position de these - Université Paris

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position de these - Université Paris
POSITION DE THESE
UNIVERSITE PARIS IV – PARIS-SORBONNE
Ecole doctorale III
Littératures française et comparée
Doctorat de littérature française
Matthias VINCENOT
LA POESIE ET LA CHANSON :
UN COUSINAGE COMPLIQUE
Thèse dirigée par
Monsieur le Professeur Pierre BRUNEL
Jury
Monsieur le Professeur Pierre BRUNEL, Professeur émérite à l’Université
Paris-Sorbonne (Paris IV)
Monsieur le Professeur Jean-Yves DEBREUILLE, Professeur à l’Université
Lyon 2
Monsieur le Recteur Pierre CAHNE, Recteur de l’Institut catholique de Paris,
Professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV)
M. Jean-Yves DEBREUILLE, Professeur à l’université Lyon 2
Monsieur le Professeur Giovanni DOTOLI, Professeur à l’Université de Bari
(Italie)
Soutenue le 26 mai 2011
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La poésie et la chanson ont longtemps cheminé ensemble, sans se le
dire. Puis, insensiblement, elles se sont séparées, comme dans les familles
où les liens se distendent mais où subsiste néanmoins une proximité
originelle.
Il peut arriver à nos oreilles, ici ou là, des avis tranchés sur la
question. On peut entendre dire que la poésie et la chanson sont liées,
certains même les confondent, d’autres ne leur voient aucun point commun,
avec la même conviction.
J’ai donc souhaité, avec cette thèse, me placer à l’écart des positions
de principe, des postures ou des éventuels jugements de valeur, pour
examiner ce qui rapproche et ce qui distingue la poésie et la chanson. Ce
n’est pas la rime qui fait la poésie, ni le refrain qui fait la chanson. En
cernant ce que j’appelle le poétique, j’ai voulu déterminer ce que j’appelle « la
chair des mots », ceux-ci n’étant pas que sens, mais aussi sensation. C’est la
liberté qui détermine la poésie aujourd’hui, alors que la chanson est
davantage contrainte, même si la règle, en chanson non plus, ne constitue
pas une définition.
La chanson, parce qu’elle est constituée à la fois d’un texte, d’une
musique, et d’une interprétation, à la fois s’adresse au plus grand nombre et
touche l’individualité de chacun. Elle est « la bande originale de nos vies »,
selon la belle expression de chanteur Eric Guilleton, et tel refrain entendu
par hasard peut faire revenir en tête par surprise des moments que l’on
pensait oubliés, mais qui étaient en fait au bord de la mémoire. Elle est sans
prétention et universelle, et parfois la profondeur réside dans la force de la
simplicité. Le cinéma a bien compris ce pouvoir évocateur de la chanson, car
de nombreux films, surtout ces dernières années, utilisent la chanson bien
au-delà de la bande originale du film, et la chanson fait partie intégrante du
film, soit parce que le titre est issu d’un refrain populaire, soit parce que le
film tourne autour de la chanson.
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Je me suis appuyé notamment sur des exemples du XXème et du
XXIème siècle. En effet, c’est le moment où la poésie use le plus de sa liberté,
dont le point ultime est d’utiliser la contrainte quand celle-ci sert le poème,
quand elle n’est pas le but mais le moyen. D’autre part, cela permet
également de citer des poèmes et des chansons parues aux mêmes époques,
sachant que l’imprimerie a été inventée bien plus tôt que le phonographe,
même si cela n’a pas empêché que l’on chante et que l’on écrive dès la
naissance de l’humanité.
En examinant la musique des mots et le rapport entre les mots et la
musique, j’ai abordé le rapport au son, aussi bien dans la chanson que dans
la poésie. Y a-t-il une chanson « à texte » ? Qu’en est-il de la poésie sonore ?
J’ai voulu montrer, au-delà, comment les poètes travaillent à la fois le son
des mots, et leur suggestion, c'est-à-dire leur matière première. Matière
première, c’est aussi ce qu’est le mot pour un poète. La musicalité est
présente à la fois dans la chanson et dans la poésie, mais étant entendu
qu’une musicalité peut aussi être dissonante, perturbante. La différence
réside dans le fait que cette musicalité du vers, qui constitue le rythme de la
poésie, ne réside que dans le mot, alors que la chanson dispose de la
musique et de la voix de l’interprète. Pour déterminer le rapport au mot dans
la poésie, je me suis arrêté à la fois sur la poésie expérimentale et sur la
poésie populaire. J’ai aussi rappelé brièvement mon expérience autour de la
poésie et de la chanson.
J’ai aussi voulu donner la parole à ceux qui pratiquent chacun de ces
deux arts, pour faire entendre ce qu’ils pensaient de l’autre art. La poésie
est-elle un continent étranger pour les chanteurs ? La chanson est-elle si
éloignée des poètes ? D’abord, étant entendu que la chanson présente
généralement le reflet d’une société à un moment donné, faire attention à ce
que disent les chanteurs de la poésie et des poètes dans leurs propres
chanson est particulièrement éclairant sur les idées reçues qui circulent à
leur sujet dans la population. Par ailleurs, puisque quand il est question de
poésie et de chanson, et plus particulièrement de poétique dans la chanson,
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les noms de Georges Brassens, Jacques Brel et Léo Ferré viennent
spontanément en tête, je me suis arrêté sur leur cas. J’ai ensuite laissé la
place aux témoignages de chanteurs et de poètes. En ce qui concerne les
chanteurs, j’ai d’abord interrogé deux artistes qui interprètent presque
exclusivement de la poésie, puis ensuite dix-sept chanteurs qui n’en
interprètent pas, ou alors occasionnellement, de générations et d’univers
différents, de la jeune Emilie Marsh au phare de la chanson dite poétique
Georges Moustaki. Ensuite, ce sont seize poètes qui ont fait de même, sur un
questionnaire
quasi-identique.
Leurs
réponses,
diverses
et
parfois
étonnantes, montrent d’abord et avant tout un respect de l’art de leurs
collègues de l’autre rive. On apprend aussi que des chanteurs ont pu écrire
des poèmes, que des poètes ont écrit des chansons, mais qu’ils n’ont pas
souhaité les diffuser. Les poètes et les chanteurs, dans ces entretiens,
portent aussi le regard sur le slam, certains le classant du côté de la poésie,
d’autre du côté de la chanson, et d’autres encore, ailleurs.
La poésie et le slam aujourd’hui, justement, sont l’objet de ma dernière
partie. Je laisse d’abord la place au débat lancé par Jacques Roubaud
autour des directions que la poésie prend aujourd’hui, dans un article du
Monde Diplomatique de janvier 2010. Ce qu’il dit est tout à la fois brillant,
partial et rafraîchissant. Je me suis donc arrêté sur sa vision bref panorama
des directions que prend aujourd’hui la poésie, puis traiter du slam. En effet,
on ne peut parler de poésie sans parler de slam, à moins de le frapper
d’inexistence, d’une façon qui serait absurde. Comment ranger du côté de la
poésie une pratique dont la base n’est pas seulement l’écriture sur la page ?
Comment le placer du côté de la chanson alors qu’il s’agit de diction, même
si celle-ci peut être particulière ? J’aborde ces questions ainsi que la nature
du slam bien plus complexe qu’il n’y paraît, là aussi à l’écart des
enthousiasmes béats, dont il est question aussi, et des exclusions de
principe.
C’est ainsi que cette thèse se veut un itinéraire sur les voies de la
poésie et de la chanson. Comme les routes, elles connaissent des
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croisements, mais aussi des carrefours, des embranchements également
lorsqu’elles se rencontrent. Nous avons tous dans la tête des vers qui nous
ont marqué, certains nous amusent, nous touchent, d’autres nous aident à
vivre. Il peut s’agir d’extraits de poèmes comme d’extraits de chanson, le
rapport de chacun à tel ou tel extrait est intime, car il rejoint sa propre
histoire. Que le poème dont quelques vers nous touchent soit connu de
trente personnes ou qu’il s’agisse de l’extrait d’une chanson populaire, on est
toujours seul face à ses émotions de lecture et de sensations. La perception
d’un poème comme d’une chanson va d’ailleurs au-delà de la lecture ou de
l’écoute. C’est chacun de nous que nous y retrouvons.
J’ai surtout voulu, dans tout mon travail, écarter le simplisme, qui est
à la fois source d’erreurs et d’excommunications, les unes amenant d’ailleurs
souvent aux autres. La poésie et la chanson ont la même source mais pas les
mêmes parcours, elles ont certains outils et certains buts en commun, mais
des moyens qui diffèrent, elles sont surtout, chacune à sa manière, c'est-àdire chaque poème comme chaque chanson, une façon de voir et
d’appréhender le monde, et donc de se connaître, de se « re-connaître » ou de
se « dé-connaître ».
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