. Cette
histoire, intitulée « Chasse à l’homme »,
forme le prologue de la biographie de
Tjibaou et fait partie intégrante de la
plupart des récits ultérieurs de sa vie42.
De même, les autorités françaises dirent
aux Kanak qu’ils auraient à « baisser
leurs bras comme en 191743 ».
De toute évidence l’histoire de la rébellion
de 1917 ne peut fournir de justification à
aucun des camps en présence, et l’heure n’est
pas propice à la production d’un témoignage
sévère pour les Blancs, et sans complaisance
pour les révoltés. La réaction de Brou a bien
montré, et le contenu de sa revue plus encore
[celui de la Société d’études historiques de
Nouvelle-Calédonie], que toute critique des
Européens est considérée comme irrecevable,
d’un certain côté. De l’autre, il faudrait
peut-être, pour être agréable, faire de Doui
[le grand chef de Hienghène] et de Kavéat
des héros, de Mindia et de Néa des traîtres ?
Ce n’est pas possible50.
Suivant l’analyse de Leenhardt, Vasseur
présente « 1917 » comme « une résurgence
désespérée de l’« animisme » dans
La guerre kanak de 1917
laquelle les cérémonies traditionnelles
jouèrent un rôle important, et évoque
les conclusions de Leenhardt sur son
héritage :
©
La rébellion a-t-elle eu pour l’île des conséquences importantes ? Ce fut, nous l’avons
dit, un phénomène local. Un mouvement
païen et régressif, sans doute. Une révolte
de Kanaks combattue victorieusement par
d’autres Kanaks. Leenhardt, avec d’autres,
qualifie pourtant ce mouvement de nationaliste, et lui-même a noté, dans le développement de la répression et les réactions
qu’il suscite chez les Houaïlous, des manifestations de solidarité mélanésienne51.
M
L’idée d’histoire(s) parallèle(s) ou
commune(s), expérimentée dans le
domaine de la fiction par des romanciers
et nouvellistes autour de la révolte de
187854, n’a pas ouvert une nouvelle forme
d’écriture de l’histoire dans les cercles
académiques en Nouvelle-Calédonie.
Des recherches ultérieures réalisées par
Sylvette Boubin-Boyer, étudiante de la
nouvelle université locale, ne trouvèrent
pas de preuves validant ce genre de
lecture parallèle de l’épisode particulier
mentionné par Barbançon55. Un numéro
de Mwà Véé consacré au thème « les
Kanak et la Grande Guerre 1914-1918 »
comprend seulement des références
marginales à la « révolte kanak » de
191756. Dans des recherches plus
approfondies, Boubin-Boyer accentue le
rôle que les Kanak et les colons jouèrent
les uns comme les autres dans l’effort de
guerre, regardant « 1917 » comme l’une
des nombreuses guerres livrées par les
Néo-Calédoniens pendant 1914-1918.
Cependant, elle minimise à son tour son
importance et décrit les actions kanak
en termes négatifs. Elle met en doute la
justesse du terme « guerre » pour décrire
le conflit, au motif que les Kanak ne
levèrent « ni une armée régulière, ni
même de partisans », manquaient d’armes
appropriées, favorisaient la « ruse », ne
« livrèrent jamais bataille contre l’armée
régulière » et préféraient la fuite. En
ne prenant pas en compte les valeurs
que les Kanak apportèrent au combat
et aux formes d’organisation militaire
mélanésiennes, cette affirmation ignore
les histoires de combats en NouvelleCalédonie fondées sur des connaissances
ethnographiques et critique la manière
dont cette activité a été représentée dans
les récits européens. Sa déclaration selon
laquelle « il n’y a pas d’actions héroïques
en 1917 » défie les représentations kanak
populaires (à la fois passées et présentes),
en particulier celles qui concernent Noël
de Tiamou57.
à
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C
La stèle de Pwönaacèn,
photographiée en
septembre 2008.
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Dans la région Koné-Hienghène,
« 1917 » vit toujours dans les histoires
locales. Certains personnages et
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Durant les années 1980, les
indépendantistes proposent aux
descendants de colons qui souhaitent
participer au futur d’une nation kanak
indépendante – Kanaky – de s’identifier
aux « victimes de l’Histoire52 ».
Cette étiquette est offerte aux colons
comme une condition sine qua non
à l’acceptation au sein d’une nouvelle
communauté nationale. Avant 1988,
cette idée ne rencontre pas beaucoup
d’adeptes parmi les historiens locaux,
mais Louis-José Barbançon (un colon
descendant de bagnards, homme
politique centriste et professeur
d’histoire) s’est depuis interrogé sur
la possibilité d’une histoire parallèle
de résistance kanak et caldoche face à
l’autorité de la métropole : il évoque « les
AD
Les tensions et la violence politiques
se sont apaisées en 1988 avec la
signature des Accords de Matignon et
Oudinot qui font place à une période
de renaissance culturelle. La promotion
de l’identité kanak, mais aussi
calédonienne, ainsi que des discours
historiques moins polarisés ont fondé
de nouvelles représentations. La création
de l’Université de Nouvelle-Calédonie,
celle de l’Agence de développement de la
culture kanak (ADCK), et en particulier
du magazine Mwà Véé, ont fourni de
nouvelles tribunes pour renouer avec
le passé.
é/
Vé
L’ère Matignon : forgée
d’histoire(s) parallèle(s)
ou commune(s)
mutinés de l’El Kantara », (les troupes
en partance pour la France en octobre
1917) et la guerre kanak de 1917, vues
comme des révoltes en miroir et comme
un exemple du « non dit »53.
Ce qui reste de la plaque
jadis apposée sur la
stèle de Pwönaacèn.
évènements sont connus de tous.
Dans la région de Koné, la guerre est
étroitement associée à Noël de Tiamou
ou à son « frère », Waï. Leur attitude
de défi face à l’armée française le jour
même où la guerre éclata et la mort
de Noël en 1918 des mains d’un colon
« arabe » sont les évènements les plus
souvent évoqués. La diplomatie et le
jeu des alliances qui ont rendu la guerre
possible sont le sujet de récits détaillés.
D’autres détails communément évoqués
concernent le témoignage de la femme
du chef de Tipindjé pendant le procès
de 1919 et le suicide qui s’ensuivit du
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
15
La guerre kanak de 1917
Ce texte d’Adrian
Muckle est également
appelé à paraître
dans un ouvrage
collectif, intitulé La
Nouvelle-Calédonie
à l’épreuve de
l’Accord de
Nouméa, publié
sous la direction
d’Elsa Faugère et
d’Isabelle Merle.
chef de Hienghène qu’elle avait dénoncé.
Pour certains, « 1917 » fait toujours
partie d’une tradition de résistance liée
aux guerres précédentes et aux héros,
alors que d’autres recommandent
le scepticisme quant à ces récits et
affirment que leurs aînés préfèrent
cacher « la vraie histoire », c’est-à-dire
le fait que la guerre a été menée pour
une femme.
©
M
à
w
Ceci implique la transmission de
coutumes, le savoir qui permit aux
gens de survivre aux évènements de
« 1917 », et les histoires relatant la
magie qui rendit les guerriers invisibles
ou leur permit de passer à travers les
balles. Les évènements, les causes ou
les circonstances de « 1917 » devinrent
secondaires par rapport au recensement
des clans qui vivent aujourd’hui dans la
région et à la représentation de l’arbre
généalogique qui montre les relations
entre ces clans58.
dc
.a
w
w
|w
Les références aux conflits passés
(principalement 1878 ou 1984-1988)
fournissent une toile de fond importante à
de nombreux romans, pièces et nouvelles
récents qui constituent la littérature
néo-calédonienne émergente62. Dans
son histoire « Utê Mûrûnû, petite fleur
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
nc
16
T
[C]’est surtout pour rappeler à nos jeunes que
si ces gens-là ont fui la colonisation d’une
C
Les organisateurs de cette marche
de 1993 avaient des objectifs
pédagogiques. Le but de la progression
était d’immerger les jeunes dans leur
environnement et dans leur histoire,
c’est-à-dire d’apprendre les noms et les
utilisations des plantes, l’environnement
physique, les points de repère locaux et
l’histoire qui leur sont associés.
C
Leur volonté de sauvegarder
leur dignité
doit nous inciter
à méditer.
K-
Stèle en mémoire
des lignées et des clans
contraints de se séparer en ces lieux.
C
AD
é/
Vé
Conjointement à la marche de 1993
et à l’inauguration du monument à
Pwônââcèn, une pièce de théâtre fut
répétée et jouée par un jeune groupe
local dans la tribu de Netchaot vivant à
proximité. Comme le fit remarquer l’un
des organisateurs et acteurs, « convaincre
les anciens » de l’importance de dire
l’« histoire » était nécessaire. Ce qui,
en retour, impliquait que les jeunes
gagnent la confiance et le respect de
leurs aînés59. S’inspirant d’un document
d’archives publié en 1983 (un rapport
du gendarme de Koné, Faure, sur
l’éclatement de la guerre), des histoires
racontées par les personnes âgées du
coin et des danses associées, la pièce
portait principalement sur « 1917 » et
l’expérience du petit chef de Netchaot.
La manière dont la représentation fut
reçue mit en lumière les susceptibilités
locales. Les organisateurs de la pièce
furent accusés dans un bulletin local de
réveiller le passé inutilement. Quelques
dignitaires locaux sortirent même de la
première représentation en protestant60.
De par la manière dont elle fut jouée
lors du jour de la culture Palika à Baco
en 1994, la pièce fut décrite comme un
exemple d’« histoire locale destinée à la
génération suivante61 ».
de cocotier » (1994), Déwé Gorodé,
une femme kanak, écrivain, socialiste,
indépendantiste et vice-présidente
du gouvernement local de NouvelleCalédonie, évoque la position injuste de
la femme capturée en 1917, qui se plaignit
d’avoir été « entraînée dans cette vilaine
histoire » par son mari. La protagoniste de
l’histoire, Utê, refuse un mariage arrangé
au motif que « ses rites et ses discours
renforcent les liens contractés par nos
ancêtres par le passé et leur assurent
un avenir tout tracé imposé à toute
notre future descendance ». Sa grandmère, « fille et petite fille de guerriers
qui eurent la tête tranchée pour s’être
soulevés contre la razzia de leur hameau
par les Blancs », décrit le statut d’objet des
femmes dans les alliances qui rendirent
la guerre possible. Même si l’histoire
évoque les décisions tragiques prises par
les hommes qui partirent en guerre en
1917 ou pour d’autres conflits similaires,
l’histoire se concentre sur la liberté de
choisir, la survie et le pouvoir de chaque
femme de prendre en main son destin.
Utê insiste sur le fait qu’aujourd’hui
« on doit pouvoir décider soi-même
de sa vie, de son avenir et léguer à ses
enfants le droit au choix responsable ».
Dans ce contexte, les révoltes passées
sont vues en des termes négatifs, en
tant qu’expressions de valeurs désuètes.
C’est par leur dimension culturelle,
plutôt qu’historique ou politique, que
ces valeurs sont aujourd’hui inscrites
dans la mémoire et implicitement
condamnées.
k.
Le conflit a également été intégré dans
une histoire de migration plus large.
En 1993, une association culturelle de
Poindimié de la côte Est organisa une
marche qui suivit l’un des chemins pris
par les familles de la côte Ouest en 1917.
Accompagnés par leurs aînés locaux, les
jeunes étaient encouragés à chaque étape
à rechercher les origines des familles
résidant dans chaque village, les sites
occupés jadis par les différentes lignées
et l’itinéraire de leur exil. La marche se
termina par l’installation d’une stèle de
pierre à Pwônââcèn sur la route KonéTiwaka. Le monument ne commémore
pas explicitement « 1917 », mais renvoie
à d’autres évènements ou individus ; à la
différence du mémorial des colons élevé
en 1919, il renvoie non pas aux victimes
mais aux survivants et à l’éparpillement
des familles sur plusieurs générations,
à la suite de plusieurs guerres, dont
les premières eurent lieu dans les
années 1860. La plaque [aujourd’hui
détruite] apposée sur cette stèle portait
l’inscription suivante :
part, et les guerres tribales de l’autre, [c’est]
parce qu’ils voulaient rester en vie. Et c’est ça
le plus important – vivre parce qu’on a des
choses à donner, emporter, retransmettre.
Conclusion
L’Accord de Nouméa témoigne du
sentiment que l’avenir du pays dépend
de sa capacité à assumer le passé et
à affronter l’écriture d’une histoire
commune. À ce sujet, l’analyse récente de
l’Australien Bain Attwood des histoires
« communes » et des histoires « en
partage » dans la nouvelle historiographie
australienne et dans le discours public
est très pertinente. Le but des histoires
« communes » est de faire en sorte que
les Aborigènes et les colons australiens
adoptent le « même récit historique » et
les promoteurs de ce genre d’histoires
« cherchent à racheter l’histoire des
La guerre kanak de 1917
©
colons en Australie en faisant appel aux
histoires sur les efforts humains ». Selon
Attwood, cette « histoire commune » a
des tendances historicistes ; ranger les
« torts historiques » dans la catégorie des
« torts du passé » ou des « injustices du
passé » plutôt que dans les actions qui
ont des conséquences encore aujourd’hui.
Par opposition, le but des « histoires
en partage » (associées aux recherches
sur la « génération volée ») est de
reconnaître que « non seulement il existe
des perspectives historiques différentes
du passé colonial mais également que
celles-ci continueront à clairement
s’exprimer. Cela suppose ainsi que l’avenir
de tout procédé de « réconciliation »
dépendra de la reconnaissance et de
l’acceptation de différences durables (et
donc d’une bonne dose de contradiction
et de conflit) plutôt que de la tentative
d’effectuer une fermeture sur un passé
divisé. Les histoires en partage sont
caractérisées par leur « diversité » et leur
« pluralisme permanent63. »
M
à
w
tels que 1917 et de minimiser ou passer
sous silence leur ampleur et leur souvenir.
Les difficultés et les contradictions
liées à un tel projet ne sont pas passées
inaperçues localement. Jacqueline
Dahlem fait remarquer que le manuel
d’histoire produit à la suite des Accords
Matignon représentait l’illusion d’une
unité de la société néo-calédonienne,
dans laquelle elle prenait la forme d’« un
récit unique », mais était en réalité
composée de deux histoires : « Deux
visions opposées et complémentaires du
même pays et de son histoire64. » Comme
le suggère l’exemple australien, une
vision unique du passé est réductrice ;
il existe diverses manières d’assumer
le passé et de nombreux moyens par
lesquels cela peut être exécuté, représenté
et se dérouler. Il est sûrement nécessaire
de modifier la question posée par Jean
Chesneaux — « deux points de vue
opposés peuvent-ils devenir un seul
point de vue dans le futur ? » — pour
se demander non pas s’il peut y avoir
une vision unique du passé à l’avenir,
mais s’il peut y avoir un(e) quelconque
dialogue, communication ou partage
entre des visions différentes du passé en
Nouvelle-Calédonie et en quels termes
cela peut avoir lieu65.
T
C
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K-
C
k.
dc
31. R atzel (1944 : Cahier 11, p. 44).
32. R atzel (1944 : Cahier 8, pp. 55-56).
33. e.g. Leenhardt (1930 : 34-35) ; (1932 :
60-65).
34. Leenhardt (1953 : 207).
35. Guiart (1970 : 265, 278-280).
36. R .H. Leenhardt (1978, 1979) ; SEHNC
(1994 [1978]).
37. Dousset-Leenhardt (1984 : 27-45).
38. Clifford (1982 : 92-104).
39. Bensa et Rivierre (1978).
40. L’Avenir Calédonien n° 977, 16 oct. 1987 :
1-2.
41. Tjibaou (1996 : 170, 257-8 et 284).
42. Rollat (1989 : 15-16) ; cf. Duroy (1988 :
113-114).
43. L’Avenir Calédonien, n° 963, 27 fév. 1987 :
1.
44. Par exemple, John Connell (1987 : 74-75)
confondit un pilou supposé avoir eu lieu
à Pamalé en 1914 avec le pilou organisé
par l’administration à Tiamou le 28 avril
1917.
45. T hompson et Adloff (1971 : 249-251) ;
Dornoy (1984 : 29-30) ; Aldrich (1990 :
91) ; Ferraro (1987 : 122).
nc
10. Repiquet (1917) ; cf. Rivière (1881).
11. Repiquet (1917) ; cf. Rivière (1881).
12. Nouvelle-Calédonie et Dépendances
([1879])
13. R atzel (1919).
14. Les comptes rendus des débats sont publiés
dans le quotidien La France Australe et
l’hebdomadaire Le Bulletin du Commerce.
15. Bellamy (1934 : 26).
16. Rouel (1918).
17. Rouel (1919).
18. Leenhardt (1922 : 159).
19. R .H. Leenhardt (1979).
20. Leenhardt (1918).
21. R isbec (1928 : 437).
22. Saussol (1979 : 322-325).
23. Rollat (1989 : 38).
24. Savoie (1922 : 4).
25. Mariotti (1941 : 9).
26. Mariotti (2000 : 60). Je remercie Sarah
Powell d’avoir attiré mon attention sur
cette nouvelle.
27. Mariotti (2000 : 59).
28. Schmidt (1944 : 12-13 et 21).
29. Burchett (1942 : 134-135).
30. Priday (1944 : 128).
.a
Il faut reconnaître que le passé de la
Nouvelle-Calédonie n’est pas constitué uniquement d’évènements tels que
w
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1. Accord de Nouméa (1998).
2. Madeouf (1999).
3. Musée de la Ville (1999).
4. Boubin-Boyer (2005).
5. D’après Chappell (1999 : 386), l’Accord
de Nouméa et son préambule présentent
un défi aux réticences vis-à-vis de la
décolonisation engagée par la France à partir
de 1946 [abolition du régime de l’indigénat]
et ils rendent légitime « une nationalité
calédonienne post-coloniale, même si c’est
une nationalité hybride, affiliée à la France ».
Examinant le projet d’élever le monument
Mwâ Kâ à Nouméa, Mac Lellan (2005)
montre les tentatives de promouvoir la
réconciliation et de créer un pays.
6. Pour de plus amples renseignements, se
référer à Muckle (2004).
7. Pégourier (1919).
8. Depuis 1919, le chiffre de 200 morts kanak
est devenu l’estimation habituelle. Mes
recherches confirment que ce chiffre peut
être considéré comme convenable bien
qu’il s’agisse probablement d’un minimum
(Muckle 2004 : annexe 4).
9. Téin Baï (c.1918).
AD
Notes
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Vé
De ces deux approches, c’est le projet
d’une « histoire commune » qui est le
plus en évidence dans cette analyse des
représentations du conflit de « 1917 ». Il
se voit non seulement dans le préambule
de l’Accord de Nouméa, mais aussi dans
le souci des écrivains (y compris les
historiens) depuis quatre-vingt-dix ans
d’enfermer dans le passé les évènements
ceux de 1917. Cependant, de tels épisodes de l’histoire fournissent un contrepoids important aux tentatives visant à
poser les fondations d’un avenir commun. Bien que « 1917 » n’ait pas été
aussi significatif que 1878-1879 en termes de pertes humaines, ses relations
avec 1914-1918 placent cette année à
un point stratégique dans l’historiographie ainsi que dans des représentations
culturelles plus larges (comme le montrent les affirmations faites par Boyer et
Barbançon). Bien que l’échantillon soit
très petit, quelques tendances semblent
néanmoins nettes. Alors que l’histoire
récente de la Grande Guerre a donné
de l’importance à « 1917 », la description de cette guerre reste empreinte
de négativité et s’en tient aux premières représentations coloniales des violences kanak plutôt qu’elle n’implique
de nouvelles analyses. Il en reste un
sentiment fort selon lequel les Kanak
sont enjoints d’expliquer ou à justifier
les actes de violence du passé ou mettre en cause les pratiques culturelles
qui les ont rendus possibles ; les communautés non kanak, elles, ont rarement été enjointes de le faire. Il n’y a
pas encore d’obligation critique envers
le (ou de réexamen du) passé colonial et
ses « ombres », ni de quelconque reconnaissance de sa présence continuelle, ni
de véritable dialogue entre les différentes visions du passé.
46. Lyons (1987 : 94-95).
47. Griscelli (1982 : 33-42) et (1989 : 73-75) ;
cf. Guiart (1989) et (1970 : 272) ; Saussol
(1979 : 318) ; Duroy (1988 : 102).
48. Barbançon (1978 : 4-5).
49. R agot (1917).
50. Vasseur (1985a).
51. Vasseur (1985b : 242 et 272).
52. Uregei (1984 : 7) ; Tjibaou (1996 : 184).
53. Barbançon (1992 : 22-23).
54. e.g., Berger et Jar (1999) et Vanmai
(1998).
55. Boyer (1993 : 35).
56. Mwà Véé, n° 11, déc. 1995.
57. Boubin-Boyer (2003 : 579-580).
58. Poanui (2000).
59. Poudewa (1994 : 21).
60. Poudewa (2000).
61. MacLellan et Chesneaux (1998 : 176).
62. e.g., Vanmai (1998), Berger (1998) et
Kurtovitch (1998).
63. Attwood (2005 : 245-247).
64. Dahlem (1996 : 125).
65. Chesneaux (1981).
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
17
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La guerre kanak de 1917
P
1917 et 1878
©
ratiquement dès le commencement des
affrontements, la révolte de 1917 fut
comparée à celle de 1878. Au début, il
s’agissait de souligner les dangers auxquels étaient
exposés les colons et d’encourager la mobilisation
des volontaires et le moral des soldats. Au moment
de la fin des hostilités, les pouvoirs publics ont
insisté sur la similarité entre les deux révoltes au
regard des causes qui, selon eux, les avaient entraînées (et dans lesquelles ils préféraient voir l’influence d’un antagonisme racial inné plutôt que
le résultat de griefs issus de la colonisation et des
pratiques de l’administration coloniale). Dans les
décennies qui ont suivi, cette comparaison a surtout servi à minimiser l’importance de la révolte
de 1917 en termes d’échelle, de répercussions, et
de défi qu’elle représentait pour l’Administration
française. Depuis les années 1970, ou même avant,
les dates « 1917 » et « 1878 » ainsi que les noms
« Noël » et « Ataï » ont tendance à être prononcés dans le même souffle, comme symboles de
la résistance kanak à la colonisation.
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1878-1879, un certain nombre des familles qui
se retrouvèrent installées à proximité avaient
combattu dans les forces rebelles. Durant les
années qui précédèrent les évènements de
1917, les habitants de Koniambo (Grombaou)
cherchaient à se distinguer de leurs voisins de
Tiamou et de Pwanaki, et insistaient auprès
de l’Administration sur le fait qu’il ne fallait
pas les compter parmi les « rebelles ».
3. L’expérience acquise durant la révolte de
1878-1879 a également influencé les stratégies militaires adoptées en 1917-1918. Les
pouvoirs publics avaient les évènements de
1878 en mémoire lorsqu’ils décidèrent de
recruter des auxiliaires kanak pour engager
une campagne de guérilla. Dans des déclarations recueillies par l’Administration, certains « rebelles » ont expliqué leur conduite
en faisant référence à des guerres antérieures, y compris celle de 1878. Parmi les autres
conflits que l’on trouve mentionnés dans ces
déclarations, on note les affrontements des
années 1860 (associés à Goodu), la révolte de
1897 à Hienghène et celle de 1901 à Poyes.
Le stratagème adopté par les rebelles lors de
l’attaque de la mine du Kopéto en mai 1917
était inspiré d’un raid réalisé avec succès en
1901 sur un poste militaire dans la vallée de
la Tiwaka.
Par Adrian Muckle
|w
Néanmoins, le fait de regrouper les évènements
de 1878 et ceux de 1917 comme des exemples
de résistance concertée au pouvoir colonisateur
n’est pas une invention récente d’historiens révisionnistes. Les paragraphes qui suivent donnent
une vue d’ensemble des points communs les plus
saillants entre les deux conflits.
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é/
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1. Le souvenir et les séquelles de la guerre de
1878-1879 ont influencé de manière significative la manière dont les gens (les Européens
aussi bien que les Mélanésiens) ont réagi aux
évènements de 1917-1918. Les familles kanak
aussi bien qu’européennes se souvenaient de ce
qui était arrivé à leurs aïeux, non seulement en
1878, mais aussi au cours d’autres affrontements
durant les années 1860, en 1897 à Hienghène et
en 1901 à Poyes. Certains groupes kanak, n’ayant
pas oublié la sévérité de la répression qui avait
suivi la révolte de 1878, préférèrent ne pas participer. D’autres, qui avaient fait alliance avec les
Français en 1878, souhaitèrent faire de même et
renforcer ainsi les bons rapports qu’ils avaient
établis dans le passé avec l’Administration. Il
restait même quelques guerriers kanak âgés,
maintenant sexagénaires, qui avaient combattu
comme rebelles ou comme auxiliaires en 1878.
2. Le déplacement – forcé ou volontaire, de populations issues du district de Muéo-Poya vers la
région de Koniambo – qui avait suivi la fin des
conflits de 1878 a également eu d’importantes ramifications. Les différends qui opposèrent Noël de Tiamou et Doui, le petit chef de
Koniambo, et qui furent à l’origine des affrontements de 1917, découlaient directement des
dispositions prises suite à la guerre de 1878.
(Voir le texte sur « Noël et ses frères ».) Alors
que certains chefs du district de Koniambo
avaient fait alliance avec l’Administration en
passant par Pouépai, Vandjié, Ouécat, Ouéouan, Coinka, Pouenden,
Koniambo et Koné avant d’atteindre Tiawé et Kopeto, puis retourne à
la côte Est par Pamalé, Vahoué et la vallée de Tipindjé.
k.
dc
nc
En septembre 1878, une coalition de tribus des vallées de Poya et de
Muéo attaque le chef Mavimoin de Nékliaï et les colons avoisinants.
Cette action étend plus au sud le champ d’action de la guerre qui avait
éclaté en juin 1878. Dans la région de Pouembout, la coalition Poya-Muéo
reçoit le soutien des Ûrûwë (Ounoua), anciens ennemis du chef Goodu
de Koné (†1869), qui attaquent les colons de Pouembout et essaient
sans succès d’étendre l’emprise de la coalition vers Koné. Une coalition
encore plus importante se forme, et fait alliance avec les Français, pour
combattre les Ûrûwë et leurs alliés. Celle-ci comprend le successeur
de Goodu, Bwëé Atéa Katélia, Poindi Pacili, plusieurs chefs de Koné
– particulièrement Baye de Koniambo (« le chef de guerre de Koné ») –
ainsi que des hommes de Wagap, Bayes et Hienghène. En dépit d’une
offensive des Ûrûwë durant laquelle la maison de Katélia est brûlée et
six guerriers de Koné sont tués, la guerre, qui fait rage de Tipindjé à
Népoui, ne favorise pas les Ûrûwë dont les villages principaux de la
région de Pouembout – particulièrement Tiaoué, proche de Kopéto –
sont abandonnés, puis détruits. B.A. Katélia en profite pour poursuivre
le conflit de Goodu qui l’oppose aux Ounouas (Ûrûwë) et autres groupes
installés aux alentours d’Até-Néami. Des réseaux d’alliances rivales
permettent la mobilisation de Kanak à travers toute la région, et la
répression organisée par l’Administration prend une ampleur similaire.
Ainsi, une colonne de soldats et d’auxiliaires mélanésiens se met en
mouvement depuis Hienghène en décembre 1878 et traverse la région,
.a
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La révolte de 1878-1879 dans la région de Koné-Hienghène
La guerre de 1878-1879 a incité la migration de populations vers la région
de Koné. Les groupes expulsés de Népoui, Muéo, Poya et de la haute
vallée de la Pouembout furent accueillis par des proches à Pwanaki,
Koniambo et Baco. Les groupes originaires de Néa, les Nätéa (un groupe
de descendance Göièta), se réfugièrent à Panéqui ou à Tiamou. Baco
connut également sa part de réfugiés issus de Népoui, Pouembout et
Poya. Durant le cours des affrontements, certains groupes furent exilés
à l’île des Pins et à Bélep, alors que d’autres se voyaient déplacés vers
la côte Est. Au cours des années 1880 et 1890, une partie de ces gens
commencèrent à retourner vers leurs terres d’origine. Vers le milieu des
années 1880, les gens originaires de Pouembout et de Poya qui avaient
été exilés à l’île des Pins obtinrent l’autorisation de s’implanter dans la
région de Koné, sous condition qu’ils acceptent de travailler pour les
colons locaux et ne cherchent pas à réinstaller les tribus sur les terres
confisquées. En 1899-1900, il fut permis à certains anciens « insurgés »,
exilés à l’île des Pins, et à leurs descendants de s’installer à Tiaoué.
Traduction française : Stéphane Goiran
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
19
La mémoire kanak de 1917
Histoire de la rébellion
du côté de Koné
De Téin Bai, d’après une traduction
de Raymond Leenhardt*
à
Koniambo
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D’abord,
M
Le pilou, cause de dispute
à
w
Waï avait terminé le pilou de Tiwaé quand la difficulté
est apparue et les hommes interdits qui font partie
d’un même clan, Noël, Waï, Kaeka, étaient furieux.
Ils se sont alors éloignés de leur vrai chef de Tiwaé
et il est apparu dans leur cœur qu’ils étaient séparés
et honteux de cela, et le commandant l’a appris parce
qu’on le lui a dit.
Il y a eu alors beaucoup de propos divers pour envenimer
et les éloigner de leur chef.
A propos de femmes, tirailleurs, boissons, pilou,
capitation, polices, lorsqu’ils prennent les noms des
gens, ils mélangent les Blancs et les Noirs. Ils sont
furieux de cela : nous, nous sommes des Noirs, nous
ne voulons pas aider les Blancs, ni ces gens-là, en
mélangeant les noms.
Alors les bruits de guerre augmentent, disant : « Il
faut qu’il y ait des gens qui aillent en France pour
s’y battre. » Alors les gens refusent, se durcissent,
sont furieux contre le chef, la police et les Blancs
aussi.
Nous ne savons pas très bien le début, mais cela s’est
passé à Koniambo et Cemou.
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[fin p. 1, ms 2.50]
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Stèle de Pwönaacèn (Photo extraite de Ethnologie et
architecture, Alban Bensa, Adam Biro, Paris, 2000.
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* Téin Bai, Histoire de la rébellion du côté de Koné, ms, 7 pp.
Texte traduit par Raymond Leenhardt, ts, 4 pp. Archives privées Leenhardt.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La mémoire kanak de 1917
Poindat
©
À Poindat, le recrutement des tirailleurs arrive aussi et
Katalea appelle les gens pour leur en parler. Les vieux se
réunissent dans une maison et les jeunes dehors. Les vieux
s’adressent alors à Katalea : « Nous sommes réunis à propos
de la guerre, mais il convient que tu ne donnes pas d’hommes,
car c’est mauvais. » Un vieux catholique dit alors : « Tu
vois, chef, il n’y a que les protestants qui envoient des
hommes en France, mais nous, catholiques, nous n’en envoyons
pas, parce que le Père nous l’a dit. » Plusieurs sont alors
sortis à cause de cette parole ; le chef leur a défendu de
dire qu’il n’y a personne.
Un jour, le frère du chef, Baoungane, va dire au chef : « Je
veux aller à la guerre pour aider la France. » Son frère
accepte et lui dit : « Attends un peu que je l’annonce aux
petits chefs. »
Ces propos ont été entendus de deux hommes qui l’ont dit au
vieux Nitou, qui a appelé Baoungane et lui dit : « Dis donc,
tu veux aller en France ? – Oui. » Alors le vieux Nitou :
« Dis donc, tu es un gosse par rapport à moi, je te dis de
ne pas aller car je t’en empêche. »
Les vieux qui se réunissent toujours avec Katalea sont :
Doui, chef de Paola, Katalea, chef de Pamalé, et quelques
vieux aussi : Nekaka, Tiaou, Apoindet, Newiou, leur jiaou est
Aneboe, et d’autres encore.
Ceou, chef de Paola, n’était pas à cette rencontre car il
était à Poré, mais il avait envoyé des hommes pour porter sa
parole à Netchaot, car il y a aussi de leurs intérêts là. Le
chef Doui, de Paloa, est à Nechewague, et Katalea était
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[fin p. 2, ms 2.51]
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à Poerenaomoa. Et ils se promènent de ces maisons à Paola
et Neperewa et Teweriba aussi.
J’ai alors écrit un signe (lettre) à cet homme : « Je t’ai
demandé pourquoi ces vieux étaient auprès de toi et tu n’as
pas voulu me dire leurs paroles. Vois-tu, un jour viendra
où tu le révéleras car je te dis ici et je t’écris en vérité
qu’un jour tu le diras. »
Il y a eu beaucoup d’histoires au sujet de la guerre et
d’autres tout autour car on annonce qu’un bateau venu d’Almada
(Allemagne) avait abordé et quelqu’un de là est venu le dire
à Kavea Néwiou à Tipijé, puis la parole est venue à Pemale
puis à Pamalé, et est arrivée à Katalea à Poindat.
Il y a eu aussi des gens venus d’Ateu, venus écouter l’histoire
de la guerre auprès des vieux et du chef Katalea. Le commandant
est arrivé là aussi et on lui a dit qu’il n’y avait pas de
tirailleurs.
Arrivaient toujours des ordres pour appeler le chef auprès des
Blancs, mais il s’obstinait parce que ses vieux l’empêchaient
énergiquement : « Tu n’iras pas, car ce serait mauvais. » Il
y eut alors l’annonce d’une amende de 200 francs, alors il
eut très peur d’aller. Les vieux l’emmenèrent alors dans la
forêt à Naémy, au lieu-dit Pouela, et restèrent avec lui.
Alors le frère du chef à Noely vint me trouver pour me dire
sa tristesse de ce que les vieux retenaient toujours son
frère, et il voulait se plaindre auprès des Blancs avant
que les choses se gâtent. Nous sommes alors allés, dikona
Baptiste, Baoungane et moi,
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[fin p. 3, ms 2.56]
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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La mémoire kanak de 1917
et sommes arrivés à Baco, et trouvons dikona Newe. Celui-ci nous
dit : « Hommes, que faites-vous ? – Nous allons nous plaindre des
vieux qui sont près de Katalea, car il semble qu’ils vont lui nuire
en le tenant et en le gardant pour qu’il n’aille pas auprès des
Blancs [,] tu vois, il n’est pas revenu chez lui depuis qu’ils l’ont
emmené à Pouala (Pwele). »
Alors Newe nous dit à nous deux : « Voyez-vous, cette affaire est
très importante et fera du mal à tout le monde. Je ne vous empêche
pas mais je vous dis que c’est une très grosse affaire. » Alors nos
cœurs ont hésité et nous sommes allés voir le brigadier Porre, il
nous a demandé [NDLR : des nouvelles] de Katalea, et nous n’avons
pas répété ces paroles, mais nous lui avons dit : « Les vieux ont
emmené le chef et l’ont mis à Pouala. »
©
Alors le brigadier nous dit : « Allez lui dire qu’il est bon qu’il
vienne me voir car s’il répond à mon appel maintenant, je lui
enlèverai les 200 francs d’amende. Qu’il vienne demain de nuit et
s’en aille de nuit, pour que personne le voie, car il convient
qu’il me voie seul. »
M
Nous sommes repartis et avons dit à Baoungane d’aller dire à son
frère de venir demain soir à la gendarmerie à propos de cette
affaire. Le frère du chef est alors allé le trouver à Pouala et
l’a appelé, et le chef de Pemalé dit : « Dis donc, tu viens appeler
cet homme loin de moi, mais que sais-tu, toi, gosse ! » Alors
Baoungane dit : « Je viens l’appeler pour que nous allions nous
promener parce que je veux me promener avec lui aujourd’hui, et
ne l’empêche pas. »
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Le vieux l’appelle alors et dit : « Oui, mais il faut vous promener
et faire attention, car les jours peuvent être mauvais. Promenezvous là-haut. »
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[fin p. 4, ms 2.53]
T
Ces deux frères vont alors et arrivent à Neperea et ils rencontrent
un homme appelé Dene qui portait un message de Camille Coujol
(Kémi) disant que le chef devait aller car lui déposerait ces
200 frs. Il quitta alors son frère et moi aussi, et il a suivi le
propos de Kémi.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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[fin p. 5, ms 2.54]
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Puis après ces histoires, Poindé s’est sauvé et est arrivé à Netchaot ;
le chef Pemalé a réuni les hommes et leur dit : « Il est bon de se
rassembler pour aller chercher Katalea, et le ramener de chez les
Blancs. » Cela pour provoquer la guerre, car Poindé ne voulait pas
non plus apparaître à Cemou. Au moment où on revenait de Cemou,
est arrivée la nouvelle de Goveto et ensuite ils ont raconté cette
histoire qu’on irait brûler Koné et Baco.
.a
Car nous irons chercher les chefs, chercher aussi le pasteur de
Noely et son diacre, parce qu’ils tiennent aussi à l’affaire des
tirailleurs, et ils ne sont pas Blancs, et ils sont allés aussi
dire où nous avons caché le chef. »
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Il y a eu encore beaucoup d’histoires ces jours-là. Et le commandant
a envoyé quelqu’un, alors Dubos et Ferdinal, et le chef de Tiwaé,
et Nepema, sont allés entendre ce qui était arrivé à Koniambo et
les empêcher de continuer cette affaire. Alors on leur a répondu :
« Vous nous empêchez pour que nous fassions quoi ? Allez-vous-en,
car nous continuerons ce que nous voulons faire, et nous irons,
et nous arriverons à Koniambo (3), à Tiwaé (2), à Noely (3), à Baco
(4), à Koniem (5).
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Et nous l’avons quitté depuis ce jour jusqu’à maintenant. Nous
n’avons plus insisté comme avant, car il n’avait pas confiance en
nous, mais il avait confiance en Kémi.
La mémoire kanak de 1917
Alors on a envoyé le frère du chef, Dogo, et on lui a dit : « Va
dire aux guerriers qu’il est bon de rester tranquille car nous
irons à Baco, nous quelques hommes qui ne sommes pas de Vo [Voh ?].
Alors Dogo vient le dire à Dubos et à un vieux et dit aussi :
« Tous, à Paola, Pemalé, Atéou aussi, Paloa, tous attendent le
retour de Katalea pour que les deux frères soient ensemble, car
si le commandant et les soldats les trouvent ensemble et s’ils
veulent se saisir d’eux, alors on se battra. Mais s’ils ne veulent
pas se saisir d’eux, on sera tranquilles. »
Dubos, Dogo et Baptiste sont alors allés répandre cette nouvelle
à Baco, et les vieux hostiles furent très mécontents.
Ils se rassemblèrent alors à nouveau sur le fait que les gens de
Baco étaient au courant de la guerre et dirent : « Nous irons
brûler Noely car on a révélé à Baco la guerre. » Ils allèrent
alors brûler Noely. ©
Or, une des raisons pour leur venue est qu’ils voulaient emmener
ces hommes pour suivre l’affaire du bateau qu’on disait avoir
abordé là-bas. On voit en effet que la guerre est arrivée là parce
que ces gens avec qui ils sont maintenant y sont allés.
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Et si on ne les a pas emmenés, c’est qu’ils hésitaient à aller
brûler Paola. J’étais en effet venu ensuite et avais rencontré
des hommes sur la montagne, au moment où ils y étaient ; j’avais
vu que je pouvais leur parler : « Hommes, pourquoi êtes-vous
là ? Je pensais que vous reveniez d’avoir incendié Noely avanthier. » Ils dirent : « Nous ne sommes pas allés à la guerre et
nous sommes arrivés seulement ici pour aider. » Je répondis :
« Oui, nous pensions que vous étiez ainsi, et le gouverneur et
le commandant ont dit qu’on brûle Paouta et Poeremy »,
[fin p. 6, ms 2.55]
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et Katalea aussi avait dit : « Partons maintenant, et nous
reconnaîtrons bien les gens sur le terrain. Katalea venait de
parler ainsi au gouverneur, au commandant et aux soldats et se
demandait où allaient les hommes qui grimpaient la montagne. »
Ceux-ci me dirent : « Ils sont allés tirer les mitrailleuses qui
sont là-haut. » Je leur dis : « Appelez-les, qu’ils reviennent,
car nous ne savons pas quand arriveront les soldats, s’ils veulent
revenir. » « D’accord, répondirent-ils, mais tu dois dire à Katalea
et à Dubos qu’il est important de sauver notre situation auprès
du commandant et du gouverneur. »
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Katalea et Dubos vont alors parler à ces hommes (les vieux) et
Dubos leur parle très énergiquement. Ces vieux rejettent alors
leur peur, même les deux vieux de Kourou Noely.
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Katalea et Dubos reviennent à Koné. Ils y étaient le jour de
l’incendie de Naémy, car je les ai retrouvés à nouveau dans la
montagne et leur ai reparlé. Ils ont alors quitté Naémy et sont
allés à Noely. (Nous savons cela et l’affaire des gens de Noely
par les histoires de Cheval.)
Quant aux hommes du chef, nous savons leur attitude et qu’ils
ont fait des actions. Mais Katalea, lui, s’est appliqué à rester
tranquille, à partir du jour où je lui ai parlé quand il était
dans la montagne, venant de Baco. Je lui avais dit : « Je m’en
retourne, mais tu restes là tranquille, tu ne soutiens pas ton
frère lorsqu’ils portent plainte contre Cheval. Si tu m’écoutes,
je pourrai ouvrir ta route, mais si tu aides ces hommes, je ne
saurai que faire. » Il resta alors tranquille.
Toutes ces histoires que nous avons apprises maintenant sur
Katalea, nous les savons des « rebelles », et nous ne le savions
pas avant. Nous savions seulement que Katalea était un homme qui
restait tranquille et s’abstenait, n’écoutant pas à la fois une
bonne parole et une mauvaise. Voilà ce que je sais de lui.
[fin p. 7, ms 2.52]
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
23
La mémoire kanak de 1917
Baco, 21 mai 1917, Tein Bayyol Mangol à
*. [ts, 2 pp., traduction, APL]. {cf. Baco à Koné le 21 mai 1917
[ms, 6 pp., signé Génya Tein Bayyol Mangol]}
1o. Le 14 avril, le Kersaint est là. TB va avec Katelia
Poada et d’autres et chef Louis voir le Cdt qui leur dit
d’aller chercher les rebelles.
Reviennent voir Mr Fourcade qui les envoie le lundi 16.4
[ ?]. Partent à six : Chef Gatelia, Doui Deni, Doui Cea,
Camoa Tein, Hué Cawijaou et Jibu Doui Poendi.
Le trouvent à Poatataape, Ateou : trente alignés d’un côté,
trente alignés de l’autre du chemin.
©
Pénètrent au milieu et aperçoivent une maison où ils [ ?
voient] des arcs. Le maître Kavou Cawédepe les voit et dit :
« Oh, mes deux enfants, c’est bon que vous arriviez. »
M
à
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Kavou Poatataape dit : [«] Que faites-vous ici ? [»]… Il était
5 heures et plus le temps de parler. Proposent de coucher
et de parler demain quand les guerriers seraient là.
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Rencontre chez Gatelia le 17 avril à 6 heures du matin.
K-
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2o. Ils apportent alors l’igname et le bâton (mejo) et
25 francs, nous les donnent, nous les remercions et leur
disons que nous allons parler maintenant, que nous nous
préparons d’abord.
[fin p.1 ms]
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
k.
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[fin p. 2 ms]
.a
Nous sommes alors allés voir le commandant qui dit : « Bien,
retournez [en] haut leur dire de descendre le jeudi 19
avril à Foanexhime, pour que nous nous y retrouvions, car
j’irai avec le lieutenant Peutrat et le gendarme,
w
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« Hmakam et Jimmy Getetham rapportent les propos de la
police qui aurait tué le chef à Foanexhime et Ateou et
aurait menacé de leur couper l’eau, de les fusiller et de
brûler toutes les maisons à Camou ; or maintenant, nous les
attendons toujours, qu’ils fassent ce qu’ils ont annoncé,
car les chefs ont menacé, et les mauvais procédés qu’ils
ont eus dans le passé, ils les ont encore aujourd’hui.
Il vaut mieux qu’ils viennent aussi, car vous n’avez rien
dans ? cela voyez, nous vous avons donné 25 francs et le
bâton et l’igname, [? déposés] à terre avec la sagaie et la
hache de guerre ; vous trouverez le moyen, car maintenant
vous êtes près de nous, et ce n’est pas votre affaire, mais
notre parole à vous. Portez-la en bas. »
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« Vous avez raison, je vais vous expliquer, puisque les
chefs ne parlent pas ; la raison est à Koniambo ; on dit
que Douis Céa a fait le coup de la crevette, que nous
l’attrapions si l’étang est sec. »
T
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Nous leur disons : [«] Voilà pourquoi nous sommes venus
vers vous, vous nos pères car nous venons avec un cœur
bienveillant, et il n’y a pas de part chez nous pour que
nous entrions en guerre. Nous sommes venus nous vos fils,
qui ne savent pas comment s’y prendre, car nous sommes la
génération qui vous suit, nos deux pères sont morts sans
nous avoir instruits des choses de la guerre, de rien. [»]
Nous leur disons que nous cherchons à bien faire. Ils restent
là, ne parlent pas, puis Kavou Cawedepe nous répond :
La mémoire kanak de 1917
Pasteur Milo à Nouméa*
le 20 avril.
3o. Ils acceptent. Le père de Tein Dubos leur dit alors :
« Nous allons rafraîchir nos teintures de baru et nos
turbans pour aller chez le commandant, et vous nous aiderez.
N’ayez pas peur. »
©
Nous nous couchons et le lendemain matin à 4 heures nous
[nous] levons et allons à Atéou, nous arrivons à Foanexhime à
8 heures. Le commandant n’était pas arrivé. Nous allons nous
baigner et revêtir nos habits et à 9 heures le commandant,
le lieutenant et le gendarme arrivent. Alors tous les
hommes dressent les ignames et les bâtons et se rangent,
et le commandant entre.
M
On le salue et il dit : « Je suis heureux de vous rencontrer.
Qui d’entre vous parle le français quand vous êtes allés
chez les Blancs ? »
à
w
Huécawijou traduit et les exhorte, comme les exhortations
de M. Leenhardt, et il dit la pensée du Gvr et l’explique
bien et il insiste.
C
K-
C
AD
é/
Vé
On répond : « Léon Doui Gonde, frère aîné de Josua. »
« Où est-il ? » demande le Cdt Fourcade. « Là-haut dans
la montagne – Allez lui dire de venir pour traduire mon
message. » Ils y vont et l’appellent mais il se sauve dans
une autre vallée. Ils le disent au commandant qui dit :
« Bien, que l’un de vous vienne me servir d’interprète. »
T
C
Puis il leur dit : « Aujourd’hui vendredi et samedi
et dimanche, nous resterons ici, et lundi 23 nous nous
lèverons
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[fin p. 3 ms]
w
w
tous pour aller réparer les pays de Camou et Cavaciwu. »
k.
dc
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Ainsi, du 23 au 27, ils ont arrangé ces deux tribus et
le 28 nous nous sommes réunis à Camou. Nous avons porté
notre nourriture pour y manger et les soldats tahitiens
ont dansé aussi.
nc
4o. Or ce jour-là, il en manquait quelques-uns. On demande :
« Où est le chef Noël Caboaé Kolange ? – Il n’est pas descendu
parce qu’il a peur, il est dans la montagne. » Alors on nous
dit à nous deux grands chefs d’aller le voir, avec ses frères
plus jeunes et quelques autres d’entre nous. Nous l’avons
trouvé et lui avons dit de venir. Il répond « Non », il a
peur. « Pourquoi ? – Parce que ses cases ont été brûlées
et il pense que le commandant va l’emprisonner. – Non, il
n’y a rien, viens, nous t’aiderons. » Nous lui avons parlé
de 9 heures du matin à 2 heures du soir. Nous lui disons :
« S’il y a du mauvais, nous le verrons bien tous ! »
Nous repartons chez le commandant et en arrivant près de la
rivière, nous entendons des cris de l’un des nôtres, et le
grand chef Katelia demande ce que c’est, et nous arrivons
chez le commandant. « Que faites-vous ? Que sont ces cris
? – Nous ne savons pas. »
[? fin p. 4 ms]
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
25
La mémoire kanak de 1917
« Redescendons » dit le commandant. D’autres restent dans
la montagne avec sagaies, haches et fusils. Ils nous tirent
dessus. Alors le commandant les voit et s’aperçoit que les
danseurs sont lourds. « Pourquoi ? – Parce que Noël a dit
qu’il ne voulait pas que ce soit bien, mais que ce soit
mauvais. » Alors le commandant dit aux gendarmes de les lier,
soit dix-sept prisonniers emmenés. Et pour les éloigner,
Noël et ses hommes tirent, et il y a un blessé.
5o. Les soldats blessent alors quatre hommes : Cafoadette
Balaki, Camoa Doui Aourou, Douis Aureino, Caboaé Poa et
Arapoai. Il y a deux morts et deux blessés. Parmi les soldats,
un Français et un Tahitien blessés.
©
Aujourd’hui, lundi 21 mai, j’ai télégraphié au brigadier de
Voh de dire aux chefs Tariki, Kahume, Pierou, Daré, Menon,
Vinieu et Parau de fournir des volontaires pour aider à
Koné et qu’ils soient à Baco le lundi 21 mai à 4 heures du
soir pour être présentés au commandant militaire Durant et
au lieutenant Peutrat.
M
Et à 2 heures du soir le 21 mai, le commandant, etc., vont
avec les volontaires
à
w
[fin p. 5 ms]
nc
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
k.
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[fin p. 6 ms]
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Génya Tein Bayyol Mangol
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Mon cher frère, notre Père le saura. |w
Je m’arrête car mon cœur est triste de ce que la réponse
à ma lettre n’est pas rapide. Je te salue et Denis, et T
Dawi, et le père d’Edouard Amakade, et Aho, et Moroua Kouno
et M. Elia, et Boae Elise et Mathias, et Huma et vous tous.
Soyons fermes sur la terre car le soleil est au ciel. Nous
ne savons pas quand nous nous reverrons car le chemin est
lourd et mauvais, et là-bas c’est de même. Je pense à vous
au nom de Jésus-Christ.
T
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de Baco, Koniambo et les soldats de Tiaoué parcourir la
montagne, depuis quatre jours déjà.
La mémoire kanak de 1917
Un épisode de la révolte kanak de 1917
par Gööru Ignace Göröpwêjilèi
Le père de l’auteur, Pwâ, fut chef de Näumêju et de Pamalé, avant 1917
Le narrateur, âgé d’environ quatre-vingts ans au moment de l’enregistrement, est un des rescapés de la
guerre de 1917. Il raconte la fuite d’un groupe de guerriers et de leurs familles à partir de Bopope dont
le chef avait refusé la parole de guerre. Les fuyards suivent la vallée de Wéâga en direction de Tiéndanit,
poursuivis par les soldats. Ils passent par la « propriété » du colon Leconte et vont jusqu’à l’embouchure
de la Wayèm. Puis ils reviennent en passant par Tendo, gagnent Atéu et se réfugient finalement au-dessus
de Noèlly où ils se rendent aux gendarmes par l’intermédiaire de Dubos Göröunââ, chef de cette tribu.
Ils seront emprisonnés à Nouméa puis s’installeront des années après à Néami, les tribus de Pamalé et
Näumêju ayant été vidées de leurs habitants. C’est un émouvant témoignage des difficultés rencontrées
par ces victimes de la répression coloniale pour retrouver leur pays à la fin de la guerre de 1917.
Néami, 1975
Enregistrement : Jacques Celle.
Transcription, traduction et présentation :
Yvon Kacué Goromoedo, académicien de l’aire
Paicî-Cèmuhî, et Alban Bensa, anthropologue.
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rtis de Bopope.
Nous sommes pa es enfuis
Nous nous somméâga.
pour dormir à W ons et nous
Nous nous réveill rivons
partons et nous ar llée.
au milieu de la va l’autre côté
Nous montons deäjijènî [Tiéndanit].
jusqu’au col de N s et nous
Nous franchisson icènî.
descendons à Näjent, nous partons
Les soldats vienn vons à Näkaapë.
de là et nous arri le tertre Näkaapë.
Nous restons sur nt et
Les soldats arrives.
nous tirent dessu ssus et ils
Ils nous tirent de -uns.
en tuent quelquesssus et
Ils nous tirent de s dans la
nous nous sauvon ons.
forêt où nous dorm
rattrapent.
Les soldats nous ssus
Et nous tirent de
avec leurs fusils. es-uns de nos
es.
Et ils tuent quelqu
x qui sont aveugl
compagnons, ceu s et nous
Nous nous sauvon
.
arrivons à Urigâs là, les cases
Nous descendon ées.
ont déjà été brûl ns. Les
Et nous descendo quelques-uns
soldats attrapent ant à nous,
d’entre nous, et quns là-bas.
nous nous enfuyonous allons
Nous partons et ée dans la
dans une case situ ons là.
forêt et nous dorm
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© Coll. Frit z Sarasin
(Museum Der Kulture
n Basel, Musée des Civi
lisations de Bâle)
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èpë näpô nä 19
o Po pw ë
bë n yê cö pw ö gé éräbobë p u u
bë p é u ru bë p ä
w â d ö n ä Wéâ gabë p ä rä bë tè èp a a
bë tëc î gé é w êê go pa éré iriw â
p ä n â â bo o n ä bë tâ â n â â
bë â gö d ö n î gé é ä cî jè n i
d ö n ä kom ä rü NNä cî jè n i
bë n ä ja i bë bo o
bë tâ â w êê
gé é w êê
m ê coda bë cö pwgéö é Nä k a a pë
tè èp a a p ä n â â â n ä bé ré
â bë tâ â w êê n â ä k a a pë
pô rô w â n î gé é Nrë p é èi-b ë
rë m ê i p a coda rë ta a té
rë èi-b ë bo o m ê
p a p ërë â bo ro p u u
rë èi-b ë bë u ru bëôtö
w â n î d ö n ä m ê p a coda
rë p é cä d ëti-bë -b ë go ro k u pw a
â rë p é èi-b ë rë èiâ râ p a p ërë
â rë p é ca tä m w êp orom ê-rë
bé é-bë n ä ti cè êra p ä
bë p é u ru tè èp a
n â â bo o Uri gâ n ä
bë bo o n â â w êê
jè tö p a pô rô w â ê p ërë të pé â bë
â bë bo o rë p a mbë p ërë të pé
u ru p ä bo o w ëi â â n ä w â n ä tâ â
bë p ä rä bë p ä n bë p u u w êê
n ä i n ä-m ôtö â o â bë tè èp a a p ä
bë tëc î â bë p ä bon yû â â-râ â bo ro
n â â bo o a u â gö
Guerre en 1917
Deux hommes, danseurs de pilou, Bopope,
Nouvelle-Calédonie [1911-1912], n° 4686.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
27
La mémoire kanak de 1917
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la révolt
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Nous nous réveillons. Nous descendons et nous
arrivons là où les esprits des morts sautent [dans
la mer, à l’embouchure de la Wayèm].
Et nous faisons le tour jusqu’à Tendo.
Nous montons, nous arrivons à la
station d’élevage de Leconte.
Et il nous dit : « venez, ceux qui habitaient
là ont fait comme vous ».
Nous quittons cet endroit, nous arrivons à Koogo.
Nous arrivons à Pwikëpèi et nous trouvons
là nos compagnons et nous y restons.
Nous partons de cet endroit, nous
arrivons là-haut à Atéou.
Quelques-uns disent : « montons
chercher nos alliés à Pamalé ».
Nous montons, nous arrivons et nous grillons
de la nourriture à côté de l’église.
Les soldats viennent et se tiennent en
bas en nous tirant dessus.
Nous nous sauvons pour nous réfugier dans le creek.
Quelque-uns s’enfuient et montent à Pamalé.
Nous quittons et de là nous errons dans Atéou.
Nous nous sauvons dans les lantanas et dans les creeks.
Nous dormons dans les lantanas comme des cerfs.
Alors arrive un jour où nous n’avons plus de feu.
Nous nous enfuyons et nous arrivons
à Pwècilo [sur Tiaoué].
Nous descendons à Tiaoué et à Puëté et nous
traversons pour descendre à Noèlly.
Quelques-uns partent déjà en prison.
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â bë pä nââ tö-bë côwâ géé bë Tädo
bë tö bë bë tèèpaa dö bë nââ nä i
wârâ wéari mäci kë Leconte
é inä tä-bë guwë mê â-nä tèèpa tââ nä
näpô bèènî â-nä rë nä wërë pwiri
â bë nyê pärä bë mê bë tèèpaa mê nââ Koogo
bë tèèpaa mê nââ Pwikëpèi â bë pädari
tèèpa béé-bë nââ wêê â bë tââ wêê
â bë cöpwö géé wêê â bë mê bë tèèpaa
mê nî dö Atéu â bë tââ wêê
â rë inä i përë tëpé pââ jè too nä mûdërë
tèèpa béé-jè wâ dö Pëmäré
â bë too mê bë tèèpaa dö mê â bë bwaa géré
acî wâ dö goro wârâ-pwa-pwicîrî
â rë mê i pa coda â rë coo nî boo â pé èi-bë dö mê
â bë jè pa uru bë pärä nä pi-cärü
wâ géé bë nä pé näpwé
â rë uru jii-bë nââ wêê përë tëpé rë pä too dö Pëmäré
bë nyê cöpwö âkaa géé wêê â bë
mê bë pi-ugë wâ géé Atéu
pärä uru pä nä nâtanâ pärä wii pa näpwé nä géé bë
bë puu boo nä jè éré nä-nâtanâ pwacëwii pa dubé
bë nyê wërë pwiri wërë pwiri pä tèèpaa pä nââ nä
jè pé töötù jè po dau pwa töötù kä-bë â ticè ânyê kä-bë
â bë pi-uru â bë tèèpaa pä nä Pwècilo (Cèwé)
bë boo mê nââ géé Cëwé bë tö mê nââ géé
Puëté bë näjai mê nââ boo Näwéèlé
â jè pärä i tëpé baa jè o pärä nä pwa karapuu
bë pé mê bë ila ânyê wâ boo Cipèèba (Näwéèlé)
k.
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La mémoire kanak de 1917
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© Coll. Fritz Sarasin (Museum Der Kulturen Basel, Musée des Civilisations de Bâle)
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Nous arrivons, nous demandons du
feu au lieu dit « Cipèèba ».
Ils nous donnent du feu et nous allons
dormir dans la bambounière.
Dubos, le chef de Noèlly, vient, nous
appelle et nous allons à sa rencontre.
Les garçons disent : « venez, nous
descendons à la gendarmerie ».
Nous descendons et nous arrivons à la gendarmerie.
Nous entrons dans la prison.
Et nous partons et arrivons à Koné dans la prison.
Notre camarade, caa Dui Bwëugâ [un Göröéépëtâ
de Poinda], arrive et nous sommes enfermés
dans la prison avec Aunäo [un Näpôréa de
Tiaoué] et Arajö [un Pwënéèti de Paouta].
Nous descendons dans la prison du bateau.
Nous partons et nous arrivons à Nouméa.
Nous sortons de la prison du bateau et nous
allons dans la grande prison. Voilà.
Nous restons là pendant plusieurs années.
Et nos compagnons sont tous morts.
Nous sommes libérés et nous travaillons en bas au quai.
Puis nous sommes partis et quand nous sommes arrivés
ici nous avons commencé à fonder cette tribu.
C’est de là que nous sommes restés ici dès lors que
nous avions fondé ce pays d’où nous sommes.
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rë nââ tä-bë wârâ-ânyê â bë tö mê
nä puu wâ nä i pu-jö
â é mê wë pwi nî Dubööci (Näwéèlé)1
â é todë-bë â bë nyê boo cara-é
â rë inä tä âboro èpo guwë mê jè
boo boo nä wârâ-cââda
bë nyê boo bë tèèpaa boo nââ boo nä wârâ-cââda
bë nyê tö kaa nä pwa karapuu näbwé
â bë pärä bë tèèpaa pä nââ boo
Koonê wâ boo nä karapuu
â é tö mê pwi béé-bu Caa Dui Bwëugâ [de Pwanâ
un Göröéépëtâ] â bë pwa karapuu mê wêê ao géé
Aunäo (Näpôréa, Cèwé 2) mä Arajö (Pwëutë 3)
é coo i wëngâ â bë boo nââ nä
karapuu wâ görö wëngâ
bë pärä bë tèèpaa pä nââ boo Nûûmîâ
bë cööbé bë tö bë pwa karapuu wâ dö
nä karapuu mäinä näbwé
bë nyê tââ wêê po dau wäru näja kä-bë
â rë po bë diri tèèpa béé-bë
bë cööbé bë wakè nî boo uké
bë nyê cöpwö kaa â cènä bë tèèpaa mê
nä bë tapoo téari i näpô bèènî
të näbwé bë géré tââ nî â-nä bë géré
téari i näpô â géré wëibë goo nî.
1. Dogo Dubos Göröunââ, fils de Téâ Mwââgu Göröpwöbué, impliqué dans la disparition du guerrier Goodu en 1869, fut chef de Noèlly.
2. Pwënyî Prosper Näpôréa, père du père de Paul Uéé Näpôréa, ancien maire de Koné de 1972 à 1994.
3. Un Pwënéèti de Pwëutë.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
Vue générale du village de
Bopope Nouvelle-Calédonie
[1911-1912], 4701.
29
La guerre kanak de 1917
La guerre kanak de 1917, ses causes et
Entretien avec Adrian Muckle, historien
©
Afin de mener à bien son travail de
thèse de doctorat sur la guerre de 1917,
qu’il a soutenue en 2004, l’historien
Adrian Muckle s’est appuyé sur ses
propres recherches sur le terrain et sur la
consultation des archives, notamment celles
de Maurice Leenhardt, celles de l’armée,
à Vincennes, et celles de la NouvelleCalédonie. Il a effectué à cette occasion
plusieurs séjours en Nouvelle-Calédonie,
où il est revenu au début de l’année
2008 afin d’approfondir d’autres pans
de l’histoire kanak et calédonienne.
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« La plupart des
représentations de
la révolte de 1917
émanent de la
partie européenne,
de l’administration
et de la justice
notamment. »
Adrian Muckle, chercheur en histoire, est originaire de
Hawera, petite ville de la côte ouest de l’île du Nord de la
Nouvelle-Zélande. Il enseigne maintenant à Wellington. Il a
effectué ses études universitaires en Nouvelle-Zélande puis à
l’université nationale d’Australie, à Canberra, où, entre 1998
et 2004, il s’est consacré à sa thèse de doctorat, portant sur
la guerre de 1917 dans le nord de la Nouvelle-Calédonie,
entre Koné et Hienghène. Cette thèse, intitulée « Spectres of
Violence in a Colonial Context : the wars at Koné, Tipindje
and Hienghène, New Caledonia 1917 » (« Les ombres de la
violence en contexte colonial : les guerres à Koné, Tipindjé
et Hienghène, Nouvelle-Calédonie 1917 »), constitue une
histoire ethnographique très détaillée de tous les événements
qui se sont déroulés durant cette guerre entre 1917 et 1918.
Adrian Muckle s’est ensuite donné le recul nécessaire avant de
retravailler cette thèse en vue de sa publication, la concentrant
30
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
sur l’essentiel et la complétant au fil d’un nouveau séjour
effectué au cours du premier semestre 2008 en NouvelleCalédonie. Cette version sera prochainement disponible en
anglais.
Parallèlement, il a entrepris de nouvelles recherches sur
d’autres périodes de l’histoire calédonienne, notamment sur
celle de l’indigénat, en s’intéressant plus particulièrement à
l’internement politique des Kanak. Relevant du pouvoir du
gouverneur, ces mesures d’internement ont surtout été en
vigueur durant les trente premières années de l’application de
ce régime, de 1887 à 1920. Adrian Muckle estime que plus
de deux cents personnes ont été internées en l’espace de ces
trente années, des chefs célèbres, comme le chef Bwarhat,
déporté et interné à Tahiti, mais aussi d’autres personnes,
pour la plupart internées à Ouvéa, Lifou, l’île des Pins, l’îlot
Amédée, pour une durée de un à deux ans, jusqu’à dix ans
La guerre kanak de 1917
ses conséquences
©
parfois. « On a surtout parlé des chefs
kanak internés, mais ils n’ont représenté
qu’un cinquième des internés et ce qui
m’intéresse, c’est de savoir pour quelles
raisons et dans quelles conditions
tous ces gens-là ont été internés et
d’analyser les autres aspects du régime
de l’indigénat, comme les infractions
spéciales, le conflit entre le régime de
l’indigénat et le système judiciaire. »
en Nouvelle-Calédonie avec la situation en Nouvelle-Zélande.
M
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w
Pourquoi, vous-même, en tant
qu’historien anglophone, vous
intéressez-vous plus particulièrement
à l’histoire d’un pays francophone,
la Nouvelle-Calédonie, et au monde
kanak ?
képi d’officier supérieur
(collection musée de la NC).
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“ Sans que l’on puisse pour autant parler
de “guerre de religion”, on remarque
que, durant la guerre, les deux missions
se sont mobilisées pour protéger leurs
intérêts et préparer l’évangélisation de
l’après-guerre. Chaque mission défend ses
ouailles et se méfie de l’autre. Ce conflit
“politique” est très évident dans la vallée
de Tipindjé où la mission catholique
défend le chef de Ouen Kout, Kavéat, et
dénonce le chef de Ouanache, Néa. Par
contre, Néa est défendu par la mission
protestante. À Hienghène, le père Murard
est convaincu que les tribus du secteur sont
neutres et il obtient que l’administration
respecte cette neutralité jusqu’en
décembre 1917.
Pour sa part, la mission protestante
convainc l’administration de
respecter la neutralité des tribus
de Bopope et de Poyes.”
k.
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« Les chercheurs australiens ou néozélandais qui connaissent vraiment la
Nouvelle-Calédonie sont peu nombreux à vrai dire, et la perception reste
donc assez générale. La barrière du
langage y est pour quelque chose. Pour
un historien néo-zélandais ou australien, la situation calédonienne n’est pas
perçue comme particulièrement originale, mais comme un exemple, parmi
d’autres, d’une colonie de peuplement
européen dans le Pacifique. Ce qui est
intéressant, c’est de comparer les modes
de colonisation, en Nouvelle-Zélande,
en Australie et en Nouvelle-Calédonie.
On retrouve, par exemple, le bagne en
Australie et en Nouvelle-Calédonie.
Parmi les différences, il y a le pouvoir
des colons éleveurs ici, en NouvelleCalédonie, et la naissance de la mine
qui donne l’essor au pays. D’un point de
vue plus contemporain, les gens, à l’extérieur, s’intéressent aux effets de la colonisation, aux rapports entre le monde
kanak et le monde européen, ou encore
à la manière dont les Calédoniens abordent la question de leur identité. On me
demande souvent ce qu’il en est de ces
questions et l’on compare la situation
é/
Vé
Quelle est la perception de la
Nouvelle-Calédonie par les chercheurs
néo-zélandais ou australiens, en
particulier à propos du rapport entre
le peuple autochtone et le peuple
colonisateur ?
Tout d’abord j’ai suivi des études à
la fois en histoire, qui était un sujet
majeur, et en français, dans mon lycée,
puis à l’université. Je me suis intéressé
à la Nouvelle-Calédonie à la fin de mes
études de licence. En vue du diplôme
qui correspond à la maîtrise d’histoire,
je cherchais un sujet et je ne savais
vraiment pas vers quel thème m’orienter.
J’étudiais alors la littérature française,
matière dans laquelle nous nous
intéressions notamment aux écrivains
de la décolonisation, tels qu’Aimé
Césaire ou Léopold Senghor. C’est alors
qu’un de mes professeurs m’a demandé
s’il existait des auteurs de ce genre en
Polynésie française ou en NouvelleCalédonie, qui, dans l’après-guerre,
s’étaient rendus en France et en étaient
rentrés avec des idées émancipatrices.
Je suis allé à la bibliothèque et j’ai
trouvé le texte de Roselène DoussetLeenhardt, sur la guerre de 1878, un
texte de Jean-Marie Tjibaou et l’histoire
de 1878, par le père Apollinaire Anova
Ataba. C’est ainsi que j’ai commencé à
m’intéresser à la question de la critique
de la colonisation française et à la
revendication par des Kanak, comme
le père Ataba et Jean-Marie Tjibaou,
de l’identité culturelle kanak. Il y avait
donc dans mon mémoire de maîtrise
une partie historiographique, une partie
consacrée à la revendication identitaire
kanak et une troisième partie qui portait
sur la manière dont, dans la littérature
calédonienne, on avait abordé ces
questions d’émancipation, en intégrant
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
31
La guerre kanak de 1917
« Il paraît
aussi que l’on
profitait des
fêtes religieuses
pour se réunir. »
des écrivains contemporains comme
Nicolas Kurtovitch, Déwé Gorodé.
Pourquoi 1917 ? Parce que peu
d’historiens s’étaient jusqu’alors
intéressés à cette période ou parce
que, selon vous, il s’agissait d’un
point central de l’histoire de la
colonisation ?
©
Choisir la période de la guerre de 1917
me donnait l’occasion de faire ma propre
démarche d’historien à propos d’un
événement, alors qu’il existait déjà pas
mal de recherches et de publications sur
la période de 1878. J’ai été conseillé par
celle qui est devenue ma directrice de
thèse, le Dr Bronwen Douglas, qui,
elle-même, a réalisé son travail
de doctorat sur la NouvelleCalédonie, surtout sur les premiers
contacts dans la région de Balade.
Elle savait qu’il existait dans les
archives des documents sur cette
période, qui n’avaient pas été utilisés.
Au départ, je n’avais pas l’intention
de faire précisément un travail sur
1917 ; mon idée était de faire un travail
comparatif sur la violence et la nonviolence (1917 et 1984-1988) comme
stratégies coloniales et
conflits coloniaux, non seulement à
Hienghène, mais aussi dans la région de
Koné. Je voulais arriver à connaître quel
était le quotidien de la violence dans ces
deux périodes, 1878 et 1917, et comment
cela avait influencé les événements de
1984. Mais très tôt je me suis rendu
compte qu’il me serait très difficile de
mener un tel travail à bien. Il fallait
d’abord faire l’histoire de 1917-1918,
puis celle de 1984-1988. Finalement, je
me suis surtout focalisé sur 1917, parce
que, pour faire un travail comparatif
entre ces trois périodes, il faut, à mon
sens, d’abord bien maîtriser l’histoire
de cette période-là.
M
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Qu’est-ce qui caractérise 1917
par rapport à d’autres conflits, d’autres
violences dans l’histoire coloniale,
entre l’administration et les Kanak ?
En tant qu’historien, avez-vous été
particulièrement étonné par certains
éléments ou aspects de cette révolte de
1917, que vous ne vous attendiez pas
à trouver ? Par exemple sur le fait que
l’on n’est pas, au début tout au moins,
en présence d’un front contestataire
unique, mais de plusieurs foyers de
contestation et de plusieurs prises de
position.
J’ai été amené en effet à me poser pas
mal de questions sur le déroulement
de ce conflit, telles que celle-ci :
« À l’époque, quels étaient les
moyens pour les Kanak d’exprimer
leur point de vue et leur position ? »
Sachant que l’administration ellemême ignorait ce qui se passait
dans cette région du Nord,
laquelle représentait la dernière
frontière entre la colonisation et la
partie restée relativement à l’écart des
effets de cette colonisation ; que les
administrateurs en place ne parlaient pas
les langues de la région et que peu de
Kanak parlaient français. Ainsi, même
si des gens étaient capables d’assurer
un lien au moyen de la traduction, il
n’existait pas de rapport direct entre les
deux parties.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
nc
La spécificité de 1917, c’est sa relation
avec la guerre de 1914-1918. L’autre
aspect important, c’est la qualité des
archives sur 1917 par rapport à 1878.
Elles sont beaucoup plus riches et l’on
a vraiment les différents points de
vue sur le conflit, celui des militaires,
celui de l’administration, y compris
celui du chef du Service des affaires
indigènes, celui de tous les missionnaires
catholiques et protestants de la région.
Et nous possédons aussi presque tous les
interrogatoires des prisonniers kanak à
la fin de la guerre et leurs déclarations
devant les juges d’instruction. Ce qui
est intéressant, c’est cette possibilité de
rapprocher tous les points de vue, de les
croiser, de les comparer.
k.
dc
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32
K-
anti-coloniales et comme
dans la construction de l’identité chez
les Mélanésiens et les Européens. J’ai
formulé cet objectif à partir d’une
hypothèse de Bronwen Douglas selon
laquelle on devrait traiter la violence
et la non-violence comme deux
composantes complémentaires (plutôt
que contradictoires) des stratégies
coloniales et anti-coloniales en NouvelleCalédonie. Et je voulais considérer la
mémoire de la violence et son effet sur
les stratégies adoptées en 1917 et en
1984-1988. J’ai ainsi appris que, durant
cette période, entre 1984 et 1988, on
avait évoqué les événements de 1917
pour expliquer certains comportements.
Ce qui a réactivé l’histoire de 1917, c’est
la fusillade de Waan Yaat 1. À l’époque
des événements de 1984, Jean-Marie
Tjibaou est revenu sur l’histoire de
sa grand-mère abattue au-dessus de
Hienghène par les forces de répression
en 1917, comme pour souligner la
continuité de la répression lors des
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Ce qui est très riche concernant la
période de 1917, ce sont à la fois les
interrogatoires et la correspondance
des natas 2 et d’autres protestants dans
les tribus, qui ont écrit, soit à Maurice
Leenhardt, soit à d’autres natas, pour
expliquer la situation. J’ai travaillé sur
à peu près la moitié de ces documents
qui ont été traduits en français. Mais
une grande partie de ces documents n’a
jamais été traduite.
Mais ce qui m’a étonné, ce sont les
interrogatoires et le fait de rencontrer
des descendants directs en mesure de
relater la même histoire. Il y avait là une
fidélité et une complémentarité.
Le nombre de prisonniers m’a frappé
aussi : environ 250 (sans parler des
femmes et des enfants capturés).
Par rapport au nombre de personnes
(hommes) soumises à la capitation dans
les districts concernés, cela représentait
un homme sur quatre.
La guerre kanak de 1917
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précision le nombre
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répression ?
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© Coll. Fritz Sarasin (Museum Der Kulturen Basel, Musée des Civilisations de Bâle)
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La répression, qui va durer presque un
an, était très liée au mouvement des
troupes entre la France et la NouvelleCalédonie. Les colons de cette région
étaient mobilisés sur place. D’autres
étaient déjà partis en 1914 et 1915. En
1917, la mobilisation touchait des classes
plus âgées. En avril 1917, un bateau
devait arriver à Nouméa mais il a été
coulé par l’ennemi et donc le départ des
mobilisés qui devait avoir lieu ce mois-là
a été différé au mois de novembre de
la même année. Dans l’intervalle, les
mobilisés concernés ont été utilisés sur
place pour la répression. On avait aussi
sous la main des gens qui rentraient
en permission du front en Europe. Un
bateau en a ramené deux cents en octobre.
Normalement, ces mobilisés auraient dû
repartir à la fin de leur permission mais
ils ont obtenu de rester mobilisés sur
Massue phallique, bois,
ancienne collection
Nicolas Ratzel, musée de
Nouvelle-Calédonie.
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De quelle manière cette force de
répression était-elle organisée ?
Le chiffre officiel mentionne soixante tués côté
kanak, et seize tués dans
l’autre camp, colons, personnes employées par les colons
et militaires. Ce bilan ne
prend en compte que les personnes tuées par les auxiliaires, sur la base de leurs états de
service. On dispose là de chiffres précis dans la mesure où
ces auxiliaires étaient payés en
fonction de leurs résultats, soit
50 francs par guerrier tué et 25
francs par femme ou par enfant
fait prisonnier. Mais ce chiffre
officiel ne paraît pas prendre en
compte les personnes tuées lors
des opérations strictement militaires. Mes propres recherches
m’ont conduit à l’estimation de
cent vingt à cent trente tués lors
de la répression, soit par les auxiliaires, soit par les soldats.
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C’est très mélangé et il faut bien
distinguer quelles étaient les actions et
les réactions de l’administration, celles
des colons du coin et celles des Kanak.
Quand on examine la situation juste
avant le déclenchement de la guerre, on
constate que dans la région existaient
déjà une atmosphère de tension et
une animosité envers l’administration
et les chefs et les tribus que celle-ci
utilisait pour asseoir son autorité et
transmettre ses ordres dans l’intérieur
du pays. Ces tensions sont définies à
l’époque comme des « troubles dans
la région ». Un des facteurs clés dans
le déclenchement de la guerre, c’est
la manière dont l’administration ellemême a répondu à ces tensions. Par
exemple, en organisant une rencontre de
conciliation avec les gens des différentes
tribus qui contestaient la manière dont
le recrutement des « volontaires » était
effectué par l’armée, l’isolement des
lépreux ou la collecte de l’impôt de
capitation. En réalité, il s’agissait d’un
traquenard. Les archives en font état.
L’administrateur voulait utiliser ce
prétexte pour arrêter les principaux
meneurs, dont Noël de Tiamou qui est
devenu un chef de guerre célèbre à partir
de ce moment. Cette manière d’agir
de l’administration a ainsi contribué
à créer les conditions de la révolte.
place et ce
sont eux qui
ont été envoyés
parmi les soldats
qui sont intervenus
à Hienghène lors de
la dernière étape de la
répression en décembre
1917.
« On peut dire
que la plupart des
« rebelles » étaient
sous influence
catholique avant ou
après la guerre. »
Mais cela reste approximatif dans
la mesure où les chiffres que l’on
trouve dans les archives concernant
les différents épisodes qui se sont
soldés par des victimes varient
suivant les témoignages. S’y ajoutent
tous ceux qui sont morts en prison.
À la fin de la guerre, on comptait
pas moins de deux cent cinquantesix prisonniers à Nouméa et sur l’île
Nou (Nouville, de nos jours). Or
une soixantaine de ces prisonniers
au minimum sont morts lors de leur
Homme coiffé du turban[1911-1912], 4702.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
© MNC-Dell'Erba
À l’époque, beaucoup de gens dans
les tribus avaient peur d’être arrêtés
par surprise. Cette crainte remontait
à 1909, avec l’arrestation par surprise
du chef Aman. D’autres chefs ont
également été arrêtés de cette manière
durant les années suivantes, soit
chez un colon, soit à l’occasion d’une
invitation lancée par l’administration
à participer à une fête. Il y avait donc
une véritable atmosphère de défiance
vis-à-vis de l’administration. Et puis
il y avait les colons. Le déclenchement
de la guerre de 1917 est survenu alors
même que les mobilisés de la région
préparaient leur départ pour la guerre en
Europe (la Première Guerre mondiale).
Certains de ces mobilisés ne voulaient
pas partir, estimant qu’il valait mieux
faire une guerre ici qu’ailleurs. Il existe
des témoignages en ce sens dont celui
d’un gendarme en poste à Pouembout ;
il témoigne au procès en 1919 qu’on
avait provoqué la guerre pour retenir
les mobilisés dans la colonie. Mais
on ne peut pas affirmer pour autant
que c’est la position de ces mobilisés
qui a déclenché la guerre de 1917. Ce
que l’on peut avancer par contre, c’est
qu’il existait alors une forte pression
de l’administration et des colons pour
réprimer ceux qui contestaient.
Cette contestation qui s’exprimait
au sein de cette région partait-elle
naturellement du monde kanak ou
était-elle provoquée par l’attitude des
colons ou de l’administration afin de
récupérer ce dernier bastion ?
33
La guerre kanak de 1917
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à l’intérieur des limites des réserves telles
qu’établies en 1900. Avant 1917, les gens
se déplacent à leur guise et habitent un
peu partout dans cette région. Après,
tout le monde est cantonné, le processus
de normalisation est achevé. Il faut relier
à cela l’avancée de l’évangélisation,
même si beaucoup de Kanak s’étaient
déjà convertis. La guerre accélère le
processus et l’on constate qu’après ce
conflit les conversions se multiplient.
Dans le même temps, les missions
catholiques ou protestantes font tout
ce qu’elles peuvent pour réconforter
les gens qui sortent de la guerre et
les inciter à rompre avec l’état de
révolté.
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Quelle était l’attitude de ces
missions durant la guerre
elle-même ?
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Peut-on aller jusqu’à qualifier
ce changement d’attitude de
l’administration coloniale vis-à-vis
des Kanak « d’effet bénéfique de la
révolte de 1917 » ?
Oui, dans la mesure où, à partir
des années vingt, on prend enfin
ces critiques en compte, alors que
certaines avaient déjà été formulées
avant même que le conflit n’éclate.
Mais il ne faut pas exagérer les effets
du rapport de Pégourier. La plupart de
ses recommandations sont restées lettre
morte ; par exemple, sa recommandation
indiquant que l’on remplace les
gendarmes dans la plupart de leurs
capacités de syndics par des civils ; ou
celle indiquant que l’on prépare une
réforme de l’indigénat (dans le sens de
développer un statut des indigènes).
Dans les années vingt, l’administration
utilise la guerre de 1917 pour justifier le
prolongement du régime de l’indigénat ;
on cite « la sauvagerie » récente et le
danger pour la sécurité intérieure. Ce
que l’on constate dans la période de
l’après-guerre, c’est la consolidation
et l’ancrage du régime de l’indigénat ;
et le fait que la résistance, en général,
n’est plus directe, ouverte ou violente.
En plus, c’est au cours de l’aprèsguerre, au début des années vingt, que
l’administration décide d’introduire le
système des prestations sur la Grande
Terre.
Cette guerre va déclencher une
inspection administrative et donner
lieu au célèbre rapport rédigé par
l’inspecteur colonial Pégourier en
1919 3. Dans ce document, celui-ci fait la
critique de l’administration coloniale, de
ses manquements par rapport aux Kanak
durant la période antérieure à la guerre.
Une partie de la procédure de 1917 fait
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
nc
Dans quelle mesure l’administration
coloniale modifie-t-elle son attitude
à la lumière de cette guerre ?
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34
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Concernant le court terme, pour les
Kanak et les tribus engagés dans
la révolte, cette période marque la
finalisation du cantonnement. C’est à
partir de la fin de cette guerre que l’on
peut dire que les gens de la région de
Koné et de Hienghène habitent vraiment
C
Quel constat faites-vous quant aux
conséquences de ce conflit ?
K-
détention, ce qui porte
le nombre total de victimes de la
répression de la guerre de 1917, côté
kanak, à près de deux cents. Ce chiffre
a du reste été avancé avant moi dans
d’autres études. Il me paraît cohérent.
L’on pourrait ajouter à ce bilan les
conséquences indirectes de la guerre.
Durant cette période de troubles, des
insurgés de la côte Ouest ont trouvé
refuge dans les tribus de la côte Est
après avoir passé plusieurs mois dans
la brousse, sans pouvoir se nourrir et se
soigner correctement, et apportant avec
eux beaucoup de maladies liées à leur
mauvais état de santé. Une quarantaine
de personnes en sont mortes sur la côte
Est. Personnellement, je suis convaincu
que, d’une manière directe ou indirecte,
la révolte de 1917 a causé la mort d’au
moins trois cents personnes. C’est ce
que je reprends dans ma thèse.
C
AD
Si l’on prend le cas du pasteur
Leenhardt durant le conflit de
1917, on constate que la position qu’il
préconisait était celle de l’apaisement.
Il cherchait à convaincre les Kanak
que la révolte n’était pas un modèle à
suivre. Beaucoup d’écrits, dont ceux de
sa fille, Roselène Dousset-Leenhardt,
abordent le rôle de Maurice Leenhardt
durant cette révolte. Ils soulignent
en particulier que celui-ci qualifie
ce conflit de localisé, ce qui est vrai
jusqu’à un certain point, sur le plan
géographique. Il n’empêche que ce
conflit a mobilisé toute l’administration
coloniale pendant une année entière,
ainsi que des centaines de soldats. Il reste
que l’influence de Maurice Leenhardt
et de l’action missionnaire pour aider
l’administration à limiter l’étendue de
la révolte et convaincre certains rebelles
de se soumettre est évidente.
du reste le procès de l’administration, de
ses manques, en particulier le fait que
des chefs ne sont pas mis en cause alors
qu’ils ont joué un rôle dans la révolte.
Quel est l’impact de cette révolte
en dehors de la région directement
concernée ?
Ce n’est pas une question que j’ai
vraiment abordée. Les tribus qui se
sont engagées dans la guerre sont celles
des districts de Koné, de Poindah, de
Pouembout, de la haute vallée d’Amoa,
de la Tiwaka, de la vallée de Tipindjé,
de la vallée de Hienghène, de l’intérieur
de Voh. Dans toute cette région, certains
se sont rebellés, d’autres pas, mais c’est
surtout à l’intérieur de ce périmètre
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LA MÉMOIRE KANAK
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© Coll. Fritz Sarasin (Museum Der Kulturen Basel, Musée des Civilisations de Bâle)
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Hommes durant un pilou, Bopope Nouvelle-Calédonie.
Les photographies, prises quelques années avant la guerre dans la région de Koné par l’anthropologue suisse Fritz Sarasin,
restituent une image des paysages, des hommes, de leurs vêtements et de leurs armes de l’époque.

LA MÉMOIRE KANAK
L
’anthropologue Alban Bensa et le linguiste Jean-Claude Rivierre se sont attachés, au fil de leurs travaux de recherche
dans la région de Koné et de Poindimié, à recueillir la mémoire kanak de cette révolte et l’expression qu’elle a
produite 1. Alban Bensa se souvient en particulier de ses entretiens, en 2002 et 2003, avec les gens de cette région au
cours du tournage du film Esprits du Koniambo 2.
©
« D’entrée, sans que j’aie abordé le sujet, on m’a parlé de 1917, des grands déplacements des clans et des populations, ceux
d’Atéou, de Néami et de Nétchaot, notamment. Les gens de cette région font le lien entre 1917 et 1984. Les plaies de 1917
ne se sont pas encore refermées dans la région de Koné. Il n’existe pratiquement pas de familles qui n’aient été touchées
durant cette période, soit qu’elles aient perdu un des leurs lors de la Première Guerre mondiale, en France, soit du fait de
la guerre de 1917, en Nouvelle-Calédonie.
De l’autre côté (dans la région de Hienghène, sur la côte Est), également concerné par cette guerre, Jean-Marie Tjibaou
a très souvent fait référence à 1917 durant les événements des années quatre-vingt. C’est ainsi qu’en 1984, le leader
indépendantiste avait choisi d’accueillir Edgar Pisani sur le plateau de Toven, au fond de la vallée de Tiendanite. Là, il lui
a raconté le massacre qui s’était déroulé à cet endroit à la fin de la guerre de 1917, au cours duquel sa grand-mère avait été
abattue par les auxiliaires des forces de répression. Les deux hommes ont parlé ensemble plus de deux heures, là-haut, à
l’ombre d’un kaori géant.
Par ailleurs, les gens de langue paicî ont composé de nombreuses poésies orales (ténô) inspirées par la guerre de 1917, qui
font parfois penser à l’épopée de La Chanson de Roland. Certaines ont été transcrites par les Kanak eux-mêmes dans les
années qui suivirent ces événements douloureux. »
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En 1978, Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre ont publié l’une de ces poésies 3, accompagnée du commentaire suivant :
« La poésie ou tênô, en évoquant Wâii4 frère de Noël Néa ma Pwatiba 5 « un des héros de la révolte, ressuscite avec humour
et ambiguïté les événements qui survinrent au village de Cémû (entre Koniambo et Atéou). »
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Seul Wâii est invulnérable
Il a mâché l’herbe amère
Et la feuille de l’arbre urticant
Tout un nid de roussettes l’a suivi
Emporté par l’inondation
Le vide s’est fait jusqu’à maintenant
Dans les maisons qui furent touchées
Les clans qu’il fit entrer dans la danse
Et les maisons qu’il dispersa
Il y a semé la pagaille
Pwëdé vint y faire des siennes
Champ de manœuvres pour Apagu
Lieu des manigances de Näwaa
Des stratagèmes de Noèèli
Et tout cela se fit par jeu
Histoire de bien s’amuser
Il le fit pour se moquer
Juste histoire de faire le malin
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1. Un ouvrage conçu par Alban Bensa,
Yvon Goromoedo et Adrian Muckle à
partir de récits oraux kanak sur 1917 recueillis par Alban Bensa et Jean-Claude
Rivierre, et de documents d’archives,
est actuellement en préparation.
2. [Les] Esprits du Koniambo : en terre
kanak. Film d’une heure trente, écrit
par Alban Bensa et Jean-Louis Comolli,
produit par Denis Freyd en association
avec Archipel 33, Arte France, Entre
Chien et Loup, CNRS Images-Média.
France 2004. Avec la participation de
Samy Goromido, Alban Bensa, MarcAntoine Audet, Ali Ben El Hadj, Marcel
Charpin, André Dang, Edouard Gorohouna, Patrick Goromido, Jean-Marie
Goromido, Joseph Goromido, Pascal
Goromwédo, Séraphin Méréatu, Paul
Néaoutyine, Ignace Péarou, Anselme
Poaragnimou, Léonard Poarapoe-Sague, Elie Poigoune, François Pouya,
Philémon Pouya, Michel Rioux, Gaté
Wabealo.
3. Ce texte a paru dans Le courrier du musée de l’Homme, n° 2, de janvier 1978,
présentant l’exposition consacrée au
centenaire de la naissance de Maurice
Leenhardt.
4. Nom que l’on trouve également orthographié Ouaï, ou encore Waï.
5. Nom que l’on trouve également orthographié Bwëé Noël Néa mä Pwëtiba ;
surnommé « Noël de Tiamou ».
Wë co Wâii nä étö
Jè a pwëti tägo mâga
Doro upwârâ ibuu
Wërë nä-cû wâ cëù-é
Wârî pä görö jëpé
Cipurë tiëu näbë
Baa pa wâ nä é pädi
Wââo nä é pa-köcö
Pa wâ nä é tididiri
Nä é töpwö köcö nââ nä
Nyê au pi-bii kë Pwëdé
Nyê au pi-pwa kë Apagu
Au-pi-bii kë Näwaa
Bii kë Noèèli
Nä é bii ba köcö
É pwa ba êrê èa
Bii ba taurèè
Pwa mä märä upwârâ
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Poème en langue paicî
notation et traduction d’Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre
Pè pere paa pè ya pèyaa mwâgu rö Atéu (1917)
ENREGISTREMENT D’ÉMILE TEYÂ KAVIVIORO
Discours de guerre pour aller frapper la forteresse rocheuse d’Atéu 1917
I
l existe très peu de documents concernant les auxiliaires kanak qui prirent part aux opérations de répression de la guerre de 1917. Les témoins
de cette époque n’ont pas laissé de témoignage. Seul Maurice Leenhardt nous a laissé deux pè pere paa, discours de guerre en langue a’jië, qui
avaient été prononcés par le grand chef Mindia de Houaïlou (Mèèjâ Néjâ : 1863-1921) pour exalter les jeunes hommes à s’engager, en 1916, en
tant que tirailleurs. Son propre fils, Apupia Néjâ (1893 ou 1895-1966), montra l’exemple et s’engagea lors de la première vague d’enrôlement en février 1916. Le
grand chef Mindia récita de nouveau ces mêmes discours en 1917 pour inciter à la levée des auxiliaires. Recueillis par Maurice Leenhardt auprès du grand chef
Mindia lui-même, ces deux discours furent publiés en 1932 dans Documents néo-calédoniens, Institut d’ethnologie, Paris, 1932, pp. 308-312. Ils semblaient
depuis retombés dans l’oubli. Or, à l’occasion des opérations de collecte du patrimoine oral kanak dans l’aire A’jië-Aro, Alexandre Weïko Tevésou a recueilli l’un
d’eux de la bouche du vieux Émile Teyâ Kavivioro de la tribu de Bâ, Houaïlou. Né en 1916, Émile Kavivioro avait appris ce discours de l’ancien combattant
de la guerre 1914-1918 et fameux orateur de la grande vallée de Houaïlou : Kayanô, Yumi Yari Kandè dit « Boulouris » de Coula (1888-1955). Il l’a récité
intégralement presque mot pour mot près de quatre-vingt-dix ans après qu’il a été prononcé pour les circonstances évoquées ci-dessus. Ce texte nous fournit un
formidable témoignage de la permanence de le mémoire kanak orale.
Nous reproduisons ici la transcription établie par Alexandre Tevésou et Yamel Euritéin ainsi que leurs notes. En vis-à-vis, la transcription et la belle
traduction de Maurice Leenhardt publiées en 1932. Toutes deux sont accompagnées de ses très riches notes si utiles pour comprendre ces textes anciens, souvent
elliptiques et aux formes et images parfois archaïques, parfois difficilement intelligibles pour un lecteur a’jië moderne. Le lecteur intéressé pourra ainsi juger par
lui-même des quelques variantes entre ces deux versions collectées à presque un siècle de distance. Ces variantes, notamment les noms de lieux, seraient dues aux
circonstances de l’énonciation de ce discours. Selon Émile Kavivioro, il aurait été récité à Wêpwé (tribu de Néouyo), nom de l’endroit où se trouvait la chefferie
Néjâ en 1917, avant le départ des guerriers-auxiliaires, mais aussi, et en même temps, à Kajirè (tribu de Ba). Les premiers firent jonction avec les seconds à Ba
et poursuivirent ensemble par les lignes de crête en direction de Koné et de Hienghène. Les toponymes cités dans la version de 2005 renvoient aux puissances
magiques guerrières associées à Ba tandis que ceux de la version de 1932 renvoient à celles de la région de Néouyo. La récitation simultanée de ce même discours
en deux lieux distants d’une dizaine de kilomètres mais symboliquement liés, avait pour but, non seulement de galvaniser les hommes au combat, mais aussi de
convoquer et d’unir les puissances magiques des deux terroirs et d’ébranler, par la seule énonciation, celles du pays à combattre. Ces discours de guerre, étaient
répétés si nécessaire au long d’un conflit. Ils étaient aussi essentiels que les armes car ils permettaient de conduire la guerre sur le plan symbolique et magique.
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M
Ce discours de guerre n’avait pas été conçu spécialement pour les deux occasions où il a été prononcé en 1916 et 1917. Il consistait en une adaptation
d’un discours plus ancien. Voici ce que Maurice Leenhardt précise en introduction à ce texte :
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« Il doit y avoir trois ou quatre générations — car les souvenirs en sont assez précis —, et antérieurement à 1875, les Houaïlous firent la guerre aux Konés. Ils
vainquirent alors les Négorobao, au rocher Négoroateu, actuellement Kovei. Le discours rapporté ici fut prononcé à cette époque pour exciter les guerriers au
combat. Quand, plus de quarante ans après, en 1917, les Houaïlous furent appelés à marcher comme auxiliaires contre les rebelles du pays de Koné, le chef
Mindia excita ses hommes en reprenant cet ancien thème, puisque le « Contre Nadù » s’adressait précisément à des clans de Koné. Il ajouta seulement le nom de
« Pamalé », pour compléter la liste des régions incriminées dans la rébellion. Mais les Négorobao étaient cette fois nos alliés ; l’orateur ne s’en troubla point, il eût
été trop difficile de changer avec précision tous les noms propres, et le nom de « Pamalé », qui était celui de la principale région soulevée, retint seul l’attention
et parut à tous une précision suffisante ! » (Leenhardt Maurice, Documents néo-calédoniens, Institut d’ethnologie, Paris, 1932, p. 308)
Texte recueilli en 2005
AD
é/
Vé
Texte collecté auprès de Monsieur Emile Kavivioro (2005)1
Gö yè a’vi pere mâ a’ röi néwâ ba xèi mwâciri xi-nya
ge mâ doa vi yikiri rö pörökö mâ rö xèi körö mèru
mâ wâré mâ wâré xèi pörö nédaa
nc
na gëve mâ kümâkü rö yöröwaa kêê ka yèiyé mâ dèxâ u né da u kö
kuru ûrû-â kuru vi ûyûi mâ vi pere na dui xè Göyara[7] mâ Pè mâ
Pwiridë[8] ârua
k.
mâ ki uböyi na rö rhari
na gëve vi mâ vi pwa jîrhere mâ tö ria bëi rha Gwâmii[5] mâ
Kuvèmâu[6]
dc
mâ ki rhùrù mèè mâ vâ né nâvui pâ-é na tö möö Pèruanô[4]
.a
mâ pwé rua vè kö mâ tömâ vè mâjai
rö bwêêjuu ka vië ré dè tèria Bwadéwé[3]
w
w
mâ kûrû kayâ mèru na ki rhe yawia rè mèè Cawi[2]
|w
mâ mârââ vi pârâ kwââ mo
mâ mârââ dèxâ juu na ki böri rhèwiri ria ûrû dèxâ kêê lë
T
mâ ûrû mâya dèxâ nérhëë
(mâ jövui dèxâ nérhëë)
mâ kuru ûrû-â rö dèxâ néparhö
mâ mârâ du i rhea rö dèxâ bwêê kwèè kêê
mâ ki ûrû vi mâya dèxâ vi rö gwâ mwâ
Traduction de Maurice Leenhardt (1932)i
Discours contre les Nadù et Négoroateu à Koné
Je haranguerai encore et parlerai haut, par la bouche du peuple de
Göi a’vipere të ma a’ rua roi néwâ ba xèi mwâciri xin-ya
mon royaume,
peuple aux hommes nombreux à se toucher comme les arbres de
ré na vi pavèâ ee vè kêê
la forêt,
peuple dont le bruit est semblable à celui d’un lieu de pêcheii
ma ûrû mâya dèxâ nérhëë
abondante,
ma juu dèxâ nérhëë
à celui d’une masse de mer soulevéeiii,
ma kûrû éwâ rö dèxâ néparhö
au vacarme du poisson dans l’encerclement du filet, à la résonnanceiv
ma mârââ du i rhea rö dèxâ bwêê kwèè kêê
d’un lourd poteau tiré et heurté contre de grosses racines,
ma ki ûrû mâya dèxâ vi rhöö gwâ mwâ
au brouhaha de l’édification d’une case,
quand on courbe les gaulettes du faîtev et noue la ligature de leurs
ma mârââ a vipârâ koâ mo
extrémités,
au tapage d’un vol de roussettesvi qui descend s’arrêter sur un arbre
ma mârââ dèxâ juu na ki mö rhèwiri ria rö dèxâ kêê në
sans feuillage,
peuple dont le bruit est semblable au vent de tempête Est-Nord-Est,
ma kûrû kayâ mèru na ki bâ rhèyâwia xâmèè Cawi
qui déchire les cumuli et les amoncelle de l’autre côté, à Cawi,
ma ki pwé rua vè kö ma tömâ vè mâjai
vent qui se lève en un nuage à l’horizon, se dresse en gerbes d’écume
rö bwêêjuu ka vië ré tè ria Bwadiwi
là-bas, sur le récif sournoisvii de Bwadiwi,
secoue sa face et clame son nom en levant la cuisseviii et s’appuyant
ma ki rhùrù mèè ma vâné nâvui pââ-é na tö möö Péruanô
vers la montagne Péruanô,
na ki uböyi na Rhorhari.
quand le Rhorari l’appelle.
Wè gëve yè mâ vi pwa jîîrhere ma vi toriabëi xara Gwâmii ma
Vous irez par des chemins en tous sens. Vous vous lèverez d’un seul
Kuvémau
mouvement avec Gwâmii le tonnerreix et Kuvémau.
x
aux extrémités des branches qui s’allongent et de
Vous
ma gëve mâ kümâkü rö yöröwakêê ka yéé i e ma dèxâ u né daa u kö. l’arbregrimperez
houp dont l’éblouissement cache le cielxi.
Que
s’ils
disent,
les
deux de Goyara Pé et Pwirida là-haut, que s’ils
Kuru êrê vi ûyû ma vipere na dui xè Goyara Pé ma Pwirida a xârua
prétendent, qu’ils vont agir en secret et proclamer la guerre,
alors qu’ils semblent deux hommes gouvernant sur le bord de la
na kuru ma ûrû dua viyiki rèi pörö kwâ ma rhoo xèi körö mèru
piroguexii, vidant l’eau à cause de la chasse des nuages sous le vent
de tempête,
ma wârê ma wârê xèi pörö nédaa
hésitant devant l’horizon basxiii,
C
ré na vi pavèa-è vè kêê
Texte publié par Maurice Leenhardt (1932) [en graphie moderne restituée]
C
Pè pere paa pè ya pèyaa mwâgu rö Atéu
K-
C
Discours contre les Nadù et Négoroateu à Koné
Discours de guerre pour aller frapper la forteresse rocheuse d’Atéu 1917
ki mâ tömâ rua na dèxâ népèbwaaru xi-nya pè rhèi paa
ki ma tömâ rua na dèxâ népèbwaaru xi-nya pè rhèi paa
qu’un de mes bwaruxiv se lève, peint pour la guerre,
mâ dèxâ tâi uvö
ma dèxâ tâi uxo
ou quelque bancoul superbe,
mâ ki mâ tawawiri dui xè Atü mâ Négöröbao mâ Pamalé ârua
na ki tawawiri dui xè Até ma Négöröbaö Pamalé a xârua.
(ge mâ uru pa vicôrô rhëë xèi népèra
Kuru ma ûrû dua vicôrô rhëë xèi népèra
mâ cîî dèxâ népwéjepaa)
ma cîî dèxâ népwâjépa
et qu’il renverse les deux d’Até, Négöröbaö et Pamaléxv.
S’ils semblent deux hommes qui ouvrent le barrage d’un endroit
endigué,
ou détruisent un barrage de fortune pour que l’eau se précipite,
que cette eau débordée leur soit nuisible comme votre sagaie et
votre doigtierxvi.
Vous monterez sur les perches pour déclamer les harangues de
guerre.
Vous parlerez à tous deux, vous leur direz : « Sagaie et massue »xvii.
Qu’ils soient pareils à ceux qui cherchent de l’eau pour la marmite
brûléexviii,
et l’apportent au milieu des trombes de poussière d’un éboulement,
ki mâ je mâ nee xe-ve
ki ma je ma nee xëve.
gëve mâ kwéyërua vi pere i pere paa
Gëve yè mâ kwéyërua vipere i pere paa
mâ gëve yè êrê yè-ré, pâ êrê je mâ o
ma gëve yè êrê yè ru i pèè êrê je ma o
ki mâ ûrû pa vi rhiè rhëë né kë
kéré ma ûrû pâ vi rhiè rhëë né kë kê
mâ pè mâjai né lee mâ rhèrhîyâi
ma pè mâjai nélë ma rhèrhîyâi iri
Ka è jöbùrù ré tö ru Kwérè[9]
mâ ki bera gâ mâ bëru a kovo
mâ ûrû ka tewa xè né mwâ beredaa
na ka tö rua Mwâxâ[10] mâ tè ye Mèèrhari[11]
göu mâ vi mèè rhôê
mâ yu axârâ xèi pèyaa
mâ yù ria mèbaa
ki kô vè maii mâ wê tö paviru
na pèyaa Mwâgu wi xè Nâdu[12] ârua Até[13]
Cowa. »
ö ka jobùrù ré tö ru Kware.
Ma ki bera gâ ma bëru rua kovo
ma ûrû ka teewaa xèi némwâ bereda
na ka tö rua Mwâxâ ma tè yö Mèèrhari.
Këve ma vi mè rhôê ma pârâ yuaaxârâ xèi péyaa
ma yù ria mèbaa
ki ma kô vè maii ma we tö paviru
na ö péyaa mwâgu i wi xè Nâdù xârua Até,
[Gö a ye.]
sans voir ce vent de rafale du Sud, à Kwarexix.
Que tournent les tourbillons et monte le trouble de la vase,
tel celui qui sort de la maison des flèches,
le maître de Mwâxâ là-haut, et en avalxx, celui de Mèèrhari.
Allez chercher auprès des pierres (sacrées) la colère et tous les
cauchemars.
Enfoncez le coin qui sépare.
Et qu’il soit disloqué et réduit en miettes
ce rocher, citadelle de l’homme de Nâdù, là-haut, à Até,
[J’ai fini.] »
Emmanuel Kasarhérou
NOM DE CLAN : Yari • ÂGE : 89 ans
DATE DE NAISSANCE : 04/09/1916
LIEU DE NAISSANCE : Népèyî (Né péya pèyî)
LIEU D’ENREGISTREMENT : Karhëbui (lieu où
habite le vieux Émile)
DATE D’ENREGISTREMENT : 14/09/2005
LANGUE : a’jië
GENRE : discours de guerre (Pè pere paa)
ENQUÊTEUR : Alexandre Weïko Tevésou
TRANSCRIPTION : Alexandre Weïko Tevésou,
Yamel Euritéin
RÉSUMÉ : L’auteur rappelle que le chef Mindia
a clamé ce discours d’exaltation des guerriers, avant le départ pour mater la rébellion
en 1917, à Atéou (Koné).
i. NDLR : Dans le texte et les notes qui suivent, nous avons
respecté la graphie du a’jië utilisée par Maurice Leenhardt.
Nous donnons entre crochet la graphie actuelle.
ii. Maya dexa nerhë [mâya dèxâ nérhëë] – Le bruit d’une
étendue d’eau, sous-entendu, propice à la pêche, c’est
à dire, où, dans le silence, on entend les poissons qui
sautent.
iii. Ju dexa nerhë [juu nérhëë] – Belle image évoquant, dans
la grande vague, l’ossature de la mer.
iv. Du [mârââ du i rhea] – Le bruit du heurt du poteau contre
les racines lorsqu’il est tiré dans la forêt.
v. Maya dexa Virhô goa moa [mâya dèxâ vi rhöö gwâ mwâ]
– Dans les hautes cases de pilou, certaines solives se
terminent fines et sont recourbées dans le bout. Durant
ce travail les hommes sont nombreux sur l’échafaudage
autour du faîte du poteau central, ils sont serrés, chacun
crie ses ordres ou ses pensées, personne ne l’entend et le
tapage est grand ; c’est le brouhaha de travailleurs actifs
et nombreux.
vi. Ju [juu] – Nom du vol en troupe des roussettes. Celles
ci poussent de petits cris qui, par leur répétition, font
un vacarme.
vii. Ka viĕ [ka vië] – Qui guette ; le récif, caché, sournois,
attend la pirogue qu’il brisera.
viii. Navui pâ e [nâvui pââ-é] – Lève sa cuisse. Geste
effrayant. Pour se donner une contenance terrible,
l’orateur de guerre agite sa face, et tient la jambe levée
et appuyée contre l’un des bois de sa tribune comme
s’il allait grimper ou se précipiter d’un tremplin. Cf.
genre tribune. Vol I, p. 164, fig. 39 – Lève la cuisse
vers Pérouano [Pèruanô] signifie : le vent se dresse et
s’appuie sur la montagne Pérouano, colline du bord
de mer, à Nésa [Néya]; elle reçoit le premier souffle
des brises
ix. Goamii [Gwâmii] – Ancêtre du clan Néareu de Tu [Tù].
Son totem était le tonnerre. Il pouvait le faire éclater. A la
mort de Goamii, ses enfants ne gardèrent pas son crâne
dans le voisinage immédiat, ils le portèrent avec respect
au sommet du Méji (1 100 m) de peur qu’en restant à Tu
[Tù], il ne fasse ébouler les montagnes par les éclats de
son tonnerre. Goamii est une figure pour désigner ici le
tonnerre : Vous irez avec Goamii = vous marcherez avec
le tonnerre.
x. Kùmakù [kümâkü] – Indique le mouvement répété des
bras de l’arbre auquel on grimpe. Cf Voc. Kù.
xi. U ne daa u kō [u né daa u kö] – le houp de la clarté qui
cache le ciel. Image difficile à préciser. L’arbre houp, dit
le Canaque, a ses branches si haut que les yeux, levés
vers le faîte, gênés par les branches et le rayonnement du
jour, sont éblouis et ne peuvent voir la voûte céleste.
xii. Poro koâ [pörö kwâ] – Le bord de la pirogue. On dirige
celle-ci en godillant avec une large pale à l’arrière. Mais
ici le vent souffle en tempête, la pirogue gouverne mal,
et les deux hommes qui la montent doivent à chaque
instant donner sur le flanc de l’esquif quelques vigoureux
coups de rames pour le redresser. Image pour se moquer
de l’ennemi affolé cherchant à redresser les mauvaises
conditions où il se trouve. Figure intéressante aussi au
point de vue technique, car la godille, employée par
les Néo Calédoniens, n’est pas également utilisée dans
toute la Mélanésie.
xiii. Poro Nedaa [pörö nédaa] – Le bas de l’étendue claire
– l’horizon.
xiv. Baru [bwaru] – Champignon donnant une poudre noire
dont se revêtent les hommes de guerre. On identifie ici
le guerrier avec la substance dont il est entièrement
couvert. Le baru est réservé à ceux qui, dans la guerre,
officient. Plus rare que le bancoul, il a plus de valeur. Il
donne un ton mat, contrairement au bancoul que l’huile
rend brillant.
xv. Pamale – Pamalé est une vallée au pied du Mt Tchingou
ou vivent quelques clans sans unité, apparentés aux
clans de Hienghène, de Koné, de Ponérihouen, de Poya.
Dans les affaires les plus anciennes entre Indigènes et
Européens, les clans de Pamalé ont été les agents de
liaison entre les Ponérihouen répandus dans la région
de Koné, et les Hienghène. Ils ont toujours eu pour
adversaires les clans de Koné vaincus et dispersés entre
Koné et la côte Est. Cf. Vol. I. Carte II, langues Koné,
Hienghène, Ponérihouen.
xvi. Jē ma nē [je mâ nee (on dirait aujourd’hui : je mâ
lee)] – Il convient de se représenter un peuple vivant
de pêches et de cultures irriguées et excellant dès lors
aussi bien à barrer les petites rivières pour capter les
poissons qu’à diriger de petits canaux par les pentes
abruptes des montagnes. De là tout un langage très
imagé illustrant maintes circonstances, le barrage
constitué, le barrage de fortune fait par une motte de
terre et les dégâts résultant d’un coup de pied méchant
faisant écouler l’eau et provoquant les éboulements.
« Que ces dégâts soient votre arme contre eux, votre
sagaie, votre doigtier ».
xvii. Jē ma o [je mâ o] – « Sagaie et massue », cri qui
équivaut à notre « Aux armes »
xviii. Kë kè [kë kê] – Marmite brûlée. Allusion à ceux qui
perçoivent que l’eau de la marmite de terre est
évaporée, et courent vainement en cherche d’autre
pour éviter qu’elle se casse. Image de ceux qui parent
trop tard au danger.
xix. Koarē [Kware] – Nom indigène de la baie Laugier [NDLR :
Baie Laugier ou baie de Kware : au sud de la baie de
Kwawa (carte IGN n° 4822 au 1/50.000° Kouaoua)].
La brise de terre venant de cette baie profonde et
escarpée, où le vent souffle en entonnoir, tombe sur les
pirogues et les fait chavirer.
xx. Ka torua … ma teyo… [ka tö rua… mâ tè ye…] – Ka est
mis ici pour kavu to[kavû tö], le maître qui demeure à…
1. NDLR : nous donnons ci-dessous les notes du texte
collecté en 2005.
2. Nom du clan Méboédé à l’état civil (clan Mèèbwêêdè en
langue a’jië).
3. Récif du clan Nérhon.
4. Nom d’allée centrale à la tribu de Néya (Houaïlou).
5. Nom de tonnerre (du clan Néareu).
6. Nom de vent (du clan Anreu et Gowé).
7. Il s’agirait du clan Göi et Arawa de Kwéa (Monéo) mais
l’informateur n’est pas sûr de lui.
8. Clan Pourouda.
9. Lieu-dit de la tribu de Bâ.
10. Sommet de la presqu’île de Bâ où se trouve l’antenne
de télévision.
11. Nom de la pointe de Mèvégon.
12. Clan de l’Aoupinié.
13. Pic Até.

LA MÉMOIRE KANAK
Goo ao Bwékua nä goro i paa Koonê gééilu
De grand-père Bwékua à propos de la guerre de Koohnê avant-hier
Ténô dit par Waia Görödé
Ténô dit par Waia Görödé (Waya Gorodey, père de Déwé Gorodey), enregistré à Perlou par Raymond Näbai et
transmis à Alban Bensa à Näpwéwiimiâ en juillet 1973. Transcription et traduction réalisées à Cèwé (Tiaoué) par
A. Bensa et Y. Goromoedo en avril 2007. L’écriture du paicî est celle établie par Jean-Claude Rivierre dans son
dictionnaire.
©
[Note des traducteurs] : Cette poésie relate le trajet suivi par des gens de la côte Est qui tentent, semble-t-il, de rallier
la rébellion. Ils remontent la vallée d’Amoa, arrivent sur les hauteurs de Koné et constatent l’avancée des soldats qui
poursuivent les insurgés jusque dans la chaîne centrale (Pwäräpéwâi, Upaa) et ses vallées alors très peuplées comme celle
de Näwaa (au fond de Néchaot). Le petit groupe cherche à contacter les chefs de la rébellion (Téâ Kaapaa, Näbatögöröwèè
alias Kaféat) mais, voyant que la situation est désespérée, regagne le bord de mer sur la côte Est en descendant la vallée de
Tipijé [Tipindjé] jusqu’à l’embouchure de la rivière. Ils reviennent ainsi jusqu’au lieu où demeure l’auteur de la poésie, sans
doute vers Ponérihouen.
M
à
w
1. bë oro bë nyê paé
2. bë i bë wiâ Awâ
3. bë cööbërë Apia
4. bë wiâ Pwäräpéwâi
5. bë tapoo tèèpaa dö
6. bë tapoo côô i pwöwéö
7. i pwöwéö kä pa coda
8. pa coda mê Koonê
9. tiraié dö Pwëbuu
10. dö göröjaa Upaa
11. puu të niârî bwèti
12. puu të côô Näwaa
13. të niârî Näwéèlé
14. të côô Téâ Kaapaa
15. Tëbatögöröwèè
16. bë tabéa Näpijé
17. bë cèri â Tiunââ
18. bë wiâ pwärä Pwanädù
19. boo pwärä Pwawétaa
20. jè näbwé i nyäbi kä-bë
21. nââ nî Nägùmämärü
T
C
C
K-
C
AD
é/
Vé
Nous sanglotons en nous en allant
Nous pleurons et suivons la vallée d’Amoa
Nous sortons à Apia
Nous suivons la crête de Pwäräpéwâi
Nous commençons à arriver en haut
Nous apercevons le drapeau
Le drapeau des soldats
Les soldats venus de Koohnê
Les tirailleurs des hauts de Pwëbuu
Là-haut sur la crête de Upaa
Allongés pour bien observer
Allongés pour voir Näwaa
Pour observer Noèlly
Pour voir Téâ Kaapaa
Tëbatögöröwèè
Nous tournons par la Tipijé
Nous passons en douce à Tiunââ
Nous suivons l’embouchure de Pwanädù
Descendons jusqu’à l’embouchure de Pwawétaa
Et notre chanson prend fin
Ici à Nägùmämärü
k.
dc
.a
w
w
|w
nc
[Note des traducteurs] : À l’écoute de l’enregistrement, il apparaît que W. Görödé lit le texte
reproduit ci-après, retrouvé par Bernard Gasser [NDLR : enseignant et auteur calédonien].
Voici la chanson en mémoire de cette guerre civile en Calédonie, composée par un vieux Canaque Boékua de Nécapoé.
Boè oro boë nia pa é
Bè i bë wia âwâ
Bè co bèrè apia
Bè wia Pwarapéwaî
Bè ta po tépa do,
Bë ta pocô i pôwéô
I powé ka pa coda
ka paa coda nieâ Koné
Tiraiè do Pabu.
Wa do goroja Upa
Pu ta nia rî Poadé
Pu ta cô na wiia
Ta niarî Noély
ta co teâ Kapa
Ta ba go to wae.
Bé tabéa napéjé
Bè Cêù a Tiûna
Bè gù wa pwara pwanadu,
bo pwara pwaéta.
Jè nabwé nyabi kabè
Na ni na gu ma marù .
La guerre kanak de 1917
que la guerre reste très vivante dans les
mémoires.
Il y a aussi le cas de ceux qui ont été
recrutés comme auxiliaires, en général
des gens de la région de Poindimié,
Ponérihouen, Houaïlou, Bourail,
Canala, Kouaoua.
de 1917. J’ai été bien accueilli partout
et la plupart des gens que j’ai sollicités
ont accepté de parler. Je leur soumettais
des documents d’archives concernant
leur tribu et j’ai pu ainsi recouper les
noms figurant dans les archives et ceux
dont mes interlocuteurs me parlaient.
Seules quelques personnes m’ont dit
très franchement qu’elles ne voulaient
pas s’exprimer à ce sujet, précisant que
c’était le passé, l’histoire.
impression, c’est qu’aujourd’hui, en
dehors de la région Nord, ce conflit
reste mal connu dans le monde kanak.
Même si le nom de « Noël » (comme
celui d’Ataï) ou la date « 1917 » (comme
celle de « 1878 ») sont devenus des
symboles de la résistance.
Comment expliquez-vous que cette
période de l’histoire calédonienne
soit beaucoup moins connue que
d’autres ?
Difficile de répondre sans avoir
vraiment étudié cet aspect. Il faut penser
que l’on est dans un contexte colonial.
Le mouvement de personnes en dehors
de leurs districts reste difficile jusqu’aux
années quarante. Dans le système
scolaire, l’enseignement
de l’histoire de la
Nouvelle-Calédonie
reste limité. Mon
Si l’on s’interroge sur les causes du
« silence » autour de 1917, on note tout
d’abord la répartition des victimes.
Moins de quinze Européens sont tués.
Ces victimes n’ont pas de descendance,
sauf en ce qui concerne la famille
Grassin, dont une fille et un fils ont
échappé au massacre.
©
L’autre aspect de la question, c’est
de mesurer si ce conflit alimente la
conscience collective du monde kanak
ou reste limité à ceux qui l’ont mené.
M
Vos interlocuteurs vous ont-ils donné
l’impression d’être objectifs ou de
chercher à réécrire l’histoire tout en se
repositionnant par rapport au contexte
actuel ?
à
w
Je ne pense pas que les gens aient
cherché à réinterpréter l’histoire, sauf
dans quelques cas peut-être. J’ai surtout
abordé les parcours familiaux pour
savoir d’où les gens étaient venus, où
ils étaient allés pendant la période de
conflit.
é/
Vé
C
K-
C
AD
Second aspect, la concordance entre
la guerre de 1917 et la Première
Guerre mondiale. Les victimes
de 1917 ont été « noyées »
dans la tourmente de ce conflit
mondial.
k.
dc
nc
J’ai réalisé mes entretiens dans mon
français qui reste approximatif. J’ai
surtout travaillé dans les tribus de
la région Koné-Hienghène et je suis
allé à la rencontre des personnes qui
étaient en mesure de me raconter ce
qu’elles savaient sur l’histoire de 1917
ou qui pouvaient me renseigner sur les
personnages que j’avais repérés dans les
archives. J’ai essayé de voir des gens nés
entre les deux guerres et dont les parents
avaient éventuellement vécu la guerre
.a
'E
C-Dell
© MN
Notes
Au début, c’était difficile,
dans la mesure où j’intervenais en
tant qu’historien et non en tant
qu’anthropologue.
w
w
Hache à lame de fer, bois et
métal, ancienne collection
Nicolas Ratzel, musée de
Nouvelle-Calédonie.
|w
rba
T
C
Comment la partie de votre
travail sur le terrain s’est-elle
déroulée ?
Les personnes avec lesquelles je me
suis entretenu et qui étaient peut-être
descendantes de personnes impliquées
dans un soutien à l’administration
auraient sans doute eu du mal à s’exprimer
sur ce passé et ont eu tendance à le passer
sous silence. D’autres ont abordé la
question assez franchement, mais je
n’étais pas en mesure de vérifier les
dires des uns et des autres. Parfois j’avais
des temps forts avec des gens qui me
parlaient de leurs parents. L’un d’eux m’a
parlé de son père, du parcours de celui-ci
durant la guerre, de son arrestation, de
son séjour en prison. J’ai pu retrouver
dans les archives les minutes du procès
de ce personnage et j’ai pu vérifier
qu’elles concordaient avec la version des
faits que j’avais recueillie auprès de sa
famille. J’ai pu ainsi apprécier la qualité
de la mémoire orale.
Propos recueillis par Gérard del Rio
1. NDLR : dix membres de la tribu de Tiendanite, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, ont perdu la vie lors de cette embuscade meurtrière
tendue au lieu dit Waan Yaat, entre Hienghène et Tiendanite, par des anti-indépendantistes de la région. Les auteurs de cette embuscade ont
ensuite bénéficié d’un non-lieu.
2. Missionnaires protestants indigènes.
3. Se reporter à ce propos à Mwà Véé n° 57, de juillet-septembre 2007 consacré à la mise en œuvre, au début des années trente, de la « nouvelle
politique indigène ».
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
39
La guerre kanak de 1917
D ocu m ent
[Interrogatoire de] l’indigène Poindet, ex-petit chef du village de Paola-Netchaot, la Prison Civile,
le 1er fév. 1918, signé Daurelle (syndic) et Fourcade (chef du SAI), ts, extrait certifié conforme, AAN 21.1.
©
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trateu r- m
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neuf cent di
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
Commentaire sur l‘interrogatoire
de Poindet Apengou
Par Adrian Muckle
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echerché par l’Administration comme un des chefs
présumés de la rébellion, Poindet Apengou de PaolaNetchaot fut arrêté dans la vallée de la Tiwaka en
octobre 1917. Durant tout le cours des négociations qui se
déroulèrent pendant plusieurs mois avant son arrestation (y
compris lors des rencontres avec Julien Belet, négociateur pour
les pouvoirs publics, Stéphane Berne, missionnaire catholique
de Tiwaka, et le pasteur Maurice Leenhardt), Poindet avait
toujours affirmé n’avoir participé en aucune manière à
l’ouverture des hostilités. Il avait refusé catégoriquement de
se rendre avant d’avoir pu recueillir toutes les informations
utiles à sa défense. Dans la déclaration citée ici, la première
des neuf qu’il allait faire au Service des affaires indigènes et
aux juges d’instruction, Poindet relate les évènements qui
se sont déroulés en mars et en avril 1917, juste avant que ne
commencent les affrontements. Il désigne Paétou, le jiaou,
comme étant celui qui avait rallié les guerriers de PaolaNetchaot et des tribus avoisinantes. Il émet également des
doutes au sujet du rôle joué par le grand chef Gatélia.
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Poindet mourut en prison le 9 mars 1919.
Traduction française de Stéphane Goiran
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Pour cette déclaration, comme pour beaucoup des 900 procèsverbaux enregistrés, il fut nécessaire de faire intervenir un
interprète. Il s’ensuit que la transcription que nous possédons
ne saurait être une reproduction parfaite des dires de Poindet
et il faut tenir compte du fait que certaines distorsions
ont nécessairement été introduites. Néanmoins, plusieurs
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aspects de cette déclaration retiennent l’attention. On y
note particulièrement le portrait que Poindet présente de
lui-même, comme celui d’un homme en désaccord avec ses
chefs et les anciens de son groupe en raison des rapports qu’il
entretenait avec l’Administration. D’autres récits confirment
qu’il était largement considéré comme le bras droit du syndic
de Koné pour l’application des règlements administratifs.
On note également les commentaires formulés par Poindet
sur la méfiance vis-à-vis de l’Administration qui résultait
des conflits antérieurs, y compris ceux de Wagap en 1862
et de Poyes en 1901, et particulièrement des arrestations par
surprise de chefs considérés comme fauteurs de troubles. Ces
arrestations avaient entraîné un fort ressentiment, et il y est
fait référence dans de nombreuses déclarations concernant
les griefs à l’origine de l’ouverture des hostilités. Poindet luimême avait évité de justesse d’être arrêté à Koné le 8 avril.
Toutes les descriptions que nous avons de lui au cours des
mois suivants font état de sa crainte de l’arrestation. Paétou
utilisa à ses fins cette crainte que des chefs tels que Poindet
et Gatélia avaient d’être punis pour n’avoir pas rempli les
quotas de recrutement de volontaires qui leur avaient été
assignés – ou que les hommes recrutés pour le service local
soient envoyés se battre outre-mer contre leur gré.
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Notes
1. Léopold de Wagap assura les fonctions d’interprète durant l’interrogatoire et pendant le procès. Son nom apparaît largement dans la tradition orale retenue par les descendants
des prisonniers. Selon certains d’entre eux, Léopold conseillait aux prisonniers de ne pas admettre qu’ils avaient porté des fusils et leur expliquait qu’il était important que
leurs déclarations soient cohérentes. Les archives du SAI notent néanmoins qu’il lui avait été demandé de rapporter les conversations entendues entre prisonniers. Il avait
aussi été impliqué dans « l’affaire Wagap » de 1899.
2. Grégoire Roubod était gendarme en fonction à Pouembout en 1917.
3. Paétou-Aétou, de la tribu de Pombéï dans la haute Tiwaka, se décrivit lui-même comme un vétéran de la guerre des Poyes de 1901. Il a été décrit par d’autres comme un
devin, sorcier ou jiaou, et comme l’un des principaux organisateurs de la guerre. Agissant sous les ordres de Thiéou Ouinine (le père de Poindet), il rallia des guerriers de
Paola-Netchaot et des tribus avoisinantes en avril et mai 1917. Il joua un rôle crucial dans la préparation de l’attaque du 23 mai sur la mine du Kopéto, s’inspirant pour cela du
raid de 1901 sur Saint- Léonard (Tiwaka). Il se rendit au pasteur Maurice Leenhardt à Poyes en septembre 1917. Au début octobre, il fut présenté au gouverneur Repiquet.
Selon Leenhardt et Belet, il accepta de porter la responsabilité de la guerre, et essaya d’exonérer Poindet Apengou. En 1918-1919, il fit l’objet de plusieurs interrogatoires.
Le fait que les archives de la prison fassent état de son prénom chrétien (Maurice) semblerait indiquer qu’il ait été baptisé en prison. Il mourut le 3 juin 1918.
4. Ici, il évoque les arrestations (par surprise dans les cas d’Amane et de Thiéou) de trois chefs qui ont été internés par la suite : Amane en 1908, Moimba en 1915 et Thiéou
en février 1917.
5. Il s’agit de la guerre qui eut lieu à Wagap en 1862.
6. Ici, Poindet évoque sa rencontre avec l’administrateur Fourcade à Paola-Netchaot le 25 avril 1917. Lors de cette rencontre, Fourcade exigea que Poindet assiste à la cérémonie
de « conciliation » à Tiamou le 28 avril et qu’il trouve des hommes pour servir dans la police pénitentiaire.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
41
La guerre kanak de 1917
Commentaire sur l’interrogatoire de Tiapy
Par Adrian Muckle
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
Moueaou dit Tihain
Le matin du 23 mai, des guerriers kanak encerclèrent
le village minier de Kopéto et donnèrent l’assaut. Avant
l’attaque, Paétou, le jiaou, s’était adressé aux guerriers
et avait donné un “fétiche protecteur”, à porter au
poignet, à ceux qui devaient former l’avant-garde. Il
leur avait rappelé qu’il était lui-même un vétéran de
la guerre des Poyes, durant laquelle il avait protégé
le grand chef Amane, et que c’était de ce conflit qu’il
s’était inspiré pour son plan d’attaque. Ainsi qu’un
des guerriers devait le raconter par la suite : “L’ordre
de Paétou était d’attaquer pendant que les Blancs
faisaient la sieste, comme il avait fait à Tiwaka lors
de la guerre des Poyes.” Au cours de ce raid de 1901
sur le poste militaire de Saint-Léonard (Tiwaka), les
guerriers kanak avaient surpris les soldats alors qu’ils
sommeillaient, et s’étaient emparés de leurs fusils avant
de prendre la fuite. L’attaque de 1917 connut moins de
succès. Bien qu’ils aient réussi à abattre deux mineurs,
les attaquants furent repérés avant de pouvoir atteindre
le poste militaire et repoussés, laissant un mort sur le
terrain alors que Paétou et plusieurs autres guerriers
furent blessés, dont un mortellement.
après avoir cherché refuge dans la vallée de la Tiwaka.
Il fut jugé en 1919 et condamné à 10 ans de réclusion.
©
La déclaration de Tiapy souligne le rôle joué par Paétou
dans la mobilisation des guerriers kanak de la région
de Koné, et en particulier de ceux de Paola-Netchaot.
On y remarque également l’aspect bien local de cette
mobilisation. D’après leurs propres dires, les insurgés
formaient plusieurs groupes distincts : les guerriers
regroupés autour de Noël à Pwanaki ; ceux de la
haute Pouembout, partisans de Doui Pouquéï, le chef
de Paloa ; les tribus de Tipindjé, ralliées par Kavéat
ou son “sergent” Kamboa ; les guerriers de Pouépaï et
de Tiendanite, qui rejoignirent l’attaque finale sur le
poste de Pouépaï. Ceci reflétait tout à fait le modèle
des petites guerres entre formations kanak et la manière
selon laquelle se constituaient les alliances. L’insistance
sur ces distinctions a également servi à faire partager
- et ainsi à minimiser - la responsabilité des uns ou
des autres. La définition des groupements n’était pas
plus absolue que ne l’était celle des frontières entre les
tribus auxquelles les Kanak étaient censés appartenir,
frontières qui masquaient les réseaux plus vastes des
Ce qui suit est l’une, parmi une douzaine, des déclarations
alliances. Il était ainsi possible de regrouper des forces
faites par des prisonniers capturés après avoir participé
allant jusqu’à quatre-vingts guerriers issus de nombreuses
à l’attaque du 23 mai à Kopéto. Tiapy faisait partie
tribus différentes pour mener des actions importantes.
d’un groupe plus important, issu de Paola-Netchaot, qui
s’était rendu aux autorités en août 1917, sur la côte Est,
Traduction française de Stéphane Goiran
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
43
La guerre kanak de 1917
Noël de Tiamou et ses « frères »
Par Adrian Muckle
Les récits les plus anciens de la révolte de
1917 font état des principaux chefs de guerre
Kanak : « Noël, ses deux frères Ouen-Hy, Koeka
di[t] Poigny et le nommé Poindiry 1 ».
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Au fur et à mesure de l’évolution des combats, d’autres
chefs kanak devinrent célèbres, particulièrement Poindet
Apengou et Maurice Paétou, de Paola-Netchaot, et
Kavéat, de Ouen-Kout. Dans les récits plus récents,
« Noël » et « 1917 » deviennent inséparables, et Noël
de Tiamou en est le personnage central. Mais qui
était Noël ? Qui étaient ses « frères » ? Et pourquoi
étaient-ils recherchés par l’Administration ?
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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Légende de l’époque, accompagnant cette photo : « Noël Nea ma Pwatiba, chef théorique de la
rebellion sur la côte ouest, dans la région de Koné. Il est célèbre pour avoir montré son derrière, en
signe de défi, à l’Administrateur M. Fourcade, Chef du Service des Affaires Indigènes, en conclusion
d'un échange d'injures d'une colline à une autre. Il sera tué par un colon arabe de Koné chez qui il
s'était réfugié. La légende veut que ce dernier soit mort peu après, sans laisser de descendance. »
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© Archives de la Nouvelle-Calédonie, fonds Maurice et Raymond Leenhardt, 12J - (Cl. Médoux)
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Les commentaires qui suivent sont basés sur les rares
documents d’archives et autres récits publiés dans
lesquels sont mentionnés Noël et ses frères. Ainsi que je
le soulignerai, les témoignages sont biaisés, et concernent
principalement le rôle joué par les frères dans les disputes
avec les membres des tribus voisines qui fournirent un
(mais pas le seul) prétexte à l’ouverture des hostilités à
Tiamou le 28 avril 1917. Il convient donc d’étoffer les
données extraites des seules archives avec ce que peuvent
nous apporter la tradition orale et les généalogies.
Noël fait sa première apparition dans les archives coloniales
en 1905 ou 1908. En 1905, la mission catholique fait
mention « d’un indigène de Poya fixé aux environs de Koné,
le brave Noël », un employé de la veuve Pasteur, qui a reçu
sa première communion après avoir suivi une instruction
religieuse auprès du père De Thuret, et dont « [la] parfaite
docilité donne à espérer pour l’avenir ». Bien qu’il ne soit pas
possible d’affirmer catégoriquement qu’il s’agisse bien de Noël
de Tiamou, l’usage de son prénom, sa description comme
« un indigène de Poya » et le support que les missionnaires
catholiques apportèrent plus tard à Noël de Tiamou dans le
cadre des disputes au sujet de la réserve du Koniambo (voir
plus bas) laissent supposer que c’est bien du même homme
qu’il s’agit. En 1906, on trouve plusieurs références à un
certain « Noël Grémin 2 », récemment converti. Un récit
kanak de 1917 fait référence à Noël de Tiamou sous le nom
de « Noël Caboaé Kolange ». Des recherches plus récentes,
particulièrement celles de Jean Guiart, l’ont identifié comme
« Noël Néa ma Pwatiba (Goïeta) ».
La guerre kanak de 1917
sujet de Ouenhi ou de Waï (on rencontre
également les orthographes Ouéni, Oigni,
Ouen-Hy, Ouaï, Wâii et Wî), survivants
des affrontements, et on ignore tout de
Poigny-Kaeka, tué peu de temps après
Noël, en janvier 1918. Selon les archives
du tribunal, Waï avait 35 ans en 1918.
Il était « le fils de Outé et de Ponémoï,
né à Tiaucon [Tiakan], demeurant à
Panéqui ou Panéki 5 ». Jusqu’en
mars 1917, il avait travaillé comme
stockman pour un des frères
Metzdorf à Témala.
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La famille de Noël était une des nombreuses familles qui s’étaient établies
dans le district de Koné suite aux
affrontements de 1878-1879 (voir la
note sur « 1917 et 1878 »). Selon Jean
Guiart, la famille de Noël était originaire de Néa (faisant partie des Nätéa,
un groupe descendant des Göièta) et
avait cherché refuge à Pwanaki ou à
Tiamou. Certaines querelles anciennes
les y avaient suivis. Alors que les chefs
de Koniambo avaient fait alliance avec
les Français lors des hostilités de 1878,
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La manière selon laquelle les réserves
avaient été délimitées, et les « petits
chefs » nommés, ajoutait de la complexité au différend de 1908. Jusqu’à
la fin de l’année 1917, il convient de
distinguer la réserve « officielle » de
Koniambo (qui contenait Tiamou)
de la réserve « officieuse » de
Koniambo-Grombaou (regroupant
des terres ayant appartenu à la
Pénitentiaire). Bien que Tiamou
ait été située au sein de la réserve
« officielle » de Koniambo, c’était
Doui, le chef de Grombaou, que
l’Administration reconnaissait comme
petit chef de Koniambo.
Les trois « frères » sont mentionnés
dans les chroniques des disputes qui ont
éclaté préalablement aux affrontements
de 1917, mais la plupart des récits
considèrent Waï – plutôt que Noël –
comme le chef de file. D’après l’histoire
de la guerre de Téin Baï 6, « Waï avait
terminé le pilou de Tiwaé quand la
difficulté est apparue et les hommes
interdits qui font partie d’un même clan,
Noël, Waï, Kaeka, étaient furieux ».
Une femme, faite prisonnière durant
les hostilités, s’est souvenue « d’une
dispute entre Noël et Oueni d’une part
et Ferdinand [le fils du petit chef
de Tiaoué] et son frère de l’autre,
au sujet d’une femme que Oueni
poursuivait depuis longtemps ».
Au moins deux autres récits
proposent la même explication,
indiquant qu’une amende avait
été imposée à Waï pour avoir
couché avec cette femme, et qu’il
avait ensuite cherché à se venger
de ceux qui s’étaient plaints de son
comportement 7.
© MNC-Dell'Erba
les gens de Néa avaient combattu dans
l’autre camp 4. On ne sait cependant pas
exactement quand la famille de Noël
s’est déplacée. En 1900, les gens déplacés
ou exilés suite aux affrontements de
1878-1879 continuaient encore à s’installer dans la région de Koné. Durant
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En 1908, il est fait état d’un « Noël
de Tiamou » décrit comme le chef de
Tiamou, une petite communauté faisant
partie de la réserve du Koniambo. Il est
noté que, cette année-là, il avait protesté
contre le fait qu’un bail avait été accordé
par Doui, le chef de Grombaou, et Téin
(dit « le maître d’école »), le chef de
Pwanaki, au sieur Joseph Gros pour
une parcelle de 200 hectares prise
sur les 370 hectares de la réserve du
Koniambo. Noël revendiquait des
droits sur ces terres, et se plaignait de
ne pas avoir été consulté. Les autorités
refusèrent néanmoins d’annuler le bail,
et en l’espace de deux ans Tiamou avait
été abandonnée par la majorité de ses
résidents à l’exception de deux ou trois
familles. En 1913, le père Halbert,
missionnaire catholique, rapporte que
les chefs de Grombaou et de Pwanaki
avaient évincé Noël. La majorité des
habitants de Tiamou s’étaient déplacés
vers l’intérieur des terres en direction
de Pwanaki et, en 1917, c’est donc à
Pwanaki que l’on retrouve Noël et
ses frères 3.
le différend de 1908 au sujet du bail
contesté de la réserve de Koniambo,
Joseph Gros avait identifié « le canaque
Noël originaire de Poya », sous-entendant ainsi que sa présence à Tiamou
était relativement récente. Durant cette
même période, les missionnaires ont
rapporté des mouvements constants de
population entre Koné et Poya.
Les deux hommes identifiés comme
« les frères de Noël » appartenaient au
même clan. On sait peu de choses au
Ces disputes sont venues envenimer
d’autres foyers de discorde plus
anciens, découlant du bail des terres
de Koniambo, de la perception de
la capitation et de l’application des
règlements sanitaires. Durant les
premiers mois de 1917, ces griefs furent
exacerbés par le recrutement de soldats
« volontaires ». Des hommes de Tiamou,
Pwanaki et autres localités se plaignirent
que le petit chef de Koniambo et sa
police les avaient menacés de violence
au cours de ces recrutements. On peut
lire dans le récit de Téin Baï :
Sac à pierres de fronde,
fibres végétales, poils
de roussette et pierre,
ancienne collection
Nicolas Ratzel, musée de
Nouvelle-Calédonie.
« À propos de femmes, tirailleurs, boissons, pilou, capitation, polices, lorsqu’ils
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
45
La guerre kanak de 1917
prennent les noms des gens, ils mélangent les Blancs et les Noirs. Ils
sont furieux de cela. Nous, nous sommes des Noirs, nous ne voulons
pas aider les Blancs, ni ces gens-là, en mélangeant les noms. »
Frôlant les coraux de la grève
Tout un nid de roussettes l’a suivi
Emporté par l’inondation
Le vide s’est fait jusqu’à maintenant
Dans les maisons qui furent touchées
les clans qu’il fit entrer dans la danse
Et les maisons qu’il dispersa
Il y a semé la pagaille
Pwëdé vint y faire des siennes
Champ de manœuvre pour Apagu
Lieu des manigances de Näwaa
Des stratagèmes de Noèèli
Et tout cela se fit par jeu
Histoire de bien s’amuser
Il le fit pour se moquer
Juste histoire de faire le malin 10 »
En mars 1917, Noël et les autres prirent les armes pour se
défendre. En les interrogeant, le 4 avril 1917, le brigadier
Faure, syndic de Koné, apprend que c’est Noël qui « avait
d’un coup abattu un jeune niaouli, ce qui veut dire qu’il ne
veut pas céder ». Quelques semaines plus tard, l’initiative de
l’Administration d’opérer une réconciliation entre Noël et
Doui à travers une cérémonie à Tiamou – et qui cachait le plan,
dont le secret fut mal gardé, de capturer Noël par surprise –
fut l’occasion du déclenchement des affrontements.
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Quand la guerre éclata, c’est Waï, plutôt que Noël, qui se
forgea la réputation du guerrier le plus redoutable. C’est lui qui
était à l’avant-garde de l’attaque menée contre les soldats le 28
avril. En juin 1917, Maurice Leenhardt écrivait que les faits
d’armes de Waï étaient en train d’entrer dans la légende :
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« Waï, le père de Noël, a été attaqué dans son moagu, deux hommes
de Koné se dirigeaient vers l’étroit passage qui y accédait. Waï les
vit et les laissa approcher. Lorsqu’ils furent à quelque distance,
il se tint à l’entrée étroite de sa citadelle, et les interpella : « Vous
voulez la guerre ? » ; « Oui, c’est toi que nous voulons » ; « Bien,
tirez les premiers… » Ils n’avaient que des frondes et Waï était
armé d’un bon fusil. Trois fois ils lancèrent leurs frondes, mais les
pierres heurtaient les parois rapprochées du rocher. Waï impassible
les voyait rebondir, puis au troisième coup il arrêta. « Maintenant
c’est mon tour », il coucha l’un d’eux en joue et lui fracassa le crâne.
L’autre voulut fuir, il le blessa à la cuisse. Alors il poussa un cri
sauvage de victoire, se précipita vers le corps de sa victime, et dans
le creux de sa main, but le sang. Et les Canaques se répètent le
geste, ils admirent Waï et pendant que l’Administration bafouille,
leur âme cruelle s’éveille 8. »
Entre avril et mai, Noël et ses « frères » participèrent à un
grand nombre (mais pas à toutes) des actions importantes
de la guerre. Après sa reddition, Waï en décrira plusieurs.
Au début janvier 1918, ayant été attaqués dans la vallée de
Hienghène en décembre, Noël et ceux qui l’accompagnaient
ont cherché à fuir leurs poursuivants en se repliant sur la
région de Koné. Le 10 janvier, Noël fut tué par Mohamed
ben Ahmed, détenteur d’une concession à Koniambo. Aux
dires de Waï, il se dirigeait alors vers Koné pour se rendre et
arborait le drapeau tricolore. Dans les jours qui suivirent, les
auxiliaires militaires venus de Bourail abattirent également
Poigny, le « frère » de Noël, à Naoundet dans le massif de
Poindala, et capturèrent les épouses de Noël (Mou) et de
Poigny (Louise), ainsi que le fils de Poigny (Boé Noël) âgé
de six ans. Quelques semaines plus tard, Waï se rendait.
L’officier commandant le détachement le décrivit comme
« un solide guerrier » qui « ne paraît pas avoir trop souffert ».
Waï lui dit qu’il avait rejoint les hommes d’Atéou, la tribu de
sa femme, et « il prétend avoir agi contre les Blancs sans en
connaître la raison11 ». Le procès de Waï eut lieu en 1919. Il
fut reconnu coupable (en dépit du fait que le ministère public
ait recommandé qu’il soit mis « hors de cause ») et condamné
à 20 ans de travaux forcés.
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« Seul Wâii est invulnérable
Il a mâché l’herbe amère
Et la feuille de l’arbre urticant
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Un poème en paicî, recueilli en 1970 par Alban Bensa,
confirme la réputation de Waï 9 :
Traduction française : Stéphane Goiran
Notes
1. Repiquet, rapport n° 303, [n.d.], 1W2, pièce 1079, ANC ; La France Australe (24 mai 1917) identifie les frères sous les noms Poigny, Pointey et Ouéni.
2. A rchives de l’archevêché de Nouméa, dossier 45.3.
3. A rchives de l’archevêché de Nouméa, dossiers 45.4, 45.5 et 45.6.
4. Guiart, « Le cadre social traditionnel et la rébellion de 1878 dans le pays de La Foa, Nouvelle-Calédonie », JSO, 24 (1968), 97-119 ; Guiart, « Les événements de 1917 en
Nouvelle-Calédonie », JSO, 26-29, (déc. 1970), 270 ; Guiart, Structure de la Chefferie en Mélanésie de Sud, seconde édition remaniée et augmentée, Paris : Institut d’Ethnologie,
1992, 125-128 et 132.
5. A rrêt de renvoi et de non-lieu – Affaire « Rebelles », 16 mai 1919, AAN 21.9.
6. [NDLR : voir le texte, reproduit par ailleurs dans ce dossier, intitulé “Histoire de la rebellion du côté de Koné, de Tein Baï, d’après une traduction de Raymond
Leenhardt.]
7. Interrogatoire (Mamboa, femme du rebelle Léon tué à Ouamindiou, le 22 juillet 1917), 23 août 1917, AAN 21.1 ; Procès-verbal d’interrogatoire (Yosona), 7 août 1918,
AAN 21.2 ; Déposition du témoin (Maccan), 30 sept. 1918, AAN 21.7.
8. Leenhardt à Jeanne, Tiparama, 17 juin 1917, Archives Leenhardt.
9. [NDLR : La version originale de ce texte en langue paicî et sa traduction en français sont reproduits par ailleurs dans ce dossier].
10. A lban Bensa, « Sociologie de la rébellion de 1917 », Le Courrier du Musée de l’Homme, n° 2, jan. 1978.
11. Durand (adjudant. chef) à commandant supérieur, n° 86G, Nouméa, 28 février 1918, pièce 7, 1W1, ANC.
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
Entretien avec
Sylvette Boubin-Boyer,
historienne
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Docteur en histoire,
Sylvette Boubin-Boyer est considérée
comme l’un des spécialistes les plus
avertis dans l’étude et l’analyse de
la Première Guerre mondiale en
Nouvelle-Calédonie et en Océanie.
Elle s’est également spécialisée
sur la période de « l’entre-deuxguerres » en Nouvelle-Calédonie.
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Elle a, en décembre 2004, à Nouméa, dans le cadre de Pacific
History Association, présenté une communication intitulée
« La révolte kanake de 1917 au regard des archives de l’armée
de terre et de la Marine ».
direction éditoriale.
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Elle est également très engagée au sein d’équipes pédagogiques,
d’associations et d’organismes intervenant dans le domaine de
l’histoire locale et du patrimoine historique calédonien.
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Elle est coauteur d’une douzaine d’ouvrages historiques et
contribue régulièrement par ses articles ou entretiens à des
revues locales et régionales, dont Mwà Véé.
Plus récemment, elle a publié un texte intitulé « La NouvelleCalédonie durant la Première Guerre mondiale » dans
l’ouvrage collectif Révoltes, conflits et Guerres mondiales
en Nouvelle-Calédonie et dans sa région 1 dont elle a assuré la
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Elle a contribué depuis 1992 à l’élaboration des programmes
et de cinq manuels d’histoire adaptée à la Nouvelle-Calédonie,
édités par le Centre de documentation pédagogique de la
Nouvelle-Calédonie.
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Sa thèse de doctorat d’histoire soutenue à l’université de
la Nouvelle-Calédonie en 2001 : « De la Première Guerre
mondiale en Océanie – Les guerres de tous les Calédoniens »,
a été publiée en 2003 par les éditions Septentrion. Le troisième
et dernier chapitre de sa thèse est consacré à « La guerre
canaque de 1917 en Nouvelle-Calédonie » (voir encadré). Sylvette Boubin-Boyer enseigne au lycée professionnel SaintJoseph de Cluny. Elle est également chargée de cours en histoire
à l’université de la Nouvelle-Calédonie.
Quel est l’état de la recherche historique sur la guerre kanak
de « 17 » ?
En l’état actuel des connaissances, beaucoup de questions se
posent sur cette période, dont certaines restent encore sans
réponse. Entre la présentation des événements par le monde
kanak et la part de mythification, l’interprétation que l’on en
fait, la version des militaires, celle de l’administration locale,
celle de la haute administration [française] et coloniale et celle
des colons, il y a matière à s’interroger.
Toutes ces versions, tous ces documents représentent un cursus
énorme, sans compter que beaucoup d’entre eux, émanant du
monde kanak, ne sont toujours pas traduits.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
47
La guerre kanak de 1917
Le texte reproduit ci-après ouvre la troisième partie de l’ouvrage de Sylvette Boubin-Boyer, tiré de sa thèse de
doctorat et publié aux éditions Septentrion1. Cet extrait permet au lecteur de bien cerner d’emblée le contexte
dans lequel la « guerre kanak de 1917 » a germé. Il ne constitue qu’une introduction à un exposé très documenté
et détaillé sur la situation de la colonie à cette époque, aux plans économique, social, militaire (en particulier sa
position par rapport à la guerre de 1914-1918), politique, religieux…, ainsi que sur le rapport qu’elle entretient
avec le monde kanak. Il nous est impossible de reproduire ici la totalité de ce chapitre, aussi invitons-nous le
lecteur qui souhaite approfondir sa connaissance de cette période de l’histoire calédonienne à se reporter à
l’ouvrage de référence.
« Pourquoi donc ces Canaques 2 que l’on croyait « pacifiés »,
vont-ils se révolter et contre quoi 3 ?
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« Rébellion, révolte, événements », voire « insurrection, guerre ou révolution », tels sont les noms attribués aux actions
et aux situations qui ont lieu à partir du 17 février 1917 en Nouvelle-Calédonie, quand les Canaques animistes d’Atéou et
de Panéqui saccagent les cultures des tribus catholiques profrançaises de Koniambo dans la région de Koné au nord-ouest
de la Grande Terre. Déjà beaucoup de mobilisés ont gagné la métropole, laissant leurs femmes seules sur les stations avec
des jeunes enfants, aidées de leurs employés indigènes ou asiatiques. Les colons demandent la multiplication des postes
militaires, refusée par le gouverneur Repiquet. Le décret sur la censure en temps de guerre, en vigueur mais presque sans
objet à l’intérieur de la colonie depuis 1914, est alors appliqué « en raison de l’état de guerre » en Nouvelle-Calédonie. Une
phase paroxysmique se déroule du 18 mai au 9 septembre : attaques de stations, de la mine du Kopéto, assassinats de
colons dans une région circonscrite au grand rectangle Hienghène, Poindimié, Muéo, Voh, au centre nord de la colonie. La
répression, menée par des colonnes de l’armée, composées de tirailleurs tahitiens encadrés par des sous-officiers français,
aidées d’auxiliaires canaques puis de permissionnaires de la Grande Guerre, entraîne la fuite dans les montagnes des rebelles
et de leurs familles, la mort de nombre d’entre eux et la disparition de villages entiers. Les « événements » se terminent avec
la liquidation du chef Noël et la reddition des derniers rebelles en janvier 1918. Lors du procès en cour d’assises, il sera révélé
que l’action menée aurait été préméditée par la grande chefferie de Hienghène depuis 1913 et que la monnaie de guerre
circulait dans les tribus du Nord qui l’avaient ou non acceptée. Dans la France en guerre, comment la Nouvelle-Calédonie
va-t-elle affronter la révolte indigène en 1917 ? Pourquoi des Canaques isolés, semble-t-il, dans leurs réserves, en butte aux
transformations nombreuses depuis l’arrivée des Européens soixante ans auparavant (la tribu, l’impôt de capitation, les corvées,
le travail sur les stations ou dans les mines, le recrutement pour la milice de la transportation), confrontés aux modifications
de leur territoire (le cantonnement, les réserves, les spoliations foncières) et de leurs espaces mentaux (la colonie et son
administration, le christianisme, l’alphabétisation de beaucoup d’indigènes dans les missions, les inter-« unions », parfois
inter-mariages, entre ethnies différentes et la naissance de métis), enfin, confrontés à la guerre en Europe (le recrutement, le
casernement, la vie en France), pourquoi donc ces Canaques, que l’on croyait « pacifiés », vont-ils se révolter et contre quoi ?
Il conviendra de vérifier si la révolte canaque de 1917 en Nouvelle-Calédonie est un processus historique normal et universel
lié à la colonisation de peuplement et d’exploitation, visant à casser l’inéluctabilité de la colonisation territoriale, biologique
et culturelle, ou s’il ne s’agit que de rapports déterministes causes conséquences liés ou non à la guerre mondiale. Il a fallu
reprendre l’étude exhaustive de la période concernée pour la Nouvelle-Calédonie : la Première Guerre mondiale, la révolte de
1917, en ne négligeant ni les journaux d’époque, ni les archives, ni les cartes du service topographique, ni la visite des lieux et
la recherche de témoignages de première ou de seconde main. Cette étude a été menée conjointement avec l’analyse critique
des études ou théories publiées à ce jour. D’autres grandes révoltes indigènes s’étant produites en Nouvelle-Calédonie, en
1878 et en 1984-1985, il était nécessaire d’en tisser les liens éventuels par-delà le temps, au regard de l’état d’insoumission
permanent de certains clans dans certaines régions. La recherche et l’analyse comparative de révoltes de peuples colonisés
contre le colonisateur, dans le temps et dans l’espace, dans d’autres colonies françaises (Asie, Madagascar, Afrique) depuis
les premières colonisations, puis à partir des premiers recrutements, étaient nécessaires. Tout au long du conflit mondial,
alors que de nombreux régiments coloniaux participaient activement aux combats sur les fronts d’Europe de l’Ouest, et que
des mouvements antimilitaristes éclataient sur divers fronts, des révoltes éclatent dans l’ensemble des colonies françaises.
Ces troubles se produisent pendant que deux mondes, celui du colonisateur, celui des colonisés, qui souvent s’ignoraient
dans l’empire colonial français, se retrouvent sur des théâtres d’opérations inhabituels, les fronts et l’arrière. »
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« Pourquoi donc …
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1. De la Première Guerre mondiale en Océanie – Les guerres de tous les Calédoniens, S. Boubin-Boyer, Septentrion, 2003, p. 463-716. Troisième
partie : La « guerre » canaque en Nouvelle-Calédonie.
2. L’auteur a conservé ici la graphie utilisée à l’époque.
1. Cette phrase que nous avons choisie comme titre est extraite du texte reproduit ci-après.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
Quelles sont les questions qui se posent en
priorité aux historiens ?
Se pose en tout premier lieu la question de la
cohérence de ces événements. L’on peut dire qu’il
y a effectivement un « avant » et un « après »
par rapport à cette « guerre de 17 », car elle se
déroule durant une période particulière, celle
de la Première Guerre mondiale.
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Dans les années quatre-vingt, afin de mieux
comprendre cette période de « 17 », j’ai
personnellement parcouru, avec Christiane
Terrier [historienne calédonienne], toute
la région concernée, toutes les tribus et
tous les théâtres d’affrontements cités
dans les archives. Quand on remonte,
par exemple, la vallée de Oué Hava [qui
prend naissance dans la grande vallée
de la Tipindjé], et que l’on parle avec le
petit chef Kaïna, on comprend mieux ce que
décrivent les archives.
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Ainsi, quand le gouverneur Repiquet, escorté d’Alfred Fourcade,
chef du Service des affaires indigènes, se rend en personne à
Koné pour recruter des tirailleurs mais aussi en vue de réprimer
la révolte kanak naissante dans cette région, il n’effectue pas
une démarche de réconciliation, il conduit une colonne de
pacification. Ce déploiement vise en fait à rassurer l’« élite »
des colons par rapport à la « menace » que font peser Noël de
Tiamou et les siens sur cette région.
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À quoi la région de Koné ressemble-t-elle à cette
époque ?
La zone de Koné est alors peuplée de colons libres qui figurent
parmi les premiers de la « colonisation Feillet ». Ces colons
forment une sorte d’« élite » rurale à Koné et à Voh, et, sur la
côte Est, à Poindimié, ainsi que, dans une moindre mesure
toutefois, à Hienghène.
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que les Kanak avaient l’intention d’attaquer Koné est à mon avis
erroné. Les Kanak qui arrivent ce jour-là au village sont des jeunes
en tenues de guerriers, effectivement, comme cela se produit chaque
fois qu’il s’agit de la levée de tirailleurs. Ils ne se sont pas parés et
équipés ainsi pour attaquer le village. Ils déposent d’ailleurs leurs
armes à l’entrée, effectuent des achats chez les commerçants qu’ils
paient normalement et repartent. Mais leur apparition a relancé
l’imaginaire et la rumeur de guerre contre les Blancs, alimentés
par la peur liée au départ des chefs de famille mobilisés pour partir
combattre en France. En fait, tout le monde a peur, les Blancs ont
peur des réactions des Kanak, et ces derniers ont peur des Blancs.
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Noël de Tiamou est associé à l’histoire de Koné 2. Or, affirmer
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Un différend oppose celui que l’on a surnommé « Noël de
Tiamou » à un colon qui, sans lui demander son avis, empiète
sur des terres que revendique Noël. Celui-ci est excédé par ce
comportement et se rebelle alors. Il faut noter que le colon, lui,
obéit à une logique. Il répond à une demande de la France,
via sa colonie calédonienne, qui a besoin de davantage de
conserves de viande pour approvisionner son armée en guerre
contre l’Allemagne, et donc ce colon développe son troupeau
et étend sa zone de pâturage sans se soucier du reste.
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L’origine de la guerre est souvent attribuée à Noël Néa
ma Pwatiba. Quel rôle a-t-il joué en réalité dans le
déclenchement des hostilités ?
C
On sent que, du côté des descendants des « insurgés »,
l’amertume reste réelle, tandis que, dans le camp des « ralliés »
et des auxiliaires, on ne s’étend pas sur le sujet. K-
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Les personnes que vous sollicitez pour évoquer cette guerre
s’expriment-elles facilement ?
Il faut souligner que c’est dans cette zone que des « microrévoltes » ont éclaté sporadiquement à partir de 1913, à la suite
de la réduction de certaines réserves indigènes, en contrepartie
de quoi on a procédé à l’« agrandissement » d’autres réserves
consistant en fait en fonds de vallées très étroites et guère
cultivables ou en crêtes montagneuses.
Nous sommes aussi dans une zone où les gens sont très
perturbés par la colonisation, qui a accueilli notamment des
insurgés des premières révoltes de 1860, puis de la révolte
de 1878.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
« Certains
observateurs ont
avancé que la
révolte kanak
aurait fourni un
très bon prétexte
aux colons
permissionnaires
qui ne souhaitaient
pas repartir à la
guerre en France. » 49
La guerre kanak de 1917
« À Hienghène, on compte 2 déserteurs sur 4 engagés volontaires recrutés
comme « tirailleurs canaques » (on remarquera le très faible nombre d’engagés
volontaires dans cette région alors que les tribus semblent importantes) ; à Voh,
4 déserteurs sur 19 ; à Koné, 1 déserteur sur 14 ; à Canala, 1 déserteur sur 87 ; à
Poindimié, 7 déserteurs sur 84.
Note : Le nombre de recrutés indiqué ici correspond aux engagés qui ont
« signé ». Il comprend ceux qui ont été réformés par la suite et qui ne sont pas
partis à la guerre. »
Cette guerre vous apparaît-elle comme
un épisode de plus dans l’histoire de la
colonisation ou comme un élément
déterminant ?
©
La guerre de 1917 est beaucoup plus
qu’un simple épisode de l’histoire
calédonienne. On peut en revanche parler
d’hyper-phénomène de révolte à partir
de toute une série d’épiphénomènes
locaux qui découlent des tensions
entre colonisés et colonisateurs. Il faut
encore noter que des révoltes ont éclaté
dans pratiquement toutes les colonies
françaises durant cette même période.
M
à
w
et des mobilisés, touchés par la lèpre
notamment, et qui, de ce fait, vont
être réformés. Une léproserie doit être
prochainement installée à Pombounou,
ce que rejettent les Kanak. Et puis,
nous sommes sur l’ancien territoire de
Gondou, une région où les clans sont
en conflit, jamais vraiment « pacifiée »
par les Français…
T
C
Pour autant je ne considère pas le
recrutement de volontaires pour la
guerre de 1914-1918 comme l’une des
causes majeures de la guerre de « 17 »,
car les foyers de révolte se situent dans
des zones peu peuplées, où la levée de
tirailleurs a été
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k.
nc
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
Effectivement, ainsi, à Hienghène, le
grand chef Doui Bwarhat est opposé à
la levée de tirailleurs kanak. En rapport
avec cette question du recrutement, et
parmi les épisodes peu connus de cette
période de « 17 », l’on peut rappeler le cas
de certains Kanak engagés volontaires,
versés à la 2e compagnie d’infanterie
de Nouvelle-Calédonie (une vingtaine
de tirailleurs environ), qui ont d’abord
été envoyés, en 1916, à Mallicolo, aux
Nouvelles-Hébrides, afin de mater une
révolte. Ou encore le fait, rapporté par
des tirailleurs kanak qui écrivent de
France, qu’ils sont occupés à charger et
décharger des navires sur les quais de
Marseille au lieu de combattre comme
prévu. Ces nouvelles ne passent pas bien
en pays kanak.
dc
À plus grande échelle,
les prospections menées
à travers le pays dévoilent que la NouvelleCalédonie renferme
beaucoup de minerai
de nickel (garniérite).
Au point qu’une inspection a été diligentée par
le gouvernement français en 1916 pour recenser toutes les ressources
du pays (nickel et autres
minerais). La perspective
offerte par l’exploitation
du nickel est d’autant plus
attractive que l’interdiction temporaire d’exporter ce minerai, décrétée en
1914, a été atténuée à la fin
de l’année 1915 3.
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50
C
Sur un plan global, comme je l’ai déjà
dit, les tensions récurrentes entre les
Kanak et leurs colonisateurs alimentent
un climat de révolte chez certains.
S’y ajoute l’état de santé des Kanak
K-
Quelles sont pour vous les causes
principales qui amènent les Kanak
à se révolter cette année-là dans
cette région comprise entre Koné et
Hienghène ?
C
AD
é/
Vé
Sur un plan plus local, je citerais parmi
les causes probables de la violence qui
va embraser cette région le problème du
massif du Koniambo où l’on a réactivé
les prospections minières à partir de
1913. Les géomètres, comme Nicolas
Ratzel ou Bernier, arpentent le terrain en tous sens. Or le territoire sur
lequel ils prospectent se situe en bordure du Katalupaik (Cantaloupaï dans
l'orthographe de l’époque), montagne
sacrée pour les Kanak de cette région,
située non loin du site des grottes de
Faténaoué qui renferment des sépultures humaines.
Certains chefs s’opposent fermement
à l’engagement de leurs « sujets » pour
la guerre de 14-18, quitte à entrer en
conflit avec l’Administration. Cette
situation crée-t-elle, selon vous, un
climat propice au déclenchement
d’une révolte ?
La guerre kanak de 1917
infime, et ils prennent naissance dans
de petites tribus.
anciens combattants de 1914-1918, et
d’autres qui n’ont pas combattu.
Dans quelle mesure la lutte d’influence
en milieu kanak entre religions a-t-elle
joué un rôle dans la guerre de « 17 » ?
L’administration coloniale portet-elle le même regard sur le monde
kanak après 1917 ?
©
La zone concernée par la guerre de 17 est
une région encore très peu évangélisée,
que ce soit par les catholiques ou par les
protestants, l’enjeu est donc important
pour les deux grandes religions. Une
frange catholique est déjà implantée
sur Koné. Le protestantisme, lui,
arrive bien plus tard dans cette région,
sur un « sol » instable, à partir de
1914, soit une quinzaine d’années
après l’arrivée du pasteur Maurice
Leenhardt. Les protestants font
preuve d’un prosélytisme très soutenu
et les apostasiés se multiplient parmi
les catholiques. Ces derniers et les
protestants s’attaquent, des cases et des
villages sont incendiés.
M
Il est évident que « 17 » a entraîné
des changements dont beaucoup ne
se seraient pas produits sans ces événements. Une mission est envoyée
par le gouvernement : les inspecteurs Bougourd et Pégourier vont,
en conclusion, proposer des mesures. La mise en œuvre de la « nouvelle politique indigène » en est
l’application.
à
w
Entre-temps, le procès des insurgés
de « 17 », en 1919, va provoquer
un traumatisme énorme parmi les
Kanak. Il y avait eu auparavant
le « procès » des assaillants de la
mission catholique de Pouébo,
mais cet épisode de la révolte
kanak était resté peu connu.
C
AD
Ce qui est toutefois nouveau dans
l’approche de l’administration coloniale
vis-à-vis des insurgés, c’est qu’ils vont
être jugés, lors du procès de 1919,
non pas en tant que collectif comme
jusqu’alors, mais en tant qu’individus.
T
C
C
K-
“ D u r a n t l a g u e r r e d e “1 7 ”,
les auxiliaires kanak,
enrôlés aux côtés des
militaires français, vont
jouer un rôle important,
dans la mesure où ils
possèdent une connaissance
incomparable des hommes
engagés dans ce conflit
et du terrain sur lequel
se déroule celui-ci. Ce
sont toujours les mêmes
clans qui fournissent
c e s a u x i l i a i r e s .”
k.
dc
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Propos recueillis par Gérard del Rio
et Emmanuel Kasarhérou.
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Ce procès se situe à un moment où
une nouvelle génération réfléchit à un
esprit plus ouvert sur le monde. Les
tirailleurs de 1914-1918, leurs enfants,
dont certains s’engageront aux côtés
de la France lors de la Seconde Guerre
mondiale, vont plus tard contribuer
à la création de l’UICALO et de
l’AICLF 4.
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Il s’ensuit bien sûr des tensions entre Kanak
qui ont pris part à la révolte et ralliés ou
auxiliaires. Mais les tensions divisent
également les Européens de la colonie,
en fonction de leur position durant la
guerre de 1914-1918, suivant qu’ils ont
été mobilisés ou « embusqués » ou, si l’on
préfère, « planqués ». Après le départ du
gouverneur Guyon et du capitaine Meunier
au milieu des années trente, les anciens
combattants de la Grande Guerre prennent
une importance croissante dans la société
calédonienne. Un clivage s’instaure entre
ceux qui ont fait la guerre et ceux qui ne
l’ont pas faite, climat accentué par l’arrivée
de métropolitains parmi lesquels de vrais
é/
Vé
Quelles sont les retombées de « 17 »
vis-à-vis de ceux qui, dans les deux
camps, se sont « planqués » ?
Notes
1. Éditions L’Harmattan, Paris, 2008. À noter : cet ouvrage contient plusieurs autres textes consacrés à, ou en relation avec, la guerre kanak de « 17 », en particulier ceux
d’Anne-Laure Jaumouillé : « La participation des chefs de Houaïlou à la révolte de 1917 », de Patrick Potiron : « Les relations entre Mgr Chanrion, le pasteur Leenhardt et
le gouverneur Repiquet durant la Grande Guerre », ainsi que des miscellanées, dont celles de Dominique Pechberty : « Ludovic Papin, confronté au monde kanak » [colon
libre arrivé en Nouvelle-Calédonie en février 1900, installé sur une propriété en bordure de la rivière Oué-Hava, dans la vallée de la Tipindjé, assassiné lors de la guerre de
1917].
2. Se référer à la chronologie de la guerre de 1917 établie par Adrian Muckle.
3. Décret du 5 octobre 1914 qui interdit l’exportation du nickel et du chrome, métaux « stratégiques », en vue d’éviter le ravitaillement des puissances ennemies. L’examen
des ports de destination des minéraliers avant guerre est éloquent : une grande partie du minerai part à destination de la société Krupp à Hambourg. Cette interdiction
est atténuée en décembre 1915 et abrogée le 14 janvier 1918.
4. UICALO : Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l’Ordre ; AICLF : Association des Indigènes Calédoniens et Loyaltiens Français.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
51
La mémoire kanak de 1917
Récit
Entretien avec Joseph Karie Bwarhat,
de Hienghène
©
Joseph Karie Bwarhat est l’aîné de la famille d’une branche cousine des
Bwarhat. À ce titre, il compte parmi les notables qui entourent le grand chef
Théodule Bwarhat, de Hienghène. Nous l’avons sollicité pour nous présiser
le rôle tenu par le grand chef Philippe Bwarhat lors de la guerre de 1917.
M
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« Pour éclairer cette histoire, je vais parler de la manière de
voir de nos grands-pères. Les premiers bateaux qui sont venus
ici, à Hienghène, étaient des bateaux anglais 1. Leur capitaine a
négocié avec le grand-père Doui Bwarhat pour travailler avec
lui. À bord de ces bateaux, il y avait des matelots polynésiens.
Grand-père Bwarhat avait des origines polynésiennes et il
parlait polynésien. Il avait donc le contact facile avec ces
matelots. Le capitaine anglais a demandé un endroit pour
s’installer et le grand-père lui a donné l’îlot Wejo, [appelé en
français « le Sphinx », et situé dans la baie de Hienghène, à
côté d’un autre îlot rocheux célèbre dénommé « la Poule de
Hienghène »]. Cet îlot a donc servi de base aux Anglais pour
exercer leur activité, l’exploitation du bois de santal, mais
aussi des biches de mer, revendues en Chine. Le grand-père
Bwarhat a eu des rapports privilégiés avec les Anglais et il
a effectué avec eux deux voyages en Australie, un peu avant
1850. Il en a profité pour apprendre l’anglais afin de pouvoir
converser plus facilement. Les Anglais étaient là uniquement
pour faire du commerce, pas pour s’installer. Au moment de
l’arrivée des missionnaires catholiques à Balade, en 1836, Mgr
Guillaume Douarre est venu trouver le vieux Bwarhat dans sa
grande chefferie, à Kamedan, dans la vallée de Hienghène 2,
là où s’est installé le colon Garnier par la suite. Le vieux
Bwarhat résidait aussi à Pai Kaleon. Et c’est ce lieu qu’il a
donné à Mgr Douarre afin que celui-ci installe sa mission.
Grand-père Bwarhat avait des relations jusque dans le nordest du pays, avec les grandes chefferies de cette région. Avec
les chefferies de Balade, de Pouébo, puis, en revenant vers
Hienghène, avec les chefferies de Koné, de Wagap, et bien
sûr avec la chefferie Goa. Le vieux Bwarhat avait été informé
de la prise de possession par les Français, en 1853, à Balade,
par un de ses messagers. Il se disait que les Français allaient
ensuite venir ici à Hienghène et, effectivement, le 7 (ou le 8)
mai 1854, le drapeau français a été planté ici par Tardy de
Montravel. Et c’est ainsi que l’on a prétendu que grand-père
Bwarhat avait signé la prise de possession de Hienghène. Lui
en a conclu que, contrairement aux Anglais qui n’étaient que
de passage pour commercer, les Français, eux, étaient venus
pour s’installer comme s’ils étaient chez eux et prendre les
commandes de la région, comme ils avaient commencé à le
faire à Balade. La France a d’ailleurs fait savoir à grand-père
Bwarhat qu’il fallait qu’il reste tranquille. Vous imaginez
la situation ? Quelqu’un arrive de l’extérieur pour faire des
remontrances au dépositaire du pouvoir et du droit coutumiers,
ici ! ça ne se fait jamais chez nous, c’est totalement défendu
d’agir ainsi. Sinon, c’est la guerre et c’est la mort. Tardy de
Montravel a osé faire cela parce qu’il avait des soldats et deux
bateaux bien armés. En hissant leur drapeau, les Français ont
fait une démonstration de force pour impressionner, avec un
défilé militaire, et en tirant vingt coups de canon. Le vieux
Bwarhat s’est dit que ceux-là n’étaient vraiment pas comme
les Anglais…
T
C
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K-
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En accueillant le drapeau français ici, il avait dit à ses sujets
et à ses petits chefs : « Désormais on va essayer de respecter
celui que j’ai accueilli ici, on va le considérer comme un fils
qui puisse rentrer avec nous dans la case. » Cela veut dire
aussi que celui qui est accueilli devient subalterne de celui qui
l’accueille. Et c’est la position que nous avons toujours gardée
depuis. Mais quand grand-père Bwarhat a vu comment les
Français se comportaient en terrain conquis, il s’est révolté.
C’est là où il a envoyé le tabac à Pouébo et à Balade pour
« astiquer » les premiers Français qui s’étaient installés. La
prise de possession de la terre par celui qui arrive comme ça,
il ne l’a jamais accepté.
k.
nc
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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é/
Vé
« Le pouvoir
de la magie a
été beaucoup
utilisé durant
cette guerre. Les
guerriers portaient
des brassards avec
des feuilles pour
se protéger des
dangers et écarter
les obstacles qui
se présentaient
à eux. »
Donc, malgré la coutume échangée entre Tardy de Montravel
et Doui Bwarhat, la tension entre les Français et la grande
chefferie de Hienghène s’installe rapidement…
Oui, d’autant que le contraste est fort avec l’attitude des
Anglais avec lesquels il a commercé en bonne intelligence et
qui l’ont reçu avec respect en Australie. Il avait des origines
tongiennes et les Tongiens n’ont pas pour habitude de se
La mémoire kanak de 1917
laisser envahir, c’est plutôt le contraire,
les Anglais en ont fait l’expérience.
Et bien sûr il a transmis à son fils ce
tempérament de résistant à l’occupant.
Comme les missionnaires étaient des
Français, il a soupçonné les pères d’être
complices de ces gens-là [les Français]
sur le pays. D’où la mésentente entre
installer leur campement et leur base de
travail, et l’emplacement de la mission
catholique des pères maristes à Pai
Kaleon. Après cette première répression,
les Français ont commencé à s’installer
dans le bas de la vallée de la Hienghène.
Entre-temps, les maristes avaient cédé
leur emplacement au gouverneur pour
sont alors révoltés. Ce qui a entraîné la
première répression. Les Anglais avaient
fourni des fusils au vieux Bwarhat et
lui avaient enseigné la manière de s’en
servir. Les soldats français ont débarqué
dans la baie de Tipindjé et ont brûlé les
villages et les récoltes. Ils sont remontés
jusqu’à Pai Kaleon et ont pratiquement
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la grande chefferie de Hienghène et
les missionnaires qui avaient installé
une première mission à Wagap. Et
comme les missionnaires cherchaient
à emmener des gens d’ici pour les
regrouper à Wagap, leur bateau a été
attaqué dans la baie de Hienghène. En
représailles, le grand-père Bwarhat a été
emmené à Nouméa avant d’être exilé
à Tahiti. Les sujets de Hienghène se
détruit ce village qui comptait plus de
deux cents cases. Puis ils sont remontés
jusqu’au milieu de la vallée de la
Hienghène. À son retour d’exil, le vieux
Bwarhat a parlé avec les missionnaires
et il s’est calmé, tout en continuant à
refuser obstinément de céder une partie
de son territoire pour l’installation des
Français ici. Les seules donations qu’il a
faites, c’est l’îlot Wejo aux Anglais, pour
y installer un poste militaire, comme
il s’en est créé à cette même époque en
divers points du pays suite à la révolte
de 1878. Il y a eu d’autres différends par
la suite et d’autres répressions, mais au
sein de la grande chefferie, l’état d’esprit
n’a jamais changé : « Ici, c’est nous et
si vous venez vous joindre à nous, on
ne peut pas vous considérer comme
supérieurs à nous. »
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
53
La mémoire kanak de 1917
Joseph Karie Bwarhat est né le 17 mars
s 1945 à la tribu de Linhyehik (Lindéralique). Il
r
u porte le nom de son grand-père, Joseph Karie, le
o dernier fils du grand chef Philippe Doui Bwarhat.
c
r
« La chefferie Bwarhat actuelle est en même temps Doui et Bwarhat.
a
P C’est le même clan, la même famille. Le nom « Bwarhat » que nous, nous portons
Et le fils de Doui Bwarhat a donc suivi
le même chemin…
©
aujourd’hui, sa résidence, c’est Pai Kaleon. En bas où il y a les cailloux, eux, ils gardent le
nom Doui Ma Powé. Mais c’est le même clan. Philippe a été engendré par le grand-père qui
a reçu Mgr Douarre en 1846, je crois, et qui a reçu également, le 7 ou 8 mai 1884, le capitaine
Tardy de Montravel, qui est venu ici pour planter le drapeau français. C’est ce grand-père-là,
que l’on appelle le vieux Bwarhat, qui a engendré Philippe, lequel a engendré mon grandpère. Philippe, c’est le nom qu’il a reçu quand les pères l’ont baptisé. Je crois que c’est par
rapport à l’empereur Louis-Philippe. Au niveau de la chefferie, il y a toujours des adoptions
coutumières. Moi, j’ai été adopté à ma naissance par mon oncle, ou, comme on peut le
dire aussi du point de vue de la coutume, par un autre grand-père, qui s’appelle Hippolyte
Mwéaou, lequel a lui-même été adopté par le fils de l’arrière-grand-père Philippe. Mwéaou,
c’est le cadet. L’aîné, dans la chefferie, c’est le Téin. C’est lui qui est devant. Téin correspond
au soleil, dans la coutume, à l’aîné. C’est ce Mwéaou, qui était le second fils du grand-père
Philippe, qui a adopté mon propre grand-père adoptif, Hippolyte Bwéaou. Comme celui-ci
devait toujours rester attaché à son frère aîné, il était proche de la grande chefferie, comme
je le suis à mon tour. Je suis là, dans la grande case, à côté du grand chef, pour le seconder,
travailler à ses côtés. Dans la coutume, ici chez nous, à Hienghène, le grand chef, c’est le
poteau central, c’est aussi le soleil qui éclaire l’ensemble de sa communauté. Chez nous, on
dit que c’est quelqu’un dont la bouche ne parle pas, dont les yeux ne voient pas. Ses yeux, sa
bouche, ce sont ceux qui l’entourent. Ce sont eux qui font le travail. Lui est l’autorité. Voilà la
position dans laquelle je suis au niveau de la coutume.
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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54
dc
Dans l’intervalle, en 1983, et jusqu’au milieu de l’année 1984, j’étais au musée de Nouméa
avec Patrice Godin, qui avait succédé à Luc Chevalier. C’était aussi l’époque de l’Office culturel,
scientifique et technique canaque. En 1984, je suis revenu ici pour la construction du centre
culturel Goa ma Bwarhat de Hienghène dont j’ai été le directeur jusqu’en 1988. En 1996, j’ai
pris ma retraite sur le plan professionnel, mais j’ai continué à m’intéresser à l’activité culturelle.
Je fais toujours partie du conseil d’administration du centre culturel Goa ma Bwarhat.
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Après, j’ai dû interrompre l’enseignement et rentrer à la maison pour m’occuper de mon
oncle Fidelie Bwarhat qui était tombé malade. Mon oncle était le grand chef d’alors, au plan
administratif, de la grande chefferie de Hienghène. Durant toute l’année 1971, je suis resté
à Hienghène pour être à ses côtés, tout en travaillant un moment à la prospection dans les
mines Pentecost. Début 1972, le directeur de l’enseignement catholique, qui était un frère de
la congrégation du Sacré-Cœur, m’a proposé de reprendre l’enseignement, sur Pouébo. Entre
1973 et 1974, j’ai enseigné à la mission de Touho, et ensuite à la mission de Ouaré, jusqu’en
1983. En même temps que j’enseignais, je faisais partie de l’équipe de Jean-Marie (Tjibaou).
On était tous à l’Union calédonienne à l’époque. On a préparé ensemble le festival Mélanésia
2000. De 1977 à 1989, j’ai été adjoint de Jean-Marie à la mairie de Hienghène. En 1989 [année
de la mort de Jean-Marie Tjibaou], je l’ai remplacé comme maire, jusqu’en 1995.
k.
J’ai effectué ma scolarité primaire à la mission catholique de Ouaré, entre 1950 et
1959. Ensuite et jusqu’en 1966, j’étais à l’école des maristes à Port-Laguerre, à Païta. À la suite
de quoi je suis parti faire mon service militaire. J’ai été incorporé à Nandaï (près de Bourail)
puis en France, à Alençon, dans l’Orne. Là, j’ai suivi une formation de serrurier du bâtiment.
C’était le début des formations organisées par le gouvernement français pour permettre aux
jeunes issus de l’outre-mer, en âge de faire leur service militaire, d’apprendre un métier. On
côtoyait les Martiniquais, les Guadeloupéens, les Réunionnais qui venaient eux aussi se former.
En sortant de l’armée, en 1969, je suis entré au centre de formation mariste de Saint-GenisLaval, près de Lyon. Je suis allé jusqu’à l’entrée de la terminale et là, les maristes m’ont fait
revenir en Nouvelle-Calédonie pour enseigner à l’école du Sacré-Cœur à Nouméa où j’ai fait
la classe durant toute l’année 1970 à des élèves de CM2.
Tout à fait. Son fils, Philippe, était
dans la même disposition d’esprit : ne
pas céder un pouce de son territoire à
la colonisation. Après la mort du vieux
Doui Bwarhat, les gouverneurs qui se
sont succédé ont tenté de convaincre
Philippe Bwarhat de laisser des
colons s’installer à Hienghène, mais
celui-ci a toujours refusé. Lorsque la
colonisation s’est intensifiée dans les
années 1880-1890, avec la mise en
œuvre de la colonisation libre mise en
place par le gouverneur Feillet et alors
que la colonisation pénale était déjà en
place dans certaines régions du pays,
Hienghène n’a pas été touchée tout
de suite. Philippe Bwarhat a refusé la
colonisation libre. Quelques Européens
sont venus malgré tout s’installer sans
l’autorisation de la chefferie, avec le
soutien de l’armée. En 1895, le grand
chef Philippe Bwarhat a été déporté à
son tour à Tahiti et il n’en est revenu
qu’en 1901. En son absence, un grand
chef « par intérim », Caselina, a été
nommé par décret par l’administration
coloniale. C’était un chef d’une vallée
de Poindimié qui avait été récusé par
ses sujets parce qu’il avait cédé une
partie de ses terres pour permettre
l’installation de colons libres et qui
s’était d’abord réfugié à la chefferie
de Poyes. Mais ses sujets l’ont su et ils
ont envoyé un tabac pour dire qu’ils
allaient venir le chercher. Alors le chef
de Poyes a prévenu Caselina qu’il était
recherché par les gens de Poindimié et
qu’il ferait bien de partir. C’est pour
qu’il soit épargné que le grand chef
Bwarhat l’a accueilli. Il était donc un
sujet de notre grande chefferie. Et c’est
lui qui a signé, au nom de Philippe
Bwarhat qui était emprisonné à Tahiti,
l’autorisation de mettre en œuvre la
colonisation libre à Hienghène. Il a
du reste été décoré pour cela par le
gouverneur de l’époque.
À l’époque, c’était de cette manière
que l’administration coloniale réglait
le problème des chefs ou des petits
chefs qui ne se pliaient pas à ses ordres.
Elle les destituait et nommait des chefs
administratifs à leur place.
La mémoire kanak de 1917
… d’où sa position en 1917.
©
Voilà la façon dont Hienghène a été
colonisée, mais ce n’est pas du fait du
grand chef Doui Bwarhat ni de son fils
Philippe. Eux ont toujours refusé cette
colonisation. Par la suite, en 1917, Doui,
fils de Philippe Bwarhat, devenu chef
à son tour, a refusé la mobilisation de
volontaires pour la guerre de 1914-1918
en disant : « Pourquoi des gens d’ici
iraient se battre pour défendre la terre
des Français alors qu’ici, ce sont les
Français qui prennent notre terre ? »
C’est ainsi que sur Hienghène il n’y
a pas eu de volontaires pour 14-183.
Il y en a bien eu quelques-uns parmi
les gens originaires de Hienghène qui
travaillaient à Nouméa, mais ils ont
été directement recrutés là-bas. À son
retour, l’un de ceux qui étaient partis
combattre en France a été appelé par
le chef Bwarhat qui lui a dit : « Tu
es parti sans mon autorisation, alors
maintenant tu ne peux plus rester ici, à
Hienghène. »
M
Dans la vallée de la Tipindjé, à cette
époque-là, il y avait quatre grandes
chefferies. La coutume [pour la guerre]
a été saisie quelque part. Certains
étaient d’accord avec la répression,
d’autres pas. Certains avaient déjà
subi les aléas de la révolte d’Ataï, en
1878, dont les répercussions ont été
ressenties jusque dans la région de Koné.
Quelques-uns ont dénoncé le tabac
que grand-père Doui Bwarhat avait
envoyé, mais d’autres l’ont accepté, et
le tabac est revenu jusqu’à Tendo, à la
repris lors du procès de 1919, à Nouméa.
Il a été convoqué pour s’expliquer devant
le tribunal, mais il n’était pas question
pour lui d’être jugé, certainement
condamné et sans doute à nouveau
déporté. Il est allé jusqu’au bout de son
engagement et il a préféré se suicider
plutôt que de rendre des comptes à
des gens dont il ne reconnaissait pas
l’autorité sur son pays.
« 1917, c’est plus qu’une révolte
de la part de quelques-uns
excédés par cette situation, c’est
une vraie guerre de résistance,
programmée pour lutter contre
ceux qui veulent accaparer notre
terre. Elle n’a pas abouti parce
que nous n’avions pas les moyens
de ceux d’en face. Et puis il y
a aussi le fait que l’armée qui
est venue ici pour combattre les
guerriers kanak était aidée par les
auxiliaires. Sans eux, les militaires
n’auraient pas obtenu la victoire. »
Dans la façon de parler d’aujourd’hui,
on dit que Noël et d’autres chefs ne
sont pas de chez nous, mais autrefois
ils avaient des relations coutumières
entre eux. Ils étaient liés par des pactes
d’amitié ou d’hostilité. Et ces relations
étaient entretenues par les alliances
au travers des femmes. Autrefois, les
grands chefs avaient plusieurs épouses
qui faisaient le lien entre les grandes
chefferies. Le grand-père Bwarhat
avait ainsi des relations avec toutes les
chefferies de la région du fait de ces
alliances par les femmes qui vivaient
avec lui et qui enfantaient des lignées
communes à la chefferie Bwarhat et aux
autres grandes chefferies. Quand une
chefferie était puissante, du point de vue
de la coutume, on demandait à celle-ci
le retour du fils aîné dans la chefferie
dont était originaire sa mère afin qu’il
vienne régner et pour que l’esprit et la
puissance de la grande chefferie soient
partagés avec les autres. Cela veut dire
que Noël de Tiamou, c’est qui ? C’est
quelqu’un qui était aussi en relation
étroite avec nous, ici à Hienghène,
par l’intermédiaire de la vallée, par les
chefferies de Twepaik, le vieux Ty, les
Goa et sur la base de toutes ces alliances
qui existaient dans le temps. Quand
un tabac est lancé, on sait qu’il va aller
jusque dans les régions contrôlées par
ces chefferies avec lesquelles on a des
alliances. Noël a réagi en premier parce
qu’il était soumis depuis un moment déjà
au forcing de l’Administration et des
colons dans sa vallée de Koniambo.
Que pensez-vous de celui qui incarne
la tête de la guerre, Noël de Tiamou,
bien qu’il ne soit pas de chez vous ?
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Le chef Philippe Bwarhat était très
surveillé par les Français, du fait de ses
positions vis-à-vis d’eux. Quand il y a
eu la guerre de « 17 » et que le tabac est
arrivé à Tendo, le nom du chef Bwarhat
est sorti pour dire que c’était lui qui
l’avait lancé pour la guerre et cela a été
dc
C’est ainsi que le grand chef Philippe
Bwarhat va être cité à comparaître
lors du procès des insurgés de 1917,
en 1919…
.a
grande chefferie Goa. Ce tabac lancé
par le grand-père Bwarhat concernait
l’ensemble des chefferies d’ici. Parce
qu’ici, dans la coutume, on dit que Goa,
c’est le bras de Bwarhat. Ensemble, ils
détiennent le droit sur la guerre. Dans
la vallée de Tipindjé, la partie basse,
ce sont les Doui et leurs alliés. Avant
le déclenchement de la guerre, il y avait
eu de grands palabres et plusieurs pilous
de préparation entre eux.
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Les gens d’ici étaient donc prêts à relayer
la révolte de Tipindjé, mais ce sont les
grands chefs de la vallée qui ont pris les
choses en main à Nétchaot, à Bweaou,
à We Hava4.
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Vé
C’est pour dire qu’en 1917, le grand-père
Doui, qui était contre la participation des
gens de chez lui à la guerre en France,
a participé aux pilous qui ont préparé
le soulèvement de 1917 et que le tabac
[monnaie de guerre en l’occurrence] est
parti d’ici, dans les vallées, jusqu’à Koné,
afin que tous les chefs concernés parlent
ensemble pour se défendre contre la
colonisation. La vallée qui était la plus
menacée était celle de la Tipindjé parce
qu’il y avait déjà des implantations de
colons à l’entrée de cette vallée. Et
tous les chefs qui ont fait la guerre ont
agi par rapport au tabac envoyé par le
grand chef Philippe Bwarhat. Dans un
premier temps, c’était aux chefferies qui
se sentaient menacées par la colonisation
de se défendre, ensuite, il était prévu de
les soutenir. Mais comme la répression
s’est abattue très vite et très durement
sur les premiers « rebelles », la chefferie
de Hienghène a temporisé.
« La position de la
grande chefferie
n’a jamais varié
par rapport aux
ordres venus de
l’extérieur ; lors
de la guerre de
1939-1945, ici,
à Hienghène, il
n’y a eu qu’un ou
deux volontaires,
pas plus. Comme
ses papas, grandpère Jean-Baptiste
Bwarhat n’a jamais
voulu donner des
gens à lui pour
faire la guerre
en France. »
Évoquer cette période vous paraît utile
pour l’actuelle génération ?
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
55
La mémoire kanak de 1917
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et dans l’esprit et dans la manière
de vivre de chacune des chefferies.
C’est à l’intérieur de son territoire
traditionnel que chaque chefferie exerce
son pouvoir et son droit. Ce travail sur
le cadastre coutumier s’inscrit dans le
« On ne peut pas passer par-dessus cadre de l’Accord de Nouméa. On va
ce que les grandes chefferies ont le poursuivre avec les petits chefs au
décidé sauf si ce sont elles-mêmes niveau de chaque chefferie pour rétablir
qui changent les choses. Le « vivre le territoire et l’appartenance de chacun
des clans qui composent ces chefferies.
ensemble », ça se construit sur terre, Certains clans n’existent plus, d’autres
pas dans les nuages, si l’on veut sont venus s’installer à cause de la
une situation sereine, et pour cela colonisation, mais il faut faire un état
il faut éclaircir les choses et aboutir des lieux tels qu’ils existaient avant la
à des traités de coopération. » prise de possession.
Dans le but de revenir à l’état
ancien ?
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Non, mais pour démontrer qu’avant
l’arrivée des Français ici, le pays de
cette époque était régi par des droits et
des pouvoirs qui couvraient l’ensemble
du territoire qui s’appelle aujourd’hui
la Nouvelle-Calédonie. Il n’existait
pas d’endroit qui n’appartienne à
personne et c’est ce que l’État a admis
en signant l’Accord de Nouméa.
Chaque endroit dépendait d’une
chefferie et de sa zone d’influence à
l’intérieur des frontières de celle-ci.
Et si quelqu’un s’aventurait à passer
outre ces limites sans autorisation,
c’était la guerre. Souvent, à la frontière
entre deux chefferies, il y avait des
clans chargés de veiller au respect des
limites de chacune, avec des guerriers
postés. Pour aller d’une chefferie à
l’autre, il fallait envoyer un tabac à
l’un de ces clans qui le transmettait au
représentant de la chefferie concernée.
On n’entrait pas comme ça. Ce sont
ces clans qui faisaient aussi passer les
messages entre les chefferies. Ici, du
point de vue coutumier, il y avait des
endroits, en montant sur la chefferie
Goa, où, quand tu passais, tu devais
parler pour dire qui tu étais, de façon
à être entendu par celui d’en face. Si
celui-ci entendait que tu avais un nom,
que tu étais de tel clan, il te répondait
que c’était bon, tu pouvais passer. Mais
s’il ne répondait pas, il ne fallait pas
que tu ailles plus loin, sinon tu avais
droit à la sagaie ou au tamioc. »
nc
Propos recueillis par Gérard del Rio
et Emmanuel Tjibaou
Notes
1. Ces navires marchands étaient sans doute basés à Sydney, en Australie, colonie anglaise à cette époque.
2. On distingue encore sur la rive gauche de la Hienghène (soit à droite en remontant la vallée) l’emplacement de la grande case de la chefferie dont les autres habitations et
structures s’échelonnaient sur le versant de la colline, jusqu’à sa crête.
3. Dans son ouvrage De la Première Guerre mondiale en Océanie – Les guerres de tous les Calédoniens, publié en 2003 aux éditions Septentrion, l’historienne Sylvette Boyer mentionne
4 engagés volontaires recrutés comme « tirailleurs canaques », dont 2 ont déserté.
4. Tribu de la haute vallée de la Tipindjé.
5. Jour anniversaire de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France.
56
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La mémoire kanak de 1917
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Mon nom, c’est Tuaï Noël, adopté par le clan Gohoup. Je
suis originaire de Ouanache, [commune de Touho]. Je suis
né en juillet 1927.
1917, pour moi, c’est proche. Certains de mes parents
sont encore en vie. Ma mère, c’est la sœur de Noël Doui
[appelé aussi Noël Néa ma Pwatiba et surnommé « Noël de
Tiamou »]. Elle s’appelle Yamane Foape. Mon père s’appelle
Kiolet. Ma mère, c’est la femme de Thy Caati. Caati, c’est un
nom que l’on trouve près de Bopope, quand on va sur Koné.
Elle s’est sauvée dans la brousse avec son grand frère, Noël
Doui. C’est lui qui les a [ceux qui fuyaient en même temps
qu’elle la répression] sauvés. C’est au cours de sa fuite qu’elle
a accouché d’un de mes frères, Emmanuel Thy. Ils fuyaient
dans la direction de Wan Kuut, poursuivis par les militaires
aidés par les gens de Houaïlou. Ils étaient nombreux à fuir,
parce que Noël Doui, c’est un chef, et il est parti avec tous
ses sujets pour les sauver. À ce moment-là, le gouverneur
de l’époque le considérait comme un rebelle, parce qu’il ne
voulait pas se rendre. Il n’était pas converti. La religion n’est
venue qu’après, après la paix de Pamalé, alors que lui était
déjà en fuite à travers la chaîne.
Pourquoi Noël Doui avait-il choisi le camp des « rebelles » ?
Le début de l’histoire, c’est à Koné. Le gouverneur de l’époque
a demandé au chef de Koné de donner des soldats pour
participer à la guerre de 14-18. Mais certains chefs n’ont pas
voulu lui donner des gens à eux. Il n’y a que son petit frère
[le petit frère de Noël Doui], qui s’appelle Tuaï, qui, lui, est à
la guerre de 14-18. Alors que lui se bat pour la France sur la
ligne Maginot, ici l’on pourchasse son grand frère. Au moment
de l’armistice, mon oncle Tuaï a pris un de ses soldats et l’a
placé sur la ligne Maginot pour planter le drapeau français.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
« À Nouméa,
Néa [Tein Néa
Pwatiba] a
été sauvé de
la guillotine
par Maurice
Leenhardt. »
57
La mémoire kanak de 1917
« À Ouayaguette,
il y a des gens
qui disent qu’ils
sont de chez
nous car ils ont
fui la guerre. »
Il est mort maintenant et il est enterré
à la tribu de Tiéta.
D’après ce que vous savez, y avait-il
beaucoup de monde dans la vallée de la
Tipindjé avant la guerre de 1917 ?
©
Oh là oui. D’après ce que j’ai appris
de ma mère, de mon père, Kiolet, de
Gohoup aussi, il y avait plus de deux
mille personnes qui vivaient dans cette
vallée, depuis l’embouchure jusqu’à
Pamalé. Quand on arrive à Pamalé, il
y a Kuya et Neaou. Puis, vers Wé, ça
donne sur Bopope. Pamalé était une
grande tribu.
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D’autres, parmi de vos ancêtres, ont-ils
été victimes de la répression ?
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Oui, beaucoup. J’étais petit encore
quand on racontait cette histoire. Il y
avait des femmes de Pamalé, de Kuhya,
de Fawé, de Caati. Les gens parlaient
de ce qui s’était passé. Ma mère et Noël
Doui, quand ils se sont sauvés dans la
région de Tiendanite, ils ont pris le
caillou que l’on appelle le « Tabedo »,
à Wan Kuut, sur la rive gauche de la
rivière. Et ils sont montés, montés,
en s’aidant des lianes, et les militaires
n’ont pas pu les suivre à cause de leur
équipement. Et ils ont continué. Quand
ils sont arrivés, à la tombée de la nuit,
au-dessus de la tribu de Tiendanite, là
où il y a une petite forêt, celui qui était
devant a glissé et il a dit aux autres
« ga sêêjan nit ! », ça veut dire « la
route est glissante » en vamale [langue
parlée dans la région de Pamalé]. C’est
comme ça que l’on a nommé l’endroit
« Tiendanite ».
dc
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[Noël] Doui s’est sauvé et il a fait le
« sauvage » [lui et les siens se cachaient
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
nc
58
C
Oui, si l’on peut dire. Ce qui s’est
passé, c’est que les gens de Koné sont
arrivés chez lui et c’est de là qu’ils sont
partis pour tuer le Blanc à We Hava,
le colon Grassin, qui était commerçant.
Grassin était jaloux de Kaveat, à cause
de sa femme. Alors ils [les « rebelles »]
l’ont tué. Un Javanais qui travaillait
K-
Le chef Kaveat était lui aussi du côté
des « rebelles » à ce moment-là ?
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Vé
“La sœur de ma mère a été tuée
par ses frères à We Hava. Elle
était partie pour rester avec le
vieux Amane, le chef de Poyes.
Et après elle est revenue à We
Hava, et elle s’est mise avec un
beau garçon de Tipindjé. Et
ses frères ont dit : “Au lieu de
rester avec le chef, tu restes avec
celui-ci, qui n’est pas un chef ?”
Ils sont montés un soir et allez…”
sans cesse et s’alimentaient avec ce qu’ils
trouvaient sur le chemin de leur fuite,
des ignames sauvages notamment], et il
est arrivé avec son groupe à Tendo, au
lieu dit « Kun Paik », là où ils ont été
capturés. Ils étaient nombreux. Arrivés
là, ils ont aperçu des cocotiers, en bas,
dans le creux. Ils sont descendus parce
que les femmes voulaient manger les
cocos secs et les cocos germés. C’était
le soir. Pendant qu’ils mangeaient, les
militaires sont arrivés et ils ont barré la
descente. Ils [les fuyards] ne pouvaient
plus se sauver parce qu’ils étaient à
flanc de talus. Alors ils sont retournés
par là où ils étaient descendus, vers le
gros caillou [le « Tabedo »]. Ma mère,
elle, ne pouvait pas les suivre parce
qu’elle s’occupait de mes deux petites
sœurs [âgées de quelques années] et de
mon frère Emmanuel Thy, celui qui est
né dans la forêt. Elle a pris mes deux
petites sœurs et elle les a cachées sous
les fougères. Mon oncle [Noël Doui] a
dit à ma mère et aux autres : « Je monte,
et vous me suivez. » Lui, il avait quelque
chose pour la guerre, sur le bras. On voit
ça sur sa photo. Quelque chose à nous
[que nous possédons, nous, les Kanak]
pour la guerre, pour éviter les balles.
Ma mère a dit [ma mère m’a raconté, à
moi, Noël Tuaï, cette histoire] : « On
monte et on suit ton oncle. Les gens
derrière [nous], à droite, à gauche, sont
touchés par les militaires, mais pas nous.
Et quand ton tonton est arrivé sur la
crête, je l’ai vu pour la dernière fois. Il a
envoyé quelque chose aux militaires, et
puis il est descendu dans la forêt. » C’est
fini. Eux [ma mère et ceux qui fuyaient
en même temps qu’elle] ont été cernés
par les militaires. Et mes deux petites
sœurs, jusqu’à présent, on ne sait pas
où elles sont. Après, les militaires sont
descendus et ont coupé les têtes de ceux
qu’ils avaient tués. Ils les ont emmenées
jusqu’à la gendarmerie de Hienghène.
Dans la cour de la gendarmerie, ils
ont exposé les têtes de manière à les
reconnaître et le syndic des affaires
indigènes, ou quelque chose comme ça,
notait les noms. Ma mère les a toutes
reconnues, sauf la tête à mon tonton,
Noël Doui, qui n’avait pas été pris. Mon
oncle, c’est quelqu’un qui, même s’il
était parmi nous, on ne le verrait pas [il
savait se rendre invisible]. Lui seul avait
k.
Quand mon oncle Noël, avec ma mère,
est arrivé à Wan Kuut, mon petit frère
Emmanuel était déjà bébé. Les soldats
étaient derrière eux et un des petits frères
de ma mère, Oundjé, a été tué par eux à
cet endroit. Il avait 18 ou 19 ans. Quand
ils sont arrivés à Wan Kuut, Noël Doui
a crié à son petit frère de ne plus avancer
parce que les soldats, en bas, n’étaient
pas loin. Mais avec le bruit de la rivière,
Oundjé n’a pas compris ce que disait
Noël et quand il s’est avancé le soldat
l’a ajusté et a tiré. Et il est tombé. Lui,
il était là pour retarder les soldats. Il
tirait un coup de fusil, ça bloquait les
poursuivants et ça donnait du temps
aux autres pour se sauver. Les soldats
lui ont coupé la tête. Les autres [Noël
et les siens] ont continué à se sauver.
La tribu de Wan Kuut, chez Kaveat,
était en feu. Là, un soldat a été tué, un
Tahitien, Elizeramai, dont le nom est
inscrit sur le monument de Tiwandé. Et
un quartier-maître, Marec, [dont le nom
est également inscrit sur ce monument] a
été blessé. Les soldats l’ont vite emmené
à la station Laborderie où il y avait
une petite garnison militaire avec des
infirmiers. Il est mort là-bas.
pour lui s’est sauvé et a grimpé tout en
haut d’un manguier. Ensuite, ils [les
« rebelles »] sont repartis. Le lendemain
matin, les militaires sont retournés pour
récupérer le Tahitien tué, mais ils n’ont
pas retrouvé son corps. Parce que les
chefs de Koné et les autres chefs rebelles
étaient déjà passés, ils avaient tiré le
cœur du Tahitien et l’avaient apporté
à la chefferie de Wan Kuut, et ils l’ont
mangé cru, et après ils ont fait le four
avec les pierres, en bas à la rivière, et
ils ont mis le corps du Tahitien dessus
[pour le cuire et le manger].
La mémoire kanak de 1917
cela. Après lui, plus personne, ni dans la
famille ni ailleurs, n’a eu ce pouvoir.
Ils [les auxiliaires] coupaient toutes les
têtes, celles des hommes, des femmes.
Il y avait une prime de mille francs à
celui qui capturerait Noël Doui. C’était
le gouverneur qui avait fixé ça.
Que sont devenus celles et ceux qui
ont été capturés à Tendo ?
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Ma mère et tous les autres capturés en
même temps, ils les ont chargés sur un
chaland je crois, et ils les ont transportés
sur Houaïlou. Parce que tous les chefs
de Houaïlou étaient sous les ordres du
gouverneur à l’époque.
M
dire, c’est mon cousin Néa (Tein Néa
Pwatiba) qui a pris la monnaie kanak et
qui l’a envoyée à Wan Kuut, à Kaveat.
Comme ça, celui-ci va l’envoyer chez
les Bwarhat, étant donné qu’eux, c’est
la région de Hienghène. On a dit
alors : « Vous allez commencer à tuer
les Blancs, voilà la parole de la monnaie
kanak, et on va vous aider, on va vous
donner la main. » Mais quand les Koné
sont arrivés pour commencer à faire ça,
Néa s’est retourné du côté des soldats
et il s’est mis à faire des civilités aux
gendarmes et tout ça.
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Mon oncle et son groupe se sont sauvés
jusqu’à Werap, jusqu’au Panié2. Il [Noël
Doui] a continué à se cacher comme un
sauvage. À un moment donné, il voulait
revenir à Koné. Il s’est pointé chez son
cousin, à Tiéta. Et il lui a dit : « Tu sais,
maintenant je crois que je vais aller à
Koné pour me rendre. » Il était encore
avec tous ses médicaments, de guerre,
de sorcellerie, je ne sais pas comment
on appelle ça.
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Où Noël Doui était-il pendant ce
temps-là ?
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J’ai entendu dire qu’au moment où
Kaveat s’est sauvé, avec ses deux fils,
et son frère, et vers Coulna et vers We
Hava, il a gardé la monnaie avec lui et il
a donné l’enveloppe de la monnaie à sa
femme, en disant : « Voilà, moi je donne
la monnaie kanak et toi tu prends ça,
et si les gendarmes vous emmènent à
Nouméa, pour passer au tribunal, vous
allez montrer tout ça. »
C’est tabou maintenant, pour nous,
c’est défendu d’aller là-bas.
Après, il est arrivé chez l’Arabe 3, à
Koné, avant la tribu de Poindah. Ils
se connaissaient d’avant cette histoire
de rébellion. L’Arabe a servi un bol de
café à mon oncle, et puis il lui a donné
du pain, pas du pain comme celui que
l’on fait maintenant, du pain d’avant,
fait avec du manioc, ou je ne sais quoi.
L’Arabe est entré dans sa chambre, il a
décroché son fusil, mis une cartouche, il
est sorti et il a pointé le canon sur mon
oncle alors que celui-ci était en train de
boire son café. Mon oncle a voulu se
lever pour faire face et l’Arabe a appuyé
sur la détente. Le coup est parti. Mon
oncle n’est pas mort sur le coup, il était
seulement blessé et il voulait continuer
à lutter avec l’Arabe, mais il était affaibli
par sa blessure. Ils ont lutté, lutté, et ils
sont descendus vers la rivière qui n’est pas
loin, et c’est un Javanais qui travaillait
pour l’Arabe qui a accouru et qui a
aidé son patron à tuer mon oncle. Puis
l'Arabe lui a coupé la tête et l’a emmenée
à la brigade de Koné. Il a montré la tête
de mon oncle et il a dit : « Voilà, il faut
me donner la prime que le gouverneur a
offerte pour celui qui a capturé Noël. »
Mais les gendarmes lui ont dit : « Non,
tu n’as pas le droit de toucher la prime
parce que tu l’as tué. Si tu l’avais capturé
vivant, oui, mais là, non. » Ils ont planté
la tête de mon oncle sur un piquet, là
où il y a le cocotier maintenant. Quand
j’étais gendarme, ils m’ont déplacé
de Boulouparis pour remplacer un
gendarme de Koné qui s’était blessé
w
w
|w
Tout ça, c’est à la suite de la monnaie
kanak, noire. Je suis bien obligé de le
C
J’ai oublié de dire au début que les
Koné sont descendus parce qu’ils n’ont
pas voulu fournir des hommes pour la
guerre. Le chef n’a pas voulu obéir au
gouverneur et c’est là où ils [les soldats
et leurs auxiliaires] ont commencé à
tuer des Kanak.
K-
Les gens de Pamalé ont été beaucoup
touchés. En remontant la Tipindjé, il y
a une petite cassure. Sur la droite, c’était
Kuya, là où il y a le gros caillou où des
gens sont venus exploiter les mines. Sur
la Tipindjé, en continuant à monter, c’est
Pamalé. Et quand on dépasse Pamalé,
on descend sur Atéou, puis sur Koné.
À droite, on descend à Tiéta.
C
Et par deux fois on a chargé des bateaux
pour emmener les gens de Pamalé sur
Bélep. D’autres ont franchi la crête et
sont descendus sur Voh et tout ça.
AD
Le gouverneur Feillet et le missi1
Maurice Leenhardt ont fait signer la
paix, à la tribu de Pamalé, et puis cette
tribu a été supprimée. Le chef de cette
tribu s’appelle Poihili. Étant donné que
Pamalé était une grande tribu, c’était là
où tous les chefs de Koné et [les autres
chefs], jusqu’ici, se rassemblaient pour
faire des pilous pilous et, soi-disant, c’est
là que la guerre a été fomentée.
é/
Vé
Les femmes étaient prisonnières des
grands chefs de Houaïlou, depuis la
rivière jusqu’en haut, quand on sort
vers Bourail.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
59
La mémoire kanak de 1917
et ils [mes collègues gendarmes] m’ont
montré le cocotier.
Voilà, c’est là où se termine l’histoire
de mon oncle.
par ma mère. Il n’y a que dans ces
conditions-là que tu peux apprendre
l’histoire. Sinon, les gens, maintenant,
ils ne savent pas.
Que sont devenus les gens de chez vous
envoyés à Houaïlou ?
Et personne ne vous demande jamais
de raconter cette histoire ?
Plus tard, ma mère et les autres sont
revenus ici, à pied, et après des jours et
des jours de marche, ils sont arrivés à
Ouanache, à la mission protestante. Et
quand Néa ma Pwatiba a été libéré, le
tribunal lui a dit : « Néa, tu retournes à
Ouanache, mais tu restes au sein de la
prière de Leenhardt. »
Non, et franchement, il n’y a qu’à vous
deux, qui êtes venus me voir [que je l’ai
racontée]. J’ai toujours gardé. J’ai fait
presque cinq ans dans l’armée, dans
l’infanterie de marine, à Plum, puis je
me suis engagé dans la gendarmerie, en
1951, et jusqu’à maintenant, j’ai toujours
gardé cette histoire.
©
Mais où se sont-ils installés ensuite,
puisque leurs villages et leurs récoltes
avaient été détruits par la répression ?
Et pensez-vous qu’il soit bon
maintenant de faire connaître cette
histoire ?
Ils n’avaient plus rien. À Ouanache, il y
avait les gens en famille, en couple, des
vieilles, ils faisaient un peu de pêche.
Personnellement, [je considère que] tout
cela, c’est du passé. C’est fini, tout ça.
Maintenant, [avec ceux qui sont venus
après] il faut vivre ensemble, avec les
Kanak, parce qu’ils [ceux qui sont
venus après] sont venus d’ailleurs pour
s’installer dans ce pays, sachant qu’ici,
ça appartient aux Kanak. Ça fait plus
de quatre mille ans que les Kanak sont
là, alors que les Européens, ça fait cent
cinquante et quelqus.
Quand on parle des droits de l’homme,
quelle nation a pondu cela ? La France…
Pourquoi on est passé outre pour venir
ici, chez les Kanak ?
M
« Kaveat était
blessé par balle.
Il leur a dit :
« Vous, vous
retournez à
Wan Kuut ». Et
là, ils trouvent
à manger, mais
ils ne savent pas
qui leur apporte
la nourriture. Ce
sont les gens de
Tendo qui les
ont ramenés à
Wan Kuut. »
à
w
T
C
C
Par rapport à l’histoire de votre
famille, pourchassée par les soldats et
les auxiliaires, le fait d’avoir été vousmême gendarme, donc militaire, ne
vous a jamais posé de problème ?
Oui, il faut que les jeunes sachent, dans
le sens des choix du pays, mais ça ne
veut pas dire qu’il faut revenir à l’état
passé. Mais c’est bien pour nous, les
Kanak, [de connaître la situation telle
qu’elle était avant la guerre de 1917] et
Oui, mais c’était beaucoup plus tard,
vers 1950. Au début, avec vous, je
me suis dit est-ce que je vais raconter
textuellement ce que j’ai appris ? Parce
que ce sont des choses que je n’ai
jamais racontées à personne, jamais.
Mais comme je vous l’ai dit, ici, il y
avait Noël Doui qui était pourchassé
et, là-bas, son petit frère qui se battait
pour la France…
nc
Vous dites que c’est le passé, qu’il faut
vivre ensemble maintenant, mais
ce que vous nous avez raconté est
important du point de vue de l’histoire
du pays, afin qu’elle reste et que les
jeunes puissent la connaître. Qu’en
pensez-vous ?
k.
dc
.a
w
w
|w
Je ne sais pas. Moi, personnellement, j’ai
appris [cette histoire] par mes parents,
K-
Est-ce que les gens, ici, connaissent
cette histoire de la Tipindjé ?
C
AD
é/
Vé
Après 1917, on a demandé à tous les
habitants de Tipindjé de partir. Il y
en a qui sont descendus à Hienghène,
d’autres sont repartis à Koné, et ce sont
les Blancs qui ont sauté sur la Tipindjé.
Le fameux Laborderie, il a tout pris. Et
en bas, au bord du pont, il y en a d'autres
qui ont sauté aussi sur la Tipindjé pour
tout prendre. Et les Kanak n’avaient
plus le droit de venir dans la Tipindjé.
Et là-haut, à We Hava, c’était Letocard
[le colon]. C’est pourquoi, maintenant,
après la revendication kanak, on a repris.
Les gens se sont un peu réinstallés, mais
ils ont partagé parce qu’évidemment on
ne peut pas dire que c’est à Hienghène,
ou à Touho. C’est comme maintenant,
il y a des gens de Touho qui sont à
Hienghène. En ce temps-là, c’était
pareil.
quand, maintenant, nous sommes dans
des situations, des positions, à la suite
de tout ça, des bouleversements dont
je vous ai parlé, eh bien il faut rester
là-dedans [dans cette connaissance de
la situation d’avant 1917]. Par exemple,
nous, on est de Koné. Ma mère, mes
oncles, ils sont partis de Tchamba.
Ils sont descendus, ils ont remonté
la vallée de Tiwaka, ils sont passés
à Bopope et sous Koné. La tribu de
Baco [par exemple], ce n’est pas la vraie
prononciation. Baco, ça ne veut rien
dire, ni en français ni en langue, ça
n’a aucun sens. Le nom, c’est Baakon.
« Baakon », dans la langue, cela veut
dire « mes sujets, tous mes sujets ». C’est
mon oncle Noël qui était là, comme chef
de Baakon, avant d’aller à Koniambo.
Puis de Koniambo, ils sont montés dans
la vallée de Tiakana, en bas d’Atéou.
Maintenant, j’ai des cousins qui sont à
Tiéta, des neveux aussi. Mon petit frère,
Ferdinand, il est mort à Tiéta. Et puis
j’ai encore un fils, qui s’appelle Marcel,
il est parti, marié à Tiéta, et tous ses
enfants, ils sont là-bas.
Propos recueillis par
Gérard del Rio et Emmanuel Tjibaou.
Notes
1. Diminutif de missionnaire.
2. Le massif du mont Panié, point culminant de la Nouvelle-Calédonie, dont les contreforts s’étendent jusqu’en bordure de la côte Est, entre Hienghène et Pouébo, et, sur
l’autre versant, sur Haut-Coulna.
3. Mohamed ben Ahmed.
60
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La mémoire kanak de 1917
Récit
Pascal Kalewaik Couhia,
de Tiendanite
©
M
à
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T
C
C
K-
C
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é/
Vé
k.
dc
.a
w
w
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nc
Pascal Kalewaik Couhia s’est exprimé dans sa langue et ses propos nous
ont été traduits par son ami Bernard Kalene Maepas dont nous avons
également reproduit ci-après les interventions lorsqu’elles précisent le
propos de Pascal Kalewaik Couhia ou qu’elles permettent de comprendre
la position de ce dernier par rapport à sa situation à Tiendanite.
C’est ainsi qu’avant toute chose, Pascal Kalewaik Couhia nous a prévenus que,
normalement, il n’avait pas le droit de s’exprimer sur les événements de 1917, dans la
mesure où Tiendanite n’est pas sa tribu d’origine. Ses parents, fuyant la répression, y ont
été recueillis. De ce fait, il se considère comme un sujet de la chefferie de Tiendanite. Il a
toutefois répondu aux questions qui ne l’engageaient pas du point de vue de ce « devoir de
réserve » au plan coutumier. Nous avons conservé la formulation orale de ses réponses.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
61
La mémoire kanak de 1917
Pascal Kalewaik Couhia
La guerre de 1917, c’est une histoire
qui a été provoquée. Et nous, on a subi
la guerre, qui nous a fait tant de mal.
On ne pouvait pas faire autrement. Ça
a commencé en 17, ça a duré des mois,
des années.
Bernard Kalene Maepas D’après les dires du vieux Ignae,
d’Atéou, à l’époque, à Tipindjé, plus de
deux mille personnes ont été concernées
par cette guerre.
Vos papas vous parlaient-ils de
1917 ?
Il y avait les papas, mais également les
femmes et les enfants ?
Pascal Kalewaik Couhia
Non, parce que tout le monde était
concerné par la guerre.
Pascal Kalewaik Couhia
Oui, tout le monde, tout le clan, et il y
a beaucoup de monde.
©
Moi, j’ai 76 ans, c’est mon père et mes
vieux qui ont vécu 1917. Ils étaient trois
frères, mon père et deux oncles à moi. Le
premier, le grand-père, c’est Ty, après,
il y a Mandja et Doui. Ce sont tous des
« papas » à moi. Avant la guerre de « 17 »,
ils vivaient à Kuya [région de Pamalé].
Ils ont fui et [plus tard] ils sont venus
à Tiendanite.
ils sont restés, là-haut vers les sapins.
Son deuxième frère s’est installé un peu
plus loin et le troisième frère (un de ses
trois oncles), est descendu plus loin et
il a changé de nom.
M
à
w
Quand il a fallu entrer dans le système
français, dans les années 1950, ils [les
gens de l’administration] sont venus
pour recenser les Kanak. Avant, on
portait tous le même nom. On dit Doui.
Des « Doui », il y en a des dizaines, mais
à l’origine ils ne portaient pas tous ce
même nom. Alors les agents [de l’état
civil] étaient perdus.
T
w
w
|w
Bernard Kalene Maepas Ce qu’il veut dire, c’est que c’était la
guerre et les vieux ne pouvaient plus
parler parce que ça concernait les chefs,
les grands chefs, tout le monde. C’était
la guerre, et les vieux la vivaient tous les
jours. C’est comme les événements [de
1984], par exemple, nous, on ne peut
pas en parler.
Vos papas ont-ils choisi de s’installer
à Tiendanite après la guerre parce que
les gens d’ici avaient été solidaires d’eux
pendant la guerre ?
Bernard Kalene Maepas Le vieux [Pascal Kalewaik Couhia] dit
qu’il ne peut pas parler de ça. Il dit « qu’on
est noyé dedans [la guerre] et qu’après il y
a toutes les conséquences de la guerre ».
Combien de personnes de votre tribu
et de sa région ont-elles été concernées
par la guerre ?
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
nc
Est-ce que l’on sait qui a lancé la
guerre ?
k.
dc
.a
62
C
Pascal Kalewaik Couhia
Les grands frères sont passés là en
courant pour fuir la guerre. Ils ont
terminé là où s’est terminée la guerre
[Tendo]. Une fois que la guerre était
finie, ils ne pouvaient pas rentrer chez
eux parce qu’il n’y avait plus rien. Ils
se sont retrouvés à We Hava et, après,
dans un deuxième temps, le chef d’ici
a rappelé le vieux [son père], et lui et
les siens sont revenus s’installer ici et
C
La version que raconte le vieux, c’est
par rapport à tous les grands-pères. Il
parle de la route qu’ils ont faite pour
sortir [arriver] ici.
K-
Bernard Kalene Maepas C’est pour cela que le vieux [Pascal
Kalewaik Couhia] ne peut pas parler.
Dans la coutume, c’est interdit [de
s’exprimer à partir d’un lieu dans lequel
on a simplement le rang de personne
accueillie, ce, par respect pour les
accueillants].
C
AD
é/
Vé
Nous, on a pris le nom de l’endroit d’où
l’on venait, Kuya. C’est après Toven.
Sinon, tous ceux qui sont venus ici sont
arrivés avec leur vrai nom.
Bernard Kalene Maepas Ici, à Tiendanite, c’est le chemin de
la guerre. Et quand ils sont retournés
[vivre ici, dans la région, après la guerre],
ils sont restés chez un cousin à We
Hava, et puis le chef ici, le grand-père
d’Emmanuel [Tjibaou], il les a rappelés
pour venir vivre à Tiendanite. C’était
par solidarité, parce qu’il n’y avait plus
rien à Tipindjé, et d’ailleurs, jusqu’à
maintenant, il n’y a rien là-haut.
Pascal Kalewaik Couhia
C’est après la guerre qu’ils [le père de
Pascal Kalewaik Couhia et ses deux
frères] se sont installés ici. C’est avant
l’implantation de la mission à Ouaré.
La mémoire kanak de 1917
Les vieux d’ici ont participé à sa
construction.
Mais pourquoi les gens de la région
de Pamalé, vos papas, sont-ils entrés
en guerre ?
©
Bernard Kalene Maepas
Il sait, il connaît bien l’origine de la
guerre, mais là, il ne peut pas le dire
parce que cela concerne les chefs. Et
tous les vieux [dont on parle], ce sont
des chefs aussi. Et ils ont été appelés à la
guerre. Ses papas à lui étaient des chefs
aussi, mais quand ils sont arrivés ici, ils
sont devenus des sujets et, à partir de là,
ils n’ont plus le droit de parler.
jugés, et toutes les mamans ont été
rassemblées en bas, à Lindéralique, chez
le grand chef. Ils leur ont rasé la tête
pendant que les « autres » se moquaient
d’elles. Après la guerre, les vieux sont
revenus, mais les autres n’ont pas voulu
relâcher les femmes. Elles sont restées
jusqu’au procès. Il dit [Pascal Kalewaik
Couhia] que tous les vieux ont été jugés
à Nouméa et que c’est le père Rouel qui
période de la guerre de 1917, ou qu’il
ne faut plus parler de tout cela ?
Pascal Kalewaik Couhia C’est bien de raconter tout cela, mais le
problème pour les tribus [telles qu’elles
se sont recomposées après la guerre]
comme ici, c’est que, s’il nous faut
repartir, après il n’y aura plus personne
ici. On a tous subi la guerre de 1917.
M
Faut-il imaginer revenir un jour à
la situation d’avant 1917 ? Certains
estiment que l’on ne peut pas revenir en
arrière, d’autres pensent au contraire
qu’il faut replacer les gens là où ils
étaient avant 1917. Quel est votre
avis ?
à
w
“Quand la guerre est
arrivée ici, les gens ont
fui dans la forêt et ce
sont ceux de Houaïlou qui
les ont pourchassés, suivis
des militaires. Ceux
qui fuyaient étaient des
centaines et des centaines.
Ils marchaient tous
ensemble et leur trace était
facilement repérable.”
T
C
C
K-
Pascal Kalewaik Couhia Oui, avec Kaveat et ses deux fils, et ils
ont tous fui ensemble.
Peut-être pensaient-ils qu’en étant
baptisés, ils couraient moins de risques
d’être condamnés…
Bernard Kalene Maepas
Ils ont traversé la rivière, mais les
militaires, eux, ne pouvaient pas à
cause de leur équipement. Les vieux
ont attendu que les choses se calment
et ils sont revenus [à Hienghène]. Tous
les grands-pères, dont son père, ont été
envoyés à Nouméa, à la prison civile,
là où il y avait la guillotine, pour être
Bernard Kalene Maepas
C’est possible, mais ils se faisaient peutêtre aussi baptiser en prévision de l’audelà…
Pensez-vous que ce soit une bonne
chose que l’ADCK, avec Mwà
Véé, ou que des historiens et des
anthropologues s’intéressent à cette
nc
Pascal Kalewaik Couhia Non, ils ont été baptisés à Nouméa,
mais par un autre père.
k.
Le chef Kaveat était-il avec vos papas
lorsqu’ils sont passés de l’autre côté de
la Ouaième ?
dc
Vos papas étaient-ils déjà catholiques
à cette époque ?
w
w
Pascal Kalewaik Couhia Ils ont réussi à se sauver et à se cacher
et c’est après [le procès de 1919] que
les gens de Tiendanite les ont appelés
pour qu’ils viennent s’installer ici. Ils
se sont sauvés jusqu’à la rivière Wâyem
(Ouaïème). Après, c’est le mont Panié.
Bernard Kalene Maepas J’explique. Maintenant, avec l’Accord de
Nouméa, il faut vivre ensemble avec les
gens de la vallée. Jean-Marie [Tjibaou]
a dit qu’il fallait travailler ensemble
maintenant et nous on est dedans [dans
cette démarche]. Il y a les racines, la
terre, et puis il y a l’endroit où l’on vit
maintenant. C’est pour cela que les jeunes veulent retrouver ces endroits que
leurs vieux ont travaillés, à Toven, dans
la Tipindjé et partout, tout en continuant à vivre ici à la tribu. Il y a 4 000
hectares à mettre en valeur là-haut.
Actuellement, ce sont les Domaines
qui les gèrent.
.a
les a sauvés. Il dit aussi que c’est là où il
y a la croix [un calvaire implanté face à
l’actuel palais de justice] qu’il y avait le
camp des prisonniers. C’est là où ceux
qui ont été condamnés à mort ont été
guillotinés1.
|w
Vos papas ont-ils été arrêtés ?
C
[La suite est formulée en aparté non
sans humour.] Peut-être que quand
les Blancs seront partis, alors ce sera
vraiment fini…
AD
Pascal Kalewaik Couhia C’est toujours présent. La guerre de 1917
n’est pas terminée, elle est toujours là.
Pascal Kalewaik Couhia Si on est là, c’est parce que le chef [de
Tiendanite, dans le cas présent] nous a
appelés pour venir.
é/
Vé
Toute cette période, pour vous, c’est du
passé, ou c’est encore très présent ?
Ce que je veux dire aussi, c’est que tous
les vieux qui sont arrivés ici ont trouvé
un tabac, et ce tabac-là, personne ne
va le contredire. Lui [Pascal Kalewaik
Couhia], il peut revendiquer ses terres
[dans le sens : il est parfaitement en droit
de], mais la monnaie qui a été donnée
[à ses vieux], elle reste. Quand ils sont
arrivés, ses vieux ont fait la coutume
au chef d’ici pour pouvoir rester et lui,
aujourd’hui, il ne peut pas contredire
cela, c’est un devoir. Ceux qui disent
le contraire n’ont rien compris à la
coutume.
Propos recueillis par
Gérard del Rio et Emmanuel Tjibaou.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
1. Cette description
correspond, à
quelque chose près,
à l’emplacement
de l’ancienne
prison reconvertie
de nos jours en
centre culturel.
63
La guerre kanak de 1917
Patrice Godin, anthropologue
©
Patrice Godin travaille depuis vingt-cinq ans sur la culture kanak. Il a été conservateur
de l’ex-musée territorial, aujourd’hui musée de Nouvelle-Calédonie, de 1982 à 1985.
Il a, en particulier, collaboré à la collecte du patrimoine oral au sein de l’association
Doo Huny, gestionnaire du centre culturel Goa ma Bwarhat, de Hienghène.
Il assure régulièrement des formations consacrées à l’approche de la culture kanak, en particulier au
sein de l’Institut de formation des personnels administratifs de la Nouvelle-Calédonie (IFPA-NC).
Il a donné plusieurs conférences sur des sujets ayant trait à la société
et à la culture kanak au centre culturel Tjibaou.
Il travaille actuellement, avec Alain Saussol, à la préparation et à
la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire de Hienghène.
Nous lui avons demandé de nous éclairer sur les bouleversements engendrés par la
guerre de 1917 dans la région de Hienghène. Nous reproduisons ci-après les passages
qui intéressent directement cette période. Nous n’avons pas repris les informations
qui concernent plus précisément les transformations enregistrées au sein de tel clan
ou de telle chefferie, de façon à ne pas entraver le travail en cours d’Alain Saussol
et de Patrice Godin et à ne pas anticiper sur le résultat de leurs recherches.
M
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w
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AD
é/
Vé
k.
dc
.a
w
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nc
64
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
©
repensant au fait d’avoir été séparé de
sa mère, de l’avoir vue, elle ainsi que
son père, brutalisée. Ce sont donc des
événements qui ont marqué les gens.
Tipindjé avant de passer de l’autre côté
[du côté de Koné].
Le mwarang aurait également pris le
chemin du nord jusqu’à Poum, après
avoir longé la côte, vers Arama, mais il
n’aurait pas été accepté là-bas…
Pour vous, s’agit-il d’une guerre, d’une
insurrection ou d’une révolte ? Et
quelle perception en avez-vous ?
M
Le mwarang est allé dans toutes les
chefferies Hoot ma Whaap. Tout le
monde ne l’a pas pris et ce, semble-t-il,
pour différentes raisons, dont le fait
que le mouvement ait pu être éventé.
On peut rappeler à cet égard l’histoire
que raconte Maurice Leenhardt au
sujet des monnaies noires qu’il a vues
accrochées du côté de Bas-Coulna et
du sentiment qu’il a en pensant que les
gens de là-bas l’imaginent en train de
les dénoncer. Toujours est-il qu’ils vont
refuser d’entrer dans la bagarre.
à
w
é/
Vé
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K-
C
AD
k.
Le souvenir de « 17 » est-il toujours
aussi vivace dans la région de
Hienghène ?
nc
Dès lors, les spoliations foncières vont
commencer, ce qui veut dire qu’en 1917,
cela fait dix ans que les Européens
s’implantent de façon massive. La guerre
de 1917 apparaît clairement comme la
tentative de la dernière chance pour
essayer d’empêcher cela. C’est ainsi que
le mwarang va être lancé et qu’il va suivre
les trois grandes routes traditionnelles,
en passant notamment par Daakuruk,
par Poyu, par Wélic, pour arriver sur la
Les gens de Koniambo, par Atéou,
Pamalé, Néami…, sont des gens qui
entretiennent des relations traditionnelles suivant un axe fondamental. Quand
tu es à Atéou, tu vas à pied à Hienghène,
ce n’est pas loin…
w
w
|w
Le vieux François Thijit Diaé, par
exemple, qui est mort maintenant, était
gamin au moment de la répression de
« 17 ». J’ai travaillé avec lui. On parlait
de Daakuruk, qui un terroir important
de la région de Wérap, à cheval entre les
terroirs Goa et Bwarhat. A un moment,
le vieux Diaé se met à me parler de
la répression de 1917, à me raconter
comment les troupes de répression, avec
les gens de Houaïlou, sont arrivées,
ont séparé les hommes, les femmes et
les enfants. Comment les femmes ont
été enfermées dans des cases, comment
les enfants comme lui, un peu grands,
ont été attachés à des arbres, au soleil
pendant des heures, tandis qu’on
tapait sur les prisonniers. Il pleurait en
Ce mwarang parcourt beaucoup
de chemin. Il part de la côte Est,
va jusqu’à la côte Ouest avant de
revenir sur la côte Est, où il trouve
son dénouement. En même temps, le
lancement des hostilités est attribué
à Noël de Tiamou depuis la tribu de
Koniambo…
dc
C’est une guerre ! Il s’agit de la dernière
grande tentative de guerre contre les
spoliations foncières, l’implantation
massive des Européens dans la vallée
de la Hienghène. Il faut imaginer que
l’on se trouve là dans l’une des dernières
régions touchées par la colonisation
foncière. Paradoxalement, on se situe à
la fois dans l’une des toutes premières
régions où se noue le contact avec les
Européens, avec, dès 1843 [soit dix ans
avant la prise de possession officielle
de la Nouvelle-Calédonie par la
France], l’arrivée des santaliers puis des
missionnaires, et dans une région où les
spoliations foncières, au sens propre du
terme, ne vont commencer qu’en 1897,
après les grandes spoliations qui ont eu
lieu partout ailleurs. De retour de son
exil à Tahiti, Doui Bwarhat a réussi à
négocier avec le gouverneur Guillain
afin d’éviter que la vallée de Hienghène
ne fasse l’objet d’implantations massives.
Il y a bien quelques petites propriétés
européennes, situées essentiellement
en bord de mer et dans l’embouchure,
mais elles se cantonnent aux cultures
maraîchères et, dans une moindre
mesure, à la culture du café. Il n’y a pas
d’élevage extensif. À partir de 1897, le
lien qui unissait Guillain et Bwarhat va
être remis en cause comme l’explique
bien Joël Dauphiné dans son ouvrage
Les spoliations foncières en NouvelleCalédonie.
« Les exils des
Bwarhat et
la guerre de
1917 sont les
grands événements
qui scellent la
colonisation dans
la région de
Hienghène. »
.a
Je n’ai pas travaillé de façon systématique
sur le sujet. Je n’ai pas cherché à obtenir
des informations, elles sont plutôt venues
à moi par bribes. L’histoire du mwarang
[message] qui serait parti de la chefferie
Bwarhat m’a été rapportée à quelques
reprises, et cela aurait eu des effets
assez importants sur les déplacements
de population sur Hienghène. Dans un
premier temps, des gens avaient déjà
été chassés de leurs terres à la suite des
réaménagements de réserves. Et, suite
à ce mwarang, des gens n’ont pas voulu
être pris dans le mouvement, dans la
guerre qui s’annonçait. Non seulement
des tribus ont refusé de prendre le
mwarang et les monnaies qui allaient
avec, mais il y a aussi des gens qui ont
carrément quitté leur tribu. C’est ainsi
que des gens qui vivaient à l’endroit que
l’on appelle aujourd’hui Tiendanite sont
partis dans le bas de la vallée pour éviter
de se retrouver dans la tourmente, et
ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup
d’autres de ce genre. Il y a également
eu des mouvements après la guerre
de « 17 », mais il est difficile d’établir
avec précision lesquels, des uns et des
autres, sont montés ou descendus avant
ou après « 17 ». Ce que je sais, c’est
que la circulation du mwarang puis la
répression ont entraîné un immense
mouvement de population. Il y aurait
un vrai travail ethno-historique à mener
sur ce sujet. Ce qui est dommage, c’est
de ne pas l’avoir entrepris à l’époque
où ceux qui avaient vécu cette période
étaient encore en vie.
Parmi les jeunes, non, mais lorsque j’ai
commencé à travailler dans cette région,
il y a vingt-six ans, oui, le souvenir de
« 17 » était encore extrêmement vivace
parmi tous les gens que je connaissais. Et
les mouvements revendicatifs des années
1970 sont liés à cette période.
Comment analysez-vous le fait que
celui qui a lancé le mwarang soit le
même que celui dont on dit qu’il a
fermé la porte à la rébellion ?
La vision que j’en ai, c’est qu’il [Philippe
Bwarhat] ferme la porte parce qu’il
sait, vu la tournure que prennent les
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
65
La guerre kanak de 1917
événements, que s’il ne le fait pas,
le carnage sera total. En agissant
ainsi, il sait qu’il commet quelque
chose d’irréparable, qu’il va casser la
relation entre Goa et Bwarhat (lire
encadré) et qu’il ne sera pas facile de
la rétablir. Pouvait-il faire autrement ?
Honnêtement, je ne le pense pas.
©
Imaginez-le en personnage héroïque se
disant qu’il va emmener une bonne partie
de sa société à la mort pour aller secourir
d’autres gens qui, eux, vont mourir aussi.
C’est terrible comme situation et comme
décision à prendre.
M
Le fait que Philippe Bwarhat choisisse
de se suicider va fournir un argument à
ses détracteurs pour affirmer qu’il est le
vrai coupable dans cette affaire…
qu’il savait qu’il allait être mis en cause,
qu’il a voulu échapper à la justice et que,
pour cette raison, il s’est suicidé. Ca, c’est
du feuilleton pour Blancs. Je pense que la
rupture du lien a compté davantage dans
sa décision que la peur de la justice des
Blancs. Et puis les Bwarhat n’en étaient
pas à un exil près, ils avaient l’habitude
d’encaisser la justice coloniale.
Le fait que des populations entières
aient migré pendant et après la guerre
de « 17 » se répercute-t-il sur la collecte
de la mémoire orale ?
à
w
é/
Vé
Il est certain qu’à partir du moment où
l’on déplace des populations, il y a des
incidences. À travers ces affaires-là, ici
comme en d’autres endroits du pays, ce
que l’on a cassé, c’est une organisation
politique. À Hienghène, « 17 » est le
dernier coup de grâce qui est donné.
On voit bien cela entre les gens de Wé
Hava, ceux qui sont sur Galarino et sur
Colnett aujourd’hui, et ceux qui sont
de l’autre côté, à Ouayaguette. C’est la
même chefferie normalement et l’on a
cassé ce lien entre ces gens. On a rompu
T
C
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Dans la société traditionnelle, et cela se
retrouve dans tout le Pacifique, on se
suicidait très peu par désespoir, on se
suicidait par vengeance ou alors parce
que l’on s’estimait déshonoré. Je pense
qu’il s’est suicidé parce qu’il avait rompu
le lien [avec Goa]. Certains prétendent
les modes de régulation traditionnels, les
représentations des chefferies et, à partir
de là, on a créé un désordre absolument
ineffable. Ces modes de régulation n’ont
jamais plus fonctionné comme avant, et
aujourd’hui on en est encore là. Quand on
aborde la restructuration des chefferies,
on mesure bien la difficulté qu’il y a à
recomposer les choses. C’est le fait que
l’on ait cassé cette dynamique, y compris
par rapport à la notion de consensus, dont
on parle tout le temps, en oubliant que,
pour le constituer, il fallait taper de temps
en temps sur un certain nombre de gens.
Quand Bwarhat et Goa constituaient
un consensus, ils le constituaient manu
militari. Quand un grand chef meurt, on
dit que l’unité de la chefferie est cassée.
À l’époque, un tel événement ouvrait une
période de tension et parfois de guerre.
Celui qui était promis à la succession du
défunt chef devait montrer, y compris par
la force, qu’il était capable de resserrer les
liens entre tout le monde. C’était donc une
période de trouble, avec des affrontements.
À partir du moment où le « grand homme »
n’est plus là pour faire le lien entre les gens
et les différentes communautés, il faut
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© Archives de la Nouvelle-Calédonie, album des pasteurs Maurice et Raymond Leenhardt, 2 Num9
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Soldats avec des
auxiliaires kanak de
passage dans un village.
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
reconstituer des modes de régulation et
cela prend du temps.
Le positionnement de Tendo durant la
guerre n’est pas clairement établi. Que
peut-on dire à ce propos ?
©
Là, il y a un problème d’articulation que
je n’ai pas encore complètement élucidé.
Tendo, c’est la grande chefferie Goa
d’origine, et qui va changer de nom, un
peu après « 17 ». Pour dire rapidement les
choses, le grand clan de la chefferie en
place va se retirer et ce sont les gens de
Kaavac (Gavatch) qui vont la reprendre.
Eux sont normalement les porte-parole
de cette chefferie-là. De ce fait, ils ne
vont pas nommer eux-mêmes leur chef
et ils vont aller chercher un vieux parmi
les gens de Tanghène, avec lesquels
ils ont des relations familières, et lui
donner la chefferie. Disons que, depuis
1917, cette chefferie se trouve dans une
situation extrêmement complexe et
souvent tendue.
« Le nom qui incarne la reconstitution du
lien entre Bwarhat et Goa, c’est Tjibaou. » M
à
w
« L’histoire telle que je la connais, c’est que parmi les choses qui
peuvent être faites pour reconstituer ce lien, il y a ce qu’on appelle à
Hienghène « donner une femme ». Cela veut dire la
donner sans compensation. Et donc, pour couvrir
« L’histoire, c’es
t qu’une
le lien qui existait, on va donner cette femme, et
fa
u
te
a
é
té
commise et que
Bwarhat va donner une sœur, une fille qui est dans
l’o
n
a
d
o
n
n
une position forte. Cette fille, c’est Dia, et elle va être
é une femme
pour réparer ce
donnée en mariage à l’un des cadets de la chefferie
tte faute.
Et, dans les disco
Goa. Mais ça ne suffira pas. Pour refaire le lien entre
urs de
deuil que j’ai re
les deux chefferies, il va falloir que Bwarhat donne
cueillis au
également un nom. Et c’est quelqu’un de sa propre
moment de la m
ort de la
chefferie qui va donner le nom, et ce nom, c’est
vieille (Dia), on
sent bien
Tjibaou. Et c’est ce nom qui va donc être donné
que les choses n
e sont
au fruit et au nouveau lignage issus de l’alliance
jamais vraimen
t dites à
entre Dia et le cadet de la chefferie Goa. C’est
propos de cette
histoire. » ainsi que va sortir le nom Tjibaou. Et on va lui
donner une fonction stratégique au sein même
de la chefferie Bwarhat alors même qu’il occupe déjà
une place importante au sein de la chefferie Goa et qu’il a notamment
pour attribution de faire le lien entre Goa et Bwarhat. » C
C
k.
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Quand on est ethnologue et que l’on
étudie les choses de près, l’on se rend
compte que la société ancienne qui
ressemblait le plus à la société d’ici,
c’était la société fidjienne. Et là, on a
une foule de témoignages qui montrent
que cette société fidjienne fonctionnait à
la guerre. Et je crains qu’après l’attitude
du colonisateur stigmatisant la férocité
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Certains observateurs mettent
également en doute la « férocité » dont
auraient fait preuve respectivement les
auxiliaires ou les rebelles vis-à-vis de
l’autre camp…
des « indigènes », le fait qu’ils coupent
les têtes, etc., on n’en arrive presque
maintenant à nier le fait que l’on
avait, en réalité, affaire à une société
très dure, qui pratiquait la guerre et
l’anthropophagie. Il suffit par exemple
de mener une enquête sur la vannerie
traditionnelle pour apprendre de la
personne que vous interrogez que le
genre de petit panier dans lequel elle
range aujourd’hui ses pinces à linge
servait dans le temps à mettre les parts
de viande humaine à répartir entre les
clans. Mon interlocutrice m’a parlé de
cela sans même que je l’aie sollicitée à
propos de l’usage ancien de cet objet et
cette information m’a été confirmée par
d’autres sources.
.a
D’un point de vue global, je ne sais pas,
mais ce que je peux dire concernant
la région de Hienghène, c’est que ce
que j’ai appris, je suis allé le chercher,
on n’est pas venu à moi pour me le
raconter, animé d’une éventuelle volonté
de présenter les choses à sa manière.
D’autre part, tous les éléments que j’ai
pu obtenir sur cette période convergent
et, dans le cas de « 17 », je n’ai jamais
rencontré quelqu’un qui m’ait raconté
des sornettes.
T
Existerait-il une tendance à mythifier
l’histoire comme le supposent certains
observateurs ?
K-
Je pense qu’il y avait un genre oral beaucoup plus développé avant. Concernant
la guerre de 1917, les différents interdits jetés sur certains aspects de cette
période ont fait que des portions de
ce « grand récit » sur « 17 » ne se sont
jamais construites. On trouve des parties de récits antérieurs à 1917, mais sur la
période de la guerre, des pans manquent,
dans le cas de Hienghène, notamment.
C
Existe-t-il, ou existait-il, un « grand
récit » sur 1917 ?
AD
L’histoire a continué. Ils ont été accueillis
par les gens de Tao, de Galarino… Il ne
faut pas oublier qu’il y a là des clans
qui ont des ramifications ou des liens
jusqu’à Arama. Un exemple : selon
une légende si tu entends le lézard qui
aboie à Galarino, c’est que quelqu’un
est mort à Tiwandé et si tu l’entends à
Tiwandé, c’est que quelqu’un est mort
à Galarino.
é/
Vé
Que s’est-il passé après que les « révoltés » ont franchi la Wâyem (Ouaïème) et
que les soldats n’ont pu les suivre ?
Cela dit, les auxiliaires coupent
effectivement la tête des rebelles qu’ils
tuent, parce que les Blancs le leur
demandent. Couper la tête d’un ennemi
n’était pas une façon de faire kanak mais
c’était par contre une façon de faire très
européenne… Propos recueillis par
Gérard del Rio et Emmanuel Tjibaou.
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
67
La guerre kanak de 1917
Témoignage
Les souvenirs de Nicolas Ratzel
Originaire d’Alsace, Nicolas Ratzel est arrivé vers l’âge de quatorze ans
en Nouvelle-Calédonie en compagnie de son père. Il achève sa scolarité à
Nouméa avant d’entrer en qualité d’élève géomètre au service topographique
de la colonie en 1896. Il est alors âgé de vingt et un ans.
©
Le géomètre Nicolas Ratzel va occuper et parfois cumuler plusieurs fonctions
administratives au sein de la colonie dont celles de chef du service topographique, de
chargé du Service des affaires indigènes (de 1916 à 1919, puis à nouveau en 1940), de
directeur du cabinet du gouverneur (de 1921 à 1923), de chef de service par intérim
des postes et communications (1933), de chef de service par intérim des domaines, de la
colonisation et des hypothèques, de l’enregistrement, du timbre et de la curatelle (1933)…
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
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Le lecteur y trouvera une énumération et une
description méticuleuses des lieux visités par l’auteur
au cours de sa carrière de géomètre et de chargé des
affaires indigènes, en même temps qu’une réflexion
permanente et rigoureuse sur le fonctionnement de
la colonie, de ses services et de ses administrateurs
ainsi que sur leurs objectifs et leur finalité.
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C’est ainsi qu’en mai 2006 a paru l’ouvrage en
deux volumes Cahiers de mes souvenirs de géomètre
calédonien, 1894-1939, agrémenté de photographies
prises par l’auteur et mises à la disposition de la SEH
par le collectionneur Jean-Claude Estival qui s’en
est rendu acquéreur.
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Entre 1943 et 1946, mettant à profit sa retraite,
Nicolas Ratzel a repris ses notes de terrain et les a
consignées dans ses cahiers de souvenirs, vingt au
total, formant un ensemble intéressant la période
comprise entre 1894 et 1939. Ces cahiers ont été
conservés par sa fille, madame Nicole Hendersen,
avant qu’elle n’en fasse don en novembre 2002 au
gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Ils ont
alors été déposés au Service des archives de la
Nouvelle-Calédonie. En 2003, comme le rappelle
Gabriel Valet, président de la Société d’Etudes
Historiques (SEH) de la Nouvelle-Calédonie, le chef
du Service des archives a proposé leur publication
par la SEH.
La guerre kanak de 1917
©
Nicolas Ratzel a rapporté sa perception du
monde calédonien, en particulier celle du monde
kanak, ses impressions ou ses certitudes, dans un
style et sur un ton qui sont ceux d’une époque
se situant encore dans le cadre du régime de
l’indigénat (qui ne sera aboli, rappelons-le, qu’au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale). De
sorte que les éditeurs ont pris soin de souligner
dans leur avertissement au lecteur : « N’oublions
pas […] que ce document exceptionnel est un
fidèle témoignage d’une époque calédonienne
ancienne et que certaines descriptions ou
réflexions peuvent paraître étonnantes ou même
heurter un esprit non averti, mais il convient
alors de les replacer dans le contexte colonial
du début du 20e siècle ».
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Le rôle de Nicolas Ratzel
durant la guerre de 1917
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Nicolas Ratzel ne s’est pas contenté de suivre
de très près les événements qui ont précédé la
guerre de 1917 puis ceux qui l’ont déclenchée
en avril 1917 et alimentée jusqu’en janvier
1918. Il a pris une part active dans les actions
entreprises par le gouverneur de la colonie pour
mater la « révolte » kanak. C’est ainsi que, aux
côtés des soldats, tirailleurs et auxiliaires kanak
engagés dans la répression, il a coordonné, en
partie, la phase finale de celle-ci, jusqu’à Tendo,
au-dessus de Hienghène, où la guerre a pris fin.
Ce rôle, il l’évoque largement, parfois de façon
complaisante, à partir de son huitième cahier
(de 1915 à 1917), publié dans le volume 1 de
ses souvenirs, jusqu’à son onzième cahier (de
début décembre 1917 à fin janvier 1918), publié
dans le volume 2, avant de consacrer les deux
cahiers suivants, et ce de façon extrêmement bien
détaillée, au procès de 1919 instruit par la cour
d’assises de Nouméa, au verdict de celle-ci et aux
considérations que lui inspire toute cette affaire
dont il estime qu’elle aurait pu être évitée si elle
n’avait été dès le départ si maladroitement gérée
par l’administration coloniale et si une véritable
politique indigène avait existé avant 1917.
Cette vision de la guerre de 1917 par Nicolas
Ratzel constitue un contrechamp passionné et
passionnant par rapport à d’autres textes, études,
thèses, ouvrages, récits et témoignages relatifs à
ce conflit. Ce récit, par ses qualités informatives
et narratives, présente un réel intérêt pour ceux
qui souhaitent approfondir leur connaissance de
cette période à la fois si lointaine et si proche
de l’histoire du pays.
GdR
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
69
La guerre kanak de 1917
La collection Nicolas Ratzel
nouvellement acquise par le musée de Nouvelle-Calédonie
Par Emmanuel Kasarhérou
©
N
M
icolas Ratzel fut l’un des acteurs de la guerre de 1917. Ses
souvenirs publiés en 2006 par la Société d’Études Historiques
de la Nouvelle-Calédonie1 figurent parmi les témoignages les
plus précieux. Sur les indications d’Ismet Kurtovitch, chef du service des
Archives de la Nouvelle-Calédonie, j’ai eu l’opportunité d’être en contact avec
la fille de Nicolas Ratzel, madame Nicole Hendersen, qui vit à Canberra et qui
souhaitait se séparer de quelques objets ayant appartenu à son père. À l’occasion
d’un déplacement en 2007 à Canberra, j’ai pu la rencontrer et examiner les objets
en sa possession. La collection Ratzel n’est pas importante numériquement, une
quinzaine de pièces tout au plus, accompagnées de coquillages et d’objets divers, en
revanche elle présente l’intérêt de comporter plusieurs armes liées à la guerre de 1917.
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Vé
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Il s’agit de deux massues phalliques et d’un très bel exemplaire de massue dite « bec
d’oiseau ». Trois haches marquent l’introduction du métal dans les armes kanak.
Les manches sont semblables à ceux des massues que ces haches ont remplacées : ils
comportent un ressaut pour la partie basse et possèdent une très belle patine. Ce type
d’arme apparaît dès les premiers contacts entre Kanak et Européens dans la première
moitié du XIXe siècle. Les lames de hache étaient des objets de troc très courants. Les
figurations des bambous gravés, produits essentiellement durant la seconde moitié du XIXe
siècle, montrent les personnages kanak portant les armes traditionnelles comme les cassetête en bois mais aussi les haches à lame de métal. Beaucoup de ces bambous gravés comportent
également des figurations de fusils. Deux des haches de la collection Ratzel ont des lames
abîmées. L’une d’elles (MNC2007.15.3) est fendue, comme si la fente avait été produite par la
collision brutale avec une autre lame plus dure. L’autre (MNC2007.15.1), qui figure sur la photo
de couverture de ce numéro de Mwà Véé, comporte une partie arrachée par une balle de très fort
calibre. La tradition orale nous rapporte l’utilisation, en guise de munitions de fusil, de morceaux
de fonte. Les pieds de marmites en fonte, particulièrement solides, étaient réputés pour cet usage.
La tradition familiale conservée par les descendants de Nicolas Ratzel confirme ces observations.
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© MNC-Dell'Erba
© MNC-Dell'Erba
La présence de ces armes de facture ancienne, encore en usage au début du XXe siècle,
lors de la guerre de 1917 n’est pas surprenante. Elles côtoyaient les armes à feu, à chien
ou à culasse. Manquent à cette panoplie guerrière les frondes et leurs pierres spécialement
taillées en double cône, d’ailleurs présentes dans cette collection, et les sagaies.
Le musée de Nouvelle-Calédonie s’est dernièrement porté acquéreur
de ces objets qui enrichissent désormais ses collections.
MNC2007.15.5
1. R atzel Nicolas, Cahiers de mes souvenirs de géomètre calédonien 1894-1939, Société d’Etudes Historiques de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, 2006.
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MNC2007.15.6
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
La guerre kanak de 1917
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MNC2007.15.2
MNC2007.15.1 : Hache à lame de fer, bois et métal, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie.
MNC2007.15.2 : Hache à lame de fer, bois et métal, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de l Nouvelle-Calédonie.
MNC2007.15.3 : Hache à lame de fer, bois, métal et cordelette de poil de roussette, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie.
MNC2007.15.4 : Massue dite « bec d’oiseau », bois, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie.
MNC2007.15.5 : Massue phallique, bois, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie.
MNC2007.15.6 : Massue phallique, bois, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie.
MNC2007.15.7 : Sac à pierres de fronde, fibres végétales, poils de roussette et pierre, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie.
MNC2007.15.4
MNC2007.15.1
MNC2007.15.3
Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
71
La guerre kanak de 1917
Complément bibliographique sur la guerre de 1917
et son contexte historique
©
Ratzel Nicolas, Cahiers de mes souvenirs de géomètre calédonien 1894-1939. Société
d’Études Historiques de la Nouvelle-Calédonie [SEHNC], Nouméa, 2006.
Papin Bernard, Vie et mort de Ludovic Papin chez les Canaques, L’Harmattan, Paris,
1997.
Muckle Adrian, « ‘The Chief without Power ?’ Téâ Antoine Katélia and the War
of 1917-1918 in New Caledonia », The Journal of Pacific History. vol. 41, 3,
p. 313-334, décembre 2006.
Muckle Adrian, « The War of 1917 in New Caledonia », RSPAS Quaterly Bulletin,
mars 2004, p. 12-13.
Faure Auguste Albert, « Affaires de Koné » : Rapport du Brigadier Faure sur les
débuts de l’insurrection de 1917 en Nouvelle-Calédonie », Journal de
la Société des Océanistes [JSO] 76, p. 69-88, Paris.
Hmae Apou, Correspondance du Pasteur Apou Hmae avec Maurice Leenhardt et
Philippe Ray-Lescure, 1917-1946, Institut d’Ethnologie, Paris, 1979.
Leenhardt Maurice, « Les événements de 1917 en Nouvelle-Calédonie :
géographie des tribus et des chefs », JSO, 58-59, 19-22, Paris, 1978.
Leenhardt Maurice, « Procès de la rébellion de 1917 », JSO 58-59, p. 37-42,
Paris, 1978.
Leenhardt Raymond et Vasseur Jacques, « Mindia Wepoe Nedja, grand
chef des Houaïlou (1856-1921) », JSO 84, p. 31-47, Paris, 1987.
L’Harmattan [éditions], Révoltes, conflits et Guerres mondiales en NouvelleCalédonie et dans sa région. Sous la direction de Sylvette Boubin-Boyer,
tome 1, tome 2, Paris, 2008.
SEHNC [éditions], Centenaire Maurice Leenhardt (1878-1954) : pasteur et
ethnologue, 2e édition, Nouméa, 1994. [1re édition : 1978]
SEHNC [éditions], « Travail d’un missionnaire. Témoignage recueilli auprès
de M. Gorohuna Firmin Dogo, tribu de Poindah, Koné, 22 juin 1978. »
Centenaire Maurice Leenhardt (1878-1954) : pasteur et ethnologue, p. 43-45,
Nouméa.
Vasseur Jacques, « Apou Pwacili Hmae, Pasteur Mélanésien », JSO 79, p. 235-255,
Paris, 1984.
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NDLR : Se référer également à la bibliographie établie par Adrian Muckle à l’appui
de son texte : « La « Dernière Révolte » de Kanaky Nouvelle-Calédonie : vision
de conflits passés dans un avenir commun ».
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Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62
Ces numéros sont disponibles à la boutique du Centre Tjibaou
Mwà Véé n°1 (épuisé)
Mwà Véé n°2
L’aire Xârârùù-Xârâgùrè
Musiques kanak
Mwà Véé n°3
L’aire Nengone
Images et paroles de jeunes
Mwà Véé n°4
L’aire Ajie
Les Kanak et leur mémoire
Les Kanak et l’écologie
Mwà Véé n°5
L’aire Drehu
Les Kanak et la modernité
Mwà Véé n°6
L’aire Paicî-Cemuhi
Le corps Kanak
Mwà Véé n°7
L’aire Iaai-Faga Uvea
Identités calédoniennes
aujourd’hui
Les Kanak et l’argent
Mwà Véé n°15
L’indigénat 1887-1946
Mwà Véé n°30
Le souffle de l’Océanie
Mwà Véé n°16
Le monde végétal kanak
Mwà Véé n°31
Maurice Leenhardt
aux Archives de NC
Mwà Véé n°17
Danses et musiques kanak
Mwà Véé n°18
Paroles écrites
Itinéraires kanak
Mwà Véé n°20
Inauguration, ouverture
du Centre Tjibaou
Mwà Véé n°21
Centre Tjibaou, naissance
et ouverture
Mwà Véé n°22
Les nouveaux outils
de la connaissance kanak
Mwà Véé n°35 (épuisé)
Mwà Véé n°51
Les Communards en N-C
Île d’exil, terre d’asile
Mwà Véé n°36 (épuisé)
Mwà Véé n°37
Carnet de rencontres Malekula,
Tanna, Port-Vila
Mwà Véé n°52
Arts Visuels
Les artistes s’expriment
Mwà Véé n°38
Maurice Leenhardt cent ans
plus tard…
Mwà Véé n°24
Le défi des langues kanak
Mwà Véé n°40
À la recherche des savoirs kanak
Mwà Véé n°25
Usooköu : Ouvéa,
le temps de la réconciliation
Mwà Véé n°41
Statut coutumier, commun :
l’heure du choix.
Mwà Véé n°11
Les Kanak et
la Grande Guerre 14-18
Jouets jeux traditionnels kanak
Mwà Véé n°26
Les chemins du patrimoine
Mwà Véé n°42
1993-2003 - Dix ans de dire,
dix ans d’écrire
Numéro spécial 10 ans Mwà Véé
Mwà Véé n°12
Éducation de l’enfant kanak :
mythe ou réalité
Mwà Véé n°28
L’art kanak aujourd’hui.
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Mwà Véé n°9
Être Kanak aujourd’hui
Une langue morte : le sîshëë
M
à
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Mwà Véé n°57
Les Kanak à l’heure de la
« nouvelle politique indigène »
Mwà Véé n°58-59
Le mana veille sur la culture
polynésienne
Mwà Véé n°60
Reflexion autour
d’un 10e anniversaire
Mwà Véé n°61
Les kanak et le football
Mwà Véé n°53
Le kaneka
une « cadence née
des Kanak »
Mwà Véé n°39
Quand la parole kanak s’exporte
Mwà Véé n°54
Patrimoine kanak
et musées
Mwà Véé n°43
Regard d’une société
sur sa propre image
C
K-
Mwà Véé n°44
Sous la grande case de l’histoire
T
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Mwà Véé n°29
L’expression contemporaine
des danses kanak
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Mwà Véé n°27
Spiritualité kanak et religions
AD
é/
Vé
Mwà Véé n°14 (épuisé)
Mwà Véé n°56
Le Pays Béléma
Une histoire pleine d’avenir
Mwà Véé n°50
Du patrimoine immatériel
aux archives kanak
Mwà Véé n°23
Quand les Kanak
découvraient l’Amérique
Mwà Véé n°13 (épuisé)
Mwà Véé n°46/47
Pardon et réconciliation
Mwà Véé n°49
Hier et aujourd’hui, enfant et
société
Mwà Véé n°34
Patrimoine kanak d’hier
et d’aujourd’hui
Mwà Véé n°8
L’aire Hoot ma whaap
Patrimoine Kanak
Mwà Véé n°10 (Réédité en mars)
Il y a 20 ans, Mélanésia 2000
Mwà Véé n°55
Dossier : Créateurs kanak
D’une génération à l’autre
Mwà Véé n°48
Une nouvelle ère pour
les femmes kanak
Mwà Véé n°32
Les kanak dans l’économie
Mwà Véé n°33
Écritures kanak, calédoniennes,
océaniennes…
Mwà Véé n°19
Oralité, écriture.
Vrai ou faux débat ?
Mwà Véé n°45
La révolution de l’art kanak
et océanien
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La revue, qui compte depuis ses débuts un nombre significatif d’abonnés en métropole, est désormais diffusée par trois librairies. Il s’agit de la librairie Sauramps,
à Montpellier (Le Triangle CS 19026. 34967 Montpellier cedex2. Tél. 04 67 06 78 83) ; de la librairie Ombres blanches, à Toulouse ( 50, rue Gambetta. 31000
Toulouse. Tél. 05 34 45 53 33) et de la librairie J-M Place, à Paris (3, rue Lhomond. 75005 Paris. Tél. 01 44 32 05 98)
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Brigitte Delpouve – Centre culturel Tjibaou - BP 378 – 98845 NOUMEA CEDEX Télécopie 41 45 56 – Mel : [email protected]
Signature
L’exposition « The Others - Les Autres »
présente autour du thème « Ici et maintenant » les œuvres
éclectiques d’une vingtaine d’artistes vivant en Australie. Cet
événement créé en parallèle à la 5e Triennale Asie-Pacifique
(APT), à Brisbane en 2007, évoque les problèmes des peuples
indigènes vivant en Australie, et leur rôle dans la région Asie/
Pacifique. L’exposition, présentée au centre culturel Tjibaou du
29 octobre 2008 au 8 février 2009, s’intéresse aux problèmes
de migration et reflète la profonde importance culturelle et
historique du rôle joué par le lieu, les légendes, l’identité, les
politiques et le respect mutuel.
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EXPOSITION COLLECTIVE D’ART CONTEMPORAIN INTERNATIONAL
Salle Komwi - centre culturel Tjibaou
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29 OCTOBRE 2008 – 10 FÉVRIER 2009
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© Charles Street
© Madelyn Hodge
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www.adck.nc
© M. kanamori & L. Dann
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• Jenny Fraser (Murri, Queensland) - Justifiés et Anciens
• Mayu Kanamori (Japon - Nouvelle-Galles du Sud) et Lucy Dann Bardi (Australie-Occidentale) – Le cœur du chemin
• Paul Bong (Yidinji, Queensland) - Bouclier yidinji
• Christine Peacock (Erub, Queensland),
• John Graham (Kombumerri, Queensland) et Rebekah Pitt (Yidinji, Queensland) - Garçon et papillon
• Eddie Nona (Kala/Lagaw Ya, Queensland) - Goiga Pudhi (La tombée du soleil)
• Haro the Crazy Prins (Ngati Mahuta. Maori - Nouvelle-Galles-du-Sud) - Sans titre
• Madelyn Hodge (Bigambul, Queensland) - Le bonnet de bain
• Ann Fuata (Samoa -Queensland/Victoria) - Pins
• Mulitalo Tauline Virtue (Samoa-Queensland) - Embrasse mon quarante-cinq, demain n’arrive jamais
• Polytoxic (Samoa & Australien) avec Chantal Fraser (Samoa-Queensland) - Encadrée
• Gary Lee (Larrakia –Philippines -Chine, Territoire-du-Nord) - Au cœur du mélange - Shaba #3
• Robb Kelly (Australie -Nouvelle-Galles du Sud- Queensland) et Joseph Slade (Nga Puhi, Maori, Nouvelle-Zélande-Queensland) - Type Test
• Archie Moore (Murri, Queensland) - :E
• Jason Davidson (Gurindji, Mara, Nalarkan,- Territoire du Nord) - Hommage à Wally Nickels
• Ritchie Ares Doña (Philippines - Queensland) - Recyclage répétitif
• Charles Street (Papouasie-Nouvelle-Guinée - Queensland) - Je n’ai pas seulement tué le renard…
• Tim Leha (Gamilleroi,Tonga -Territoire de la capitale australienne) - Sutikalh
• Jenny Fraser (Murri, Queensland) - Les All Stars Indigènes
• Hilda Ruaine (Ngati Whakaue, Ngati Rangiwewehi. Maorie, Nouvelle-Zélande - Nouvelle-Galles du Sud) - Cartes postales
• Jo-Anne Driessens (Murri, Queensland) - Corroboree 2000, Marche des peuples pour la Réconciliation
• Djon Mundine (Bandjalang, Nouvelle-Galles-du-Sud) – Vers un Rêve digital (Lignes de chant électroniques)
• Christine Christophersen (Iwatja, Territoire-du-Nord) et Delphine Morris (France - Nouvelle-Zélande) - Épreuve
• Maia (Philippines - Queensland) - Eden
• Chantal Fraser (Samoa - Queensland) - Le rassemblement (2006)
• Lez “Bex” Beckett (Murri, Queensland, Nouvelle-Galles-du-Sud) - Première Performance Nocturne
© Gary Lee
© Maia
© R. Kelly & J. Slade
© Jo-anne Driessens
© Ritchie Dona
© H. Ruaine
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Les artistes
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© Eddie Nona
© C. Peacock - J. Graham - R. Pitt
© C. Christophersen
© Archie Moore
© Ann fuata
Exposition
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