La consommation de tabac en France
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La consommation de tabac en France
M I S E A U P O I N T La consommation de tabac en France ● A. Stoebner-Delbarre* a consommation de tabac constitue l’un des problèmes majeurs actuels de santé publique en France, mais aussi dans le monde, où environ un tiers de la population âgée de 15 ans et plus fume (1, 2). Cette consommation a évolué ces trente dernières années. Les produits du tabac ont changé, les fumeurs eux-mêmes sont différents et ont modifié leurs habitudes. En ce début du troisième millénaire, fume-t-on plus ou moins qu’avant ? Quels sont les produits du tabac les plus consommés ? Qui fume ? Existe-t-il une demande des fumeurs pour arrêter ? Comment est vécu le tabagisme passif ? Nous répondrons ici successivement à chacune de ces questions en présentant les données françaises. L LES VENTES ET LA CONSOMMATION DE TABAC ONT GLOBALEMENT DIMINUÉ DEPUIS 1991 MAIS ELLES SONT RELATIVEMENT STABLES DEPUIS 1997 Du début du XXe siècle jusqu’au milieu des années 70, les ventes de tabac ont augmenté en moyenne de 4 % par an. Par la suite, elles se sont stabilisées autour de 2,3 kg par an et par personne de plus de 15 ans jusqu’au début des années 90. Le pic de vente de tabac a été atteint en 1991 (3). De 1991 à 1997, les ventes totales de tabac ont diminué, passant de 103,8 milliers de tonnes de tabac vendu à 92,2 milliers de tonnes en 1997 (4, 5). Depuis cette dernière date, cette décroissance nette est stoppée et 91,75 milliers de tonnes de tabac ont été vendues en 2000 (3). Ces chiffres ne représentent pas l’ensemble de l’offre de tabac en France puisqu’il faut également prendre en compte le marché parallèle de la contrebande. Cependant, la loi Évin (10 janvier 1991) a sans doute eu un effet décisif au moins les six premières années qui ont suivi son adoption, en interdisant de fumer dans les lieux ouverts au public, en étendant l’interdiction de la publicité, et en engageant un mouvement d’augmentation sensible du prix du tabac (+ 82,7 % entre 1991 et 2000). D’après l’INSEE, une hausse de 1 % du prix du tabac entraîne une baisse immédiate de 0,5 % des achats, puis les effets s’estompent et la consommation se stabilise après 3 ans à 0,3 % au-dessous du niveau d’origine (6). LES GOÛTS POUR LES PRODUITS DU TABAC ÉVOLUENT AVEC LE TEMPS Au début du XXe siècle, la consommation du tabac prend la forme de tabac à chiquer, cigares, pipes et cigarettes à rouler. La pro* Épidaure, CRLC - Val-d’Aurelle, Montpellier. La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 4 - juillet-août 2002 duction industrielle des cigarettes augmente sensiblement à partir des années 20, et explose au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Les goûts des fumeurs se modifient. On observe, ces trente dernières années, une désaffection progressive pour les cigarettes brunes au profit des blondes, qui représentent en 2000 plus de 82 % du marché contre seulement 8 % en 1981 (7, 8). Dans le même temps, la vente de cigarettes légères a presque doublé, passant de 17,8 milliards d’unités en 1987 à 30,09 milliards d’unités en 2000. Les cigarettes légères représentent depuis 6 ans entre 35 % et 37 % du marché des cigarettes. Plus récemment, il semblerait qu’une partie des fumeurs de cigarettes se soit tournée vers la consommation de cigares, de cigarillos et de cigarettes à rouler. Ainsi, le marché des cigares et des cigarillos poursuit son développement et affiche une croissance de 2,4 % en 2000, et les ventes de tabac à rouler ont plus que doublé depuis 1991, passant de 2 453 tonnes à 5 581 tonnes en 2000 (3). Ces tendances peuvent être expliquées en partie par l’augmentation importante du coût des cigarettes ces dix dernières années alors que les autres produits ont augmenté dans une proportion moindre (6). LES HOMMES FUMENT MOINS, LES FEMMES FUMENT PLUS En 2000, 34 % des personnes de 12 à 75 ans déclarent fumer, ne serait-ce que de temps en temps (9). L’enquête permanente sur les conditions de vie des ménages, réalisée par l’INSEE la même année, a estimé à environ 13 millions le nombre de fumeurs quotidiens âgés de 15 ans et plus (soit 27 % de cette population) (10). Les principaux facteurs liés au tabagisme sont l’âge, la génération, le sexe (figure 1) et la situation professionnelle et financière. Au début de l’épidémie du tabagisme, les fumeurs se trouvaient surtout parmi les gens aisés. Actuellement, au contraire, cette tendance semble s’être inversée, au moins chez les hommes et les jeunes de 15 à 19 ans (10). Les adultes De 1974 à 1992, le pourcentage de fumeurs de la population française a toujours oscillé autour de 40 %. À partir de 1992 et de la mise en application de la législation antitabac, le nombre des fumeurs a légèrement diminué, mais cette tendance tend à se stabiliser depuis 4 ans. En 1995, 36,5 % des adultes se déclaraient fumeurs. Depuis 1997, la proportion de fumeurs dans la population s’est globalement stabilisée autour de 34 %. Cette tendance générale masque cependant une progression chez les femmes. 143 M I S E A U P O I N T (26 %). Contrairement aux hommes, le niveau de vie ne semble pas lié au tabagisme quotidien des femmes (10). 60 48,6 50,7 50 Pourcentage 40 45,9 47,4 41,9 39,3 30 20 51,9 42,8 43 38 31,5 33,2 25,4 18,7 24,8 16,4 Hommes Femmes 10 4,9 13,5 7,8 65-75 55-64 45-54 35-44 26-34 20-25 12-13 14-15 16-17 18-19 0 Âge (années) Figure 1. Fumeurs actuels selon l’âge et le sexe (9). Six points sont importants à noter concernant la consommation de tabac des adultes (9-12) : ● Le pourcentage de fumeurs diminue avec l’âge, passant de 47,3 % entre 18 et 25 ans à 14 % entre 60 et 75 ans. ● Les hommes sont toujours plus nombreux à fumer que les femmes (37,4 % contre 31,1 %) mais on assiste depuis les années 70 à une réduction de leur consommation. ● La diminution du taux de fumeurs chez les hommes vient de ce que les générations les plus récentes fument moins que celles qui les ont précédées. ● À l’opposé, le nombre de femmes qui fument continue à augmenter et l’usage du tabac est plus répandu parmi les nouvelles générations. Ainsi, l’augmentation de la consommation de tabac a été particulièrement marquée pour la génération née dans les années 50, qui a commencé à fumer dans les années 70. Les générations actuelles fument à peine plus qu’elle. Chez les 18-19 ans, les femmes dépassent dorénavant les hommes (48,6 % de fumeuses contre 47,4 % de fumeurs) mais elles fument pour l’instant moins de cigarettes par jour (12,6 cigarettes par jour en moyenne chez les garçons et 8,7 chez les filles). ● Les comportements des femmes et des hommes sont de plus en plus proches. ● La proportion des femmes enceintes continuant à fumer lors de leur grossesse est en augmentation. Elle est passée de 15 % en 1981 à 25 % en 1995. ● Les statistiques sur la consommation du tabac dans divers sousgroupes de population (variations sociales, géographiques, professionnelles) sont encore relativement pauvres. Les hommes appartenant aux ménages dont le niveau de vie est le plus faible sont proportionnellement plus nombreux à fumer : 52 % des chômeurs fument contre 38 % des hommes exerçant une profession. Ce sont les ouvriers et les artisans-commerçants qui sont les plus nombreux à fumer, respectivement 47,9 % et 52,3 %. Chez les femmes, 28 % de celles ayant une profession fument contre 32 % des femmes au chômage. Lorsqu’elles ont une activité professionnelle, les plus nombreuses à fumer sont les employées, les professions intermédiaires (29 %) et les ouvrières 144 Les jeunes Entre 1977 et le milieu des années 90, le taux de fumeurs chez les jeunes de 12 à 18 ans a baissé, passant de 46 % à 25 % (13-15). Cela est vrai aussi bien chez les garçons que chez les filles. Cependant, depuis, il semblerait qu’il y ait une augmentation de l’usage quotidien du tabac chez les 14-18 ans et une hausse de l’expérimentation (16-17). Ce dernier phénomène est banal chez les jeunes : environ 80 % des filles et des garçons de 17 ans déclarent avoir déjà fumé au moins une cigarette dans leur vie (18). Voici les principales autres tendances de la consommation des jeunes (9, 14-18) : ● Les comportements des filles et des garçons se rejoignent. ● Le tabagisme augmente progressivement avec l’âge. La proportion de jeunes fumeurs passe ainsi de 6,5 % à 12-13 ans à 58 % à 18 ans. ● La consommation régulière augmente avec l’âge. La consommation moyenne de cigarettes par jour est de 5,2 à 14-15 ans et de 10,5 à 18 ans. ● Les jeunes commencent à fumer plus tard qu’il y a 15 ans. En 1985, l’âge moyen d’initiation au tabagisme était de 13,1 ans chez les garçons et 12,3 ans chez les filles. Il est passé respectivement à 14,2 et 14,5 ans en 1996 et à 15,3 et 15 ans en 1997. ● Les jeunes de 15 à 19 ans appartenant à un ménage en situation financière difficile sont plus exposés à l’usage du tabac. ● Les jeunes souhaitent s’arrêter de fumer et environ 5 % des 17-19 ans y sont arrivés (18) . Dautzenberg et al. ont observé un doublement du taux des ex-fumeurs chez les garçons de 16 ans entre 1991 et 1996, passant de 3 % à plus de 6 % (19). LE DÉSIR D’ARRÊTER EXISTE QUEL QUE SOIT L’ÂGE Plus de 58 % des fumeurs souhaiteraient arrêter de fumer, dont la moitié dans un avenir proche allant de moins d’un mois à un an (9). Cette demande est particulièrement importante chez les 26-54 ans. Chez les 12-18 ans, plus de 54 % souhaitent arrêter de fumer (15). Cette envie diminue avec l’âge et n’est pas différente entre les garçons et les filles. Les méthodes pour arrêter de fumer sont mal connues et seulement 24,6 % projettent d’arrêter en utilisant un substitut nicotinique. L’arrêt volontaire radical est le moyen le plus souvent envisagé. Ce fait est peut-être expliqué par la croyance tenace que “seule la volonté compte”. De même, seuls 28,8 % pensent faire appel à un médecin. Cette proportion augmente avec l’âge et elle est plus élevée chez les femmes. LA FUMÉE DES AUTRES GÊNE De plus en plus de personnes se déclarent gênées par la fumée des autres (65 % en 1992 contre 71,2 % en 2000) (20). Les non-fumeurs se déclarent plus souvent gênés que les fumeurs (80,3 % versus 52,9 % ; p < 0,001). Ces derniers sont d’autant plus gênés qu’ils fument moins de cigarettes par jour. La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 4 - juillet-août 2002 Définition des fumeurs. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S Appellation Définition 1. Haut Comité de santé publique. La Santé en France 1994/98. Paris : La Expérimentation du tabac Avoir déjà consommé au moins une cigarette au cours de sa vie 2. World Health Organization – Tobacco epidemic : Health dimension – Fact Fumeur Fumer, ne serait-ce que de temps en temps Fumeur quotidien ou régulier Fumer au moins une cigarette par jour Fumeur occasionnel Fumer moins d’une cigarette par jour documentation française, 1998 : 309 p. Les plus jeunes sont ceux qui se déclarent le moins souvent gênés, quel que soit leur statut tabagique. EN RÉSUMÉ La consommation de tabac a évolué ces trente dernières années. Les produits consommés actuellement sont essentiellement des cigarettes blondes et/ou légères, mais il existe un nouvel attrait pour les cigarettes à rouler, les cigares et les cigarillos. Si, globalement, les ventes de tabac et le taux de fumeurs ont diminué, ces tendances masquent la progression du tabagisme chez les femmes. Chez les jeunes de 12 à 18 ans, une baisse de la consommation de tabac a été observée de 1977 au milieu des années 90. La tendance actuelle semble être à la hausse de l’usage quotidien chez les 14-18 ans et à l’augmentation de l’expérimentation. De plus, les comportements des filles et des garçons se rejoignent. Les mesures de prévention et d’information devraient être davantage développées et adaptées à leur public (femmes, jeunes, etc.) pour répondre au besoin de santé publique. Enfin, les demandes et les souhaits de sevrage sont nombreux, mais les méthodes pour y arriver restent méconnues. C’est à nous, en tant que soignants, de savoir y répondre ou d’identifier cette ■ demande pour apporter l’aide adaptée. sheet no 154, may 1998. 3. CDIT Le tabac en France en 2000. Tabac News 2001 ; 22 : 2. www. cdit.fr/Tntextes. 4. CDIT. Le tabac en France en 1996. Tabac News 1997 ; 18. www. cdit.fr/Tntextes/TN18.html. 5. CDIT. Le tabac en France en 1997. Tabac News 1998 ; 19. www. cdit.fr/Tntextes/TN19.html 6. Anguis M, Dubeaux D. Les fumeurs face aux récentes hausses du prix du tabac. INSEE Première 1997 ; 551 : 4 p. www.insee.fr. 7. CDIT Le tabac en France en 2000. Tabac News 2001 ; 22 : 7. 8. CDIT Le tabac en France en 1996. Tabac News 1997 ; 18 : 7. 9. Guilbert P, Baudier F, Gautier A. Baromètre santé 2000. Paris : CFES eds, 2001. 10. Aliaga C. Le tabac : vingt ans d’usage et de consommation. INSEE Première 2001 ; 808. www.insee.fr 11. Grizeau D. Tabac. In : Baromètre Santé 92. Paris : CFES eds., 94-113. 12. Grizeau D, Ardwisson P. Tabac : consommation et réglementation. 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