Marie-Anne Barbel ou l`exemple d`une femme d

Transcription

Marie-Anne Barbel ou l`exemple d`une femme d
Marie-Anne Barbel ou l’exemple d’une femme d’affaires du XVIIIe siècle
Samantha ROMPILLON
Quand on pense aux femmes de la Nouvelle-France, on songe à Marie de l’incarnation, à
Marguerite Bourgeoys, aux religieuses, aux pionnières anonymes qui vinrent dans la colonie,
aux filles du Roi, etc. Les stéréotypes se mélangent à la réalité et on oublie souvent que le rôle
mais aussi les fonctions de la femme ne se limitèrent pas au foyer. Comme en France, et
ailleurs, il y eut des femmes d’affaires. Certes, elles ne furent pas nombreuses mais il y en eut.
Parmi ces dernières se trouve Marie-Anne Barbel1, dont la vie ressemble à une pièce de
théâtre où se jouent plusieurs actes. Ils se suivent certes, mais sont bien séparés.
Acte 1 : L’épouse d’un marchand
Fille de Jacques Barbel et de Marie-Anne Le Picard, Marie-Anne voit le jour à Québec le 26
août 1704. Elle épouse Jean-Louis Fornel 19 ans plus tard. Son père, Jacques Barbel, cumule
alors les fonctions de juge, notaire royal à Québec et greffier2. Son mari, quant à lui, est
marchand bourgeois.
Lors de leur mariage le 31 décembre 1723, de hauts personnages y assistent. Citons
notamment le gouverneur, le marquis de Vaudreuil, l’intendant Bégon et son épouse ou
encore Eustache Lanouiller de Boisclerc, contrôleur de la Marine et son épouse, cousine du
marié. Par ses origines familiales et ses relations sociales, le couple Barbel-Fornel fait partie
de la bourgeoisie commerçante. Mais il possède aussi des liens avec des administrateurs, ce
qui peut être fort utile.
Le couple a 13 enfants qui naissent entre 1724 et 1741. Beaucoup meurent en bas âge et ils
sont peu nombreux à atteindre l’âge adulte.
FAMILLE JEAN-LOUIS FORNEL OU LOUIS FORNEL3
1723-12-31 Québec
JEAN-LOUIS FORNEL
JEAN JOACHIM
1724-08-23
† 1724-09-25
MARIE-ANNE BARBEL
LOUIS
1725-11-28
JACQUES JOSEPH
1726-11-28
† 1727-04-25
MARIE ANNE
1729-02-07
CHARLOTTE
MARIE JOACHIM
1729-12-16
MARIE THERESE
1731-07-10
† 1738-06-17
JACQUES
1732-06-26
† 1733-05-20
MARIE
CATHERINE
1734-03-16
MARIE FRANCOISE
1735-05-06
∞ 1765-11-26
ANTOINE FLORENT
JEAN FRANCOIS
JOACHIM
1736-05-12
† 1736-11-02
MEIGNOT
ANNE FRANCOIS
1737-07-26
† 1738-02-16
ANDRE JEAN
1741-11-29
† 1742-07-11
LOUISE
MARGUERITE
MARIE
1739-06-07
∞1758-01-09
CHARLES ANTOINE
PARENT
Marchand détaillant avec un magasin à Québec (1723-1737), Jean-Louis Fornel se laisse, par
la suite, attirer par le commerce des fourrures et devient en 1737 entrepreneur dans une
société qu’il partage avec François Havy et Louis Bazil. Ce dernier est né en 1694 à La
Rochelle, où il est baptisé à l'église Notre-Dame-de-Cougnes (aujourd’hui appelée Église
paroissiale Notre-Dame).
Eglise Notre-Dame, depuis le sud-ouest ; et vue du chevet et du clocher.
Photo 1 : Alain Dagorn, 2002. Photo 2 : A. Maulny, 1992.
Jean-Louis Fornel ne se contente pas d’être marchand et entrepreneur, il est aussi explorateur
dès 1737 et jusqu’en 1745 sur la côte du Labrador.
Il possède également plusieurs maisons à Québec et des terres aux alentours. On peut citer
notamment une maison située au 21-25 rue Saint-Pierre et 9-11 place Royale. Connue
aujourd’hui sous le nom de Maison Louis Fornel, elle se composait alors de 3 étages et
contenait 3 cheminées. Dans les années 1730, il y fait construire des voûtes.
Maison Jean-Louis Fornel (vues Place Royale) : elle appartient à la maison Fornel de 1712 à 1794.
Jean-Louis Fornel y installe son magasin où il vend une grande variété d’articles.
Photos : S. Rompillon, 2003.
Jean-Louis Fornel meurt le 30 mai 1745. Marie-Anne Barbel a 41 ans et 5 enfants à charge.
Commence pour elle une nouvelle vie.
Acte 2 : Veuve et femme d’affaires.
En 1745, Marie-Anne Barbel peut procéder au partage et à la liquidation des biens de la
communauté mais, elle n’en fera rien : elle a décidé de continuer les activités entreprises par
son défunt mari.
Sa décision n’est sans doute pas prise au hasard car elle n’est pas novice dans le domaine des
affaires. Elle le connaît grâce à son père tout d’abord, qui était dans le commerce maritime (il
possédait deux navires : le Saint-Antoine (1710) et l’Aimable (1719)) ; mais aussi grâce à son
époux qui lui avait laissé, au printemps 1743, la gestion totale et entière de ses affaires à
Québec.
Marie-Anne Barbel prend donc la relève et obtient la concession du poste de la baie des
Esquimaux en 1749 et le bail de la ferme de Tadoussac en septembre de la même année.
Ferme qu’elle va gérer avec François Havy et Lefebvre. Elle réussit là où son époux avait
échoué. Elle exploite également une poterie dès 1746. Mais cette activité se révèlera un
échec : la production est irrégulière, les potiers engagés se multiplient comme les procès
contre eux. En 1752, la poterie est abandonnée.
Terrine en terre cuite commune, probablement de fabrication locale. Maison Fornel, XVIIIe siècle
Source : http://www.mcc.gouv.qc.ca/region/03/tresors/page124.htm
Acte 3 : La Conquête ou le commencement de la fin
Marie-Anne Barbel multiplie donc les activités, se taillant une réputation de femmes
d’affaires. Mais la Conquête met fin à ses activités commerciales et les bombardements de la
ville de Québec détruisent plusieurs de ses maisons dans la basse-ville. Parmi ces dernières se
trouve une maison située 29 rue Saint-Pierre et 5-7 Place Royale : la maison Barbel. Elle fut
érigée entre 1753 et 1755 : la cuisine, le cellier et le grenier furent carrelés de pierres de
l’Ange-Gardien.
Maison Barbel (Vues Place Royale). Photos : S. Rompillon, 2003.
Pour Marie-Anne Barbel, la Conquête annonce la fin de sa carrière. De 1765 à 1771, elle paie
ses dettes, fait reconstruire plusieurs maisons (dont la maison Barbel) et consolide ce qu’elle
possédait, pas davantage. Après une trentaine d’années de bons et loyaux services, elle
consent au partage final des biens de la communauté entre elle-même et ses enfants. On est en
1777, une page de sa vie se tourne. Le rideau tombe. Marie-Anne Barbel s’éteint le 16
novembre 1793. Elle a 90 ans et une vie bien remplie derrière elle.
Acte 4 : Une petite plaque en souvenir
Une petite plaque sur la maison Barbel nous rappelle, aujourd’hui, qu’il y eut à Place Royale
une maison ayant appartenu un jour à une certaine Marie-Anne Barbel en 1754. Rien de plus.
A nous de rappeler au passant que cette maison fut un jour érigée par une femme qui, veuve,
put devenir pleinement une femme d’affaires. C’était il y a plusieurs décennies, à une époque
où le Canada s’appelait la Nouvelle-France.
Petite plaque qui se trouve sur la maison Barbel, côté Place Royale.
Photo : S. Rompillon, 2003.
1
Marie-Anne Barbel a fait l’objet d’une thèse de maîtrise : Lilianne Plamondon, « Une femme d'affaires en
Nouvelle-France, Marie-Anne Barbel », thèse de maîtrise, Université Laval, 1976. Des articles ont été extraits de
ces recherches : Lilianne Plamondon, « Une femme d’affaires en Nouvelle-France : Marie-Anne Barbel, veuve
Fornel », RHAF, 31-2, 1977, p.165-185 ; Lilianne Plamondon, « Une femme d’affaires culottée », Cap-auxDiamants, 21, 1990, p. 55-57.
2
Pour ceux qui souhaitent lire une biographie plus complète sur Jaques Barbel : A. Vachon, « Jacques Barbel »,
DBC II, Québec, PUL, 1969, 44-45.
3
Source : Bertrand Desjardins, Dictionnaire généalogique du Québec ancien des origines à 1765, Cdrom,
Boucherville, Québec, G. Morin, 2003.

Documents pareils