jacques boyvin - Orgues
Transcription
jacques boyvin - Orgues
JACQUES BOYVIN ORGANISTE ROUENNAIS ORGANISTE FRANÇAIS (toujours pour l'orgue), avec une qualité que nous tenterons d'analyser dans le cadre de ce travail mais qui, avouons-le dès maintenant, ne pâlit aucunement devant celle des deux géants. Sur le nombre d ' organistes prestigieux restant dans 1 ' ombre aujourd'hui (il partage ce ghetto avec des gens aussi remarquables que Guilain et Louis Couperin notamment), il nous a paru tenir une place importante en raison de l'abondance de son oeuvre comme de sa fonction stratégiquement intéressante de musicien de province. L'essentiel des renseignements dont nous disposons à son sujet, aujourd'hui, se trouve dans un ouvrage paru en 1894, sous la plume de l'abbé Collette et du chanoine Bourdon, s'intitulant : Notice historique sur les orgues et les organistes de la cathédrale de Rouen (2) ; il s'agit d'un opuscule à tirage limité, épuisé depuis fort longtemps; on ne le trouve plus que dans certaines bibliothèques ou archives (Archives régionales de Haute-Normandie, Bibliothèque Nationale...) ou chez quelques particuliers : il représente pourtant le fruit d'une recherche proprement monumentale dans la collection G du fond rouennais, alliant la Parler d'un compositeur français baroque en 1991, surtout lorsqu'il s'agit, comme c'est le cas pour Jacques Boyvin, d'un organiste, relève encore de la gageure, et ce en dépit des immenses efforts accomplis depuis la fin du XIXème siècle avec le début des parutions de Guilmant et Pirro, par des générations de musicologues. Deux raisons expliquent en partie cette carence d'information précise sur les individus : d'une part les archives constituent un fond immense souvent très éparpillé; d'autre part, jusqu'à présent, l'accent a été plutôt mis sur l'oeuvre au détriment des individus. C'est un choix logique. On ne peut sensibiliser le public, y compris celui de la recherche, par des vies, si celles-ci ne sont reliées à des écrits, des sons susceptibles d'intéresser nos oreilles. Le cas Jacques Boyvin est celui d'un compositeur encore fort peu connu. Ses deux livres d ' orgue, publiés respectivement en 1690 et 1700 (1), représentent pourtant un total de 121 pièces, chiffre enviable pour l'époque, surtout si on le compare aux 42 oeuvres d'un François Couperin ou aux 43 d'un Grigny (1) Le Premier Livre paraît chez «Mr de Baussend rue Simon Le Franc». Il sera repris par Christophe Ballard en 1700, en même temps que l'impression du Second Livre et du Traité d'Accompagnement parle «seul imprimeur de la musique du Roy» (2) Notice historique sur les orgues et les organistes de la cathédrale de Rouen. Rouen, impr. Cagniard 1894. Archives départementales de Rouen, BHR 63. 5 finesse de l'observation à la persévérance du paléographe et la rigueur de l'historien; il n'y manque que l'indication des sources. Toutefois, d'après les vérifications «de visu» effectuées sur le terrain, cette lacune ne dissimule aucune erreur. De tels livres ont fondé la musicologie moderne, en toute modestie, et mériteraient une réédition, au même titre que certains écrits considérés comme plus intéressants parce que «d'époque». Toutes les publications ultérieures sur la vie rouennaise de Jacques Boyvin se réfèrent à cette étude. On en trouvera la liste dans la notice biographique, en fin de travail. Les origines parisiennes de notre rouennais d'adoption furent, elles, mises en valeur par Pierre Hardouin en deux étapes, respectivement en 1955 et 1966 (3)et (4). En ce qui concerne l'oeuvre, les références dont nous disposons au niveau discographique s'avèrent proportionnellement plus maigres encore. Nous n'avons trouvé aucune parution intégrale, ce à quoi on pouvait hélas s'attendre, mais en outre un déséquilibre flagrant semblant révéler une préférence des interprètes pour le Premier Livre. Mieux encore, en l'année 1989, comme en 1990, rien n ' a été fait à Rouen pour célébrer le tricentenaire, d'abord de la restauration par Clicquot du grand-orgue de la cathédrale (1689), ensuite de la parution à Paris du premier livre de Boyvin (janvier 1690)... Nul n ' est prophète en son pays! Nous avons évoqué le double aspect provincial et parisien de Jacques Boyvin; celui-ci termine une longue période de mouvements de Paris vers Rouen. Avec lui, l'école rouennaise va atteindre son apogée et les disciples du grand maître (à l'instar de ceux de Titelouze) vont aller rayonner dans toute l'Ile de France. LA VIE DE JACQUES BOYVIN LA JEUNESSE On doit à Pierre Hardouin d'avoir définitivement tranché la question des origines de Boyvin, et ce, en deux étapes; en 1957 (3), grâce à la mise à jour du contrat de mariage de Gabriel Boyvin, frère de Jacques, l'origine parisienne de la famille se trouve avérée de façon certaine : Est-il parent de Paul Boyvin, organiste de Sainte-Geneviève des Ardents, époux de Catherine Guyard dont naissent à Paris Nicolas (21 sept. 1627) et Marie (11 mars 1629) filleul de Gilles Fouquet l'organiste ? Ce n 'est pas encore sûr, car les Boyvin sont nombreux. Mais nous le trouvons avec certitude aux Quinze-vingts, l'hôpital des aveugles, où s'est retiré Simon Boyvin son père après avoir perdu la vue. (...) Tous deux (Jacques et Gabriel) ont appris à jouer de l'orgue, et (3) Pierre Hardouin, Quatre Parisiens d'origine : Nivers, Gigault, Jullien, Boyvin, Revue de musicologie, Juillet 1957, page 77; Bibliothèque nationale Per 36. (4) Idem, La jeunesse de Boyvin, Revue de musicologie, 1966, n°2, pages 208-10; Bibliothèque nationale Per 36. 6 / 'aîné, Jacques, est déjà titulaire de l'orgue de la cathédrale de Rouen, quand le cadet se marie, le 26 septembre 1680, avec une jeune veuve, Anne Barthélémy. Le contrat stipule, parmi les modestes avoirs du futur, 25 livres de rentes, moitié de 50 L. venant de ses parents, l'autre moitié appartenant comme de juste à Jacques Boyvin, son frère, organiste de la cathédrale de Rouen. En 1966 (5), ayant pu consulter les archives des Quinze-vingts, voici ce qu'en extrait Pierre Hardouin : Le père de Jacques et Gabriel, Simon Boyvin, fils d'un taillandier de la rue St Honoré, semble avoir été aveugle de naissance ou de la première enfance. Il fut admis à l'âge de douze ans, le 29 VI 1606, à l'infirmerie de Quinze-vingts (6). Hardouin remarque la proximité de l'hospice (on se déplace peu à l'époque), puis il évoque l'ambiance toute musicale ainsi que de bonnes moeurs, pour nous décrire la vie presque exemplaire de simplicité de Simon Boyvin. Celui-ci ne recourut que tardivement au mariage si indispensable à ces infirmes. En 1646, à 50 ans, il épouse Barbe Lezier (ou Ledain), 28 ans. Et de décrire la vie tout autant exem- plaire de la jeune femme (7). Venons en aux deux fils : L'aîné Jacques n'est pas né comme on le supposait en 1653 (8): il n'est pas majeur en 1674 puisque ses gages sont alors payés à son père, mais il ne peut avoir moins de 14 ans quand on le prend comme organiste. Il serait donc né en 1649. Le cadet Gabriel, majeur en 1680 pour se marier, l'était déjà en 1678, ce qui le fait naître peu avant 1653 (9). Ensuite, la biographie des deux frères reste liée pendant toute l'enfance avec des études communes aux Quinze-vingts. Simplement, Jacques se signale par son accession au poste d'organiste en 1663 (10). Une petite imprécision nous empêche de savoir si, à cette époque, le jeune prodige avait étudié l'orgue pendant quatre ans (son prédécesseur, Ger- (5) Idem. (6) Quinze-Vingts : 5865 (Note de Hardouin). (7) Simon Boyvin ne peut pas avoir eu douze ans en 1606 et cinquante en 1646. L'âge est donc erronné pour l'une ou l'autre date. (8) L'acte de décès porte en effet la mention : «âgé de cinquante trois ans ou environ», et date du 1er juillet 1706. Archives Départementales, Rouen, G 9848. (9) Nous n'avons trouvé nulle trace du versement des gages de Jacques Boyvin à son père. Au contraire, nous disposons de ses quittances dès 1674 (Archives Départementales, Rouen, G 2731), et à aucun moment les délibérations capitulaires ne font état du père de l'organiste. (10) Quinze-Vingts : 6262 (Note de Hardouin). 7 main Larivière, n'était pas resté plus longtemps) ou s'il avait commencé le travail avec Jacques Laudet, organiste voyant, en poste de 1630 à 1659. Les 48 livres de gages annuels, plus 48 sols pour les saluts sont versés trimestriellement, puis mensuellement, à son père. L'entretien de l'orgue est confié d'abord à Pierre Cauchois, puis à Pierre Desenclos. Ce nom ne doit pas rester à l'écart de nos investigations, puisque Desenclos restaure en 1663 l'orgue de la cathédrale de Rouen, en compagnie d'Alexandre Thierry. C 'est cet instrument que touchera Jacques Boyvin dès 1674. L'adolescence de Boyvin se poursuit à l'orgue des Quinze-vingts. Sur la formation qu'il a reçue durant les onze années suivant sa première nomination, les archives sont muettes. Pierre Hardouin évoque l'influence possible de Cambert, de Saint-Honoré, Richard de Saint-Jacques, Lebègue de Saint-Merry, peutêtre de Raquet de Notre-Dame (ce qui paraît d'autant plus possible que celui-ci prête un petit positif aux Quinze-vingts lors de la restauration de l'orgue en 1672 (11), enfin de Michel Delaguerre à la Sainte-Chapelle, où le père de Boyvin était quêteur (fonction qu'il cumulait avec le règlage de l'horloge de l'institution). En ce qui concerne le frère cadet, Gabriel, on suppose qu'il dut suivre les traces de son frère. Pourtant, lorsque Jacques Part à Rouen, ce n'est pas à lui que l'on s'adresse pour la succession : Peut-être le maître de (11) Idem : 6263 (Idem). (12) Idem : 5871 (Idem). (13) Idem : 6267 (Idem). Jacques était-il Delaguerre, car c 'est un fils de celui-ci, Marin, encore un enfant (né en 1658) qui prend la place. Il y restera à peine un an. La place est en effet mal rémunérée. Il n'est que de comparer les 48 livres et 48 sols versés à Jacques Boyvin chaque années aux 400 livres de François Couperin à saint-Gervais, auxquelles s'ajoute naturellement le casuel. Le poste d'organiste des Qinze-vingts ne saurait être valable à cette époque que pour un frère aveugle arrondissant ainsi ses fins de mois. Aussi ne compte-t-on pas moins de trois organistes en trois ans et demi entre Jacques et Gabriel Boyvin. Ce dernier entre en fonction en janvier 1678 (12) : Il restera sans s'en faire gloire (il ne le signale pas dans son acte de mariage), l'organiste des Quinze-vingts jusqu'en 1687. Il cède alors la place, on ne sait pourquoi, à Nicolas Aury (13). Il ne nous reste aucune trace connue de son activité postérieure. Avant de refermer ce «livret de famille», on nous permettra d'attirer l'attention sur le fait que le Père de Boyvin était fils de taillandier. Or, il n'est que d'ouvrir un certain nombre de livres de musique française parus durant la fin du XVIIèmc siècle ou la première moitié du XVIIIème; on y trouve régulièrement cette inscription, à l'emplacement réservé aux adresses où l'on peut se procurer l'imprimé : Chez Boyvin, à la règle d'or, rue St Honoré. Cette «règle d'or» évoque bien sûr l'un des instruments les plus importants pour un tailleur, celui qui permet le tracé des futures découpes. Elle nous révèle également que, pendant deux bons tiers de siècle, cette simple boutique fut aussi un petit centre musical, puisque, de Boyvin à Jean-Philippe Rameau, en passant par Corrette et bien d'autres, de grands noms l'ont honoré de leurs dépôts et des bénéfices s'y rapportant... che de Paris, fait de cette très grande ville un satellite culturel de la capitale. Ensuite, sa puissance financière : en pleine recession économique, le grand orgue sera toujours régulièrement visité par des facteurs et Jacques Boyvin, à partir de sa nomination, exception faite de la période de restauration, n'aura jamais à se plaindre de son instrument, ce qui à Rouen, mérite d'être souligné. Et puis le salaire (400 livres) est ajusté au niveau parisien (Couperin perçoit le même à St Gervais). Enfin, le prestige de succéder, après quelques musiciens médiocres, au virtuose incomparable, tant du clavier que de l'écriture musicale et littéraire que fut Jehan Titelouze au début du siècle permet à un organiste vraiment talentueux de s'assurer un renom dans tout le royaume. LE CONCOURS A LA CATHEDRALE DE ROUEN Pierre Hardouin écrit que Boyvin avait été recommandé par Lebègue (14). Nous n ' avons trouvé aucun élément confirmant cette information. Un poste de prestige Au XVIIème siècle, le principe de la nomination d'un organiste sur concours est déjà une tradition ancienne. A la cathédrale de Rouen, le plus illustre devancier de Jacques Boyvin, Jehan Titelouze, n'avait été nommé qu ' après s ' être affranchi de ce qui, pour lui, ne dut sembler qu'une formalité. Il est vrai qu'un poste aussi prestigieux ne pouvait être offert à n'importe qui. Un conflit sous-jacent ? Le seul adversaire que semble avoir rencontré le jeune homme est un nommé Mareschal. Voici ce que Fétis dit de celui-ci (15): Boyvin (Jacques), organiste de l'église cathédrale de Rouen, obtint cette position en 1674, après un concours où il trouva un rival redoutable dans un organiste nommé Maréchal. Voici également, de la même époque, les allusions qu'en fait Jules Cariez dans sa notice D'abord, la situation géographique pro- (14) In Connaissance de l'Orgue n° 43-44. Le Grand orgue de la cathédrale de Rouen, page 33,1982. Archives Départementales de Rouen : BHR 406/10. (15) Fétis, Biographie des Musiciens : vol.2 (Boi.Der), page 50. Bibliothèque de Rouen i 3150 (c). 9 sur quelques musiciens Rouennais (16) : Deux concurrents se distinguèrent surtout dans cette lutte: un nommé Maréchal, organiste très habile, et un artiste du nom de Jacques Boyvin. Ils firent d'abord assaut de virtuosité sur l'orgue, dont chacun d'eux aspirait à devenir titulaire, après quoi le jury s'étant transporté dans la bibliothèque du chapitre, les concurrents se donnèrent réciproquement un sujet de fugue à traiter, sans le secours d'aucun instrument. sieurs organistes de la même famille comptaient encore parmi les musiciens renommés de Rouen. Nous lisons en effet dans Le confiteor de l'infidèle voyageur, par feu Georges Martin, publié en cette année : Il y a encore de sçavants organistes messieurs les mareschaux, Le Grain, Yart, Roussel, Boisvin, Minorville, Noël, L'Enfant, etc... On remarquera le pluriel les Mareschaux qui confirme l'hypothèse d'une généalogie. En tout cas, le chapitre ne sut départager le 20 Juillet 1674 (18), lequel des deux candidats avait le plus brillé. Nous ne relèverons pas ici les nombreuses fautes ou imprécisions de ces deux textes aux évidentes qualités littéraires. Qu'il nous Comme si cela ne suffisait pas à nous soit toutefois permis de douter de la réelle valeur de ce Maréchal qui ne nous a laissé surprendre, ce même chapitre décide huit jours plus tard de faire composer les candidats, aucune pièce d'orgue. ce qui était fréquent, bien que l'on associât en Par ailleurs, il paraît probable qu'il ait général les deux épreuves à une même date. Ce appartenu à une dynastie de musiciens rouen- sont des parisiens qui jugeront les composinais des XVIIè-XVIIIème siècles. Pirro en cite tions: Pierre Robert, Henry Dumont et Barré. pour sa part plusieurs (17): En 1645 un Une question se pose: Pourquoi va t-on cherMares-chal s'était déjà présenté à l'orgue de cher des musiciens certes de renom, à Paris la cathédrale, après la mort de Jacques alors que Rouen en regorge, à telle enseigne Lefeb-vre, mais il avait été écarté et François que Marcel Degrutère (19) cite cette anecdote de Minorville avait eu la préférence. En de Claude Noisette de Crauzat: A Caen, vers 1649, Pierre le Mareschal était nommé 1660, l'attribution d'un prix de composition organiste de St Maclou, après la mort de est discutée. Les candidats malchanceux déMallet. Un musicien du même nom tenait fient alors le vainqueur de composer sur un l'orgue de St Nicolas : il mourut en 1650. sujet de Paris ou de Rouen. En 1680, plu(16) Jules Cariez, Notice sur quelques musiciens rouennais (Boyvin, Broche, Exaudet, Chapelle, etc.). Caen, F. Le Blanc Hardel, éditeurs, 1885. Bibliothèque Nationale : Vmc 328. (17) Tome VI des Archives des Maîtres de l'Orgue, Jacques Boyvin, Paris, A. Durand et Fils, éditeurs, 1905. Bibliothèque Nationale Mon 22 G. (18) Archives Départementales de Rouen, délibérations capitulaires de la cathédrale : G 9843. (19) Marcel Degrutère, In L'Orgue à Rouen aux XVlIè et XVIIlè siècles. Etude historique et organologique. 10 On nous permetra ici une hypothèse, évidemment gratuite, car ce genre de situation ne laisse presque jamais de trace dans l'histoire officielle. Jacques Boyvin, musicien parisien, peut-être recommandé par des parisiens, vient s'immiscer dans un millieu provincial très fermé: le coeur des normands si difficile à conquérir pour les «étrangers» a souvent été décrillé. Contre ce jeune prodige, qui vit à la pointe du «progrés musical» de la nouvelle génération, «parachuté» des sphères centralistes de la capitale, les musiciens rouennais se liguent, et proposent leur «champion»: Mareschal. Boyvin est certainement soutenu par le chapitre qui a accepté sans hésiter sa candidature. Dans cette joute où aucun parti ne veut entendre raison, chacun soutient son favori et après l'audition, force est de recourir à l'avis d'arbitres impartiaux et évidemment parisiens, puisque tous reconnaissent leur suprématie. Si cette hypothèse paraît mal étayée, elle a du moins le double mérite de s'appuyer sur un comportement fréquent (que l'on songe, à une autre échelle, au duel entre Bach et Marchand) et de ne rencontrer aucune contradiction dans les éléments dont nous disposons et que nous livrons à présent. Déroulement chronologique Le vendredi 25 Juillet 1674 (18), les chanoines responsables de la nomination du titulaire sont priez de faire donner les clefs de l'orgue aux organistes qui prétendent à la condission de le touché et de faire advertir les Srs Mareschal et Boivin organistes de venir ce jourd'hui le touché après l'office et de leur ordonné (de se donner) un subject de composition (...). Le lundi 28 Juillet 1674 (18) les mêmes chanoines sont priés de donner jour et heure aux dits Srs le mareschal et boivin et se trouver dans la bibliothèque pour se donner l'un à l'autre un subject de composition affin de travailler en présence des dits sieurs chanoines à la ditte composition dans laditte bibliothèque. Pour icelle composition faitte sans y mettre leurs noms esté cachetée du sceau du chapitre et envoyé à Monsr Robert mtre de la musique du roy auquel il sera offert de la part du chapitre pour le prié de donner son sentiment sur l'une et l'autre composition, de laquelle composition sera gardée le double souscript des sieurs Lemareschal et Boivin, et des sieurs chanoines et cascheté du Sceau du chapitre. Le 1er Août 1674 (18), nouvelle décision capitulaire par laquelle deux responsables (messieurs Charles (?) et DeLaRoque) enverront les compositions a tel maistre de musique qu 'il leur plaira, pour y donner leur sentiment pour ce faict et estre délibéré par la compagnie. Le vendredi 3 Août 1674 (18), confor11 mément à la réunion du mercredi précédent il a esté dit que les sr Mareschal et boivin composerons ce jourd'huy après midy dans la bibliothèque sans instrument pour ce faict esté executé le surplus de ladiite ordonnance donnée au subject de laditte composition. Le 14 Août 1674 (18), Mareschal est autorisé de touscher lorgue de cette église ce jourd'huy a vespre et demain à tout l'office. On le voit, la cathédrale vit toujours sans organiste, et Boyvin étant sans doute reparti à Paris où il attend le résultat, son concurrent occupe le terrain; peut-être espère t-il ainsi faire pencher la balance en sa faveur! Mais continuons notre lecture: Le jeudi 16 Août (18), il est précisé que l'on examinera le problème de la nomination de l'organiste le lendemain. On peut donc supposer que l'avis des experts parisiens venait d'arriver. Il aura fallu au total 29 jours entre 1 ' épreuve d ' exécution et le résultat définitif du concours, le changement des experts locaux (puisque les chanoines sont remplacés par messieurs Charles (?) et DeLaRoque) et celui des expert parisiens (Robert remplacé par Dumon et Barré) ; Un record pour 1 ' époque où, si les préliminaires sont souvent longs, les nominations ne se font jamais attendre. Au delà de la simple importance du poste en jeu, nous croyons discerner dans cette situation des éléments conflictuels, éléments qui viennent renforcer notre hypothèse de rivalité et peut être tout simplement de jalousie à l'égard du nouveau venu. En tout cas la lecture des dates vient démentir ce que l'on trouve dans presque tous les articles sur Jacques Boyvin: Le concours a duré bien plus de sept jours et ne fut pas seulement brillant mais certainement tendu. Si Mareschal était un «rival redoutable (15)», ce n'était peut-être pas sur un plan purement musical. Le vendredi 17 Août (18), lecture faitte de la lettre des Srs Dumon et Barré musiciens de la cour du Roy sur la composition de musique faite par les Srs Mareschal et Jacques Boivin, organistes prétendant à la charge d'organiste en cette église, et icelle mise en délibération, il a esté dit que eu eggard à l'advis des Srs Dumon et Barré, ledit Boivin a esté élu pour organiste à cette église. Enfin, on trouve cette note du mardi 2 octobre 1674 (18): les gages de l'organiste ont esté réglez pour chacun an à la forme de quatre cent livres payable ainsi qu 'il a esté acoustumé. L'ORGUE DE LA CATHEDRALE DE ROUEN En 1663 Il n'est pas question dans le cadre d'un simple article sur Jacques Boyvin de fournir toutes les pièces consignant l'évolution de l'orgue de la cathédrale de Rouen, depuis Titelouze jusqu'à la mort de notre compositeur. D'autres l'ont fait. Nous nous contente12 rons de poser les grands jalons. Avant l'arrivée de Boyvin, le grand orgue a connu une grande restauration en 1663 par Thierry et Desenclos. Pierre Hardouin nous fournit la composition à la suite de ces travaux (20) : Positif : Grand-orgue : Montre 8' Montre 16' Bourdon 8' Prestant 4' Fourniture IV Cymbale IV Flûte 4' Nazard Flûte 2' Tierce Bourdon 16' Montre 8' Bourdon 8' Prestant 4' Doublette 2' Fourniture V Cymbale IV Flûte 4' Nazard Larigot Sacqueboutte Cromorne. Echo : Bourdon et prestant Doublette Fourniture cymb. III Nazard et tierce Voix humaine. Flûte 2' Quarte Tierce Larigot Flageolet Cornet V Trompette Clairon Cromorne On notera simplement la présence au Positif de tuyaux du XVIème siècle, dans les jeux de montre 8', prestant 4', flûte 4', nazard, flûte 2' et sacqueboutte. Le 2 octobre 1675 (21) : Il a été accordé à l'organiste de cette église la somme de quarante livres pour accorder les jeux de l'orgue et les nettoyer quand besoin sera a quoy il sera obligé. Installé dans sa nouvelle région, Jacques Boyvin est devenu autonome. En 1678, deux événements justifient l'intervention au mois de janvier de Clément Lefebvre et au mois d'octobre d'Adrien Anquetin. Nous avons conservé les quittances de ces deux opérations : la première, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, concerne la fourniture d'un «jeu d'orgue» «à la maitrise»; la seconde est ainsi libellée (22) : receu de monsieur Dieppedalle chanoine et receveur de la fabrique la somme de vingt quatre livres pour avoir faict deux tremblants neufs dans lorgue de LEglise de nostre Dame faict ce vingt sixième jour doctobre gbj soixte dix huict. Voix humaine. Pédale : Flûte Flûte 8' 4' Trompette. (20) In Connaissance de l'Orgue n°43-44; le grand orgue de la cathédrale de Rouen, pages 31-32-33, Paris, 1982. Archives Départementales de Rouen : BHR 406/10. (21) Archives départementales de Rouen. G 9843 (22) Idem G 2720. Reçu de Adrien Anquetin facteur d'orgue. 13 tes et pour obvier aux plus grands désordres qui pourroient arriver et de faire dresser des En Juin 1683, comme le note Marcel procès verbaux par les ouvriers et architectes Degrutere (23), un évènement majeur viendra de tous les désordres et ruines arrivez en cette troubler le déroulement des travaux, et impo- dite église par la dite tempeste. ser un rythme nouveau. Un ouragan d'une rare violence s'abat sur la ville; la quasi C'est dans ce milieu tourmenté et sans totalité des églises subit des dégâts de propor- doute un peu traumatisé que Jacques Boyvin tions variables, affectant plus ou moins les va continuer d'oeuvrer. Fut-il personnelleorgues. ment touché par les dégâts ? Nous ne saurions dire, puisque à ce jour, aucune information Voici le récit de la catastrophe, tel qu'il précise ne nous est parvenue sur son lieu apparaît dans les délibérations capitulaires de d'habitation. Une chose est certaine : aucun la cathédrale, à la date du samedi 26 Juin 1683 incendie n'est survenu dans la cathédrale en 1683, qui ait pu laisser des traces dans les (24). archives. Ce sont bien les débris de la voute Ce jourd'huy la chapitre per juram et qui ont ravagé l'orgue, ce qui infirme ce domos assemblés pour les ruines et désordres qu'écrit Norbert Dufourcq à la page 1629,7ème de cette église causés par la tempeste extraor- ligne de l'Histoire de la Musique, dans le dinaire arrivée hier sur les huit heures du soir premier volume de l'encyclopédie la Pléiade laquelle auroit abattu trois des tours faisant la (25) ; il nous a par ailleurs été impossible de face du grand portail Lesquels par leur chute retrouver quelle source avait pu fournir ce se seroient renversées sur la voute de la nef et renseignement erroné. l'auroient rompue en partie Laquelle voute en tombant sur l'orgue l'auroit abattu pour la Après 1683 plus grande partie et en auroit ruiné le restant Laquelle tempeste auroit encore causée des Ici encore, nous nous contenterons de la désordres et ravages extraordinaires tant au partie congrue. Les travaux de restauration du dehors qu 'au dedans de cette dite église Sur grand-orgue débutèrent aux alentours de mars quoy délibéré, mrs Charles Ridel et guéroult 1686, sous l'égide de Robert Clicquot pour la conjointement avec Mrs Lire Intendant de la partie instrumentale, et de Joseph Pilon pour la fabrique ont esté prié de donner incessament menuiserie, que le visiteur peut encore admiles ordres pour les nécessités les plus pressan- rer au fond de la large nef. La tourmente (23) Marcel Degrutere, In L'Orgue à Rouen aux XVIIè et XVIIIè siècles. Etude historique et organologique (Université de Paris IV 1986). page 97. 1er volume. (24) Archives Départementales de Rouen. G 9844. (25) Norbert Dufourcq, Instruments Polyphoniques, In Histoire de la musique, 1er volume, Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, i960, page 1629. 14 Voici la composition de l'instrument qu'inventorièrent (26) Ingoult et Lefebvre le lundi 20 juin 1689, et dont la composition fut conditionnée par la conservation d'une grande part de la tuyauterie ancienne : Grand-orgue (48 notes) : Montre 16' Bourdon 16' Montre 8' Bourdon 8' Prestant 4' Doublette 2' Fourniture V Cymbale IV Flûte 4' Double tierce 3 1/5' Nasard 2 2/3' Quarte 2' Echo (34 notes) : Flûte 2' Bourdon prestant Tierce 1 3/5' Doublette Fourniture cymb. III Flageolet 2' Nasard tierce Cornet V (25 notes) Voix humaine. Trompette 8' Clairon 4' Pédale (30 notes) : Cromorne 8' Flûte 8' Voix humaine 8 '. Flûte 4' Trompette 8' Récit (25 notes) : Clairon 4'. Cornet Trompette. Positif (48 notes) : Montre 8' Bourdon 8' Prestant 4' Doublette 2' Fourniture IV Cymbale III Flûte 4' Nasard 2 2/3' Tierce 1 3/5' Larigot 1 1/3' Cromorne 8' Voix humaine 8'. place la composition lors de la réception en totalisant exactement les tuyaux était vraiment ce que souhaitaient les organistes de la grande génération du siècle de Louis XIV, un bel exemple d'orgue français classique... et pourtant, trois ans après la réception, Boyvin luimême demanda les premières retouches qui allaient au cours du XVIIIème siècle le faire profondément évoluer. LES TEMOINS D'UNE VIE Les expertises d'orgues La première participation à une expertise de Jacques Boyvin, dont nous ayons gardé la trace, est celle effectuée à Sainte Croix des Pelletiers, le 6 novembre 1679 (27). Nous fournissons le texte complet du compte-rendu, qui est vraisemblablement un autographe de Boyvin. nous soubsignez Organistes à Rouen Certifions avoir veu Lorgue de Ste Croix des Pelletiers, à la réquisition de Monsieur le Curé de la dite parroisse et de Quesné et avoir trouvé Les registres du positif sans mouvement à lexception du bourdon et du petit bourdon, Ce qui est causé par leau qui est tombée dans Le dit orgue, et que pour y remédier II ConNous laissons la parole à Pierre Har- vient relever tous Les tuyaux de dessus Le douin pour conclure ce chapitre : Cet instru- Sommier, Démonter le faux Sommier et les ment dont Boyvin releva avec satisfaction sur Chapes et Nettoyer Les tâches de leau qui (26) Archives Départementales de Rouen ; G 9845. (27) Archives Départementales de Rouen. G 6374. 15 COMPTE-RENDU D'EXPERTISE A SAINTE CROIX DES PELLETIERS LE 6 NOVEMBRE 1679 Archives départementales de Rouen G 6374 16 pourroient estre aux registres pour les faire marcher, et ensuitte replacer le tout le faire parler et accorder le dit positif en perfection et comme il Estoit auparavant, et remédier à la Cornerie de l'Emila d'en haut causée par le dit accident de leau, lequel dict Quesné Consent que La réparation du dit orgue soit faicte par Mr Robert Ingout facteur, En foy de quoy II a signé Le présent pour ensuitte Le prix en estre réglé par Mondt Sieur Le Curé qui a aussy signé le présent avec Nous Ce six de Novembre gbj soixante et dix neuf On reconnaît les signatures de Clément Lefebvre ainsi que celle de Y ancien concurrent de Jacques Boyvin (mais est-ce le même ?) Lemareschal ; la signature de Boyvin, quant à elle, attire l'attention par la mention «organiste de N. Dame» qui l'orne et surtout par sa parfaite harmonie avec l'écriture du constat. ques, réussit à expliquer véritablement clairement tous les mécanismes. Ce texte n'est par ailleurs pas sans ironie, puisque l'eau qu'évoque Boyvin était en fait, d'après l'histoire, l'urine d'un particulier qui s'était soulagé dans le positif. En 1681, Jacques Boyvin joue régulièrement l'orgue des Jacobins (28), qui vient d'être refait par Antoine Vincent, un instrument qu'il visitera en 1683. A cette occasion, il dut soutenir le facteur dans un procès qui l'opposa au clergé qui prétextait de la mauvaise qualité du travail. Boyvin déclara alors que 1 ' orgue des Jacobins est un des plus grands ouvrages qu 'il y ait après Nostre Dame et St Ouen. (29) Cette citation va au-delà de la simple expertise : elle nous indique d'abord la confiance Les trois autres paraphes demeurent illi- que voue Boyvin à Vincent dès cette époque, sibles et nous importent peu. On comparera et ensuite, le poids qu'il doit avoir dans la vie cet écrit avec la lettre que nous connaissons musicale rouennaise pour soutenir aussi oudéjà de Jacques Boyvin, et son expertise de vertement un simple artisan contre le clergé. l'orgue de la cathédrale. A chaque fois, il Sur l'un des orgues que joua l'organiste pourrait s'agir d'un auteur différent, n'était son écriture bien pesée, cultivée, déjà proche de la cathédrale durant la restauration du sien, du XVIIIème siècle. On remarquera son appa- nous citons Marcel Degrutère, qui, dans la rente habileté à rédiger un texte administratif foulée de sa thèse, a beaucoup travaillé sur (il ne suit probablement pas un modèle) et la Boyvin (30) : parfaite compréhension de la facture d'orgue Parallèlement à ce poste prestigieux, de cet homme qui, non content de ne faire aucune approximation dans les termes techni- Boyvin fréquente d'autres tribunes rouennai(28) Marcel Degrutère, Revue de Musicologie, 1988, N° 1, tome 74. Archives Départementales ; BHB 582/9. (29) Idem. (30) Idem. 17 ses (...) Entre 1685 et 1688, période qui correspond à celle de la reconstruction de l'orgue de la cathédrale par Robert Clicquot, Jacques Boyvin joue chez les Carmes de Rouen, où il se fait parfois remplacer par Julien de Ste Hélène. Cet organiste dont on peut supposer qu'il fut l'élève de Boyvin, en raison même de la confiance que celui-ci semble lui porter, avait visité avec lui l'orgue des Jacobins (1683). Au hasard de nos recherches, nous l'avons trouvé organiste en divers endroits : de 1694 à 1698 (31), il occupe la tribune de St Candé le Vieux, où le salaire, en raison de l'état de délabrement de l'orgue, devient vite insignifiant. Il laisse la place à Thomas Eude. Par ailleurs, il remplace Le Tellier à Notre Dame de la Ronde (32), en 1726, pour abandonner ce poste en 1730. Il semblerait donc qu'il ait suivi la carrière d'organiste en pointillé. De quoi vivait-il par ailleurs ? Sa noblesse lui assurait-elle suffisamment de revenu? Ces questions et d'autres que nous évoqueront plus tard concernant l'école d'orgue rouennaise, nécessiteraient à elles seules l'élaboration d'une thèse. L'expertise suivante est celle de l'orgue de St Herbland (33), le 15 mai 1688. Là encore, nous trouvons un texte de la main de Jacques Boyvin : d'abord par sa parenté évidente avec le précédent (au niveau stylistique), ensuite parce que des trois signatures qui l'ornent, celle de notre organiste est la seule à être autant appuyée que le compte rendu. Là aussi, nous donnons ci-dessous la transcription de ce document : Nous soubsignez hypolitte ducâtel Mre facteur d'orgues demeurant à paris. Jacques Boivin organiste de l'Eglise Cathédralle de Rouen et Michel Delisle organiste de l'Eglise de st vivien à la réquisition de Messrs Les Curé et Thrésoriers de l'Eglise parroissialle de st Erbland avons visité l'orgue de la dite Eglise faicte par les Sirs Clément et Germain Lefebvre père et fils, auxquels nous y avons trouvé quelques déffauts à la première visite, qui ont été réparez par Lesdt Sirs Lefebvre, et trouvé bon et en bon état dans la seconde visite, composé de tous Les Jeux mentionnez dans le marché faict en datte du deuxiesme jour d'aouste mil six Cent quatre vingt cinq en foy de quoy nous avons signé le présent rapport pour leur valloir et servir que besoin sera fait ce quinziesme jour de May mil six Cent quatrevingt huict. Boyvin Delisle h. Du Castel. A l'époque de la rédaction de ce texte, Jacques Boyvin attend toujours son nouvel orgue. Nous nous permettrons de trouver cette page saluant l'érection d'un instrument neuf de quatre claviers dans une église jouxtant la (31) Archives Départementales de Rouen : G 6344. (32) Idem. G 7378 ; en 1742, 1743, 1744, l'organiste sera un nommé «Duphy» (erreur pour Duphly ?). (33) Idem. G 6700. 18 un mois et demi (Boyvin hésitait-il à cumuler deux charges ?), puisque le 31 Janvier 1697, les marguilliers décident qu'on ne peut faire un meilleur choix que de la personne de mr Le document suivant, que nous puisons Boyvin qui étant prié de se charger de nostre dans la revue Jeunesse et orgue (34), nous orgue se trouvera engagé dhonneur non seulemontre qu'au contraire, des liens réels unis- ment d'en prendre beaucoup de soin, ce qui saient le titulaire de la cathédrale aux artisans n 'a pas été fait jusques à présent mais aussi de de sa ville d ' adoption ; il s'agit de 1 ' orgue de la le toucher ce qu'il pourra faire aussi plus cathédrale (à l'époque simple église) Notre commodément que dans aucune autre paroisse Dame du Havre : En 1690, Jacques Auber et de la ville, nostre Eglise étant aussi proche de Clément Lefebvre, facteurs d'orgues à Rouen la cathédrale qu 'elle est. réparent le grand jeu d'orgues, et reçoivent Il succédait alors au facteur Germain Le829 livres du trésor. L'année suivante, Boivin, organiste de Notre-Dame à Rouen, se voit febvre, fils aîné de Clément, nommé à St attribuer 40 livres «pour estre venu exprès de Herbland le 23 Mai 1688, pour quatre vingt la dite ville en celle du Havre pour examiner livres par an. La proximité de leur deux les travaux par Lefebvre, facteurs d'orgues à tribunes parle d'elle même quant au minimum de relations que les deux hommes devaient Rouen pour le prix de 200 livres.» entretenir. D'après le texte, on peut supposer que c'est Lefebvre lui-même qui a demandé que la visite soit effectuée sous l'autorité de Boyvin. Celui-ci n'hésite pas à se déplacer de sa lointaine métropole pour 40 livres (somme non négligeable pour lui mais tout de même minime) afin de cautionner le facteur rouennais, ce qui implique une certaine entente entre les deux hommes. sienne, un peu plus aigre que la précédente. N'y voyons pourtant pas une défiance pour la facture locale. En 1697 (35), le 13 Mars, Boyvin est nommé organiste à St Herbland au lieu et place de défunt Sr Le Febvre et au mesme charge Condition et Emoulumens que funt le sr Lefebvre. La décision avait été reportée durant (34) In revue Jeunesse et Orgue, 2nd semestre 1981, La reconstruction du Grand Orgue de la Cathédrale Notre-Dame du Havre, page 30. (35) Archives Départementales de Rouen. G 6702. 19 Nous ne savons pas exactement quand Boyvin renonça à ce poste. En 1703, Gaspard Corette, publiant sa Messe d'orgue, précise qu'il est organiste de l'Eglise de Saint Herbland de Rouen. En Avril 1698 (36), Jacques Boyvin est prévu comme membre du Jury au concours pour l'élection d'un nouvel organiste à Saint Jean: de plus a esté reconnu que par reconnaissance pour les bons servisses que le sieur Hugo a rendu à l'Eglise ses mesmes gages luy seront conservez comme si il touchoit lorgue mais que sependant veu l'impossibilité où il est de le pouvoir toucher II sera procédé lundy Prochain septième Avril à l'élection d'un austre organiste et que le choix s'en fera par le concours et le méritte qua set effet le sieur Boivin organiste de la Cathédralle Le sieur Dumesnil prestre de la ditte cathédralle et le sieur de Lille prestre et organiste de St Vivien seront priez de venir juger de la capassité des concurrents et d'en donner leur advis. Nous apprenons où exerçait Hugo, cet organiste qui, lui aussi, participa à l'expertise de Juin 1689 à la cathédrale. Par ailleurs, nous découvrons une facette relationelle de plus pour Jacques Boyvin, siégeant au milieu de ses confrères organistes de Rouen. Il n'était donc pas isolé. Lorsqu'en 1711, le poste de St Jean sera de nouveau au concours, d'Agincourt, alors titulaire de la cathédrale à la suite de Boyvin, ne fera pas partie du jury. Il est vrai qu'il semblait exiger des rémunérations audessus de la moyenne. Toujours à St Jean, Boyvin donnera un mémoire de l'état de l'orgue auquel la séance capitulaire du 8 mars 1701 (36) fait allusion. Le facteur pressenti pour les travaux est Antoine Vincent, choisi dès la séance du 21 décembre 1698. Le conseil paroissial semble faire allusion à une recommandation : et vu par nous une lettre d'un nommé Antoine Vincent facteur d'Orgue que l'on dit estre très habile homme de son mestier. Derrière ce «on dit», nous serions tentés, comme Marcel Degrutère, de placer Jacques Boyvin. Les documents suivants concernent une visite d'orgue à la paroisse St Herbland (37), du temps où Gaspard Corette y était titulaire. Le premier jour de juin 1704, en effet, les marguilliers s'interrogent sur ce que les orgres tomboitent en décadence scavoir si on restablieroit seullement les canaux et tuyaux qui sont tombés depuis peu, Il a esté délibéré par la pluralité des voix que le sieur Thrésorier en charge accompagné de monsieur le curé et de monsieur boivin organiste de l'église cathédrale feroit marché avec le sieur Vincent pour estre démonter et réparer entièrement sous la visite de monsieur boivin... Le reste du texte évoque les arrangements avec ce «Sieur Vincent». Encore une fois nous retrouvons Jacques Boyvin expertisant un orgue en compagnie d'Antoine Vincent. En 1704, il n'a plus que deux ans à vivre. Le fait que, lors de la réception des travaux à St Herbland, le 28 juin 1705, la commission d'expertise ne soit composée (37) que de (36) Idem. G 6766. (37) Idem. G 6703. 20 de son existence, on ait de plus en plus sollicité notre organiste pour des manifestations de toutes sortes. Après la parution de son second livre d'orgue et celle de sa méthode d'accompagnement (39), il dut devenir une sorte de vedette musicale rouennaise, d'autant qu'après Lesueur et Lallouette, Michel Lamy dut paraître un chef de choeur nettement plus ordinaire. Les liens qu'il a manifestement eus à coeur d'entretenir avec chacun y sont certainement pour quelque chose. Lefebvre facteur dorgres pour en visiter le travail et le sieur Le maréchal et Legrain pour l'accord et l'harmonie, semblerait indiquer que, d'ores et déjà, Jacques Boyvin limitait ses activités. Nous savons qu'il n'hésitait toutefois pas à sortir quelques mois plus tôt, comme pour l'expertise de l'orgue de St Michel, le 17 février 1705 (38). C'est donc entre ces deux pôles que l'état de santé de l'organiste de la cathédrale dut décliner. Là encore, nous trouvons un texte de Boyvin que nous aurions pu lui attribuer sans les assurances qu'il nous donne, rien qu'à la vue de son écriture un peu plus épaisse avec l'âge, mais franche et nette: Le document Il nous est impossible de refermer ce chapitre sans publier cette lettre de Boyvin à M. de Séricourt, maître d'oeuvre de la restauration du grand orgue, datée du lundi 23 mai 1689 (40). Nous en fournissons la photocopie ci-après, mais celle-ci vaut surtout pour la connaissance du style et de l'écriture de notre compositeur. On y apprend également que Boyvin eut un «accident» peu de temps avant la fin des travaux, mais sans autre précision. Je soussigné Organiste de l'Eglise Cathédralle de nostre Dame de Rouen certifie qu 'après avoir touché et visité très exactement l'Orgue de St Michel en présence de monsieur le curé, de monsieur hamel, et de quelques particuliers qui s'y sont trouvez dans le moment ay trouvé qu'on ne peut pas mieux faire que d'exécuter tout ce qui est porté dans le mémoire cy-dessus parcequ 'il explique généralement tous les défauts qui sont dans le dit orgue, lesquels estant bien réparés on entendra une harmonie très parfaite. Ce que i 'atteste véritable; fait à Rouen après la visite ce dix septième iour de Février mil sept cent cinq. J. Boyvin. Là encore, le marché est signé Antoine Vincent ! D'autre part, il semblerait qu'à la fin (38) Idem. G 7178. (39) En 1700. (40) Archives Départementales de Rouen G 2829 21 LETTRE DE JACQUES BOYVIN A M. DE SERICOURS DU 23 MAI 1689 Archives départementales de Rouen G 2829 22 VIE FAMILIALE DE JACQUES BOYVIN. SON DECES. SA SUCCESSION. La famille Nous n'aurons pas le front de reprendre à notre compte le fruit des recherches de Marcel Degrutère au sujet de la descendance de Boyvin. Dans son article (41) intitulé Jac- ques Boyvin, Jacques Duphly, celui-ci démontre d'une façon certaine que le célèbre claveciniste parisien n'était autre que le petit-fils de notre organiste ! Toutefois, les dates empêchent impitoyablement toute rencontre entre les deux hommes. Néanmoins, sans bénéficier de conseils directs, on sait ainsi que Duphly naquit dans un milieu marqué par la musique; peutêtre eut-il accès aux manuscrits de son grandpère, à ses instruments? Nous fournissons ciaprès, l'arbre généalogique des descendants de Boyvin à la seconde génération. TABLEAU GENEALOGIQUE DE JACQUES BOYVIN ET DE JACQUES II DUPHLY d'après Marcel Degrutère (41) 23 La fin d'une vie (42), concerne une demande de la famille de Jacques Boyvin : Nous souhaiterions pouvoir donner au lecteur l'image d'une fin brillante. Que l'on songe à cet homme en pleine activité qui fait paraître un second livre d ' orgue en 1700 ainsi qu'un traité d'accompagnement la même année, tout en promettant de donner bientôt un écrit sur la composition. Son orgue est en parfait état, transformé au gré de ses fantaisies par les facteurs les plus compétents du moment. On s'attend à le voir, comme Vierne à ses claviers, réglant une improvisation et à l'instant où va jaillir la musique, s'effondrer sur ce lieu magique, but de toute son existence sans doute, embrassant une dernière fois ces claviers, que souvent il avait fait gémir ou danser, exulter ou implorer. sur ce que les héritiers de feu Me Boyvin organiste en cette Eglise ont fait supplier le chapitre de vouloir bien qu'ils facent toucher l'orgue à leur profit par Me Corette que le dit sieur Boyvin y a commis pendant sa maladie, et ce jusqu'à ce que le chapitre aye fait choix d'un organiste ont en outre prié le chapitre d'avoir agréable le livre à l'usage de l'orgue de la composition dudit Boyvin, sur quoy délibéré le chapitre consent que ledit Me Corette touche l'orgue suivant la demande par provision et sans tirer à conséquence, a accepté le livre de la composition dudit Boyvin et mes les intendants de la fabrique sont priés d'examiner l'estat de l'orgue à laquelle fin les clefs et le livres leur ont esté mis entre les Il n'en est rien. Jacques Boyvin meurt le mains. 30 Juin 1706. Ce décès est développé en deux Ce texte appelle plusieurs remarques. points à la date du 1er Juillet 1706 ; le premier est un communiqué laconique (42) : Nous nous attacherons ici à la personnaCe jourd'huy sur les onze heures et demi lité de Gaspard Corette (avec un ou deux r, du matin le corps de Me Jacques Boyvin selon que l'on se refère à sa signature, où à organiste en cette église, décédé du l'impression de son nom par le graveur de son jourd'hier âgé d'environ 53 ans a esté inhumé oeuvre), le remplaçant de Jacques Boyvin dans cette église. La cérémonie du convoy a (Michel Corrette ne pouvait en effet tenir les esté faite par Monsieur Liesse pre chanoine claviers en 1706, comme le soutient Ludovic semainier. Un grand homme est parti, en Panel, puisqu'il est né en 1707 ou 1709). toute simplicité, sans pompe, sans marque De lui, nous ne connaissons ni la date ni d'intérêt particulier de la part de ses le lieu exact de la naissance et du décès. Son employeurs. présumé fils Michel, publiant quelques pièces L'autre document, du 1er Juillet 1706 (41) Marcel Degrutère, Jacques Boyvin, Jacques Duphly, In Revue de Musicologie, 1988, N° 1, tome 74. Archives Départementales de Rouen : BHB 582/9. (42) Archives Départementales de Rouen. G 9848. 24 de son père arrangées pour la circonstance à deux musettes, précise qu'il était originaire de Delft (43). Comme il a par ailleurs publié une Messe du 8ème ton pour l'Orgue chez de Baussend en 1703 (44), on peut supposer qu'il soit né dans cette ville ou aux environs, avant 1680. Vieillissant, a t-il pensé à la carrière de son fils, certainement doué de bonne heure ? Alors, il serait parti pour Paris, où il serait décédé, en bourgeois vivant de ses rentes. Car, notons le bien, jamais il n'a demandé une augmentation. Et pourtant, St Herbland ne rapportait que 80 Livres annuelles : une misère. D'Agincourt s'y fera payer dix ans plus tard 150 livres ! D'autant qu'il remplace Boyvin à la cathédrale pendant sa convalescence (il le faisait déjà à St Herbland depuis 1703 au moins, ce qu'il stipule sur son livre ; Les comptes de la paroisse révèlent d'autre part qu'il devint titulaire de l'instrument dès 1704, avant d'être «balayé» par l'arrivée de D'Agincourt). La carrière instable qu'il poursuivra par la suite nous porterait à croire qu'il s'agissait d'un musicien dilettante; avait-il une autre activité «nourricière» ? Etait-il commerçant enrichi (Delft était au XVIIème siècle un important centre de la porcelaine) ? S'il était amateur, nous le verrions bien publiant son premier ouvrage après la trentaine, l'instant de s'être fait une situation. Mais il faudrait qu'il ait été encore suffisamment jeune pour se présenter à un concours important en 1711. Si nous le faisons naître aux environs de 1670, cela lui fait à peu près 40 ans à St Jean, et 50 ans lors de sa démission. Mais tout cela reste à vérifier. Eu égard aux circonstances, à la confiance que semble lui porter Boyvin, nous serions également tentés d'écrire qu'il était élève de celui-ci, ce qu'un regard sur le style et l'écriture suffit à confirmer. Les historiens font généralement naître son fils Michel en 1709. En 1711 (45), Corrette devient organiste à St Jean, à la suite d'un brillant concours, dans le jury duquel on retrouve Le Mareschal (mais s'agit-il bien du même ?). En 1720 (46), Corrette rend les clefs de son orgue et nous ne trouvons plus trace de lui à Rouen. Les intendants de la fabrique sont priés d'examiner l'estat de l'orgue. Cette décision, qui alimente la seconde partie de notre remarque, met en évidence la défiance du chapitre à (43) In «Pièces de Fun (sic) Mr Gaspard Corrette de Delft», publiées et arrangées pour musettes par Michel Corrette. Bibliothèque Nationale, A 35 479. (44) Messe du 8ème Ton Pour L'Orgue à L 'Usage des Dames Religieuses, et utile à ceux qui touchent l'orgue, Composée Par Gaspard Corrette, organiste de l'Eglise Saint Herbland de Rouen. Gravée par H. de Baussend. A Paris, etc. Bibliothèque Nationale, Vm7 1830. (45) Archives Départementales de Rouen. G 6766. (46) Idem. G 6744. 25 l'égard de Corrette, qui ne doit peut-être de rester que parce qu'il faut bien assurer l'intérim , et que 1 ' on peut bien faire ce plaisir-là aux proches du maître défunt. Improvisait-il mal ? Avait-il un tempérament difficile ? Nous serions tentés de le croire, là aussi, en raison même du nombre de postes qu'il occupa durant sa carrière tourmentée. 1706 (42) : Monsieur Guéroult de St Clair est authorisé d'achever de payer à la veuve de Me Boyvin organiste le restant de ses gages pour le terme de St Michel. Nous ne saurons jamais rien de plus sur cette femme, vivant pour nous dans l'ombre de son époux, que son nom, et les apparentes difficultés financières auxquelles elle dut faire face après son décès. Enfin, les héritiers de l'organiste ont en outre prié le chapitre d'avoir agréable le livre à l'usage de l'orgue de la composition dudit Boyvin. Ce livre est-il l'un des deux publiés chez Ballard depuis 1700 ? Cet ouvrage «à l'usage de l'orgue» ne pourrait-il pas être plutôt un cahier de musique sur lequel auraient été notés des compositions en germe, des motifs d'improvisation un peu développés ? Auquel cas il existerait peut-être un manuscrit encore inconnu de la main de Boyvin. Mais là nous entrons dans le domaine des suppositions, même si le cas ne serait pas unique (on pense aux pièces d'orgue de Matthieu Lanes). Désormais, la vie musicale à Rouen, va se cristalliser sur la personne du successeur de Boyvin, D'Agincourt, et ne restera de trace de l'influence de l'ancien titulaire, jusqu'en 1720, que la présence à différentes tribunes de Gaspard Corrette. Le dernier document portant le nom de Boyvin à cette époque, porte la date du 5 Juillet Jacques CHARPENTIER N.B. Cet article reprend en grande part un mémoire de maîtrise soutenu par l'auteur à l'Université de Rouen en 1989. Une deuxième partie traitera de l'oeuvre de Jacques Boyvin et sera publiée dans le prochain numéro de l'Orgue Normand (n°22). 26