TC_24AoutPPlight - La Mousson d`été
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tC Temporairement Contemporain Le journal de la Mousson d’été n°4 24 août 2 015 FAITS-DIVERS À la Mousson il n'y a pas que des lectures que l'on peut voir et entendre. Voici quelques instants volés dont je vous laisse identifier les personnages. - Une auteure étendue sur la pelouse de 20h44 à 20h45. Seule, dans le silence, occupée à puiser son énergie dans le sol et dans le ciel avant de repartir écouter les lectures du soir. - Une cigogne sur un rebord étroit de l’abbaye, immobile comme une gargouille veillant froidement sur la Mousson. - Une agrafeuse transformée en ouvre-bouteille salutaire d’un apéritif tout autant salutaire. - Des larmes chaudes. - Un chien dans un sac à main, presque aussi célèbre que sa maîtresse. - Du temps à tuer en jouant aux boules, ça ne reproduira pas de sitôt. - Un auteur refoulé à l'aéroport par une compagnie aérienne sceptique devant son passeport bien prolongé mais malgré tout toujours syrien. - Une discussion imagée sur les effets intestinaux des repas collectifs. - Une distribution inédite de trombinoscopes de l'équipe permettant (outre son utilité évidente dont on saluera au passage les très futés initiateurs) d'imager les potins quotidiens et de commenter c'lui qui est sexy c'lui qui vraiment se ressemble pas etcaetera, très très utile. - Un auteur achetant son propre texte en librairie - Une flopée de petits yeux au petit déjeuner - Un dialogue a trois langues - La pluie après le beau temps et le retour des pantalons. -U ne insomnie devant énergie 12. Une insomnie devant mirabelle télé. Une insomnie tout court alors qu'on pourrait être en train de danser sur la musique qui peut-être, après tout, pourrait faire partie de ce qui nous empêche de dormir ? Une insomnie à regretter d'avoir voulu se coucher tôt. - L e set du DJ Interrompu inopinément par un toast au départ d'un serveur de Bonaventure. Émotion sur la piste de danse. Embrassades. Et DJ désappointé. -D u champagne reçu pile sur les nichons. Deux auréoles haute couture pour finir une journée à PAM en beauté. Charlotte Lagrange Rédaction : Aziyadé Baudouin-Talec, Laura Elias, Olivier Goetz, Charlotte Lagrange Mise en page : Florent Wacker MALEDETTA MAFIA ! Entretien avec Roberto Scarpetti VIVA L'ITALIA DE ROBERTO SCARPETTI (ITALIE), TEXTE FRANÇAIS OLIVIER FAVIER DIRECTION VÉRONIQUE BELLEGARDE de très différent d'eux. Quand on comprend émotionnellement la vie des autres et pas seulement les faits, on se laisse toucher. Les faits sont très importants car c'est le centre de l'action, mais je change de dimension, je me situe à un niveau plus intime ; je décris comment ces personnes réelles vivent pour faire fonctionner l'identification avec les victimes mais aussi avec l'assassin. J'invente ce que ces personnes réelles ont pensé donc cela devient évidemment une Roberto Scarpetti. Parce que je pense que c'est intéressant de histoire fictionnelle. se confronter à ce qui arrive autour de nous. Viva l'Italia se passe dans les années 70, mais d'une certaine manière cela concerne Pourquoi as-tu choisi ce sujet ? C'est une histoire connue en Italie ? l'Italie actuelle. Massimo Carminati (cf. image), suspecté d'avoir Oui, c'est une histoire connue surtout à Milan. Je ne savais rien à tué Fausto et Iaio, est réapparu dans l'actualité en 2014 car il est propos de Fausto et Iaio avant 2005. J'ai été immédiatement touché au centre d'un scandale de corruption lié à la Mairie de Rome. Il a par cette histoire. Quelque chose d'indéfinissable est apparu à mon été reconnu comme étant le chef de l'organisation criminelle Mafia esprit. J'ai tout de suite su que je voulais écrire quelque chose sur Capitale. Quand j'ai écrit cette pièce, en 2010, personne ne savait ce eux mais je ne savais toujours pas pourquoi et cela m'a pris un qui était en train de se passer concernant la Mafia Capitale. Pour moi certain temps pour comprendre et analyser pourquoi j'avais été si il est toujours intéressant de poser un regard nouveau sur ce qui se ému par ce double meurtre. J'ai réalisé ensuite que j'étais troublé passe réellement et qui n'est pas dit dans les médias. Les profonds car cela révélait la fin d'une époque. Il m'est apparu que leur mort bouleversements que vit notre société sont traumatisants et c'est représentait, en un sens, la fin des années 70, la fin d'une époque ça qui me pousse à écrire. Il n'y a pas de vérité, il y a la façon d'espérance et d'engagement, la fin d'une époque de transformation. dont on dit les choses, le point de vue. J'utilise des faits réels et Les années 70 en Italie ont bien sûr été violentes mais, en même je construis des personnages en regard de ce qui a eu lieu, donc, temps, ces années ont vu de nombreuses personnes s'engager et se il s'agit vraiment d'une fiction. Il faut que je sois profondément battre pour une nouvelle société, pour un vrai changement en Italie. À touché par l'histoire dont je parle, sinon je ne peux pas écrire. Je partir de la fin des années 70, le monde a brusquement changé et tout voudrais inviter le public à s'identifier aux personnages réels. Il a été catalysé par la culture télévisuelle déclenchée par l'arrivée au s'agit de travailler sur l'identification car je pense que la seule pouvoir de Silvio Berlusconi. Je souhaitais aussi raconter une histoire manière de changer le point de vue sur des faits historiques, qui se situait dans les années 70, en faisant face aux problèmes très sociaux ou politiques, c'est en poussant à s'identifier à quelqu'un complexes que posait la politique italienne de cette époque mais à Aziyadé Baudouin-Talec. Vous êtes d'abord scénariste pour le cinéma et la télévision, Viva l'Italia, pièce écrite en 2010, est votre première pièce de théâtre, vous avez ensuite écrit Roma/ Est en 2014. Roma/Est et Viva l'Italia sont basés sur des faits réels et plus particulièrement dans Viva l'Italia, l'assassinat de deux jeunes hommes à Milan en 1978. Pourquoi avez-vous choisi de parler de faits réels, sociaux, historiques ? 2 partir de la vraie vie de deux jeunes garçons comme tout le monde, tout en essayant de comprendre comment était la vie de personnes normales de ce temps-là. Penses-tu que Fausto et Iaio ont été tué pour effrayer la population ou penses-tu qu’il existait de réelles raisons politiques de les tuer ? Je ne sais pas. Il n'y a pas eu de procès pour le meurtre de Fausto et d'Iaio et le cas judiciaire a été clôturé dans les années 2000 parce que les enquêteurs n'ont pas réuni suffisamment de preuves pour condamner les trois suspects. Mais il y a évidemment beaucoup de mystère autour de ce meurtre et je pense que cela est lié à cette époque-là, sachant que le double meurtre a eu lieu deux jours après l'enlèvement d'Aldo Moro et que Fausto vivait en face de la cachette des Brigades Rouges à Milan, une cachette existant au moment du kidnapping de Moro et qui avait été mise sous surveillance par les services secrets. En même temps, je pense aussi que le double meurtre a effrayé la population. Ce qui a été compris par l'opinion publique, c'est que tout le monde aurait pu mourir de cette façon. Ce n'était pas seulement les activistes qui étaient en danger. La violence et la tension sociale se répandaient à tous les niveaux. À cette époque, à Rome comme à Milan, tu pouvais être tué seulement à cause de la manière dont tu étais habillé... Pourquoi as-tu choisi d'écrire cette histoire au travers de monologues entrelacés ? J'ai seulement pensé que chaque personnage avait sa propre vérité à propos de ce meurtre. C'est une réalité changeante influencée par la manière dont ils sont émotionnellement ou idéologiquement impliqués dans cette histoire. Donc, il y a plusieurs vérités concernant la mort de Fausto et Iaio, elles sont toutes aussi importantes pour moi et l'utilisation des monologues m'a donné la possibilité de raconter cette histoire en utilisant tous les points de vue sans être forcé de choisir celui du narrateur extérieur à l'histoire. Comment as-tu imaginé la mise en scène, car tu as écrit peu d'indications scéniques ? Je pense que dans cette pièce les actions des personnages ou les indications scéniques font partie des monologues. Les personnages ne décrivent pas seulement les sentiments mais aussi ce qui a lieu sur scène, donc il y a une description de l'action même sans les indications scéniques. Et cela m'importe peu si le metteur en scène choisit de couper la description des actions dans les monologues et choisit de réaliser les actions sur scène ou s'il décide de garder toutes les actions scéniques et leurs descriptions dans les monologues. Propos recueillis par Aziyadé Baudouin-Talec LE PLUS GRAND TRAVELLING DE L’HISTOIRE DU THÉÂTRE JUSTE AVANT QUE TU OUVRES LES YEUX PAR LA KTHA COMPAGNIE Il est des spectacles qui changent radicalement votre vision du monde. Celui de la ktha compagnie, Juste avant que tu ouvres les yeux, fait partie de ceux-là ; ne serait-ce que parce qu’il offre, à la faveur d’un dispositif innovant, une « représentation » où se mêlent intimement réalité et fiction. Installé sur des gradins montés sur la plate-forme d’un camion lancé à 3,5 km/h, le public a tout loisir de détailler, par l’ouverture de fond qui cadre un long travelling, une véritable scène mouvante, au sein de laquelle trois personnages en combinaisons de sécurité phosphorescente (sécurité oblige) racontent ce qui se passe dans la tête de quelqu’un qui entend sonner son réveil. Sourire aux lèvres et geste sûr, ils interprètent un petit ballet parfaitement huilé. Manifestée à travers de tout petits signes, l’évidente complicité entre les comédiens ne laisse pas d’être légèrement inquiétante (on pense aux Hubots de la série Real Humans). Ne se départissant jamais de leur calme souverain, ils avancent d’un pas vif sur l’asphalte, gérant simultanément la circulation des voitures (dérangées dans leurs habitudes) et l’impatiente avidité des spectateurs en mal d’émotions théâtrales. Comme disait le grand Klaus Michaël Grüber, « l’émotion, c’est le cadre ». Il est étonnant de constater la force de ce découpage de l’espace en images-mouvements. Tout est amplifié : qualités ou défauts de l’urbanisme, beauté ou laideur des architectures, banalité ou pittoresque des boutiques. Tout prend de l’importance : largeur ou étroitesse des chaussées, fluidité ou ralentissement de la circulation, infimes variation climatiques. Cependant, ce « cadre » est aussi réflexif. Le théâtre devient un miroir que l’on promène le long des chemins... Tout objet qui y pénètre devient, sur le coup, un personnage ; le spectateur lui-même se retrouve immédiatement piégé et il arrive cette chose inattendue que ce soit lui qu’on salue ou qu’on photographie au détour d’une rue. Confusion des rôles ; les codes de la représentation sont mis sens dessus-dessous. « C’est le regardeur qui fait le tableau », disait Marcel Duchamp. C’est le spectateur qui fait le théâtre, nous dit la ktha compagine. O.G. 3 LIRE L'IMPLICITE DU SEXE LES CONFÉRENCES DE L’UNIVERSITÉ D’ÉTÉ NATHALIE FILLON : « ÉCRITURES CONTEMPORAINES – UN PARCOURS DE FEMME » (COMPTE-RENDU) « Je n’aurais pas pu faire cette intervention il y a dix ans. Être invité en tant que femme m’aurait semblé une offense. On m’avait dit une fois, et j’avais pris cela pour un compliment : “toi, tu n’as pas une écriture de femme”. Devant une telle phrase, aujourd’hui, j’interrogerais l’implicite de la phrase qui sous-entend : je n’aime pas les écritures de femme. Pour le sexe aussi, il faut lire l’implicite. » Nathalie Fillon commence sa conférence en exposant un dilemme. Traiter de l’articulation entre le fait d’écrire et le fait d’être femme suppose des généralisations auxquelles elle a du mal à se résoudre. De même que les écritures sont diverses, chaque femme est différente. Le générique qui pose problème. De toute façon, la conférencière préfère les questions aux réponses : à partir de quand décerne-t-on à une œuvre le label d’universalité ? Et, d’ailleurs, l’universel existe-t-il ? Pour une française universaliste, la réponse est oui, évidemment, mais, dans d’autres sociétés, la question reste ouverte... La bonne formulation, sur laquelle elle reviendra longuement au cours de son intervention, est précisément celle-ci : « Pourquoi l’universel ne serait-il que masculin ? » C’est là qu’intervient la lecture, décisive dans le parcours de la femme de théâtre, de Virginia Woolf (Une chambre à soi, qu’elle recommande chaleureusement au public) : « Elle m’a rattachée à une histoire, notamment sur la notion de découragement. » Non seulement les femmes ne sont pas traitées comme les hommes (surtout lorsqu’on s’élève dans la pyramide sociale) mais leur exclusion est particulièrement frappante dans le domaine théâtral. En tant qu’auteures, bien sûr, mais même en tant que personnages. Il faut se rendre compte que, pendant des siècles, tous les rôles de femmes ont été écrits par des hommes. Pour prendre la mesure de cette aberration, il suffit d’imaginer la situation contraire, penser à la stupeur que susciteraient 20 siècles d’écriture féminine où tous les personnages masculins seraient le fait des hommes ! Mais, pour les hommes, on ne se pose pas la question... En France (il en va sans doute autrement au Québec ou en Finlande, comme le montreront les interventions du public après la conférence), depuis 1929 (année de publication du roman de Woolf), les choses commencent à peine à évoluer. Historiquement, il y a beaucoup plus de femmes romancières que de femmes dramaturges, sans doute parce que les femmes sont envahies par le quotidien, et 4 que le théâtre demande peut-être plus de concentration que le roman. Par ailleurs, le théâtre, comme la poésie, est un art archaïque tandis que le roman est une forme moderne. « Après avoir lu Woolf, je me suis dit que je ne pouvais plus écrire comme avant. En jouant avec les références, les archétypes (qu’il ne faut pas confondre avec les stéréotypes), ma liberté s’exprimait à l’intérieur d’un cadre ; je jouais avec des lectures essentiellement masculines : Michel Vinaver, Botho Strauss, Peter Handke, Heiner Müller... Je ne connaissais pas Elfriede Jelinek, par exemple... » Or, écrire pour le théâtre, c’est occuper un espace politique, c’est écrire pour la cité. Nathalie Fillon pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles il y a, encore aujourd’hui, autant de résistances. Alors que le roman s’adresse intimement au lecteur le théâtre propose une expérience politique, collective. Le théâtre a le pouvoir de modifier la subjectivité du spectateur par la présence des autres. Mais il y a, bien sûr, d’autres formes d’exclusion. Dans sa carrière artistique Nathalie Fillon observe que, si elle a été soutenue par les institutions en tant qu’écrivain, elle a senti faiblir les soutiens dès lors qu’il s’est agi de s’affirmer comme metteuse en scène. À compétences égales, le traitement d’un homme et d’une femme n’est donc toujours pas le même. Cette prise de conscience l’a précipitée dans ce qu’elle appelle une « période victimaire », au point que « j’ai perdu mon sens de l’humour », dit-elle, non sans humour. L’oratrice rappelle également que Marguerite Duras, lorsqu’elle a été sollicitée par Jean-Louis Barrault pour adapter au théâtre Des journées entières dans les arbres, a pu faire ce constat incroyable : « depuis 1900, on n’a pas joué une seule pièce de femme dans les théâtres français » ! La critique de l’époque, évidemment, s’est bien gardée de souligner ce fait... « Moi-même, qui ai une vie de femme d’aujourd’hui, qui n’ai pas d’enfants, etc. pourquoi dans mes pièces, lorsque je voulais placer une figure d’écrivain, pas une seconde l’idée ne m’a effleurée que ça pouvait être une femme ? C’est que mon imaginaire était colonisé (la lecture de Frantz Fanon a été également décisive). Par ma culture, j’avais beaucoup plus de représentations d’hommes que de femmes. Il fallait donc décoloniser l’imaginaire, faire des tris. Certaines pièces d’Edward Bond, par exemple, ne s’adressent pas à moi. J’adore Brecht, mais les rôles de femmes, ça ne va pas... Cependant, l’acte de décolonisation n’est pas un acte de destruction. C’est un dégagement. Sans renier les auteurs (masculins) que j’aime, je me demande comment construire quelque chose de nouveau ? » C’est de ce tournant décisif que Nathalie Fillon entreprend de rendre compte. « L’écriture est traversée par des tas de choses, l’art est-il un espace qui échappe au sexe (genre) ? La question de la place des femmes dans le milieu théâtral ne me concerne pas individuellement, elle se rattache à un groupe, ce qui me place, pour y répondre, dans une position inconfortable. En fait, il n’y a pas de réponse, mais la question mérite d’être travaillée et c’est l’écriture qui conditionne la réponse. Un regard féminin apporté au théâtre ? Je réponds par le désir. » Lorsqu’elle reçut, en 2008, une commande de la Comédie-Française, Nathalie Fillon a vu une opportunité d’écrire quelque chose pour des femmes formidables, les actrices un peu âgées du Français. Lors de la lecture qui a été faite de sa pièce, elle était très heureuse et la lecture a rencontré un véritable succès mais quelle ne fut sa surprise en constatant que le rôle de Madeleine, un rôle complexe et qui avait nécessité de sa part un « arrachement » (« les personnages d’hommes sont faciles à écrire ; quand je m’attaquais aux personnages féminins, la première chose qui me venait, c’était leurs limites, par rapport aux hommes »), Madeleine, donc, avait été distribuée à... un acteur homme ! Comme si les femmes, passé un certain âge, n’étaient plus des femmes... À l’Ouest marque un tournant dans l’écriture de Nathalie Fillon, C’est la première fois qu’elle a décidé d’écrire une pièce avec autant de rôles de femmes que de rôles d’hommes. Elle a volontairement décidé de donner la parole à des femmes qu’elle a connues, des femmes âgées mais qui n’ont pas l’air de l’être. Nous sommes dans la préhistoire d’un théâtre « féminin », nous dit Nathalie Fillon, qui saisit l’occasion de citer quelques auteures qu’elle a découvertes avec bonheur au cours de ces dernières années : Nicoleta Esinencu, Penelope Skinner, Caryl Churchill, Sara Stridsberg, Marion Aubert... Les femmes auteures sont donc au tout début de quelque chose. Et le petit siècle qui nous sépare de Virginia Woolf n’est rien en regard de l’histoire du théâtre. Aujourd’hui, les femmes ont le droit d’être là, et elles sont là. « L’écriture a-t-elle un sexe ? Y a-t-il une écriture féminine ? Aujourd’hui, ces questions ne m’intéressent plus. Elle ne nous font pas avancer. Aujourd’hui les femmes écrivent. On pourrait penser que ce n’est pas un sujet, mais ne pas s’en saisir comme sujet, ne pas parler de ça, c’est ajouter du silence au silence. » O.G. Dans le cadre du Temporairement Contemporain, il ne peut s’agir que d’un aperçu parcellaire et subjectif de cette conférence dont Jean-Pierre Ryngaert nous promet, en fin de séance, que le texte intégral en paraîtra dans Les Cahiers de la Mousson, publication à venir, très prochainement. 5 la guerre, après la réunification de l’Allemagne et la chute du communisme, que reste-t-il ? À l’échelle des consciences et des générations, qu’est ce qui se transmet, qu’est ce qui se vénère encore et qu’est ce qui se rejette frontalement ? Rachel est soumise à toutes ces questions, mais elle ne peut y répondre sans verser dans le passéisme de sa grand-mère ou le déni de sa mère. Comment se construit-elle au milieu de ces deux pôles en tension, de ces deux femmes aux personnalités bien trempées ? Faire cesser dans sa tête ces deux langues maternelles, s’affirmer, trouver sa propre langue. Mais à qui parler lorsque tout mot prononcé déclenche une guerre civile ? D’abord, elle essaie de survivre en s’intéressant aux deux partis : elle cherche à apprendre le yiddish, la cuisine casher et elle écoute aussi sa mère lui raconter ses histoires de cœur. Mais la situation reste intenable, les deux femmes sont sans cesse « au bord de la crise de nerfs » . Alors, la fuite, la fuite aux États-Unis pour recommencer une nouvelle vie, se construire sa propre identité au pays du « self-made man », rencontrer les « lipstick lesbian » et manger des bagels. Pourtant, elle se rend vite compte que ce n’est pas la solution et que son passé ne cesse de la hanter. Et c’est là qu’interviennent sûrement les passages les plus émouvants de la pièce... Rachel, pour combler ce vide identitaire, parle à son frère... Son frère jumeau, Davie, parti dans un kibboutz en Israël. C’est à lui qu’elle parle pour essayer de comprendre. Comprendre comment il a pu croire qu’il allait faire le bien, comment il a pu réussir, lui, à se trouver un but. Ces appels à l’aide laissés sans réponse traduisent toute la détresse de cette jeune femme qui ne sait pas à qui ni à quoi accorder sa foi. MUTTERSPRACHE MAMELOSCHN (MAMELOSCHN, LANGUE MATERNELLE) « RACHEL : Parfois j’ai des fantasmes dans lesquels avec SCHMUSEN SIGNIFIE « COMBLER LE VIDE. »... DE MARIANNA SALZMANN (ALLEMAGNE) TEXTE FRANÇAIS DE CHARLOTTE BOMY DIRECTION LAURENT VACHER une bombe accrochée au ventre je trouve ce kibboutz où tu t’es planqué, et je nous envoie tous les deux au ciel, où nous pourrons nous féliciter jusqu’à la fin des temps de notre engagement pour la paix dans le monde. » Le titre est évocateur. Poser la question de la langue maternelle, c’est revenir aux origines. C’est ce que fait Rachel, prise en étau Errant dans New-York, elle cherche désespérément des réponses entre sa grand-mère, Lin, rescapée des camps de concentration qui ne viennent pas, comme dans cette scène qu’elle nous raconte : et communiste chevronnée, et Clara, sa mère, qui refuse toute la « RACHEL : Je suis entrée dans l’église. Je voulais trouver culture transmise par Lin et se revendique simplement allemande. quelqu’un qui me dise comment je peux aider. Comment je peux Elle déteste les Juifs, elle en veut à sa mère d’avoir consacré sa faire quelque chose. J’ai cherché un prêtre ou un pasteur ou un vie au Parti, d’avoir fait d’elle sa « petite mascotte personnelle du de ces jeunes garçons, là, je sais pas comment on les appelle, j’en socialisme », d’avoir préféré se consacrer à sa vie plutôt qu’à « des ai trouvé un et je lui ai demandé si je pouvais faire quelque chose. projets aussi petits-bourgeois que la famille ». Entre une grandFaire quelque chose qui ait du sens dans ma vie. En dehors de mère qui passe ses journées à ressasser ses souvenirs et à écouter prier. Je ne veux pas prier. Il m’a regardé, s’est retourné et il est ses bandes radiophoniques et une mère qui nie tout passé, toute parti. Je lui ai couru après. Je voudrais faire quelque chose pour le appartenance à sa culture d’origine, Rachel est perdue. L’ambiance monde, auriez-vous besoin de moi ? de la maison où vivent les trois femmes est électrique. Toutes les Il m’a demandé de partir mais je n’ai pas cédé, il a haussé la voix discussions finissent en dispute. et j’ai donné un coup de pied contre un banc, ensuite ils m’ont « RACHEL Vous savez quoi ? C’est moi qui pars. Je vais à soulevée à deux et traînée hors de l’église, y’avait ma bière qui l’hôtel. Je ne tiendrai pas une heure de plus dans votre dégoulinait le long de l’allée comme si j’étais en train de pisser. » mischpoche ! J’en ai assez. ASSEZ. À la fin, aucune réponse définitive ne vient éclairer cette quête des CLARA Sais-tu vraiment ce que mischpoche veut dire ? origines, juste la voie du pardon qui s’ouvre sur fond de fête de Yom RACHEL Du Yiddish pour « groupe de gens s’inventant des Kippour... problèmes et en ayant besoin pour vivre ». Également Cette pièce, bien qu’inscrite dans un contexte bien précis, celui de l’Allemagne post Seconde guerre mondiale, interroge tous ceux qui, appelé FAMILLE. » comme Rachel, ne se sentent d’aucune appartenance particulière, Dans une famille aussi imprégnée historiquement et dans un monde où l’idéalisme politique est mort. culturellement, où se place-t-on quand on est d’un autre temps, quand le passé évoqué est plus une donnée qu’un vécu ? Après Laura Elias (Illustration Valentine Alaqui) 6 LE QUESTIONNAIRE Magali Mougel répond à nos questions de Si vous partiez sur une île déserte, J’ai longtemps réfléchi à quitter la planète. J’y pense encore. quel livre emporteriez-vous ? Sortir des écrans des radars. Brûler mon passeport. Sans me revendiquer apatride. Il n’y a pas de fierté là-dedans. Sans me revendiquer citoyenne du monde. La mondialisation façon Google s’en charge pour nous. Si je le faisais, je ferais en sorte de partir sur une île et je n’emporterais rien. Je partirais en me disant que quoiqu’il se passe, il y aura toujours quelque chose à faire, à lire. Dans les lignes des fougères. Dans les plumes de cacatoès. Dans les étoiles du ciel. De quel personnage fictif vous sentez-vous le plus proche ? Sans doute quand on lit ça, on se dit que je me prends pour Robinson Crusoé. Je n’ai pas de barbe. J’ai tenté de la laisser pousser. Ce fut un échec. Alors j’aurais une préférence pour qu’on se dise : Ah tiens ! C’est comme les bonnes femmes qui peuplent Les Guerillères de Wittig. Genre. Diane, c’est bien. Ça me plaît. Souffrez-vous d’une addiction ? Laquelle ? Si je devenais une Diane chez Wittig, je serais alors atteinte d’un symptôme que souvent ont les femmes qui peuplent ce coin du monde où j’aurais atterri : celui de la fuite. LA FUITE EN AVANT. Pour quoi faire ? Pour changer d’air, tout le temps. Pour changer de corps, en permanence. Pour faire l’expérience d’une vie de caméléon. Et quand j’en aurai marre, je mangerais quelques champignons. Pas ceux qui poussent dans les parcs à vache à côté de Pont-à-Mousson. Des autres, des non-répertoriés, car venus d’une autre contrée, celle de la fameuse île déserte. Est-ce que je pourrais alors me passer des champignons pour revoir à nouveau les choses normalement ? Ce n’est pas certain. Qu’est-ce qui vous hérisse le poil ? Après un voyage comme celui-là, il est possible que le morceau de terre sur lequel on vit tous ensemble actuellement m’apparaitrait bien emmerdant. Ou plutôt banal. Peut-être sordide et insalubre. Mais plus rien ne m’hérisserait le poil. Je reviendrais et je deviendrais insensible, immunisée, car suffisamment réhydratée intérieurement pour rire d’Orbàn qui met des gros grillages aux frontières de son pays avec la Serbie, pour rire des ententes avec Cazeneuve et May, pour rire des gens qui seront devenus des transhumains et de leur montre Google et Mac qui leur dicterait tout parce que la technologie saurait ce que tu veux avant même que tu le saches ou le demandes. À quoi aimez-vous perdre votre temps ? Alors quand j’aurais bien ri, je me mettrais assise à un cyber-bureau et j’entamerais une réécriture de Dans la Solitude dans les champs de coton et je moderniserais la pièce en remplaçant le Dealer par une montre Google-Mac, ou je partirais à la recherche de ceux qui comme moi, parce que sortis pour un temps des écrans des radars ne seraient pas encore devenus des transhumains et éplucheraient encore leurs légumes avec un Opinel, ou je m’assiérais sur un banc et je me mettrais à ne rien faire. C’est-à-dire à faire un truc que je n’arrive pas à faire pour l’heure : attendre que l’ennui vienne et en faire un compagnon de route. Pour l’heure je ne suis pas assez courageuse pour faire ça. Pour l’heure je fais des trucs pour remplir. Quoi ? Quel est le titre de la pièce que vous n’écrirez jamais ? Quoi ? Ce pourrait être un bon titre. Problème de surdité. Problème qui suit après le Que faire ? Quand la question est maintenant mais Qui va le faire ? Alors je demande : Quoi ? En quoi voudriez-vous vous réincarner ? Quoi ? Un point d’interrogation. Comme l’humain en est un. Un point d’interrogation car comme l’a joliment dit Nathalie Fillon, il vaut mieux poser des questions que de donner des réponses. Il est difficile d’arrêter de vouloir trouver des réponses à tout. Ça demande de l’effort. Être un point d’interrogation à la fin d’une phrase, est-ce qu’on peut considérer ça comme un projet de réincarnation ? Faites un vœu. Je le souhaite. 7 COIN DE TABLE LES ARTISTES PRÉSENTS À LA MOUSSON D’ÉTÉ SE PRÊTENT À CE JEU : LIVRER CHAQUE JOUR AU TEMPORAIREMENT CONTEMPORAIN UNE PHRASE OU UN COURT POÈME, MÛRIS SUR LE MOMENT, AU COIN D’UNE TABLE DE L’ABBAYE. Je vous déteste mais je vous aime vraiment. Mickael de Oliveira, auteur invité à la Mousson d’été 9h30 – 12h30 – Ateliers de l’université d’été européenne Dirigés par Joseph Danan, Nathalie Fillion, Pascale Henry, Rebekka Kricheldorf et Jean-Pierre Ryngaert 14h – Mameloschn Muttermale - SALLE SAINTE-MARIE-AUX-BOIS De Marianna Salzmann (Allemagne), texte français de Charlotte Bomy, direction Laurent Vacher En partenariat avec « Fabulamundi. Playwriting Europe » 16h - « C’est l’auteur qui décide » - SALLE LALLEMAND Avec Daniel Danis 16h – Spectacle de rue « Juste avant que tu ouvres les yeux » - DÉPART PLACE DUROC (PONT-À-MOUSSON) Un spectacle de ktha compagnie 18h – Viva L’Italia - AMPHITHÉÂTRE De Roberto Scarpetti (Italie), texte français de Olivier Favier, direction Véronique Bellegarde 19h – Spectacle de rue « Juste avant que tu ouvres les yeux » - DÉPART PLACE DUROC (PONT-À-MOUSSON) Un spectacle de ktha compagnie 20h45 – Spectacle - J’ai gravé le nom de ma grenouille dans ton foie - ESPACE MONTRICHARD De la Clinic Orgasm Society Départ du bus à 20h00 devant l’Abbaye 22h30 – Tambour, cœur du monde 3 - PARQUET DE BAL De Daniel Laloux avec la complicité de Ferdinand Bondart 23h – Les impromptus de la nuit : REBEKKA KRICHELDORF - PARQUET DE BAL Des nouvelles du monde écrites en résidence à l’Abbaye 23h30 – DJ SET - KDJ - PARQUET DE BAL La meéc – la mousson d’été est subventionnée par le Conseil Régional de Lorraine, le Ministère de la Culture et de la Communication (DRAC-Lorraine), le Conseil Départemental de Meurthe-et-Moselle, la Communauté de Communes du Bassin de Pont-à-Mousson et est organisée avec le soutien de l’Abbaye des Prémontrés et des villes de Blénod- lès-Pont-à-Mousson et de Pont-à-Mousson en partenariat avec le projet de coopération Fabulamundi – Playwriting Europe, le programme Face à face paroles d’Italie pour les scènes de France, la Maison Antoine Vitez, la SACD, le CnT, les éditions L’Arche, Télérama, France Culture, le NEST - Nord-Est Théâtre Centre Dramatique National de Thionville - Lorraine, le Théâtre Gérard Philipe de Frouard, le Centre Culturel André Malraux - Scène Nationale de Vandoeuvre, le TIL -Théâtre Ici et Là de Mancieulles, le Lycée Jacques Marquette et le Lycée Jean Hanzelet de Pont-àMousson, la librairie L’Autre Rive, le Théâtre de la Manufacture – Centre Dramatique National de Nancy - Lorraine. MPM Audiolight est le partenaire technique de la mousson d’été