La guerre kanak de 1917
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La guerre kanak de 1917
Revue culturelle kanak © M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc La guerre kanak de 1917 N° 62 • octobre - novembre - décembre 2008 • 700 FCFP d u oc m t en s ig or i u na x Rencontres de la Médiathèque « La parole de Jean-Marie Tjibaou… Par Eric Waddell, département de géographie, Université Laval, Québec J���� 27 ��������, � 18�15, ����� S���� – ENTRÉE GRATUITE © La parole voyage dans l’espace et dans le temps. Et parfois elle arrive de loin. De très loin ! Alors professeur à l’université Laval (Québec), Éric Waddell a entendu la parole de Jean-Marie Tjibaou pour la première fois aux Îles Fidji. C’était au début des années quatre-vingt-dix, soit deux ou trois ans après que le leader politique et penseur kanak eut été arraché au monde des vivants. L’acte d’écouter et de partager ses mots avec des collègues et étudiants océaniens a eu un effet déclencheur et Éric Waddell est parti par la suite à la recherche de l’homme et de sa pensée. Le voyage a duré plus d’une décennie. Éric Waddell raconte, dans sa conférence, la parole de Jean-Marie Tjibaou telle qu’il l’a appréhendée et ce, dans sa portée universelle aussi bien que nationale. Il évoque ses valeurs, ses espoirs, ses expériences formatrices et les hommes qui l’ont marqué, grâce en bonne partie aux rencontres que le conférencier a eues avec des gens qui ont côtoyé ou ont été à l’écoute de ce très grand Océanien : à Nouméa, Hienghène, Tiendanite et aussi à Suva, Canberra, Christchurch, Paris, Genève, au Larzac et en Amérique. Puisant l’essentiel de cette conférence dans une biographie qu’il vient de faire paraître à l’University of Hawai’i Press, sous le titre Jean-Marie Tjibaou, Kanak Witness to the World, et publiée avec le concours de l’Agence de développement de la culture kanak, Éric Waddell souhaite remplir un double objectif. Faire en sorte, par le biais d’un ouvrage adressé au monde océanien anglophone, que la parole de Jean-Marie Tjibaou puisse poursuivre son chemin à travers le Grand Océan, montrant ainsi l’importance de sa pensée pour la suite du monde. M à w « Littératures calédoniennes » é/ Vé Par Hamid Mokaddem, agrégé de Philosophie J���� 11 ��������, � 18�15. C��� E��� – ENTRÉE GRATUITE T C C K- C AD Après avoir enquêté, au sens conféré à ce mot par l’anthropologie sociale, sur les écritures littéraires, Hamid Mokaddem se décide d’interroger les inscriptions des jeux d’écriture vis-à-vis de la langue française. Ces jeux d’inscription ne sont jamais neutres a fortiori en Nouvelle-Calédonie où la destinée politique, ou si on préfère, le rapport politique entre la France et l’archipel, est toujours paradoxal, ambigu pour ne pas dire contradictoire. À travers l’étude des énoncés littéraires, il s’agit de comprendre ces espaces littéraires dans lesquels se positionnent les manières, les styles, les procédures, les écritures. Au bout du compte, une seule question s’impose, franche, lapidaire, sommaire, qui est celle-ci : les littératures de la Nouvelle-Calédonie, dont la plupart s’expriment en français, sont-elles pour autant françaises ? Derrière l’apparente niaiserie de la question, la communication s’assigne comme objet de démontrer que la littérature peut être lue autrement que pour le plaisir esthétique. Elle est objet de connaissance, elle est connaissance littéraire pour parler comme Jacques Bouveresse. La connaissance littéraire contribue-t-elle à infléchir les façons de sentir et de comprendre le monde ? Autre question à laquelle Hamid Mokaddem s’efforcera d’apporter des éléments de réponse. Cette conférence poursuit trois travaux dont deux sont achevés et prennent la forme de deux publications : Œuvres et Trajectoires des écrivains de la Nouvelle-Calédonie (2007) et Littératures calédoniennes. La littérature océanienne francophone est-elle une littérature française ? (2008). w w |w nc Exposition k. dc .a Hamid Mokaddem est professeur agrégé de philosophie à l’IFMNC à Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Il est auteur de plusieurs livres et articles dont notamment Ce souffle venu des ancêtres… L’œuvre politique de Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), Expressions, 2005. Il finit la rédaction d’une thèse d’anthropologie sociale « Conjonction des systèmes socioculturels en Nouvelle-Calédonie contemporaine ». La Médiathèque organise chaque année une exposition dont l’objectif est la mise TRÉS ORS D en valeur de fonds méconnus E LA M ÉDIAT HÈQU du grand public, en particulier les documents iconographiques. En 2008, la manifestation Trésors de la Médiathèque 10 ANS DE P E R O G R A M M D A U TION CENTRE CU met à l’honneur la programmation particulièrement riche et variée de l’Agence de développement de la LTUREL TJI BAOU culture kanak à travers une rétrospective d’affiches et de captations photographiques réalisées depuis la préfiguration du centre culturel Tjibaou jusqu’à aujourd’hui. Les grands moments de l’ADCK seront exposés au regard du public et témoigneront du formidable attrait qu’ont suscité les expositions accrochées, les spectacles présentés, les conférences animées au sein de cette institution, véritable catalyseur de la décennie qu’elle vient de traverser. Réunis dans l’allée centrale du 4 novembre 2008 au 29 mars 2009, ces documents montrent la prodigieuse dynamique du CCT de 1995 à 2008 tant dans le cadre de sa préfiguration que dans l’espace majestueux de la presqu’île de Tina. Sont évoquées l’émergence d’un lieu favorisant une offre culturelle différente répondant aux besoins d’un public soucieux de qualité, l’apparition de nouveaux talents pouvant s’exprimer dans cet écrin de la culture kanak et des cultures océaniennes ainsi que la multiplicité des projets artistiques défendus. EXPOSIT Waké nâimâ : créons ensemble, Pacific Tempo, Egu kaje : la mer et les océaniens, Le sentier : Kaa Wegna, Âji âboro : l’homme vrai, Manu Dibango, Ko Névâ : art contemporain kanak, Le Kookaburra qui vola la lune, Fragments nomades, Premiersclichés@nc, Figninto : l’oeil troué, Robes mission : histoire(s) de femmes, Tokiko : entrevoir les mots des murs, Visages du Cinéma océanien, Le Papalagui, Les Damnés, Feu nos Pères. ION ICO DU 4 NO NOGRAP AU 29 VEMBRE HIQUE ET DOCU 20 MENTAIR MARS 2009 08 E - ALLÉ tions tél E CENT . 41 45 RALE 45 Informa www.ad ck.nc agence de déve de la cult loppement ure kan ak Au-delà de cet échantillon, la Médiathèque présente un petit catalogue des incarnations des rêves d’un destin commun, nichés entre tradition et modernité. Qu’il s’agisse de pièces de théâtre, de spectacles accueillis, d’expositions du Fonds d’art contemporain kanak et océanien, ces événements culturels qui soulignent une ouverture d’esprit, apprennent aussi à grandir et racontent à leur façon l’évolution de la société d’un Pays en devenir. Mwà Véé n° 62 Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1917-1918 - Chronologie de la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 La « Dernière Révolte » de Kanaky Nouvelle-Calédonie : vision de conflits passés dans un avenir commun . 1917 et 1878 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Document : Histoire de la rébellion du côté de Koné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Document : Baco, 21 mai 1917, Tein Bayyol Mangol à Pasteur Milo à Nouméa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 Document : Un épisode de la révolte kanak de 1917 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Entretien avec Adrian Muckle, historien : la guerre kanak de 1917, ses causes et ses conséquences . . . . . . . . . . . . . . 30 Interrogatoire de Poindet Apengou & commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 M Interrogatoire de Tiapy Moueaou dit Tihain & commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 à w Noël de Tiamou et ses « frères » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 é/ Vé Entretien avec Sylvette Boubin-Boyer, historienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Récit : Joseph Karie Bwarhat, de Hienghène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 AD Récit : Noël Tuaï Gohoup, de Maïna. Neveu de « Noël de Tiamou » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 C Récit : Pascal Kalewaik Couhia, de Tiendanite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 K- Entretien avec Patrice Godin, anthropologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 C C Les souvenirs de Nicolas Ratzel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 T Complément bibliographique sur la guerre de 1917 et son contexte historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 .a w w |w Photo de couverture : Eric Dell’Erba. Objets représentés : fusil Lebel (collection musée de la Ville de Nouméa), képi d’officier supérieur (collection musée de la Nouvelle-Calédonie), monnaie kanak dans son étui (collection musée de la Nouvelle-Calédonie), hache à lame de métal trouée par une balle (ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de la Nouvelle-Calédonie). Dossier élaboré et réalisé par Emmanuel Kasarhérou, Gérard del Rio, Emmanuel Tjibaou, en collaboration avec Adrian Muckle, historien. Remerciements pour leur contribution à : Sylvette Boubin-Boyer, historienne ; Alban Bensa, anthropologue ; Patrice Godin, anthropologue ; Marianne Tissandier : musée de Nouvelle-Calédonie (armes de l’ancienne Collection Ratzel) ; Véronique De France : musée de la Ville de Nouméa (fusil et képi utilisés pour la photo de couverture de ce numéro) ; Ismet Kurtovitch, service des Archives de la Nouvelle-Calédonie (photos anciennes de l’album Maurice et Raymond Leenhardt. Ainsi qu’à toutes les personnes qui, par leur parole, ont nourri ce dossier. k. dc nc Mwà Véé, le titre de cette revue, est issu de la langue drubéa. Il essaie de traduire l’idée de journal : un support ou contenant de paroles, de mots, d’idées. D’une langue à l’autre, la traduction du concept « journal » n’est jamais identique, chaque langue découpe à sa façon la réalité. En pije, le concept renvoie à la notion de « maison de paroles » : Ngen Falik. En paicî, on dira plutôt Popaï : « vrai discours » ou « discours sacré ». Dans les langues des îles Loyauté, le terme peut se définir comme « panier, enveloppe de discours » : Cenge Eberedro (nengone) ou encore « fragments de paroles » ou « morceaux de paroles » : Ut Ho Fuuc (iaai). . . . . . . . 8 © SOMMAIRE 1917 Circulation de la parole de guerre et déplacement des populations suite à la répression . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Erratum Dans l’éditorial de notre précédent numéro : Mwà Véé n°61, « Les kanak et le football », nous avons quelque peu contracté le temps qui a séparé l’exposition coloniale de 1931 et la victoire de l’équipe de France en coupe du monde de football en 1998. Soixante-sept ans séparent ces deux événements et non trente-sept comme nous l’avions écrit. Mwà Véé Revue culturelle kanak éditée par l’Agence de développement de la culture kanak (ADCKcentre culturel Tjibaou). Rue des accords de Matignon • BP 378 - 98 845 Nouméa cedex. Tél : (687) 41 45 55 - Fax : (687) 41 45 56 • [email protected] • www.adck.nc. Directeur de publication : Emmanuel Kasarhérou. Direction éditoriale : Emmanuel Kasarhérou - Emmanuel Tjibaou. Rédacteur en chef : Gérard del Rio. Documentation : Médiathèque du centre culturel Tjibaou. Crédit photographique : Toutes les illustrations de ce dossier, sauf mention, sont de Gérard del Rio. Mise en page : TOTEM Infographie • Tél : 79 54 30 – Fax 26 24 97 – [email protected] BP 526 – 98845 Nouméa Cedex. Impression : Impression IRN - Nouméa sur papier recyclable. Distribution/diffusion : Nouvelles messageries calédoniennes de presse Tél : (687) 27 57 44 - Fax : (687) 24 01 50 • BP 2215 • 98845 Nouméa Cedex • Nouvelle-Calédonie. Gestion commerciale/publicité : ADCK - centre culturel Tjibaou. Communication : Jérôme Devillers, ADCK - centre culturel Tjibaou. Gestion abonnements : Brigitte Delpouve, ADCK - centre culturel Tjibaou. Les articles publiés dans ce numéro peuvent être reproduits avec mention de la revue et de l’éditeur : Mwà Véé-ADCK. Les œuvres reproduites dans ce numéro ne peuvent être reproduites sans l’autorisation de leur auteur. Financement : La revue Mwà Véé est éditée grâce à la participation du ministère de la Culture, du ministère de l’Outre-Mer, de la Province des Îles Loyauté, de la Province Nord, de la Province Sud. Partenariat : Air Calédonie, transporteur domestique officiel de l’ADCK-centre Tjibaou. Dépôt légal : 4 e trimestre 2008 • Nouméa • ISSN n° 1250.7776 La guerre kanak de 1917 Ce titre souligne à lui seul l’importance de ce qui s’est passé entre avril 1917 et fin janvier 1918 dans la région comprise entre Koné et Hienghène. Des événements à ce point décisifs qu’ils ont conduit des gens à la mort, à la prison, à la guillotine. À ce point sensibles qu’ils ont engendré la migration de populations entières, la destruction de villages entiers avec leurs cultures, la dépopulation de vallées entières, la déstructuration coutumière, sociale et politique de toute cette région. À ce point marquants qu’ils ont mobilisé l’attention d’acteurs ou d’observateurs de l’époque tels que le pasteur Maurice Leenhardt ou le père Rouel, puis, plus tard, celle d’historiens tels que Sylvette Boubin-Boyer, Adrian Muckle, Alain Saussol, Joël Dauphiné, d’anthropologues tels que Jean Guiart, Alban Bensa, Patrice Godin, pour ne citer qu’eux. © Pourquoi ce soulèvement a-t-il pris une telle ampleur ? Sans doute en raison des maladresses involontaires ou intentionnelles du gouverneur de cette époque et de son administration coloniale, comme le relève Nicolas Ratzel dans ses souvenirs. Et pourquoi la répression a-t-elle pris, elle aussi, de telles proportions, et qui avait intérêt à exacerber à ce point cette politique de la terre brûlée en décimant des villages entiers et des cultures de façon aussi systématique ? En provoquant une déstructuration aussi radicale de l’organisation traditionnelle dans cette région encore peu concernée par la colonisation par rapport à d’autres, mais néanmoins réfractaire à sa percée ? Toujours est-il que cette organisation traditionnelle ne s’est jamais vraiment remise du traumatisme et des conséquences de cette guerre de 1917. Le fait est, aussi, qu’à partir de 1917, la colonisation foncière a rattrapé le « temps perdu », en particulier dans la région de Hienghène qui s’était longtemps opposée à elle. M © Coll. Fritz Sarasin (Museum Der Kulturen Basel, Musée des Civilisations de Bâle) La guerre kanak de 1917 à w K- C AD é/ Vé |w Ce travail de recherche, étayé en premier lieu par les descendants de ceux qui ont vécu et subi cette guerre et par les historiens qui travaillent sur le sujet, est d’autant plus difficile à mener que la mémoire vivante de 1917 a aujourd’hui disparu. Il faut donc se baser sur les récits souvenirs des descendants et sur les archives. Toutefois, et en dépit des lacunes, des bribes et parfois des pans entiers de l’histoire s’éclairent au détour d’une rencontre, d’un texte poétique ou d’un discours de guerre. Nous en avons retrouvé quelques-uns. Par ailleurs, un ouvrage conçu par Alban Bensa, Yvon Goromoedo et Adrian Muckle à partir de récits oraux kanak sur 1917, recueillis par Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre, et de documents d’archives est actuellement en préparation. k. dc .a w w nc ÉDITORIAL T 2 C C Nous avons tenté, à travers ce dossier, d’apporter une lecture engagée de ces événements. Ce, dans le sens d’un engagement dans la recherche non pas d’une vérité édictée comme telle et difficile, voire impossible, à établir, mais d’une meilleure compréhension de cette période-clé de la colonisation, tout au moins avérée comme telle en ce qui concerne la région placée au centre de ce conflit. Aujourd’hui, et même s’il reste encore beaucoup à apprendre et à déchiffrer, d’interdits à lever, la zone d’ombre qui a longtemps recouvert cette période de 1917-début 1918, mais aussi de 1919, année du procès des « insurgés », s’estompe donc peu à peu pour laisser place à une vision de plus en plus précise de la guerre kanak de 1917. Mwà Véé (Gérard del Rio) Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 8 1 9 1 7 1 19 Chronologie de la guerre Établie par Adrian Muckle Première vague de recrutement de tirailleurs volontaires : 716 hommes inscrits. décembre 1916-avril 1917 Seconde vague de recrutement de tirailleurs volontaires : 390 hommes inscrits. Début des préparations pour le départ du 3e contingent. 7 février 1917 Arrêté ordonnant l’appel des mobilisables jusqu’à la classe 1889 inclusivement. Suite à un violent cyclone (14-15 février), la mobilisation sur la côte Ouest est reportée au 2 avril. Des retards supplémentaires se produisent, et le départ des mobilisés du district de Koné n’a lieu que le 5 avril. © janvier-mars 1916 Paris notifie à Nouméa que le Gange doit appareiller début avril avec le contingent suivant, qui doit comprendre : 1. « Derniers soldats carrière ayant pas fait campagne » ; 2. « Classes 1916 et 1917 groupe et 1918 Nouvelle-Calédonie seulement, en tout 400 hommes » ; 3. « Canaques recrutés dans limite 500 » ; « S’il y a lieu d’après capacité Gange mobilisables service armé plus jeunes classes ». 25-26 mars 1917 Repiquet se rend à Koné pour inspecter les dégâts causés par le cyclone de février. Au cours des jours qui suivent, des hommes armés se rassemblent à Pwanaki et effectuent des raids dans les réserves de Koniambo (Grombaou) et de Noéli. 4 avril 1917 Les gendarmes de Koné (Faure et Thomassin, accompagnés par le père Halbert) rendent visite aux hommes armés de Pwanaki, parmi lesquels se trouve Noël de Tiamou. Ces hommes leur expliquent qu’ils agissent ainsi parce qu’ils ont reçu des menaces (de la part de la police de Koniambo) au moment du recrutement de volontaires pour la guerre en Europe. 5 avril 1917 L’affaire de Koné : des hommes armés venant de Pwanaki font leur apparition aux abords du village de Koné au moment où les mobilisés se préparent à appareiller du wharf de Foué. Panique chez les colons locaux, qui exigent une intervention de l’Administration. 6 avril 1917 L’Administration décrète la « censure », donne l’ordre au Kersaint (Cdt Bouju) d’appareiller pour Koné, et donne à l’administrateur (chef du Service des affaires indigènes) Fourcade (mobilisé) mission de prendre les mesures nécessaires pour neutraliser les fauteurs de troubles, calmer les populations de colons et ramener la paix parmi les tribus. 8-9 avril 1917 Arrivée de Fourcade à bord du Kersaint avec un détachement d’infanterie de marine. Les colons plaident auprès de Fourcade et de Bouju pour que ces derniers mettent certains chefs aux arrêts. Une tentative d’arrestation de Poindet Apengou échoue. 12 avril 1917 L’unité d’infanterie de marine est remplacée par 40 tirailleurs, en grande partie des Tahitiens, commandés par le lieutenant Pannetrat. Un ordre secret est donné pour l’arrestation de Noël et de Poindet Apengou. 24 avril 1917 Retour de 60 permissionnaires européens. 8-25 avril 1917 Fourcade et les tirailleurs visitent les réserves de la région de Koné : Baco (16 avril), Koniambo (17 avril), Poindah et Naparouen (19 et 24 avril), Pwanaki (20 avril) et Paola-Netchaot (25 avril). Les tribus sont invitées à participer à une cérémonie de réconciliation à Tiamou le 28 avril. 17 avril 1917 L’Administration est informée que le départ des mobilisés est retardé (en raison du naufrage du Gange). 25 avril 1917 Noël et ses hommes sont observés en train de faire des préparatifs pour la cérémonie du 28 avril. 26 avril 1917 Fourcade rencontre Maurice Leenhardt. Discussion du plan secret pour l’arrestation des meneurs pendant la cérémonie « de paix ». 27 avril 1917 30 soldats arrivent à Hienghène pour y établir un poste d’observation. 28 avril 1917 Affaire de Tiamou : la cérémonie de « réconciliation » de Fourcade finit dans un bain de sang. Fourcade arrête 17 hommes. Des guerriers, commandés par Noël et Waï, tendent une embuscade au détachement. 2 mai 1917 Le gouverneur Repiquet arrive à Koné avec des renforts, et un ultimatum final est signifié à Noël de Tiamou. env. 1-21 mai 1917 Raids des « rebelles » sur les stations des hautes vallées de Koné, Pouembout, Amoa et Tiwaka : la station Chautard à Pombéi, la station Barada à Amoa, la station Gros à Boutana, ainsi que chez des colons de la Forêt-Plate (env. 18 mai). 6 mai 1917 Soldats et volontaires attaquent Pwanaki. 8-9 mai 1917 Soldats et volontaires attaquent Pana. 12-13 mai 1917 Soldats et volontaires attaquent Pamoa. 19 mai 1917 Démobilisation provisoire des hommes. Ceci ne s’applique pas aux contingents tahitiens ou aux hommes déjà en poste dans l’intérieur, auxquels on demande de rester à leur poste jusqu’à leur relève par des troupes entraînées. 21-22 mai 1917 Soldats et volontaires attaquent Atéu. 23 mai 1917 Maurice Paétou commande un assaut « rebelle » sur la mine du Kopéto. env. 26 mai 1917 Deux unités viennent en renfort du détachement de Koné : « infanterie blanche et tirailleurs ». Un poste militaire est établi à Touho. 30 mai 1917 Attaque « rebelle » contre la réserve de Noéli. Un détachement est envoyé à la station Caujolle à Poinda. env. 31 mai 1917 Attaque « rebelle » contre une station dans la vallée de la Côgo ; le régisseur est tué. M 19 février 1917 à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 3 La guerre kanak de 1917 1er juin 1917 Soldats et volontaires kanak attaquent Paola-Netchaot. La mitrailleuse est installée pendant que des feux de salve sont dirigés sur le village de Paola. Les indigènes fuient en montant les pentes du Paolau, non sans laisser en arrière plusieurs blessés. Bilan : au moins 9 morts. 9 juin 1917 Attaque « rebelle » contre la station Gros à Néouiou, suivie d’attaques contre d’autres propriétés dans la vallée de la Tipindjé. 10 juin 1917 Soldats et volontaires kanak attaquent Néua (vallée de la Pana). 12 juin 1917 Repiquet fait appel à toutes les communes du Nord et leur demande « l’aide de cavaliers disposés à se porter volontaires pour servir d’éclaireurs et d’observateurs, ainsi que pour combattre dans l’effort de poursuite et de répression des indigènes « rebelles » ». 16 juin 1917 Attaque « rebelle » contre les colons de Oué-Hava (Tipindjé). 19-20 juin 1917 Les soldats mettent le feu à un village abandonné de la haute Amoa. 20 juin 1917 Soldats et volontaires kanak attaquent Paouta (réserve Kovéi). ? 23-30 juin Des bataillons venant de Koné et de Tipindjé encadrent une attaque contre Pamalé. 26 juin 1917 Mobilisation sur place des colons des classes 1889-1911 dans les communes concernées par les conflits. 28 juin 1917 Repiquet indique dans son rapport que la phase de déploiement est terminée, et qu’il convient maintenant de mener une « véritable campagne de guérilla ». Le recrutement des auxiliaires commence durant la première quinzaine de juillet à Bourail, Houaïlou, Kouaoua, Canala, Poindimié et Ponérihouen. Étendue maximum du déploiement militaire dans le Nord : 400 soldats (infanterie coloniale, infanterie de marine et tirailleurs) et au moins 14 postes militaires séparés. M 1er-7 juillet 1917 Le détachement de Tipindjé (comprenant des troupes d’infanterie de marine et une mitrailleuse actionnée par des artilleurs du Kersaint) reçoit l’ordre d’attaquer Ouen-Kout. 8 juillet 1917 Attaque « rebelle » contre le poste militaire de la station Laborderie (Tipindjé). 9 juillet 1917 Les soldats et les volontaires kanak contre-attaquent à Ouen-Kout et à Oué-Hava. 8-9 juillet Raid sur Noha par des colons volontaires à cheval. Des volontaires kanak essaient de capturer Noël de Tiamou dans la région de Tâji. 9-16 juillet 1917 Raids « rebelles » sur Tiouandé et Ouanache. 14 juillet 1917 347 auxiliaires entrent en action sous le commandement des géomètres Bernier et Martin-Garnaud, avec le soutien de soldats du détachement de Poindimié-Amoa (et accompagnés du père Rouel). Les ordres sont de « nettoyer » les hautes vallées d’Amoa, Koné, Pamalé et Tipindjé. 14-19 juillet 1917 Les auxiliaires attaquent et détruisent des habitations dans la haute vallée de l’Amoa et sur les flancs du mont Poilou au-dessus de Paola-Netchaot. 18 juillet 1917 Le détachement de Tipindjé reçoit l’ordre d’attaquer la tribu de Kavéat et de procéder à un « nettoyage intégral » de la zone comprise entre Oué-Hava et Tiouandé. 19-20 juillet 1917 Attaque « rebelle » sur des propriétés et villages de colons à Ouarégath et à Pindache (près de Hienghène). 20-22 juillet 1917 Les auxiliaires attaquent Néami et Bobéitio. 23 juillet 1917 Les auxiliaires attaquent le campement « rebelle » du rocher Até. 24 juillet 1917 Des soldats du détachement de Voh attaquent le village « rebelle » de Morandia, au sud-ouest de Oua-Tilou. 24-25 juillet 1917 Les auxiliaires pénètrent dans le bassin de la Pamalé et entament une descente vers la vallée de la Tipindjé. Pendant la quinzaine qui suit (jusqu’au 11 août), des assauts répétés sont lancés contre les villages de la région de Oué-Hava et Ouen-Kout. 3 août 1917 Le détachement de Koné, assisté de volontaires, attaque Paloua (haute Pouembout). 10 août 1917 Il est signalé qu’une station à Côgo a été pillée. 11 août 1917 Auxiliaires démobilisés à Tipindjé et renvoyés dans leurs foyers. 14 août 1917 118 personnes de la région de Koné se placent sous la protection de Tobie, chef de Tiwaka. 10 hommes sont envoyés à Nouméa comme prisonniers. 19-23 août 1917 Le détachement de Voh tue plusieurs personnes aux environs de Côgo tandis que les « rebelles » lancent un raid sur la réserve de Ouanache pour la deuxième fois. 23-24 août 1917 L’épouse de Poindet Apengou et plusieurs autres femmes sont capturées près de Bopope. 26-27 août 1917 Soldats et volontaires attaquent un campement près de Tiouandé. à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc 4 © env. 30 juin 1917 9 septembre 1917 Attaque « rebelle » contre le poste militaire de la station Martin à Pouépaï (Voh). c.13-15 septembre 1917 Poindet Apengou et Paétou rencontrent Maurice Leenhardt à Poyes ; Paétou se rend à Leenhardt. 21 septembre 1917 L’Administration décide de mobiliser à nouveau les auxiliaires. 25-26 septembre 1917 Le détachement de Koné capture 5 hommes et 10 femmes à Noéna dans la vallée de la haute Tiwaka. env. 15 octobre 1917 Soldats et tirailleurs sont retirés de la côte Est en attente de l’arrivée du El Kantara. 200 auxiliaires sont déployés à Tipindjé sous le commandement du géomètre Bernier. 16 octobre 1917 Les auxiliaires repèrent un groupe important (présumés « rebelles ») comprenant des femmes et des enfants, sur les crêtes séparant les vallées de la Tipindjé et de la Hienghène près de Tiendanite. Ils reçoivent ordre de ne pas pénétrer dans les vallées de Poyes, Tiendanite et Hienghène où des tentatives de pourparlers avec différents groupes de « rebelles » sont en cours. 21 octobre 1917 Le détachement de Koné repère un groupe de « rebelles » à Pamalé occupé « à rallier le bétail ». 22-23 octobre 1917 Poindet Apengou est arrêté dans la vallée de la haute Tiwaka. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 15 personnes de Pouépaï et de Coumpetch (y compris 7 « rebelles ») se rendent à Fourcade à Hienghène. Permission leur est accordée de rester à Tiendanite. 23-24 octobre 1917 Le détachement de Koné et les volontaires coordonnent une opération contre les « rebelles » aperçus à proximité de Pamalé. Les auxiliaires de Tipindjé sont positionnés de manière à empêcher toute retraite. 27 octobre 1917 Arrivée du El Kantara avec environ 200 permissionnaires européens. Repiquet indique dans son rapport que la rébellion est « en voie d’extinction » ; le nombre de capitulations augmente, ainsi que le nombre de tentatives de pourparlers. N.B. : Les auxiliaires sont mis en repos pour la plus grande partie du mois de novembre. 10 novembre 1917 Départ du El Kantara avec environ 773 hommes (soldats et tirailleurs). 14-18 novembre 1917 Négociations avec les « rebelles » dans la région de Tiendanite. Louis Poulet, un colon de Hienghène, rencontre Kavéat pour négocier vers le 16 novembre 1917. env. 22 novembre 1917 Repiquet demande à Murard de faire une dernière tentative de négociation avec Kavéat. 23 novembre 1917 Le commandant supérieur Durand doit être remplacé par le capitaine Milledrogues (à ce moment-là en route pour la France). Repiquet se retrouve seul maître des opérations finales de la répression. 24 novembre 1917 Repiquet indique dans son rapport que les pourparlers avec Kavéat ont échoué ; les troupes reçoivent ordre de reprendre les opérations dans les régions de Tipindjé et Pamalé. 28-29 novembre 1917 Les auxiliaires reprennent les combats et lancent une attaque contre un campement à Compouech, au-dessus de Tiendanite ; l’attaque échoue. Dans son rapport, Bernier écrit que l’expédition a été « un fiasco complet » et que les « rebelles » avaient tous trouvé refuge à Tiendanite. Bernier ordonne aux auxiliaires de ne pas faire feu, dans le but de donner aux fuyards une fausse impression de sécurité. © env. 23 octobre 1917 Permission est donnée aux auxiliaires de franchir les crêtes séparant les vallées de la Tipindjé et de la Tiendanite. Un poste militaire est installé à l’extrémité de la vallée de la Tiendanite. 3 décembre 1917 Un communiqué annonce que les permissionnaires (qui devaient partir ce jour-là) doivent maintenant rejoindre le 1er bataillon d’infanterie coloniale. 6 décembre 1917 Un communiqué confirme qu’un « sursis provisoire » est accordé aux permissionnaires. Ratzel appareille de Nouméa pour prendre le commandement de la phase finale de la répression à Hienghène. Il est accompagné de « soldats calédoniens de retour du front ». Il débarque à Hienghène le 8 décembre 1917. 8 décembre 1917 Les auxiliaires tuent trois personnes à Tendo. 9 décembre 1917 Doui Bwarhat conseille aux habitants de la haute Hienghène de descendre vers la côte pour éviter d’être considérés comme des « rebelles » ; il installe des drapeaux pour indiquer les limites de son territoire. 13-14 décembre 1917 Trois colonnes d’auxiliaires et de soldats (240 hommes) attaquent un campement à l’est de Tendo. 16 décembre 1917 16 décembre 1917- ? janvier 1918 Les auxiliaires tuent 16 personnes près de Tendo. M 1er décembre 1917 à w C K- C AD é/ Vé Les auxiliaires poursuivent les « rebelles » en direction de Coulna à travers une forêt dense et sous une forte pluie. C Un cessez-le-feu de 24 heures permet à Goa, grand chef de Tendo, ainsi qu’à Mindia, petit chef de Tiendanite, et à leurs hommes de descendre dans la vallée pour se rendre. À la date du 26 décembre à Hienghène, 212 « rebelles » se seront rendus, dont 167 adultes. 67 seront envoyés à Nouméa comme prisonniers. 10 janvier 1918 Noël de Tiamou est tué et décapité près de Koniambo par Mohamed ben Ahmed. 11 janvier 1918 Poindi, « frère de Noël », est tué et l’épouse de Noël est capturée. 15 janvier 1918 Les auxiliaires reprennent les opérations. Bernier remplace Ratzel au commandement des opérations dans la région de Ouango. 23 janvier 1918 Les auxiliaires retournent à Tipindjé et sont finalement démobilisés. 31 janvier 1918 Repiquet demande en vain la permission de décréter l’état de siège, pour pouvoir faire juger les meneurs présumés par un tribunal militaire autorisé à prononcer des peines capitales. 6 février 1918 Le corps de Kavéat, chef de Tipindjé, est retrouvé et identifié. 23 février 1918 Des patrouilles sillonnant la région de Katémoinda (source Ouasibou, région d’Ouindé Poaye, Paola) ne trouvent rien. Les partisans de Tiaoué rentrent sans avoir trouvé trace de « rebelles » dans la région Atéou Néami, pas plus que dans les massifs de Tandji et de Poindala. 27 février 1918 Arrestation de Oigni/Waï, frère de Noël de Tiamou, et de quatre autres hommes. 21 mars 1918 Adjudant-chef Durand (Koné) : « Estimant campagne répression rebelles presque terminée demande autorisation retirer fusils 74 entre mains partisans Baco, Koniambo, Tiaoué. » L’aménagement du fort de Tiénitap est terminé. mars 1918-mai 1919 Instruction judiciaire : au moins 971 procès-verbaux d’interrogatoires. 23 mai 1918 6 hommes se rendent à Kouya. env. juin 1918 Plus de 256 personnes inscrites comme prisonniers à Nouméa. 1er juin 1918 Adjudant-chef Durand (Koné) : page 9 : « Quelques mauvaises têtes irréductibles ont groupé autour d’elles quelques inconscients et trouvent encore asile dans certains coins reculés et inexpugnables des forêts de la chaîne centrale. Ils sont peu nombreux, méfiants et ont surtout peur. » Durand explique que la seule façon d’atteindre ces hommes est à travers « des paroles de paix » ou « nuitamment et par surprise ». 3 juin 1918 Environ 200 soldats restent sur la région, cantonnés en 13 postes : Hienghène, 30 ; Tiendanite, 15 ; Tendo, 15 ; Gaavatch, 4 ; Tipindjé, 26 ; Néhouyou, 15 ; Koné, 31 ; Poindah, 10 ; Pana, 8 ; Voh, 25 ; Tiénitap 15 ; Ouapane, 6 ; Pouépaï, 6. juin 1919-septembre 1919 Le procès : 68 hommes sont jugés. Bilan : 5 décèdent pendant le procès ; 12 sont acquittés ; 56 sont condamnés aux travaux forcés ; 5 sont condamnés à mort (2 décèdent en prison, 1 est gracié, et 2 sont guillotinés le 8 octobre 1920). T 22 décembre 1917 k. dc .a w w |w nc Traduction française : Stéphane Goiran Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 5 La guerre kanak de 1917 © M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc 6 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 e d e l o r a p s a e l d n e o t i d n s e s n e io placem répr t a l u Circ re et dé ite à la guer lations su p op u © A M lors que d’autres messages du même type étaient envoyés vers Koogo et Haut-Coulna, l’invitation à entrer en guerre a été lancée par le chef Bwarhat de Hienghène. Le bùrù était signifié par une monnaie noire qu’apporta Näbatögöröwèè – vraisemblablement un émissaire de Kaféat, chef de Wankuut, ou Kaféat lui-même – à Pamalé. L’invitation à entrer en guerre a ainsi atteint les gens de Koné, sur la côte Ouest, via les villages kanak, alors nombreux, de la haute vallée de la Tipijé. à w C AD é/ Vé C C K- Le messager expliquait qu’il fallait se battre pour échapper à la conscription forcée à laquelle la France procédait alors pour envoyer des « volontaires » à la guerre de 14-18. T La parole de guerre fut tantôt acceptée, tantôt refusée par les tribus du bassin de Koné. Les partisans de la guerre eurent du mal à convaincre beaucoup de clans à s’engager dans l’aventure. Les incidents de Cémû, en avril 1917, radicalisèrent les positions et firent passer Bwëé Noël Néa mä Pwëtiba [dit « Noël de Tiamou »] et son frère Wâii à l’action contre les Blancs. .a w w |w k. dc La répression contre les Kanak a été systématique et a rayé de la carte au moins une vingtaine de villages, dans les vallées de Pwëbuu (Pwaalowë), de Tipijé et de la haute Hienghène. Le nombre des victimes a été jusqu’à ce jour, à mon avis, largement sous-évalué. Les opérations militaires orchestrées par les autorités françaises et mises en œuvre sur le terrain par des bataillons composés de soldats français et tahitiens, de quelques fils de colons et appuyés par des « auxiliaires indigènes » venus principalement de la région de Houaïlou ont contraint les rescapés à s’enfuir et à chercher refuge, soit auprès des clans qui n’étaient pas entrés en guerre, soit auprès des missionnaires catholiques ou protestants qui troquaient leur protection contre la soumission à l’ordre missionnaire. Ainsi, de nombreux fuyards originaires de la côte Ouest gagnèrent la côte Est ou bien attendirent la fin des hostilités pour retrouver, quand cela était possible, leurs habitats antérieurs. En 1917, la carte foncière et l’implantation des populations dans leurs espaces en ont été profondément bouleversées au détriment des Kanak et ce, jusqu’aux événements de 1984. nc Alban Bensa Cette carte, publiée en 1978 dans le courrier du musée de l’homme, a été revue et corrigée pour sa réédition dans ce numéro de Mwà Véé. Les corrections et ajouts ont été reportés par Johana Téin. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 7 La guerre kanak de 1917 La « Dernière Révolte » de Kanaky vision de conflits passés dans un avenir Par Adrian Muckle © Le préambule de l’Accord de Nouméa signé en 1998 offre un prisme utile à la réflexion sur les représentations du passé colonial en Nouvelle-Calédonie. La France et les communautés locales de colons reconnaissent que la colonisation a privé les Kanak de leur identité, aujourd’hui reconnue comme légitime. À leur tour, les Kanak reconnaissent que certains colons furent plus compatissants que d’autres, que certains d’entre eux arrivèrent en Nouvelle-Calédonie contre leur gré, et que les nouvelles communautés ont beaucoup contribué au développement du pays : « Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière1. ». Mais ceci constituet-il une fondation suffisamment solide pour bâtir un avenir commun ? Ces « ombres » ont-elles été explorées ? Les temps difficiles ont-ils été reconnus ? En quoi un tel souvenir ou une telle reconnaissance peuvent-ils affecter les tentatives visant à établir une nouvelle identité nationale ? M à w T C C K- C AD é/ Vé L’importance accordée à l’identité « néo-calédonienne » et à une société multi-communautaire doit être considérée au regard des efforts engagés par les indépendantistes dans les années 1980 pour défendre et soutenir une identité nationale kanak tout en reconnaissant aux descendants de colons le statut de « victimes de l’histoire ». Cet effort de reconnaissance trouve cependant ses limites lorsqu’il s’agit de concilier la mémoire d’une mobilisation commune dans la Grande Guerre et celles de conflits locaux, générés précisément par le recrutement des « volontaires ». C’est le cas des affrontements qui eurent lieu en 1917-1918 dans le nord de la Grande Terre. Il est instructif d’examiner comment un tel événement a pu être représenté localement. Il est importe aussi de mettre en question les récits nationaux aujourd’hui émergents qui tentent d’éluder ou de marginaliser ces aspects du passé. Ce texte étudie la façon dont « cette guerre dans la guerre » a été représentée sur une période de quatre-vingt-dix ans, ceci permettant d’ouvrir la critique d’une certaine lecture des identités « néo-calédoniennes » et la manière dont ces identités sont formulées5. k. dc nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 Revoir en détail la guerre de 1917-1918 n’a pas sa place ici. Cependant, pour l’analyse qui suit, il est nécessaire d’en passer brièvement en revue les grandes lignes6. La « guerre de 17 » eut lieu à l’ombre de la Grande Guerre, en terrain vallonné, entre Koné et Hienghène, entre avril 1917 et mars 1918. Le recrutement massif de Kanak comme « volontaires » pour la guerre en Europe en fut le catalyseur immédiat. Des guerriers « rebelles » kanak lancèrent des raids sur des propriétés appartenant à des colons, attaquèrent des postes militaires et tendirent des pièges à des colonnes militaires. L’évènement causa un véritable bouleversement ; les propriétés européennes et les hameaux mélanésiens se vidèrent, forçant les habitants à trouver refuge sur la côte. La répression impliqua trois cents Kanak « loyalistes », quarante colons à cheval et jusqu’à quatre cents hommes de troupes (y compris des colons mobilisés ainsi que des volontaires kanak et tahitiens recrutés pour la guerre en Europe). Les forces « rebelles » comptaient environ cent guerriers dans leurs rangs, provenant d’une population locale de quatre mille cinq cents personnes. La répression se joua dans un contexte marqué par la limitation des ressources, l’emploi du temps des mobilisés et la question du retour d’Europe des soldats permissionnaires. L’un des derniers actes du conflit fut la décapitation du leader présumé des « rebelles », Noël de Tiamou, en février 1918. .a 8 w w Le symbolisme est une partie importante du type de projet de décolonisation et de construction de la nation annoncé par l’Accord. En 1999, dans un acte symbolique qui fit la une du journal Le Monde, le premier gouvernement élu après les dispositions de l’Accord inscrivit sur le mémorial de guerre de Nouméa les noms des Kanak volontaires morts au combat lors de la Première Guerre mondiale2. Au même moment, une exposition se tenait au musée de la Ville de Nouméa sur l’implication de la Nouvelle-Calédonie dans la guerre. À l’exposition et dans son catalogue, les Néo-Calédoniens apprirent que mille deux cent trente-quatre (1 234) citoyens français (y compris des métis) avaient été mobilisés ou appelés, et que mille dix (1 010) Kanak avaient été recrutés comme volontaires et enfin que cent quatre-vingt-cinq (185) de ces citoyens (soit 15 %) et trois cent quatre-vingt-cinq (385) Kanak (38 %) étaient morts à l’étranger3. Bien que la Grande Guerre n’ait pas joué le rôle de pilier qui a pu soutenir le genre de nationalisme observé dans les colonies voisines d’Australie et de Nouvelle-Zélande, l’un des historiens locaux participant à l’exposition a écrit depuis qu’insister sur la participation de tous les groupes ethniques à la Première Guerre mondiale aidera « l’ensemble des communautés calédoniennes à se forger ce destin commun prévu par l’Accord de Nouméa de 19984 ». |w À l’ombre de la Grande Guerre La guerre kanak de 1917 Nouvelle-Calédonie : commun © M à w T C C K- © Archives de la Nouvelle-Calédonie, album des pasteurs Maurice et Raymond Leenhardt, 2 Num9 C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc Au total, la guerre contribua, directement et indirectement, à la perte de deux cents à trois cents vies humaines dont environ quatorze colons et militaires. Une estimation officielle, portant à soixante le nombre de « rebelles » tués, sous-estima au moins de moitié le nombre de personnes tuées en action7. De plus, deux cent cinquante Kanak furent emprisonnés à la fin de la guerre et plus de soixante Kanak moururent en captivité. En 1919, soixante-dixhuit hommes furent jugés, soixante et un furent condamnés et deux furent exécutés8. Le cadre administratif et judiciaire de « 1917 » Durant 1917 et 1918, des hommes s’efforcèrent des deux côtés de comprendre le conflit. Un enseignant protestant, Téin Baï, saisit les incertitudes de nombre des belligérants kanak et signala qu’il existait plusieurs causes au conflit. Certes, l’opposition au recrutement des Kanak comme soldats et les méthodes de recrutement de l’administration représentèrent les premiers griefs. Mais des plaintes plus anciennes portaient sur l’imposition de régulations sanitaires, la collecte de l’impôt de capitation et les réquisitions de main-d’œuvre. Des doléances évoquaient insultes, inimitiés, conflits liés à des questions de terres et de femmes et rivalités entre chefs9. Soldats avec des auxiliaires kanak Les premières explications officielles données à la « guerre de 17 » laissèrent entrevoir le jeu de contradictions intéressées. Au début de l’année 1918, le gouverneur Jules Repiquet demanda la permission de déclarer l’état de siège afin de hâter l’application des sanctions et, si nécessaire, l’exécution des prisonniers Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 9 La guerre kanak de 1917 © M à w T C C K- C AD é/ Vé devant les tribunaux militaires. Cette demande fut rejetée. Le ministère des Colonies fit remarquer qu’il n’y avait aucune preuve d’un danger imminent – preuve exigée légalement pour appliquer l’état de siège – et que la demande serait rejetée par le Parlement qui devrait en être informé. L’administration locale, en imposant la reconnaissance du conflit comme « guerre étrangère » ou « insurrection à main armée » (comme l’impliquait l’état de siège), espérait ainsi rendre le gouvernement métropolitain redevable des frais occasionnés par la répression. Ceci aurait permis de contourner les conventions conclues en 1905 entre le gouvernement central et le gouvernement local, marquant officiellement la fin de la « conquête » française – conventions qui prévoyaient de transférer sur le budget de la colonie le coût du maintien de l’ordre et des opérations désormais qualifiées de « police » (terme utilisé lors de la première mention de la situation en mai 1917). En guise de compromis, les représentants du ministère à Paris admirent que le conflit puisse avoir été lié aux conditions exceptionnelles créées par la guerre en Europe, l’administration locale refusant néanmoins de reconnaître sa responsabilité concernant ses pratiques de recrutement militaire. En revanche, l’État français n’admettait pas que la guerre soit interprétée comme une conséquence de sa conquête de la Nouvelle-Calédonie. Elle devait être envisagée comme une affaire intérieure résultant de conditions exceptionnelles de temps de guerre. une tradition persistante de résistance dans la région de Koné-Hienghène. Il s’agissait d’un « sursaut de l’esprit de sauvage indépendance » émanant des tribus les moins civilisées et les plus farouches de la Grande Terre. Les Kanak, cependant, s’en étaient pris « moins à l’Administration qu’ils savaient bienveillante qu’au colon ; ils voyaient en lui l’ennemi10 ». Ce refrain d’un argument bien connu reflétait la détermination des administrateurs locaux à défendre leurs positions contre des critiques potentielles à la fois dans la colonie et en France. Il fut repris lors du procès de 1919. 10 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc Monument de Tiwandé. L’administration locale, témoignant devant une cour de justice pénale et dont l’action pouvait d’autant plus être mise en cause, défendit au contraire la thèse d’un conflit « racial » ancien, inhérent à la situation coloniale. Repiquet, se référant au rapport de l’officier de marine Henri Rivière, à propos de l’insurrection de 1878, soutint que malgré de nombreuses « causes directes et indirectes » impliquant l’administration, la cause la plus ancienne était « l’antagonisme existant entre les deux races en présence ». Il dépeignit la guerre à la fois comme un mouvement d’indépendance nationale naissant et k. dc .a w w |w Dans un rapport soumis avant le procès, l’inspecteur colonial Pégourier accepta l’argument de Repiquet selon lequel les « raisons occasionnelles » (« rivalités entre groupements indigènes, propos inconsidérés tenus par un petit chef et ses gens à l’occasion de la levée des tirailleurs volontaires, négligence et maladresse imputables au syndic de la circonscription ») étaient moins importantes que « l’antagonisme des races ». Pégourier nuança pourtant ce propos d’une manière significative, en faisant remarquer que « cet antagonisme est plus ou moins aigu et ses manifestations ne sont pas forcément armées. C’est aux pouvoirs publics qu’il appartient de prendre des mesures en temps utile pour éviter des excès douloureux suivis de répressions impitoyables11. » La critique voilée de Pégourier renvoyait en écho à l’insurrection de 1878 et au rapport de la commission d’enquête dirigée par le général Trentinian, pour porter la critique contre l’action des fonctionnaires locaux. Trentinian, en 1878, avait soutenu qu’une grande partie de la responsabilité incombait à l’administration locale qui aurait dû prévoir « l’envahissement des Blancs » et conseiller aux colons d’« être plus prudents » vis-à-vis des Kanak12. De nombreux colons, gendarmes, soldats et missionnaires, appelés à témoigner dans le procès de 1919, s’opposèrent à la thèse de la haine raciale soutenue par l’administration coloniale. Ils affirmèrent qu’ils avaient été abandonnés par une administration irresponsable qui aurait dû agir avec plus La guerre kanak de 1917 de fermeté dès le départ. Ceci montre combien ils se sentaient négligés par l’administration. Début 1919, les colons érigèrent [à Tiwandé, sur la côte Est], un mémorial officiel en mémoire des victimes non kanak du conflit. Selon le comité de collecte des fonds, l’obélisque de granit bleu devait affirmer « la vitalité » de la colonisation française, exprimer la gratitude envers les marins et soldats tués et imposer le respect aux « indigènes ». Ils exprimaient avec impatience l’attente d’une solidarité plus forte parmi la population coloniale à l’avenir, ceci faisant référence non pas aux relations entre colons et Kanak mais aux divisions sociales entre petits et grands propriétaires fonciers : il n’était alors nullement question des Kanak dans cette perspective13. © Lors du procès de 1919, les arguments avancés par l’administration furent contestés par l’un des avocats de la défense. Celui-ci affirma que « l’antagonisme des races » était une explication spécieuse et que l’administration, à cause d’un manque de « politique indigène » cohérente, avait échoué dans son devoir de civiliser les Kanak. Le chef du Service des affaires indigènes (SAI), Fourcade, reconnut que peu avait été fait pour les Kanak depuis 1853, que son service était désorganisé et ne comptait pas assez de personnel. Des colons attestèrent d’une administration qui refusait d’entendre leurs craintes et de les soutenir. D’autres témoins de la région de Koné déclarèrent à la barre qu’un ancien syndic abusait à un tel point de son statut que « des mécontentements devenaient inévitables ». En effet, le syndic avait imposé aux Kanak des amendes non officielles et en partageait les bénéfices avec ses complices kanak14. les clôtures (qui ne fut appliqué que temporairement), le contrôle du service exercé par la gendarmerie. Les nouveaux colons récemment arrivés sur le territoire furent rassurés : en dépit de la récente « insurrection indigène » qui eut lieu en 1917, « tout le monde nous assura qu’il n’y avait rien à craindre des Kanak qui nécessitaient seulement d’être tenus d’une main ferme15 ». M à w T C C K- C AD é/ Vé L’administration ne fut pas la seule à se livrer à ce genre d’exercice. Le père Rouel, un missionnaire catholique qui avait exercé le rôle de caporalchef durant la répression, écrivit sur sa volonté de ne pas évoquer les « troubles récents » : « le silence dans la plupart des cas sera ma règle16 ». Il se félicita néanmoins de la défaite kanak qui lui avait donné « un argument de poids contre les funestes superstitions17 ». Nommé par la suite à la mission de Hienghène, Rouel prit en charge plus de vingt enfants orphelins. L’un des enfants placés à sa charge, dont la mère avait été tuée, s’appelait Wenceslas Thi, le père du futur dirigeant politique JeanMarie Tjibaou. Le procès n’avait pas complètement résolu la question de la responsabilité mais le débat devint moins virulent après 1920, lorsque deux des hommes jugés coupables furent exécutés. À ce stade-là, les gens, toutes communautés confondues, désiraient oublier le passé. Des mesures furent prises pour éviter de nouvelles révoltes et dissiper les craintes des colons : le rétablissement de postes militaires, la construction de routes, le renforcement de la réglementation portant sur Les Kanak prirent part aussi à cette œuvre du silence. La discrétion protégea en effet plusieurs hommes recherchés par les autorités ; ils vécurent cachés jusque dans les années 1940. De nombreux Kanak recherchèrent la protection des missions. De nouvelles conversions au christianisme ainsi que des projets de constructions d’églises k. dc .a w w nc Alors que les tensions entre les colons et l’administration semblaient dominer les débats, des témoignages de Kanak mirent en lumière les rivalités entre Kanak. En vue du procès, la plupart des prisonniers furent interrogés au sujet de leur participation au conflit. Nombre d’entre eux saisirent l’opportunité pour y dénoncer leurs rivaux. Ainsi fut révélé le rôle majeur du chef de Hienghène, Doui Philippe Bwarhat, dans la mobilisation de combattants pour la guerre. Cette accusation ne fut jamais prouvée officiellement mais la mort ultérieure de ce chef (largement admise comme étant un suicide, bien qu’il ait été également atteint d’une maladie incurable) fut considérée comme la preuve de sa culpabilité ; elle contribua à obtenir l’acquittement de douze des soixantedix-huit hommes accusés. |w L’œuvre du silence Pour sa part, Maurice Leenhardt, le missionnaire protestant, trouva une flèche d’église sculptée qu’il sauva des cendres d’une maison appartenant à un chef « rebelle » présumé. Il l’exposa à son poste de missionnaire, en espérant que cela incite à la réflexion sur « la folie de la guerre » et sur l’échec « du paganisme18 ». Il fit également pression sur l’administration afin qu’elle permette aux femmes et aux enfants capturés par les auxiliaires kanak de retourner dans leurs tribus respectives19. Leenhardt avait de la compassion pour les « rebelles » mais regrettait qu’ils n’aient « jamais su formuler d’avance leurs griefs, si faciles à justifier en bien des points20 ». Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 Monument de Tiwandé. 11 © Archives de la Nouvelle-Calédonie, album des pasteurs Maurice et Raymond Leenhardt, 2 Num9 La guerre kanak de 1917 Gendarmerie de Koné, 1917. © M absorbèrent les énergies. Le silence bien gardé ne signifiait en aucun cas que la guerre avait été oubliée. Les séquelles de la guerre, les orphelins, les cicatrices des survivants, les paysages défigurés, les jardins et les villages abandonnés, rappelaient à tous ce qui s’était passé. Malgré le souci de l’administration de dissiper les peurs, la possibilité d’une nouvelle révolte, cependant, resta une préoccupation majeure et les familles, de colons et de kanak, vécurent, dans les années 1920, dans la peur mutuelle de représailles21. à w é/ Vé récits européens tendirent quant à eux à minimiser la durée et le nombre de victimes du conflit même si l’image d’une « sauvagerie » si proche pouvait tenter quelques écrivains. T C Bien que cette idée de l’extinction d’un peuple persistât, la population kanak commença à se redresser à partir de 1921, après avoir atteint son niveau démographique le plus bas dans le sillage immédiat de 1917 et de la guerre en Europe. À l’ombre de la Deuxième Guerre mondiale et de l’arrivée massive des troupes alliées en Nouvelle-Calédonie, les visions reliant un passé récent exotique ou sauvage, aux Kanak civilisés d’aujourd’hui, étaient particulièrement mises en avant. Pour H.P. Schmidt, l’auteur néo-calédonien de New Caledonia : Know Her to Love Her (1944), la guerre de 1917-1918 reste un exemple récent et séduisant du cannibalisme des mers du Sud, mais il minimise l’ampleur du conflit et il met l’accent sur l’absence de tout danger : En 1917, alors que de jeunes recrues, en partance pour la France, quittaient Koné pour Nouméa, les indigènes de Koné et de Hienghène s’insurgèrent. Il fallut trois mois pour les soumettre. Ils tuèrent trois colons et deux soldats. Mais de nos jours, grâce à nos missionnaires, grâce à la sollicitude de notre Parlement local, qui a également ouvert des écoles et civilisé les indigènes, il n’y a rien à craindre d’eux 28 . Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 Les chiffres avancés par Schmidt sont les plus bas jamais donnés, que ce soit en ce qui concerne la durée de la guerre ou le nombre de victimes. Ils sont également un exemple de la manière dont les mentions aux décès kanak ont été complètement supprimées des archives publiques. nc Je ne m’attendrissais pas sur le sort de ces Noirs, car nous n’étions là que pour les tuer. Mais il y a dans l’agonie d’une race une si tragique mélancolie qu’elle émeut ceux-là mêmes qui la provoquent — ne serait-ce k. dc .a w w |w 12 C Lors des décennies suivant 1917, la part consacrée au conflit dans les archives publiques diminua. Les récits kanak ne furent évidemment pas publiés. Les K- Les migrations liées à la « guerre de 17 » réorganisèrent les espaces de résidence. On a parfois affirmé que la guerre n’avait pas entraîné de pertes de territoires22. De fait, il n’y eut aucune confiscation de terres et les réserves étaient déjà délimitées. Mais ce n’est qu’après 1917 que les Kanak furent véritablement contraints d’y résider. Il y avait eu des mariages pendant la guerre comme il y en eut après – l’échange de femmes faisant partie des alliances formées dans le passé – et des enfants étaient nés de ces unions. Leurs décès donnèrent avec le temps l’opportunité de se souvenir des alliances ou des unions passées. Le mariage de Wenceslas Thi à une femme de la famille Bwarhat fut considéré comme une de ces alliances, servant de moyen de réconciliation entre les chefs du haut et du bas de la vallée de Hienghène23. C AD Dans les années 1920, 1930 et 1940, les « rebelles » kanak furent dépeints comme de féroces cannibales. On fit référence aux évènements de « 1917 » de manière à laisser supposer qu’un peuple sauvage vivait toujours à proximité. En 1922, tout ce que l’historien local Clovis Savoie trouvait à dire à propos de « 1917 », c’était que les Kanak, « restés à l’état sauvage », avaient dévoré leurs prisonniers comme un signe de l’« ultime vengeance » du vainqueur sur le vaincu 24. Dans la préface de l’édition de 1941 d’une collection de nouvelles, Jean Mariotti, écrivain natif de Nouvelle-Calédonie, fit remarquer que « lors de la dernière révolte en 1917, les tribus du Nord tentèrent un retour à la vie d’autrefois, selon toute la rigueur du rite ancestral 25 ». Dans sa nouvelle intitulée « Paysage », Mariotti décrit la vie dans un poste militaire pendant la répression et évoque les « incohérences » des guerres faites simultanément en Europe et en Nouvelle-Calédonie26. Son récit évoque rapidement la brutalité de la répression et la chasse aux têtes, officiellement autorisée, perpétrée par les auxiliaires kanak. Il termine sur le commentaire suivant : que dans le court instant où le vainqueur, sentant le vaincu au penchant de l’abîme, jette sur lui ce regard que nous accordons à ce que le néant engloutit 27. Le journaliste australien Wilfred Burchett raconta les expériences de Nicolas Ratzel, chef géomètre du Service topographique, qui avait organisé la répression, ainsi que les impressions de ce dernier à propos du talent de limier des traqueurs kanak 29. Dans l’avantpropos de Cannibal Island (1944), H.E.L. Priday rappelle aux lecteurs que « le passé de l’ancienne Mélanésie » n’est pas « si loin, et que cela fait même La guerre kanak de 1917 comme un choc de trouver à Nouméa des gens dont les parents ont été tués à la hache, pas plus tard que 1917, par des sauvages couverts de peintures de guerre. » C’est Priday qui fit référence à « 1917 » comme à la « dernière des révoltes kanak 30 ». Il fut le premier à faire remarquer qu’elle n’avait reçu que peu d’attention hors de Nouvelle-Calédonie, le conflit ayant été éclipsé par la Grande Guerre ; selon lui, l’histoire de « 1917 » attendait d’être écrite. © Il se peut que cet intérêt renaissant pour la Nouvelle-Calédonie lors de la Deuxième Guerre mondiale poussât Ratzel à écrire ses propres Mémoires en 1944. L’idée de la sauvagerie travaille de façon significative son texte. Ratzel se dépeint, en même temps qu’il dépeint ses compagnons de route, comme ceux qui ont excité la sauvagerie des auxiliaires. Il se targue de l’opportunité rare qui lui est alors offerte : « D’avoir saisi sur ces faces humaines cette fugitive image de la cruauté ancestrale était certainement une chose très rare31… ». En pensant à l’avenir, il chercha à fournir une description détaillée pour donner aux historiens futurs un matériel capable de fonder une appréciation objective32. M travailler dans la région de TouhoKoné dès les années 1970, tranche avec ces interprétations d’un conflit limité et sans conséquence. « La répression », selon eux, prit « la forme d’une véritable catastrophe » pour les Kanak dans la région. Les migrations et la perte des villages eurent des effets durables. Ils présentent « 1917 » comme un moment déterminant où les structures, les alliances ou les divisions qui perdurent encore aujourd’hui furent créées : « Tous les faits de l’histoire individuelle ou collective évoqués de nos jours sont situés par rapport à cette coupure dans le devenir du monde mélanésien colonisé : “c’était avant 17, c’était après 17”. Cela n’était pas seulement dû à l’impact de la répression mais également à la longue période d’organisation qui impliqua une reprise intense de la diplomatie et des alliances, à la fois politique et symbolique : “Les relations entre lignages et entre clans prirent alors une configuration particulière qui, malgré le temps, s’est perpétuée jusque dans les discours et les actes des Mélanésiens d’aujourd’hui39” ». à w points de vue, savoir si ces évènements se réduisent à une « rébellion » organisée (argument de l’accusation au procès) ou s’ils sont simplement la conséquence des provocations européennes et de l’incompétence administrative (argument de la défense). Il conclut qu’ils étaient un acte de désespoir voué à l’échec, provoqué par la confiscation des terres et par l’incapacité de l’administration à rendre la justice. Mais à part mentionner les liens avec la guerre de 1878-1879 et le déclin démographique, Guiart ne dépasse pas le cadre de l’acte d’accusation émis en 1919 et des commentaires fournis par Leenhardt. Les seules histoires orales citées par Guiart sont européennes ; il minimise lui aussi le nombre de victimes, réduisant de moitié le chiffre officiel de soixante Kanak tués35. T C C K- C Dans les années 1970, « 1917 » est déjà devenue l’incarnation de la fin de l’apaisement colonial et de la fin de la soi-disant sauvagerie. Mais les partis politiques [NDLR : sous-entendu, indépendantistes] commencent alors à prôner l’indépendance de la NouvelleCalédonie ; dans les quinze ans de lutte parfois violente qui suivirent, « 1917 » et les périodes antérieures de conflits coloniaux prirent une nouvelle importance. k. dc .a nc Le travail d’Alban Bensa et de JeanClaude Rivierre, un anthropologue et un linguiste qui commencèrent à La lutte pour l’indépendance : les histoires en noir et blanc w w |w En 1970, Jean Guiart, un ancien étudiant de Leenhardt, publie un exposé sommaire de « 1917 » dans le Journal de la Société des Océanistes. Guiart y examine les « évènements de 1917 » et confronte deux AD Jusqu’au milieu des années 1970, les récits publiés sur les « évènements de 1917 » continuent de minimiser leur ampleur et leur importance. Le travail de l’ancien missionnaire Maurice Leenhardt a une influence notable. Dans des travaux ethnographiques publiés dans les années 1930, 1940 et 1950, Leenhardt fait appel à sa propre expérience de « 1917 » dans ses échanges de points de vue sur la guerre et la diplomatie kanak 33, portant un jugement moral sur la nature de la résistance qu’il estimait être un modèle de résistance inappropriée et rétrograde impliquant la réapparition de pratiques païennes34. é/ Vé L’héritage de Leenhardt À la fin des années 1970, l’implication de Leenhardt dans la guerre devient le centre de l’attention dans les publications produites lors du centenaire de sa naissance en 197836. Ces publications soulignent les critiques de Leenhardt au sujet des abus du colonialisme et célèbrent le moment où il parvient, en septembre 1917, à convaincre l’un des jiaou (sorciers) de se rendre. Les Mémoires de sa fille, Roselène Dousset-Leenhardt, cherchent à corriger la couverture partiale du procès de 1919 dans la presse locale. Néanmoins, en décrivant l’implication de son père, elle donne l’impression que la reddition du sorcier marque la fin de la guerre alors que celle-ci durera plusieurs mois encore et elle minimise l’étendue de la répression37. Dans sa biographie de Leenhardt, James Clifford est plus critique. Il décrit les appréhensions de Leenhardt, ses tentatives angoissées de maintenir son indépendance vis-àvis de l’administration et son regret de ne pas avoir été franc plus tôt. Dans l’ensemble pourtant, le compte-rendu de Clifford de la « guerre et de la rébellion » reprend et paraphrase les propres points de vue de Leenhardt : « 1917 était une rébellion « vouée à l’échec » qui manquait de « stratégie d’ensemble », même si « beaucoup reste encore incompris38 ». En 1976, Firmin Dogo Gorohouna, lié de près à une famille qui avait soutenu l’administration en 1917, publie l’un des premiers récits kanak de « 1917 » dans le journal Les Nouvelles calédoniennes et s’oppose aux revendications de « l’indépendance kanake ». Son propos souligne la futilité de la guerre pour laquelle des gens « se sont fait tuer pour rien », l’importance du respect de la France et ce qui pouvait être obtenu en Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 13 La guerre kanak de 1917 collaborant avec les autorités françaises. Le compte-rendu de Gorohouna insiste sur les conflits entre Kanak, la guerre entre les chefs de Koné et de Hienghène, et déplore le « grand trou » que le conflit provoque dans la population de la région. © Alors que Gorohouna dénigre « 1917 » et les guerres précédentes – des actes de violence inutiles selon lui –, les partisans de l’indépendance les placent dans la lignée d’une résistance héroïque. « 1917 » et le nom de Noël deviennent les symboles de la résistance à la colonisation et vont de pair avec 1878 et son leader, Ataï. La mort d’un gendarme à Néami en 1987, l’arrestation d’un maire kanak de Koné, l’occupation de la gendarmerie de la région de Koné ainsi que la tentative du gouvernement français de faire une distinction entre la gendarmerie, « chargée de l’ordre public », et l’armée, « qui n’intervient seulement qu’en temps de guerre », poussent le journal pro-indépendant L’Avenir Calédonien à rappeler ceci aux lecteurs : M à w aidé à l’arrestation d’un chef kanak dans leur propre maison. À part le débat sur l’identité du chef en question, l’enjeu essentiel pour Griscelli est de défendre la réputation des colons. Il insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une guerre entre Kanak, et que les colons, présentés comme des amis intimes des Kanak, en furent les innocentes victimes47. La polarisation politique se reflète dans les histoires des Noirs et des Blancs dans lesquelles il n’y a pas vraiment d’entredeux. Les récits politiques écrits par des journalistes français et des universitaires principalement australiens dans les années 1980 réutilisent pour la plupart des récits des années 1970, et, dans certains cas, de manière inappropriée44. Dans la lignée de Guiart (1970) et de Saussol (1979), la plupart d’entre eux produisent des résumés succincts. Les points généralement répétés sont les suivants : les évènements de 1917 sont de moindre envergure et moins sanglants que ceux de 1878, les causes principales en sont les dommages occasionnés aux récoltes par le bétail, et dans une faible mesure, le recrutement ; « 1917 » témoigne, enfin, de la réapparition du paganisme et comporte des accents socio-religieux45. Le récit de Martin Lyons est le seul qui offre de nouvelles perspectives. En plus d’établir un lien entre l’assaut brutal au cours duquel le chef Tiéou de Paola perdit un œil en 1908-1909 et l’implication de celui-ci dans le conflit de « 1917 », Lyons insiste sur le fait que le conflit n’était pas simplement une redite en miniature de la grande insurrection : « Il y avait de nouvelles tensions en présence, superposées aux vieilles doléances par les pressions de la guerre. » Cependant, il donne l’impression que la mort de « seize Blancs » et l’internement de dix Kanak furent les seules conséquences de la guerre46. Cette réaction reflète à quel point les descendants des colons se sentent alors agressés par les critiques anticoloniales. La Société d’études historiques de Nouvelle-Calédonie, qui publie la critique de Griscelli, défend l’idée que « les contacts étaient constants, amicaux entre les deux ethnies : ils n’étaient pas des rapports d’oppresseurs à opprimés48 ». La vision des choses de Griscelli peut être mise en contraste avec les opinions exprimées par les colons à l’époque de la mort de ses grands-parents : ces derniers avaient été martyrisés pour leur empressement à aider l’administration, à soutenir la colonisation et à maintenir la justice française49. Ce point de vue, qui est admis presque aussitôt par les colons et l’administration, cache la violence et la duplicité utilisées lors de l’arrestation du chef. T Jacques Vasseur, l’auteur d’un article (1985) sur le rôle de Leenhardt dans la guerre, souligne la difficulté d’écrire sur « 1917 » pendant les évènements sans prendre l’un des adversaires à partie : Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc La place accordée à « 1917 » dans la rhétorique de la résistance au colonialisme provoque des réactions critiques de la part de ceux qui se posent en défenseurs des colons français. Un débat historique mineur voit le jour lorsque Paul Griscelli, le petit-fils de deux colons tués en 1917, rejette l’idée qu’ils aient pu avoir été tués pour avoir k. dc .a w w |w 14 C Comme le craignait Gorohouna, il y eut des morts dans les années 1980, ce qui revint à une guerre entre partisans de l’indépendance et opposants à celle-ci. En 1984, dix Kanak de Tiendanite, dont deux frères du leader du parti FLNKS, Jean-Marie Tjibaou, sont pris dans une embuscade et assassinés par des descendants de colons locaux. Juste après cette tragédie, Tjibaou rappelait que sa grand-mère avait été tuée en 1917 dans la même vallée C Dans la rhétorique de cette période, les noms de Noël et d’Ataï ainsi que les dates sont interchangeables : sur la couverture d’une histoire de la guerre de 1878, Terre natale, terre d’exil (1976) de Roselène Dousset-Leenhardt, apparaît une photo de la tête décapitée de Noël. K- L’armée en 1917, la gendarmerie en 1987 = mêmes méthodes. C’est l’armée, en 1917, qui fut chargée de la répression après la révolte des Kanak. Et l’on sait que les têtes de Noël et des leaders kanak furent mises à prix, tout comme celles d’Ataï et de Baptiste en 1878 40 . C AD é/ Vé et que son père, alors orphelin, n’en avait réchappé que de justesse41. Cette histoire, intitulée « Chasse à l’homme », forme le prologue de la biographie de Tjibaou et fait partie intégrante de la plupart des récits ultérieurs de sa vie42. De même, les autorités françaises dirent aux Kanak qu’ils auraient à « baisser leurs bras comme en 191743 ». De toute évidence l’histoire de la rébellion de 1917 ne peut fournir de justification à aucun des camps en présence, et l’heure n’est pas propice à la production d’un témoignage sévère pour les Blancs, et sans complaisance pour les révoltés. La réaction de Brou a bien montré, et le contenu de sa revue plus encore [celui de la Société d’études historiques de Nouvelle-Calédonie], que toute critique des Européens est considérée comme irrecevable, d’un certain côté. De l’autre, il faudrait peut-être, pour être agréable, faire de Doui [le grand chef de Hienghène] et de Kavéat des héros, de Mindia et de Néa des traîtres ? Ce n’est pas possible50. Suivant l’analyse de Leenhardt, Vasseur présente « 1917 » comme « une résurgence désespérée de l’« animisme » dans La guerre kanak de 1917 laquelle les cérémonies traditionnelles jouèrent un rôle important, et évoque les conclusions de Leenhardt sur son héritage : © La rébellion a-t-elle eu pour l’île des conséquences importantes ? Ce fut, nous l’avons dit, un phénomène local. Un mouvement païen et régressif, sans doute. Une révolte de Kanaks combattue victorieusement par d’autres Kanaks. Leenhardt, avec d’autres, qualifie pourtant ce mouvement de nationaliste, et lui-même a noté, dans le développement de la répression et les réactions qu’il suscite chez les Houaïlous, des manifestations de solidarité mélanésienne51. M L’idée d’histoire(s) parallèle(s) ou commune(s), expérimentée dans le domaine de la fiction par des romanciers et nouvellistes autour de la révolte de 187854, n’a pas ouvert une nouvelle forme d’écriture de l’histoire dans les cercles académiques en Nouvelle-Calédonie. Des recherches ultérieures réalisées par Sylvette Boubin-Boyer, étudiante de la nouvelle université locale, ne trouvèrent pas de preuves validant ce genre de lecture parallèle de l’épisode particulier mentionné par Barbançon55. Un numéro de Mwà Véé consacré au thème « les Kanak et la Grande Guerre 1914-1918 » comprend seulement des références marginales à la « révolte kanak » de 191756. Dans des recherches plus approfondies, Boubin-Boyer accentue le rôle que les Kanak et les colons jouèrent les uns comme les autres dans l’effort de guerre, regardant « 1917 » comme l’une des nombreuses guerres livrées par les Néo-Calédoniens pendant 1914-1918. Cependant, elle minimise à son tour son importance et décrit les actions kanak en termes négatifs. Elle met en doute la justesse du terme « guerre » pour décrire le conflit, au motif que les Kanak ne levèrent « ni une armée régulière, ni même de partisans », manquaient d’armes appropriées, favorisaient la « ruse », ne « livrèrent jamais bataille contre l’armée régulière » et préféraient la fuite. En ne prenant pas en compte les valeurs que les Kanak apportèrent au combat et aux formes d’organisation militaire mélanésiennes, cette affirmation ignore les histoires de combats en NouvelleCalédonie fondées sur des connaissances ethnographiques et critique la manière dont cette activité a été représentée dans les récits européens. Sa déclaration selon laquelle « il n’y a pas d’actions héroïques en 1917 » défie les représentations kanak populaires (à la fois passées et présentes), en particulier celles qui concernent Noël de Tiamou57. à w C La stèle de Pwönaacèn, photographiée en septembre 2008. T C C K- k. dc .a nc Dans la région Koné-Hienghène, « 1917 » vit toujours dans les histoires locales. Certains personnages et w w |w Durant les années 1980, les indépendantistes proposent aux descendants de colons qui souhaitent participer au futur d’une nation kanak indépendante – Kanaky – de s’identifier aux « victimes de l’Histoire52 ». Cette étiquette est offerte aux colons comme une condition sine qua non à l’acceptation au sein d’une nouvelle communauté nationale. Avant 1988, cette idée ne rencontre pas beaucoup d’adeptes parmi les historiens locaux, mais Louis-José Barbançon (un colon descendant de bagnards, homme politique centriste et professeur d’histoire) s’est depuis interrogé sur la possibilité d’une histoire parallèle de résistance kanak et caldoche face à l’autorité de la métropole : il évoque « les AD Les tensions et la violence politiques se sont apaisées en 1988 avec la signature des Accords de Matignon et Oudinot qui font place à une période de renaissance culturelle. La promotion de l’identité kanak, mais aussi calédonienne, ainsi que des discours historiques moins polarisés ont fondé de nouvelles représentations. La création de l’Université de Nouvelle-Calédonie, celle de l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK), et en particulier du magazine Mwà Véé, ont fourni de nouvelles tribunes pour renouer avec le passé. é/ Vé L’ère Matignon : forgée d’histoire(s) parallèle(s) ou commune(s) mutinés de l’El Kantara », (les troupes en partance pour la France en octobre 1917) et la guerre kanak de 1917, vues comme des révoltes en miroir et comme un exemple du « non dit »53. Ce qui reste de la plaque jadis apposée sur la stèle de Pwönaacèn. évènements sont connus de tous. Dans la région de Koné, la guerre est étroitement associée à Noël de Tiamou ou à son « frère », Waï. Leur attitude de défi face à l’armée française le jour même où la guerre éclata et la mort de Noël en 1918 des mains d’un colon « arabe » sont les évènements les plus souvent évoqués. La diplomatie et le jeu des alliances qui ont rendu la guerre possible sont le sujet de récits détaillés. D’autres détails communément évoqués concernent le témoignage de la femme du chef de Tipindjé pendant le procès de 1919 et le suicide qui s’ensuivit du Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 15 La guerre kanak de 1917 Ce texte d’Adrian Muckle est également appelé à paraître dans un ouvrage collectif, intitulé La Nouvelle-Calédonie à l’épreuve de l’Accord de Nouméa, publié sous la direction d’Elsa Faugère et d’Isabelle Merle. chef de Hienghène qu’elle avait dénoncé. Pour certains, « 1917 » fait toujours partie d’une tradition de résistance liée aux guerres précédentes et aux héros, alors que d’autres recommandent le scepticisme quant à ces récits et affirment que leurs aînés préfèrent cacher « la vraie histoire », c’est-à-dire le fait que la guerre a été menée pour une femme. © M à w Ceci implique la transmission de coutumes, le savoir qui permit aux gens de survivre aux évènements de « 1917 », et les histoires relatant la magie qui rendit les guerriers invisibles ou leur permit de passer à travers les balles. Les évènements, les causes ou les circonstances de « 1917 » devinrent secondaires par rapport au recensement des clans qui vivent aujourd’hui dans la région et à la représentation de l’arbre généalogique qui montre les relations entre ces clans58. dc .a w w |w Les références aux conflits passés (principalement 1878 ou 1984-1988) fournissent une toile de fond importante à de nombreux romans, pièces et nouvelles récents qui constituent la littérature néo-calédonienne émergente62. Dans son histoire « Utê Mûrûnû, petite fleur Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc 16 T [C]’est surtout pour rappeler à nos jeunes que si ces gens-là ont fui la colonisation d’une C Les organisateurs de cette marche de 1993 avaient des objectifs pédagogiques. Le but de la progression était d’immerger les jeunes dans leur environnement et dans leur histoire, c’est-à-dire d’apprendre les noms et les utilisations des plantes, l’environnement physique, les points de repère locaux et l’histoire qui leur sont associés. C Leur volonté de sauvegarder leur dignité doit nous inciter à méditer. K- Stèle en mémoire des lignées et des clans contraints de se séparer en ces lieux. C AD é/ Vé Conjointement à la marche de 1993 et à l’inauguration du monument à Pwônââcèn, une pièce de théâtre fut répétée et jouée par un jeune groupe local dans la tribu de Netchaot vivant à proximité. Comme le fit remarquer l’un des organisateurs et acteurs, « convaincre les anciens » de l’importance de dire l’« histoire » était nécessaire. Ce qui, en retour, impliquait que les jeunes gagnent la confiance et le respect de leurs aînés59. S’inspirant d’un document d’archives publié en 1983 (un rapport du gendarme de Koné, Faure, sur l’éclatement de la guerre), des histoires racontées par les personnes âgées du coin et des danses associées, la pièce portait principalement sur « 1917 » et l’expérience du petit chef de Netchaot. La manière dont la représentation fut reçue mit en lumière les susceptibilités locales. Les organisateurs de la pièce furent accusés dans un bulletin local de réveiller le passé inutilement. Quelques dignitaires locaux sortirent même de la première représentation en protestant60. De par la manière dont elle fut jouée lors du jour de la culture Palika à Baco en 1994, la pièce fut décrite comme un exemple d’« histoire locale destinée à la génération suivante61 ». de cocotier » (1994), Déwé Gorodé, une femme kanak, écrivain, socialiste, indépendantiste et vice-présidente du gouvernement local de NouvelleCalédonie, évoque la position injuste de la femme capturée en 1917, qui se plaignit d’avoir été « entraînée dans cette vilaine histoire » par son mari. La protagoniste de l’histoire, Utê, refuse un mariage arrangé au motif que « ses rites et ses discours renforcent les liens contractés par nos ancêtres par le passé et leur assurent un avenir tout tracé imposé à toute notre future descendance ». Sa grandmère, « fille et petite fille de guerriers qui eurent la tête tranchée pour s’être soulevés contre la razzia de leur hameau par les Blancs », décrit le statut d’objet des femmes dans les alliances qui rendirent la guerre possible. Même si l’histoire évoque les décisions tragiques prises par les hommes qui partirent en guerre en 1917 ou pour d’autres conflits similaires, l’histoire se concentre sur la liberté de choisir, la survie et le pouvoir de chaque femme de prendre en main son destin. Utê insiste sur le fait qu’aujourd’hui « on doit pouvoir décider soi-même de sa vie, de son avenir et léguer à ses enfants le droit au choix responsable ». Dans ce contexte, les révoltes passées sont vues en des termes négatifs, en tant qu’expressions de valeurs désuètes. C’est par leur dimension culturelle, plutôt qu’historique ou politique, que ces valeurs sont aujourd’hui inscrites dans la mémoire et implicitement condamnées. k. Le conflit a également été intégré dans une histoire de migration plus large. En 1993, une association culturelle de Poindimié de la côte Est organisa une marche qui suivit l’un des chemins pris par les familles de la côte Ouest en 1917. Accompagnés par leurs aînés locaux, les jeunes étaient encouragés à chaque étape à rechercher les origines des familles résidant dans chaque village, les sites occupés jadis par les différentes lignées et l’itinéraire de leur exil. La marche se termina par l’installation d’une stèle de pierre à Pwônââcèn sur la route KonéTiwaka. Le monument ne commémore pas explicitement « 1917 », mais renvoie à d’autres évènements ou individus ; à la différence du mémorial des colons élevé en 1919, il renvoie non pas aux victimes mais aux survivants et à l’éparpillement des familles sur plusieurs générations, à la suite de plusieurs guerres, dont les premières eurent lieu dans les années 1860. La plaque [aujourd’hui détruite] apposée sur cette stèle portait l’inscription suivante : part, et les guerres tribales de l’autre, [c’est] parce qu’ils voulaient rester en vie. Et c’est ça le plus important – vivre parce qu’on a des choses à donner, emporter, retransmettre. Conclusion L’Accord de Nouméa témoigne du sentiment que l’avenir du pays dépend de sa capacité à assumer le passé et à affronter l’écriture d’une histoire commune. À ce sujet, l’analyse récente de l’Australien Bain Attwood des histoires « communes » et des histoires « en partage » dans la nouvelle historiographie australienne et dans le discours public est très pertinente. Le but des histoires « communes » est de faire en sorte que les Aborigènes et les colons australiens adoptent le « même récit historique » et les promoteurs de ce genre d’histoires « cherchent à racheter l’histoire des La guerre kanak de 1917 © colons en Australie en faisant appel aux histoires sur les efforts humains ». Selon Attwood, cette « histoire commune » a des tendances historicistes ; ranger les « torts historiques » dans la catégorie des « torts du passé » ou des « injustices du passé » plutôt que dans les actions qui ont des conséquences encore aujourd’hui. Par opposition, le but des « histoires en partage » (associées aux recherches sur la « génération volée ») est de reconnaître que « non seulement il existe des perspectives historiques différentes du passé colonial mais également que celles-ci continueront à clairement s’exprimer. Cela suppose ainsi que l’avenir de tout procédé de « réconciliation » dépendra de la reconnaissance et de l’acceptation de différences durables (et donc d’une bonne dose de contradiction et de conflit) plutôt que de la tentative d’effectuer une fermeture sur un passé divisé. Les histoires en partage sont caractérisées par leur « diversité » et leur « pluralisme permanent63. » M à w tels que 1917 et de minimiser ou passer sous silence leur ampleur et leur souvenir. Les difficultés et les contradictions liées à un tel projet ne sont pas passées inaperçues localement. Jacqueline Dahlem fait remarquer que le manuel d’histoire produit à la suite des Accords Matignon représentait l’illusion d’une unité de la société néo-calédonienne, dans laquelle elle prenait la forme d’« un récit unique », mais était en réalité composée de deux histoires : « Deux visions opposées et complémentaires du même pays et de son histoire64. » Comme le suggère l’exemple australien, une vision unique du passé est réductrice ; il existe diverses manières d’assumer le passé et de nombreux moyens par lesquels cela peut être exécuté, représenté et se dérouler. Il est sûrement nécessaire de modifier la question posée par Jean Chesneaux — « deux points de vue opposés peuvent-ils devenir un seul point de vue dans le futur ? » — pour se demander non pas s’il peut y avoir une vision unique du passé à l’avenir, mais s’il peut y avoir un(e) quelconque dialogue, communication ou partage entre des visions différentes du passé en Nouvelle-Calédonie et en quels termes cela peut avoir lieu65. T C C K- C k. dc 31. R atzel (1944 : Cahier 11, p. 44). 32. R atzel (1944 : Cahier 8, pp. 55-56). 33. e.g. Leenhardt (1930 : 34-35) ; (1932 : 60-65). 34. Leenhardt (1953 : 207). 35. Guiart (1970 : 265, 278-280). 36. R .H. Leenhardt (1978, 1979) ; SEHNC (1994 [1978]). 37. Dousset-Leenhardt (1984 : 27-45). 38. Clifford (1982 : 92-104). 39. Bensa et Rivierre (1978). 40. L’Avenir Calédonien n° 977, 16 oct. 1987 : 1-2. 41. Tjibaou (1996 : 170, 257-8 et 284). 42. Rollat (1989 : 15-16) ; cf. Duroy (1988 : 113-114). 43. L’Avenir Calédonien, n° 963, 27 fév. 1987 : 1. 44. Par exemple, John Connell (1987 : 74-75) confondit un pilou supposé avoir eu lieu à Pamalé en 1914 avec le pilou organisé par l’administration à Tiamou le 28 avril 1917. 45. T hompson et Adloff (1971 : 249-251) ; Dornoy (1984 : 29-30) ; Aldrich (1990 : 91) ; Ferraro (1987 : 122). nc 10. Repiquet (1917) ; cf. Rivière (1881). 11. Repiquet (1917) ; cf. Rivière (1881). 12. Nouvelle-Calédonie et Dépendances ([1879]) 13. R atzel (1919). 14. Les comptes rendus des débats sont publiés dans le quotidien La France Australe et l’hebdomadaire Le Bulletin du Commerce. 15. Bellamy (1934 : 26). 16. Rouel (1918). 17. Rouel (1919). 18. Leenhardt (1922 : 159). 19. R .H. Leenhardt (1979). 20. Leenhardt (1918). 21. R isbec (1928 : 437). 22. Saussol (1979 : 322-325). 23. Rollat (1989 : 38). 24. Savoie (1922 : 4). 25. Mariotti (1941 : 9). 26. Mariotti (2000 : 60). Je remercie Sarah Powell d’avoir attiré mon attention sur cette nouvelle. 27. Mariotti (2000 : 59). 28. Schmidt (1944 : 12-13 et 21). 29. Burchett (1942 : 134-135). 30. Priday (1944 : 128). .a Il faut reconnaître que le passé de la Nouvelle-Calédonie n’est pas constitué uniquement d’évènements tels que w w |w 1. Accord de Nouméa (1998). 2. Madeouf (1999). 3. Musée de la Ville (1999). 4. Boubin-Boyer (2005). 5. D’après Chappell (1999 : 386), l’Accord de Nouméa et son préambule présentent un défi aux réticences vis-à-vis de la décolonisation engagée par la France à partir de 1946 [abolition du régime de l’indigénat] et ils rendent légitime « une nationalité calédonienne post-coloniale, même si c’est une nationalité hybride, affiliée à la France ». Examinant le projet d’élever le monument Mwâ Kâ à Nouméa, Mac Lellan (2005) montre les tentatives de promouvoir la réconciliation et de créer un pays. 6. Pour de plus amples renseignements, se référer à Muckle (2004). 7. Pégourier (1919). 8. Depuis 1919, le chiffre de 200 morts kanak est devenu l’estimation habituelle. Mes recherches confirment que ce chiffre peut être considéré comme convenable bien qu’il s’agisse probablement d’un minimum (Muckle 2004 : annexe 4). 9. Téin Baï (c.1918). AD Notes é/ Vé De ces deux approches, c’est le projet d’une « histoire commune » qui est le plus en évidence dans cette analyse des représentations du conflit de « 1917 ». Il se voit non seulement dans le préambule de l’Accord de Nouméa, mais aussi dans le souci des écrivains (y compris les historiens) depuis quatre-vingt-dix ans d’enfermer dans le passé les évènements ceux de 1917. Cependant, de tels épisodes de l’histoire fournissent un contrepoids important aux tentatives visant à poser les fondations d’un avenir commun. Bien que « 1917 » n’ait pas été aussi significatif que 1878-1879 en termes de pertes humaines, ses relations avec 1914-1918 placent cette année à un point stratégique dans l’historiographie ainsi que dans des représentations culturelles plus larges (comme le montrent les affirmations faites par Boyer et Barbançon). Bien que l’échantillon soit très petit, quelques tendances semblent néanmoins nettes. Alors que l’histoire récente de la Grande Guerre a donné de l’importance à « 1917 », la description de cette guerre reste empreinte de négativité et s’en tient aux premières représentations coloniales des violences kanak plutôt qu’elle n’implique de nouvelles analyses. Il en reste un sentiment fort selon lequel les Kanak sont enjoints d’expliquer ou à justifier les actes de violence du passé ou mettre en cause les pratiques culturelles qui les ont rendus possibles ; les communautés non kanak, elles, ont rarement été enjointes de le faire. Il n’y a pas encore d’obligation critique envers le (ou de réexamen du) passé colonial et ses « ombres », ni de quelconque reconnaissance de sa présence continuelle, ni de véritable dialogue entre les différentes visions du passé. 46. Lyons (1987 : 94-95). 47. Griscelli (1982 : 33-42) et (1989 : 73-75) ; cf. Guiart (1989) et (1970 : 272) ; Saussol (1979 : 318) ; Duroy (1988 : 102). 48. Barbançon (1978 : 4-5). 49. R agot (1917). 50. Vasseur (1985a). 51. Vasseur (1985b : 242 et 272). 52. Uregei (1984 : 7) ; Tjibaou (1996 : 184). 53. Barbançon (1992 : 22-23). 54. e.g., Berger et Jar (1999) et Vanmai (1998). 55. Boyer (1993 : 35). 56. Mwà Véé, n° 11, déc. 1995. 57. Boubin-Boyer (2003 : 579-580). 58. Poanui (2000). 59. Poudewa (1994 : 21). 60. Poudewa (2000). 61. MacLellan et Chesneaux (1998 : 176). 62. e.g., Vanmai (1998), Berger (1998) et Kurtovitch (1998). 63. Attwood (2005 : 245-247). 64. Dahlem (1996 : 125). 65. Chesneaux (1981). 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Au moment de la fin des hostilités, les pouvoirs publics ont insisté sur la similarité entre les deux révoltes au regard des causes qui, selon eux, les avaient entraînées (et dans lesquelles ils préféraient voir l’influence d’un antagonisme racial inné plutôt que le résultat de griefs issus de la colonisation et des pratiques de l’administration coloniale). Dans les décennies qui ont suivi, cette comparaison a surtout servi à minimiser l’importance de la révolte de 1917 en termes d’échelle, de répercussions, et de défi qu’elle représentait pour l’Administration française. Depuis les années 1970, ou même avant, les dates « 1917 » et « 1878 » ainsi que les noms « Noël » et « Ataï » ont tendance à être prononcés dans le même souffle, comme symboles de la résistance kanak à la colonisation. M à w T C C K- C 1878-1879, un certain nombre des familles qui se retrouvèrent installées à proximité avaient combattu dans les forces rebelles. Durant les années qui précédèrent les évènements de 1917, les habitants de Koniambo (Grombaou) cherchaient à se distinguer de leurs voisins de Tiamou et de Pwanaki, et insistaient auprès de l’Administration sur le fait qu’il ne fallait pas les compter parmi les « rebelles ». 3. L’expérience acquise durant la révolte de 1878-1879 a également influencé les stratégies militaires adoptées en 1917-1918. Les pouvoirs publics avaient les évènements de 1878 en mémoire lorsqu’ils décidèrent de recruter des auxiliaires kanak pour engager une campagne de guérilla. Dans des déclarations recueillies par l’Administration, certains « rebelles » ont expliqué leur conduite en faisant référence à des guerres antérieures, y compris celle de 1878. Parmi les autres conflits que l’on trouve mentionnés dans ces déclarations, on note les affrontements des années 1860 (associés à Goodu), la révolte de 1897 à Hienghène et celle de 1901 à Poyes. Le stratagème adopté par les rebelles lors de l’attaque de la mine du Kopéto en mai 1917 était inspiré d’un raid réalisé avec succès en 1901 sur un poste militaire dans la vallée de la Tiwaka. Par Adrian Muckle |w Néanmoins, le fait de regrouper les évènements de 1878 et ceux de 1917 comme des exemples de résistance concertée au pouvoir colonisateur n’est pas une invention récente d’historiens révisionnistes. Les paragraphes qui suivent donnent une vue d’ensemble des points communs les plus saillants entre les deux conflits. AD é/ Vé 1. Le souvenir et les séquelles de la guerre de 1878-1879 ont influencé de manière significative la manière dont les gens (les Européens aussi bien que les Mélanésiens) ont réagi aux évènements de 1917-1918. Les familles kanak aussi bien qu’européennes se souvenaient de ce qui était arrivé à leurs aïeux, non seulement en 1878, mais aussi au cours d’autres affrontements durant les années 1860, en 1897 à Hienghène et en 1901 à Poyes. Certains groupes kanak, n’ayant pas oublié la sévérité de la répression qui avait suivi la révolte de 1878, préférèrent ne pas participer. D’autres, qui avaient fait alliance avec les Français en 1878, souhaitèrent faire de même et renforcer ainsi les bons rapports qu’ils avaient établis dans le passé avec l’Administration. Il restait même quelques guerriers kanak âgés, maintenant sexagénaires, qui avaient combattu comme rebelles ou comme auxiliaires en 1878. 2. Le déplacement – forcé ou volontaire, de populations issues du district de Muéo-Poya vers la région de Koniambo – qui avait suivi la fin des conflits de 1878 a également eu d’importantes ramifications. Les différends qui opposèrent Noël de Tiamou et Doui, le petit chef de Koniambo, et qui furent à l’origine des affrontements de 1917, découlaient directement des dispositions prises suite à la guerre de 1878. (Voir le texte sur « Noël et ses frères ».) Alors que certains chefs du district de Koniambo avaient fait alliance avec l’Administration en passant par Pouépai, Vandjié, Ouécat, Ouéouan, Coinka, Pouenden, Koniambo et Koné avant d’atteindre Tiawé et Kopeto, puis retourne à la côte Est par Pamalé, Vahoué et la vallée de Tipindjé. k. dc nc En septembre 1878, une coalition de tribus des vallées de Poya et de Muéo attaque le chef Mavimoin de Nékliaï et les colons avoisinants. Cette action étend plus au sud le champ d’action de la guerre qui avait éclaté en juin 1878. Dans la région de Pouembout, la coalition Poya-Muéo reçoit le soutien des Ûrûwë (Ounoua), anciens ennemis du chef Goodu de Koné (†1869), qui attaquent les colons de Pouembout et essaient sans succès d’étendre l’emprise de la coalition vers Koné. Une coalition encore plus importante se forme, et fait alliance avec les Français, pour combattre les Ûrûwë et leurs alliés. Celle-ci comprend le successeur de Goodu, Bwëé Atéa Katélia, Poindi Pacili, plusieurs chefs de Koné – particulièrement Baye de Koniambo (« le chef de guerre de Koné ») – ainsi que des hommes de Wagap, Bayes et Hienghène. En dépit d’une offensive des Ûrûwë durant laquelle la maison de Katélia est brûlée et six guerriers de Koné sont tués, la guerre, qui fait rage de Tipindjé à Népoui, ne favorise pas les Ûrûwë dont les villages principaux de la région de Pouembout – particulièrement Tiaoué, proche de Kopéto – sont abandonnés, puis détruits. B.A. Katélia en profite pour poursuivre le conflit de Goodu qui l’oppose aux Ounouas (Ûrûwë) et autres groupes installés aux alentours d’Até-Néami. Des réseaux d’alliances rivales permettent la mobilisation de Kanak à travers toute la région, et la répression organisée par l’Administration prend une ampleur similaire. Ainsi, une colonne de soldats et d’auxiliaires mélanésiens se met en mouvement depuis Hienghène en décembre 1878 et traverse la région, .a w w La révolte de 1878-1879 dans la région de Koné-Hienghène La guerre de 1878-1879 a incité la migration de populations vers la région de Koné. Les groupes expulsés de Népoui, Muéo, Poya et de la haute vallée de la Pouembout furent accueillis par des proches à Pwanaki, Koniambo et Baco. Les groupes originaires de Néa, les Nätéa (un groupe de descendance Göièta), se réfugièrent à Panéqui ou à Tiamou. Baco connut également sa part de réfugiés issus de Népoui, Pouembout et Poya. Durant le cours des affrontements, certains groupes furent exilés à l’île des Pins et à Bélep, alors que d’autres se voyaient déplacés vers la côte Est. Au cours des années 1880 et 1890, une partie de ces gens commencèrent à retourner vers leurs terres d’origine. Vers le milieu des années 1880, les gens originaires de Pouembout et de Poya qui avaient été exilés à l’île des Pins obtinrent l’autorisation de s’implanter dans la région de Koné, sous condition qu’ils acceptent de travailler pour les colons locaux et ne cherchent pas à réinstaller les tribus sur les terres confisquées. En 1899-1900, il fut permis à certains anciens « insurgés », exilés à l’île des Pins, et à leurs descendants de s’installer à Tiaoué. Traduction française : Stéphane Goiran Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 19 La mémoire kanak de 1917 Histoire de la rébellion du côté de Koné De Téin Bai, d’après une traduction de Raymond Leenhardt* à Koniambo © D’abord, M Le pilou, cause de dispute à w Waï avait terminé le pilou de Tiwaé quand la difficulté est apparue et les hommes interdits qui font partie d’un même clan, Noël, Waï, Kaeka, étaient furieux. Ils se sont alors éloignés de leur vrai chef de Tiwaé et il est apparu dans leur cœur qu’ils étaient séparés et honteux de cela, et le commandant l’a appris parce qu’on le lui a dit. Il y a eu alors beaucoup de propos divers pour envenimer et les éloigner de leur chef. A propos de femmes, tirailleurs, boissons, pilou, capitation, polices, lorsqu’ils prennent les noms des gens, ils mélangent les Blancs et les Noirs. Ils sont furieux de cela : nous, nous sommes des Noirs, nous ne voulons pas aider les Blancs, ni ces gens-là, en mélangeant les noms. Alors les bruits de guerre augmentent, disant : « Il faut qu’il y ait des gens qui aillent en France pour s’y battre. » Alors les gens refusent, se durcissent, sont furieux contre le chef, la police et les Blancs aussi. Nous ne savons pas très bien le début, mais cela s’est passé à Koniambo et Cemou. T C C K- C AD é/ Vé dc .a w w |w [fin p. 1, ms 2.50] k. nc Stèle de Pwönaacèn (Photo extraite de Ethnologie et architecture, Alban Bensa, Adam Biro, Paris, 2000. 20 * Téin Bai, Histoire de la rébellion du côté de Koné, ms, 7 pp. Texte traduit par Raymond Leenhardt, ts, 4 pp. Archives privées Leenhardt. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La mémoire kanak de 1917 Poindat © À Poindat, le recrutement des tirailleurs arrive aussi et Katalea appelle les gens pour leur en parler. Les vieux se réunissent dans une maison et les jeunes dehors. Les vieux s’adressent alors à Katalea : « Nous sommes réunis à propos de la guerre, mais il convient que tu ne donnes pas d’hommes, car c’est mauvais. » Un vieux catholique dit alors : « Tu vois, chef, il n’y a que les protestants qui envoient des hommes en France, mais nous, catholiques, nous n’en envoyons pas, parce que le Père nous l’a dit. » Plusieurs sont alors sortis à cause de cette parole ; le chef leur a défendu de dire qu’il n’y a personne. Un jour, le frère du chef, Baoungane, va dire au chef : « Je veux aller à la guerre pour aider la France. » Son frère accepte et lui dit : « Attends un peu que je l’annonce aux petits chefs. » Ces propos ont été entendus de deux hommes qui l’ont dit au vieux Nitou, qui a appelé Baoungane et lui dit : « Dis donc, tu veux aller en France ? – Oui. » Alors le vieux Nitou : « Dis donc, tu es un gosse par rapport à moi, je te dis de ne pas aller car je t’en empêche. » Les vieux qui se réunissent toujours avec Katalea sont : Doui, chef de Paola, Katalea, chef de Pamalé, et quelques vieux aussi : Nekaka, Tiaou, Apoindet, Newiou, leur jiaou est Aneboe, et d’autres encore. Ceou, chef de Paola, n’était pas à cette rencontre car il était à Poré, mais il avait envoyé des hommes pour porter sa parole à Netchaot, car il y a aussi de leurs intérêts là. Le chef Doui, de Paloa, est à Nechewague, et Katalea était M à w C AD é/ Vé C C K- [fin p. 2, ms 2.51] T à Poerenaomoa. Et ils se promènent de ces maisons à Paola et Neperewa et Teweriba aussi. J’ai alors écrit un signe (lettre) à cet homme : « Je t’ai demandé pourquoi ces vieux étaient auprès de toi et tu n’as pas voulu me dire leurs paroles. Vois-tu, un jour viendra où tu le révéleras car je te dis ici et je t’écris en vérité qu’un jour tu le diras. » Il y a eu beaucoup d’histoires au sujet de la guerre et d’autres tout autour car on annonce qu’un bateau venu d’Almada (Allemagne) avait abordé et quelqu’un de là est venu le dire à Kavea Néwiou à Tipijé, puis la parole est venue à Pemale puis à Pamalé, et est arrivée à Katalea à Poindat. Il y a eu aussi des gens venus d’Ateu, venus écouter l’histoire de la guerre auprès des vieux et du chef Katalea. Le commandant est arrivé là aussi et on lui a dit qu’il n’y avait pas de tirailleurs. Arrivaient toujours des ordres pour appeler le chef auprès des Blancs, mais il s’obstinait parce que ses vieux l’empêchaient énergiquement : « Tu n’iras pas, car ce serait mauvais. » Il y eut alors l’annonce d’une amende de 200 francs, alors il eut très peur d’aller. Les vieux l’emmenèrent alors dans la forêt à Naémy, au lieu-dit Pouela, et restèrent avec lui. Alors le frère du chef à Noely vint me trouver pour me dire sa tristesse de ce que les vieux retenaient toujours son frère, et il voulait se plaindre auprès des Blancs avant que les choses se gâtent. Nous sommes alors allés, dikona Baptiste, Baoungane et moi, k. dc .a w w |w nc [fin p. 3, ms 2.56] Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 21 La mémoire kanak de 1917 et sommes arrivés à Baco, et trouvons dikona Newe. Celui-ci nous dit : « Hommes, que faites-vous ? – Nous allons nous plaindre des vieux qui sont près de Katalea, car il semble qu’ils vont lui nuire en le tenant et en le gardant pour qu’il n’aille pas auprès des Blancs [,] tu vois, il n’est pas revenu chez lui depuis qu’ils l’ont emmené à Pouala (Pwele). » Alors Newe nous dit à nous deux : « Voyez-vous, cette affaire est très importante et fera du mal à tout le monde. Je ne vous empêche pas mais je vous dis que c’est une très grosse affaire. » Alors nos cœurs ont hésité et nous sommes allés voir le brigadier Porre, il nous a demandé [NDLR : des nouvelles] de Katalea, et nous n’avons pas répété ces paroles, mais nous lui avons dit : « Les vieux ont emmené le chef et l’ont mis à Pouala. » © Alors le brigadier nous dit : « Allez lui dire qu’il est bon qu’il vienne me voir car s’il répond à mon appel maintenant, je lui enlèverai les 200 francs d’amende. Qu’il vienne demain de nuit et s’en aille de nuit, pour que personne le voie, car il convient qu’il me voie seul. » M Nous sommes repartis et avons dit à Baoungane d’aller dire à son frère de venir demain soir à la gendarmerie à propos de cette affaire. Le frère du chef est alors allé le trouver à Pouala et l’a appelé, et le chef de Pemalé dit : « Dis donc, tu viens appeler cet homme loin de moi, mais que sais-tu, toi, gosse ! » Alors Baoungane dit : « Je viens l’appeler pour que nous allions nous promener parce que je veux me promener avec lui aujourd’hui, et ne l’empêche pas. » à w AD é/ Vé K- C Le vieux l’appelle alors et dit : « Oui, mais il faut vous promener et faire attention, car les jours peuvent être mauvais. Promenezvous là-haut. » C C [fin p. 4, ms 2.53] T Ces deux frères vont alors et arrivent à Neperea et ils rencontrent un homme appelé Dene qui portait un message de Camille Coujol (Kémi) disant que le chef devait aller car lui déposerait ces 200 frs. Il quitta alors son frère et moi aussi, et il a suivi le propos de Kémi. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc 22 k. [fin p. 5, ms 2.54] dc Puis après ces histoires, Poindé s’est sauvé et est arrivé à Netchaot ; le chef Pemalé a réuni les hommes et leur dit : « Il est bon de se rassembler pour aller chercher Katalea, et le ramener de chez les Blancs. » Cela pour provoquer la guerre, car Poindé ne voulait pas non plus apparaître à Cemou. Au moment où on revenait de Cemou, est arrivée la nouvelle de Goveto et ensuite ils ont raconté cette histoire qu’on irait brûler Koné et Baco. .a Car nous irons chercher les chefs, chercher aussi le pasteur de Noely et son diacre, parce qu’ils tiennent aussi à l’affaire des tirailleurs, et ils ne sont pas Blancs, et ils sont allés aussi dire où nous avons caché le chef. » w w Il y a eu encore beaucoup d’histoires ces jours-là. Et le commandant a envoyé quelqu’un, alors Dubos et Ferdinal, et le chef de Tiwaé, et Nepema, sont allés entendre ce qui était arrivé à Koniambo et les empêcher de continuer cette affaire. Alors on leur a répondu : « Vous nous empêchez pour que nous fassions quoi ? Allez-vous-en, car nous continuerons ce que nous voulons faire, et nous irons, et nous arriverons à Koniambo (3), à Tiwaé (2), à Noely (3), à Baco (4), à Koniem (5). |w Et nous l’avons quitté depuis ce jour jusqu’à maintenant. Nous n’avons plus insisté comme avant, car il n’avait pas confiance en nous, mais il avait confiance en Kémi. La mémoire kanak de 1917 Alors on a envoyé le frère du chef, Dogo, et on lui a dit : « Va dire aux guerriers qu’il est bon de rester tranquille car nous irons à Baco, nous quelques hommes qui ne sommes pas de Vo [Voh ?]. Alors Dogo vient le dire à Dubos et à un vieux et dit aussi : « Tous, à Paola, Pemalé, Atéou aussi, Paloa, tous attendent le retour de Katalea pour que les deux frères soient ensemble, car si le commandant et les soldats les trouvent ensemble et s’ils veulent se saisir d’eux, alors on se battra. Mais s’ils ne veulent pas se saisir d’eux, on sera tranquilles. » Dubos, Dogo et Baptiste sont alors allés répandre cette nouvelle à Baco, et les vieux hostiles furent très mécontents. Ils se rassemblèrent alors à nouveau sur le fait que les gens de Baco étaient au courant de la guerre et dirent : « Nous irons brûler Noely car on a révélé à Baco la guerre. » Ils allèrent alors brûler Noely. © Or, une des raisons pour leur venue est qu’ils voulaient emmener ces hommes pour suivre l’affaire du bateau qu’on disait avoir abordé là-bas. On voit en effet que la guerre est arrivée là parce que ces gens avec qui ils sont maintenant y sont allés. M à w K- C AD é/ Vé Et si on ne les a pas emmenés, c’est qu’ils hésitaient à aller brûler Paola. J’étais en effet venu ensuite et avais rencontré des hommes sur la montagne, au moment où ils y étaient ; j’avais vu que je pouvais leur parler : « Hommes, pourquoi êtes-vous là ? Je pensais que vous reveniez d’avoir incendié Noely avanthier. » Ils dirent : « Nous ne sommes pas allés à la guerre et nous sommes arrivés seulement ici pour aider. » Je répondis : « Oui, nous pensions que vous étiez ainsi, et le gouverneur et le commandant ont dit qu’on brûle Paouta et Poeremy », [fin p. 6, ms 2.55] C T C et Katalea aussi avait dit : « Partons maintenant, et nous reconnaîtrons bien les gens sur le terrain. Katalea venait de parler ainsi au gouverneur, au commandant et aux soldats et se demandait où allaient les hommes qui grimpaient la montagne. » Ceux-ci me dirent : « Ils sont allés tirer les mitrailleuses qui sont là-haut. » Je leur dis : « Appelez-les, qu’ils reviennent, car nous ne savons pas quand arriveront les soldats, s’ils veulent revenir. » « D’accord, répondirent-ils, mais tu dois dire à Katalea et à Dubos qu’il est important de sauver notre situation auprès du commandant et du gouverneur. » dc .a w w |w k. Katalea et Dubos vont alors parler à ces hommes (les vieux) et Dubos leur parle très énergiquement. Ces vieux rejettent alors leur peur, même les deux vieux de Kourou Noely. nc Katalea et Dubos reviennent à Koné. Ils y étaient le jour de l’incendie de Naémy, car je les ai retrouvés à nouveau dans la montagne et leur ai reparlé. Ils ont alors quitté Naémy et sont allés à Noely. (Nous savons cela et l’affaire des gens de Noely par les histoires de Cheval.) Quant aux hommes du chef, nous savons leur attitude et qu’ils ont fait des actions. Mais Katalea, lui, s’est appliqué à rester tranquille, à partir du jour où je lui ai parlé quand il était dans la montagne, venant de Baco. Je lui avais dit : « Je m’en retourne, mais tu restes là tranquille, tu ne soutiens pas ton frère lorsqu’ils portent plainte contre Cheval. Si tu m’écoutes, je pourrai ouvrir ta route, mais si tu aides ces hommes, je ne saurai que faire. » Il resta alors tranquille. Toutes ces histoires que nous avons apprises maintenant sur Katalea, nous les savons des « rebelles », et nous ne le savions pas avant. Nous savions seulement que Katalea était un homme qui restait tranquille et s’abstenait, n’écoutant pas à la fois une bonne parole et une mauvaise. Voilà ce que je sais de lui. [fin p. 7, ms 2.52] Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 23 La mémoire kanak de 1917 Baco, 21 mai 1917, Tein Bayyol Mangol à *. [ts, 2 pp., traduction, APL]. {cf. Baco à Koné le 21 mai 1917 [ms, 6 pp., signé Génya Tein Bayyol Mangol]} 1o. Le 14 avril, le Kersaint est là. TB va avec Katelia Poada et d’autres et chef Louis voir le Cdt qui leur dit d’aller chercher les rebelles. Reviennent voir Mr Fourcade qui les envoie le lundi 16.4 [ ?]. Partent à six : Chef Gatelia, Doui Deni, Doui Cea, Camoa Tein, Hué Cawijaou et Jibu Doui Poendi. Le trouvent à Poatataape, Ateou : trente alignés d’un côté, trente alignés de l’autre du chemin. © Pénètrent au milieu et aperçoivent une maison où ils [ ? voient] des arcs. Le maître Kavou Cawédepe les voit et dit : « Oh, mes deux enfants, c’est bon que vous arriviez. » M à w Kavou Poatataape dit : [«] Que faites-vous ici ? [»]… Il était 5 heures et plus le temps de parler. Proposent de coucher et de parler demain quand les guerriers seraient là. é/ Vé Rencontre chez Gatelia le 17 avril à 6 heures du matin. K- C AD 2o. Ils apportent alors l’igname et le bâton (mejo) et 25 francs, nous les donnent, nous les remercions et leur disons que nous allons parler maintenant, que nous nous préparons d’abord. [fin p.1 ms] nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 k. 24 dc [fin p. 2 ms] .a Nous sommes alors allés voir le commandant qui dit : « Bien, retournez [en] haut leur dire de descendre le jeudi 19 avril à Foanexhime, pour que nous nous y retrouvions, car j’irai avec le lieutenant Peutrat et le gendarme, w w « Hmakam et Jimmy Getetham rapportent les propos de la police qui aurait tué le chef à Foanexhime et Ateou et aurait menacé de leur couper l’eau, de les fusiller et de brûler toutes les maisons à Camou ; or maintenant, nous les attendons toujours, qu’ils fassent ce qu’ils ont annoncé, car les chefs ont menacé, et les mauvais procédés qu’ils ont eus dans le passé, ils les ont encore aujourd’hui. Il vaut mieux qu’ils viennent aussi, car vous n’avez rien dans ? cela voyez, nous vous avons donné 25 francs et le bâton et l’igname, [? déposés] à terre avec la sagaie et la hache de guerre ; vous trouverez le moyen, car maintenant vous êtes près de nous, et ce n’est pas votre affaire, mais notre parole à vous. Portez-la en bas. » |w « Vous avez raison, je vais vous expliquer, puisque les chefs ne parlent pas ; la raison est à Koniambo ; on dit que Douis Céa a fait le coup de la crevette, que nous l’attrapions si l’étang est sec. » T C C Nous leur disons : [«] Voilà pourquoi nous sommes venus vers vous, vous nos pères car nous venons avec un cœur bienveillant, et il n’y a pas de part chez nous pour que nous entrions en guerre. Nous sommes venus nous vos fils, qui ne savent pas comment s’y prendre, car nous sommes la génération qui vous suit, nos deux pères sont morts sans nous avoir instruits des choses de la guerre, de rien. [»] Nous leur disons que nous cherchons à bien faire. Ils restent là, ne parlent pas, puis Kavou Cawedepe nous répond : La mémoire kanak de 1917 Pasteur Milo à Nouméa* le 20 avril. 3o. Ils acceptent. Le père de Tein Dubos leur dit alors : « Nous allons rafraîchir nos teintures de baru et nos turbans pour aller chez le commandant, et vous nous aiderez. N’ayez pas peur. » © Nous nous couchons et le lendemain matin à 4 heures nous [nous] levons et allons à Atéou, nous arrivons à Foanexhime à 8 heures. Le commandant n’était pas arrivé. Nous allons nous baigner et revêtir nos habits et à 9 heures le commandant, le lieutenant et le gendarme arrivent. Alors tous les hommes dressent les ignames et les bâtons et se rangent, et le commandant entre. M On le salue et il dit : « Je suis heureux de vous rencontrer. Qui d’entre vous parle le français quand vous êtes allés chez les Blancs ? » à w Huécawijou traduit et les exhorte, comme les exhortations de M. Leenhardt, et il dit la pensée du Gvr et l’explique bien et il insiste. C K- C AD é/ Vé On répond : « Léon Doui Gonde, frère aîné de Josua. » « Où est-il ? » demande le Cdt Fourcade. « Là-haut dans la montagne – Allez lui dire de venir pour traduire mon message. » Ils y vont et l’appellent mais il se sauve dans une autre vallée. Ils le disent au commandant qui dit : « Bien, que l’un de vous vienne me servir d’interprète. » T C Puis il leur dit : « Aujourd’hui vendredi et samedi et dimanche, nous resterons ici, et lundi 23 nous nous lèverons |w [fin p. 3 ms] w w tous pour aller réparer les pays de Camou et Cavaciwu. » k. dc .a Ainsi, du 23 au 27, ils ont arrangé ces deux tribus et le 28 nous nous sommes réunis à Camou. Nous avons porté notre nourriture pour y manger et les soldats tahitiens ont dansé aussi. nc 4o. Or ce jour-là, il en manquait quelques-uns. On demande : « Où est le chef Noël Caboaé Kolange ? – Il n’est pas descendu parce qu’il a peur, il est dans la montagne. » Alors on nous dit à nous deux grands chefs d’aller le voir, avec ses frères plus jeunes et quelques autres d’entre nous. Nous l’avons trouvé et lui avons dit de venir. Il répond « Non », il a peur. « Pourquoi ? – Parce que ses cases ont été brûlées et il pense que le commandant va l’emprisonner. – Non, il n’y a rien, viens, nous t’aiderons. » Nous lui avons parlé de 9 heures du matin à 2 heures du soir. Nous lui disons : « S’il y a du mauvais, nous le verrons bien tous ! » Nous repartons chez le commandant et en arrivant près de la rivière, nous entendons des cris de l’un des nôtres, et le grand chef Katelia demande ce que c’est, et nous arrivons chez le commandant. « Que faites-vous ? Que sont ces cris ? – Nous ne savons pas. » [? fin p. 4 ms] Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 25 La mémoire kanak de 1917 « Redescendons » dit le commandant. D’autres restent dans la montagne avec sagaies, haches et fusils. Ils nous tirent dessus. Alors le commandant les voit et s’aperçoit que les danseurs sont lourds. « Pourquoi ? – Parce que Noël a dit qu’il ne voulait pas que ce soit bien, mais que ce soit mauvais. » Alors le commandant dit aux gendarmes de les lier, soit dix-sept prisonniers emmenés. Et pour les éloigner, Noël et ses hommes tirent, et il y a un blessé. 5o. Les soldats blessent alors quatre hommes : Cafoadette Balaki, Camoa Doui Aourou, Douis Aureino, Caboaé Poa et Arapoai. Il y a deux morts et deux blessés. Parmi les soldats, un Français et un Tahitien blessés. © Aujourd’hui, lundi 21 mai, j’ai télégraphié au brigadier de Voh de dire aux chefs Tariki, Kahume, Pierou, Daré, Menon, Vinieu et Parau de fournir des volontaires pour aider à Koné et qu’ils soient à Baco le lundi 21 mai à 4 heures du soir pour être présentés au commandant militaire Durant et au lieutenant Peutrat. M Et à 2 heures du soir le 21 mai, le commandant, etc., vont avec les volontaires à w [fin p. 5 ms] nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 k. 26 dc [fin p. 6 ms] .a Génya Tein Bayyol Mangol w w Mon cher frère, notre Père le saura. |w Je m’arrête car mon cœur est triste de ce que la réponse à ma lettre n’est pas rapide. Je te salue et Denis, et T Dawi, et le père d’Edouard Amakade, et Aho, et Moroua Kouno et M. Elia, et Boae Elise et Mathias, et Huma et vous tous. Soyons fermes sur la terre car le soleil est au ciel. Nous ne savons pas quand nous nous reverrons car le chemin est lourd et mauvais, et là-bas c’est de même. Je pense à vous au nom de Jésus-Christ. T C C K- C AD é/ Vé de Baco, Koniambo et les soldats de Tiaoué parcourir la montagne, depuis quatre jours déjà. La mémoire kanak de 1917 Un épisode de la révolte kanak de 1917 par Gööru Ignace Göröpwêjilèi Le père de l’auteur, Pwâ, fut chef de Näumêju et de Pamalé, avant 1917 Le narrateur, âgé d’environ quatre-vingts ans au moment de l’enregistrement, est un des rescapés de la guerre de 1917. Il raconte la fuite d’un groupe de guerriers et de leurs familles à partir de Bopope dont le chef avait refusé la parole de guerre. Les fuyards suivent la vallée de Wéâga en direction de Tiéndanit, poursuivis par les soldats. Ils passent par la « propriété » du colon Leconte et vont jusqu’à l’embouchure de la Wayèm. Puis ils reviennent en passant par Tendo, gagnent Atéu et se réfugient finalement au-dessus de Noèlly où ils se rendent aux gendarmes par l’intermédiaire de Dubos Göröunââ, chef de cette tribu. Ils seront emprisonnés à Nouméa puis s’installeront des années après à Néami, les tribus de Pamalé et Näumêju ayant été vidées de leurs habitants. C’est un émouvant témoignage des difficultés rencontrées par ces victimes de la répression coloniale pour retrouver leur pays à la fin de la guerre de 1917. Néami, 1975 Enregistrement : Jacques Celle. Transcription, traduction et présentation : Yvon Kacué Goromoedo, académicien de l’aire Paicî-Cèmuhî, et Alban Bensa, anthropologue. © M à w é/ Vé T C C K- C AD rtis de Bopope. Nous sommes pa es enfuis Nous nous somméâga. pour dormir à W ons et nous Nous nous réveill rivons partons et nous ar llée. au milieu de la va l’autre côté Nous montons deäjijènî [Tiéndanit]. jusqu’au col de N s et nous Nous franchisson icènî. descendons à Näjent, nous partons Les soldats vienn vons à Näkaapë. de là et nous arri le tertre Näkaapë. Nous restons sur nt et Les soldats arrives. nous tirent dessu ssus et ils Ils nous tirent de -uns. en tuent quelquesssus et Ils nous tirent de s dans la nous nous sauvon ons. forêt où nous dorm rattrapent. Les soldats nous ssus Et nous tirent de avec leurs fusils. es-uns de nos es. Et ils tuent quelqu x qui sont aveugl compagnons, ceu s et nous Nous nous sauvon . arrivons à Urigâs là, les cases Nous descendon ées. ont déjà été brûl ns. Les Et nous descendo quelques-uns soldats attrapent ant à nous, d’entre nous, et quns là-bas. nous nous enfuyonous allons Nous partons et ée dans la dans une case situ ons là. forêt et nous dorm k. dc .a w w |w © Coll. Frit z Sarasin (Museum Der Kulture n Basel, Musée des Civi lisations de Bâle) nc 17 èpë näpô nä 19 o Po pw ë bë n yê cö pw ö gé éräbobë p u u bë p é u ru bë p ä w â d ö n ä Wéâ gabë p ä rä bë tè èp a a bë tëc î gé é w êê go pa éré iriw â p ä n â â bo o n ä bë tâ â n â â bë â gö d ö n î gé é ä cî jè n i d ö n ä kom ä rü NNä cî jè n i bë n ä ja i bë bo o bë tâ â w êê gé é w êê m ê coda bë cö pwgéö é Nä k a a pë tè èp a a p ä n â â â n ä bé ré â bë tâ â w êê n â ä k a a pë pô rô w â n î gé é Nrë p é èi-b ë rë m ê i p a coda rë ta a té rë èi-b ë bo o m ê p a p ërë â bo ro p u u rë èi-b ë bë u ru bëôtö w â n î d ö n ä m ê p a coda rë p é cä d ëti-bë -b ë go ro k u pw a â rë p é èi-b ë rë èiâ râ p a p ërë â rë p é ca tä m w êp orom ê-rë bé é-bë n ä ti cè êra p ä bë p é u ru tè èp a n â â bo o Uri gâ n ä bë bo o n â â w êê jè tö p a pô rô w â ê p ërë të pé â bë â bë bo o rë p a mbë p ërë të pé u ru p ä bo o w ëi â â n ä w â n ä tâ â bë p ä rä bë p ä n bë p u u w êê n ä i n ä-m ôtö â o â bë tè èp a a p ä bë tëc î â bë p ä bon yû â â-râ â bo ro n â â bo o a u â gö Guerre en 1917 Deux hommes, danseurs de pilou, Bopope, Nouvelle-Calédonie [1911-1912], n° 4686. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 27 La mémoire kanak de 1917 k a n a k e la révolt © M à w C C K- C AD é/ Vé Nous nous réveillons. Nous descendons et nous arrivons là où les esprits des morts sautent [dans la mer, à l’embouchure de la Wayèm]. Et nous faisons le tour jusqu’à Tendo. Nous montons, nous arrivons à la station d’élevage de Leconte. Et il nous dit : « venez, ceux qui habitaient là ont fait comme vous ». Nous quittons cet endroit, nous arrivons à Koogo. Nous arrivons à Pwikëpèi et nous trouvons là nos compagnons et nous y restons. Nous partons de cet endroit, nous arrivons là-haut à Atéou. Quelques-uns disent : « montons chercher nos alliés à Pamalé ». Nous montons, nous arrivons et nous grillons de la nourriture à côté de l’église. Les soldats viennent et se tiennent en bas en nous tirant dessus. Nous nous sauvons pour nous réfugier dans le creek. Quelque-uns s’enfuient et montent à Pamalé. Nous quittons et de là nous errons dans Atéou. Nous nous sauvons dans les lantanas et dans les creeks. Nous dormons dans les lantanas comme des cerfs. Alors arrive un jour où nous n’avons plus de feu. Nous nous enfuyons et nous arrivons à Pwècilo [sur Tiaoué]. Nous descendons à Tiaoué et à Puëté et nous traversons pour descendre à Noèlly. Quelques-uns partent déjà en prison. T â bë pä nââ tö-bë côwâ géé bë Tädo bë tö bë bë tèèpaa dö bë nââ nä i wârâ wéari mäci kë Leconte é inä tä-bë guwë mê â-nä tèèpa tââ nä näpô bèènî â-nä rë nä wërë pwiri â bë nyê pärä bë mê bë tèèpaa mê nââ Koogo bë tèèpaa mê nââ Pwikëpèi â bë pädari tèèpa béé-bë nââ wêê â bë tââ wêê â bë cöpwö géé wêê â bë mê bë tèèpaa mê nî dö Atéu â bë tââ wêê â rë inä i përë tëpé pââ jè too nä mûdërë tèèpa béé-jè wâ dö Pëmäré â bë too mê bë tèèpaa dö mê â bë bwaa géré acî wâ dö goro wârâ-pwa-pwicîrî â rë mê i pa coda â rë coo nî boo â pé èi-bë dö mê â bë jè pa uru bë pärä nä pi-cärü wâ géé bë nä pé näpwé â rë uru jii-bë nââ wêê përë tëpé rë pä too dö Pëmäré bë nyê cöpwö âkaa géé wêê â bë mê bë pi-ugë wâ géé Atéu pärä uru pä nä nâtanâ pärä wii pa näpwé nä géé bë bë puu boo nä jè éré nä-nâtanâ pwacëwii pa dubé bë nyê wërë pwiri wërë pwiri pä tèèpaa pä nââ nä jè pé töötù jè po dau pwa töötù kä-bë â ticè ânyê kä-bë â bë pi-uru â bë tèèpaa pä nä Pwècilo (Cèwé) bë boo mê nââ géé Cëwé bë tö mê nââ géé Puëté bë näjai mê nââ boo Näwéèlé â jè pärä i tëpé baa jè o pärä nä pwa karapuu bë pé mê bë ila ânyê wâ boo Cipèèba (Näwéèlé) k. dc .a w w nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 |w 28 La mémoire kanak de 1917 7 1 9 1 e d © M à w C C K- C © Coll. Fritz Sarasin (Museum Der Kulturen Basel, Musée des Civilisations de Bâle) AD é/ Vé Nous arrivons, nous demandons du feu au lieu dit « Cipèèba ». Ils nous donnent du feu et nous allons dormir dans la bambounière. Dubos, le chef de Noèlly, vient, nous appelle et nous allons à sa rencontre. Les garçons disent : « venez, nous descendons à la gendarmerie ». Nous descendons et nous arrivons à la gendarmerie. Nous entrons dans la prison. Et nous partons et arrivons à Koné dans la prison. Notre camarade, caa Dui Bwëugâ [un Göröéépëtâ de Poinda], arrive et nous sommes enfermés dans la prison avec Aunäo [un Näpôréa de Tiaoué] et Arajö [un Pwënéèti de Paouta]. Nous descendons dans la prison du bateau. Nous partons et nous arrivons à Nouméa. Nous sortons de la prison du bateau et nous allons dans la grande prison. Voilà. Nous restons là pendant plusieurs années. Et nos compagnons sont tous morts. Nous sommes libérés et nous travaillons en bas au quai. Puis nous sommes partis et quand nous sommes arrivés ici nous avons commencé à fonder cette tribu. C’est de là que nous sommes restés ici dès lors que nous avions fondé ce pays d’où nous sommes. T k. dc .a w w |w nc rë nââ tä-bë wârâ-ânyê â bë tö mê nä puu wâ nä i pu-jö â é mê wë pwi nî Dubööci (Näwéèlé)1 â é todë-bë â bë nyê boo cara-é â rë inä tä âboro èpo guwë mê jè boo boo nä wârâ-cââda bë nyê boo bë tèèpaa boo nââ boo nä wârâ-cââda bë nyê tö kaa nä pwa karapuu näbwé â bë pärä bë tèèpaa pä nââ boo Koonê wâ boo nä karapuu â é tö mê pwi béé-bu Caa Dui Bwëugâ [de Pwanâ un Göröéépëtâ] â bë pwa karapuu mê wêê ao géé Aunäo (Näpôréa, Cèwé 2) mä Arajö (Pwëutë 3) é coo i wëngâ â bë boo nââ nä karapuu wâ görö wëngâ bë pärä bë tèèpaa pä nââ boo Nûûmîâ bë cööbé bë tö bë pwa karapuu wâ dö nä karapuu mäinä näbwé bë nyê tââ wêê po dau wäru näja kä-bë â rë po bë diri tèèpa béé-bë bë cööbé bë wakè nî boo uké bë nyê cöpwö kaa â cènä bë tèèpaa mê nä bë tapoo téari i näpô bèènî të näbwé bë géré tââ nî â-nä bë géré téari i näpô â géré wëibë goo nî. 1. Dogo Dubos Göröunââ, fils de Téâ Mwââgu Göröpwöbué, impliqué dans la disparition du guerrier Goodu en 1869, fut chef de Noèlly. 2. Pwënyî Prosper Näpôréa, père du père de Paul Uéé Näpôréa, ancien maire de Koné de 1972 à 1994. 3. Un Pwënéèti de Pwëutë. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 Vue générale du village de Bopope Nouvelle-Calédonie [1911-1912], 4701. 29 La guerre kanak de 1917 La guerre kanak de 1917, ses causes et Entretien avec Adrian Muckle, historien © Afin de mener à bien son travail de thèse de doctorat sur la guerre de 1917, qu’il a soutenue en 2004, l’historien Adrian Muckle s’est appuyé sur ses propres recherches sur le terrain et sur la consultation des archives, notamment celles de Maurice Leenhardt, celles de l’armée, à Vincennes, et celles de la NouvelleCalédonie. Il a effectué à cette occasion plusieurs séjours en Nouvelle-Calédonie, où il est revenu au début de l’année 2008 afin d’approfondir d’autres pans de l’histoire kanak et calédonienne. M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc « La plupart des représentations de la révolte de 1917 émanent de la partie européenne, de l’administration et de la justice notamment. » Adrian Muckle, chercheur en histoire, est originaire de Hawera, petite ville de la côte ouest de l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande. Il enseigne maintenant à Wellington. Il a effectué ses études universitaires en Nouvelle-Zélande puis à l’université nationale d’Australie, à Canberra, où, entre 1998 et 2004, il s’est consacré à sa thèse de doctorat, portant sur la guerre de 1917 dans le nord de la Nouvelle-Calédonie, entre Koné et Hienghène. Cette thèse, intitulée « Spectres of Violence in a Colonial Context : the wars at Koné, Tipindje and Hienghène, New Caledonia 1917 » (« Les ombres de la violence en contexte colonial : les guerres à Koné, Tipindjé et Hienghène, Nouvelle-Calédonie 1917 »), constitue une histoire ethnographique très détaillée de tous les événements qui se sont déroulés durant cette guerre entre 1917 et 1918. Adrian Muckle s’est ensuite donné le recul nécessaire avant de retravailler cette thèse en vue de sa publication, la concentrant 30 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 sur l’essentiel et la complétant au fil d’un nouveau séjour effectué au cours du premier semestre 2008 en NouvelleCalédonie. Cette version sera prochainement disponible en anglais. Parallèlement, il a entrepris de nouvelles recherches sur d’autres périodes de l’histoire calédonienne, notamment sur celle de l’indigénat, en s’intéressant plus particulièrement à l’internement politique des Kanak. Relevant du pouvoir du gouverneur, ces mesures d’internement ont surtout été en vigueur durant les trente premières années de l’application de ce régime, de 1887 à 1920. Adrian Muckle estime que plus de deux cents personnes ont été internées en l’espace de ces trente années, des chefs célèbres, comme le chef Bwarhat, déporté et interné à Tahiti, mais aussi d’autres personnes, pour la plupart internées à Ouvéa, Lifou, l’île des Pins, l’îlot Amédée, pour une durée de un à deux ans, jusqu’à dix ans La guerre kanak de 1917 ses conséquences © parfois. « On a surtout parlé des chefs kanak internés, mais ils n’ont représenté qu’un cinquième des internés et ce qui m’intéresse, c’est de savoir pour quelles raisons et dans quelles conditions tous ces gens-là ont été internés et d’analyser les autres aspects du régime de l’indigénat, comme les infractions spéciales, le conflit entre le régime de l’indigénat et le système judiciaire. » en Nouvelle-Calédonie avec la situation en Nouvelle-Zélande. M à w Pourquoi, vous-même, en tant qu’historien anglophone, vous intéressez-vous plus particulièrement à l’histoire d’un pays francophone, la Nouvelle-Calédonie, et au monde kanak ? képi d’officier supérieur (collection musée de la NC). T C C K- C AD “ Sans que l’on puisse pour autant parler de “guerre de religion”, on remarque que, durant la guerre, les deux missions se sont mobilisées pour protéger leurs intérêts et préparer l’évangélisation de l’après-guerre. Chaque mission défend ses ouailles et se méfie de l’autre. Ce conflit “politique” est très évident dans la vallée de Tipindjé où la mission catholique défend le chef de Ouen Kout, Kavéat, et dénonce le chef de Ouanache, Néa. Par contre, Néa est défendu par la mission protestante. À Hienghène, le père Murard est convaincu que les tribus du secteur sont neutres et il obtient que l’administration respecte cette neutralité jusqu’en décembre 1917. Pour sa part, la mission protestante convainc l’administration de respecter la neutralité des tribus de Bopope et de Poyes.” k. dc .a w w |w nc « Les chercheurs australiens ou néozélandais qui connaissent vraiment la Nouvelle-Calédonie sont peu nombreux à vrai dire, et la perception reste donc assez générale. La barrière du langage y est pour quelque chose. Pour un historien néo-zélandais ou australien, la situation calédonienne n’est pas perçue comme particulièrement originale, mais comme un exemple, parmi d’autres, d’une colonie de peuplement européen dans le Pacifique. Ce qui est intéressant, c’est de comparer les modes de colonisation, en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Nouvelle-Calédonie. On retrouve, par exemple, le bagne en Australie et en Nouvelle-Calédonie. Parmi les différences, il y a le pouvoir des colons éleveurs ici, en NouvelleCalédonie, et la naissance de la mine qui donne l’essor au pays. D’un point de vue plus contemporain, les gens, à l’extérieur, s’intéressent aux effets de la colonisation, aux rapports entre le monde kanak et le monde européen, ou encore à la manière dont les Calédoniens abordent la question de leur identité. On me demande souvent ce qu’il en est de ces questions et l’on compare la situation é/ Vé Quelle est la perception de la Nouvelle-Calédonie par les chercheurs néo-zélandais ou australiens, en particulier à propos du rapport entre le peuple autochtone et le peuple colonisateur ? Tout d’abord j’ai suivi des études à la fois en histoire, qui était un sujet majeur, et en français, dans mon lycée, puis à l’université. Je me suis intéressé à la Nouvelle-Calédonie à la fin de mes études de licence. En vue du diplôme qui correspond à la maîtrise d’histoire, je cherchais un sujet et je ne savais vraiment pas vers quel thème m’orienter. J’étudiais alors la littérature française, matière dans laquelle nous nous intéressions notamment aux écrivains de la décolonisation, tels qu’Aimé Césaire ou Léopold Senghor. C’est alors qu’un de mes professeurs m’a demandé s’il existait des auteurs de ce genre en Polynésie française ou en NouvelleCalédonie, qui, dans l’après-guerre, s’étaient rendus en France et en étaient rentrés avec des idées émancipatrices. Je suis allé à la bibliothèque et j’ai trouvé le texte de Roselène DoussetLeenhardt, sur la guerre de 1878, un texte de Jean-Marie Tjibaou et l’histoire de 1878, par le père Apollinaire Anova Ataba. C’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser à la question de la critique de la colonisation française et à la revendication par des Kanak, comme le père Ataba et Jean-Marie Tjibaou, de l’identité culturelle kanak. Il y avait donc dans mon mémoire de maîtrise une partie historiographique, une partie consacrée à la revendication identitaire kanak et une troisième partie qui portait sur la manière dont, dans la littérature calédonienne, on avait abordé ces questions d’émancipation, en intégrant Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 31 La guerre kanak de 1917 « Il paraît aussi que l’on profitait des fêtes religieuses pour se réunir. » des écrivains contemporains comme Nicolas Kurtovitch, Déwé Gorodé. Pourquoi 1917 ? Parce que peu d’historiens s’étaient jusqu’alors intéressés à cette période ou parce que, selon vous, il s’agissait d’un point central de l’histoire de la colonisation ? © Choisir la période de la guerre de 1917 me donnait l’occasion de faire ma propre démarche d’historien à propos d’un événement, alors qu’il existait déjà pas mal de recherches et de publications sur la période de 1878. J’ai été conseillé par celle qui est devenue ma directrice de thèse, le Dr Bronwen Douglas, qui, elle-même, a réalisé son travail de doctorat sur la NouvelleCalédonie, surtout sur les premiers contacts dans la région de Balade. Elle savait qu’il existait dans les archives des documents sur cette période, qui n’avaient pas été utilisés. Au départ, je n’avais pas l’intention de faire précisément un travail sur 1917 ; mon idée était de faire un travail comparatif sur la violence et la nonviolence (1917 et 1984-1988) comme stratégies coloniales et conflits coloniaux, non seulement à Hienghène, mais aussi dans la région de Koné. Je voulais arriver à connaître quel était le quotidien de la violence dans ces deux périodes, 1878 et 1917, et comment cela avait influencé les événements de 1984. Mais très tôt je me suis rendu compte qu’il me serait très difficile de mener un tel travail à bien. Il fallait d’abord faire l’histoire de 1917-1918, puis celle de 1984-1988. Finalement, je me suis surtout focalisé sur 1917, parce que, pour faire un travail comparatif entre ces trois périodes, il faut, à mon sens, d’abord bien maîtriser l’histoire de cette période-là. M à w T C C w w |w Qu’est-ce qui caractérise 1917 par rapport à d’autres conflits, d’autres violences dans l’histoire coloniale, entre l’administration et les Kanak ? En tant qu’historien, avez-vous été particulièrement étonné par certains éléments ou aspects de cette révolte de 1917, que vous ne vous attendiez pas à trouver ? Par exemple sur le fait que l’on n’est pas, au début tout au moins, en présence d’un front contestataire unique, mais de plusieurs foyers de contestation et de plusieurs prises de position. J’ai été amené en effet à me poser pas mal de questions sur le déroulement de ce conflit, telles que celle-ci : « À l’époque, quels étaient les moyens pour les Kanak d’exprimer leur point de vue et leur position ? » Sachant que l’administration ellemême ignorait ce qui se passait dans cette région du Nord, laquelle représentait la dernière frontière entre la colonisation et la partie restée relativement à l’écart des effets de cette colonisation ; que les administrateurs en place ne parlaient pas les langues de la région et que peu de Kanak parlaient français. Ainsi, même si des gens étaient capables d’assurer un lien au moyen de la traduction, il n’existait pas de rapport direct entre les deux parties. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc La spécificité de 1917, c’est sa relation avec la guerre de 1914-1918. L’autre aspect important, c’est la qualité des archives sur 1917 par rapport à 1878. Elles sont beaucoup plus riches et l’on a vraiment les différents points de vue sur le conflit, celui des militaires, celui de l’administration, y compris celui du chef du Service des affaires indigènes, celui de tous les missionnaires catholiques et protestants de la région. Et nous possédons aussi presque tous les interrogatoires des prisonniers kanak à la fin de la guerre et leurs déclarations devant les juges d’instruction. Ce qui est intéressant, c’est cette possibilité de rapprocher tous les points de vue, de les croiser, de les comparer. k. dc .a 32 K- anti-coloniales et comme dans la construction de l’identité chez les Mélanésiens et les Européens. J’ai formulé cet objectif à partir d’une hypothèse de Bronwen Douglas selon laquelle on devrait traiter la violence et la non-violence comme deux composantes complémentaires (plutôt que contradictoires) des stratégies coloniales et anti-coloniales en NouvelleCalédonie. Et je voulais considérer la mémoire de la violence et son effet sur les stratégies adoptées en 1917 et en 1984-1988. J’ai ainsi appris que, durant cette période, entre 1984 et 1988, on avait évoqué les événements de 1917 pour expliquer certains comportements. Ce qui a réactivé l’histoire de 1917, c’est la fusillade de Waan Yaat 1. À l’époque des événements de 1984, Jean-Marie Tjibaou est revenu sur l’histoire de sa grand-mère abattue au-dessus de Hienghène par les forces de répression en 1917, comme pour souligner la continuité de la répression lors des C AD é/ Vé entre la e r u t c a r f de “La ligne ique et la mission thol mission ca crée beaucoup de e protestant gendre beaucoup t en confusion e ements. Pendant rs de bouleve a guerre, des l (et après) e religion d t n e g n a chefs ch elle qui c r u o p t n en opta ieux.” m e l e g é t les pro facteurs Ce qui est très riche concernant la période de 1917, ce sont à la fois les interrogatoires et la correspondance des natas 2 et d’autres protestants dans les tribus, qui ont écrit, soit à Maurice Leenhardt, soit à d’autres natas, pour expliquer la situation. J’ai travaillé sur à peu près la moitié de ces documents qui ont été traduits en français. Mais une grande partie de ces documents n’a jamais été traduite. Mais ce qui m’a étonné, ce sont les interrogatoires et le fait de rencontrer des descendants directs en mesure de relater la même histoire. Il y avait là une fidélité et une complémentarité. Le nombre de prisonniers m’a frappé aussi : environ 250 (sans parler des femmes et des enfants capturés). Par rapport au nombre de personnes (hommes) soumises à la capitation dans les districts concernés, cela représentait un homme sur quatre. La guerre kanak de 1917 © M à w Connaît-on avec précision le nombre des victimes de cette répression ? T C C K- C AD é/ Vé nc © Coll. Fritz Sarasin (Museum Der Kulturen Basel, Musée des Civilisations de Bâle) k. dc La répression, qui va durer presque un an, était très liée au mouvement des troupes entre la France et la NouvelleCalédonie. Les colons de cette région étaient mobilisés sur place. D’autres étaient déjà partis en 1914 et 1915. En 1917, la mobilisation touchait des classes plus âgées. En avril 1917, un bateau devait arriver à Nouméa mais il a été coulé par l’ennemi et donc le départ des mobilisés qui devait avoir lieu ce mois-là a été différé au mois de novembre de la même année. Dans l’intervalle, les mobilisés concernés ont été utilisés sur place pour la répression. On avait aussi sous la main des gens qui rentraient en permission du front en Europe. Un bateau en a ramené deux cents en octobre. Normalement, ces mobilisés auraient dû repartir à la fin de leur permission mais ils ont obtenu de rester mobilisés sur Massue phallique, bois, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. w w |w De quelle manière cette force de répression était-elle organisée ? Le chiffre officiel mentionne soixante tués côté kanak, et seize tués dans l’autre camp, colons, personnes employées par les colons et militaires. Ce bilan ne prend en compte que les personnes tuées par les auxiliaires, sur la base de leurs états de service. On dispose là de chiffres précis dans la mesure où ces auxiliaires étaient payés en fonction de leurs résultats, soit 50 francs par guerrier tué et 25 francs par femme ou par enfant fait prisonnier. Mais ce chiffre officiel ne paraît pas prendre en compte les personnes tuées lors des opérations strictement militaires. Mes propres recherches m’ont conduit à l’estimation de cent vingt à cent trente tués lors de la répression, soit par les auxiliaires, soit par les soldats. .a C’est très mélangé et il faut bien distinguer quelles étaient les actions et les réactions de l’administration, celles des colons du coin et celles des Kanak. Quand on examine la situation juste avant le déclenchement de la guerre, on constate que dans la région existaient déjà une atmosphère de tension et une animosité envers l’administration et les chefs et les tribus que celle-ci utilisait pour asseoir son autorité et transmettre ses ordres dans l’intérieur du pays. Ces tensions sont définies à l’époque comme des « troubles dans la région ». Un des facteurs clés dans le déclenchement de la guerre, c’est la manière dont l’administration ellemême a répondu à ces tensions. Par exemple, en organisant une rencontre de conciliation avec les gens des différentes tribus qui contestaient la manière dont le recrutement des « volontaires » était effectué par l’armée, l’isolement des lépreux ou la collecte de l’impôt de capitation. En réalité, il s’agissait d’un traquenard. Les archives en font état. L’administrateur voulait utiliser ce prétexte pour arrêter les principaux meneurs, dont Noël de Tiamou qui est devenu un chef de guerre célèbre à partir de ce moment. Cette manière d’agir de l’administration a ainsi contribué à créer les conditions de la révolte. place et ce sont eux qui ont été envoyés parmi les soldats qui sont intervenus à Hienghène lors de la dernière étape de la répression en décembre 1917. « On peut dire que la plupart des « rebelles » étaient sous influence catholique avant ou après la guerre. » Mais cela reste approximatif dans la mesure où les chiffres que l’on trouve dans les archives concernant les différents épisodes qui se sont soldés par des victimes varient suivant les témoignages. S’y ajoutent tous ceux qui sont morts en prison. À la fin de la guerre, on comptait pas moins de deux cent cinquantesix prisonniers à Nouméa et sur l’île Nou (Nouville, de nos jours). Or une soixantaine de ces prisonniers au minimum sont morts lors de leur Homme coiffé du turban[1911-1912], 4702. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 © MNC-Dell'Erba À l’époque, beaucoup de gens dans les tribus avaient peur d’être arrêtés par surprise. Cette crainte remontait à 1909, avec l’arrestation par surprise du chef Aman. D’autres chefs ont également été arrêtés de cette manière durant les années suivantes, soit chez un colon, soit à l’occasion d’une invitation lancée par l’administration à participer à une fête. Il y avait donc une véritable atmosphère de défiance vis-à-vis de l’administration. Et puis il y avait les colons. Le déclenchement de la guerre de 1917 est survenu alors même que les mobilisés de la région préparaient leur départ pour la guerre en Europe (la Première Guerre mondiale). Certains de ces mobilisés ne voulaient pas partir, estimant qu’il valait mieux faire une guerre ici qu’ailleurs. Il existe des témoignages en ce sens dont celui d’un gendarme en poste à Pouembout ; il témoigne au procès en 1919 qu’on avait provoqué la guerre pour retenir les mobilisés dans la colonie. Mais on ne peut pas affirmer pour autant que c’est la position de ces mobilisés qui a déclenché la guerre de 1917. Ce que l’on peut avancer par contre, c’est qu’il existait alors une forte pression de l’administration et des colons pour réprimer ceux qui contestaient. Cette contestation qui s’exprimait au sein de cette région partait-elle naturellement du monde kanak ou était-elle provoquée par l’attitude des colons ou de l’administration afin de récupérer ce dernier bastion ? 33 La guerre kanak de 1917 © alimenté t i a f n e t s de 1917 e nflits et il t i l f n o c e “L micro-co e d lyser e a i n r é a s c e n n o u d par it. I l faut éaction a f e c e d s’ étend e une r m m o c t ô t u able pl ce conflit uation devenue inten sit ent contre une k. I l y a certainem ana 8 et pour les K e la révolte de 1 87 ntr de des liens e Beaucoup de gens 17. ion celle de 19 réfugiés de la rég des és à Koné sont rtains ont été exil t ce nt que a v a p e l de Poya e é et à B evenir s r n i e P d s e e s o d p l’île leur pro e n n o i t a chef r t l’adminis a responsabilité du ont us l à Koné so ins de ces insurgés e.” erta uerr Mango. C expérience de la g une accumulé M à l’intérieur des limites des réserves telles qu’établies en 1900. Avant 1917, les gens se déplacent à leur guise et habitent un peu partout dans cette région. Après, tout le monde est cantonné, le processus de normalisation est achevé. Il faut relier à cela l’avancée de l’évangélisation, même si beaucoup de Kanak s’étaient déjà convertis. La guerre accélère le processus et l’on constate qu’après ce conflit les conversions se multiplient. Dans le même temps, les missions catholiques ou protestantes font tout ce qu’elles peuvent pour réconforter les gens qui sortent de la guerre et les inciter à rompre avec l’état de révolté. à w é/ Vé Quelle était l’attitude de ces missions durant la guerre elle-même ? T Peut-on aller jusqu’à qualifier ce changement d’attitude de l’administration coloniale vis-à-vis des Kanak « d’effet bénéfique de la révolte de 1917 » ? Oui, dans la mesure où, à partir des années vingt, on prend enfin ces critiques en compte, alors que certaines avaient déjà été formulées avant même que le conflit n’éclate. Mais il ne faut pas exagérer les effets du rapport de Pégourier. La plupart de ses recommandations sont restées lettre morte ; par exemple, sa recommandation indiquant que l’on remplace les gendarmes dans la plupart de leurs capacités de syndics par des civils ; ou celle indiquant que l’on prépare une réforme de l’indigénat (dans le sens de développer un statut des indigènes). Dans les années vingt, l’administration utilise la guerre de 1917 pour justifier le prolongement du régime de l’indigénat ; on cite « la sauvagerie » récente et le danger pour la sécurité intérieure. Ce que l’on constate dans la période de l’après-guerre, c’est la consolidation et l’ancrage du régime de l’indigénat ; et le fait que la résistance, en général, n’est plus directe, ouverte ou violente. En plus, c’est au cours de l’aprèsguerre, au début des années vingt, que l’administration décide d’introduire le système des prestations sur la Grande Terre. Cette guerre va déclencher une inspection administrative et donner lieu au célèbre rapport rédigé par l’inspecteur colonial Pégourier en 1919 3. Dans ce document, celui-ci fait la critique de l’administration coloniale, de ses manquements par rapport aux Kanak durant la période antérieure à la guerre. Une partie de la procédure de 1917 fait Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc Dans quelle mesure l’administration coloniale modifie-t-elle son attitude à la lumière de cette guerre ? k. dc .a w w |w 34 C Concernant le court terme, pour les Kanak et les tribus engagés dans la révolte, cette période marque la finalisation du cantonnement. C’est à partir de la fin de cette guerre que l’on peut dire que les gens de la région de Koné et de Hienghène habitent vraiment C Quel constat faites-vous quant aux conséquences de ce conflit ? K- détention, ce qui porte le nombre total de victimes de la répression de la guerre de 1917, côté kanak, à près de deux cents. Ce chiffre a du reste été avancé avant moi dans d’autres études. Il me paraît cohérent. L’on pourrait ajouter à ce bilan les conséquences indirectes de la guerre. Durant cette période de troubles, des insurgés de la côte Ouest ont trouvé refuge dans les tribus de la côte Est après avoir passé plusieurs mois dans la brousse, sans pouvoir se nourrir et se soigner correctement, et apportant avec eux beaucoup de maladies liées à leur mauvais état de santé. Une quarantaine de personnes en sont mortes sur la côte Est. Personnellement, je suis convaincu que, d’une manière directe ou indirecte, la révolte de 1917 a causé la mort d’au moins trois cents personnes. C’est ce que je reprends dans ma thèse. C AD Si l’on prend le cas du pasteur Leenhardt durant le conflit de 1917, on constate que la position qu’il préconisait était celle de l’apaisement. Il cherchait à convaincre les Kanak que la révolte n’était pas un modèle à suivre. Beaucoup d’écrits, dont ceux de sa fille, Roselène Dousset-Leenhardt, abordent le rôle de Maurice Leenhardt durant cette révolte. Ils soulignent en particulier que celui-ci qualifie ce conflit de localisé, ce qui est vrai jusqu’à un certain point, sur le plan géographique. Il n’empêche que ce conflit a mobilisé toute l’administration coloniale pendant une année entière, ainsi que des centaines de soldats. Il reste que l’influence de Maurice Leenhardt et de l’action missionnaire pour aider l’administration à limiter l’étendue de la révolte et convaincre certains rebelles de se soumettre est évidente. du reste le procès de l’administration, de ses manques, en particulier le fait que des chefs ne sont pas mis en cause alors qu’ils ont joué un rôle dans la révolte. Quel est l’impact de cette révolte en dehors de la région directement concernée ? Ce n’est pas une question que j’ai vraiment abordée. Les tribus qui se sont engagées dans la guerre sont celles des districts de Koné, de Poindah, de Pouembout, de la haute vallée d’Amoa, de la Tiwaka, de la vallée de Tipindjé, de la vallée de Hienghène, de l’intérieur de Voh. Dans toute cette région, certains se sont rebellés, d’autres pas, mais c’est surtout à l’intérieur de ce périmètre © LA MÉMOIRE KANAK M à w é/ Vé AD TÉNÔ (poésie épique) T C C K- C PÈ PERE PAA (discours de guerre) k. dc .a w w |w © Coll. Fritz Sarasin (Museum Der Kulturen Basel, Musée des Civilisations de Bâle) nc Hommes durant un pilou, Bopope Nouvelle-Calédonie. Les photographies, prises quelques années avant la guerre dans la région de Koné par l’anthropologue suisse Fritz Sarasin, restituent une image des paysages, des hommes, de leurs vêtements et de leurs armes de l’époque. LA MÉMOIRE KANAK L ’anthropologue Alban Bensa et le linguiste Jean-Claude Rivierre se sont attachés, au fil de leurs travaux de recherche dans la région de Koné et de Poindimié, à recueillir la mémoire kanak de cette révolte et l’expression qu’elle a produite 1. Alban Bensa se souvient en particulier de ses entretiens, en 2002 et 2003, avec les gens de cette région au cours du tournage du film Esprits du Koniambo 2. © « D’entrée, sans que j’aie abordé le sujet, on m’a parlé de 1917, des grands déplacements des clans et des populations, ceux d’Atéou, de Néami et de Nétchaot, notamment. Les gens de cette région font le lien entre 1917 et 1984. Les plaies de 1917 ne se sont pas encore refermées dans la région de Koné. Il n’existe pratiquement pas de familles qui n’aient été touchées durant cette période, soit qu’elles aient perdu un des leurs lors de la Première Guerre mondiale, en France, soit du fait de la guerre de 1917, en Nouvelle-Calédonie. De l’autre côté (dans la région de Hienghène, sur la côte Est), également concerné par cette guerre, Jean-Marie Tjibaou a très souvent fait référence à 1917 durant les événements des années quatre-vingt. C’est ainsi qu’en 1984, le leader indépendantiste avait choisi d’accueillir Edgar Pisani sur le plateau de Toven, au fond de la vallée de Tiendanite. Là, il lui a raconté le massacre qui s’était déroulé à cet endroit à la fin de la guerre de 1917, au cours duquel sa grand-mère avait été abattue par les auxiliaires des forces de répression. Les deux hommes ont parlé ensemble plus de deux heures, là-haut, à l’ombre d’un kaori géant. Par ailleurs, les gens de langue paicî ont composé de nombreuses poésies orales (ténô) inspirées par la guerre de 1917, qui font parfois penser à l’épopée de La Chanson de Roland. Certaines ont été transcrites par les Kanak eux-mêmes dans les années qui suivirent ces événements douloureux. » M à w é/ Vé En 1978, Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre ont publié l’une de ces poésies 3, accompagnée du commentaire suivant : « La poésie ou tênô, en évoquant Wâii4 frère de Noël Néa ma Pwatiba 5 « un des héros de la révolte, ressuscite avec humour et ambiguïté les événements qui survinrent au village de Cémû (entre Koniambo et Atéou). » AD C K- C Wâii T C Wâii Seul Wâii est invulnérable Il a mâché l’herbe amère Et la feuille de l’arbre urticant Tout un nid de roussettes l’a suivi Emporté par l’inondation Le vide s’est fait jusqu’à maintenant Dans les maisons qui furent touchées Les clans qu’il fit entrer dans la danse Et les maisons qu’il dispersa Il y a semé la pagaille Pwëdé vint y faire des siennes Champ de manœuvres pour Apagu Lieu des manigances de Näwaa Des stratagèmes de Noèèli Et tout cela se fit par jeu Histoire de bien s’amuser Il le fit pour se moquer Juste histoire de faire le malin k. dc .a nc 1. Un ouvrage conçu par Alban Bensa, Yvon Goromoedo et Adrian Muckle à partir de récits oraux kanak sur 1917 recueillis par Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre, et de documents d’archives, est actuellement en préparation. 2. [Les] Esprits du Koniambo : en terre kanak. Film d’une heure trente, écrit par Alban Bensa et Jean-Louis Comolli, produit par Denis Freyd en association avec Archipel 33, Arte France, Entre Chien et Loup, CNRS Images-Média. France 2004. Avec la participation de Samy Goromido, Alban Bensa, MarcAntoine Audet, Ali Ben El Hadj, Marcel Charpin, André Dang, Edouard Gorohouna, Patrick Goromido, Jean-Marie Goromido, Joseph Goromido, Pascal Goromwédo, Séraphin Méréatu, Paul Néaoutyine, Ignace Péarou, Anselme Poaragnimou, Léonard Poarapoe-Sague, Elie Poigoune, François Pouya, Philémon Pouya, Michel Rioux, Gaté Wabealo. 3. Ce texte a paru dans Le courrier du musée de l’Homme, n° 2, de janvier 1978, présentant l’exposition consacrée au centenaire de la naissance de Maurice Leenhardt. 4. Nom que l’on trouve également orthographié Ouaï, ou encore Waï. 5. Nom que l’on trouve également orthographié Bwëé Noël Néa mä Pwëtiba ; surnommé « Noël de Tiamou ». Wë co Wâii nä étö Jè a pwëti tägo mâga Doro upwârâ ibuu Wërë nä-cû wâ cëù-é Wârî pä görö jëpé Cipurë tiëu näbë Baa pa wâ nä é pädi Wââo nä é pa-köcö Pa wâ nä é tididiri Nä é töpwö köcö nââ nä Nyê au pi-bii kë Pwëdé Nyê au pi-pwa kë Apagu Au-pi-bii kë Näwaa Bii kë Noèèli Nä é bii ba köcö É pwa ba êrê èa Bii ba taurèè Pwa mä märä upwârâ w w |w Poème en langue paicî notation et traduction d’Alban Bensa et Jean-Claude Rivierre Pè pere paa pè ya pèyaa mwâgu rö Atéu (1917) ENREGISTREMENT D’ÉMILE TEY KAVIVIORO Discours de guerre pour aller frapper la forteresse rocheuse d’Atéu 1917 I l existe très peu de documents concernant les auxiliaires kanak qui prirent part aux opérations de répression de la guerre de 1917. Les témoins de cette époque n’ont pas laissé de témoignage. Seul Maurice Leenhardt nous a laissé deux pè pere paa, discours de guerre en langue a’jië, qui avaient été prononcés par le grand chef Mindia de Houaïlou (Mèèjâ Néjâ : 1863-1921) pour exalter les jeunes hommes à s’engager, en 1916, en tant que tirailleurs. Son propre fils, Apupia Néjâ (1893 ou 1895-1966), montra l’exemple et s’engagea lors de la première vague d’enrôlement en février 1916. Le grand chef Mindia récita de nouveau ces mêmes discours en 1917 pour inciter à la levée des auxiliaires. Recueillis par Maurice Leenhardt auprès du grand chef Mindia lui-même, ces deux discours furent publiés en 1932 dans Documents néo-calédoniens, Institut d’ethnologie, Paris, 1932, pp. 308-312. Ils semblaient depuis retombés dans l’oubli. Or, à l’occasion des opérations de collecte du patrimoine oral kanak dans l’aire A’jië-Aro, Alexandre Weïko Tevésou a recueilli l’un d’eux de la bouche du vieux Émile Teyâ Kavivioro de la tribu de Bâ, Houaïlou. Né en 1916, Émile Kavivioro avait appris ce discours de l’ancien combattant de la guerre 1914-1918 et fameux orateur de la grande vallée de Houaïlou : Kayanô, Yumi Yari Kandè dit « Boulouris » de Coula (1888-1955). Il l’a récité intégralement presque mot pour mot près de quatre-vingt-dix ans après qu’il a été prononcé pour les circonstances évoquées ci-dessus. Ce texte nous fournit un formidable témoignage de la permanence de le mémoire kanak orale. Nous reproduisons ici la transcription établie par Alexandre Tevésou et Yamel Euritéin ainsi que leurs notes. En vis-à-vis, la transcription et la belle traduction de Maurice Leenhardt publiées en 1932. Toutes deux sont accompagnées de ses très riches notes si utiles pour comprendre ces textes anciens, souvent elliptiques et aux formes et images parfois archaïques, parfois difficilement intelligibles pour un lecteur a’jië moderne. Le lecteur intéressé pourra ainsi juger par lui-même des quelques variantes entre ces deux versions collectées à presque un siècle de distance. Ces variantes, notamment les noms de lieux, seraient dues aux circonstances de l’énonciation de ce discours. Selon Émile Kavivioro, il aurait été récité à Wêpwé (tribu de Néouyo), nom de l’endroit où se trouvait la chefferie Néjâ en 1917, avant le départ des guerriers-auxiliaires, mais aussi, et en même temps, à Kajirè (tribu de Ba). Les premiers firent jonction avec les seconds à Ba et poursuivirent ensemble par les lignes de crête en direction de Koné et de Hienghène. Les toponymes cités dans la version de 2005 renvoient aux puissances magiques guerrières associées à Ba tandis que ceux de la version de 1932 renvoient à celles de la région de Néouyo. La récitation simultanée de ce même discours en deux lieux distants d’une dizaine de kilomètres mais symboliquement liés, avait pour but, non seulement de galvaniser les hommes au combat, mais aussi de convoquer et d’unir les puissances magiques des deux terroirs et d’ébranler, par la seule énonciation, celles du pays à combattre. Ces discours de guerre, étaient répétés si nécessaire au long d’un conflit. Ils étaient aussi essentiels que les armes car ils permettaient de conduire la guerre sur le plan symbolique et magique. © M Ce discours de guerre n’avait pas été conçu spécialement pour les deux occasions où il a été prononcé en 1916 et 1917. Il consistait en une adaptation d’un discours plus ancien. Voici ce que Maurice Leenhardt précise en introduction à ce texte : à w « Il doit y avoir trois ou quatre générations — car les souvenirs en sont assez précis —, et antérieurement à 1875, les Houaïlous firent la guerre aux Konés. Ils vainquirent alors les Négorobao, au rocher Négoroateu, actuellement Kovei. Le discours rapporté ici fut prononcé à cette époque pour exciter les guerriers au combat. Quand, plus de quarante ans après, en 1917, les Houaïlous furent appelés à marcher comme auxiliaires contre les rebelles du pays de Koné, le chef Mindia excita ses hommes en reprenant cet ancien thème, puisque le « Contre Nadù » s’adressait précisément à des clans de Koné. Il ajouta seulement le nom de « Pamalé », pour compléter la liste des régions incriminées dans la rébellion. Mais les Négorobao étaient cette fois nos alliés ; l’orateur ne s’en troubla point, il eût été trop difficile de changer avec précision tous les noms propres, et le nom de « Pamalé », qui était celui de la principale région soulevée, retint seul l’attention et parut à tous une précision suffisante ! » (Leenhardt Maurice, Documents néo-calédoniens, Institut d’ethnologie, Paris, 1932, p. 308) Texte recueilli en 2005 AD é/ Vé Texte collecté auprès de Monsieur Emile Kavivioro (2005)1 Gö yè a’vi pere mâ a’ röi néwâ ba xèi mwâciri xi-nya ge mâ doa vi yikiri rö pörökö mâ rö xèi körö mèru mâ wâré mâ wâré xèi pörö nédaa nc na gëve mâ kümâkü rö yöröwaa kêê ka yèiyé mâ dèxâ u né da u kö kuru ûrû-â kuru vi ûyûi mâ vi pere na dui xè Göyara[7] mâ Pè mâ Pwiridë[8] ârua k. mâ ki uböyi na rö rhari na gëve vi mâ vi pwa jîrhere mâ tö ria bëi rha Gwâmii[5] mâ Kuvèmâu[6] dc mâ ki rhùrù mèè mâ vâ né nâvui pâ-é na tö möö Pèruanô[4] .a mâ pwé rua vè kö mâ tömâ vè mâjai rö bwêêjuu ka vië ré dè tèria Bwadéwé[3] w w mâ kûrû kayâ mèru na ki rhe yawia rè mèè Cawi[2] |w mâ mârââ vi pârâ kwââ mo mâ mârââ dèxâ juu na ki böri rhèwiri ria ûrû dèxâ kêê lë T mâ ûrû mâya dèxâ nérhëë (mâ jövui dèxâ nérhëë) mâ kuru ûrû-â rö dèxâ néparhö mâ mârâ du i rhea rö dèxâ bwêê kwèè kêê mâ ki ûrû vi mâya dèxâ vi rö gwâ mwâ Traduction de Maurice Leenhardt (1932)i Discours contre les Nadù et Négoroateu à Koné Je haranguerai encore et parlerai haut, par la bouche du peuple de Göi a’vipere të ma a’ rua roi néwâ ba xèi mwâciri xin-ya mon royaume, peuple aux hommes nombreux à se toucher comme les arbres de ré na vi pavèâ ee vè kêê la forêt, peuple dont le bruit est semblable à celui d’un lieu de pêcheii ma ûrû mâya dèxâ nérhëë abondante, ma juu dèxâ nérhëë à celui d’une masse de mer soulevéeiii, ma kûrû éwâ rö dèxâ néparhö au vacarme du poisson dans l’encerclement du filet, à la résonnanceiv ma mârââ du i rhea rö dèxâ bwêê kwèè kêê d’un lourd poteau tiré et heurté contre de grosses racines, ma ki ûrû mâya dèxâ vi rhöö gwâ mwâ au brouhaha de l’édification d’une case, quand on courbe les gaulettes du faîtev et noue la ligature de leurs ma mârââ a vipârâ koâ mo extrémités, au tapage d’un vol de roussettesvi qui descend s’arrêter sur un arbre ma mârââ dèxâ juu na ki mö rhèwiri ria rö dèxâ kêê në sans feuillage, peuple dont le bruit est semblable au vent de tempête Est-Nord-Est, ma kûrû kayâ mèru na ki bâ rhèyâwia xâmèè Cawi qui déchire les cumuli et les amoncelle de l’autre côté, à Cawi, ma ki pwé rua vè kö ma tömâ vè mâjai vent qui se lève en un nuage à l’horizon, se dresse en gerbes d’écume rö bwêêjuu ka vië ré tè ria Bwadiwi là-bas, sur le récif sournoisvii de Bwadiwi, secoue sa face et clame son nom en levant la cuisseviii et s’appuyant ma ki rhùrù mèè ma vâné nâvui pââ-é na tö möö Péruanô vers la montagne Péruanô, na ki uböyi na Rhorhari. quand le Rhorari l’appelle. Wè gëve yè mâ vi pwa jîîrhere ma vi toriabëi xara Gwâmii ma Vous irez par des chemins en tous sens. Vous vous lèverez d’un seul Kuvémau mouvement avec Gwâmii le tonnerreix et Kuvémau. x aux extrémités des branches qui s’allongent et de Vous ma gëve mâ kümâkü rö yöröwakêê ka yéé i e ma dèxâ u né daa u kö. l’arbregrimperez houp dont l’éblouissement cache le cielxi. Que s’ils disent, les deux de Goyara Pé et Pwirida là-haut, que s’ils Kuru êrê vi ûyû ma vipere na dui xè Goyara Pé ma Pwirida a xârua prétendent, qu’ils vont agir en secret et proclamer la guerre, alors qu’ils semblent deux hommes gouvernant sur le bord de la na kuru ma ûrû dua viyiki rèi pörö kwâ ma rhoo xèi körö mèru piroguexii, vidant l’eau à cause de la chasse des nuages sous le vent de tempête, ma wârê ma wârê xèi pörö nédaa hésitant devant l’horizon basxiii, C ré na vi pavèa-è vè kêê Texte publié par Maurice Leenhardt (1932) [en graphie moderne restituée] C Pè pere paa pè ya pèyaa mwâgu rö Atéu K- C Discours contre les Nadù et Négoroateu à Koné Discours de guerre pour aller frapper la forteresse rocheuse d’Atéu 1917 ki mâ tömâ rua na dèxâ népèbwaaru xi-nya pè rhèi paa ki ma tömâ rua na dèxâ népèbwaaru xi-nya pè rhèi paa qu’un de mes bwaruxiv se lève, peint pour la guerre, mâ dèxâ tâi uvö ma dèxâ tâi uxo ou quelque bancoul superbe, mâ ki mâ tawawiri dui xè Atü mâ Négöröbao mâ Pamalé ârua na ki tawawiri dui xè Até ma Négöröbaö Pamalé a xârua. (ge mâ uru pa vicôrô rhëë xèi népèra Kuru ma ûrû dua vicôrô rhëë xèi népèra mâ cîî dèxâ népwéjepaa) ma cîî dèxâ népwâjépa et qu’il renverse les deux d’Até, Négöröbaö et Pamaléxv. S’ils semblent deux hommes qui ouvrent le barrage d’un endroit endigué, ou détruisent un barrage de fortune pour que l’eau se précipite, que cette eau débordée leur soit nuisible comme votre sagaie et votre doigtierxvi. Vous monterez sur les perches pour déclamer les harangues de guerre. Vous parlerez à tous deux, vous leur direz : « Sagaie et massue »xvii. Qu’ils soient pareils à ceux qui cherchent de l’eau pour la marmite brûléexviii, et l’apportent au milieu des trombes de poussière d’un éboulement, ki mâ je mâ nee xe-ve ki ma je ma nee xëve. gëve mâ kwéyërua vi pere i pere paa Gëve yè mâ kwéyërua vipere i pere paa mâ gëve yè êrê yè-ré, pâ êrê je mâ o ma gëve yè êrê yè ru i pèè êrê je ma o ki mâ ûrû pa vi rhiè rhëë né kë kéré ma ûrû pâ vi rhiè rhëë né kë kê mâ pè mâjai né lee mâ rhèrhîyâi ma pè mâjai nélë ma rhèrhîyâi iri Ka è jöbùrù ré tö ru Kwérè[9] mâ ki bera gâ mâ bëru a kovo mâ ûrû ka tewa xè né mwâ beredaa na ka tö rua Mwâxâ[10] mâ tè ye Mèèrhari[11] göu mâ vi mèè rhôê mâ yu axârâ xèi pèyaa mâ yù ria mèbaa ki kô vè maii mâ wê tö paviru na pèyaa Mwâgu wi xè Nâdu[12] ârua Até[13] Cowa. » ö ka jobùrù ré tö ru Kware. Ma ki bera gâ ma bëru rua kovo ma ûrû ka teewaa xèi némwâ bereda na ka tö rua Mwâxâ ma tè yö Mèèrhari. Këve ma vi mè rhôê ma pârâ yuaaxârâ xèi péyaa ma yù ria mèbaa ki ma kô vè maii ma we tö paviru na ö péyaa mwâgu i wi xè Nâdù xârua Até, [Gö a ye.] sans voir ce vent de rafale du Sud, à Kwarexix. Que tournent les tourbillons et monte le trouble de la vase, tel celui qui sort de la maison des flèches, le maître de Mwâxâ là-haut, et en avalxx, celui de Mèèrhari. Allez chercher auprès des pierres (sacrées) la colère et tous les cauchemars. Enfoncez le coin qui sépare. Et qu’il soit disloqué et réduit en miettes ce rocher, citadelle de l’homme de Nâdù, là-haut, à Até, [J’ai fini.] » Emmanuel Kasarhérou NOM DE CLAN : Yari • ÂGE : 89 ans DATE DE NAISSANCE : 04/09/1916 LIEU DE NAISSANCE : Népèyî (Né péya pèyî) LIEU D’ENREGISTREMENT : Karhëbui (lieu où habite le vieux Émile) DATE D’ENREGISTREMENT : 14/09/2005 LANGUE : a’jië GENRE : discours de guerre (Pè pere paa) ENQUÊTEUR : Alexandre Weïko Tevésou TRANSCRIPTION : Alexandre Weïko Tevésou, Yamel Euritéin RÉSUMÉ : L’auteur rappelle que le chef Mindia a clamé ce discours d’exaltation des guerriers, avant le départ pour mater la rébellion en 1917, à Atéou (Koné). i. NDLR : Dans le texte et les notes qui suivent, nous avons respecté la graphie du a’jië utilisée par Maurice Leenhardt. Nous donnons entre crochet la graphie actuelle. ii. Maya dexa nerhë [mâya dèxâ nérhëë] – Le bruit d’une étendue d’eau, sous-entendu, propice à la pêche, c’est à dire, où, dans le silence, on entend les poissons qui sautent. iii. Ju dexa nerhë [juu nérhëë] – Belle image évoquant, dans la grande vague, l’ossature de la mer. iv. Du [mârââ du i rhea] – Le bruit du heurt du poteau contre les racines lorsqu’il est tiré dans la forêt. v. Maya dexa Virhô goa moa [mâya dèxâ vi rhöö gwâ mwâ] – Dans les hautes cases de pilou, certaines solives se terminent fines et sont recourbées dans le bout. Durant ce travail les hommes sont nombreux sur l’échafaudage autour du faîte du poteau central, ils sont serrés, chacun crie ses ordres ou ses pensées, personne ne l’entend et le tapage est grand ; c’est le brouhaha de travailleurs actifs et nombreux. vi. Ju [juu] – Nom du vol en troupe des roussettes. Celles ci poussent de petits cris qui, par leur répétition, font un vacarme. vii. Ka viĕ [ka vië] – Qui guette ; le récif, caché, sournois, attend la pirogue qu’il brisera. viii. Navui pâ e [nâvui pââ-é] – Lève sa cuisse. Geste effrayant. Pour se donner une contenance terrible, l’orateur de guerre agite sa face, et tient la jambe levée et appuyée contre l’un des bois de sa tribune comme s’il allait grimper ou se précipiter d’un tremplin. Cf. genre tribune. Vol I, p. 164, fig. 39 – Lève la cuisse vers Pérouano [Pèruanô] signifie : le vent se dresse et s’appuie sur la montagne Pérouano, colline du bord de mer, à Nésa [Néya]; elle reçoit le premier souffle des brises ix. Goamii [Gwâmii] – Ancêtre du clan Néareu de Tu [Tù]. Son totem était le tonnerre. Il pouvait le faire éclater. A la mort de Goamii, ses enfants ne gardèrent pas son crâne dans le voisinage immédiat, ils le portèrent avec respect au sommet du Méji (1 100 m) de peur qu’en restant à Tu [Tù], il ne fasse ébouler les montagnes par les éclats de son tonnerre. Goamii est une figure pour désigner ici le tonnerre : Vous irez avec Goamii = vous marcherez avec le tonnerre. x. Kùmakù [kümâkü] – Indique le mouvement répété des bras de l’arbre auquel on grimpe. Cf Voc. Kù. xi. U ne daa u kō [u né daa u kö] – le houp de la clarté qui cache le ciel. Image difficile à préciser. L’arbre houp, dit le Canaque, a ses branches si haut que les yeux, levés vers le faîte, gênés par les branches et le rayonnement du jour, sont éblouis et ne peuvent voir la voûte céleste. xii. Poro koâ [pörö kwâ] – Le bord de la pirogue. On dirige celle-ci en godillant avec une large pale à l’arrière. Mais ici le vent souffle en tempête, la pirogue gouverne mal, et les deux hommes qui la montent doivent à chaque instant donner sur le flanc de l’esquif quelques vigoureux coups de rames pour le redresser. Image pour se moquer de l’ennemi affolé cherchant à redresser les mauvaises conditions où il se trouve. Figure intéressante aussi au point de vue technique, car la godille, employée par les Néo Calédoniens, n’est pas également utilisée dans toute la Mélanésie. xiii. Poro Nedaa [pörö nédaa] – Le bas de l’étendue claire – l’horizon. xiv. Baru [bwaru] – Champignon donnant une poudre noire dont se revêtent les hommes de guerre. On identifie ici le guerrier avec la substance dont il est entièrement couvert. Le baru est réservé à ceux qui, dans la guerre, officient. Plus rare que le bancoul, il a plus de valeur. Il donne un ton mat, contrairement au bancoul que l’huile rend brillant. xv. Pamale – Pamalé est une vallée au pied du Mt Tchingou ou vivent quelques clans sans unité, apparentés aux clans de Hienghène, de Koné, de Ponérihouen, de Poya. Dans les affaires les plus anciennes entre Indigènes et Européens, les clans de Pamalé ont été les agents de liaison entre les Ponérihouen répandus dans la région de Koné, et les Hienghène. Ils ont toujours eu pour adversaires les clans de Koné vaincus et dispersés entre Koné et la côte Est. Cf. Vol. I. Carte II, langues Koné, Hienghène, Ponérihouen. xvi. Jē ma nē [je mâ nee (on dirait aujourd’hui : je mâ lee)] – Il convient de se représenter un peuple vivant de pêches et de cultures irriguées et excellant dès lors aussi bien à barrer les petites rivières pour capter les poissons qu’à diriger de petits canaux par les pentes abruptes des montagnes. De là tout un langage très imagé illustrant maintes circonstances, le barrage constitué, le barrage de fortune fait par une motte de terre et les dégâts résultant d’un coup de pied méchant faisant écouler l’eau et provoquant les éboulements. « Que ces dégâts soient votre arme contre eux, votre sagaie, votre doigtier ». xvii. Jē ma o [je mâ o] – « Sagaie et massue », cri qui équivaut à notre « Aux armes » xviii. Kë kè [kë kê] – Marmite brûlée. Allusion à ceux qui perçoivent que l’eau de la marmite de terre est évaporée, et courent vainement en cherche d’autre pour éviter qu’elle se casse. Image de ceux qui parent trop tard au danger. xix. Koarē [Kware] – Nom indigène de la baie Laugier [NDLR : Baie Laugier ou baie de Kware : au sud de la baie de Kwawa (carte IGN n° 4822 au 1/50.000° Kouaoua)]. La brise de terre venant de cette baie profonde et escarpée, où le vent souffle en entonnoir, tombe sur les pirogues et les fait chavirer. xx. Ka torua … ma teyo… [ka tö rua… mâ tè ye…] – Ka est mis ici pour kavu to[kavû tö], le maître qui demeure à… 1. NDLR : nous donnons ci-dessous les notes du texte collecté en 2005. 2. Nom du clan Méboédé à l’état civil (clan Mèèbwêêdè en langue a’jië). 3. Récif du clan Nérhon. 4. Nom d’allée centrale à la tribu de Néya (Houaïlou). 5. Nom de tonnerre (du clan Néareu). 6. Nom de vent (du clan Anreu et Gowé). 7. Il s’agirait du clan Göi et Arawa de Kwéa (Monéo) mais l’informateur n’est pas sûr de lui. 8. Clan Pourouda. 9. Lieu-dit de la tribu de Bâ. 10. Sommet de la presqu’île de Bâ où se trouve l’antenne de télévision. 11. Nom de la pointe de Mèvégon. 12. Clan de l’Aoupinié. 13. Pic Até. LA MÉMOIRE KANAK Goo ao Bwékua nä goro i paa Koonê gééilu De grand-père Bwékua à propos de la guerre de Koohnê avant-hier Ténô dit par Waia Görödé Ténô dit par Waia Görödé (Waya Gorodey, père de Déwé Gorodey), enregistré à Perlou par Raymond Näbai et transmis à Alban Bensa à Näpwéwiimiâ en juillet 1973. Transcription et traduction réalisées à Cèwé (Tiaoué) par A. Bensa et Y. Goromoedo en avril 2007. L’écriture du paicî est celle établie par Jean-Claude Rivierre dans son dictionnaire. © [Note des traducteurs] : Cette poésie relate le trajet suivi par des gens de la côte Est qui tentent, semble-t-il, de rallier la rébellion. Ils remontent la vallée d’Amoa, arrivent sur les hauteurs de Koné et constatent l’avancée des soldats qui poursuivent les insurgés jusque dans la chaîne centrale (Pwäräpéwâi, Upaa) et ses vallées alors très peuplées comme celle de Näwaa (au fond de Néchaot). Le petit groupe cherche à contacter les chefs de la rébellion (Téâ Kaapaa, Näbatögöröwèè alias Kaféat) mais, voyant que la situation est désespérée, regagne le bord de mer sur la côte Est en descendant la vallée de Tipijé [Tipindjé] jusqu’à l’embouchure de la rivière. Ils reviennent ainsi jusqu’au lieu où demeure l’auteur de la poésie, sans doute vers Ponérihouen. M à w 1. bë oro bë nyê paé 2. bë i bë wiâ Awâ 3. bë cööbërë Apia 4. bë wiâ Pwäräpéwâi 5. bë tapoo tèèpaa dö 6. bë tapoo côô i pwöwéö 7. i pwöwéö kä pa coda 8. pa coda mê Koonê 9. tiraié dö Pwëbuu 10. dö göröjaa Upaa 11. puu të niârî bwèti 12. puu të côô Näwaa 13. të niârî Näwéèlé 14. të côô Téâ Kaapaa 15. Tëbatögöröwèè 16. bë tabéa Näpijé 17. bë cèri â Tiunââ 18. bë wiâ pwärä Pwanädù 19. boo pwärä Pwawétaa 20. jè näbwé i nyäbi kä-bë 21. nââ nî Nägùmämärü T C C K- C AD é/ Vé Nous sanglotons en nous en allant Nous pleurons et suivons la vallée d’Amoa Nous sortons à Apia Nous suivons la crête de Pwäräpéwâi Nous commençons à arriver en haut Nous apercevons le drapeau Le drapeau des soldats Les soldats venus de Koohnê Les tirailleurs des hauts de Pwëbuu Là-haut sur la crête de Upaa Allongés pour bien observer Allongés pour voir Näwaa Pour observer Noèlly Pour voir Téâ Kaapaa Tëbatögöröwèè Nous tournons par la Tipijé Nous passons en douce à Tiunââ Nous suivons l’embouchure de Pwanädù Descendons jusqu’à l’embouchure de Pwawétaa Et notre chanson prend fin Ici à Nägùmämärü k. dc .a w w |w nc [Note des traducteurs] : À l’écoute de l’enregistrement, il apparaît que W. Görödé lit le texte reproduit ci-après, retrouvé par Bernard Gasser [NDLR : enseignant et auteur calédonien]. Voici la chanson en mémoire de cette guerre civile en Calédonie, composée par un vieux Canaque Boékua de Nécapoé. Boè oro boë nia pa é Bè i bë wia âwâ Bè co bèrè apia Bè wia Pwarapéwaî Bè ta po tépa do, Bë ta pocô i pôwéô I powé ka pa coda ka paa coda nieâ Koné Tiraiè do Pabu. Wa do goroja Upa Pu ta nia rî Poadé Pu ta cô na wiia Ta niarî Noély ta co teâ Kapa Ta ba go to wae. Bé tabéa napéjé Bè Cêù a Tiûna Bè gù wa pwara pwanadu, bo pwara pwaéta. Jè nabwé nyabi kabè Na ni na gu ma marù . La guerre kanak de 1917 que la guerre reste très vivante dans les mémoires. Il y a aussi le cas de ceux qui ont été recrutés comme auxiliaires, en général des gens de la région de Poindimié, Ponérihouen, Houaïlou, Bourail, Canala, Kouaoua. de 1917. J’ai été bien accueilli partout et la plupart des gens que j’ai sollicités ont accepté de parler. Je leur soumettais des documents d’archives concernant leur tribu et j’ai pu ainsi recouper les noms figurant dans les archives et ceux dont mes interlocuteurs me parlaient. Seules quelques personnes m’ont dit très franchement qu’elles ne voulaient pas s’exprimer à ce sujet, précisant que c’était le passé, l’histoire. impression, c’est qu’aujourd’hui, en dehors de la région Nord, ce conflit reste mal connu dans le monde kanak. Même si le nom de « Noël » (comme celui d’Ataï) ou la date « 1917 » (comme celle de « 1878 ») sont devenus des symboles de la résistance. Comment expliquez-vous que cette période de l’histoire calédonienne soit beaucoup moins connue que d’autres ? Difficile de répondre sans avoir vraiment étudié cet aspect. Il faut penser que l’on est dans un contexte colonial. Le mouvement de personnes en dehors de leurs districts reste difficile jusqu’aux années quarante. Dans le système scolaire, l’enseignement de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie reste limité. Mon Si l’on s’interroge sur les causes du « silence » autour de 1917, on note tout d’abord la répartition des victimes. Moins de quinze Européens sont tués. Ces victimes n’ont pas de descendance, sauf en ce qui concerne la famille Grassin, dont une fille et un fils ont échappé au massacre. © L’autre aspect de la question, c’est de mesurer si ce conflit alimente la conscience collective du monde kanak ou reste limité à ceux qui l’ont mené. M Vos interlocuteurs vous ont-ils donné l’impression d’être objectifs ou de chercher à réécrire l’histoire tout en se repositionnant par rapport au contexte actuel ? à w Je ne pense pas que les gens aient cherché à réinterpréter l’histoire, sauf dans quelques cas peut-être. J’ai surtout abordé les parcours familiaux pour savoir d’où les gens étaient venus, où ils étaient allés pendant la période de conflit. é/ Vé C K- C AD Second aspect, la concordance entre la guerre de 1917 et la Première Guerre mondiale. Les victimes de 1917 ont été « noyées » dans la tourmente de ce conflit mondial. k. dc nc J’ai réalisé mes entretiens dans mon français qui reste approximatif. J’ai surtout travaillé dans les tribus de la région Koné-Hienghène et je suis allé à la rencontre des personnes qui étaient en mesure de me raconter ce qu’elles savaient sur l’histoire de 1917 ou qui pouvaient me renseigner sur les personnages que j’avais repérés dans les archives. J’ai essayé de voir des gens nés entre les deux guerres et dont les parents avaient éventuellement vécu la guerre .a 'E C-Dell © MN Notes Au début, c’était difficile, dans la mesure où j’intervenais en tant qu’historien et non en tant qu’anthropologue. w w Hache à lame de fer, bois et métal, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. |w rba T C Comment la partie de votre travail sur le terrain s’est-elle déroulée ? Les personnes avec lesquelles je me suis entretenu et qui étaient peut-être descendantes de personnes impliquées dans un soutien à l’administration auraient sans doute eu du mal à s’exprimer sur ce passé et ont eu tendance à le passer sous silence. D’autres ont abordé la question assez franchement, mais je n’étais pas en mesure de vérifier les dires des uns et des autres. Parfois j’avais des temps forts avec des gens qui me parlaient de leurs parents. L’un d’eux m’a parlé de son père, du parcours de celui-ci durant la guerre, de son arrestation, de son séjour en prison. J’ai pu retrouver dans les archives les minutes du procès de ce personnage et j’ai pu vérifier qu’elles concordaient avec la version des faits que j’avais recueillie auprès de sa famille. J’ai pu ainsi apprécier la qualité de la mémoire orale. Propos recueillis par Gérard del Rio 1. NDLR : dix membres de la tribu de Tiendanite, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, ont perdu la vie lors de cette embuscade meurtrière tendue au lieu dit Waan Yaat, entre Hienghène et Tiendanite, par des anti-indépendantistes de la région. Les auteurs de cette embuscade ont ensuite bénéficié d’un non-lieu. 2. Missionnaires protestants indigènes. 3. Se reporter à ce propos à Mwà Véé n° 57, de juillet-septembre 2007 consacré à la mise en œuvre, au début des années trente, de la « nouvelle politique indigène ». Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 39 La guerre kanak de 1917 D ocu m ent [Interrogatoire de] l’indigène Poindet, ex-petit chef du village de Paola-Netchaot, la Prison Civile, le 1er fév. 1918, signé Daurelle (syndic) et Fourcade (chef du SAI), ts, extrait certifié conforme, AAN 21.1. © s fems co m m e d e n o r é d si n o us c n s fai re accom- vo ou s savio tu n e s, qu u e No ut ous n’hén s do m es. d roits et n nvoyés à pou r cela sa e os n s l r e mi m te r r a ec ie d gen resp n os a r m es r févr à p re n d re p ag n es les [sic] premie s i a p é, hu d’ gn s n ur si o jo us ti Ce .” si e.” , so soi n était a recherch x-huit, nous s que je lorsque le b e trateu r- m i d neuf cent di is n n a i t so n m i Ad id , fred pren a nt à du Da n s l’après-m les hom m es Fourcade Al r Paetou, e ec es s, Chef ci av r u ie o n s s “T a lo p e : L Co s la , pren ais m on re m e d it es e d e, èn ol ig rd r d o a Adjoi nt de b In p la a s s es u r le s A ffai res . tou r ut que tu f ie, de m a tribu, s fa El l I Gatelia r Ser vice de e. n pa u é e appel n n es to n t ro p j gen d a r m e Daurelle , et rivière, je fus e tu appre u es q i. èn lu s, assisté du ig u e d o d n In s co m m e étais au x A ffai res 1 d is auprè de-m oi, j’ r a g Sy n d ic des e m me inter- Je m e ren : R co es , r. m e r m éti l a g u e r re s te ne Leopold d igèn e i ls fi rent pa rla en ce n d i e de l’in digè n m l’ s s a u he q de oc s pr ye Gatelia Po s re rt. Tu n’a s reçu t’ai fait de village u is p a s m o s je prète, avon s du n e le n ti ef e ma ec j ch e av ” “C et p etit ption avoi r p eu r. es trop bien Poindet, e xs trop. p as b esoi n d’ , ci rcon scri a rce que tu te p ot a, ou ha éc tc s Ne nu le ae tu venue à Paol de Paol nt, déte m ent les S.I. Le soi r de votre bla ncs et qu à é, u n en fa le é ri d ci a n m fa a r m e p ie é, d n qu a rt de Ko utes tro s, j’ai au éc at ” x d t. e t ol en en u s d T n em s a iv m e Noel avec le le, les ’ils te de ad m i n istrat p en sait qu Prison Civi ser vices qu e Tein Antoine s’i l la it fai re u s de y n e r l ou ia t p sp éc es : Tia m ou f m e fi nt à e a h c it iv ra su d o6. t d n n s n a e i se re Le gr où éta de Kon ia mb s e décla ration s n a le ge c r s e a n le p u ec s voqué entrer d a n ai n si qu3e la pai x av a n ière évaJe fu s con Gatelia d it d’u n e m etits chefs n t p Poi n det : o s p di s . ré le e s m i n Il Paetou rien. Aprè réu Tein Antoine le sorcier n’en savait gra n d chef l et i eut lieu ’i x qu en s u qu e m’ n e m u i ê io v ve to m n ae u si s de de ré rcier P nt les le e so r s n le fi a t d e r m à u n e gra n a n p e gea à avait votre dé Les vieu x de Nap a rou au et m’en ga u x que m’ ve e . c ou 17 n e 19 u e au vi llage q d rs t a s i n ée. trepri ls. Il m e r e p ro c h e m ois de m n s la m at vos con sei a d re iv cou ra nt du s u s le s u trom p e, ne pa aient faits Gatelia ap ostrop h a : “T m a n d a nt te ion assist m n o c u m’ é r e i x u u “L e q e t : d’ x n. et l’u d it À c Nou m éa ce e ceu Ch acu n m e d isait r riveras à s chefs qu a e, s it s tu e o et r g p e è i n s qu n m u e u e m rs u’ lo mê ce de l’Adla p r isait n’es q s à la Poli is p a r t à juste, m e d a r p s p e a p t é. ra n s e e s rl i s i a a le vo p e n av ai ntiai re qu da n s Tu ne nt je vou s on p én ite con fia nce ti e n s ra r a e st s u r i a T i n c n i m réu n ion do e. ais à la te souve quem ent autr m i ut bl r, u fa p vi r l a e i h s c s s ai r e p ro à Amane, tu i ra is au x bla ncs, m ” Gatelia m e e je r e n d a s ont fait ti rai lleu r. u l q i e m u’ à s m q e o c et ic e v c on r a, ti y e d ra Po e vention, st d i les se n , i Moimba ette i nter à de l’Ad m c s e s, s d nt ye lu a e p s et Po nt r it a u u s 4 se s de Il y n s le À la repré Oué-H ava . uta avec Paetou ag n a nt d a p p e s m d s i o e d , n cc è e a de p g s i i s r r d y hieou c e T in Gogn en le do n n rcon s encore les a de m e s les ci s h n s p c a n o m d a r e d p t l, e g s r -i e n e t s it lo i i gl lu visi me d û lé u n e é ei ls. st ai n si, envoyé avaient br s sold ats m auvais con s s le tion s. "C’e a m’ ; p a tu g a t W n ce que m’a e e m d e r n è i io en se à tout rent plu p ou r m e la rég p qu e d e r n lè e rs e l j p o d si p n o fu a B u Q 2 is volontie ent, i re à Rubod . i nter vi n r le su r plu s dit Paetou je pren d ra u n é m i ssa M. à et r e s, e rl r a r. s nôt nir p s p eutou r le tue p ag n é ce sieu rs de5 d i re de ve te fig u re u n fu si l p u core accom T n e . mom ent s s a a e ut d r a tu s tu d i sp H ie r di re qu’au e qu e t’occup e sé c r u is a T p la e. t m is s ê e su m i est lu i a ? Je m e s. être que c’ der n ier ic es Poyes c’ t’ép a rg n er ga rdent p a d e n r o re l’ e i t a e u ff e q a n nt de l’ nt. Pa r m i su r des ga lon s c h o s e s qu i Gouver n em e le m ouvem e n d a r m e r ie e it le g a e a g l s, e ri s p i e m d n o certai n ed es T u te t r avec qu i Tu ren seig iers c’est la tribu e il a fait rc m s o m s n o a s c d le oi e s t c n table. u x et tou es p as fera avec l a p ré s e plu s redou s o m m e s v ie Tu n’hésit le s u i s. é No lu d a s. nt év e e e m u à s c lépreu x u au x cases les autr étais ren d on s p a rfoi -m êm e le fe ue si je m’ ue nou s nou s dem a n d q uq e ez e s j i t r av ou s lo y à m ettre toi s aj le e m’ J’ d a vou s n d rez, a r ces m a l s. Nou m éa, ai n si que is ent. que vou s devie lu r d p p n a t s m n n occup ées p e e o d i r a e m es au r m es te le ou s n e s o m n h r d a s e n d e s a n m ? a u e s c n q g les u ne n es, uvem e t, ntérêt en gagé, i n c e n d ié êm e au m o a de vos i r m s e a p d p i u n m e a a cc g u o tu â q Né s’ sà N’a Qu i pa rt ncou ragés votre u n e autre Paetou et e s avion s et u r o a ? n p oi s u t u e b s o u i é . n q r s ez s t s ch L or ta p ou ou s, n Antoine en d p a s de n s chez n d chef Tei p o n é t a ti d n s e e gr e e u g r n q r a le s i s i l’ u r u q pa no es ta n d A ffai res qu i touch es ig n a m es, r ez les r vice des C’est toi h e c S em ent p ou m a n gion s d n z u r d le ve l f u a e o g s le Le Ch oi je vou s autres, vou qu e d o n n e : Fourcade lépreu x, m r du p ai n. e s g e n d a In d igèn es m n e r n i u u o et d’ p s r c u n l’entr a le u bl o nta- Le Sy n d ic : Daurelle m a i s la c p a s d es p a rt, s a p n o e ti r n e vois ja on for m e. r t o p au e m e vou s. certi fié c iges, d’ “Nou s n m o bl c it o a r s r u t le ot T x l t e i a sou. Pou r s p a le g n é] ? ? ? à trav lon s ou de p.i. : [si s h abi llés e la tribu r n d e i tu s yo n ff svo e e i g g s gr s a u le vo quoi nou s Le Qu a n d nou s utes. Pou r m ai nten a nt, s ue tu as su r les ro e q l’ e c r tu Pa me te ? C’est com d e la sor les bla ncs. s n a d e c n con fia M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc 40 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 Commentaire sur l‘interrogatoire de Poindet Apengou Par Adrian Muckle R © echerché par l’Administration comme un des chefs présumés de la rébellion, Poindet Apengou de PaolaNetchaot fut arrêté dans la vallée de la Tiwaka en octobre 1917. Durant tout le cours des négociations qui se déroulèrent pendant plusieurs mois avant son arrestation (y compris lors des rencontres avec Julien Belet, négociateur pour les pouvoirs publics, Stéphane Berne, missionnaire catholique de Tiwaka, et le pasteur Maurice Leenhardt), Poindet avait toujours affirmé n’avoir participé en aucune manière à l’ouverture des hostilités. Il avait refusé catégoriquement de se rendre avant d’avoir pu recueillir toutes les informations utiles à sa défense. Dans la déclaration citée ici, la première des neuf qu’il allait faire au Service des affaires indigènes et aux juges d’instruction, Poindet relate les évènements qui se sont déroulés en mars et en avril 1917, juste avant que ne commencent les affrontements. Il désigne Paétou, le jiaou, comme étant celui qui avait rallié les guerriers de PaolaNetchaot et des tribus avoisinantes. Il émet également des doutes au sujet du rôle joué par le grand chef Gatélia. M à w .a w w |w Poindet mourut en prison le 9 mars 1919. Traduction française de Stéphane Goiran k. dc Pour cette déclaration, comme pour beaucoup des 900 procèsverbaux enregistrés, il fut nécessaire de faire intervenir un interprète. Il s’ensuit que la transcription que nous possédons ne saurait être une reproduction parfaite des dires de Poindet et il faut tenir compte du fait que certaines distorsions ont nécessairement été introduites. Néanmoins, plusieurs T C C K- C AD é/ Vé aspects de cette déclaration retiennent l’attention. On y note particulièrement le portrait que Poindet présente de lui-même, comme celui d’un homme en désaccord avec ses chefs et les anciens de son groupe en raison des rapports qu’il entretenait avec l’Administration. D’autres récits confirment qu’il était largement considéré comme le bras droit du syndic de Koné pour l’application des règlements administratifs. On note également les commentaires formulés par Poindet sur la méfiance vis-à-vis de l’Administration qui résultait des conflits antérieurs, y compris ceux de Wagap en 1862 et de Poyes en 1901, et particulièrement des arrestations par surprise de chefs considérés comme fauteurs de troubles. Ces arrestations avaient entraîné un fort ressentiment, et il y est fait référence dans de nombreuses déclarations concernant les griefs à l’origine de l’ouverture des hostilités. Poindet luimême avait évité de justesse d’être arrêté à Koné le 8 avril. Toutes les descriptions que nous avons de lui au cours des mois suivants font état de sa crainte de l’arrestation. Paétou utilisa à ses fins cette crainte que des chefs tels que Poindet et Gatélia avaient d’être punis pour n’avoir pas rempli les quotas de recrutement de volontaires qui leur avaient été assignés – ou que les hommes recrutés pour le service local soient envoyés se battre outre-mer contre leur gré. nc Notes 1. Léopold de Wagap assura les fonctions d’interprète durant l’interrogatoire et pendant le procès. Son nom apparaît largement dans la tradition orale retenue par les descendants des prisonniers. Selon certains d’entre eux, Léopold conseillait aux prisonniers de ne pas admettre qu’ils avaient porté des fusils et leur expliquait qu’il était important que leurs déclarations soient cohérentes. Les archives du SAI notent néanmoins qu’il lui avait été demandé de rapporter les conversations entendues entre prisonniers. Il avait aussi été impliqué dans « l’affaire Wagap » de 1899. 2. Grégoire Roubod était gendarme en fonction à Pouembout en 1917. 3. Paétou-Aétou, de la tribu de Pombéï dans la haute Tiwaka, se décrivit lui-même comme un vétéran de la guerre des Poyes de 1901. Il a été décrit par d’autres comme un devin, sorcier ou jiaou, et comme l’un des principaux organisateurs de la guerre. Agissant sous les ordres de Thiéou Ouinine (le père de Poindet), il rallia des guerriers de Paola-Netchaot et des tribus avoisinantes en avril et mai 1917. Il joua un rôle crucial dans la préparation de l’attaque du 23 mai sur la mine du Kopéto, s’inspirant pour cela du raid de 1901 sur Saint- Léonard (Tiwaka). Il se rendit au pasteur Maurice Leenhardt à Poyes en septembre 1917. Au début octobre, il fut présenté au gouverneur Repiquet. Selon Leenhardt et Belet, il accepta de porter la responsabilité de la guerre, et essaya d’exonérer Poindet Apengou. En 1918-1919, il fit l’objet de plusieurs interrogatoires. Le fait que les archives de la prison fassent état de son prénom chrétien (Maurice) semblerait indiquer qu’il ait été baptisé en prison. Il mourut le 3 juin 1918. 4. Ici, il évoque les arrestations (par surprise dans les cas d’Amane et de Thiéou) de trois chefs qui ont été internés par la suite : Amane en 1908, Moimba en 1915 et Thiéou en février 1917. 5. Il s’agit de la guerre qui eut lieu à Wagap en 1862. 6. Ici, Poindet évoque sa rencontre avec l’administrateur Fourcade à Paola-Netchaot le 25 avril 1917. Lors de cette rencontre, Fourcade exigea que Poindet assiste à la cérémonie de « conciliation » à Tiamou le 28 avril et qu’il trouve des hommes pour servir dans la police pénitentiaire. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 41 La guerre kanak de 1917 Commentaire sur l’interrogatoire de Tiapy Par Adrian Muckle © M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc 42 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 Moueaou dit Tihain Le matin du 23 mai, des guerriers kanak encerclèrent le village minier de Kopéto et donnèrent l’assaut. Avant l’attaque, Paétou, le jiaou, s’était adressé aux guerriers et avait donné un “fétiche protecteur”, à porter au poignet, à ceux qui devaient former l’avant-garde. Il leur avait rappelé qu’il était lui-même un vétéran de la guerre des Poyes, durant laquelle il avait protégé le grand chef Amane, et que c’était de ce conflit qu’il s’était inspiré pour son plan d’attaque. Ainsi qu’un des guerriers devait le raconter par la suite : “L’ordre de Paétou était d’attaquer pendant que les Blancs faisaient la sieste, comme il avait fait à Tiwaka lors de la guerre des Poyes.” Au cours de ce raid de 1901 sur le poste militaire de Saint-Léonard (Tiwaka), les guerriers kanak avaient surpris les soldats alors qu’ils sommeillaient, et s’étaient emparés de leurs fusils avant de prendre la fuite. L’attaque de 1917 connut moins de succès. Bien qu’ils aient réussi à abattre deux mineurs, les attaquants furent repérés avant de pouvoir atteindre le poste militaire et repoussés, laissant un mort sur le terrain alors que Paétou et plusieurs autres guerriers furent blessés, dont un mortellement. après avoir cherché refuge dans la vallée de la Tiwaka. Il fut jugé en 1919 et condamné à 10 ans de réclusion. © La déclaration de Tiapy souligne le rôle joué par Paétou dans la mobilisation des guerriers kanak de la région de Koné, et en particulier de ceux de Paola-Netchaot. On y remarque également l’aspect bien local de cette mobilisation. D’après leurs propres dires, les insurgés formaient plusieurs groupes distincts : les guerriers regroupés autour de Noël à Pwanaki ; ceux de la haute Pouembout, partisans de Doui Pouquéï, le chef de Paloa ; les tribus de Tipindjé, ralliées par Kavéat ou son “sergent” Kamboa ; les guerriers de Pouépaï et de Tiendanite, qui rejoignirent l’attaque finale sur le poste de Pouépaï. Ceci reflétait tout à fait le modèle des petites guerres entre formations kanak et la manière selon laquelle se constituaient les alliances. L’insistance sur ces distinctions a également servi à faire partager - et ainsi à minimiser - la responsabilité des uns ou des autres. La définition des groupements n’était pas plus absolue que ne l’était celle des frontières entre les tribus auxquelles les Kanak étaient censés appartenir, frontières qui masquaient les réseaux plus vastes des Ce qui suit est l’une, parmi une douzaine, des déclarations alliances. Il était ainsi possible de regrouper des forces faites par des prisonniers capturés après avoir participé allant jusqu’à quatre-vingts guerriers issus de nombreuses à l’attaque du 23 mai à Kopéto. Tiapy faisait partie tribus différentes pour mener des actions importantes. d’un groupe plus important, issu de Paola-Netchaot, qui s’était rendu aux autorités en août 1917, sur la côte Est, Traduction française de Stéphane Goiran M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 43 La guerre kanak de 1917 Noël de Tiamou et ses « frères » Par Adrian Muckle Les récits les plus anciens de la révolte de 1917 font état des principaux chefs de guerre Kanak : « Noël, ses deux frères Ouen-Hy, Koeka di[t] Poigny et le nommé Poindiry 1 ». © Au fur et à mesure de l’évolution des combats, d’autres chefs kanak devinrent célèbres, particulièrement Poindet Apengou et Maurice Paétou, de Paola-Netchaot, et Kavéat, de Ouen-Kout. Dans les récits plus récents, « Noël » et « 1917 » deviennent inséparables, et Noël de Tiamou en est le personnage central. Mais qui était Noël ? Qui étaient ses « frères » ? Et pourquoi étaient-ils recherchés par l’Administration ? M à w k. dc nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 .a 44 w w Légende de l’époque, accompagnant cette photo : « Noël Nea ma Pwatiba, chef théorique de la rebellion sur la côte ouest, dans la région de Koné. Il est célèbre pour avoir montré son derrière, en signe de défi, à l’Administrateur M. Fourcade, Chef du Service des Affaires Indigènes, en conclusion d'un échange d'injures d'une colline à une autre. Il sera tué par un colon arabe de Koné chez qui il s'était réfugié. La légende veut que ce dernier soit mort peu après, sans laisser de descendance. » |w © Archives de la Nouvelle-Calédonie, fonds Maurice et Raymond Leenhardt, 12J - (Cl. Médoux) T C C K- C AD é/ Vé Les commentaires qui suivent sont basés sur les rares documents d’archives et autres récits publiés dans lesquels sont mentionnés Noël et ses frères. Ainsi que je le soulignerai, les témoignages sont biaisés, et concernent principalement le rôle joué par les frères dans les disputes avec les membres des tribus voisines qui fournirent un (mais pas le seul) prétexte à l’ouverture des hostilités à Tiamou le 28 avril 1917. Il convient donc d’étoffer les données extraites des seules archives avec ce que peuvent nous apporter la tradition orale et les généalogies. Noël fait sa première apparition dans les archives coloniales en 1905 ou 1908. En 1905, la mission catholique fait mention « d’un indigène de Poya fixé aux environs de Koné, le brave Noël », un employé de la veuve Pasteur, qui a reçu sa première communion après avoir suivi une instruction religieuse auprès du père De Thuret, et dont « [la] parfaite docilité donne à espérer pour l’avenir ». Bien qu’il ne soit pas possible d’affirmer catégoriquement qu’il s’agisse bien de Noël de Tiamou, l’usage de son prénom, sa description comme « un indigène de Poya » et le support que les missionnaires catholiques apportèrent plus tard à Noël de Tiamou dans le cadre des disputes au sujet de la réserve du Koniambo (voir plus bas) laissent supposer que c’est bien du même homme qu’il s’agit. En 1906, on trouve plusieurs références à un certain « Noël Grémin 2 », récemment converti. Un récit kanak de 1917 fait référence à Noël de Tiamou sous le nom de « Noël Caboaé Kolange ». Des recherches plus récentes, particulièrement celles de Jean Guiart, l’ont identifié comme « Noël Néa ma Pwatiba (Goïeta) ». La guerre kanak de 1917 sujet de Ouenhi ou de Waï (on rencontre également les orthographes Ouéni, Oigni, Ouen-Hy, Ouaï, Wâii et Wî), survivants des affrontements, et on ignore tout de Poigny-Kaeka, tué peu de temps après Noël, en janvier 1918. Selon les archives du tribunal, Waï avait 35 ans en 1918. Il était « le fils de Outé et de Ponémoï, né à Tiaucon [Tiakan], demeurant à Panéqui ou Panéki 5 ». Jusqu’en mars 1917, il avait travaillé comme stockman pour un des frères Metzdorf à Témala. M à w T C C K- C AD k. dc .a w w |w nc La famille de Noël était une des nombreuses familles qui s’étaient établies dans le district de Koné suite aux affrontements de 1878-1879 (voir la note sur « 1917 et 1878 »). Selon Jean Guiart, la famille de Noël était originaire de Néa (faisant partie des Nätéa, un groupe descendant des Göièta) et avait cherché refuge à Pwanaki ou à Tiamou. Certaines querelles anciennes les y avaient suivis. Alors que les chefs de Koniambo avaient fait alliance avec les Français lors des hostilités de 1878, é/ Vé La manière selon laquelle les réserves avaient été délimitées, et les « petits chefs » nommés, ajoutait de la complexité au différend de 1908. Jusqu’à la fin de l’année 1917, il convient de distinguer la réserve « officielle » de Koniambo (qui contenait Tiamou) de la réserve « officieuse » de Koniambo-Grombaou (regroupant des terres ayant appartenu à la Pénitentiaire). Bien que Tiamou ait été située au sein de la réserve « officielle » de Koniambo, c’était Doui, le chef de Grombaou, que l’Administration reconnaissait comme petit chef de Koniambo. Les trois « frères » sont mentionnés dans les chroniques des disputes qui ont éclaté préalablement aux affrontements de 1917, mais la plupart des récits considèrent Waï – plutôt que Noël – comme le chef de file. D’après l’histoire de la guerre de Téin Baï 6, « Waï avait terminé le pilou de Tiwaé quand la difficulté est apparue et les hommes interdits qui font partie d’un même clan, Noël, Waï, Kaeka, étaient furieux ». Une femme, faite prisonnière durant les hostilités, s’est souvenue « d’une dispute entre Noël et Oueni d’une part et Ferdinand [le fils du petit chef de Tiaoué] et son frère de l’autre, au sujet d’une femme que Oueni poursuivait depuis longtemps ». Au moins deux autres récits proposent la même explication, indiquant qu’une amende avait été imposée à Waï pour avoir couché avec cette femme, et qu’il avait ensuite cherché à se venger de ceux qui s’étaient plaints de son comportement 7. © MNC-Dell'Erba les gens de Néa avaient combattu dans l’autre camp 4. On ne sait cependant pas exactement quand la famille de Noël s’est déplacée. En 1900, les gens déplacés ou exilés suite aux affrontements de 1878-1879 continuaient encore à s’installer dans la région de Koné. Durant © En 1908, il est fait état d’un « Noël de Tiamou » décrit comme le chef de Tiamou, une petite communauté faisant partie de la réserve du Koniambo. Il est noté que, cette année-là, il avait protesté contre le fait qu’un bail avait été accordé par Doui, le chef de Grombaou, et Téin (dit « le maître d’école »), le chef de Pwanaki, au sieur Joseph Gros pour une parcelle de 200 hectares prise sur les 370 hectares de la réserve du Koniambo. Noël revendiquait des droits sur ces terres, et se plaignait de ne pas avoir été consulté. Les autorités refusèrent néanmoins d’annuler le bail, et en l’espace de deux ans Tiamou avait été abandonnée par la majorité de ses résidents à l’exception de deux ou trois familles. En 1913, le père Halbert, missionnaire catholique, rapporte que les chefs de Grombaou et de Pwanaki avaient évincé Noël. La majorité des habitants de Tiamou s’étaient déplacés vers l’intérieur des terres en direction de Pwanaki et, en 1917, c’est donc à Pwanaki que l’on retrouve Noël et ses frères 3. le différend de 1908 au sujet du bail contesté de la réserve de Koniambo, Joseph Gros avait identifié « le canaque Noël originaire de Poya », sous-entendant ainsi que sa présence à Tiamou était relativement récente. Durant cette même période, les missionnaires ont rapporté des mouvements constants de population entre Koné et Poya. Les deux hommes identifiés comme « les frères de Noël » appartenaient au même clan. On sait peu de choses au Ces disputes sont venues envenimer d’autres foyers de discorde plus anciens, découlant du bail des terres de Koniambo, de la perception de la capitation et de l’application des règlements sanitaires. Durant les premiers mois de 1917, ces griefs furent exacerbés par le recrutement de soldats « volontaires ». Des hommes de Tiamou, Pwanaki et autres localités se plaignirent que le petit chef de Koniambo et sa police les avaient menacés de violence au cours de ces recrutements. On peut lire dans le récit de Téin Baï : Sac à pierres de fronde, fibres végétales, poils de roussette et pierre, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. « À propos de femmes, tirailleurs, boissons, pilou, capitation, polices, lorsqu’ils Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 45 La guerre kanak de 1917 prennent les noms des gens, ils mélangent les Blancs et les Noirs. Ils sont furieux de cela. Nous, nous sommes des Noirs, nous ne voulons pas aider les Blancs, ni ces gens-là, en mélangeant les noms. » Frôlant les coraux de la grève Tout un nid de roussettes l’a suivi Emporté par l’inondation Le vide s’est fait jusqu’à maintenant Dans les maisons qui furent touchées les clans qu’il fit entrer dans la danse Et les maisons qu’il dispersa Il y a semé la pagaille Pwëdé vint y faire des siennes Champ de manœuvre pour Apagu Lieu des manigances de Näwaa Des stratagèmes de Noèèli Et tout cela se fit par jeu Histoire de bien s’amuser Il le fit pour se moquer Juste histoire de faire le malin 10 » En mars 1917, Noël et les autres prirent les armes pour se défendre. En les interrogeant, le 4 avril 1917, le brigadier Faure, syndic de Koné, apprend que c’est Noël qui « avait d’un coup abattu un jeune niaouli, ce qui veut dire qu’il ne veut pas céder ». Quelques semaines plus tard, l’initiative de l’Administration d’opérer une réconciliation entre Noël et Doui à travers une cérémonie à Tiamou – et qui cachait le plan, dont le secret fut mal gardé, de capturer Noël par surprise – fut l’occasion du déclenchement des affrontements. © Quand la guerre éclata, c’est Waï, plutôt que Noël, qui se forgea la réputation du guerrier le plus redoutable. C’est lui qui était à l’avant-garde de l’attaque menée contre les soldats le 28 avril. En juin 1917, Maurice Leenhardt écrivait que les faits d’armes de Waï étaient en train d’entrer dans la légende : M à w T C C K- C AD é/ Vé « Waï, le père de Noël, a été attaqué dans son moagu, deux hommes de Koné se dirigeaient vers l’étroit passage qui y accédait. Waï les vit et les laissa approcher. Lorsqu’ils furent à quelque distance, il se tint à l’entrée étroite de sa citadelle, et les interpella : « Vous voulez la guerre ? » ; « Oui, c’est toi que nous voulons » ; « Bien, tirez les premiers… » Ils n’avaient que des frondes et Waï était armé d’un bon fusil. Trois fois ils lancèrent leurs frondes, mais les pierres heurtaient les parois rapprochées du rocher. Waï impassible les voyait rebondir, puis au troisième coup il arrêta. « Maintenant c’est mon tour », il coucha l’un d’eux en joue et lui fracassa le crâne. L’autre voulut fuir, il le blessa à la cuisse. Alors il poussa un cri sauvage de victoire, se précipita vers le corps de sa victime, et dans le creux de sa main, but le sang. Et les Canaques se répètent le geste, ils admirent Waï et pendant que l’Administration bafouille, leur âme cruelle s’éveille 8. » Entre avril et mai, Noël et ses « frères » participèrent à un grand nombre (mais pas à toutes) des actions importantes de la guerre. Après sa reddition, Waï en décrira plusieurs. Au début janvier 1918, ayant été attaqués dans la vallée de Hienghène en décembre, Noël et ceux qui l’accompagnaient ont cherché à fuir leurs poursuivants en se repliant sur la région de Koné. Le 10 janvier, Noël fut tué par Mohamed ben Ahmed, détenteur d’une concession à Koniambo. Aux dires de Waï, il se dirigeait alors vers Koné pour se rendre et arborait le drapeau tricolore. Dans les jours qui suivirent, les auxiliaires militaires venus de Bourail abattirent également Poigny, le « frère » de Noël, à Naoundet dans le massif de Poindala, et capturèrent les épouses de Noël (Mou) et de Poigny (Louise), ainsi que le fils de Poigny (Boé Noël) âgé de six ans. Quelques semaines plus tard, Waï se rendait. L’officier commandant le détachement le décrivit comme « un solide guerrier » qui « ne paraît pas avoir trop souffert ». Waï lui dit qu’il avait rejoint les hommes d’Atéou, la tribu de sa femme, et « il prétend avoir agi contre les Blancs sans en connaître la raison11 ». Le procès de Waï eut lieu en 1919. Il fut reconnu coupable (en dépit du fait que le ministère public ait recommandé qu’il soit mis « hors de cause ») et condamné à 20 ans de travaux forcés. k. dc .a w w nc « Seul Wâii est invulnérable Il a mâché l’herbe amère Et la feuille de l’arbre urticant |w Un poème en paicî, recueilli en 1970 par Alban Bensa, confirme la réputation de Waï 9 : Traduction française : Stéphane Goiran Notes 1. Repiquet, rapport n° 303, [n.d.], 1W2, pièce 1079, ANC ; La France Australe (24 mai 1917) identifie les frères sous les noms Poigny, Pointey et Ouéni. 2. A rchives de l’archevêché de Nouméa, dossier 45.3. 3. A rchives de l’archevêché de Nouméa, dossiers 45.4, 45.5 et 45.6. 4. Guiart, « Le cadre social traditionnel et la rébellion de 1878 dans le pays de La Foa, Nouvelle-Calédonie », JSO, 24 (1968), 97-119 ; Guiart, « Les événements de 1917 en Nouvelle-Calédonie », JSO, 26-29, (déc. 1970), 270 ; Guiart, Structure de la Chefferie en Mélanésie de Sud, seconde édition remaniée et augmentée, Paris : Institut d’Ethnologie, 1992, 125-128 et 132. 5. A rrêt de renvoi et de non-lieu – Affaire « Rebelles », 16 mai 1919, AAN 21.9. 6. [NDLR : voir le texte, reproduit par ailleurs dans ce dossier, intitulé “Histoire de la rebellion du côté de Koné, de Tein Baï, d’après une traduction de Raymond Leenhardt.] 7. Interrogatoire (Mamboa, femme du rebelle Léon tué à Ouamindiou, le 22 juillet 1917), 23 août 1917, AAN 21.1 ; Procès-verbal d’interrogatoire (Yosona), 7 août 1918, AAN 21.2 ; Déposition du témoin (Maccan), 30 sept. 1918, AAN 21.7. 8. Leenhardt à Jeanne, Tiparama, 17 juin 1917, Archives Leenhardt. 9. [NDLR : La version originale de ce texte en langue paicî et sa traduction en français sont reproduits par ailleurs dans ce dossier]. 10. A lban Bensa, « Sociologie de la rébellion de 1917 », Le Courrier du Musée de l’Homme, n° 2, jan. 1978. 11. Durand (adjudant. chef) à commandant supérieur, n° 86G, Nouméa, 28 février 1918, pièce 7, 1W1, ANC. 46 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 Entretien avec Sylvette Boubin-Boyer, historienne © Docteur en histoire, Sylvette Boubin-Boyer est considérée comme l’un des spécialistes les plus avertis dans l’étude et l’analyse de la Première Guerre mondiale en Nouvelle-Calédonie et en Océanie. Elle s’est également spécialisée sur la période de « l’entre-deuxguerres » en Nouvelle-Calédonie. M à w T C C K- C AD é/ Vé nc Elle a, en décembre 2004, à Nouméa, dans le cadre de Pacific History Association, présenté une communication intitulée « La révolte kanake de 1917 au regard des archives de l’armée de terre et de la Marine ». direction éditoriale. k. Elle est également très engagée au sein d’équipes pédagogiques, d’associations et d’organismes intervenant dans le domaine de l’histoire locale et du patrimoine historique calédonien. dc Elle est coauteur d’une douzaine d’ouvrages historiques et contribue régulièrement par ses articles ou entretiens à des revues locales et régionales, dont Mwà Véé. Plus récemment, elle a publié un texte intitulé « La NouvelleCalédonie durant la Première Guerre mondiale » dans l’ouvrage collectif Révoltes, conflits et Guerres mondiales en Nouvelle-Calédonie et dans sa région 1 dont elle a assuré la .a Elle a contribué depuis 1992 à l’élaboration des programmes et de cinq manuels d’histoire adaptée à la Nouvelle-Calédonie, édités par le Centre de documentation pédagogique de la Nouvelle-Calédonie. w w |w Sa thèse de doctorat d’histoire soutenue à l’université de la Nouvelle-Calédonie en 2001 : « De la Première Guerre mondiale en Océanie – Les guerres de tous les Calédoniens », a été publiée en 2003 par les éditions Septentrion. Le troisième et dernier chapitre de sa thèse est consacré à « La guerre canaque de 1917 en Nouvelle-Calédonie » (voir encadré). Sylvette Boubin-Boyer enseigne au lycée professionnel SaintJoseph de Cluny. Elle est également chargée de cours en histoire à l’université de la Nouvelle-Calédonie. Quel est l’état de la recherche historique sur la guerre kanak de « 17 » ? En l’état actuel des connaissances, beaucoup de questions se posent sur cette période, dont certaines restent encore sans réponse. Entre la présentation des événements par le monde kanak et la part de mythification, l’interprétation que l’on en fait, la version des militaires, celle de l’administration locale, celle de la haute administration [française] et coloniale et celle des colons, il y a matière à s’interroger. Toutes ces versions, tous ces documents représentent un cursus énorme, sans compter que beaucoup d’entre eux, émanant du monde kanak, ne sont toujours pas traduits. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 47 La guerre kanak de 1917 Le texte reproduit ci-après ouvre la troisième partie de l’ouvrage de Sylvette Boubin-Boyer, tiré de sa thèse de doctorat et publié aux éditions Septentrion1. Cet extrait permet au lecteur de bien cerner d’emblée le contexte dans lequel la « guerre kanak de 1917 » a germé. Il ne constitue qu’une introduction à un exposé très documenté et détaillé sur la situation de la colonie à cette époque, aux plans économique, social, militaire (en particulier sa position par rapport à la guerre de 1914-1918), politique, religieux…, ainsi que sur le rapport qu’elle entretient avec le monde kanak. Il nous est impossible de reproduire ici la totalité de ce chapitre, aussi invitons-nous le lecteur qui souhaite approfondir sa connaissance de cette période de l’histoire calédonienne à se reporter à l’ouvrage de référence. « Pourquoi donc ces Canaques 2 que l’on croyait « pacifiés », vont-ils se révolter et contre quoi 3 ? © M « Rébellion, révolte, événements », voire « insurrection, guerre ou révolution », tels sont les noms attribués aux actions et aux situations qui ont lieu à partir du 17 février 1917 en Nouvelle-Calédonie, quand les Canaques animistes d’Atéou et de Panéqui saccagent les cultures des tribus catholiques profrançaises de Koniambo dans la région de Koné au nord-ouest de la Grande Terre. Déjà beaucoup de mobilisés ont gagné la métropole, laissant leurs femmes seules sur les stations avec des jeunes enfants, aidées de leurs employés indigènes ou asiatiques. Les colons demandent la multiplication des postes militaires, refusée par le gouverneur Repiquet. Le décret sur la censure en temps de guerre, en vigueur mais presque sans objet à l’intérieur de la colonie depuis 1914, est alors appliqué « en raison de l’état de guerre » en Nouvelle-Calédonie. Une phase paroxysmique se déroule du 18 mai au 9 septembre : attaques de stations, de la mine du Kopéto, assassinats de colons dans une région circonscrite au grand rectangle Hienghène, Poindimié, Muéo, Voh, au centre nord de la colonie. La répression, menée par des colonnes de l’armée, composées de tirailleurs tahitiens encadrés par des sous-officiers français, aidées d’auxiliaires canaques puis de permissionnaires de la Grande Guerre, entraîne la fuite dans les montagnes des rebelles et de leurs familles, la mort de nombre d’entre eux et la disparition de villages entiers. Les « événements » se terminent avec la liquidation du chef Noël et la reddition des derniers rebelles en janvier 1918. Lors du procès en cour d’assises, il sera révélé que l’action menée aurait été préméditée par la grande chefferie de Hienghène depuis 1913 et que la monnaie de guerre circulait dans les tribus du Nord qui l’avaient ou non acceptée. Dans la France en guerre, comment la Nouvelle-Calédonie va-t-elle affronter la révolte indigène en 1917 ? Pourquoi des Canaques isolés, semble-t-il, dans leurs réserves, en butte aux transformations nombreuses depuis l’arrivée des Européens soixante ans auparavant (la tribu, l’impôt de capitation, les corvées, le travail sur les stations ou dans les mines, le recrutement pour la milice de la transportation), confrontés aux modifications de leur territoire (le cantonnement, les réserves, les spoliations foncières) et de leurs espaces mentaux (la colonie et son administration, le christianisme, l’alphabétisation de beaucoup d’indigènes dans les missions, les inter-« unions », parfois inter-mariages, entre ethnies différentes et la naissance de métis), enfin, confrontés à la guerre en Europe (le recrutement, le casernement, la vie en France), pourquoi donc ces Canaques, que l’on croyait « pacifiés », vont-ils se révolter et contre quoi ? Il conviendra de vérifier si la révolte canaque de 1917 en Nouvelle-Calédonie est un processus historique normal et universel lié à la colonisation de peuplement et d’exploitation, visant à casser l’inéluctabilité de la colonisation territoriale, biologique et culturelle, ou s’il ne s’agit que de rapports déterministes causes conséquences liés ou non à la guerre mondiale. Il a fallu reprendre l’étude exhaustive de la période concernée pour la Nouvelle-Calédonie : la Première Guerre mondiale, la révolte de 1917, en ne négligeant ni les journaux d’époque, ni les archives, ni les cartes du service topographique, ni la visite des lieux et la recherche de témoignages de première ou de seconde main. Cette étude a été menée conjointement avec l’analyse critique des études ou théories publiées à ce jour. D’autres grandes révoltes indigènes s’étant produites en Nouvelle-Calédonie, en 1878 et en 1984-1985, il était nécessaire d’en tisser les liens éventuels par-delà le temps, au regard de l’état d’insoumission permanent de certains clans dans certaines régions. La recherche et l’analyse comparative de révoltes de peuples colonisés contre le colonisateur, dans le temps et dans l’espace, dans d’autres colonies françaises (Asie, Madagascar, Afrique) depuis les premières colonisations, puis à partir des premiers recrutements, étaient nécessaires. Tout au long du conflit mondial, alors que de nombreux régiments coloniaux participaient activement aux combats sur les fronts d’Europe de l’Ouest, et que des mouvements antimilitaristes éclataient sur divers fronts, des révoltes éclatent dans l’ensemble des colonies françaises. Ces troubles se produisent pendant que deux mondes, celui du colonisateur, celui des colonisés, qui souvent s’ignoraient dans l’empire colonial français, se retrouvent sur des théâtres d’opérations inhabituels, les fronts et l’arrière. » à w k. dc .a w w |w nc « Pourquoi donc … T C C K- C AD é/ Vé 48 1. De la Première Guerre mondiale en Océanie – Les guerres de tous les Calédoniens, S. Boubin-Boyer, Septentrion, 2003, p. 463-716. Troisième partie : La « guerre » canaque en Nouvelle-Calédonie. 2. L’auteur a conservé ici la graphie utilisée à l’époque. 1. Cette phrase que nous avons choisie comme titre est extraite du texte reproduit ci-après. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 Quelles sont les questions qui se posent en priorité aux historiens ? Se pose en tout premier lieu la question de la cohérence de ces événements. L’on peut dire qu’il y a effectivement un « avant » et un « après » par rapport à cette « guerre de 17 », car elle se déroule durant une période particulière, celle de la Première Guerre mondiale. © Dans les années quatre-vingt, afin de mieux comprendre cette période de « 17 », j’ai personnellement parcouru, avec Christiane Terrier [historienne calédonienne], toute la région concernée, toutes les tribus et tous les théâtres d’affrontements cités dans les archives. Quand on remonte, par exemple, la vallée de Oué Hava [qui prend naissance dans la grande vallée de la Tipindjé], et que l’on parle avec le petit chef Kaïna, on comprend mieux ce que décrivent les archives. M à w é/ Vé dc .a Ainsi, quand le gouverneur Repiquet, escorté d’Alfred Fourcade, chef du Service des affaires indigènes, se rend en personne à Koné pour recruter des tirailleurs mais aussi en vue de réprimer la révolte kanak naissante dans cette région, il n’effectue pas une démarche de réconciliation, il conduit une colonne de pacification. Ce déploiement vise en fait à rassurer l’« élite » des colons par rapport à la « menace » que font peser Noël de Tiamou et les siens sur cette région. k. nc À quoi la région de Koné ressemble-t-elle à cette époque ? La zone de Koné est alors peuplée de colons libres qui figurent parmi les premiers de la « colonisation Feillet ». Ces colons forment une sorte d’« élite » rurale à Koné et à Voh, et, sur la côte Est, à Poindimié, ainsi que, dans une moindre mesure toutefois, à Hienghène. w w que les Kanak avaient l’intention d’attaquer Koné est à mon avis erroné. Les Kanak qui arrivent ce jour-là au village sont des jeunes en tenues de guerriers, effectivement, comme cela se produit chaque fois qu’il s’agit de la levée de tirailleurs. Ils ne se sont pas parés et équipés ainsi pour attaquer le village. Ils déposent d’ailleurs leurs armes à l’entrée, effectuent des achats chez les commerçants qu’ils paient normalement et repartent. Mais leur apparition a relancé l’imaginaire et la rumeur de guerre contre les Blancs, alimentés par la peur liée au départ des chefs de famille mobilisés pour partir combattre en France. En fait, tout le monde a peur, les Blancs ont peur des réactions des Kanak, et ces derniers ont peur des Blancs. |w Noël de Tiamou est associé à l’histoire de Koné 2. Or, affirmer T Un différend oppose celui que l’on a surnommé « Noël de Tiamou » à un colon qui, sans lui demander son avis, empiète sur des terres que revendique Noël. Celui-ci est excédé par ce comportement et se rebelle alors. Il faut noter que le colon, lui, obéit à une logique. Il répond à une demande de la France, via sa colonie calédonienne, qui a besoin de davantage de conserves de viande pour approvisionner son armée en guerre contre l’Allemagne, et donc ce colon développe son troupeau et étend sa zone de pâturage sans se soucier du reste. C L’origine de la guerre est souvent attribuée à Noël Néa ma Pwatiba. Quel rôle a-t-il joué en réalité dans le déclenchement des hostilités ? C On sent que, du côté des descendants des « insurgés », l’amertume reste réelle, tandis que, dans le camp des « ralliés » et des auxiliaires, on ne s’étend pas sur le sujet. K- C AD Les personnes que vous sollicitez pour évoquer cette guerre s’expriment-elles facilement ? Il faut souligner que c’est dans cette zone que des « microrévoltes » ont éclaté sporadiquement à partir de 1913, à la suite de la réduction de certaines réserves indigènes, en contrepartie de quoi on a procédé à l’« agrandissement » d’autres réserves consistant en fait en fonds de vallées très étroites et guère cultivables ou en crêtes montagneuses. Nous sommes aussi dans une zone où les gens sont très perturbés par la colonisation, qui a accueilli notamment des insurgés des premières révoltes de 1860, puis de la révolte de 1878. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 « Certains observateurs ont avancé que la révolte kanak aurait fourni un très bon prétexte aux colons permissionnaires qui ne souhaitaient pas repartir à la guerre en France. » 49 La guerre kanak de 1917 « À Hienghène, on compte 2 déserteurs sur 4 engagés volontaires recrutés comme « tirailleurs canaques » (on remarquera le très faible nombre d’engagés volontaires dans cette région alors que les tribus semblent importantes) ; à Voh, 4 déserteurs sur 19 ; à Koné, 1 déserteur sur 14 ; à Canala, 1 déserteur sur 87 ; à Poindimié, 7 déserteurs sur 84. Note : Le nombre de recrutés indiqué ici correspond aux engagés qui ont « signé ». Il comprend ceux qui ont été réformés par la suite et qui ne sont pas partis à la guerre. » Cette guerre vous apparaît-elle comme un épisode de plus dans l’histoire de la colonisation ou comme un élément déterminant ? © La guerre de 1917 est beaucoup plus qu’un simple épisode de l’histoire calédonienne. On peut en revanche parler d’hyper-phénomène de révolte à partir de toute une série d’épiphénomènes locaux qui découlent des tensions entre colonisés et colonisateurs. Il faut encore noter que des révoltes ont éclaté dans pratiquement toutes les colonies françaises durant cette même période. M à w et des mobilisés, touchés par la lèpre notamment, et qui, de ce fait, vont être réformés. Une léproserie doit être prochainement installée à Pombounou, ce que rejettent les Kanak. Et puis, nous sommes sur l’ancien territoire de Gondou, une région où les clans sont en conflit, jamais vraiment « pacifiée » par les Français… T C Pour autant je ne considère pas le recrutement de volontaires pour la guerre de 1914-1918 comme l’une des causes majeures de la guerre de « 17 », car les foyers de révolte se situent dans des zones peu peuplées, où la levée de tirailleurs a été s enfants faits le t e s e m m fe s e « L « rebelles » s e n o z s le s n a d prisonniers s de guerre des se ri p s le t n e tu ti cons aucoup de ces e B . k a n a k s e ir ia auxil ront emmenés se ts n fa n e t e s e femm il, avant que ra u o B à t e u o ïl a à Hou oliques et th a c s e ir a n n o si les mis ut, semble-t-il, o rt su is a m ts n protesta ’interviennent n t rd a h n e e L r u le paste rendus à leurs t n ie so ls ’i u q r u o p . Le gouverneur e in g ri ’o d s le il m fa sur cette x u e y s le e rm fe Repiquet 1878, n e e ré lé to re o c n pratique, e rer comme é d si n o c t u e p n mais que l’o n 1917. » e » e g sa u n e « n’étant plus k. nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 Effectivement, ainsi, à Hienghène, le grand chef Doui Bwarhat est opposé à la levée de tirailleurs kanak. En rapport avec cette question du recrutement, et parmi les épisodes peu connus de cette période de « 17 », l’on peut rappeler le cas de certains Kanak engagés volontaires, versés à la 2e compagnie d’infanterie de Nouvelle-Calédonie (une vingtaine de tirailleurs environ), qui ont d’abord été envoyés, en 1916, à Mallicolo, aux Nouvelles-Hébrides, afin de mater une révolte. Ou encore le fait, rapporté par des tirailleurs kanak qui écrivent de France, qu’ils sont occupés à charger et décharger des navires sur les quais de Marseille au lieu de combattre comme prévu. Ces nouvelles ne passent pas bien en pays kanak. dc À plus grande échelle, les prospections menées à travers le pays dévoilent que la NouvelleCalédonie renferme beaucoup de minerai de nickel (garniérite). Au point qu’une inspection a été diligentée par le gouvernement français en 1916 pour recenser toutes les ressources du pays (nickel et autres minerais). La perspective offerte par l’exploitation du nickel est d’autant plus attractive que l’interdiction temporaire d’exporter ce minerai, décrétée en 1914, a été atténuée à la fin de l’année 1915 3. .a w w |w 50 C Sur un plan global, comme je l’ai déjà dit, les tensions récurrentes entre les Kanak et leurs colonisateurs alimentent un climat de révolte chez certains. S’y ajoute l’état de santé des Kanak K- Quelles sont pour vous les causes principales qui amènent les Kanak à se révolter cette année-là dans cette région comprise entre Koné et Hienghène ? C AD é/ Vé Sur un plan plus local, je citerais parmi les causes probables de la violence qui va embraser cette région le problème du massif du Koniambo où l’on a réactivé les prospections minières à partir de 1913. Les géomètres, comme Nicolas Ratzel ou Bernier, arpentent le terrain en tous sens. Or le territoire sur lequel ils prospectent se situe en bordure du Katalupaik (Cantaloupaï dans l'orthographe de l’époque), montagne sacrée pour les Kanak de cette région, située non loin du site des grottes de Faténaoué qui renferment des sépultures humaines. Certains chefs s’opposent fermement à l’engagement de leurs « sujets » pour la guerre de 14-18, quitte à entrer en conflit avec l’Administration. Cette situation crée-t-elle, selon vous, un climat propice au déclenchement d’une révolte ? La guerre kanak de 1917 infime, et ils prennent naissance dans de petites tribus. anciens combattants de 1914-1918, et d’autres qui n’ont pas combattu. Dans quelle mesure la lutte d’influence en milieu kanak entre religions a-t-elle joué un rôle dans la guerre de « 17 » ? L’administration coloniale portet-elle le même regard sur le monde kanak après 1917 ? © La zone concernée par la guerre de 17 est une région encore très peu évangélisée, que ce soit par les catholiques ou par les protestants, l’enjeu est donc important pour les deux grandes religions. Une frange catholique est déjà implantée sur Koné. Le protestantisme, lui, arrive bien plus tard dans cette région, sur un « sol » instable, à partir de 1914, soit une quinzaine d’années après l’arrivée du pasteur Maurice Leenhardt. Les protestants font preuve d’un prosélytisme très soutenu et les apostasiés se multiplient parmi les catholiques. Ces derniers et les protestants s’attaquent, des cases et des villages sont incendiés. M Il est évident que « 17 » a entraîné des changements dont beaucoup ne se seraient pas produits sans ces événements. Une mission est envoyée par le gouvernement : les inspecteurs Bougourd et Pégourier vont, en conclusion, proposer des mesures. La mise en œuvre de la « nouvelle politique indigène » en est l’application. à w Entre-temps, le procès des insurgés de « 17 », en 1919, va provoquer un traumatisme énorme parmi les Kanak. Il y avait eu auparavant le « procès » des assaillants de la mission catholique de Pouébo, mais cet épisode de la révolte kanak était resté peu connu. C AD Ce qui est toutefois nouveau dans l’approche de l’administration coloniale vis-à-vis des insurgés, c’est qu’ils vont être jugés, lors du procès de 1919, non pas en tant que collectif comme jusqu’alors, mais en tant qu’individus. T C C K- “ D u r a n t l a g u e r r e d e “1 7 ”, les auxiliaires kanak, enrôlés aux côtés des militaires français, vont jouer un rôle important, dans la mesure où ils possèdent une connaissance incomparable des hommes engagés dans ce conflit et du terrain sur lequel se déroule celui-ci. Ce sont toujours les mêmes clans qui fournissent c e s a u x i l i a i r e s .” k. dc nc Propos recueillis par Gérard del Rio et Emmanuel Kasarhérou. .a Ce procès se situe à un moment où une nouvelle génération réfléchit à un esprit plus ouvert sur le monde. Les tirailleurs de 1914-1918, leurs enfants, dont certains s’engageront aux côtés de la France lors de la Seconde Guerre mondiale, vont plus tard contribuer à la création de l’UICALO et de l’AICLF 4. w w |w Il s’ensuit bien sûr des tensions entre Kanak qui ont pris part à la révolte et ralliés ou auxiliaires. Mais les tensions divisent également les Européens de la colonie, en fonction de leur position durant la guerre de 1914-1918, suivant qu’ils ont été mobilisés ou « embusqués » ou, si l’on préfère, « planqués ». Après le départ du gouverneur Guyon et du capitaine Meunier au milieu des années trente, les anciens combattants de la Grande Guerre prennent une importance croissante dans la société calédonienne. Un clivage s’instaure entre ceux qui ont fait la guerre et ceux qui ne l’ont pas faite, climat accentué par l’arrivée de métropolitains parmi lesquels de vrais é/ Vé Quelles sont les retombées de « 17 » vis-à-vis de ceux qui, dans les deux camps, se sont « planqués » ? Notes 1. Éditions L’Harmattan, Paris, 2008. À noter : cet ouvrage contient plusieurs autres textes consacrés à, ou en relation avec, la guerre kanak de « 17 », en particulier ceux d’Anne-Laure Jaumouillé : « La participation des chefs de Houaïlou à la révolte de 1917 », de Patrick Potiron : « Les relations entre Mgr Chanrion, le pasteur Leenhardt et le gouverneur Repiquet durant la Grande Guerre », ainsi que des miscellanées, dont celles de Dominique Pechberty : « Ludovic Papin, confronté au monde kanak » [colon libre arrivé en Nouvelle-Calédonie en février 1900, installé sur une propriété en bordure de la rivière Oué-Hava, dans la vallée de la Tipindjé, assassiné lors de la guerre de 1917]. 2. Se référer à la chronologie de la guerre de 1917 établie par Adrian Muckle. 3. Décret du 5 octobre 1914 qui interdit l’exportation du nickel et du chrome, métaux « stratégiques », en vue d’éviter le ravitaillement des puissances ennemies. L’examen des ports de destination des minéraliers avant guerre est éloquent : une grande partie du minerai part à destination de la société Krupp à Hambourg. Cette interdiction est atténuée en décembre 1915 et abrogée le 14 janvier 1918. 4. UICALO : Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l’Ordre ; AICLF : Association des Indigènes Calédoniens et Loyaltiens Français. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 51 La mémoire kanak de 1917 Récit Entretien avec Joseph Karie Bwarhat, de Hienghène © Joseph Karie Bwarhat est l’aîné de la famille d’une branche cousine des Bwarhat. À ce titre, il compte parmi les notables qui entourent le grand chef Théodule Bwarhat, de Hienghène. Nous l’avons sollicité pour nous présiser le rôle tenu par le grand chef Philippe Bwarhat lors de la guerre de 1917. M à w « Pour éclairer cette histoire, je vais parler de la manière de voir de nos grands-pères. Les premiers bateaux qui sont venus ici, à Hienghène, étaient des bateaux anglais 1. Leur capitaine a négocié avec le grand-père Doui Bwarhat pour travailler avec lui. À bord de ces bateaux, il y avait des matelots polynésiens. Grand-père Bwarhat avait des origines polynésiennes et il parlait polynésien. Il avait donc le contact facile avec ces matelots. Le capitaine anglais a demandé un endroit pour s’installer et le grand-père lui a donné l’îlot Wejo, [appelé en français « le Sphinx », et situé dans la baie de Hienghène, à côté d’un autre îlot rocheux célèbre dénommé « la Poule de Hienghène »]. Cet îlot a donc servi de base aux Anglais pour exercer leur activité, l’exploitation du bois de santal, mais aussi des biches de mer, revendues en Chine. Le grand-père Bwarhat a eu des rapports privilégiés avec les Anglais et il a effectué avec eux deux voyages en Australie, un peu avant 1850. Il en a profité pour apprendre l’anglais afin de pouvoir converser plus facilement. Les Anglais étaient là uniquement pour faire du commerce, pas pour s’installer. Au moment de l’arrivée des missionnaires catholiques à Balade, en 1836, Mgr Guillaume Douarre est venu trouver le vieux Bwarhat dans sa grande chefferie, à Kamedan, dans la vallée de Hienghène 2, là où s’est installé le colon Garnier par la suite. Le vieux Bwarhat résidait aussi à Pai Kaleon. Et c’est ce lieu qu’il a donné à Mgr Douarre afin que celui-ci installe sa mission. Grand-père Bwarhat avait des relations jusque dans le nordest du pays, avec les grandes chefferies de cette région. Avec les chefferies de Balade, de Pouébo, puis, en revenant vers Hienghène, avec les chefferies de Koné, de Wagap, et bien sûr avec la chefferie Goa. Le vieux Bwarhat avait été informé de la prise de possession par les Français, en 1853, à Balade, par un de ses messagers. Il se disait que les Français allaient ensuite venir ici à Hienghène et, effectivement, le 7 (ou le 8) mai 1854, le drapeau français a été planté ici par Tardy de Montravel. Et c’est ainsi que l’on a prétendu que grand-père Bwarhat avait signé la prise de possession de Hienghène. Lui en a conclu que, contrairement aux Anglais qui n’étaient que de passage pour commercer, les Français, eux, étaient venus pour s’installer comme s’ils étaient chez eux et prendre les commandes de la région, comme ils avaient commencé à le faire à Balade. La France a d’ailleurs fait savoir à grand-père Bwarhat qu’il fallait qu’il reste tranquille. Vous imaginez la situation ? Quelqu’un arrive de l’extérieur pour faire des remontrances au dépositaire du pouvoir et du droit coutumiers, ici ! ça ne se fait jamais chez nous, c’est totalement défendu d’agir ainsi. Sinon, c’est la guerre et c’est la mort. Tardy de Montravel a osé faire cela parce qu’il avait des soldats et deux bateaux bien armés. En hissant leur drapeau, les Français ont fait une démonstration de force pour impressionner, avec un défilé militaire, et en tirant vingt coups de canon. Le vieux Bwarhat s’est dit que ceux-là n’étaient vraiment pas comme les Anglais… T C C K- C AD dc .a w w En accueillant le drapeau français ici, il avait dit à ses sujets et à ses petits chefs : « Désormais on va essayer de respecter celui que j’ai accueilli ici, on va le considérer comme un fils qui puisse rentrer avec nous dans la case. » Cela veut dire aussi que celui qui est accueilli devient subalterne de celui qui l’accueille. Et c’est la position que nous avons toujours gardée depuis. Mais quand grand-père Bwarhat a vu comment les Français se comportaient en terrain conquis, il s’est révolté. C’est là où il a envoyé le tabac à Pouébo et à Balade pour « astiquer » les premiers Français qui s’étaient installés. La prise de possession de la terre par celui qui arrive comme ça, il ne l’a jamais accepté. k. nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 |w 52 é/ Vé « Le pouvoir de la magie a été beaucoup utilisé durant cette guerre. Les guerriers portaient des brassards avec des feuilles pour se protéger des dangers et écarter les obstacles qui se présentaient à eux. » Donc, malgré la coutume échangée entre Tardy de Montravel et Doui Bwarhat, la tension entre les Français et la grande chefferie de Hienghène s’installe rapidement… Oui, d’autant que le contraste est fort avec l’attitude des Anglais avec lesquels il a commercé en bonne intelligence et qui l’ont reçu avec respect en Australie. Il avait des origines tongiennes et les Tongiens n’ont pas pour habitude de se La mémoire kanak de 1917 laisser envahir, c’est plutôt le contraire, les Anglais en ont fait l’expérience. Et bien sûr il a transmis à son fils ce tempérament de résistant à l’occupant. Comme les missionnaires étaient des Français, il a soupçonné les pères d’être complices de ces gens-là [les Français] sur le pays. D’où la mésentente entre installer leur campement et leur base de travail, et l’emplacement de la mission catholique des pères maristes à Pai Kaleon. Après cette première répression, les Français ont commencé à s’installer dans le bas de la vallée de la Hienghène. Entre-temps, les maristes avaient cédé leur emplacement au gouverneur pour sont alors révoltés. Ce qui a entraîné la première répression. Les Anglais avaient fourni des fusils au vieux Bwarhat et lui avaient enseigné la manière de s’en servir. Les soldats français ont débarqué dans la baie de Tipindjé et ont brûlé les villages et les récoltes. Ils sont remontés jusqu’à Pai Kaleon et ont pratiquement © M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc la grande chefferie de Hienghène et les missionnaires qui avaient installé une première mission à Wagap. Et comme les missionnaires cherchaient à emmener des gens d’ici pour les regrouper à Wagap, leur bateau a été attaqué dans la baie de Hienghène. En représailles, le grand-père Bwarhat a été emmené à Nouméa avant d’être exilé à Tahiti. Les sujets de Hienghène se détruit ce village qui comptait plus de deux cents cases. Puis ils sont remontés jusqu’au milieu de la vallée de la Hienghène. À son retour d’exil, le vieux Bwarhat a parlé avec les missionnaires et il s’est calmé, tout en continuant à refuser obstinément de céder une partie de son territoire pour l’installation des Français ici. Les seules donations qu’il a faites, c’est l’îlot Wejo aux Anglais, pour y installer un poste militaire, comme il s’en est créé à cette même époque en divers points du pays suite à la révolte de 1878. Il y a eu d’autres différends par la suite et d’autres répressions, mais au sein de la grande chefferie, l’état d’esprit n’a jamais changé : « Ici, c’est nous et si vous venez vous joindre à nous, on ne peut pas vous considérer comme supérieurs à nous. » Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 53 La mémoire kanak de 1917 Joseph Karie Bwarhat est né le 17 mars s 1945 à la tribu de Linhyehik (Lindéralique). Il r u porte le nom de son grand-père, Joseph Karie, le o dernier fils du grand chef Philippe Doui Bwarhat. c r « La chefferie Bwarhat actuelle est en même temps Doui et Bwarhat. a P C’est le même clan, la même famille. Le nom « Bwarhat » que nous, nous portons Et le fils de Doui Bwarhat a donc suivi le même chemin… © aujourd’hui, sa résidence, c’est Pai Kaleon. En bas où il y a les cailloux, eux, ils gardent le nom Doui Ma Powé. Mais c’est le même clan. Philippe a été engendré par le grand-père qui a reçu Mgr Douarre en 1846, je crois, et qui a reçu également, le 7 ou 8 mai 1884, le capitaine Tardy de Montravel, qui est venu ici pour planter le drapeau français. C’est ce grand-père-là, que l’on appelle le vieux Bwarhat, qui a engendré Philippe, lequel a engendré mon grandpère. Philippe, c’est le nom qu’il a reçu quand les pères l’ont baptisé. Je crois que c’est par rapport à l’empereur Louis-Philippe. Au niveau de la chefferie, il y a toujours des adoptions coutumières. Moi, j’ai été adopté à ma naissance par mon oncle, ou, comme on peut le dire aussi du point de vue de la coutume, par un autre grand-père, qui s’appelle Hippolyte Mwéaou, lequel a lui-même été adopté par le fils de l’arrière-grand-père Philippe. Mwéaou, c’est le cadet. L’aîné, dans la chefferie, c’est le Téin. C’est lui qui est devant. Téin correspond au soleil, dans la coutume, à l’aîné. C’est ce Mwéaou, qui était le second fils du grand-père Philippe, qui a adopté mon propre grand-père adoptif, Hippolyte Bwéaou. Comme celui-ci devait toujours rester attaché à son frère aîné, il était proche de la grande chefferie, comme je le suis à mon tour. Je suis là, dans la grande case, à côté du grand chef, pour le seconder, travailler à ses côtés. Dans la coutume, ici chez nous, à Hienghène, le grand chef, c’est le poteau central, c’est aussi le soleil qui éclaire l’ensemble de sa communauté. Chez nous, on dit que c’est quelqu’un dont la bouche ne parle pas, dont les yeux ne voient pas. Ses yeux, sa bouche, ce sont ceux qui l’entourent. Ce sont eux qui font le travail. Lui est l’autorité. Voilà la position dans laquelle je suis au niveau de la coutume. M à w C K- C AD é/ Vé T C Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc 54 dc Dans l’intervalle, en 1983, et jusqu’au milieu de l’année 1984, j’étais au musée de Nouméa avec Patrice Godin, qui avait succédé à Luc Chevalier. C’était aussi l’époque de l’Office culturel, scientifique et technique canaque. En 1984, je suis revenu ici pour la construction du centre culturel Goa ma Bwarhat de Hienghène dont j’ai été le directeur jusqu’en 1988. En 1996, j’ai pris ma retraite sur le plan professionnel, mais j’ai continué à m’intéresser à l’activité culturelle. Je fais toujours partie du conseil d’administration du centre culturel Goa ma Bwarhat. .a w w |w Après, j’ai dû interrompre l’enseignement et rentrer à la maison pour m’occuper de mon oncle Fidelie Bwarhat qui était tombé malade. Mon oncle était le grand chef d’alors, au plan administratif, de la grande chefferie de Hienghène. Durant toute l’année 1971, je suis resté à Hienghène pour être à ses côtés, tout en travaillant un moment à la prospection dans les mines Pentecost. Début 1972, le directeur de l’enseignement catholique, qui était un frère de la congrégation du Sacré-Cœur, m’a proposé de reprendre l’enseignement, sur Pouébo. Entre 1973 et 1974, j’ai enseigné à la mission de Touho, et ensuite à la mission de Ouaré, jusqu’en 1983. En même temps que j’enseignais, je faisais partie de l’équipe de Jean-Marie (Tjibaou). On était tous à l’Union calédonienne à l’époque. On a préparé ensemble le festival Mélanésia 2000. De 1977 à 1989, j’ai été adjoint de Jean-Marie à la mairie de Hienghène. En 1989 [année de la mort de Jean-Marie Tjibaou], je l’ai remplacé comme maire, jusqu’en 1995. k. J’ai effectué ma scolarité primaire à la mission catholique de Ouaré, entre 1950 et 1959. Ensuite et jusqu’en 1966, j’étais à l’école des maristes à Port-Laguerre, à Païta. À la suite de quoi je suis parti faire mon service militaire. J’ai été incorporé à Nandaï (près de Bourail) puis en France, à Alençon, dans l’Orne. Là, j’ai suivi une formation de serrurier du bâtiment. C’était le début des formations organisées par le gouvernement français pour permettre aux jeunes issus de l’outre-mer, en âge de faire leur service militaire, d’apprendre un métier. On côtoyait les Martiniquais, les Guadeloupéens, les Réunionnais qui venaient eux aussi se former. En sortant de l’armée, en 1969, je suis entré au centre de formation mariste de Saint-GenisLaval, près de Lyon. Je suis allé jusqu’à l’entrée de la terminale et là, les maristes m’ont fait revenir en Nouvelle-Calédonie pour enseigner à l’école du Sacré-Cœur à Nouméa où j’ai fait la classe durant toute l’année 1970 à des élèves de CM2. Tout à fait. Son fils, Philippe, était dans la même disposition d’esprit : ne pas céder un pouce de son territoire à la colonisation. Après la mort du vieux Doui Bwarhat, les gouverneurs qui se sont succédé ont tenté de convaincre Philippe Bwarhat de laisser des colons s’installer à Hienghène, mais celui-ci a toujours refusé. Lorsque la colonisation s’est intensifiée dans les années 1880-1890, avec la mise en œuvre de la colonisation libre mise en place par le gouverneur Feillet et alors que la colonisation pénale était déjà en place dans certaines régions du pays, Hienghène n’a pas été touchée tout de suite. Philippe Bwarhat a refusé la colonisation libre. Quelques Européens sont venus malgré tout s’installer sans l’autorisation de la chefferie, avec le soutien de l’armée. En 1895, le grand chef Philippe Bwarhat a été déporté à son tour à Tahiti et il n’en est revenu qu’en 1901. En son absence, un grand chef « par intérim », Caselina, a été nommé par décret par l’administration coloniale. C’était un chef d’une vallée de Poindimié qui avait été récusé par ses sujets parce qu’il avait cédé une partie de ses terres pour permettre l’installation de colons libres et qui s’était d’abord réfugié à la chefferie de Poyes. Mais ses sujets l’ont su et ils ont envoyé un tabac pour dire qu’ils allaient venir le chercher. Alors le chef de Poyes a prévenu Caselina qu’il était recherché par les gens de Poindimié et qu’il ferait bien de partir. C’est pour qu’il soit épargné que le grand chef Bwarhat l’a accueilli. Il était donc un sujet de notre grande chefferie. Et c’est lui qui a signé, au nom de Philippe Bwarhat qui était emprisonné à Tahiti, l’autorisation de mettre en œuvre la colonisation libre à Hienghène. Il a du reste été décoré pour cela par le gouverneur de l’époque. À l’époque, c’était de cette manière que l’administration coloniale réglait le problème des chefs ou des petits chefs qui ne se pliaient pas à ses ordres. Elle les destituait et nommait des chefs administratifs à leur place. La mémoire kanak de 1917 … d’où sa position en 1917. © Voilà la façon dont Hienghène a été colonisée, mais ce n’est pas du fait du grand chef Doui Bwarhat ni de son fils Philippe. Eux ont toujours refusé cette colonisation. Par la suite, en 1917, Doui, fils de Philippe Bwarhat, devenu chef à son tour, a refusé la mobilisation de volontaires pour la guerre de 1914-1918 en disant : « Pourquoi des gens d’ici iraient se battre pour défendre la terre des Français alors qu’ici, ce sont les Français qui prennent notre terre ? » C’est ainsi que sur Hienghène il n’y a pas eu de volontaires pour 14-183. Il y en a bien eu quelques-uns parmi les gens originaires de Hienghène qui travaillaient à Nouméa, mais ils ont été directement recrutés là-bas. À son retour, l’un de ceux qui étaient partis combattre en France a été appelé par le chef Bwarhat qui lui a dit : « Tu es parti sans mon autorisation, alors maintenant tu ne peux plus rester ici, à Hienghène. » M Dans la vallée de la Tipindjé, à cette époque-là, il y avait quatre grandes chefferies. La coutume [pour la guerre] a été saisie quelque part. Certains étaient d’accord avec la répression, d’autres pas. Certains avaient déjà subi les aléas de la révolte d’Ataï, en 1878, dont les répercussions ont été ressenties jusque dans la région de Koné. Quelques-uns ont dénoncé le tabac que grand-père Doui Bwarhat avait envoyé, mais d’autres l’ont accepté, et le tabac est revenu jusqu’à Tendo, à la repris lors du procès de 1919, à Nouméa. Il a été convoqué pour s’expliquer devant le tribunal, mais il n’était pas question pour lui d’être jugé, certainement condamné et sans doute à nouveau déporté. Il est allé jusqu’au bout de son engagement et il a préféré se suicider plutôt que de rendre des comptes à des gens dont il ne reconnaissait pas l’autorité sur son pays. « 1917, c’est plus qu’une révolte de la part de quelques-uns excédés par cette situation, c’est une vraie guerre de résistance, programmée pour lutter contre ceux qui veulent accaparer notre terre. Elle n’a pas abouti parce que nous n’avions pas les moyens de ceux d’en face. Et puis il y a aussi le fait que l’armée qui est venue ici pour combattre les guerriers kanak était aidée par les auxiliaires. Sans eux, les militaires n’auraient pas obtenu la victoire. » Dans la façon de parler d’aujourd’hui, on dit que Noël et d’autres chefs ne sont pas de chez nous, mais autrefois ils avaient des relations coutumières entre eux. Ils étaient liés par des pactes d’amitié ou d’hostilité. Et ces relations étaient entretenues par les alliances au travers des femmes. Autrefois, les grands chefs avaient plusieurs épouses qui faisaient le lien entre les grandes chefferies. Le grand-père Bwarhat avait ainsi des relations avec toutes les chefferies de la région du fait de ces alliances par les femmes qui vivaient avec lui et qui enfantaient des lignées communes à la chefferie Bwarhat et aux autres grandes chefferies. Quand une chefferie était puissante, du point de vue de la coutume, on demandait à celle-ci le retour du fils aîné dans la chefferie dont était originaire sa mère afin qu’il vienne régner et pour que l’esprit et la puissance de la grande chefferie soient partagés avec les autres. Cela veut dire que Noël de Tiamou, c’est qui ? C’est quelqu’un qui était aussi en relation étroite avec nous, ici à Hienghène, par l’intermédiaire de la vallée, par les chefferies de Twepaik, le vieux Ty, les Goa et sur la base de toutes ces alliances qui existaient dans le temps. Quand un tabac est lancé, on sait qu’il va aller jusque dans les régions contrôlées par ces chefferies avec lesquelles on a des alliances. Noël a réagi en premier parce qu’il était soumis depuis un moment déjà au forcing de l’Administration et des colons dans sa vallée de Koniambo. Que pensez-vous de celui qui incarne la tête de la guerre, Noël de Tiamou, bien qu’il ne soit pas de chez vous ? à w T C C K- C AD k. nc Le chef Philippe Bwarhat était très surveillé par les Français, du fait de ses positions vis-à-vis d’eux. Quand il y a eu la guerre de « 17 » et que le tabac est arrivé à Tendo, le nom du chef Bwarhat est sorti pour dire que c’était lui qui l’avait lancé pour la guerre et cela a été dc C’est ainsi que le grand chef Philippe Bwarhat va être cité à comparaître lors du procès des insurgés de 1917, en 1919… .a grande chefferie Goa. Ce tabac lancé par le grand-père Bwarhat concernait l’ensemble des chefferies d’ici. Parce qu’ici, dans la coutume, on dit que Goa, c’est le bras de Bwarhat. Ensemble, ils détiennent le droit sur la guerre. Dans la vallée de Tipindjé, la partie basse, ce sont les Doui et leurs alliés. Avant le déclenchement de la guerre, il y avait eu de grands palabres et plusieurs pilous de préparation entre eux. w w |w Les gens d’ici étaient donc prêts à relayer la révolte de Tipindjé, mais ce sont les grands chefs de la vallée qui ont pris les choses en main à Nétchaot, à Bweaou, à We Hava4. é/ Vé C’est pour dire qu’en 1917, le grand-père Doui, qui était contre la participation des gens de chez lui à la guerre en France, a participé aux pilous qui ont préparé le soulèvement de 1917 et que le tabac [monnaie de guerre en l’occurrence] est parti d’ici, dans les vallées, jusqu’à Koné, afin que tous les chefs concernés parlent ensemble pour se défendre contre la colonisation. La vallée qui était la plus menacée était celle de la Tipindjé parce qu’il y avait déjà des implantations de colons à l’entrée de cette vallée. Et tous les chefs qui ont fait la guerre ont agi par rapport au tabac envoyé par le grand chef Philippe Bwarhat. Dans un premier temps, c’était aux chefferies qui se sentaient menacées par la colonisation de se défendre, ensuite, il était prévu de les soutenir. Mais comme la répression s’est abattue très vite et très durement sur les premiers « rebelles », la chefferie de Hienghène a temporisé. « La position de la grande chefferie n’a jamais varié par rapport aux ordres venus de l’extérieur ; lors de la guerre de 1939-1945, ici, à Hienghène, il n’y a eu qu’un ou deux volontaires, pas plus. Comme ses papas, grandpère Jean-Baptiste Bwarhat n’a jamais voulu donner des gens à lui pour faire la guerre en France. » Évoquer cette période vous paraît utile pour l’actuelle génération ? Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 55 La mémoire kanak de 1917 © Oui, il faut raconter cette histoire, et puis il y a des suites par rapport ient a t é ’ s i u Par exemple, la plupart q péens t àdes1917. o n r e u i a E t s é e , s d gens qui sont aujourd’hui i a ie “Une part s, surtout des Franç ions à Tiendanite sont des gens qui llé elat a r t s s n e i d à r ont été chassés de la vallée de j e é u d r et no t e n t a n t e r s o é p r Tipindjé. Et, actuellement, p p e, en a i r venus se e f f e r h c a nous sommes en train d’essayer vec la éciés p de les replacer. Pour le 24 d’amitié a et ils ont été appr ne , ’u s u t q n e i s s septembre5, le grand chef é n r i a t s des p ’e C . é i Tein Janu, de Tchambouèn, ère Dou jé, à Ou le grand-p lée dans la T ipind randle grand chef Goa, la grande l g a t u s n d i e e i l l m chefferie de Poyes, la i a ’ fam venue l e d r e t i i n a r t e grande chefferie Bwarhat é Hava, qui été avertie par ce d et il se sont réunis pour faire nak ,a la reconnaissance des père Doui e boucliers côté ka i. J ’ai r d b a ’ e l é limites du périmètre des v ettre à de la le m e s e , e d l chefferies traditionnelles eillé famil leur a cons escendant de cette de notre région telles côté u d d n é u l l é a v t qu’elles existaient avant u s retro lon, in o , c 6 e 9 c 9 1 e d n l’arrivée du drapeau e , ils un petit-f t j’ai loué la maison vec français à Balade on sa d é l , l é a n t o s n K i puis à Hienghène. e s d omme s s u o n .” l s i u Ces territoires a o lorsque n Koné pour son trav traditionnels, on ne à peut pas y toucher ma femme parce qu’ils sont inscrits et dans l’esprit et dans la manière de vivre de chacune des chefferies. C’est à l’intérieur de son territoire traditionnel que chaque chefferie exerce son pouvoir et son droit. Ce travail sur le cadastre coutumier s’inscrit dans le « On ne peut pas passer par-dessus cadre de l’Accord de Nouméa. On va ce que les grandes chefferies ont le poursuivre avec les petits chefs au décidé sauf si ce sont elles-mêmes niveau de chaque chefferie pour rétablir qui changent les choses. Le « vivre le territoire et l’appartenance de chacun des clans qui composent ces chefferies. ensemble », ça se construit sur terre, Certains clans n’existent plus, d’autres pas dans les nuages, si l’on veut sont venus s’installer à cause de la une situation sereine, et pour cela colonisation, mais il faut faire un état il faut éclaircir les choses et aboutir des lieux tels qu’ils existaient avant la à des traités de coopération. » prise de possession. Dans le but de revenir à l’état ancien ? M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w Non, mais pour démontrer qu’avant l’arrivée des Français ici, le pays de cette époque était régi par des droits et des pouvoirs qui couvraient l’ensemble du territoire qui s’appelle aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie. Il n’existait pas d’endroit qui n’appartienne à personne et c’est ce que l’État a admis en signant l’Accord de Nouméa. Chaque endroit dépendait d’une chefferie et de sa zone d’influence à l’intérieur des frontières de celle-ci. Et si quelqu’un s’aventurait à passer outre ces limites sans autorisation, c’était la guerre. Souvent, à la frontière entre deux chefferies, il y avait des clans chargés de veiller au respect des limites de chacune, avec des guerriers postés. Pour aller d’une chefferie à l’autre, il fallait envoyer un tabac à l’un de ces clans qui le transmettait au représentant de la chefferie concernée. On n’entrait pas comme ça. Ce sont ces clans qui faisaient aussi passer les messages entre les chefferies. Ici, du point de vue coutumier, il y avait des endroits, en montant sur la chefferie Goa, où, quand tu passais, tu devais parler pour dire qui tu étais, de façon à être entendu par celui d’en face. Si celui-ci entendait que tu avais un nom, que tu étais de tel clan, il te répondait que c’était bon, tu pouvais passer. Mais s’il ne répondait pas, il ne fallait pas que tu ailles plus loin, sinon tu avais droit à la sagaie ou au tamioc. » nc Propos recueillis par Gérard del Rio et Emmanuel Tjibaou Notes 1. Ces navires marchands étaient sans doute basés à Sydney, en Australie, colonie anglaise à cette époque. 2. On distingue encore sur la rive gauche de la Hienghène (soit à droite en remontant la vallée) l’emplacement de la grande case de la chefferie dont les autres habitations et structures s’échelonnaient sur le versant de la colline, jusqu’à sa crête. 3. Dans son ouvrage De la Première Guerre mondiale en Océanie – Les guerres de tous les Calédoniens, publié en 2003 aux éditions Septentrion, l’historienne Sylvette Boyer mentionne 4 engagés volontaires recrutés comme « tirailleurs canaques », dont 2 ont déserté. 4. Tribu de la haute vallée de la Tipindjé. 5. Jour anniversaire de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France. 56 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La mémoire kanak de 1917 a n ï a M e d , p u o h o G ï a Noël Tu ël de Tiamou » T émoignage Neveu de « No © l uaï Gohoup, qu’i T l oë N e d t ci ré u d le transcrire caractère singulier e u d d si u oi n ch te s te p on v a om s C auparavant, nou té n co ra is a arfois précisé ou p m s ja on it v a s n’ava ou N . formulation orale sa e d s entre crochets. rè p ts s u lu jo p a s u a ce t n la a n passages en sig explicité certains M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc Mon nom, c’est Tuaï Noël, adopté par le clan Gohoup. Je suis originaire de Ouanache, [commune de Touho]. Je suis né en juillet 1927. 1917, pour moi, c’est proche. Certains de mes parents sont encore en vie. Ma mère, c’est la sœur de Noël Doui [appelé aussi Noël Néa ma Pwatiba et surnommé « Noël de Tiamou »]. Elle s’appelle Yamane Foape. Mon père s’appelle Kiolet. Ma mère, c’est la femme de Thy Caati. Caati, c’est un nom que l’on trouve près de Bopope, quand on va sur Koné. Elle s’est sauvée dans la brousse avec son grand frère, Noël Doui. C’est lui qui les a [ceux qui fuyaient en même temps qu’elle la répression] sauvés. C’est au cours de sa fuite qu’elle a accouché d’un de mes frères, Emmanuel Thy. Ils fuyaient dans la direction de Wan Kuut, poursuivis par les militaires aidés par les gens de Houaïlou. Ils étaient nombreux à fuir, parce que Noël Doui, c’est un chef, et il est parti avec tous ses sujets pour les sauver. À ce moment-là, le gouverneur de l’époque le considérait comme un rebelle, parce qu’il ne voulait pas se rendre. Il n’était pas converti. La religion n’est venue qu’après, après la paix de Pamalé, alors que lui était déjà en fuite à travers la chaîne. Pourquoi Noël Doui avait-il choisi le camp des « rebelles » ? Le début de l’histoire, c’est à Koné. Le gouverneur de l’époque a demandé au chef de Koné de donner des soldats pour participer à la guerre de 14-18. Mais certains chefs n’ont pas voulu lui donner des gens à eux. Il n’y a que son petit frère [le petit frère de Noël Doui], qui s’appelle Tuaï, qui, lui, est à la guerre de 14-18. Alors que lui se bat pour la France sur la ligne Maginot, ici l’on pourchasse son grand frère. Au moment de l’armistice, mon oncle Tuaï a pris un de ses soldats et l’a placé sur la ligne Maginot pour planter le drapeau français. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 « À Nouméa, Néa [Tein Néa Pwatiba] a été sauvé de la guillotine par Maurice Leenhardt. » 57 La mémoire kanak de 1917 « À Ouayaguette, il y a des gens qui disent qu’ils sont de chez nous car ils ont fui la guerre. » Il est mort maintenant et il est enterré à la tribu de Tiéta. D’après ce que vous savez, y avait-il beaucoup de monde dans la vallée de la Tipindjé avant la guerre de 1917 ? © Oh là oui. D’après ce que j’ai appris de ma mère, de mon père, Kiolet, de Gohoup aussi, il y avait plus de deux mille personnes qui vivaient dans cette vallée, depuis l’embouchure jusqu’à Pamalé. Quand on arrive à Pamalé, il y a Kuya et Neaou. Puis, vers Wé, ça donne sur Bopope. Pamalé était une grande tribu. M à w D’autres, parmi de vos ancêtres, ont-ils été victimes de la répression ? T C w w |w Oui, beaucoup. J’étais petit encore quand on racontait cette histoire. Il y avait des femmes de Pamalé, de Kuhya, de Fawé, de Caati. Les gens parlaient de ce qui s’était passé. Ma mère et Noël Doui, quand ils se sont sauvés dans la région de Tiendanite, ils ont pris le caillou que l’on appelle le « Tabedo », à Wan Kuut, sur la rive gauche de la rivière. Et ils sont montés, montés, en s’aidant des lianes, et les militaires n’ont pas pu les suivre à cause de leur équipement. Et ils ont continué. Quand ils sont arrivés, à la tombée de la nuit, au-dessus de la tribu de Tiendanite, là où il y a une petite forêt, celui qui était devant a glissé et il a dit aux autres « ga sêêjan nit ! », ça veut dire « la route est glissante » en vamale [langue parlée dans la région de Pamalé]. C’est comme ça que l’on a nommé l’endroit « Tiendanite ». dc .a [Noël] Doui s’est sauvé et il a fait le « sauvage » [lui et les siens se cachaient Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc 58 C Oui, si l’on peut dire. Ce qui s’est passé, c’est que les gens de Koné sont arrivés chez lui et c’est de là qu’ils sont partis pour tuer le Blanc à We Hava, le colon Grassin, qui était commerçant. Grassin était jaloux de Kaveat, à cause de sa femme. Alors ils [les « rebelles »] l’ont tué. Un Javanais qui travaillait K- Le chef Kaveat était lui aussi du côté des « rebelles » à ce moment-là ? C AD é/ Vé “La sœur de ma mère a été tuée par ses frères à We Hava. Elle était partie pour rester avec le vieux Amane, le chef de Poyes. Et après elle est revenue à We Hava, et elle s’est mise avec un beau garçon de Tipindjé. Et ses frères ont dit : “Au lieu de rester avec le chef, tu restes avec celui-ci, qui n’est pas un chef ?” Ils sont montés un soir et allez…” sans cesse et s’alimentaient avec ce qu’ils trouvaient sur le chemin de leur fuite, des ignames sauvages notamment], et il est arrivé avec son groupe à Tendo, au lieu dit « Kun Paik », là où ils ont été capturés. Ils étaient nombreux. Arrivés là, ils ont aperçu des cocotiers, en bas, dans le creux. Ils sont descendus parce que les femmes voulaient manger les cocos secs et les cocos germés. C’était le soir. Pendant qu’ils mangeaient, les militaires sont arrivés et ils ont barré la descente. Ils [les fuyards] ne pouvaient plus se sauver parce qu’ils étaient à flanc de talus. Alors ils sont retournés par là où ils étaient descendus, vers le gros caillou [le « Tabedo »]. Ma mère, elle, ne pouvait pas les suivre parce qu’elle s’occupait de mes deux petites sœurs [âgées de quelques années] et de mon frère Emmanuel Thy, celui qui est né dans la forêt. Elle a pris mes deux petites sœurs et elle les a cachées sous les fougères. Mon oncle [Noël Doui] a dit à ma mère et aux autres : « Je monte, et vous me suivez. » Lui, il avait quelque chose pour la guerre, sur le bras. On voit ça sur sa photo. Quelque chose à nous [que nous possédons, nous, les Kanak] pour la guerre, pour éviter les balles. Ma mère a dit [ma mère m’a raconté, à moi, Noël Tuaï, cette histoire] : « On monte et on suit ton oncle. Les gens derrière [nous], à droite, à gauche, sont touchés par les militaires, mais pas nous. Et quand ton tonton est arrivé sur la crête, je l’ai vu pour la dernière fois. Il a envoyé quelque chose aux militaires, et puis il est descendu dans la forêt. » C’est fini. Eux [ma mère et ceux qui fuyaient en même temps qu’elle] ont été cernés par les militaires. Et mes deux petites sœurs, jusqu’à présent, on ne sait pas où elles sont. Après, les militaires sont descendus et ont coupé les têtes de ceux qu’ils avaient tués. Ils les ont emmenées jusqu’à la gendarmerie de Hienghène. Dans la cour de la gendarmerie, ils ont exposé les têtes de manière à les reconnaître et le syndic des affaires indigènes, ou quelque chose comme ça, notait les noms. Ma mère les a toutes reconnues, sauf la tête à mon tonton, Noël Doui, qui n’avait pas été pris. Mon oncle, c’est quelqu’un qui, même s’il était parmi nous, on ne le verrait pas [il savait se rendre invisible]. Lui seul avait k. Quand mon oncle Noël, avec ma mère, est arrivé à Wan Kuut, mon petit frère Emmanuel était déjà bébé. Les soldats étaient derrière eux et un des petits frères de ma mère, Oundjé, a été tué par eux à cet endroit. Il avait 18 ou 19 ans. Quand ils sont arrivés à Wan Kuut, Noël Doui a crié à son petit frère de ne plus avancer parce que les soldats, en bas, n’étaient pas loin. Mais avec le bruit de la rivière, Oundjé n’a pas compris ce que disait Noël et quand il s’est avancé le soldat l’a ajusté et a tiré. Et il est tombé. Lui, il était là pour retarder les soldats. Il tirait un coup de fusil, ça bloquait les poursuivants et ça donnait du temps aux autres pour se sauver. Les soldats lui ont coupé la tête. Les autres [Noël et les siens] ont continué à se sauver. La tribu de Wan Kuut, chez Kaveat, était en feu. Là, un soldat a été tué, un Tahitien, Elizeramai, dont le nom est inscrit sur le monument de Tiwandé. Et un quartier-maître, Marec, [dont le nom est également inscrit sur ce monument] a été blessé. Les soldats l’ont vite emmené à la station Laborderie où il y avait une petite garnison militaire avec des infirmiers. Il est mort là-bas. pour lui s’est sauvé et a grimpé tout en haut d’un manguier. Ensuite, ils [les « rebelles »] sont repartis. Le lendemain matin, les militaires sont retournés pour récupérer le Tahitien tué, mais ils n’ont pas retrouvé son corps. Parce que les chefs de Koné et les autres chefs rebelles étaient déjà passés, ils avaient tiré le cœur du Tahitien et l’avaient apporté à la chefferie de Wan Kuut, et ils l’ont mangé cru, et après ils ont fait le four avec les pierres, en bas à la rivière, et ils ont mis le corps du Tahitien dessus [pour le cuire et le manger]. La mémoire kanak de 1917 cela. Après lui, plus personne, ni dans la famille ni ailleurs, n’a eu ce pouvoir. Ils [les auxiliaires] coupaient toutes les têtes, celles des hommes, des femmes. Il y avait une prime de mille francs à celui qui capturerait Noël Doui. C’était le gouverneur qui avait fixé ça. Que sont devenus celles et ceux qui ont été capturés à Tendo ? © Ma mère et tous les autres capturés en même temps, ils les ont chargés sur un chaland je crois, et ils les ont transportés sur Houaïlou. Parce que tous les chefs de Houaïlou étaient sous les ordres du gouverneur à l’époque. M dire, c’est mon cousin Néa (Tein Néa Pwatiba) qui a pris la monnaie kanak et qui l’a envoyée à Wan Kuut, à Kaveat. Comme ça, celui-ci va l’envoyer chez les Bwarhat, étant donné qu’eux, c’est la région de Hienghène. On a dit alors : « Vous allez commencer à tuer les Blancs, voilà la parole de la monnaie kanak, et on va vous aider, on va vous donner la main. » Mais quand les Koné sont arrivés pour commencer à faire ça, Néa s’est retourné du côté des soldats et il s’est mis à faire des civilités aux gendarmes et tout ça. à w T C k. nc Mon oncle et son groupe se sont sauvés jusqu’à Werap, jusqu’au Panié2. Il [Noël Doui] a continué à se cacher comme un sauvage. À un moment donné, il voulait revenir à Koné. Il s’est pointé chez son cousin, à Tiéta. Et il lui a dit : « Tu sais, maintenant je crois que je vais aller à Koné pour me rendre. » Il était encore avec tous ses médicaments, de guerre, de sorcellerie, je ne sais pas comment on appelle ça. dc Où Noël Doui était-il pendant ce temps-là ? .a J’ai entendu dire qu’au moment où Kaveat s’est sauvé, avec ses deux fils, et son frère, et vers Coulna et vers We Hava, il a gardé la monnaie avec lui et il a donné l’enveloppe de la monnaie à sa femme, en disant : « Voilà, moi je donne la monnaie kanak et toi tu prends ça, et si les gendarmes vous emmènent à Nouméa, pour passer au tribunal, vous allez montrer tout ça. » C’est tabou maintenant, pour nous, c’est défendu d’aller là-bas. Après, il est arrivé chez l’Arabe 3, à Koné, avant la tribu de Poindah. Ils se connaissaient d’avant cette histoire de rébellion. L’Arabe a servi un bol de café à mon oncle, et puis il lui a donné du pain, pas du pain comme celui que l’on fait maintenant, du pain d’avant, fait avec du manioc, ou je ne sais quoi. L’Arabe est entré dans sa chambre, il a décroché son fusil, mis une cartouche, il est sorti et il a pointé le canon sur mon oncle alors que celui-ci était en train de boire son café. Mon oncle a voulu se lever pour faire face et l’Arabe a appuyé sur la détente. Le coup est parti. Mon oncle n’est pas mort sur le coup, il était seulement blessé et il voulait continuer à lutter avec l’Arabe, mais il était affaibli par sa blessure. Ils ont lutté, lutté, et ils sont descendus vers la rivière qui n’est pas loin, et c’est un Javanais qui travaillait pour l’Arabe qui a accouru et qui a aidé son patron à tuer mon oncle. Puis l'Arabe lui a coupé la tête et l’a emmenée à la brigade de Koné. Il a montré la tête de mon oncle et il a dit : « Voilà, il faut me donner la prime que le gouverneur a offerte pour celui qui a capturé Noël. » Mais les gendarmes lui ont dit : « Non, tu n’as pas le droit de toucher la prime parce que tu l’as tué. Si tu l’avais capturé vivant, oui, mais là, non. » Ils ont planté la tête de mon oncle sur un piquet, là où il y a le cocotier maintenant. Quand j’étais gendarme, ils m’ont déplacé de Boulouparis pour remplacer un gendarme de Koné qui s’était blessé w w |w Tout ça, c’est à la suite de la monnaie kanak, noire. Je suis bien obligé de le C J’ai oublié de dire au début que les Koné sont descendus parce qu’ils n’ont pas voulu fournir des hommes pour la guerre. Le chef n’a pas voulu obéir au gouverneur et c’est là où ils [les soldats et leurs auxiliaires] ont commencé à tuer des Kanak. K- Les gens de Pamalé ont été beaucoup touchés. En remontant la Tipindjé, il y a une petite cassure. Sur la droite, c’était Kuya, là où il y a le gros caillou où des gens sont venus exploiter les mines. Sur la Tipindjé, en continuant à monter, c’est Pamalé. Et quand on dépasse Pamalé, on descend sur Atéou, puis sur Koné. À droite, on descend à Tiéta. C Et par deux fois on a chargé des bateaux pour emmener les gens de Pamalé sur Bélep. D’autres ont franchi la crête et sont descendus sur Voh et tout ça. AD Le gouverneur Feillet et le missi1 Maurice Leenhardt ont fait signer la paix, à la tribu de Pamalé, et puis cette tribu a été supprimée. Le chef de cette tribu s’appelle Poihili. Étant donné que Pamalé était une grande tribu, c’était là où tous les chefs de Koné et [les autres chefs], jusqu’ici, se rassemblaient pour faire des pilous pilous et, soi-disant, c’est là que la guerre a été fomentée. é/ Vé Les femmes étaient prisonnières des grands chefs de Houaïlou, depuis la rivière jusqu’en haut, quand on sort vers Bourail. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 59 La mémoire kanak de 1917 et ils [mes collègues gendarmes] m’ont montré le cocotier. Voilà, c’est là où se termine l’histoire de mon oncle. par ma mère. Il n’y a que dans ces conditions-là que tu peux apprendre l’histoire. Sinon, les gens, maintenant, ils ne savent pas. Que sont devenus les gens de chez vous envoyés à Houaïlou ? Et personne ne vous demande jamais de raconter cette histoire ? Plus tard, ma mère et les autres sont revenus ici, à pied, et après des jours et des jours de marche, ils sont arrivés à Ouanache, à la mission protestante. Et quand Néa ma Pwatiba a été libéré, le tribunal lui a dit : « Néa, tu retournes à Ouanache, mais tu restes au sein de la prière de Leenhardt. » Non, et franchement, il n’y a qu’à vous deux, qui êtes venus me voir [que je l’ai racontée]. J’ai toujours gardé. J’ai fait presque cinq ans dans l’armée, dans l’infanterie de marine, à Plum, puis je me suis engagé dans la gendarmerie, en 1951, et jusqu’à maintenant, j’ai toujours gardé cette histoire. © Mais où se sont-ils installés ensuite, puisque leurs villages et leurs récoltes avaient été détruits par la répression ? Et pensez-vous qu’il soit bon maintenant de faire connaître cette histoire ? Ils n’avaient plus rien. À Ouanache, il y avait les gens en famille, en couple, des vieilles, ils faisaient un peu de pêche. Personnellement, [je considère que] tout cela, c’est du passé. C’est fini, tout ça. Maintenant, [avec ceux qui sont venus après] il faut vivre ensemble, avec les Kanak, parce qu’ils [ceux qui sont venus après] sont venus d’ailleurs pour s’installer dans ce pays, sachant qu’ici, ça appartient aux Kanak. Ça fait plus de quatre mille ans que les Kanak sont là, alors que les Européens, ça fait cent cinquante et quelqus. Quand on parle des droits de l’homme, quelle nation a pondu cela ? La France… Pourquoi on est passé outre pour venir ici, chez les Kanak ? M « Kaveat était blessé par balle. Il leur a dit : « Vous, vous retournez à Wan Kuut ». Et là, ils trouvent à manger, mais ils ne savent pas qui leur apporte la nourriture. Ce sont les gens de Tendo qui les ont ramenés à Wan Kuut. » à w T C C Par rapport à l’histoire de votre famille, pourchassée par les soldats et les auxiliaires, le fait d’avoir été vousmême gendarme, donc militaire, ne vous a jamais posé de problème ? Oui, il faut que les jeunes sachent, dans le sens des choix du pays, mais ça ne veut pas dire qu’il faut revenir à l’état passé. Mais c’est bien pour nous, les Kanak, [de connaître la situation telle qu’elle était avant la guerre de 1917] et Oui, mais c’était beaucoup plus tard, vers 1950. Au début, avec vous, je me suis dit est-ce que je vais raconter textuellement ce que j’ai appris ? Parce que ce sont des choses que je n’ai jamais racontées à personne, jamais. Mais comme je vous l’ai dit, ici, il y avait Noël Doui qui était pourchassé et, là-bas, son petit frère qui se battait pour la France… nc Vous dites que c’est le passé, qu’il faut vivre ensemble maintenant, mais ce que vous nous avez raconté est important du point de vue de l’histoire du pays, afin qu’elle reste et que les jeunes puissent la connaître. Qu’en pensez-vous ? k. dc .a w w |w Je ne sais pas. Moi, personnellement, j’ai appris [cette histoire] par mes parents, K- Est-ce que les gens, ici, connaissent cette histoire de la Tipindjé ? C AD é/ Vé Après 1917, on a demandé à tous les habitants de Tipindjé de partir. Il y en a qui sont descendus à Hienghène, d’autres sont repartis à Koné, et ce sont les Blancs qui ont sauté sur la Tipindjé. Le fameux Laborderie, il a tout pris. Et en bas, au bord du pont, il y en a d'autres qui ont sauté aussi sur la Tipindjé pour tout prendre. Et les Kanak n’avaient plus le droit de venir dans la Tipindjé. Et là-haut, à We Hava, c’était Letocard [le colon]. C’est pourquoi, maintenant, après la revendication kanak, on a repris. Les gens se sont un peu réinstallés, mais ils ont partagé parce qu’évidemment on ne peut pas dire que c’est à Hienghène, ou à Touho. C’est comme maintenant, il y a des gens de Touho qui sont à Hienghène. En ce temps-là, c’était pareil. quand, maintenant, nous sommes dans des situations, des positions, à la suite de tout ça, des bouleversements dont je vous ai parlé, eh bien il faut rester là-dedans [dans cette connaissance de la situation d’avant 1917]. Par exemple, nous, on est de Koné. Ma mère, mes oncles, ils sont partis de Tchamba. Ils sont descendus, ils ont remonté la vallée de Tiwaka, ils sont passés à Bopope et sous Koné. La tribu de Baco [par exemple], ce n’est pas la vraie prononciation. Baco, ça ne veut rien dire, ni en français ni en langue, ça n’a aucun sens. Le nom, c’est Baakon. « Baakon », dans la langue, cela veut dire « mes sujets, tous mes sujets ». C’est mon oncle Noël qui était là, comme chef de Baakon, avant d’aller à Koniambo. Puis de Koniambo, ils sont montés dans la vallée de Tiakana, en bas d’Atéou. Maintenant, j’ai des cousins qui sont à Tiéta, des neveux aussi. Mon petit frère, Ferdinand, il est mort à Tiéta. Et puis j’ai encore un fils, qui s’appelle Marcel, il est parti, marié à Tiéta, et tous ses enfants, ils sont là-bas. Propos recueillis par Gérard del Rio et Emmanuel Tjibaou. Notes 1. Diminutif de missionnaire. 2. Le massif du mont Panié, point culminant de la Nouvelle-Calédonie, dont les contreforts s’étendent jusqu’en bordure de la côte Est, entre Hienghène et Pouébo, et, sur l’autre versant, sur Haut-Coulna. 3. Mohamed ben Ahmed. 60 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La mémoire kanak de 1917 Récit Pascal Kalewaik Couhia, de Tiendanite © M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc Pascal Kalewaik Couhia s’est exprimé dans sa langue et ses propos nous ont été traduits par son ami Bernard Kalene Maepas dont nous avons également reproduit ci-après les interventions lorsqu’elles précisent le propos de Pascal Kalewaik Couhia ou qu’elles permettent de comprendre la position de ce dernier par rapport à sa situation à Tiendanite. C’est ainsi qu’avant toute chose, Pascal Kalewaik Couhia nous a prévenus que, normalement, il n’avait pas le droit de s’exprimer sur les événements de 1917, dans la mesure où Tiendanite n’est pas sa tribu d’origine. Ses parents, fuyant la répression, y ont été recueillis. De ce fait, il se considère comme un sujet de la chefferie de Tiendanite. Il a toutefois répondu aux questions qui ne l’engageaient pas du point de vue de ce « devoir de réserve » au plan coutumier. Nous avons conservé la formulation orale de ses réponses. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 61 La mémoire kanak de 1917 Pascal Kalewaik Couhia La guerre de 1917, c’est une histoire qui a été provoquée. Et nous, on a subi la guerre, qui nous a fait tant de mal. On ne pouvait pas faire autrement. Ça a commencé en 17, ça a duré des mois, des années. Bernard Kalene Maepas D’après les dires du vieux Ignae, d’Atéou, à l’époque, à Tipindjé, plus de deux mille personnes ont été concernées par cette guerre. Vos papas vous parlaient-ils de 1917 ? Il y avait les papas, mais également les femmes et les enfants ? Pascal Kalewaik Couhia Non, parce que tout le monde était concerné par la guerre. Pascal Kalewaik Couhia Oui, tout le monde, tout le clan, et il y a beaucoup de monde. © Moi, j’ai 76 ans, c’est mon père et mes vieux qui ont vécu 1917. Ils étaient trois frères, mon père et deux oncles à moi. Le premier, le grand-père, c’est Ty, après, il y a Mandja et Doui. Ce sont tous des « papas » à moi. Avant la guerre de « 17 », ils vivaient à Kuya [région de Pamalé]. Ils ont fui et [plus tard] ils sont venus à Tiendanite. ils sont restés, là-haut vers les sapins. Son deuxième frère s’est installé un peu plus loin et le troisième frère (un de ses trois oncles), est descendu plus loin et il a changé de nom. M à w Quand il a fallu entrer dans le système français, dans les années 1950, ils [les gens de l’administration] sont venus pour recenser les Kanak. Avant, on portait tous le même nom. On dit Doui. Des « Doui », il y en a des dizaines, mais à l’origine ils ne portaient pas tous ce même nom. Alors les agents [de l’état civil] étaient perdus. T w w |w Bernard Kalene Maepas Ce qu’il veut dire, c’est que c’était la guerre et les vieux ne pouvaient plus parler parce que ça concernait les chefs, les grands chefs, tout le monde. C’était la guerre, et les vieux la vivaient tous les jours. C’est comme les événements [de 1984], par exemple, nous, on ne peut pas en parler. Vos papas ont-ils choisi de s’installer à Tiendanite après la guerre parce que les gens d’ici avaient été solidaires d’eux pendant la guerre ? Bernard Kalene Maepas Le vieux [Pascal Kalewaik Couhia] dit qu’il ne peut pas parler de ça. Il dit « qu’on est noyé dedans [la guerre] et qu’après il y a toutes les conséquences de la guerre ». Combien de personnes de votre tribu et de sa région ont-elles été concernées par la guerre ? Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 nc Est-ce que l’on sait qui a lancé la guerre ? k. dc .a 62 C Pascal Kalewaik Couhia Les grands frères sont passés là en courant pour fuir la guerre. Ils ont terminé là où s’est terminée la guerre [Tendo]. Une fois que la guerre était finie, ils ne pouvaient pas rentrer chez eux parce qu’il n’y avait plus rien. Ils se sont retrouvés à We Hava et, après, dans un deuxième temps, le chef d’ici a rappelé le vieux [son père], et lui et les siens sont revenus s’installer ici et C La version que raconte le vieux, c’est par rapport à tous les grands-pères. Il parle de la route qu’ils ont faite pour sortir [arriver] ici. K- Bernard Kalene Maepas C’est pour cela que le vieux [Pascal Kalewaik Couhia] ne peut pas parler. Dans la coutume, c’est interdit [de s’exprimer à partir d’un lieu dans lequel on a simplement le rang de personne accueillie, ce, par respect pour les accueillants]. C AD é/ Vé Nous, on a pris le nom de l’endroit d’où l’on venait, Kuya. C’est après Toven. Sinon, tous ceux qui sont venus ici sont arrivés avec leur vrai nom. Bernard Kalene Maepas Ici, à Tiendanite, c’est le chemin de la guerre. Et quand ils sont retournés [vivre ici, dans la région, après la guerre], ils sont restés chez un cousin à We Hava, et puis le chef ici, le grand-père d’Emmanuel [Tjibaou], il les a rappelés pour venir vivre à Tiendanite. C’était par solidarité, parce qu’il n’y avait plus rien à Tipindjé, et d’ailleurs, jusqu’à maintenant, il n’y a rien là-haut. Pascal Kalewaik Couhia C’est après la guerre qu’ils [le père de Pascal Kalewaik Couhia et ses deux frères] se sont installés ici. C’est avant l’implantation de la mission à Ouaré. La mémoire kanak de 1917 Les vieux d’ici ont participé à sa construction. Mais pourquoi les gens de la région de Pamalé, vos papas, sont-ils entrés en guerre ? © Bernard Kalene Maepas Il sait, il connaît bien l’origine de la guerre, mais là, il ne peut pas le dire parce que cela concerne les chefs. Et tous les vieux [dont on parle], ce sont des chefs aussi. Et ils ont été appelés à la guerre. Ses papas à lui étaient des chefs aussi, mais quand ils sont arrivés ici, ils sont devenus des sujets et, à partir de là, ils n’ont plus le droit de parler. jugés, et toutes les mamans ont été rassemblées en bas, à Lindéralique, chez le grand chef. Ils leur ont rasé la tête pendant que les « autres » se moquaient d’elles. Après la guerre, les vieux sont revenus, mais les autres n’ont pas voulu relâcher les femmes. Elles sont restées jusqu’au procès. Il dit [Pascal Kalewaik Couhia] que tous les vieux ont été jugés à Nouméa et que c’est le père Rouel qui période de la guerre de 1917, ou qu’il ne faut plus parler de tout cela ? Pascal Kalewaik Couhia C’est bien de raconter tout cela, mais le problème pour les tribus [telles qu’elles se sont recomposées après la guerre] comme ici, c’est que, s’il nous faut repartir, après il n’y aura plus personne ici. On a tous subi la guerre de 1917. M Faut-il imaginer revenir un jour à la situation d’avant 1917 ? Certains estiment que l’on ne peut pas revenir en arrière, d’autres pensent au contraire qu’il faut replacer les gens là où ils étaient avant 1917. Quel est votre avis ? à w “Quand la guerre est arrivée ici, les gens ont fui dans la forêt et ce sont ceux de Houaïlou qui les ont pourchassés, suivis des militaires. Ceux qui fuyaient étaient des centaines et des centaines. Ils marchaient tous ensemble et leur trace était facilement repérable.” T C C K- Pascal Kalewaik Couhia Oui, avec Kaveat et ses deux fils, et ils ont tous fui ensemble. Peut-être pensaient-ils qu’en étant baptisés, ils couraient moins de risques d’être condamnés… Bernard Kalene Maepas Ils ont traversé la rivière, mais les militaires, eux, ne pouvaient pas à cause de leur équipement. Les vieux ont attendu que les choses se calment et ils sont revenus [à Hienghène]. Tous les grands-pères, dont son père, ont été envoyés à Nouméa, à la prison civile, là où il y avait la guillotine, pour être Bernard Kalene Maepas C’est possible, mais ils se faisaient peutêtre aussi baptiser en prévision de l’audelà… Pensez-vous que ce soit une bonne chose que l’ADCK, avec Mwà Véé, ou que des historiens et des anthropologues s’intéressent à cette nc Pascal Kalewaik Couhia Non, ils ont été baptisés à Nouméa, mais par un autre père. k. Le chef Kaveat était-il avec vos papas lorsqu’ils sont passés de l’autre côté de la Ouaième ? dc Vos papas étaient-ils déjà catholiques à cette époque ? w w Pascal Kalewaik Couhia Ils ont réussi à se sauver et à se cacher et c’est après [le procès de 1919] que les gens de Tiendanite les ont appelés pour qu’ils viennent s’installer ici. Ils se sont sauvés jusqu’à la rivière Wâyem (Ouaïème). Après, c’est le mont Panié. Bernard Kalene Maepas J’explique. Maintenant, avec l’Accord de Nouméa, il faut vivre ensemble avec les gens de la vallée. Jean-Marie [Tjibaou] a dit qu’il fallait travailler ensemble maintenant et nous on est dedans [dans cette démarche]. Il y a les racines, la terre, et puis il y a l’endroit où l’on vit maintenant. C’est pour cela que les jeunes veulent retrouver ces endroits que leurs vieux ont travaillés, à Toven, dans la Tipindjé et partout, tout en continuant à vivre ici à la tribu. Il y a 4 000 hectares à mettre en valeur là-haut. Actuellement, ce sont les Domaines qui les gèrent. .a les a sauvés. Il dit aussi que c’est là où il y a la croix [un calvaire implanté face à l’actuel palais de justice] qu’il y avait le camp des prisonniers. C’est là où ceux qui ont été condamnés à mort ont été guillotinés1. |w Vos papas ont-ils été arrêtés ? C [La suite est formulée en aparté non sans humour.] Peut-être que quand les Blancs seront partis, alors ce sera vraiment fini… AD Pascal Kalewaik Couhia C’est toujours présent. La guerre de 1917 n’est pas terminée, elle est toujours là. Pascal Kalewaik Couhia Si on est là, c’est parce que le chef [de Tiendanite, dans le cas présent] nous a appelés pour venir. é/ Vé Toute cette période, pour vous, c’est du passé, ou c’est encore très présent ? Ce que je veux dire aussi, c’est que tous les vieux qui sont arrivés ici ont trouvé un tabac, et ce tabac-là, personne ne va le contredire. Lui [Pascal Kalewaik Couhia], il peut revendiquer ses terres [dans le sens : il est parfaitement en droit de], mais la monnaie qui a été donnée [à ses vieux], elle reste. Quand ils sont arrivés, ses vieux ont fait la coutume au chef d’ici pour pouvoir rester et lui, aujourd’hui, il ne peut pas contredire cela, c’est un devoir. Ceux qui disent le contraire n’ont rien compris à la coutume. Propos recueillis par Gérard del Rio et Emmanuel Tjibaou. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 1. Cette description correspond, à quelque chose près, à l’emplacement de l’ancienne prison reconvertie de nos jours en centre culturel. 63 La guerre kanak de 1917 Patrice Godin, anthropologue © Patrice Godin travaille depuis vingt-cinq ans sur la culture kanak. Il a été conservateur de l’ex-musée territorial, aujourd’hui musée de Nouvelle-Calédonie, de 1982 à 1985. Il a, en particulier, collaboré à la collecte du patrimoine oral au sein de l’association Doo Huny, gestionnaire du centre culturel Goa ma Bwarhat, de Hienghène. Il assure régulièrement des formations consacrées à l’approche de la culture kanak, en particulier au sein de l’Institut de formation des personnels administratifs de la Nouvelle-Calédonie (IFPA-NC). Il a donné plusieurs conférences sur des sujets ayant trait à la société et à la culture kanak au centre culturel Tjibaou. Il travaille actuellement, avec Alain Saussol, à la préparation et à la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire de Hienghène. Nous lui avons demandé de nous éclairer sur les bouleversements engendrés par la guerre de 1917 dans la région de Hienghène. Nous reproduisons ci-après les passages qui intéressent directement cette période. Nous n’avons pas repris les informations qui concernent plus précisément les transformations enregistrées au sein de tel clan ou de telle chefferie, de façon à ne pas entraver le travail en cours d’Alain Saussol et de Patrice Godin et à ne pas anticiper sur le résultat de leurs recherches. M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc 64 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 © repensant au fait d’avoir été séparé de sa mère, de l’avoir vue, elle ainsi que son père, brutalisée. Ce sont donc des événements qui ont marqué les gens. Tipindjé avant de passer de l’autre côté [du côté de Koné]. Le mwarang aurait également pris le chemin du nord jusqu’à Poum, après avoir longé la côte, vers Arama, mais il n’aurait pas été accepté là-bas… Pour vous, s’agit-il d’une guerre, d’une insurrection ou d’une révolte ? Et quelle perception en avez-vous ? M Le mwarang est allé dans toutes les chefferies Hoot ma Whaap. Tout le monde ne l’a pas pris et ce, semble-t-il, pour différentes raisons, dont le fait que le mouvement ait pu être éventé. On peut rappeler à cet égard l’histoire que raconte Maurice Leenhardt au sujet des monnaies noires qu’il a vues accrochées du côté de Bas-Coulna et du sentiment qu’il a en pensant que les gens de là-bas l’imaginent en train de les dénoncer. Toujours est-il qu’ils vont refuser d’entrer dans la bagarre. à w é/ Vé T C C K- C AD k. Le souvenir de « 17 » est-il toujours aussi vivace dans la région de Hienghène ? nc Dès lors, les spoliations foncières vont commencer, ce qui veut dire qu’en 1917, cela fait dix ans que les Européens s’implantent de façon massive. La guerre de 1917 apparaît clairement comme la tentative de la dernière chance pour essayer d’empêcher cela. C’est ainsi que le mwarang va être lancé et qu’il va suivre les trois grandes routes traditionnelles, en passant notamment par Daakuruk, par Poyu, par Wélic, pour arriver sur la Les gens de Koniambo, par Atéou, Pamalé, Néami…, sont des gens qui entretiennent des relations traditionnelles suivant un axe fondamental. Quand tu es à Atéou, tu vas à pied à Hienghène, ce n’est pas loin… w w |w Le vieux François Thijit Diaé, par exemple, qui est mort maintenant, était gamin au moment de la répression de « 17 ». J’ai travaillé avec lui. On parlait de Daakuruk, qui un terroir important de la région de Wérap, à cheval entre les terroirs Goa et Bwarhat. A un moment, le vieux Diaé se met à me parler de la répression de 1917, à me raconter comment les troupes de répression, avec les gens de Houaïlou, sont arrivées, ont séparé les hommes, les femmes et les enfants. Comment les femmes ont été enfermées dans des cases, comment les enfants comme lui, un peu grands, ont été attachés à des arbres, au soleil pendant des heures, tandis qu’on tapait sur les prisonniers. Il pleurait en Ce mwarang parcourt beaucoup de chemin. Il part de la côte Est, va jusqu’à la côte Ouest avant de revenir sur la côte Est, où il trouve son dénouement. En même temps, le lancement des hostilités est attribué à Noël de Tiamou depuis la tribu de Koniambo… dc C’est une guerre ! Il s’agit de la dernière grande tentative de guerre contre les spoliations foncières, l’implantation massive des Européens dans la vallée de la Hienghène. Il faut imaginer que l’on se trouve là dans l’une des dernières régions touchées par la colonisation foncière. Paradoxalement, on se situe à la fois dans l’une des toutes premières régions où se noue le contact avec les Européens, avec, dès 1843 [soit dix ans avant la prise de possession officielle de la Nouvelle-Calédonie par la France], l’arrivée des santaliers puis des missionnaires, et dans une région où les spoliations foncières, au sens propre du terme, ne vont commencer qu’en 1897, après les grandes spoliations qui ont eu lieu partout ailleurs. De retour de son exil à Tahiti, Doui Bwarhat a réussi à négocier avec le gouverneur Guillain afin d’éviter que la vallée de Hienghène ne fasse l’objet d’implantations massives. Il y a bien quelques petites propriétés européennes, situées essentiellement en bord de mer et dans l’embouchure, mais elles se cantonnent aux cultures maraîchères et, dans une moindre mesure, à la culture du café. Il n’y a pas d’élevage extensif. À partir de 1897, le lien qui unissait Guillain et Bwarhat va être remis en cause comme l’explique bien Joël Dauphiné dans son ouvrage Les spoliations foncières en NouvelleCalédonie. « Les exils des Bwarhat et la guerre de 1917 sont les grands événements qui scellent la colonisation dans la région de Hienghène. » .a Je n’ai pas travaillé de façon systématique sur le sujet. Je n’ai pas cherché à obtenir des informations, elles sont plutôt venues à moi par bribes. L’histoire du mwarang [message] qui serait parti de la chefferie Bwarhat m’a été rapportée à quelques reprises, et cela aurait eu des effets assez importants sur les déplacements de population sur Hienghène. Dans un premier temps, des gens avaient déjà été chassés de leurs terres à la suite des réaménagements de réserves. Et, suite à ce mwarang, des gens n’ont pas voulu être pris dans le mouvement, dans la guerre qui s’annonçait. Non seulement des tribus ont refusé de prendre le mwarang et les monnaies qui allaient avec, mais il y a aussi des gens qui ont carrément quitté leur tribu. C’est ainsi que des gens qui vivaient à l’endroit que l’on appelle aujourd’hui Tiendanite sont partis dans le bas de la vallée pour éviter de se retrouver dans la tourmente, et ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres de ce genre. Il y a également eu des mouvements après la guerre de « 17 », mais il est difficile d’établir avec précision lesquels, des uns et des autres, sont montés ou descendus avant ou après « 17 ». Ce que je sais, c’est que la circulation du mwarang puis la répression ont entraîné un immense mouvement de population. Il y aurait un vrai travail ethno-historique à mener sur ce sujet. Ce qui est dommage, c’est de ne pas l’avoir entrepris à l’époque où ceux qui avaient vécu cette période étaient encore en vie. Parmi les jeunes, non, mais lorsque j’ai commencé à travailler dans cette région, il y a vingt-six ans, oui, le souvenir de « 17 » était encore extrêmement vivace parmi tous les gens que je connaissais. Et les mouvements revendicatifs des années 1970 sont liés à cette période. Comment analysez-vous le fait que celui qui a lancé le mwarang soit le même que celui dont on dit qu’il a fermé la porte à la rébellion ? La vision que j’en ai, c’est qu’il [Philippe Bwarhat] ferme la porte parce qu’il sait, vu la tournure que prennent les Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 65 La guerre kanak de 1917 événements, que s’il ne le fait pas, le carnage sera total. En agissant ainsi, il sait qu’il commet quelque chose d’irréparable, qu’il va casser la relation entre Goa et Bwarhat (lire encadré) et qu’il ne sera pas facile de la rétablir. Pouvait-il faire autrement ? Honnêtement, je ne le pense pas. © Imaginez-le en personnage héroïque se disant qu’il va emmener une bonne partie de sa société à la mort pour aller secourir d’autres gens qui, eux, vont mourir aussi. C’est terrible comme situation et comme décision à prendre. M Le fait que Philippe Bwarhat choisisse de se suicider va fournir un argument à ses détracteurs pour affirmer qu’il est le vrai coupable dans cette affaire… qu’il savait qu’il allait être mis en cause, qu’il a voulu échapper à la justice et que, pour cette raison, il s’est suicidé. Ca, c’est du feuilleton pour Blancs. Je pense que la rupture du lien a compté davantage dans sa décision que la peur de la justice des Blancs. Et puis les Bwarhat n’en étaient pas à un exil près, ils avaient l’habitude d’encaisser la justice coloniale. Le fait que des populations entières aient migré pendant et après la guerre de « 17 » se répercute-t-il sur la collecte de la mémoire orale ? à w é/ Vé Il est certain qu’à partir du moment où l’on déplace des populations, il y a des incidences. À travers ces affaires-là, ici comme en d’autres endroits du pays, ce que l’on a cassé, c’est une organisation politique. À Hienghène, « 17 » est le dernier coup de grâce qui est donné. On voit bien cela entre les gens de Wé Hava, ceux qui sont sur Galarino et sur Colnett aujourd’hui, et ceux qui sont de l’autre côté, à Ouayaguette. C’est la même chefferie normalement et l’on a cassé ce lien entre ces gens. On a rompu T C C K- C AD Dans la société traditionnelle, et cela se retrouve dans tout le Pacifique, on se suicidait très peu par désespoir, on se suicidait par vengeance ou alors parce que l’on s’estimait déshonoré. Je pense qu’il s’est suicidé parce qu’il avait rompu le lien [avec Goa]. Certains prétendent les modes de régulation traditionnels, les représentations des chefferies et, à partir de là, on a créé un désordre absolument ineffable. Ces modes de régulation n’ont jamais plus fonctionné comme avant, et aujourd’hui on en est encore là. Quand on aborde la restructuration des chefferies, on mesure bien la difficulté qu’il y a à recomposer les choses. C’est le fait que l’on ait cassé cette dynamique, y compris par rapport à la notion de consensus, dont on parle tout le temps, en oubliant que, pour le constituer, il fallait taper de temps en temps sur un certain nombre de gens. Quand Bwarhat et Goa constituaient un consensus, ils le constituaient manu militari. Quand un grand chef meurt, on dit que l’unité de la chefferie est cassée. À l’époque, un tel événement ouvrait une période de tension et parfois de guerre. Celui qui était promis à la succession du défunt chef devait montrer, y compris par la force, qu’il était capable de resserrer les liens entre tout le monde. C’était donc une période de trouble, avec des affrontements. À partir du moment où le « grand homme » n’est plus là pour faire le lien entre les gens et les différentes communautés, il faut k. dc .a w w |w © Archives de la Nouvelle-Calédonie, album des pasteurs Maurice et Raymond Leenhardt, 2 Num9 nc Soldats avec des auxiliaires kanak de passage dans un village. 66 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 reconstituer des modes de régulation et cela prend du temps. Le positionnement de Tendo durant la guerre n’est pas clairement établi. Que peut-on dire à ce propos ? © Là, il y a un problème d’articulation que je n’ai pas encore complètement élucidé. Tendo, c’est la grande chefferie Goa d’origine, et qui va changer de nom, un peu après « 17 ». Pour dire rapidement les choses, le grand clan de la chefferie en place va se retirer et ce sont les gens de Kaavac (Gavatch) qui vont la reprendre. Eux sont normalement les porte-parole de cette chefferie-là. De ce fait, ils ne vont pas nommer eux-mêmes leur chef et ils vont aller chercher un vieux parmi les gens de Tanghène, avec lesquels ils ont des relations familières, et lui donner la chefferie. Disons que, depuis 1917, cette chefferie se trouve dans une situation extrêmement complexe et souvent tendue. « Le nom qui incarne la reconstitution du lien entre Bwarhat et Goa, c’est Tjibaou. » M à w « L’histoire telle que je la connais, c’est que parmi les choses qui peuvent être faites pour reconstituer ce lien, il y a ce qu’on appelle à Hienghène « donner une femme ». Cela veut dire la donner sans compensation. Et donc, pour couvrir « L’histoire, c’es t qu’une le lien qui existait, on va donner cette femme, et fa u te a é té commise et que Bwarhat va donner une sœur, une fille qui est dans l’o n a d o n n une position forte. Cette fille, c’est Dia, et elle va être é une femme pour réparer ce donnée en mariage à l’un des cadets de la chefferie tte faute. Et, dans les disco Goa. Mais ça ne suffira pas. Pour refaire le lien entre urs de deuil que j’ai re les deux chefferies, il va falloir que Bwarhat donne cueillis au également un nom. Et c’est quelqu’un de sa propre moment de la m ort de la chefferie qui va donner le nom, et ce nom, c’est vieille (Dia), on sent bien Tjibaou. Et c’est ce nom qui va donc être donné que les choses n e sont au fruit et au nouveau lignage issus de l’alliance jamais vraimen t dites à entre Dia et le cadet de la chefferie Goa. C’est propos de cette histoire. » ainsi que va sortir le nom Tjibaou. Et on va lui donner une fonction stratégique au sein même de la chefferie Bwarhat alors même qu’il occupe déjà une place importante au sein de la chefferie Goa et qu’il a notamment pour attribution de faire le lien entre Goa et Bwarhat. » C C k. dc nc Quand on est ethnologue et que l’on étudie les choses de près, l’on se rend compte que la société ancienne qui ressemblait le plus à la société d’ici, c’était la société fidjienne. Et là, on a une foule de témoignages qui montrent que cette société fidjienne fonctionnait à la guerre. Et je crains qu’après l’attitude du colonisateur stigmatisant la férocité w w |w Certains observateurs mettent également en doute la « férocité » dont auraient fait preuve respectivement les auxiliaires ou les rebelles vis-à-vis de l’autre camp… des « indigènes », le fait qu’ils coupent les têtes, etc., on n’en arrive presque maintenant à nier le fait que l’on avait, en réalité, affaire à une société très dure, qui pratiquait la guerre et l’anthropophagie. Il suffit par exemple de mener une enquête sur la vannerie traditionnelle pour apprendre de la personne que vous interrogez que le genre de petit panier dans lequel elle range aujourd’hui ses pinces à linge servait dans le temps à mettre les parts de viande humaine à répartir entre les clans. Mon interlocutrice m’a parlé de cela sans même que je l’aie sollicitée à propos de l’usage ancien de cet objet et cette information m’a été confirmée par d’autres sources. .a D’un point de vue global, je ne sais pas, mais ce que je peux dire concernant la région de Hienghène, c’est que ce que j’ai appris, je suis allé le chercher, on n’est pas venu à moi pour me le raconter, animé d’une éventuelle volonté de présenter les choses à sa manière. D’autre part, tous les éléments que j’ai pu obtenir sur cette période convergent et, dans le cas de « 17 », je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’ait raconté des sornettes. T Existerait-il une tendance à mythifier l’histoire comme le supposent certains observateurs ? K- Je pense qu’il y avait un genre oral beaucoup plus développé avant. Concernant la guerre de 1917, les différents interdits jetés sur certains aspects de cette période ont fait que des portions de ce « grand récit » sur « 17 » ne se sont jamais construites. On trouve des parties de récits antérieurs à 1917, mais sur la période de la guerre, des pans manquent, dans le cas de Hienghène, notamment. C Existe-t-il, ou existait-il, un « grand récit » sur 1917 ? AD L’histoire a continué. Ils ont été accueillis par les gens de Tao, de Galarino… Il ne faut pas oublier qu’il y a là des clans qui ont des ramifications ou des liens jusqu’à Arama. Un exemple : selon une légende si tu entends le lézard qui aboie à Galarino, c’est que quelqu’un est mort à Tiwandé et si tu l’entends à Tiwandé, c’est que quelqu’un est mort à Galarino. é/ Vé Que s’est-il passé après que les « révoltés » ont franchi la Wâyem (Ouaïème) et que les soldats n’ont pu les suivre ? Cela dit, les auxiliaires coupent effectivement la tête des rebelles qu’ils tuent, parce que les Blancs le leur demandent. Couper la tête d’un ennemi n’était pas une façon de faire kanak mais c’était par contre une façon de faire très européenne… Propos recueillis par Gérard del Rio et Emmanuel Tjibaou. Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 67 La guerre kanak de 1917 Témoignage Les souvenirs de Nicolas Ratzel Originaire d’Alsace, Nicolas Ratzel est arrivé vers l’âge de quatorze ans en Nouvelle-Calédonie en compagnie de son père. Il achève sa scolarité à Nouméa avant d’entrer en qualité d’élève géomètre au service topographique de la colonie en 1896. Il est alors âgé de vingt et un ans. © Le géomètre Nicolas Ratzel va occuper et parfois cumuler plusieurs fonctions administratives au sein de la colonie dont celles de chef du service topographique, de chargé du Service des affaires indigènes (de 1916 à 1919, puis à nouveau en 1940), de directeur du cabinet du gouverneur (de 1921 à 1923), de chef de service par intérim des postes et communications (1933), de chef de service par intérim des domaines, de la colonisation et des hypothèques, de l’enregistrement, du timbre et de la curatelle (1933)… M à w AD é/ Vé k. dc nc Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 .a 68 w w Le lecteur y trouvera une énumération et une description méticuleuses des lieux visités par l’auteur au cours de sa carrière de géomètre et de chargé des affaires indigènes, en même temps qu’une réflexion permanente et rigoureuse sur le fonctionnement de la colonie, de ses services et de ses administrateurs ainsi que sur leurs objectifs et leur finalité. |w C’est ainsi qu’en mai 2006 a paru l’ouvrage en deux volumes Cahiers de mes souvenirs de géomètre calédonien, 1894-1939, agrémenté de photographies prises par l’auteur et mises à la disposition de la SEH par le collectionneur Jean-Claude Estival qui s’en est rendu acquéreur. T C C K- C Entre 1943 et 1946, mettant à profit sa retraite, Nicolas Ratzel a repris ses notes de terrain et les a consignées dans ses cahiers de souvenirs, vingt au total, formant un ensemble intéressant la période comprise entre 1894 et 1939. Ces cahiers ont été conservés par sa fille, madame Nicole Hendersen, avant qu’elle n’en fasse don en novembre 2002 au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Ils ont alors été déposés au Service des archives de la Nouvelle-Calédonie. En 2003, comme le rappelle Gabriel Valet, président de la Société d’Etudes Historiques (SEH) de la Nouvelle-Calédonie, le chef du Service des archives a proposé leur publication par la SEH. La guerre kanak de 1917 © Nicolas Ratzel a rapporté sa perception du monde calédonien, en particulier celle du monde kanak, ses impressions ou ses certitudes, dans un style et sur un ton qui sont ceux d’une époque se situant encore dans le cadre du régime de l’indigénat (qui ne sera aboli, rappelons-le, qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale). De sorte que les éditeurs ont pris soin de souligner dans leur avertissement au lecteur : « N’oublions pas […] que ce document exceptionnel est un fidèle témoignage d’une époque calédonienne ancienne et que certaines descriptions ou réflexions peuvent paraître étonnantes ou même heurter un esprit non averti, mais il convient alors de les replacer dans le contexte colonial du début du 20e siècle ». M à w Le rôle de Nicolas Ratzel durant la guerre de 1917 T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc Nicolas Ratzel ne s’est pas contenté de suivre de très près les événements qui ont précédé la guerre de 1917 puis ceux qui l’ont déclenchée en avril 1917 et alimentée jusqu’en janvier 1918. Il a pris une part active dans les actions entreprises par le gouverneur de la colonie pour mater la « révolte » kanak. C’est ainsi que, aux côtés des soldats, tirailleurs et auxiliaires kanak engagés dans la répression, il a coordonné, en partie, la phase finale de celle-ci, jusqu’à Tendo, au-dessus de Hienghène, où la guerre a pris fin. Ce rôle, il l’évoque largement, parfois de façon complaisante, à partir de son huitième cahier (de 1915 à 1917), publié dans le volume 1 de ses souvenirs, jusqu’à son onzième cahier (de début décembre 1917 à fin janvier 1918), publié dans le volume 2, avant de consacrer les deux cahiers suivants, et ce de façon extrêmement bien détaillée, au procès de 1919 instruit par la cour d’assises de Nouméa, au verdict de celle-ci et aux considérations que lui inspire toute cette affaire dont il estime qu’elle aurait pu être évitée si elle n’avait été dès le départ si maladroitement gérée par l’administration coloniale et si une véritable politique indigène avait existé avant 1917. Cette vision de la guerre de 1917 par Nicolas Ratzel constitue un contrechamp passionné et passionnant par rapport à d’autres textes, études, thèses, ouvrages, récits et témoignages relatifs à ce conflit. Ce récit, par ses qualités informatives et narratives, présente un réel intérêt pour ceux qui souhaitent approfondir leur connaissance de cette période à la fois si lointaine et si proche de l’histoire du pays. GdR Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 69 La guerre kanak de 1917 La collection Nicolas Ratzel nouvellement acquise par le musée de Nouvelle-Calédonie Par Emmanuel Kasarhérou © N M icolas Ratzel fut l’un des acteurs de la guerre de 1917. Ses souvenirs publiés en 2006 par la Société d’Études Historiques de la Nouvelle-Calédonie1 figurent parmi les témoignages les plus précieux. Sur les indications d’Ismet Kurtovitch, chef du service des Archives de la Nouvelle-Calédonie, j’ai eu l’opportunité d’être en contact avec la fille de Nicolas Ratzel, madame Nicole Hendersen, qui vit à Canberra et qui souhaitait se séparer de quelques objets ayant appartenu à son père. À l’occasion d’un déplacement en 2007 à Canberra, j’ai pu la rencontrer et examiner les objets en sa possession. La collection Ratzel n’est pas importante numériquement, une quinzaine de pièces tout au plus, accompagnées de coquillages et d’objets divers, en revanche elle présente l’intérêt de comporter plusieurs armes liées à la guerre de 1917. à w C K- C AD é/ Vé T C Il s’agit de deux massues phalliques et d’un très bel exemplaire de massue dite « bec d’oiseau ». Trois haches marquent l’introduction du métal dans les armes kanak. Les manches sont semblables à ceux des massues que ces haches ont remplacées : ils comportent un ressaut pour la partie basse et possèdent une très belle patine. Ce type d’arme apparaît dès les premiers contacts entre Kanak et Européens dans la première moitié du XIXe siècle. Les lames de hache étaient des objets de troc très courants. Les figurations des bambous gravés, produits essentiellement durant la seconde moitié du XIXe siècle, montrent les personnages kanak portant les armes traditionnelles comme les cassetête en bois mais aussi les haches à lame de métal. Beaucoup de ces bambous gravés comportent également des figurations de fusils. Deux des haches de la collection Ratzel ont des lames abîmées. L’une d’elles (MNC2007.15.3) est fendue, comme si la fente avait été produite par la collision brutale avec une autre lame plus dure. L’autre (MNC2007.15.1), qui figure sur la photo de couverture de ce numéro de Mwà Véé, comporte une partie arrachée par une balle de très fort calibre. La tradition orale nous rapporte l’utilisation, en guise de munitions de fusil, de morceaux de fonte. Les pieds de marmites en fonte, particulièrement solides, étaient réputés pour cet usage. La tradition familiale conservée par les descendants de Nicolas Ratzel confirme ces observations. k. dc .a w w |w nc © MNC-Dell'Erba © MNC-Dell'Erba La présence de ces armes de facture ancienne, encore en usage au début du XXe siècle, lors de la guerre de 1917 n’est pas surprenante. Elles côtoyaient les armes à feu, à chien ou à culasse. Manquent à cette panoplie guerrière les frondes et leurs pierres spécialement taillées en double cône, d’ailleurs présentes dans cette collection, et les sagaies. Le musée de Nouvelle-Calédonie s’est dernièrement porté acquéreur de ces objets qui enrichissent désormais ses collections. MNC2007.15.5 1. R atzel Nicolas, Cahiers de mes souvenirs de géomètre calédonien 1894-1939, Société d’Etudes Historiques de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, 2006. 70 MNC2007.15.6 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 La guerre kanak de 1917 © M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w rba © MNC-Dell'Erba © MNC-Dell'Erba © MNC-Dell'Erba © MNC-Dell'Erba nc MNC2007.15.7 © MN 'E C-Dell MNC2007.15.2 MNC2007.15.1 : Hache à lame de fer, bois et métal, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. MNC2007.15.2 : Hache à lame de fer, bois et métal, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de l Nouvelle-Calédonie. MNC2007.15.3 : Hache à lame de fer, bois, métal et cordelette de poil de roussette, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. MNC2007.15.4 : Massue dite « bec d’oiseau », bois, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. MNC2007.15.5 : Massue phallique, bois, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. MNC2007.15.6 : Massue phallique, bois, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. MNC2007.15.7 : Sac à pierres de fronde, fibres végétales, poils de roussette et pierre, ancienne collection Nicolas Ratzel, musée de Nouvelle-Calédonie. MNC2007.15.4 MNC2007.15.1 MNC2007.15.3 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 71 La guerre kanak de 1917 Complément bibliographique sur la guerre de 1917 et son contexte historique © Ratzel Nicolas, Cahiers de mes souvenirs de géomètre calédonien 1894-1939. Société d’Études Historiques de la Nouvelle-Calédonie [SEHNC], Nouméa, 2006. Papin Bernard, Vie et mort de Ludovic Papin chez les Canaques, L’Harmattan, Paris, 1997. Muckle Adrian, « ‘The Chief without Power ?’ Téâ Antoine Katélia and the War of 1917-1918 in New Caledonia », The Journal of Pacific History. vol. 41, 3, p. 313-334, décembre 2006. Muckle Adrian, « The War of 1917 in New Caledonia », RSPAS Quaterly Bulletin, mars 2004, p. 12-13. Faure Auguste Albert, « Affaires de Koné » : Rapport du Brigadier Faure sur les débuts de l’insurrection de 1917 en Nouvelle-Calédonie », Journal de la Société des Océanistes [JSO] 76, p. 69-88, Paris. Hmae Apou, Correspondance du Pasteur Apou Hmae avec Maurice Leenhardt et Philippe Ray-Lescure, 1917-1946, Institut d’Ethnologie, Paris, 1979. Leenhardt Maurice, « Les événements de 1917 en Nouvelle-Calédonie : géographie des tribus et des chefs », JSO, 58-59, 19-22, Paris, 1978. Leenhardt Maurice, « Procès de la rébellion de 1917 », JSO 58-59, p. 37-42, Paris, 1978. Leenhardt Raymond et Vasseur Jacques, « Mindia Wepoe Nedja, grand chef des Houaïlou (1856-1921) », JSO 84, p. 31-47, Paris, 1987. L’Harmattan [éditions], Révoltes, conflits et Guerres mondiales en NouvelleCalédonie et dans sa région. Sous la direction de Sylvette Boubin-Boyer, tome 1, tome 2, Paris, 2008. SEHNC [éditions], Centenaire Maurice Leenhardt (1878-1954) : pasteur et ethnologue, 2e édition, Nouméa, 1994. [1re édition : 1978] SEHNC [éditions], « Travail d’un missionnaire. Témoignage recueilli auprès de M. Gorohuna Firmin Dogo, tribu de Poindah, Koné, 22 juin 1978. » Centenaire Maurice Leenhardt (1878-1954) : pasteur et ethnologue, p. 43-45, Nouméa. Vasseur Jacques, « Apou Pwacili Hmae, Pasteur Mélanésien », JSO 79, p. 235-255, Paris, 1984. M à w T C C K- C AD é/ Vé k. dc .a w w |w nc NDLR : Se référer également à la bibliographie établie par Adrian Muckle à l’appui de son texte : « La « Dernière Révolte » de Kanaky Nouvelle-Calédonie : vision de conflits passés dans un avenir commun ». 72 Mwà Véé - Revue culturelle kanak - n° 62 Ces numéros sont disponibles à la boutique du Centre Tjibaou Mwà Véé n°1 (épuisé) Mwà Véé n°2 L’aire Xârârùù-Xârâgùrè Musiques kanak Mwà Véé n°3 L’aire Nengone Images et paroles de jeunes Mwà Véé n°4 L’aire Ajie Les Kanak et leur mémoire Les Kanak et l’écologie Mwà Véé n°5 L’aire Drehu Les Kanak et la modernité Mwà Véé n°6 L’aire Paicî-Cemuhi Le corps Kanak Mwà Véé n°7 L’aire Iaai-Faga Uvea Identités calédoniennes aujourd’hui Les Kanak et l’argent Mwà Véé n°15 L’indigénat 1887-1946 Mwà Véé n°30 Le souffle de l’Océanie Mwà Véé n°16 Le monde végétal kanak Mwà Véé n°31 Maurice Leenhardt aux Archives de NC Mwà Véé n°17 Danses et musiques kanak Mwà Véé n°18 Paroles écrites Itinéraires kanak Mwà Véé n°20 Inauguration, ouverture du Centre Tjibaou Mwà Véé n°21 Centre Tjibaou, naissance et ouverture Mwà Véé n°22 Les nouveaux outils de la connaissance kanak Mwà Véé n°35 (épuisé) Mwà Véé n°51 Les Communards en N-C Île d’exil, terre d’asile Mwà Véé n°36 (épuisé) Mwà Véé n°37 Carnet de rencontres Malekula, Tanna, Port-Vila Mwà Véé n°52 Arts Visuels Les artistes s’expriment Mwà Véé n°38 Maurice Leenhardt cent ans plus tard… Mwà Véé n°24 Le défi des langues kanak Mwà Véé n°40 À la recherche des savoirs kanak Mwà Véé n°25 Usooköu : Ouvéa, le temps de la réconciliation Mwà Véé n°41 Statut coutumier, commun : l’heure du choix. Mwà Véé n°11 Les Kanak et la Grande Guerre 14-18 Jouets jeux traditionnels kanak Mwà Véé n°26 Les chemins du patrimoine Mwà Véé n°42 1993-2003 - Dix ans de dire, dix ans d’écrire Numéro spécial 10 ans Mwà Véé Mwà Véé n°12 Éducation de l’enfant kanak : mythe ou réalité Mwà Véé n°28 L’art kanak aujourd’hui. © Mwà Véé n°9 Être Kanak aujourd’hui Une langue morte : le sîshëë M à w Mwà Véé n°57 Les Kanak à l’heure de la « nouvelle politique indigène » Mwà Véé n°58-59 Le mana veille sur la culture polynésienne Mwà Véé n°60 Reflexion autour d’un 10e anniversaire Mwà Véé n°61 Les kanak et le football Mwà Véé n°53 Le kaneka une « cadence née des Kanak » Mwà Véé n°39 Quand la parole kanak s’exporte Mwà Véé n°54 Patrimoine kanak et musées Mwà Véé n°43 Regard d’une société sur sa propre image C K- Mwà Véé n°44 Sous la grande case de l’histoire T C Mwà Véé n°29 L’expression contemporaine des danses kanak C Mwà Véé n°27 Spiritualité kanak et religions AD é/ Vé Mwà Véé n°14 (épuisé) Mwà Véé n°56 Le Pays Béléma Une histoire pleine d’avenir Mwà Véé n°50 Du patrimoine immatériel aux archives kanak Mwà Véé n°23 Quand les Kanak découvraient l’Amérique Mwà Véé n°13 (épuisé) Mwà Véé n°46/47 Pardon et réconciliation Mwà Véé n°49 Hier et aujourd’hui, enfant et société Mwà Véé n°34 Patrimoine kanak d’hier et d’aujourd’hui Mwà Véé n°8 L’aire Hoot ma whaap Patrimoine Kanak Mwà Véé n°10 (Réédité en mars) Il y a 20 ans, Mélanésia 2000 Mwà Véé n°55 Dossier : Créateurs kanak D’une génération à l’autre Mwà Véé n°48 Une nouvelle ère pour les femmes kanak Mwà Véé n°32 Les kanak dans l’économie Mwà Véé n°33 Écritures kanak, calédoniennes, océaniennes… Mwà Véé n°19 Oralité, écriture. Vrai ou faux débat ? Mwà Véé n°45 La révolution de l’art kanak et océanien w w |w La revue, qui compte depuis ses débuts un nombre significatif d’abonnés en métropole, est désormais diffusée par trois librairies. Il s’agit de la librairie Sauramps, à Montpellier (Le Triangle CS 19026. 34967 Montpellier cedex2. Tél. 04 67 06 78 83) ; de la librairie Ombres blanches, à Toulouse ( 50, rue Gambetta. 31000 Toulouse. Tél. 05 34 45 53 33) et de la librairie J-M Place, à Paris (3, rue Lhomond. 75005 Paris. Tél. 01 44 32 05 98) .a BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ABONNEMENT À LA REVUE MWÀ VÉÉ ✁ k. dc Oui, je désire m’abonner ou renouveler mon abonnement à la revue culturelle Mwà Véé et recevoir par courrier les 4 prochains numéros. Non, je ne désire pas renouveler mon abonnement à la revue culturelle Mwà Véé . Si oui, cochez la case correspondant à la destination et au mode d’acheminement choisis : Destination et mode d’acheminement postal : INTERNATIONAL 2 600 F cfp NOUVELLE-CALÉDONIE FRANCE ET DOM Prioritaire 6 563 F cfp - 55,00 € FRANÇAISE, WALLIS & FUTUNA Prioritaire 6 563 F cfp - 55,00 € Eco-maritime 3 341 F cfp - 28.00 € Prioritaire 4 000 F cfp Eco-aérien 4 177 F cfp - 35,00 € nc (Pour information : l’acheminement en éco-maritime engendre un délais de transport de 2 à 3 mois environ) Je choisis de régler la somme totale de ……………………………………… par chèque ci-joint à l’ordre de l’Agent comptable de l’A.D.C.K. par virement au compte CCP Nouméa : n° 20041.01022.0020640T051.30. (cochez la case correspondante) Veuillez m’expédier les quatre prochains numéros à l’adresse suivante : M. Mme (nom & prénom) ……………………………………… ……………………………………… Adresse complète n°……… rue ……………………………………………………… Immeuble et appartement ………………………………………BP ……………… Code postal ……………… Ville ……………………………………… Pays…………….………………………… Mes coordonnées : Téléphone : domicile ………………………bureau……………………… Portable ………………………Télécopie ……………………… E-mail …………………………………………………… Renseignements complémentaires : Date et lieu de naissance : …… / …… / ………… à ………………………………… Profession ……………………………………………… Lieu…………………………………………………… Vous pouvez envoyer votre bulletin d’abonnement par courrier, par télécopie ou le déposer et pour toutes informations complémentaires, notre contact : Brigitte Delpouve – Centre culturel Tjibaou - BP 378 – 98845 NOUMEA CEDEX Télécopie 41 45 56 – Mel : [email protected] Signature L’exposition « The Others - Les Autres » présente autour du thème « Ici et maintenant » les œuvres éclectiques d’une vingtaine d’artistes vivant en Australie. Cet événement créé en parallèle à la 5e Triennale Asie-Pacifique (APT), à Brisbane en 2007, évoque les problèmes des peuples indigènes vivant en Australie, et leur rôle dans la région Asie/ Pacifique. L’exposition, présentée au centre culturel Tjibaou du 29 octobre 2008 au 8 février 2009, s’intéresse aux problèmes de migration et reflète la profonde importance culturelle et historique du rôle joué par le lieu, les légendes, l’identité, les politiques et le respect mutuel. © M à w EXPOSITION COLLECTIVE D’ART CONTEMPORAIN INTERNATIONAL Salle Komwi - centre culturel Tjibaou é/ Vé 29 OCTOBRE 2008 – 10 FÉVRIER 2009 k. dc © Charles Street © Madelyn Hodge .a nc www.adck.nc © M. kanamori & L. Dann w w |w • Jenny Fraser (Murri, Queensland) - Justifiés et Anciens • Mayu Kanamori (Japon - Nouvelle-Galles du Sud) et Lucy Dann Bardi (Australie-Occidentale) – Le cœur du chemin • Paul Bong (Yidinji, Queensland) - Bouclier yidinji • Christine Peacock (Erub, Queensland), • John Graham (Kombumerri, Queensland) et Rebekah Pitt (Yidinji, Queensland) - Garçon et papillon • Eddie Nona (Kala/Lagaw Ya, Queensland) - Goiga Pudhi (La tombée du soleil) • Haro the Crazy Prins (Ngati Mahuta. Maori - Nouvelle-Galles-du-Sud) - Sans titre • Madelyn Hodge (Bigambul, Queensland) - Le bonnet de bain • Ann Fuata (Samoa -Queensland/Victoria) - Pins • Mulitalo Tauline Virtue (Samoa-Queensland) - Embrasse mon quarante-cinq, demain n’arrive jamais • Polytoxic (Samoa & Australien) avec Chantal Fraser (Samoa-Queensland) - Encadrée • Gary Lee (Larrakia –Philippines -Chine, Territoire-du-Nord) - Au cœur du mélange - Shaba #3 • Robb Kelly (Australie -Nouvelle-Galles du Sud- Queensland) et Joseph Slade (Nga Puhi, Maori, Nouvelle-Zélande-Queensland) - Type Test • Archie Moore (Murri, Queensland) - :E • Jason Davidson (Gurindji, Mara, Nalarkan,- Territoire du Nord) - Hommage à Wally Nickels • Ritchie Ares Doña (Philippines - Queensland) - Recyclage répétitif • Charles Street (Papouasie-Nouvelle-Guinée - Queensland) - Je n’ai pas seulement tué le renard… • Tim Leha (Gamilleroi,Tonga -Territoire de la capitale australienne) - Sutikalh • Jenny Fraser (Murri, Queensland) - Les All Stars Indigènes • Hilda Ruaine (Ngati Whakaue, Ngati Rangiwewehi. Maorie, Nouvelle-Zélande - Nouvelle-Galles du Sud) - Cartes postales • Jo-Anne Driessens (Murri, Queensland) - Corroboree 2000, Marche des peuples pour la Réconciliation • Djon Mundine (Bandjalang, Nouvelle-Galles-du-Sud) – Vers un Rêve digital (Lignes de chant électroniques) • Christine Christophersen (Iwatja, Territoire-du-Nord) et Delphine Morris (France - Nouvelle-Zélande) - Épreuve • Maia (Philippines - Queensland) - Eden • Chantal Fraser (Samoa - Queensland) - Le rassemblement (2006) • Lez “Bex” Beckett (Murri, Queensland, Nouvelle-Galles-du-Sud) - Première Performance Nocturne © Gary Lee © Maia © R. Kelly & J. Slade © Jo-anne Driessens © Ritchie Dona © H. Ruaine T C C Les artistes K- C AD © Eddie Nona © C. Peacock - J. Graham - R. Pitt © C. Christophersen © Archie Moore © Ann fuata Exposition Exposition à découvrir