arbre_palabre n° 10
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DUNIA ARTS ET CULTURES D AMAS LÉON-GONTRAN “ Martyr de l’oubli ” Nous empruntons le sous-titre à Léon-Gontran DAMAS1 en ce qu’il symbolise la condition qui lui est faite. A l’inverse de Césaire et de Senghor qui ont été portés aux nues, DAMAS, l’un des pères fondateurs de la Négritude2 est celui qui est le moins médiatisé mais pourtant rouage non moins essentiel de la vie politique et culturelle de la Diaspora. Autant Damas l’a écrit pour la Guyane Pour l’étranger qui passe, comme dans un rêve, il en est quitte pour un haut-le-cœur. Mais pour qui est originaire de ce pays, dont l’injuste réputation a vaincu la légende, dont les incommodités et l’état d’abandon font oublier les trésors fabuleux, c’est là un sujet de douleur et de révolte 3, autant cette maxime lui est directement applicable en sa qualité d’homme politique et de celle de prosateur et poète que Césaire traduit par la déréliction Nègre. Tout comme s’étonnera Senghor : Au demeurant, nous étions les premiers à nous étonner, Césaire et moi, que, parmi les nombreuses thèses qui avaient été écrites ou qui se préparaient sur les premiers écrivains du mouvement de la Négritude, il y en eût si peu sur Léon-Gontran Damas : sur le plus nègre des poètes nègres francophones.4 SANDRINE POUJOLS* & BENOIST LHONI Et toi Qu’est-ce que tu peux bien faire là Noctambule À n’y pas croire à cette nuit vraie Salutaire ricanement Forcené des confins À l’horizon de mon salut...5 * Chargée de cours en communication Auteur d’une thèse sur Damas 106 l’arbre à palabres # 10 - Décembre 2001 PORTRAIT PORTRAIT [ ’entrée, on se demande sous quel angle aborder le côté politique de LéonGontran Damas ! Rentré en Guyane à la Libération, L-G Damas, fonde avec René JADFARD le Mouvement de la Renaissance Guyanaise (MRGS.F.I.O.) pour venir à bout de l’inamovible MONNERVILLE alias TI MOMO qui leur damait le pion à longueur de consultation électorale. Le tandem finit par l’emporter aux élections législatives du 10 novembre 1946. Un an après, René JADFARD disparaissait dans un accident d’avion (jamais élucidé et qui avait fait l’objet d’une question écrite de Damas au Ministre de l’Intérieur7. À 36 ans, il est élu député de la Guyane, le 4 janvier 1948 (élection validée le 10/02/1948). Au cours de sa législature, L.-G. Damas, aura commis un nombre incroyable de propositions de loi pour la Guyane comme notamment, cette proposition du 16 mai 1950 tendant à inviter le Gouvernement à créer en Guyane française un Institut français d’Amérique Tropicale. Ou encore, cette proposition du 4 novembre 1950 tendant à inviter le Gouvernement à déposer d’urgence un projet de loi déterminant les modalités d’application dans les départements d’outre mer de la législation de la Sécurité Sociale en vigueur dans la Métropole. Mais plus encore que cette abondance de propositions de loi qui auront du reste connu des fortunes diverses, il aura participé à # 10 - Décembre 2001 ARTS ET CULTURES Be not deceived, for every deed you do I could match, outmatch : Am I not Africa’s son. Black of that black land where black deeds are done 6 L.-G. DAMAS homme politique D DUNIA moult commissions de l’assemblée nationale : commission des moyens de communication (24/02/48) ; Commission de la marine marchande et des pêches (18/01/1949) ; Commission des Territoires d’Outre Mer (19/01/50 et 13/01/51) : Commission chargée d’enquêter sur les incidents survenus en Côte d’Ivoire – dans laquelle il est coopté suite à la défection d’un parlementaire – (22/07/50). À ce titre, la transcription des auditions effectuées en Côte d’Ivoire – le fameux rapport 11348 sur les événements sanglants de la Côte d’Ivoire en 1949 – , devait devenir la bible du parti RDA et fut déterminante dans l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance. Comme on le remarquera, l’action politique de DAMAS aura été prolixe. Il aimait en faire part au cours de réunions pendant lesquelles il rencontrait les Guyanais de Guyane. Réunions dont on trouve naturellement des échos dans Temps Nouveau, journal du MRG qu’il avait dirigé et qui avait pour principal objectif : combattre la Départementalisation et dénoncer les scandales de l’époque. Circonscrire l’action de Damas au seul fait politique et qui plus est limitée à la Guyane, serait tronquer la réalité. On peut comprendre qu’il soit difficile d’établir une espèce de chronologie, le situant tantôt homme politique ou bien tantôt homme de lettre. Cependant sa perception des conditions difficiles faites aux colonisés le prédispose dès lors à une revendication politique sous tendue par une action littéraire comme ferment de sa révolte. Tout ceci est bien entendu en amont (1) Léon-Gontran Damas "La Guyane, Martyre de l’oubli" , FRANCE LIBRE du 27/03/1948 (2) Après la sortie éphémère de " Légitime Défense", Damas fonde avec Césaire et Senghor " l’étudiant noir" qui reprend en les élargissant à tous les Noirs et non plus aux seuls antillo-guyanais, les objectifs de " Légitime Défense" : combattre l’assimilation, l’aliénation et l’exploitation. Le mot de "négritude" fait son apparition, il définit un vaste mouvement social et culturel de désaliénation. Ses pères spirituels sont Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, Léopold Sédar Senghor. Pigments, recueil de poèmes publié en 1937, est la première concrétisation de ce mouvement de défense et d’illustration de la culture et de la civilisation noires. Debout Guyane, 23 juillet 1983, n°63. De son point de vue, Rodolphe Robo (Directeur du service culturel Départemental de la Guyane) considère à propos de la " Négritude ", qu’il "est périlleux de tenter de définir ce concept, mieux vaut indiquer ses composantes telles qu’elles ont été dégagées par Jacques Chevrier : la négritude est l’expression d’une race opprimée, la manifestation d’une manière d’être originale, un instrument de lutte, un outil esthétique. Les tenants de la négritude se défendent d’être racistes, Léon-Gontran Damas s’en expliquera d’ailleurs dans une interview à Jeune Afrique (16 mars 1971) " Notre propos, dénué de tout racisme, était d’opérer un retour sur nous-même, sans rejeter pour autant la culture occidentale... Toute la littérature qu’on a appelée la négritude n’a jamais été une entreprise raciste..." (3) L.-G. Damas op. cit. (4) L.S. Senghor in Préface de "Léon-Gontran Damas, l’homme et l’oeuvre", Daniel Racine, Coll. Approches, P.A., Paris, 1983 (5) Epitaphe de Césaire à son ami Damas, Série Emission "Césaire une voix pour l’Histoire" réalisée par Euzhan Palcy. (6) Claude McKay, extrait du poème : "To the white fiends", Pearson’s magazine, vol. 39, septembre 1938, p.276. Dans ce poème, "Aux ennemis blancs", l’écrivain jamaïquain signifie aux blancs, impérialistes et racistes, qu’il pourrait abattre dix d’entre eux pour un seul de ses frères massacrés, brûlés par eux. Il les défie en ces termes : " ne suis-je pas fils d’Afrique / noir de cette terre noire où s’effectuent de noirs desseins ? ". Sur la vie de McKay, la mémoire des morts décuple la force du jeune révolté, Léon Damas, en vue d’une libération totale. (7) Question posée lors de débat parlementaire. N° 17.635. - M. Léon DAMAS rappelle à M. le Ministre de l’Intérieur que, le 8 novembre 1947, le député René JADFARD trouvait la mort en Guyane dans un accident d’avion, et lui demande : 1°) - en vertu de quelle délibération, le conseil général aurait passé commande de l’appareil "Le SAEBEE" du type amphibie, destiné au département; 2°) - sur quel chapitre du budget aurait été imputée la dépense; 3°) - la date de signature de l’ordre de commande; 4°) - le coût de l’appareil; 5°) - l’avis du service local des changes dans le cas où l’achat de l’engin aurait nécessité une sortie de devises; 6°) - la date d’arrivée de l’appareil à Cayenne; 7°) - les conditions et la date de réception; 8°) - le classement de la section aéronautique du bureau Véritas; 9°) - les circonstances de l’accident; 10°) - le nombre d’accidentés; 11°) - les circonstances de l’embarquement; 12°) - les résultats de l’enquête; 13°) - les mesures de réparation qui ont été décidées par les services du ministère de l’intérieur, sur proposition du préfet après avis du conseil général; 14°) - la manière dont a été réglée la question des responsabilités personnelles et de celle du département (Question du 13 Février 1951). RÉPONSE. - Les longs délais écoulés depuis la date de l’accident, la multiplicité des précisions sollicitées par M. Léon DAMAS rendent nécessaire un supplément d’information. Une réponse d’ensemble sera fournie au député de la Guyane, dès que les renseignements détaillés qu’exige sa question auront pu être recueillis. l’arbre à Palabres 107 DUNIA ARTS ET CULTURES PORTRAIT PORTRAIT L.-G. Damas représente la Guyane aux obsèques de Léon Blum, Paris, 1950 (Photo Prével) L.-G. Damas, Cheik A. Kane, A. Miller, Festival Pen Club International, Abidjan, 1967 (Ph.R.Normand,) SI SOUVENT Si souvent mon sentiment de race m’effraie autant qu’un chien aboyant la nuit une mort prochaine quelconque je me sens prêt à écumer toujours de rage contre ce qui m’entoure contre ce qui m’empêche à jamais d’être un homme Et rien ne saurait autant calmer ma haine qu’une belle mare de sang faite de ces coutelas tranchants qui mettent à nu les mornes à rhum « Pigments * Névralgies » Éd. Présence Africaine, poésie , 1972 p.49 (8) Soulèye Diagne À la mémoire de Léon-Gontran Damas, Hommage à LéonGontran Damas, Éd. Présence Africaine, Paris, 1979, p.125. (9) Daniel Racine, op. cit., p. 198-199 108 l’arbre à Palabres de son élection aux législatives du 4 janvier 1948. En 1951, des dissensions éclatent au MRG et aboutissent à sa non réélection. Il quitte alors la Guyane et s’en va de par le monde, continuant son œuvre littéraire. Il participe à de nombreuses conférences au cours desquelles l’émancipation de la Guyane et des Antilles occupent le centre de ses réflexions. On est tout de même surpris qu’il ait finalement choisi de résider hors de Guyane tandis que ses compères d’alors, Césaire et Senghor, avaient eux fait le choix contraire. Les amitiés nouées à Paris avant et après guerre avec des écrivains négro-américains, pouvaient-elles constituer un début d’explication ? En tout état de cause, sa contribution au rayonnement de la Guyane n’est pas à démontrer. L.-G. DAMAS Poète et Prosateur La poésie sera le point de départ de toute l’œuvre littéraire de Damas et qui fondera en permanence son action politique. Le premier recueil qui sortira des presses sera Pigments qui enracine sa démarche dans la Négritude. Si Pigments valut la célébrité à son auteur, il ne fut pas cependant, lors de sa publication, fort bien accueilli par tous les jeunes intellectuels, notamment Sénégalais, qui résidaient à Paris. Ousmane Socé Diop, entre autres, reprocha ouvertement à Léon Damas d’avoir [...] pris à partie les anciens combattants Sénégalais, sous prétexte qu’ils avaient adressé un câblogramme d’indéfectible attachement devant la menace Allemande. Je dus intervenir pour convaincre mon compatriote des véritables intentions du poète : celui-ci entendait engager ses frères de race à ne plus servir, comme en 14-18, de chair à canon dans une guerre entre Européens, une guerre qui, à proprement parler, ne serait pas la leur 8. S.O.S, Des Billes pour la roulette ou Sur une carte postale, permettent-ils de conclure à un tel positionnement politique de Damas ? Les autorités françaises ne manquent pas de réagir elles aussi. Aidé du décret Louis Rollin, le gouvernement français procède à une censure rétroactive du recueil pour atteinte à la sûreté de l’État. Suspecter de fomenter une révolution, Damas fut longtemps interrogé : Des poèmes antimilitaristes de Pigments avaient été traduits en baoulé et mis en musique par les Ivoiriens. Devant le refus de ceux-ci de se laisser mobiliser, je reçois la visite de deux agents de la sûreté nationale française qui me perquisitionnent pour m’enlever ce qui me reste de Pigments (tirage de 300 exemplaires et quelque hors commerce). Parmi les questions qu’on me pose, on veut savoir quels sont mes rapports avec les autres nègres car j’ai donné l’impression dans Pigments d’être un meneur. À vrai dire, la commission rogatoire qu’on disait venir de la Côte d’Ivoire n’était qu’un prétexte. Elle avait été formée à Paris même. On me demande pourquoi je refuse d’être créole pour m’attacher tant à ma qualité de nègre. Je réponds que je ne connais que la race nègre, que je ne connais que les nègres, que si cela est une insulte, nous devons relever le défi ou l’insulte.9 L’interdiction ne souligne-t-elle pas le fait que Pigments pouvait répondre à l’attente d’un certain public par ses interrogations sur le monde et la nouvelle expérience du sujet proposé aux lecteurs ? Il faudra aux lecteurs potentiels vingt trois années pour en prendre entièrement connaissance, et ce dans sa version définitive ! En 1971, lors Damas, d’une conférence de la critique & la négritude presse dans le Vermont (USA), Damas # 10 - Décembre 2001 PORTRAIT PORTRAIT armé de son humour évoque la paternité de la Négritude : Je ne comprends pas pourquoi la Négritude nécessite tant de pères. En Afrique, nous n’avons nul besoin de pères, nous connaissons nos mères. Le mot fut inventé par Césaire [...]. Mais, pour plusieurs raisons, Senghor est maintenant le père de la Négritude. Peut-être suis-je le Saint-Esprit ! 10 Dans son entretien accordé à Racine en Mai 1977 (Washington), il assimile cette recherche de paternité à un moyen de décourager les chercheurs ou les critiques à trop vouloir couper les cheveux en quatre quand il s’agit d’une question dont nous ne nous sommes guère préoccupés [...] nous n’avions pas besoin d’être trois pères pour créer un mot. Il n’était pas nécessaire de conjuguer l’effort de trois nègres pour lui donner le jour. Il me suffisait d’un seul homme pour cela.11 L’interrogation ne révèle-t-elle pas un désintérêt des critiques pour son œuvre, une méconnaissance, voire du mépris ? Dénonçant l’attitude de certains critiques, Damas se justifia : J’ai la conviction que mon travail constitue un message important, et Pigments fut aussi le manifeste du mouvement de la négritude [...] tous les poètes qui vinrent après Pigments furent obligés d’employer le matériau contenu dans ses poèmes. Tous les thèmes de Pigments, toutes les idées ont été reprises, et depuis lors je ne vois rien de nouveau. 12 Provocation lancée aux spécialistes littéraires pérorant sur un mouvement de jeunesse montée par leur soin en une théorie d’école. Reprenant avec Racine l’importance de ce recueil, le poète précise toutefois qu’il n’y fait aucun exposé théorique. Je n’ai été, à vrai dire, ni le théoricien, ni le métaphysicien de ce mouvement. Je me suis contenté de marquer cette génération de mon œuvre initiale. 13 Se plaçant en marge/des théories/en marge/des bavardages 14, il ne cesse de mettre en garde les jeunes générations contre le danger des palabres, qui ne sont que perte de temps pour mieux diviser. Il y a aussi la question du pourquoi # 10 - Décembre 2001 DUNIA ARTS ET CULTURES de notre mouvement, qui d’ailleurs, ne s’appelait pas Négritude. On est en train de réécrire l’histoire. On écrit beaucoup de bêtises. Notre Négritude, ce fut une découverte, une prise de conscience. Nous avons découvert à Paris qu’une chose ne pouvait plus continuer : la dépendance absolue.15 Pour en revenir au problème d’identité, je voudrais préciser... parce que ce qui s’est passé, en tout cas à partir de moimême, ce n’est pas uniquement une conscience raciale, mais ça été une conscience individuelle, conscience sociale et conscience humaine. Et quand j’entends parler d’une civilisation de l’universel, je dis, moi, je suis d’accord, mais à partir du moment où on va régler les problèmes particuliers. On ne peut arriver à l’universel sans partir du particulier. Ceci est ma position. 16 Sa prise de position pour l’Afrique est sans équivoque en même temps qu’il réaffirme son appartenance à la Guyane : Alors je dois dire par ailleurs... que j’ai pris position de ce côté, c’est-à-dire en faveur de l’Afrique, sans aucune réserve. On doit me rendre hommage... cependant je suis de ceux qui parle rarement de négritude. Je parle rarement de négritude, parce que moi je ne suis pas complexé du seul fait que je sois un Guyanais. Mes meilleurs amis en France ont toujours été des métropolitains, des gens de toutes races et ce n’est pas pour rien que... un peu grâce à moi la voie aura été ouverte d’une collaboration entre les intellectuels Nègres et Métropolitains. À partir de la préface de Pigments faite par Robert Desnos, Breton va préfacer Césaire, Mauriac va préfacer Senghor, Delavignette va préfacer Socé. Il a raison Senghor quand il dit que j’ai peut-être, plus que tous les autres, plus que Césaire et plus que lui-même, vécu la vie matérielle, la misère matérielle, morale des Noirs du monde... C’est que moi je me sentais à l’aise pour aller aux uns et aux autres. Mais dans le même temps j’étais privilégié Propos sur le problème identitaire L.-G. Damas, Hall of Fame, Université de New York Ph. Anna Winand, New York, 1969 Source Daniel Racine, Op. Cit. (10) Négritude revisited, Manna, Toronto, n° 3 1972, p. 16 traduction Sandrine Poujols. (11) David Racine, op. cit., p. 193 (12) Ibid. (13) Ibid., p. 194-195 (14) L.-G. Damas Pigments * Névralgies Éd. Présence Africaine, Paris 1995, p. 60 (15) Rencontre avec L.-G. Damas : Faut-il liquider les pères ? (Washington, Octobre 1974), Poésie n°1, n°43, 44, 45. janvierjuin 1976, p. 51 (16) Doudou Gueye Hommage à Léon-Gontran Damas, Fondation Houphouët-Boigny, n°2, Abidjan, janvier 1978, p. 145 (17) Ibid., p. 146-147 l’arbre à Palabres 109 DUNIA ARTS ET CULTURES PORTRAIT PORTRAIT (18) Exploitons la Guyane, Radicale de Marseille, 27 mars 1938, p. 2 (19) René Maran Histoire de la France Equinoxiale : Retour de Guyane, La Dépêche de Toulouse, 6 avril 1938, p. 5 (20) L.-G. Damas Retour de Guyane, Corti, Paris, 1938, p. 154 (21) Ibid., p. 73 (22) L. S. Senghor Retour de Guyane par L.-G. Damas, Les Cahiers du Sud, n°211, décembre 1938, p.904 (23) L. Kesteloot Les Ecrivains noirs de langue française, Éd. Université de Bruxelles 1962-1963, p. 140 (24) Ibid., p. 147 (25) J. M. Ita répond au commentaire dans À propos de BL, African Arts / Arts d’Afrique, vol. 3, n° 2, 1970, p. 84-87 110 l’arbre à Palabres dans les salons littéraires métropolitains. Je n’ai jamais personnellement souffert mais j’ai pris position. 17 Après Retour d’URSS, Retour du Tchad de Gide, il faudra compter avec le Retour de Guyane. Ethnologie et journalisme sont au cœur même de l’écriture. Dans sa prière d’insérer, publiée par le Radical de Marseille en mars 1938, Damas se présente comme journaliste d’une objectivité systématique (qui) se double souvent avec bonheur d’un sensible poète qui prit soin d’actualiser les notes de voyage rassemblées au cours d’une mission ethnographique, et dont l’étude s’imprègne d’un humour léger et souvent caustique.18 René Maran le félicite ouvertement pour avoir fait son devoir d’écrivain. Sa principale caractéristique, selon lui, repose en une combativité de parti pris. L’intérêt de la lecture y est constant : sous l’allure polémique, les chapitres indiquent des tares, proposent des réformes, prodiguent des idées qui ne devraient laisser indifférents ni les Guyanais, ni les pouvoirs publics. Prévoyant d’éventuelles attaques à l’encontre du jeune auteur, Maran qualifiait son acte patriotique : Cet exposé, confiait-il, permet une prise de conscience des menaces pesant sur l’empire colonial français, que représentent aussi bien l’Allemagne que les ÉtatsUnis.19 Damas évoque lui-même ce danger pour sensibiliser son lecteur à l’intérêt d’une meilleure politique française en Guyane. Quant à la crainte d’une censure, il en fait état explicitement dans son discours. Consacrant tout un chapitre au décret Louis Rollin, l’auteur n’ironise-til pas en justifiant une auto censure, conscient de n’être pas tellement Retour de Guyane qu’(il) ne puisse être sûr d’échapper à l’élasticité du bâillon Rollin ou de son corollaire ? 20 À plusieurs reprises, Damas désigne ses lecteurs, désireux de les voir réclamer des comptes aux autorités : ils seront Guyanais, Antillais et Français.21 Les Messageries Hachette sont contactées pour une diffusion de l’ouvrage tant aux Antilles qu’en Guyane. Dans un compte rendu adressé aux Cahiers du Sud, Léopold Sédar Senghor indique aux lecteurs le grand retentissement dans les colonies comme précédemment Pigments qu’aurait eu ce Retour.22 Jugeant l’ouvrage trop subversif, le gouvernement local de la Guyane en aurait acheté un grand nombre pour exécuter un autodafé. Mythe ou réalité ? La simple lecture du Retour permet d’en apprécier son caractère intensif, virulent ! L.-G. DAMAS L’homme et l’œuvre Les sentiments mêlés que Damas ne manque pas de susciter tant autour de sa personne qu’autour de ses parcours, politique et littéraire, nous laissent perplexes. Le trio (Damas, Senghor, Césaire) était-il si parfait et en osmose avec ce qui s’est fait, s’est écrit, s’est dit autour de l’idée de Négritude ? Cette notion même de Négritude débouche, semble-til, sur une dissonance de Damas à Césaire/Senghor : Les grands cris de Césaire, les orgues de Senghor ne conviennent pas à Léon Damas, qui réussit mieux la chanson simple que la symphonie. Elle trouve ses armes à lui, ses poèmes courts et acérés comme des poignards malais, ses vers vifs, mordants ou tendres. 23 Il y a pourtant unanimité pour reconnaître que des trois, Damas a été celui qui aura vécu la Négritude, pleinement. Au-delà, comment du reste comprendre cette prise de position de Senghor qui déclare dans son anthologie, que la poésie de Damas n’est pas sentimentale ! Que diable ! Toute l’œuvre de Damas est empreinte d’une telle force que de la railler à ce point, et qui plus est par Senghor, est hallucinant ! Blanchi, ne procède-t-il pas d’un sentiment (de révolte) pour les allusions qu’il ne peut supporter ? Contre notre amour / Qui ne voulait rien d’autre, absence de # 10 - Décembre 2001 PORTRAIT PORTRAIT sentiments ? Nous pensons que l’essentiel est ailleurs : ... Nul n’a retrouvé ce style sec et vif, extraordinairement efficace dans son dépouillement même ; ni cette surprenante désinvolture, cette audace et cette élégance jusque dans l’injure ; bref cette liberté. 24 Liberté, quel noble sentiment ! Ou encore : Ces vers n’ont évidemment pas la prétention de constituer un poème à eux seuls, mais font partie d’un cycle qui exprime les rêveries, les souvenirs et les emportements du noir en exil au long d’une nuit passée à boire du BL.25 Que de sentiments ! ❐ La torche de résine portée à bras d’homme ouvrant la marche dans la nuit du maronnage n’a jamais cessé à dire vrai d’être ce flambeau transmis d’âge en âge et que chacun se fit fort de rallumer en souvenir de tant et tant de souvenirs Poème inédit de Damas ayant servi d’épitaphe au monument ci-dessous. Tombeau de L.-G. DAMAS au cimetière de Cayenne Guyane. Black-Label, poème, N.R.F., Desnos et bois gravé de Franz Masereel, Éd. Guy Lévis Mano, Paris. Période : bataille de Guernica (20 Avril 1937). Dès 1930, Desnos avait rompu avec le surréalisme (signataire du troisième Cadavre, celui qui enterre André Breton). Les gravures de Masereel illustraient les journaux de gauche, tel que le Monde. Pigments (réédition avec une préface de Robert Goffin et un dessin hors texte de Max Pinchinat) Éd. Présence Africaine, 18 juillet 1962. 50 ans de Damas et 25è anniversaire de Pigments. Interdit depuis 1939. Poèmes nègres sur des airs africains, Éd. Guy Lévis Mano, Paris, février 1948. Dédicacé à Léopold Sédar Senghor. La revue Poésie mon beau souci publia, en mars 1946, trois poèmes de ce recueil. Graffiti, Éd. Seghers, Paris 3 janvier 1952, 38 p. En 1949, une anthologie poétique de Langston Hugues et d’Arna Bontemps, publiait un extrait du recueil. # 10 - Décembre 2001 ARTS ET CULTURES BIBLIOGRAPHIE L. Hughes & Damas New York 1954 Pigments, Préface Robert LA TORCHE DE RÉSINE PORTÉÉ DUNIA Paris, 1956. Il s’agit d’un seul poème composé telle une pièce musicale de quatre mouvements. Écriture du poème entreprise dès 1947. Névralgies, poèmes comprenant Graffiti, Éd. Présence Africaine, 1966. Agencement des poèmes modifié bien évidemment.. Retour de Guyane, documentaire, José Corti, 1938 Veillées Noires, contes nègres de Guyane, Stock 1943. Réédition le 15 décembre 1972, Éd. Leméac. Pigments * Névralgies, Éd. définitive, Présence Africaine, 1972. DOCUMENTAIRES LÉON G-DAMAS Réalisation : Sarah Maldoror, 1991 CE PAYS DE GUYANE À MON CŒUR ACCROCHÉ CRDP Antilles-Guyane Réalisation : Jean François GONZALVES, 1991 AIMÉ CESAIRE Série : Une voix pour l’histoire Réalisation Euzhan PALCY l’arbre à Palabres 111