arbre_palabre n° 10

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DUNIA
ARTS ET CULTURES
D
AMAS
LÉON-GONTRAN
“ Martyr de l’oubli ”
Nous empruntons le sous-titre à Léon-Gontran DAMAS1 en ce qu’il symbolise la condition qui lui est faite. A l’inverse de Césaire et
de Senghor qui ont été portés aux nues, DAMAS, l’un des pères fondateurs de la Négritude2 est celui qui est le moins médiatisé mais
pourtant rouage non moins essentiel de la vie
politique et culturelle de la Diaspora. Autant
Damas l’a écrit pour la Guyane Pour l’étranger qui passe, comme dans un rêve, il en est
quitte pour un haut-le-cœur. Mais pour qui est
originaire de ce pays, dont l’injuste réputation a
vaincu la légende, dont les incommodités et
l’état d’abandon font oublier les trésors fabuleux, c’est là un sujet de douleur et de révolte 3,
autant cette maxime lui est directement applicable en sa qualité d’homme politique et de
celle de prosateur et poète que Césaire traduit
par la déréliction Nègre. Tout comme s’étonnera Senghor : Au demeurant, nous étions les
premiers à nous étonner, Césaire et moi, que,
parmi les nombreuses thèses qui avaient été
écrites ou qui se préparaient sur les premiers
écrivains du mouvement de la Négritude, il y
en eût si peu sur Léon-Gontran Damas : sur
le plus nègre des poètes nègres francophones.4
SANDRINE POUJOLS* & BENOIST LHONI
Et toi
Qu’est-ce que tu peux bien faire là
Noctambule
À n’y pas croire à cette nuit vraie
Salutaire ricanement
Forcené des confins
À l’horizon de mon salut...5
* Chargée de cours en communication
Auteur d’une thèse sur Damas
106 l’arbre
à palabres
# 10 - Décembre 2001
PORTRAIT
PORTRAIT
[
’entrée, on se demande
sous quel angle aborder le
côté politique de LéonGontran Damas ! Rentré en Guyane à
la Libération, L-G Damas, fonde avec
René JADFARD le Mouvement de la
Renaissance
Guyanaise
(MRGS.F.I.O.) pour venir à bout de l’inamovible MONNERVILLE alias TI MOMO qui leur damait le pion à longueur de consultation électorale. Le
tandem finit par l’emporter aux élections législatives du 10 novembre
1946. Un an après, René JADFARD
disparaissait dans un accident d’avion
(jamais élucidé et qui avait fait l’objet
d’une question écrite de Damas au Ministre de l’Intérieur7. À 36 ans, il est
élu député de la Guyane, le 4 janvier
1948 (élection validée le 10/02/1948).
Au cours de sa législature, L.-G.
Damas, aura commis un nombre incroyable de propositions de loi pour la
Guyane comme notamment, cette
proposition du 16 mai 1950 tendant à
inviter le Gouvernement à créer en
Guyane française un Institut français
d’Amérique Tropicale. Ou encore, cette proposition du 4 novembre 1950
tendant à inviter le Gouvernement à déposer d’urgence un projet de loi déterminant les modalités d’application dans les
départements d’outre mer de la législation de la Sécurité Sociale en vigueur
dans la Métropole. Mais plus encore
que cette abondance de propositions
de loi qui auront du reste connu des
fortunes diverses, il aura participé à
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ARTS ET CULTURES
Be not deceived, for every deed you do I could match,
outmatch : Am I not Africa’s son. Black of that black
land where black deeds are done 6
L.-G. DAMAS
homme politique
D
DUNIA
moult commissions de l’assemblée nationale : commission des moyens de
communication (24/02/48) ; Commission de la marine marchande et des
pêches (18/01/1949) ; Commission
des Territoires d’Outre Mer (19/01/50
et 13/01/51) : Commission chargée
d’enquêter sur les incidents survenus
en Côte d’Ivoire – dans laquelle il est
coopté suite à la défection d’un parlementaire – (22/07/50).
À ce titre, la transcription des auditions effectuées en Côte d’Ivoire – le
fameux rapport 11348 sur les événements sanglants de la Côte d’Ivoire en
1949 – , devait devenir la bible du
parti RDA et fut déterminante dans
l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance. Comme on le remarquera,
l’action politique de DAMAS aura été
prolixe. Il aimait en faire part au cours
de réunions pendant lesquelles il rencontrait les Guyanais de Guyane. Réunions dont on trouve naturellement
des échos dans Temps Nouveau, journal du MRG qu’il avait dirigé et qui
avait pour principal objectif : combattre
la Départementalisation et dénoncer les
scandales de l’époque.
Circonscrire l’action de Damas au
seul fait politique et qui plus est limitée à la Guyane, serait tronquer la réalité. On peut comprendre qu’il soit
difficile d’établir une espèce de chronologie, le situant tantôt homme politique ou bien tantôt homme de lettre.
Cependant sa perception des conditions difficiles faites aux colonisés le
prédispose dès lors à une revendication
politique sous tendue par une action
littéraire comme ferment de sa révolte.
Tout ceci est bien entendu en amont
(1) Léon-Gontran Damas "La Guyane, Martyre de l’oubli" ,
FRANCE LIBRE du 27/03/1948
(2) Après la sortie éphémère de " Légitime Défense", Damas fonde
avec Césaire et Senghor " l’étudiant noir" qui reprend en les élargissant à tous les Noirs et non plus aux seuls antillo-guyanais, les
objectifs de " Légitime Défense" : combattre l’assimilation, l’aliénation et l’exploitation. Le mot de "négritude" fait son apparition,
il définit un vaste mouvement social et culturel de désaliénation.
Ses pères spirituels sont Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas,
Léopold Sédar Senghor. Pigments, recueil de poèmes publié en
1937, est la première concrétisation de ce mouvement de défense et
d’illustration de la culture et de la civilisation noires. Debout
Guyane, 23 juillet 1983, n°63. De son point de vue, Rodolphe
Robo (Directeur du service culturel Départemental de la Guyane)
considère à propos de la " Négritude ", qu’il "est périlleux de tenter de définir ce concept, mieux vaut indiquer ses composantes telles
qu’elles ont été dégagées par Jacques Chevrier : la négritude est l’expression d’une race opprimée, la manifestation d’une manière
d’être originale, un instrument de lutte, un outil esthétique. Les
tenants de la négritude se défendent d’être racistes, Léon-Gontran
Damas s’en expliquera d’ailleurs dans une interview à Jeune
Afrique (16 mars 1971) " Notre propos, dénué de tout racisme,
était d’opérer un retour sur nous-même, sans rejeter pour autant la
culture occidentale... Toute la littérature qu’on a appelée la négritude n’a jamais été une entreprise raciste..."
(3) L.-G. Damas op. cit.
(4) L.S. Senghor in Préface de "Léon-Gontran Damas, l’homme et
l’oeuvre", Daniel Racine, Coll. Approches, P.A., Paris, 1983
(5) Epitaphe de Césaire à son ami Damas, Série Emission "Césaire
une voix pour l’Histoire" réalisée par Euzhan Palcy.
(6) Claude McKay, extrait du poème : "To the white fiends",
Pearson’s magazine, vol. 39, septembre 1938, p.276. Dans ce
poème, "Aux ennemis blancs", l’écrivain jamaïquain signifie aux
blancs, impérialistes et racistes, qu’il pourrait abattre dix d’entre
eux pour un seul de ses frères massacrés, brûlés par eux. Il les défie
en ces termes : " ne suis-je pas fils d’Afrique / noir de cette terre
noire où s’effectuent de noirs desseins ? ". Sur la vie de McKay, la
mémoire des morts décuple la force du jeune révolté, Léon Damas,
en vue d’une libération totale.
(7) Question posée lors de débat parlementaire. N° 17.635. - M.
Léon DAMAS rappelle à M. le Ministre de l’Intérieur que, le 8
novembre 1947, le député René JADFARD trouvait la mort en
Guyane dans un accident d’avion, et lui demande :
1°) - en vertu de quelle délibération, le conseil général aurait passé
commande de l’appareil "Le SAEBEE" du type amphibie, destiné
au département;
2°) - sur quel chapitre du budget aurait été imputée la dépense;
3°) - la date de signature de l’ordre de commande;
4°) - le coût de l’appareil;
5°) - l’avis du service local des changes dans le cas où l’achat de
l’engin aurait nécessité une sortie de devises;
6°) - la date d’arrivée de l’appareil à Cayenne;
7°) - les conditions et la date de réception;
8°) - le classement de la section aéronautique du bureau Véritas;
9°) - les circonstances de l’accident;
10°) - le nombre d’accidentés;
11°) - les circonstances de l’embarquement;
12°) - les résultats de l’enquête;
13°) - les mesures de réparation qui ont été décidées par les services
du ministère de l’intérieur, sur proposition du préfet après avis du
conseil général;
14°) - la manière dont a été réglée la question des responsabilités
personnelles et de celle du département (Question du 13 Février
1951).
RÉPONSE. - Les longs délais écoulés depuis la date de l’accident,
la multiplicité des précisions sollicitées par M. Léon DAMAS rendent nécessaire un supplément d’information. Une réponse d’ensemble sera fournie au député de la Guyane, dès que les renseignements détaillés qu’exige sa question auront pu être recueillis.
l’arbre à Palabres
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PORTRAIT
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L.-G. Damas représente la Guyane aux obsèques
de Léon Blum, Paris, 1950 (Photo Prével)
L.-G. Damas, Cheik A. Kane, A. Miller, Festival Pen
Club International, Abidjan, 1967 (Ph.R.Normand,)
SI SOUVENT
Si souvent mon sentiment de race m’effraie
autant qu’un chien aboyant la nuit
une mort prochaine
quelconque
je me sens prêt à écumer toujours de rage
contre ce qui m’entoure
contre ce qui m’empêche
à jamais d’être
un homme
Et rien ne saurait autant calmer ma haine
qu’une belle mare de sang
faite
de ces coutelas tranchants
qui mettent à nu
les mornes à rhum
« Pigments * Névralgies »
Éd. Présence Africaine, poésie , 1972
p.49
(8) Soulèye Diagne À la mémoire de
Léon-Gontran Damas, Hommage à LéonGontran Damas, Éd. Présence Africaine,
Paris, 1979, p.125.
(9) Daniel Racine, op. cit., p. 198-199
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l’arbre à Palabres
de son élection aux législatives du 4 janvier 1948.
En 1951, des dissensions éclatent au
MRG et aboutissent à sa non réélection.
Il quitte alors la Guyane et s’en va de
par le monde, continuant son œuvre littéraire. Il participe à de nombreuses
conférences au cours desquelles l’émancipation de la Guyane et des Antilles occupent le centre de ses réflexions. On
est tout de même surpris qu’il ait finalement choisi de résider hors de Guyane
tandis que ses compères d’alors, Césaire
et Senghor, avaient eux fait le choix
contraire. Les amitiés nouées à Paris
avant et après guerre avec des écrivains
négro-américains,
pouvaient-elles
constituer un début d’explication ? En
tout état de cause, sa contribution au
rayonnement de la Guyane n’est pas à
démontrer.
L.-G. DAMAS
Poète et Prosateur
La poésie sera
le point de départ
de toute l’œuvre
littéraire de Damas et qui fondera
en permanence
son action politique. Le premier
recueil qui sortira
des presses sera Pigments qui enracine
sa démarche dans la Négritude.
Si Pigments valut la célébrité à son auteur, il ne fut pas cependant, lors de sa publication, fort bien accueilli par tous les
jeunes intellectuels, notamment Sénégalais, qui résidaient à Paris. Ousmane Socé Diop, entre autres, reprocha ouvertement à Léon Damas d’avoir [...] pris à
partie les anciens combattants Sénégalais,
sous prétexte qu’ils avaient adressé un câblogramme d’indéfectible attachement
devant la menace Allemande. Je dus intervenir pour convaincre mon compatriote des véritables intentions du poète : celui-ci entendait engager ses frères de race à
ne plus servir, comme en 14-18, de chair
à canon dans une guerre entre Européens,
une guerre qui, à proprement parler, ne
serait pas la leur 8. S.O.S, Des Billes
pour la roulette ou Sur une carte postale,
permettent-ils de conclure à un tel positionnement politique de Damas ?
Les autorités françaises ne manquent
pas de réagir elles aussi. Aidé du décret
Louis Rollin, le gouvernement français
procède à une censure rétroactive du recueil pour atteinte à la sûreté de l’État.
Suspecter de fomenter une révolution,
Damas fut longtemps interrogé : Des
poèmes antimilitaristes de Pigments
avaient été traduits en baoulé et mis en
musique par les Ivoiriens. Devant le refus
de ceux-ci de se laisser mobiliser, je reçois
la visite de deux agents de la sûreté nationale française qui me perquisitionnent
pour m’enlever ce qui me reste de Pigments
(tirage de 300 exemplaires et quelque
hors commerce).
Parmi les questions qu’on me pose, on
veut savoir quels sont mes rapports avec les
autres nègres car j’ai donné l’impression
dans Pigments d’être un meneur. À vrai
dire, la commission rogatoire qu’on disait
venir de la Côte d’Ivoire n’était qu’un prétexte. Elle avait été formée à Paris même.
On me demande pourquoi je refuse d’être
créole pour m’attacher tant à ma qualité
de nègre. Je réponds que je ne connais que
la race nègre, que je ne connais que les
nègres, que si cela est une insulte, nous devons relever le défi ou l’insulte.9
L’interdiction ne souligne-t-elle pas
le fait que Pigments pouvait répondre
à l’attente d’un certain public par ses
interrogations sur le monde et la nouvelle expérience du sujet proposé aux
lecteurs ?
Il faudra aux lecteurs potentiels vingt
trois années pour en prendre entièrement connaissance, et ce dans sa version
définitive !
En 1971, lors
Damas,
d’une
conférence de
la critique
& la négritude presse dans le Vermont (USA), Damas
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PORTRAIT
PORTRAIT
armé de son humour évoque la paternité de la Négritude : Je ne comprends pas
pourquoi la Négritude nécessite tant de
pères. En Afrique, nous n’avons nul besoin
de pères, nous connaissons nos mères. Le
mot fut inventé par Césaire [...]. Mais,
pour plusieurs raisons, Senghor est maintenant le père de la Négritude. Peut-être
suis-je le Saint-Esprit ! 10
Dans son entretien accordé à Racine
en Mai 1977 (Washington), il assimile
cette recherche de paternité à un moyen
de décourager les chercheurs ou les critiques à trop vouloir couper les cheveux en
quatre quand il s’agit d’une question dont
nous ne nous sommes guère préoccupés
[...] nous n’avions pas besoin d’être trois
pères pour créer un mot. Il n’était pas nécessaire de conjuguer l’effort de trois nègres
pour lui donner le jour. Il me suffisait
d’un seul homme pour cela.11
L’interrogation ne révèle-t-elle pas un
désintérêt des critiques pour son œuvre,
une méconnaissance, voire du mépris ?
Dénonçant l’attitude de certains critiques, Damas se justifia : J’ai la conviction que mon travail constitue un message
important, et Pigments fut aussi le manifeste du mouvement de la négritude [...]
tous les poètes qui vinrent après Pigments
furent obligés d’employer le matériau
contenu dans ses poèmes. Tous les thèmes
de Pigments, toutes les idées ont été reprises, et depuis lors je ne vois rien de nouveau. 12
Provocation lancée aux spécialistes
littéraires pérorant sur un mouvement
de jeunesse montée par leur soin en une
théorie d’école. Reprenant avec Racine
l’importance de ce recueil, le poète précise toutefois qu’il n’y fait aucun exposé
théorique. Je n’ai été, à vrai dire, ni le
théoricien, ni le métaphysicien de ce mouvement. Je me suis contenté de marquer
cette génération de mon œuvre initiale. 13
Se plaçant en marge/des théories/en
marge/des bavardages 14, il ne cesse de
mettre en garde les jeunes générations
contre le danger des palabres, qui ne
sont que perte de temps pour mieux diviser. Il y a aussi la question du pourquoi
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de notre mouvement, qui d’ailleurs, ne
s’appelait pas Négritude. On est en train
de réécrire l’histoire. On écrit beaucoup de
bêtises. Notre Négritude, ce fut une découverte, une prise de conscience.
Nous avons découvert à Paris qu’une
chose ne pouvait plus continuer : la dépendance absolue.15
Pour en revenir au
problème d’identité, je
voudrais préciser... parce
que ce qui s’est passé, en
tout cas à partir de moimême, ce n’est pas uniquement une
conscience raciale, mais ça été une
conscience individuelle, conscience sociale
et conscience humaine. Et quand j’entends
parler d’une civilisation de l’universel, je
dis, moi, je suis d’accord, mais à partir du
moment où on va régler les problèmes particuliers. On ne peut arriver à l’universel
sans partir du particulier. Ceci est ma position. 16 Sa prise de position pour
l’Afrique est sans équivoque en même
temps qu’il réaffirme son appartenance
à la Guyane : Alors je dois dire par
ailleurs... que j’ai pris position de ce côté,
c’est-à-dire en faveur de l’Afrique, sans
aucune réserve. On doit me rendre hommage... cependant je suis de ceux qui parle rarement de négritude. Je parle rarement de négritude, parce que moi je ne
suis pas complexé du seul fait que je sois
un Guyanais. Mes meilleurs amis en
France ont toujours été des métropolitains,
des gens de toutes races et ce n’est pas pour
rien que... un peu grâce à moi la voie aura été ouverte d’une collaboration entre les
intellectuels Nègres et Métropolitains. À
partir de la préface de Pigments faite par
Robert Desnos, Breton va préfacer Césaire, Mauriac va préfacer Senghor, Delavignette va préfacer Socé. Il a raison Senghor quand il dit que j’ai peut-être, plus
que tous les autres, plus que Césaire et plus
que lui-même, vécu la vie matérielle, la
misère matérielle, morale des Noirs du
monde... C’est que moi je me sentais à
l’aise pour aller aux uns et aux autres.
Mais dans le même temps j’étais privilégié
Propos
sur le
problème
identitaire
L.-G. Damas, Hall of Fame,
Université de New York
Ph. Anna Winand, New York, 1969
Source Daniel Racine, Op. Cit.
(10) Négritude revisited, Manna,
Toronto, n° 3 1972, p. 16 traduction
Sandrine Poujols.
(11) David Racine, op. cit., p. 193
(12) Ibid.
(13) Ibid., p. 194-195
(14) L.-G. Damas Pigments *
Névralgies Éd. Présence Africaine,
Paris 1995, p. 60
(15) Rencontre avec L.-G. Damas
: Faut-il liquider les pères ?
(Washington, Octobre 1974),
Poésie n°1, n°43, 44, 45. janvierjuin 1976, p. 51
(16) Doudou Gueye Hommage à
Léon-Gontran Damas, Fondation
Houphouët-Boigny, n°2, Abidjan,
janvier 1978, p. 145
(17) Ibid., p. 146-147
l’arbre à Palabres
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ARTS ET CULTURES
PORTRAIT
PORTRAIT
(18) Exploitons la Guyane, Radicale
de Marseille, 27 mars 1938, p. 2
(19) René Maran Histoire de la
France Equinoxiale : Retour de
Guyane, La Dépêche de Toulouse, 6
avril 1938, p. 5 (20) L.-G. Damas
Retour de Guyane, Corti, Paris,
1938, p. 154
(21) Ibid., p. 73
(22) L. S. Senghor Retour de
Guyane par L.-G. Damas, Les
Cahiers du Sud, n°211, décembre
1938, p.904
(23) L. Kesteloot Les Ecrivains noirs
de langue française, Éd. Université
de Bruxelles 1962-1963, p. 140
(24) Ibid., p. 147
(25) J. M. Ita répond au commentaire dans À propos de BL, African
Arts / Arts d’Afrique, vol. 3, n° 2,
1970, p. 84-87
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l’arbre à Palabres
dans les salons littéraires métropolitains.
Je n’ai jamais personnellement souffert
mais j’ai pris position. 17
Après Retour d’URSS, Retour du
Tchad de Gide, il faudra compter avec
le Retour de Guyane. Ethnologie et
journalisme sont au cœur même de
l’écriture.
Dans sa prière d’insérer, publiée par
le Radical de Marseille en mars 1938,
Damas se présente comme journaliste
d’une objectivité systématique (qui) se
double souvent avec bonheur d’un sensible
poète qui prit soin d’actualiser les notes
de voyage rassemblées au cours d’une
mission ethnographique, et dont l’étude
s’imprègne d’un humour léger et souvent
caustique.18
René Maran le félicite ouvertement
pour avoir fait son devoir d’écrivain. Sa
principale caractéristique, selon lui, repose en une combativité de parti pris.
L’intérêt de la lecture y est constant :
sous l’allure polémique, les chapitres indiquent des tares, proposent des réformes,
prodiguent des idées qui ne devraient laisser indifférents ni les Guyanais, ni les
pouvoirs publics. Prévoyant d’éventuelles
attaques à l’encontre du jeune auteur,
Maran qualifiait son acte patriotique :
Cet exposé, confiait-il, permet une prise
de conscience des menaces pesant sur l’empire colonial français, que représentent
aussi bien l’Allemagne que les ÉtatsUnis.19 Damas évoque lui-même ce
danger pour sensibiliser son lecteur à
l’intérêt d’une meilleure politique française en Guyane.
Quant à la crainte d’une censure, il
en fait état explicitement dans son discours. Consacrant tout un chapitre au
décret Louis Rollin, l’auteur n’ironise-til pas en justifiant une auto censure,
conscient de n’être pas tellement Retour
de Guyane qu’(il) ne puisse être sûr
d’échapper à l’élasticité du bâillon Rollin
ou de son corollaire ? 20
À plusieurs reprises, Damas désigne
ses lecteurs, désireux de les voir réclamer
des comptes aux autorités : ils seront
Guyanais, Antillais et Français.21
Les Messageries Hachette sont
contactées pour une diffusion de l’ouvrage tant aux Antilles qu’en Guyane.
Dans un compte rendu adressé aux
Cahiers du Sud, Léopold Sédar Senghor
indique aux lecteurs le grand retentissement dans les colonies comme précédemment Pigments qu’aurait eu ce Retour.22
Jugeant l’ouvrage trop subversif, le
gouvernement local de la Guyane en
aurait acheté un grand nombre pour
exécuter un autodafé. Mythe ou réalité
? La simple lecture du Retour permet
d’en apprécier son caractère intensif,
virulent !
L.-G. DAMAS
L’homme et l’œuvre
Les sentiments mêlés que Damas ne
manque pas de susciter tant autour de sa
personne qu’autour de ses parcours, politique et littéraire, nous laissent perplexes. Le trio (Damas, Senghor, Césaire) était-il si parfait et en osmose avec ce
qui s’est fait, s’est écrit, s’est dit autour
de l’idée de Négritude ? Cette notion
même de Négritude débouche, semble-til, sur une dissonance de Damas à Césaire/Senghor : Les grands cris de Césaire, les orgues de Senghor ne conviennent
pas à Léon Damas, qui réussit mieux la
chanson simple que la symphonie. Elle
trouve ses armes à lui, ses poèmes courts et
acérés comme des poignards malais, ses
vers vifs, mordants ou tendres. 23
Il y a pourtant unanimité pour reconnaître que des trois, Damas a été celui qui aura vécu la Négritude, pleinement. Au-delà, comment du reste comprendre cette prise de position de Senghor qui déclare dans son anthologie,
que la poésie de Damas n’est pas sentimentale ! Que diable ! Toute l’œuvre
de Damas est empreinte d’une telle force que de la railler à ce point, et qui plus
est par Senghor, est hallucinant ! Blanchi, ne procède-t-il pas d’un sentiment
(de révolte) pour les allusions qu’il ne
peut supporter ? Contre notre amour /
Qui ne voulait rien d’autre, absence de
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PORTRAIT
PORTRAIT
sentiments ? Nous pensons que l’essentiel est
ailleurs : ... Nul n’a retrouvé ce style sec et vif, extraordinairement efficace dans son dépouillement
même ; ni cette surprenante désinvolture, cette audace et cette élégance jusque dans l’injure ; bref cette liberté. 24 Liberté, quel noble sentiment ! Ou
encore : Ces vers n’ont évidemment pas la prétention de constituer un poème à eux seuls, mais font
partie d’un cycle qui exprime les rêveries, les souvenirs et les emportements du noir en exil au long
d’une nuit passée à boire du BL.25
Que de sentiments ! ❐
La torche de résine
portée à bras d’homme
ouvrant la marche
dans la nuit du maronnage
n’a jamais cessé
à dire vrai
d’être ce flambeau
transmis d’âge en âge
et que chacun
se fit fort de rallumer
en souvenir de tant et tant de souvenirs
Poème inédit de Damas ayant servi
d’épitaphe au monument ci-dessous.
Tombeau de L.-G. DAMAS
au cimetière de Cayenne Guyane.
Black-Label, poème, N.R.F.,
Desnos et bois gravé de Franz
Masereel, Éd. Guy Lévis Mano,
Paris.
Période : bataille de Guernica
(20 Avril 1937). Dès 1930,
Desnos avait rompu avec le surréalisme (signataire du troisième
Cadavre, celui qui enterre André
Breton). Les gravures de
Masereel illustraient les journaux de gauche, tel que le
Monde.
Pigments (réédition avec une
préface de Robert Goffin et un
dessin hors texte de Max
Pinchinat) Éd. Présence Africaine,
18 juillet 1962. 50 ans de Damas
et 25è anniversaire de Pigments.
Interdit depuis 1939.
Poèmes nègres sur des airs
africains, Éd. Guy Lévis
Mano, Paris, février 1948.
Dédicacé à Léopold Sédar
Senghor. La revue Poésie mon
beau souci publia, en mars 1946,
trois poèmes de ce recueil.
Graffiti, Éd. Seghers, Paris 3
janvier 1952, 38 p. En 1949,
une anthologie poétique de
Langston Hugues et d’Arna
Bontemps, publiait un extrait du
recueil.
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ARTS ET CULTURES
BIBLIOGRAPHIE
L. Hughes & Damas New York 1954
Pigments,
Préface Robert
LA TORCHE
DE RÉSINE PORTÉÉ
DUNIA
Paris, 1956. Il s’agit d’un seul
poème composé telle une pièce
musicale de quatre mouvements. Écriture du poème
entreprise dès 1947.
Névralgies, poèmes comprenant Graffiti, Éd. Présence Africaine, 1966. Agencement des
poèmes modifié bien évidemment..
Retour de Guyane, documentaire, José Corti, 1938
Veillées Noires, contes nègres
de Guyane, Stock 1943.
Réédition le 15 décembre 1972,
Éd. Leméac.
Pigments * Névralgies, Éd.
définitive, Présence Africaine,
1972.
DOCUMENTAIRES
LÉON G-DAMAS
Réalisation : Sarah Maldoror,
1991
CE PAYS DE GUYANE À MON
CŒUR ACCROCHÉ
CRDP Antilles-Guyane
Réalisation : Jean François GONZALVES, 1991
AIMÉ CESAIRE
Série : Une voix pour l’histoire
Réalisation Euzhan PALCY
l’arbre à Palabres
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