Que se passe t-il en prison ?
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Que se passe t-il en prison ?
Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:40 Page 32 32 Dans les textes, tout y est pour une égalité avec le milieu libre en matière de prise en charge médicale du VIH et des hépatites et même de l'accès au matériel stérile d'injection en prisons. Pourtant, en France comme 72 # S E au Québec (voir en page 40), la réalité montre que cette égalité n'existe ID REMA pas en matière de prévention et qu'elle est largement perfectible en matière de soins. En Suisse (voir en pages 38 et 43), il y a des initiatives, mais, là aussi, rien n'est parfait. >> Dossier Santé, prévention : Que se passe t-il en prison ? ur la photo, une ancienne vue aérienne de la maison d'arrêt de Nîmes avec la cour de promenade. Depuis, elle a été raccourcie. Une séparation a été bâtie pour rendre plus difficile encore l'envoi de “colis” par le dessus le mur d'enceinte. Pourtant, ici comme ailleurs, des produits entrent. C'est inévitable. Des personnes qui y ont séjourné racontent qu'on y trouve à peu près tout ce qu'on veut. Tout ? Pas de seringues propres en tous cas. Elles ne franchissent pas les murs, du moins officiellement. Cette situation n'est pas spécifique à la maison d'arrêt de Nîmes : elle vaut pour l'ensemble des établissements pénitentiaires français. Pourtant, depuis 1994, la loi instaure le principe que les mesures de santé publique doivent s'appliquer aussi bien en milieu libre qu'à l'intérieur des prisons. En 2004, la réduction des risques elle-même a été reconnue comme faisant partie des mesures de santé publique. Un décret de 2005 précise d'ailleurs que cette réduction des risques passe par la distribution de matériel stérile pour la consommation de drogues. La loi affirme donc clairement que les programmes d'échanges de seringues ou la diffusion de matériel pour sniffer, licites en dehors, ont toute leur place dans les prisons. “J'ai été saisie S d'une demande de diffusion de Roule ta paille [matériel pour sniffer, ndlr] Ma réponse a été négative, mais j'ai dit que je poserai la question à l'administration centrale, explique la directrice de la maison d'arrêt de Nîmes. Ce qui me gêne, c'est le paradoxe dans lequel nous nous trouvons avec deux logiques différentes, celle de santé qui est de prévenir les risques, ce que je comprends bien, et celle du ministère de la Justice qui héberge des personnes dont certaines sont là pour une infraction à la législation sur les stupéfiants. Leur détention est interdite en France. Je préside des commissions de discipline au cours desquelles je sanctionne des détenus parce qu'on les a découverts en possession de stupéfiants en détention et parallèlement, c'est moi qui devrait autoriser la mise à disposition de matériel d'utilisation. Nous sommes dans une contradiction à laquelle je ne trouve pas de réponse. Je m'en tiens donc à la position institutionnelle. C'est interdit donc pas de mise à disposition de matériel de consommation.” Médecin coordinateur de la consultation de dépistage anonyme et gratuite (CDAG) à la maison d'arrêt, le docteur Brosson est favorable aux programmes d'accès au matériel stérile d'injection. Elle a d'ailleurs proposé par courrier à la directrice de la maison d'arrêt de Nîmes d'engager une réflexion à ce sujet. Dans sa lettre, le docteur Brosson indique qu'à plusieurs reprises elle a été confrontée, lors de ses consultations “à l'usage, par des détenus, de drogue par voie intraveineuse”. “Les détenus qui pratiquent ces injections n'ont pas accès à du matériel propre et partagent souvent ce matériel avec d'autres détenus qui ont une forte probabilité d'être infectés notamment par le virus de l'hépatite C”, explique le docteur Brosson qui s'interroge ainsi que son équipe sur cette “politique de réduction des risques que nous accompagnons en ville et que nous ne pouvons pas proposer lors de l'incarcération.” Une discussion s'est ouverte, mais on voit mal en l'état actuel, ce qui pourrait changer. C'est au législateur de lever cette contradiction, mais ni la Santé, ni la Justice ne s'y intéressent. Et pourtant, des études montrent que le nombre de personnes atteintes d'une hépatite C est dix fois supérieur en prisons par rapport au milieu libre. Pour le VIH, il est au moins deux fois supérieur. En prison, hormis l'offre systématique d'un dépistage à l'entrée en maison d'arrêt, la réduction des risques se limite à quelques préservatifs disponibles en accès libre dans les unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:40 Page 33 33 c'est le cas à Nîmes, et à une distribution gratuite, tous les quinze jours, de doses d'eau de Javel à 12 °. Cela permet de nettoyer certains objets (rasoirs, tondeuses, matériel de tatouage, seringues, etc.) Encore faut-il que les personnes détenues soient informées pour le faire correctement... En plus, il n'est pas rare qu'elles évoquent des problèmes de rupture dans la distribution de Javel, parfois pendant plusieurs semaines. A Nîmes, un protocole, très simple, sur l'utilisation de l'eau de Javel a été rédigé et il est diffusé aux personnes détenues. Une information du même type est faîte à la personne détenue qui assume les fonctions de coiffeur. Il y a deux ans, la Direction régionale des Affaires sanitaires et sociales a fait une inspection à la maison d'arrêt. Les conclusions ont permis d'avancer notamment sur la désinfection du matériel pour tondre les cheveux. Ici, la plupart des personnes demandent une tonte à blanc. Le passage du rasoir, sans désinfection d'une personne à une autre, représentait un risque réel. Désormais le matériel est “décontaminé” entre chaque personne, l'usage d'un sabot conseillé, le salon de coiffure désinfecté chaque semaine et le coiffeur reçoit une formation de la part de la médecin du CDAG, présent dans l'UCSA. Très loin d'être exemplaires en matière de prévention, les prisons françaises fontelles mieux en matière de soins ? Les réformes successivement engagées en 1986 et en 1994 pour transférer la prise en charge sanitaire du service public pénitentiaire au service public hospitalier ont profondément modifié les soins en prison. Comme on le dit à Nîmes, il s'agit “de faire du passage en prison un temps utile”, y compris en matière de santé. L'esprit de ces réformes, c'est d'offrir aux personnes détenues une qualité et une continuité de soins équiva- Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:40 Page 34 34 lente au milieu libre. Depuis quinze ans, l'hôpital est donc entré dans la prison. En prison, les services médicaux sont des antennes extérieures d'un hôpital de proximité. A Nîmes, sont proposées des consultations de médecine générale, des consultations pour le VIH, des consultations pour les hépatites et d'autres pour les traitements de substitution. Il y a même un kiné et un dentiste fait des vacations. Pour certains examens et consultations, il faut sortir pour se rendre au Centre hospitalier universitaire Caremeau. Pour autant, l'administration pénitentiaire reste aussi un acteur de santé public et a un rôle à jouer. A Nîmes, la direction de l'établissement s'est montrée pro-active : elle propose aux personnes détenues d'assister à un temps collectif autour du thème de la santé pour leur permettre de rencontrer les professionnels et associations de santé présents dans l'établissement. AIDES y intervient. “Tous les arrivants peuvent bénéficier d'informations […] sur les différentes prestations en matière de santé qui existent au sein de l'établissement, notamment les soins que peut recevoir un détenu toxicomane ou qui a une addiction à l'alcool, explique la directrice. Il s'agit aussi de donner le maximum d'informations à la source pour éviter que des informations erronées ne circulent en détention.” Cela peut surprendre, mais le passage en prison peut être, dans certaines situations, une bonne occasion de commencer à se soigner mieux encore qu'à l'extérieur. “La confiance est un élément important”, rappelle Carmen Urdiales de AIDES. Elle intervient avec sa collègue Omry lors des accueils et tient une permanence chaque semaine pour des entretiens individuels. “Les personnes peuvent venir parler aussi bien des modes de contamination que de la substitution. Nous sommes comme un médiateur entre eux et le personnel soignant. Les personnes nous disent des choses qu'elles voudraient faire passer aux médecins, mais qu'elles ne leur disent pas directement. On parle aussi des pratiques, de la consommation de produits… Pouvoir parler librement de ces sujets permet d'instaurer un climat de confiance. C'est important surtout lorsque la personne souhaite démarrer un traitement.” Malgré les efforts, l'accès aux soins en prison connaît pas mal de difficultés. La principale est liée à la surpopulation carcérale. On compte en France plus de 63 000 personnes détenues, c'est l'équivalent de la ville de Quimper ou de celle d'Aubervilliers en prison ! Les taux d'occupation par rapport aux places disponibles sont délirants. A Nîmes, ce taux atteint 185 %. Concrètement, cela veut dire que la prison prévue pour accueillir 194 personnes en héberge, en moyenne, 378. Le secteur pour les femmes, de 20 places, en reçoit 39 ! Une des conséquences, c'est le manque de personnel. Du coup, dans beaucoup de prisons, les surveillants jonglent avec les priorités et des “extractions” (le fait de sortir une personne détenue pour la conduire en consultation à l'extérieur) sont souvent annulées faute de véhicules ou de personnel disponible. Un problème d'accès aux soins majeurs dont rend compte un (1) Rapport 2008 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, éditions Dalloz. rapport officiel1 Une autre difficulté est l'absence de confidentialité. Les surveillants ouvrent les portes de l'UCSA. Ils sont témoins de beaucoup de choses. A Nîmes, sur un tableau proche de l'armoire à pharmacie, il y a le nom d'une personne et son traitement. Difficile de ne pas savoir pour quoi elle est soignée. Il ne faut pas être devin pour comprendre que, pas plus qu'à l'extérieur, la séropositivité n'a bonne presse dans les prisons, chez les personnes détenues comme chez les professionnels. Il y a bien des formations des personnels, mais elles ne sont ni prioritaires, ni systématiques. A Nîmes, il y en a eu une… mais sur la grippe aviaire. Un des problèmes récurrents dans l'accès aux soins est le nom respect du statut de malade. Le rapport du Contrôleur général répertorie des exemples fracassants : une gardienne assistant à un examen gynécologique, des prises de sang effectuées sur des personnes menottées, etc.1 Et quant à la sortie, peu de choses sont faîtes pour le suivi, la poursuite d'un traitement démarré en détention. Il existe bien un Service pénitentiaire d´insertion et de probation qui assure le lien avec la vie d'après la prison, mais la santé ne fait pas partie de ses missions. Il ne reste plus alors que l'UCSA, sans moyens réels, et les associations. Dossier réalisé par : Nicolas Charpentier, J.-F. Laforgerie, René Légaré et Sandra Essid Illustrations : Yul Studio, Vincent Cammas et Kollr Tawiz Photos : Nicolas Ducret Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:40 Page 35 35 Moldavie : Seringues propres en prisons es programmes pilotes d’accès au matériel stérile d’injection dans les prisons moldaves ont été lancés il y a huit ans maintenant. C'est l'argument de la santé publique qui a convaincu les autorités moldaves de l'expérimenter. Un argument qu'on comprend à Chisinau, la capitale, mais toujours pas à Paris. L’un des plus grands défis a été de convaincre les surveillants et les chefs de détention. Pour cela, des formations régionales sur le VIH, les hépatites et l'usage de drogues ont été organisées. Des formations du même type ont également été proposées aux personnes détenues dont certaines sont d'ailleurs devenues volontaires. Si ces programmes fonctionnent, c'est aussi parce qu'ils obéissent à plusieurs principes : l’anonymat, la confidentialité, l’accès sans interruption (24 heures sur 24 et 7 jours sur 7), le travail de prévention et d'information mené par les personnes détenues volontaires et l’échange “1 contre 1” (une seringue usagée pour une seringue neuve). Au départ, seuls les services médicaux distribuaient du matériel d’injection, mais les programmes étaient peu fréquentés. Le choix a donc été fait d’opter pour une distribution par des personnes détenues volontaires. Le matériel stérile d'injection est uniquement distribué dans les lieux de vie (et pas dans les zones administratives ni les ateliers). Les volontaires bénéficient d’une confiance absolue. Ils rendent les seringues usagées aux travailleurs sociaux qui leur en fournissent de nouvelles. Grâce à ces programmes, on observe une diminution des nouveaux cas L de VIH et d'hépatites parmi les personnes détenues usagères de drogues par voie intraveineuse, une baisse de la discrimination à l’encontre des personnes détenues séropositives et/ou usagères de drogues. On constate aussi un accès accru aux traitements de substitution et une meilleure prise en charge psychosomatique. Ces programmes ont aujourd’hui été mis en place dans sept des dix-huit prisons de Moldavie. 60 000 seringues y sont distribuées chaque année. Les personnels pénitentiaires des établissements concernés se disent fiers de ces programmes et aucune seringue souillée n’a été trouvée lors des fouilles. La Moldavie mène actuellement une réforme progressiste des prisons, notamment en limitant les peines d’emprisonnement (de 10 000 personnes détenues en 2002 à 6 500 en 2008). Un mouvement très exactement contraire à celui que connaîssent aujourd'hui la France et le Canada. Sandra Essid Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:40 Page 36 36 “En prison, comme à l’extérieur, les toxicomanes sont mal jugées. Tout se sait et on parle de nous “par derrière”. Mais vis-à-vis des gardiennes, je ne pense pas qu’elles fassent vraiment la différence. Même si c’est vrai qu’elles sont comme nous et que quand elles sont entre elles, elles papotent… Et tout finit par se savoir…” Catherine : “Je ne veux pas qu’on me rabaisse !” oi, j’ai eu pas mal de problèmes car je ne veux pas qu’on me rabaisse. J’ai été changée de secteur récemment et une fille que je ne connais même pas depuis trois jours m’a dit que la chef d’atelier lui avait dit que… Bref, ça fait chier ! En plus, ici, c’est une toute petite prison, tout le monde est débordé. Les gardiens sont surchargés et ils n’en peuvent plus ! Pour le médical, comparé à il y a six ans, ça s’est amélioré. Ils s’occupent un peu plus et un peu mieux de nous. Parce qu’à l’époque, ce n’était vraiment pas ça. Je suis arrivée ici pour des bagarres et on a voulu me faire prendre un médicament sans rien d’écrit dessus. J’ai commencé à 30 mg et je suis allée jusqu’à 1 300 mg. J’ai alors remarqué que cela amplifiait mes humeurs. Pour moi, le médecin pousse pour que l’on prenne des médicaments neuroleptiques et c'est la même chose pour la méthadone. Je pense à des filles qui se retrouvent avec 50 cc de méthadone et après, à la sortie, c'est un gros problème pour baisser les quantités. Je pense que c’est pour que l’on reste calme, surtout les forts caractères comme moi. Même quand on ne veut pas les prendre, ils nous en mettent dans la barquette. Alors, quand on a le blues, la barquette est là et on rentre dans “M l’engrenage des médicaments et c'est pire que quand on est rentrée en prison. Et il y a l’inverse, si tu entres sans méthadone en prison, tu n’en obtiendras pas. Pour être reçue par un médecin, il faut remplir des fiches [à chaque fois] et on nous demande de ne pas en remplir trop… Il faut parfois attendre des mois avant de pouvoir voir quelqu’un. La prison, c’est l’usine ! A propos, si vous travaillez, alors là, vous êtes très bien vue, vous obtenez même la conditionnelle. Si vous ne travaillez pas, vous n’avez rien ! Moi, j’avais des inflammations aux épaules, je ne pouvais pas travailler en cuisine, et le chef de cuisine ne voulait rien savoir. Il faut être “par terre”, si on veut qu’ils appellent l’ambulance ! J’avais un problème aux dents, une carie. Le dentiste arrive, sans se présenter, puis il “bricole”. Des mois après, il fallait m’arracher la dent… Mais le dentiste n’a pas voulu (…) Si tu restes quatre ans en prison, t’as plus de dents ! Et il y a autre chose. Une fille que je connais faisait des petites hémorragies avec des caillots de sang. Ils l’ont laissée neuf mois comme ça avant de l’amener au Centre hospitalier universitaire du canton de Vaud. Pour y aller, c’est dur, quand on n’a pas les papiers.” Catherine Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:40 Page 37 37 A 46 ans, Nasser a démarré un traitement contre l'hépatite C à la maison d'arrêt de Nîmes (en France) qu'il a quittée depuis quelques mois. A son premier bilan après son traitement, les résultats étaient bons. Nasser : “On peut se soigner en prison” e connaissais déjà la maison d'arrêt de Nîmes . Lors de mon premier séjour, il n'y avait pas encore le quartier des nouveaux arrivants qui a été créé pour qu'on s'adapte à la vie en prison. J'ai trouvé la vie en prison, les rapports entre les gens beaucoup plus durs aujourd'hui qu'il y a quelques années. C'est particulièrement vrai pour les personnes qui sont toxicomanes. Il suffit de pas grand-chose, qu'on voit l'infirmière te donner des cachets et tu passes pour un toxico. Il y a des insultes, des “Sale toxico, on va te crever !” qui sont hurlés depuis la promenade sous les fenêtres. Je me souviens qu'il y avait un mec qui ne sortait jamais de sa cellule pour aller en promenade à cause de ça (…) Le problème n'est pas qu'avec les mecs en cellule, ça se pose aussi avec les gardiens. Il y a des matons qui refusent de te serrer la main ou qui marchent à distance de toi dans les couloirs comme s'ils craignaient de choper quelque chose. On se croît au Moyen âge, au temps des sorcières ! Cela fait plus d'une dizaine d'années que j'ai l'hépatite C. Quand j'étais à l'extérieur, on ne m'a jamais proposé un traitement ni même un suivi médical (...) C'est la prison qui a fait office de déclencheur pour mon traitement contre l'hépatite. J'en ai parlé à Carmen1. On a discuté de la peur par rapport aux traitements, des pourcentages de réussite… J'avais confiance. J'ai quand même débuté un traitement assez tardivement. Ça a été plus simple de le démarrer en prison car on n'est pas obligé de faire des activités. Si j'avais besoin de dormir à cause des traitements qui me fatiguaient, je pouvais le faire, même toute la journée. J'ai eu aussi la chance de pouvoir compter sur la personne qui partageait la cellule avec moi, un Algérien de 58 ans. Il a été plus compréhensif avec moi que des jeunes mecs qui sont nés en France. Il m'a même aidé pour la cuisine, la lessive lorsque j'allais mal à cause des traitements. Mais ce n'est pas le cas pour tout le monde, la plupart du temps lorsqu'on est malade, il n'est pas rare d'être “J refoulé comme une merde. Et pas seulement par les autres détenus. Lorsqu'on a une hépatite, on a peu de chances de trouver du travail dans la prison. On ne bossera pas à la lingerie, ni à la cuisine et on ne sera pas “gameleur”2. Ce qui a compté aussi, c'est de pouvoir préparer ma sortie. Je l'ai fait sur les conseils de Carmen qui m'a expliqué quelles démarches faire. Ma crainte était de me retrouver à la rue après mes mois de prison et de ne pas savoir qui prendrait la suite pour mon traitement. J'ai fait les démarches. On m'a aidé lorsque j'en avais besoin. Très vite après ma sortie, j'ai eu un appartement thérapeutique géré par une association. Je vois un éducateur deux fois par semaine, une assistante sociale aussi. J'ai aussi la chance d'avoir des gens autour de moi qui sont là pour me soutenir.” Nasser (1) Salariée de AIDES qui intervient chaque semaine à la maison d'arrêt de Nîmes. (2) Personne détenue qui a la charge de la distribution des repas. Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:40 Page 38 38 Suisse : l’échange de seringue en prison, allons voir ! es infirmiers présents à la prison de Champ-Dollon, dans le canton de Genève, pratiquent depuis plusieurs années l’échange de seringues. Cette activité répond à la mission de l’unité médicale qui est notamment de prévenir les maladies transmissibles et de mettre en œuvre l’équivalence des soins, aussi pour la réduction des risques qui est pratiquée et reconnue à l’extérieur. L L’entretien Lors du bilan d’entrée, une infirmière rencontre chaque nouvel arrivant afin d’établir son dossier médical et aborder la question des dépendances. La consultation Une infirmière spécialisée assure une consultation spécifique sur les addictions. Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:40 Page 39 39 La demande de consultation La demande à l’unité médicale pour du matériel d’injection se fait par écrit en déposant le formulaire dans la boîte aux lettres de l’étage ou directement auprès d’un infirmier lors de son passage pour la distribution des médicaments. La distribution du matériel d’injection La remise du matériel d’injection se fait à la porte de la cellule lors du passage suivant de l’unité médicale. L’échange du matériel d’injection La mise à disposition de matériel d’injection est basée sur l’échange, la personne détenue rend ses seringues usagées dans le tube prévu à cet effet. Reportage réalisé par Sofie Laeur et Nicolas Charpentier. Photos de Nicolas Ducret. Remerciements à l'Unité médicale pénitentiaire du canton de Genève, ainsi qu'à la direction de la prison de ChampDollon pour leur soutien. Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:41 Page 40 40 Au Québec, il existe deux types d’institutions carcérales, celles dirigées par le gouvernement provincial et celles sous l’administration fédérale. Comme cela se passe t-il dans les prisons provinciales ? Reportage par René Légaré. Québec : Soins de santé en prisons provinciales u début de l’épidémie, très rapidement les milieux carcéraux du Québec ont reçu des prisonniers séropositifs au VIH. Tout aussi rapidement, ces milieux ont porté atteinte aux droits élémentaires de ces détenus. Bris de confidentialité, isolement, refus de soins spécialisés ou de traitement étaient monnaie courante. Aujourd’hui, la mentalité des milieux carcéraux face aux détenus atteints du VIH ou de l’hépatite C a évolué grâce, entre autres, au travail acharné d’intervenants communautaires et d’avocats spécialisés en droits de la personne. Plusieurs avancées ont permis à ces personnes d’avoir accès aux soins nécessaires à leur survie. Cependant, l’accès aux soins, aux traitements et au soutien psychologique varie d’un établissement à l’autre et les principales interventions pour éradiquer la propaga- A tion du VIH et des hépatites ne sont toujours pas permises. Julie est travailleuse sociale dans l’équipe externe ITSS-CLSC1 du Centre de santé et des services sociaux d’Ahuntsic et Montréal-Nord qui œuvre dans trois centres pénitenciers provinciaux de la région montréalaise. D’emblée, d’une voix chaleureuse et qui exhale l’humanisme, elle dit qu’elle et ses collègues interviennent : “Auprès d’une personne et non pas d’un bandit ! Notre approche est humaine et respectueuse de l’individu et permet le développement de relation de confiance”. Elle a brisé la glace. Du coup, sans crainte, je suis prêt à plonger au cœur d’un monde que je connais à peine. Voici donc comment ça se passe, en 2009, dans ces prisons lorsqu’une personne vit avec le VIH ou le VHC. Régulièrement, Julie et ses collègues tiennent un kiosque d’informa- Délai de carence ! Au Québec, lorsqu'une personne vivant avec le VIH, le VHC ou en traitement de méthadone est arrêtée, elle subit obligatoirement un arrêt de traitement. En effet, au niveau provincial, le système actuel ne permet pas à une personne nouvellement incarcérée d'être traitée sans avoir été vue par le personnel médical de la prison. Si elle est emprisonnée le vendredi et que le médecin du centre de détention n'est présent que le mardi suivant, c'est six jours de traitement que cette personne manquera. Une période largement suffisante pour qu'il y ait un risque de développement d'une résistance au traitement (VIH) ou pour l'apparition des symptômes d'un sevrage à la méthadone. tion où les personnes incarcérées peuvent venir questionner ou ramasser des dépliants. C’est l’activité “brise-glace”. Le moment où souvent les personnes détenues s’engagent dans un processus de dépistage. Lors des rencontres avec l’une des infirmières de l’équipe, la personne aura accès au dépistage du VIH et des hépatites, à la vaccination contre les virus de l’hépatite A et B, au suivi avant et après le test et à des condoms. Lorsque le test du VIH est positif, la personne détenue est dirigée, à l’externe, dans des cliniques spécialisées VIH où elle est suivie et obtient son plan de soins. Julie précise qu’il n’y a pas de barrières d’accès aux nouvelles molécules, aux médicaments d’exception et aux calmants. Sur demande, la personne peut être suivie à l’interne par l’équipe ITSS-CLSC. Elle a aussi accès au soutien psychosocial. Les personnes avec une hépatite C ont accès aux mêmes services. Elles sont soignées par des gastro-entérologues et peuvent participer à des groupes de discussion offerts par le CAPAHC (Remaides Québec, No 4, p. V). Lors des rencontres psychosociales, Julie informe ses patients sur les moyens de diminuer les risques de transmission du VIH et des hépatites. Dans un contexte où l’accès aux objets du quotidien, tels les brosses à dents et les rasoirs, est difficile, (1) ITSS-CLSC : Infections transmissibles sexuellement et par le sang - Centre local de services communautaires Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:41 Page 41 41 La santé en prisons en France Cette brochure de AIDES donne les bases pour comprendre l'hépatite C (un côté de la brochure) et le VIH/sida (l'autre côté du document). Elle fait aussi le point sur les questions de santé en prison : ce à quoi on a droit, la prévention en matière d'injection de drogues, etc. Un lexique permet de comprendre qui fait quoi en matière de santé et d'insertion en prison. Cette brochure est diffusée en prisons par les Unités de consultation et de soins ambulatoires. Elle est téléchargeable sur : www.aides.org elle leur enseigne que le partage de ces objets peut être un moyen de transmettre l’hépatite C et leur donne des trucs pour les garder et les cacher. Ce n’est donc pas au niveau des soins que le bât blesse, mais bien à l’accès au matériel pouvant limiter la propagation de ces infections. Sachant qu’il est facile de transmettre l’hépatite C par l’utilisation d’objets sanitaires du quotidien, il est difficile de comprendre pourquoi les détenus n’ont pas accès facilement à ces produits. De plus, les seringues stériles, le matériel stérile pour le tatouage et l’eau de Javel pour désinfecter ne sont pas accessibles. Seuls les condoms sont distribués, et pas par la prison, mais bien par l’équipe ITSS-CLSC. Quant à la méthadone, elle est accessible seulement aux personnes ayant entrepris leur traitement avant l’incarcération. Il est impossible de commencer un traitement à l’intérieur des murs. Dans les prisons où Julie et ses collègues interviennent, les personnes ont accès à des soins et des services appropriés. Louise Provost, directrice générale de l’or- ganisme Sidaction Trois-Rivières précise que les prisonniers du Centre pénitencier provincial de Trois-Rivières ont accès aux mêmes services. Elle considère même, étant donné que l'association ne reçoit plus de plaintes, que l’accès aux soins a dû s’améliorer. Cependant, elle rapporte que les détenus semblent avoir de la difficulté à obtenir certains calmants. D'autres ont rapporté ne pas avoir reçu les soins d’urgence dont ils avaient besoin. Devant les similarités des soins offerts en en Mauricie et à Montréal, peut-on dire qu’il en est de même dans l’ensemble du milieu carcéral québécois ? Le programme national de santé publique 2003-2012, dans sa version 2008, stipule que “les services et les activités jugés efficaces en matière d’ITSS [IST] doivent être réalisés dans les milieux de vie des populations à risque les plus exposées : ... mais aussi les centres de détention.” Ce qui laisse entendre que les soins de santé et de soutien psychologique pour les personnes vivant avec le VIH ou le VHC ainsi que le dépistage sont des services généralisés à l’ensemble du réseau correctionnel québécois. Ce qui malheureusement n’a pu être confirmé. Les différences notées découlent probablement des diverses considérations à l’égard des droits des détenus. Cependant, ce même réseau n’est toujours pas chaud à l’idée de favoriser l’accès au matériel d’injection stérile en milieu carcéral tel que le rapporte le programme : “Bien que l’impact de ce type d’intervention soit reconnu, les conditions nécessaires à son implantation ne sont toujours pas présentes. Pour ce faire, la poursuite des discussions avec le réseau de la sécurité publique est donc de mise.” René Légaré Remaides Québec proposera dans un de ses prochains numéros un dossier sur l'accès aux soins dans les prisons gérées par l’administration fédérale. Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:41 Page 42 42 “Je suis en prison pour avoir dealé et je l’assume complètement. Pour consommer, il me fallait de l’argent et pour ça j’aurais dû : soit me prostituer, soit voler, soit dealer. Comme je ne veux pas me prostituer, que j’ai très peur de voler alors c’est dealer. En 2007, j’ai été jugée pour trafic de stupéfiants et j’ai eu quinze mois de prison, avec l’année dernière, la conditionnelle.” Anna : “Je ne me sens pas prête à arrêter à l’extérieur” voir d’un coup tous ces interdits, cela a été la pire année de ma vie de toxicomane et je n’ai jamais autant consommé que cette année-là. La conditionnelle, cela ne m’a pas aidée. J’ai même eu l’impression de revenir à l’adolescence, avec ma mère à me dire fait pas ci… En prison, j'ai l'impression que l'on me prend moins au sérieux parce que je suis toxicomane. Quand je suis arrivée, j'ai dû demander quatre fois pour aller au Centre hospitalier universitaire du canton de Vaud pour savoir où en était mon hépatite. En 2007, quand je suis arrivée pour mes quinze mois, cela faisait un mois que j’avais appris ma maladie et je ne savais rien sur mon état de santé. J’ai réussi à faire ces examens et on m'a dit que je n‘avais pas besoin du traitement par Interféron pour le moment. Je pense qu’au niveau du traitement, ils n'entreprennent rien. Ils attendent que je finisse ma peine et on verra à l'extérieur (…) Dans la prison, je sais qu'il y a deux ou trois femmes qui ont une hépatite et autant qui sont séropositives, mais elles n'en parlent pas. Je pense qu'elles ont peur d'être jugées. Déjà le fait d'être en traitement méthadone, ça fait que l'on est classée comme toxicomane, donc comme personne qui n'est pas de confiance, menteuse, voleuse… Et ça, ça peut être dur. Je pense que si on faisait des réunions avec les autres détenues pour leur expliquer les risques qu’il y a ou qu’il n’y a pas, cela nous permettrait, à nous, d’expliquer aux autres filles ce qu’est l’hépatite C, le VIH ou la toxicomanie. Après cela, elles comprendraient mieux, cela se passerait mieux (…) A l'extérieur je consommais beaucoup, de la cocaïne tous les jours, de l'héroïne tous les jours. J’essaie maintenant de baisser mon traitement méthadone car la semaine avant d'arriver ici j'ai eu un peu peur de ne plus rien avoir. J'ai augmenté la méthadone de 12cc. A l’extérieur, j’allais la chercher tout les deux jours, et ma dose du soir je l’emportais. Cela me permettait de la vendre pour le lendemain pour ma consommation d’héroïne. Comme je savais qu’en prison ce serait fini, j’avais peur que ma A prescription ne suffise pas alors j’ai décidé d’augmenter avant. Pour moi, il valait mieux assurer, plutôt que d’être pas bien moralement et pas bien physiquement. Pour le baisser, c’est avec le psychiatre que l’on voit ça, et quand le moral va, il accepte, et j’ai déjà 2cc en moins. Ici, je fais une pause, même si j’ai de bonnes raisons pour arrêter, je ne me sens pas prête à arrêter à l’extérieur. Mais je sais qu’il faut que je fasse attention à ma consommation à la sortie car il y a beaucoup d’overdoses une fois dehors.” Anna Des drogues en prisons... en France Il est absurde d'avancer qu'il n'y a pas de drogues en prisons pour justifier, entre autres, le refus de programmes d'accès au matériel stérile d'injection. Ça ne fait peut être pas plaisir à l'administration pénitentiaire française, mais la consommation de produits existe bel et bien en prisons. Les autorités le reconnaissent d'ailleurs officiellement. Dans le Rapport de la Mission Santé-Justice de 2000 de la Direction générale de la santé et de l'Administration pénitentiaire, on peut lire : “L'ensemble des produits fumés, sniffés, injectés ou avalés avant l'incarcération restent consommés dans des proportions moindres pendant l'incarcération (…) Selon les études, entre 20 et 43 % des utilisateurs de drogues par voie intraveineuse interrogés déclarent s'être injecté un/ou des produits au cours de leur vie alors qu'ils étaient incarcérés (…) Des pratiques de partage de matériel existent. Les seringues sont également réutilisées1.” (1) Rapport de la Mission Santé-Justice sur la réduction des risques de transmission du VIH et des hépatites virales en milieu carcéral, décembre 2000. Rem72-FranceEtGingembre-090812.qxp:Rem2008 19/08/09 10:41 Page 43 43 Florian Hübner est directeur de la prison de la Tuilière sur le canton de Vaud en Suisse depuis 2006. Cet établissement accueille des personnes détenues dans deux secteurs pour les détenues femmes en exécution de peine et en détention avant jugement et un secteur pour hommes en détention avant jugement. Il a accepté de répondre aux questions de Remaides sur l'accès aux soins en prison. Florian Hübner : “Un sujet éminemment sensible” L’échange de seringues en milieu carcéral est une pratique peu répandue. Qu’en pensez-vous en tant que directeur d’établissement ? L’échange de seringues n’existe, officiellement, quasiment nulle part dans les prisons suisses. C’est un sujet éminemment sensible, parce que politiquement, dans les médias et pour l’opinion publique, tout ce qui touche à la toxicodépendance est à distinguer des autres problèmes médicaux. De plus, nous sommes toujours confrontés au paradoxe qui voudrait que des personnes qui sont incarcérées pour trafic, consommation ou actes liés à la consommation ou au trafic de drogues puissent continuer à consommer durant leur détention, en ayant accès à des seringues neuves. Le personnel de surveillance a parfois de la peine à comprendre qu’on puisse laisser ces détenus “pratiquer ces délits” en milieu carcéral, malgré le cadre légal. Cela dit, je peux comprendre qu’on me demande de distribuer des seringues à des détenus dans une perspective de réduction des risques, car je me dois d’éviter une détérioration de leur état de santé. Mais je vois, néanmoins, une limite à cela. Aux détenus qui me parlent de leur consommation, je dis toujours que ça leur appartient, que c’est leur problème, mais que nous les aiderons s’ils souhaitent arrêter, à gérer différemment leur consommation. Là où je ne suis pas d’accord, c’est quand la personne qui ne consomme pas est contrainte à assister à l’injection ou invitée à consommer parce qu’elle partage sa cellule avec un détenu toxicodépendant. Il faut être extrêmement vigilant là-dessus. Le fait de s’injecter de la drogue devant un co-détenu non-consommateur, c’est d’une violence insupportable. C'est aussi une question de prévention. A ce propos, trouveriez-vous pertinent de créer des salles d’injection en milieu carcéral ? Cela poserait des problèmes pour des détenus qui s’injectent des drogues plusieurs fois par jour, notamment en termes de gestion des déplacements. Cela dit, on pourrait imaginer que l’on installe des distributeurs de seringues dans les couloirs comme à Hindelbank [une prison suisse pilote en matière de prévention], afin de privilégier une certaine autonomie des détenus toxicodépendants, tout en avertissant le personnel surveillant pour qu’il sache qu’il peut tomber sur des seringues usagées lors de la fouille des cellules. Il existe aussi l'expérience des programmes d'héroïne médicalisée dans les prisons Oberschöngrün à Soleure et Realtà dans les Grisons. Dans la réalité, et pour autant qu'on puisse le dire avec certitude, on observe que le mode de consommation par voie intraveineuse semble relativement peu courant en milieu carcéral, au profit d'autres formes de consommation. Plutôt que d'ouvrir une salle d'injection, c'est une approche globale des dépendances qu'il faut privilégier. Propos recueillis par Nicolas Charpentier Interview en version intégrale sur : www.seronet.info