X – Radieux barrissement
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X – Radieux barrissement
144 X – Radieux barrissement Le jardin du Luxembourg. Grand-messe à Saint-Sulpice. Le marché de la poésie. La villa Boukerma. Le matin mécanicien. Amour maternel. Babar et les abeilles. Transsubstantiation. Entrée de Denis Brouillon. Sortie de Babar. C’est le printemps et il fait beau sur les jardins du Luxembourg. Le souci de la perspective, chéri depuis trois siècles par les autorités françaises, y a tracé des allées rectilignes bordées de hauts arbres en file indienne, ainsi qu’une vaste esplanade bien dégagée autour d’un bassin circulaire. «!Perspective!», un nom trop poli pour ce qui n’est autre que le simple calque des terrains de manœuvres militaires, modèle obligé — de Mansart et Le Nôtre, via Haussmann et Le Corbusier, à Bofill et Roland Castro — de toute modification du paysage urbain. Même les plantations florales et arboricoles y ont l’air de régiments au garde-à-vous. Car nous sommes dans un jardin, espace de loisirs clos, séparé de la vie quotidienne. Comme ailleurs — Montsouris, Monceau, Batignolles… — des tolérances mesurées y ont été accordées aux paysagistes francs-tireurs (ce qui, en 145 urbanisme, ne se produira plus, une fois ClaudeNicolas Ledoux mort et enterré). Ceux-ci y ont dessiné des passages méandreux sous couvert et frondaisons, découpé des raccourcis de pelouse pentue parmi des bosquets en tirailleurs, semé une fontaine baroque et quelques groupes sculpturaux néoclassiques. Si aujourd’hui dimanche, contrairement aux jours ouvrés de la semaine, aucun étudiant n’y potasse ses polycopiés entre deux T.D. à la Sorbonne proche, le restant de la population qui y déambule ou y est assise sur chaises et bancs demeure identique!: boulistes rondouillards, satyres en goguette, lardons se bassinant à voile et à vapeur, nurses adoucies par la musique de leur walkman, touristes cosmopolites en famille nikonante, joggers bellâtres trempés d’effort, troisième âge en plein festival de cannes. Minoritaires actifs, les gardiens débonnaires à chemise bleu ciel, les vendeurs agréés de ballons gonflables et de moulinets métallisés, voire quelques sénateurs incognito savourant un repos, mais de quel mérite!? * * * C’est le printemps et il fait frisquet dans la nef claire-obscure de l’église dite «!Saint-Sulpice!» où la grand-messe en est au sermon. 146 L’encens recouvre plutôt mal que bien une odeur mi-champignon mi-renfermé, que l’on ne sait à qui ou à quoi attribuer. Humidité des chapelles attenantes!? Nitre des cryptes et des sacristies!? Micro-organismes sur les toiles didactiques du Chemin de Croix!? Vernis des confessionnaux d’ébène ouvragé!? Derniers relents des cercueils de la semaine!? Ou est-ce plutôt cet amoncellement recueilli de mémères décrépites et de nonnes en civil!? Voire de quelques sénateurs incognito savourant le salut de leur âme replète. Bref, ça schlingue en pleine sainteté. Les couleurs liturgiques, blanc laiteux des aubes et des nappes d’autel, jaune bilieux des étoles, suint des cierges, en rajoutent dans la nausée. On entendrait une mouche voler s’il y en avait — mais il n’y en a pas, ce qui ne laisse point de nous surprendre, eu égard aux miasmes susdits. Résonne la voix de l’officiant qui raisonne. Il vitupère les villes trop déshumanisées (il prêche l’âme aux rues). Il en appelle aux beaux parleurs de la classe politique (il prêche aux harangues). Il invoque les ossements de Lazare au Mont des Oliviers, puis sa résurrection et le repas qu’il fit pour fêter cela (il prêche l’os au Mont, puis Lazare dîne). Hochements admiratifs des fichus grisâtres et des rares boutonnières rougies. Priez pour nous, pauvres pécheurs. 147 Mais où est le décorum d’antan!? Qui séduisait le populo et émerveillait les moutards, polymorphes pervers s’il en est, pour mieux se les aliéner!? Comme un Carnaval de Rio au ralenti. Enfants de chœur en rouge ou mauve avec surplis de dentelle, premières communiantes phtisiques à voilette et gros cierge en main, hallebardes suisses des bedeaux à bicorne, lourdes dorures chatoyantes des chasubles. Avec l’écho sourd du plain-chant grégorien en latin de cuisine, soutenu par les vibrations graves des grandes orgues — vingt-neuf gros tuyaux et près de six mille cinq cents petits en tout — dont le buffet surplombe les portes d’entrée, là-bas au fond. L’évêché au bout du couloir. L’immuable cérémonial des génuflexions, des bénédictions, des formules obligatoires à psalmodier en yaourt!: et cum spiritu tuo, kyrie eleison, in nomine patris et autres sibylleries — que les petits sacripants s’amusaient parfois à détourner malignement!: Amen, ma culotte est pleine. Ainsi soit-il, ça dégouline. Mais attraction centrifuge doublée d’une répulsion centripète!: Tu vas mourir, tu dois souffrir, c’est ta faute, ta très-grande faute, enfer et damnation!! Il te faut choisir entre le vin d’ici et l’au-delà!! (Ça, c’est de Francis Blanche.) Dévotion morbide pour cette loque pantelante clouée au gibet, exhibée en chaque recoin, acrobate 148 nase, arrête, c’est ton dieu, ta rédemption est à ce prix. ¡!Viva la muerte!!, demain on rase gratis. Rien décidément n’était négligé pour infliger aux humbles, par le rite et le mystère, un frileux respect et une moutonnerie craintive. Et puis un jour, les curés modernistes ont épouillé tout cela, aux orties les fioritures, let the sunshine in, pour ne garder que la croyance pure. Alors les charbonniers ont émigré au PMU et les marchandes de foie au Dow Jones. Les rats n’ont plus de navire. Ne restent plus à l’appel que les petites vieilles, les cornettes en bourgeoise, trois ou quatre sénateurs et, misère!!, quelques mariages pour complaire aux beauxparents, quelques baptêmes pour faire plaisir à PapiMami, quelques messes d’enterrements parce qu’on ne sait jamais… Et l’odeur de renfermé, aussi, malgré l’apostolique volonté d’ouverture. Autant dire à un pendu!: «!Repens-toi.!» Il y a vraiment de quoi devenir fou entre deux messes!! * * * C’est le printemps et il fait poussière sur la place devant l’église. S’y tient l’annuel «!marché de la Poésie!», sous le patronage de l’éditeur Jean-Michel Square. 149 Comme un vrai marché!: étals de planches, tubes métalliques emboîtés, dais en bâche folle, pare-vent d’un beau vert palissade. Mais rien des coloris et des sentis émanant des charrettes de quatre saisons, des éventaires garnis de la crémière, du boucher, du cordonnier, de la mercière, du marchand de couleurs. Nul camelot populaire, aucun social traiteur. Pas de ces «!Elle est belle, elle est belle, elle est belle!!!», ni de ces «!Fraîche la marée, fraîche!!!» qui racolent activement la rue de Lévis ou la place d’Aligre. Ici, les salades sont en tirages numérotés, les navets sont partout et les cornichons tout autour. Pas de beurre pour les plaquettes, pas de fromage pour les vers, rien ne se monnaie par demi-livre. Ici, ni cohue en cabas, ni éclat de voix. On parle bas — quand on parle. On feuillette négligemment — quand on feuillette. On achète parcimonieusement — quand on achète. Si, dans l’église en face, d’un charabia l’autre, une bonne moitié des ouailles émarge à la condition ecclésiastique, on peut tenir pour acquis que la quasitotalité des chalands de ce «!marché!» a déjà, une fois au moins, publié son opuscule. On peut même aller jusqu’à parier que tout visiteur d’un stand en tient un autre, dans la travée voisine. Sauf un ou deux sénateurs en promenade instructive. Les pohètes parlent aux pohètes, et ça bêle comme un parapluie baratinant une machine à coudre. 150 * * * C’est le printemps, et il fait bleu sur la villa Boukerma, en haut de la rue Lorrie-Roux à Menton, Alpes-Maritimes. Leïla et Sofiane ont été rejointes, ce matin, par Spider, Baya, Mariama et Isis. Le débarcadère est au pied de la terrasse. Balancement de chattes et de rosées, elles n’ont rien à craindre de l’azur. Toutes farnientent au soleil pétillant, avec boissons et herbes appropriées pour cette activité la plus noble qui soit!: rêver. * * * Oui, c’est le printemps, mais on s’en fout à Imola, en plein matin mécanicien, où nervosité, inquiétude et lente appréhension vont croissant tandis que s’égrènent les tours de petite aiguille qui précèdent le départ du Grand Prix, prévu pour quatorze heures locales, onze heures G.M.T. On redoute l’attentat, mais le spectacle, je veux dire le sport, bien sûr, doit se dérouler comme prévu. Les horaires de télévision n’attendent pas. Des renforts policiers ont pris position tout autour de la piste et des enceintes publiques. Il y a déjà eu quelques vigoureuses échauffourées avec les tifosi 151 resquilleurs, venus, comme c’est ici la tradition, par centaines. C’est la toute première fois, dans toute l’histoire, centenaire, du sport automobile italien, qu’ils sont ainsi refoulés et pourchassés!! Les dessous des tribunes, les replis du paddock, les organes des motorhomes, les profondeurs intimes des stands de ravitaillement, ont été palpés, tripotés, farfouillés. Aucun trou où la main baladeuse des artificiers n’allât point. Pour des prunes!: pas d’explosif. Des hélicoptères survolent le site. L’aviation de chasse se tient prête à intercepter tout aéronef approchant le secteur, sait-on jamais. Le nom de Bombyx, Bombisco, se murmure de bouche à oreille par tout l’autodrome. Les journaux du dimanche l’ont mis en cause et en Une pour la mort de Dorlote Barbie. L’ont impliqué en pages intérieures pour l’explosion dans le parking de l’autodrome. L’ont évoqué en brève pour la découverte, hier soir dans un casier de la consigne en aérogare de Bologne, des têtes tranchées de deux inspecteurs de police. «!LE JOUR DU SAIGNEUR!», aurait titré l e Canard enchaîné s’il eût été italien. Mais comment traduire cet orthographique calembour dans la langue du Dante!? * * * 152 – Fais attention avec ton biscuit, tu te fiches du chocolat partout!! Ne jette pas ton papier de chewinggum sur l’herbe!! Laisse les pigeons tranquilles!! Ne casse pas les branches!! Ne joue pas avec la fontaine!! Ne ramasse pas ce mégot, c’est caca!! Reste tranquille!! Mais tu es infernal!! Tu vas faire pleurer le petit Jésus. Si tu continues, Papa Noël t’apportera un martinet. Qu’est-ce que j’ai fait au ciel pour récolter un gamin pareil!? Tu auras ta fessée, en rentrant, je te le promets. Touche pas ci!! Fais pas ça!! Marche tout droit!! Rentre ton ventre!! Tu vas obéir!? Et ne réponds pas!! Tu vas aller en pension, bandit, voyou, vaurien, chenapan!! Pauvre de moi, ah ouiche, je suis bien à plaindre, j’aurai mérité mon paradis… Tout le monde en effet, comme l’avait remarqué Jules Renard, n’a pas la chance d’être orphelin. Tout porte à croire que les inconvénients de la grossesse et les douleurs de l’accouchement induisent une implacable vengeance compensatoire, dont des centaines de millions d’enfants de tous pays et de toutes couleurs font quotidiennement les frais. Cela s’appelle l’amour maternel. Question!: Est-ce l’autorité parentale qui reproduit l’organisation hiérarchique de la société, ou est-ce le fonctionnement social qui découle de celui de la famille!? Nature, culture, friture!? Quoi qu’il en soit, Gaïa, la Terre, notre mère et nourrice à tous, s’en bat franchement l’œil. Elle s’ouvre, là, en pleine pelouse des jardins du 153 Luxembourg, au pied d’un groupe sculptural en pierre représentant un couple assis et suggestivement enlacé. – Ne regarde pas, c’est pas de ton âge!! Ne marche pas sur les fleurs, nom d’une pipe!! Avalanche paresseuse de touffes de ray-grass et de mottes de terreau rapporté, tel un sol gélif à la fonte des neiges, le long du crâne chauve de l’éléphant qui sort de terre en s’ébrouant, bien benoîtement, rien ne presse, ‘y a pas le feu à la savane. Pendant les alertes de l’Occupation, ici se terrait un abri antiaérien, mais qui s’en souvient de nos jours!? Et qui se souviendrait, sauf érudition pédante, que cet abri n’était qu’une minuscule partie des deux mille trois cent soixante-douze mètres de galeries d’une carrière de calcaire datant du château de Vauvert, célèbre pour ses diables!? Plus tard aménagées en caves du couvent des Chartreux, qui y brassaient la bière et y distillaient la liqueur. – Ne mets pas tes doigts dans ton nez!! Petit dégoûtant!! Regarde comment il va devenir, ton pif, si tu continues!! dit encore la matouze, montrant du doigt la trompe au fruit de ses entrailles. Alors, seulement, insupportablement, elle prend conscience de l’événement. C’est impossible. Non, non, ça n’existe pas. Long hurlement de folie, les yeux s’injectent de sang, la bouche peinte se crispe atrocement, les doigts aux ongles vernis se tétanisent sur sa poitrine. On dirait la sorcière de Blanche-Neige quand elle a bu sa potion. 154 Le gamin rigole. Il fait deux pas, main tendue, en direction de Babar, à présent émergé en totalité. La trompe se soulève, interrogative, entre les défenses. Elle a d’ailleurs le tracé d’un point d’interrogation. Mais le gamin n’en sait rien. Il ne sait pas lire, il ne va pas encore à l’école, il est trop jeune pour y lustrer déjà le fond de ses culottes. Il rigole toujours. Paire de taloches. Main du môme agrippée, que la marâtre en furie entraîne dans une fuite éperdue vers n’importe où mais vite. Comme tout le monde alentour, jusques aux gardiens débonnaires et sénateurs incognito mélangés. Babar remonte la pelouse au pas. Il est de la race du Sahel, à taille relativement modérée, deux mètres quarante. Signes distinctifs de son origine, le front est large et fuyant, les oreilles arrondies sur le pourtour, avec cependant un lobe plus pointu que chez les cyclotis typiques. L’environnement ne lui cause aucun trouble, aucune surprise. Tout cela, verdure et humains, lui remémore analogiquement le parc de Glauzy, où il a trimballé son spleen une bonne décennie durant. Il marque une pause entre deux marronniers, dont l’écorce est le fidèle reflet — couleur, aspect, rugosité — de son épiderme. Soupçon. La trompe hume de gauche et de droite. Cet effluve!? Ça vient de par là… Il reprend son chemin en ligne droite, avec un rien de célérité ajoutée, trouant les haies vives, rouleaucompressant le sol battu des allées, bousculant bancs et branchages. Il n’a aucun motif pour prêter attention 155 aux éléments décoratifs du terrain!: sa mère n’est pas là, derrière son dos, à le surveiller. Aussi est-ce en toute candide inadvertance qu’il renverse, des pattes avant et du poitrail, quelques caisses de bois dont le tort était de se trouver sur sa trajectoire. C’est le rucher-école du Luxembourg, fondé en 1856, rétabli en 1872, reconstruit en 1991. Ainsi sauvagement jetées bas, des dizaines de milliers d’abeilles sont sur l’instant mises en émoi. Il en sort par toutes les ruines démantibulées, cadres et rayons disloqués, de leurs ruches dorées. Le miel goutte au sol et en poisse la terre comme le sang d’un guerrier. Les fourmis qui tout à l’heure y viendront puiser préfèrent nettement le miel. Elles ont bien raison. En attendant, les abeilles ont formé un formidable nuage grouillant et bourdonnant autour de Babar. Elles crient à la riposte, elles rameutent au combat, elles hurlent à l’ordalie. Réprobation unanime de cette féroce agression étrangère qui vient, jusque dans nos élytres, égorger nos reines et nos couvains. Contre-offensive immédiate, branle-bas, sus à l’ennemi, hardi!! hardi!! Trois ou quatre essaims se ruent, dard au canon, sur le colosse destructeur. Les oreilles, la lèvre inférieure, l’extrémité de la trompe morflent. Les yeux même sont dangereusement menacés. 156 Barrissement de panique, il se secoue comme il peut, il se cabre, il détale, les pattes à son garrot, droit devant lui, avec la horde hyménoptère à ses trousses harcelées. Toute la cruauté de la traîne d’une comète animale. L’une et l’autre espèces atteignent les quarante kilomètres à l’heure. Et malheur à qui, humain ou végétal, aurait l’outrecuidance suicidaire de se mettre en travers. * * * Entre deux candélabres dorés, le curé faisait face à son troupeau de grenouilles. Il en était à leur exhiber à bout de bras une sorte de rondelle plate, laiteuse comme de bien entendu. D’une feinte dévotion, il proclama à la cantonade!: «!CECI EST MON CORPS.!» Ébaubie par tant de passe-passe sentencieux, la gent batracienne avait incliné la tête et le regard avec déférence, la moue au bout des mains jointes. Toujours pas de mouche volant. Le corbeau mâchouilla son hostie, sans les dents. Qui penserait que tout cela ne mange pas de pain se fourrerait la poutre de ses doigts dans la paille de son œil. Ayant dégluti et expédié un tiers de Trinité dans la direction de ses sucs digestifs, il s’empara d’une paire de burettes cristallinement consacrées. 157 Une bonne lampée de jaja bien rouge dans le calice qu’il brandit alors à hauteur des sourcils. Comme d’autres chantent au frontibus, au nasibus, au mentibus. Tête basse et regard modeste de l’assemblée, le nez dans le missel et dans l’archange. Le vicaire ferma puissamment les paupières pour achever son second numéro de transsubstantiation. Bientôt, il mimerait et glou et glou et glou. Mais auparavant, sur ses lèvres déjà se dessinait «!CECI EST MON SANG.!» Il ne croyait pas si bien dire. * * * Denis Brouillon, envoyé spécial de l’Équipe sur les Grands Prix, alla déballer ses petites affaires dans la salle de presse. Canette de Kronenbourg moyennement fraîche, powerbook Macintosh, calepin Rhodia, stylo à bille Bic et un autre de rechange. Les hôtesses venaient de distribuer le bilan officiel des essais de la veille. Il posa son séant aux côtés de ses pairs et étudia distraitement la hiérarchie des pilotes les plus et les moins rapides. Bof, toujours les mêmes. Le faux pas germanique de vendredi est bien oublié. À dire vrai, il rédigeait déjà mentalement le papier qu’il pondra tout à l’heure et qui traitera de ces rumeurs d’attentat. De son style habituel, voulu primesautier et rendu débraillé, il narrera l’explosion 158 qui hier a privé Fulvio Catanese de ses gardes du corps ainsi que d’une groupie, sosie parfait de Dorlote Barbie. Il dira deux mots sévères sur la morbide parade de celle-là à l’heure où le cadavre de celle-ci venait d’être retrouvé. Très «!Canellon!», la pub, n’est-ce pas!? Il pourfendra l’absence lourdinguement tenace de communiqué de la FIA, alors qu’un petit message rassurant de sa part aurait été le bienvenu. Il évoquera aussi les tracasseries plus que minutieuses de la police italienne à l’aéroport. Il s’interrogera enfin sur la présence à Imola de l’ex-capitaine Barricq, qu’il a vu, il n’y a pas un quart d’heure, rejoindre discrètement le motorhome de ladite FIA où l’attendaient Miserey et Ecclebridge. Ce qui semblerait confirmer l’hypothèse Bombyx… Que se trame-t-il, au juste!? De quelle teneur sera le compte-rendu de la course!? Quelle menace plane donc sur ce Grand Prix!? – Je vais casser une graine et je reviens, dit Brouillon à son voisin. Tu jettes un œil à mes affaires!? Il prit quand même la précaution d’embarquer son Mac portatif avec lui. Ce n’est pas superflu!: un confrère reste avant tout un concurrent, n’est-ce pas!? * * * Babar, à fond la caisse, frôle le pavillon Davioud, verre et céramique, terrasse bordée d’arabesques. 159 Il longe la rue Guynemer, à l’intérieur de l’enceinte du jardin. Les abeilles ne le lâchent pas d’une semelle. Comme un bolide emmenant le peloton de chasse. Il renverse une fontaine de fonte, s’endolorissant légèrement la patte antérieure gauche. Barrissement. Jaillissement sauvage de l’eau municipale par les canalisations arrachées, irrigation barbare des pistes de pétanque adjacentes. Leur sol sablonneux est jonché de boules d’acier abandonnées au petit bonheur la chance!: les joueurs ont fait basket aussi sec, ce qui est bien paradoxal. Mais on les comprend!: mieux vaut des boules rouillées que celles d’une dérouillée. Bacchus, ivre-mort sur son âne et hilare en sa cour de faunes et de greluches, en reste de marbre puisqu’il est fait de bronze, aussi verdâtre qu’une absinthe à la Coupole. Babar ne ralentit pas pour autant.. Mais qui s’est permis d’ouvrir en grand la grille, tout au bout!? Ordinairement mi-close!: le second battant étant maintenu par un triangle vertical du même métal, deux mètres de hauteur, et empêché de coulisser sur des charnières axiales par un cadenas réglementaire. Car voici que ce cadenas gît pauvrement à terre, comme banni de sa patrie de barreaux épointés!! Car voici que les deux battants béent largement sur le carrefour de la rue de Vaugirard!! Car voici que la voie publique s’offre sans frein aux piétons jardiniers!! Alors, qui s’est permis!? 160 Serait-ce cette sorte de martien, tapi à croupetons sur une haute branche de marronnier, enveloppé d’une combinaison spationaute et masquant plutôt mal sa barbe fournie et son front fuyant derrière un masque d’escrimeur, et en qui nous croyons avoir reconnu CroMagnon!? Il partira par la fontaine à midi six. Mi-homme mibête, il sera loin à midi vingt. Mais quelle est cette espèce de commande digitale qu’il tient en main, alors que nul récepteur de télévision ne stationne alentour!? C’est ainsi qu’il n’y eut point de remake du pont de l’Alma au Luxembourg. Babar, aiguillonné sans repos par une meute d’insectes sociaux tels des paparazzi aux basques d’une Mercedes-Benz princière, put négocier sans dam un virage sur les chapeaux de pattes, cabosser une colonne Morris et quêter le sauve-qui-peut dans le tissu urbain. En deux enjambées, il franchit sportivement la rue de Vaugirard, il s’engouffre dans la rue Bonaparte. Épouvante et désolation allaient encore être le lot de la bonne ville de Paris.