ACTUALITÉ FISCALE PATRIMONIALE FRANCO
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ACTUALITÉ FISCALE PATRIMONIALE FRANCO
F I S CALITÉ M A R C VAS L I N PA U L I N E A N D R I E U MADELEINE BRION ACTUALITÉ FISCALE PATRIMONIALE FRANCO-SUISSE Etat des lieux et perspectives Il n’aura fallu que cinq années pour mettre à bas un demi-siècle d’une remarquable stabilité dans les relations fiscales franco-suisses. D’une magnitude exceptionnelle, le séisme financier de 2009 puis sa réplique en 2011 ont contraint les Etats à réagir face à leurs dettes devenues abyssales. C’est dans ce contexte que la discrète Suisse, historiquement terre d’accueil des exilés fiscaux, s’est retrouvée sur le devant de la scène internationale, sous un feu diplomatique, fiscal et judiciaire intense. 1. INTRODUCTION Nous proposons de revenir sur les événements qui ont marqué à cette occasion ou plus récemment les relations fiscales franco-suisses. Nous tâcherons ainsi d’apporter notre contribution sur les conséquences (2) de la dénonciation par la France de la convention de 1953 sur les successions, (3) de la renonciation unilatérale de la France à l’accord amiable de 1972 relatif au bénéfice de la convention de 1966 pour les contribuables suisses imposés d’après la dépense et (4) de l’assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux. Enfin, nous terminerons notre propos par une rapide analyse (5) des apports du Règlement européen sur les successions et l’impact qu’il pourra avoir sur les résidents suisses quand bien même la Suisse n’en est pas partie. 2. LA DÉNONCIATION DE LA CONVENTION DE 1953, SYMBOLE DU SCHISME FRANCO-SUISSE Exceptionnelles il y a encore une dizaine d’année, les dénonciations de conventions ne sont désormais plus taboues. Après la dénonciation de la convention franco-danoise le 10 juin 2008 par le Danemark, c’est au tour de la convention francosuisse d’être dénoncée par la France. Au-delà du geste (ou du soufflet) diplomatique qu’elle représente, une telle dénonciation emporte d’abord et surtout de lourdes conséquences pécuniaires pour les contribuables des pays concernés. Rappelons que la France avait annoncé dès 2011 son intention de dénoncer la convention conclue avec la Suisse le 31 dé- cembre 1953 en matière d’impôt sur les successions. La France entendait mettre un terme à l’évaporation fiscale produite par les dispositions de cette convention trop favorable aux expatriés, que la crise de 2009 avait soudain rendue intolérable. Les négociations entamées à la demande de la France et sous la menace d’une dénonciation de la convention en vigueur, aboutirent à l’élaboration d’un nouveau texte le 11 juillet 2013. Ce dernier, quasi-exclusivement rédigé à la faveur de la France, fut finalement rejeté par le Conseil national suisse. Mettant sa menace à exécution, la France dénonça la convention le 17 juin 2014, laissant les contribuables face à un vide conventionnel à compter du 1er janvier 2015. 2.1 Le vide conventionnel ou la théorie de la tectonique des plaques fiscales. Le vide conventionnel qui en résulte a pour effet, s’agissant des décès survenus à compter du 1er janvier 2015, de permettre à la France et à la Suisse d’appliquer chacune sans restriction leur droit interne pour l’imposition des successions. La collision désormais libre de ces deux forces élargit considérablement l’exposition des résidents suisses aux droits de succession et crée de nombreux cas de double imposition. A l’inverse des règles de territorialité cantonales suisses fondées sur la résidence du défunt ou le lieu de situation des biens immobiliers [1], la territorialité française [2] est tentaculaire. De même qu’en Suisse, elle permet (i) de taxer tous les MARC VASLIN, PAULINE ANDRIEU, AVOCAT AUX BARREAUX AVOCAT, DE PARIS, GENÈVE VASLIN ASSOCIÉS, ET BRUXELLES, ASSOCIÉ GENÈVE DU CABINET VASLIN ASSOCIÉS, PARIS, GENÈVE 178 E X P E R T F O C U S 2016 | 3 ACTUALITÉ F I S CALE PATR I M O N IALE F RAN C O-S U I S S E biens composant la succession d’un défunt qui avait son dernier domicile en France mais également, et c’est en cela qu’elle diverge des règles suisses, (ii) tous les biens et droits reçus, quelle que soit leur localisation, par un héritier ou légataire résident [3], ou encore, (iii) lorsque ni le défunt ni l’héritier ou légataire ne sont résidents, tous les biens et droits réputés situés en France. La convention de 1953 prévoyait quant à elle que l’Etat du dernier domicile du défunt avait compétence afin de taxer l’entier de la succession, à l’exception toutefois des biens immobiliers détenus directement et situés sur le territoire de l’autre Etat [4]. Depuis le 1er janvier 2015, deviennent ainsi imposables en France les successions ouvertes au profit de légataires ou d’héritiers résidents de France et les successions ne concernant pas d’héritiers ou légataires résidents de France mais incluant des biens, meubles ou immeubles, situés ou réputés situés en France. Lorsque ces mêmes actifs sont également imposables en Suisse, la double imposition ne sera pas systématiquement éliminée puisque le droit français ne prévoit de mécanisme de crédit d’impôt que lorsque la double imposition frappe des actifs situés hors de France [5]. Afin d’illustrer ce propos, prenons l’exemple d’un défunt résident de Suisse, divorcé et imposé d’après la dépense dans le Canton de Genève, qui laisse deux héritiers à parts égales, l’un résident de Suisse, l’autre de France depuis plus de 6 ans. Sa succession comprend une résidence à Genève, un chalet à Megève détenu au travers d’une Société civile immobilière (SCI), une villa sur la Côte d’Azur à son nom, un portefeuille composé de valeurs mobilières françaises déposé et géré par une banque suisse, un autre portefeuille de valeurs mobilières non françaises déposées dans cette même banque et enfin, des œuvres d’art situées en France dans son chalet et sa villa. Du côté suisse, en application du droit cantonal genevois, tous ses biens, à la seule exception de la villa, seront imposés en Suisse au taux de 6%. Du côté français, il convient de distinguer la situation de l’héritier résident de France, de celle du cohéritier non résident. Le premier sera imposé en France sur la moitié de tous les biens composant la succession [6], à un taux progressif pouvant atteindre 45% au-delà de 1,9 M €. Il ne pourra imputer sur l’impôt français que les droits acquittés en Suisse sur la résidence genevoise et le portefeuille de valeurs mobilières non françaises. Le vide conventionnel laissera donc exister une double imposition sur les parts de la SCI, le portefeuille titres français et la collection d’œuvres d’art. MADELEINE BRION, DIPLÔMÉE NOTAIRE, VASLIN ASSOCIÉS, GENÈVE 3 | 2016 E X P E R T F O C U S F I S CALITÉ S’agissant de l’héritier résident suisse, il ne sera imposable en France que sur ses droits lui revenant sur les parts de la SCI, la villa, le portefeuille de valeurs mobilières françaises et sur la collection d’œuvres d’art. S’agissant des biens situés en France, il ne pourra pas imputer sur l’impôt français, les droits acquittés en Suisse sur ces mêmes biens. Il subira donc une double imposition sur les parts de la SCI, le portefeuille titres et sur les œuvres d’art. Au-delà de l’inégalité du traitement des héritiers qui en résultera, ces doubles impositions pourront par ailleurs porter le taux d’imposition jusqu’à 51% [7] de l’actif successoral net alors que sous l’empire de la convention de 1953, seule la villa aurait été imposable en France. Que dire lorsque la double imposition touchera des personnes non parentes (comme p. ex. les partenaires non pacsés au sens français) et que celle-ci pourra atteindre jusqu’à 115% [8] de l’actif net selon le canton concerné! 2.2 Quelques mesures antisismiques à étudier. On l’aura compris, alors que sous l’empire de la confortable convention de 1953, la transmission par décès était la plus efficiente [9], ce sont désormais l’anticipation et la transmission de son vivant qui permettront d’atténuer les secousses consécutives à la disparition de la convention. Une première stratégie pourra consister, afin de se donner davantage de temps, à différer totalement ou partiellement l’ouverture de la succession. Il ne s’agit pas ici d’une solution définitive mais simplement de reculer pour mieux sauter. Les couples mariés pourront ainsi modifier leur régime matrimonial en faveur de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au dernier vivant, afin de différer l’ouverture de la succession au décès du survivant. Pour des raisons évidentes, cette mesure – qui ne doit jamais être prise par seul intérêt fiscal – concernera plutôt les couples éprouvés et désireux de fortement protéger le dernier vivant. Sauf rares exceptions, elle est à proscrire pour les familles recomposées ou pour les «jeunes mariés». Ces derniers s’intéresseront plutôt à la gratification étendue du conjoint au moyen de la donation au dernier vivant, puisque le conjoint [10] est exonéré de droits de succession en France comme en Suisse. Une autre stratégie consistera à limiter les successions imposables en France et à cet effet à éliminer du patrimoine tout actif français. Ce faisant, il convient toutefois de ne pas occulter deux points, selon nous, fondamentaux. Premièrement, elle n’aura effet que s’il n’existe pas d’héritier ou de légataire résident de France au jour de l’ouverture de la succession. Deuxièmement, si la raison fiscale peut inciter à liquider tous ses investissements français, qu’en est-il de la raison patrimoniale, économique ou familiale? Cette stratégie s’inscrira donc plutôt dans le cadre d’une transmission du vivant de l’intéressé, afin de saisir l’opportunité offerte par l’installation temporaire des héritiers hors de France, par exemple pour raisons professionnelles. Il serait en effet, difficile sinon impossible, si la transmission devait s’opérer par décès, de garantir que les héritiers ne viendraient ou ne reviendraient jamais s’établir en France. Pour ceux qui n’ont pas d’héritiers ou légataires résidents de France et qui ne souhaitent pas s’interdire d’investir en 179 F I S CALITÉ France, la création d’une holding patrimoniale ou d’une structure de capitalisation étrangère, détenant des actifs à la fois français et étrangers, permettra de ne transmettre que des biens étrangers et non plus français, tout en simplifiant et en rationalisant leur transmission, voire en facilitant la mise en place d’une gouvernance familiale au profit d’une gestion commune et solidaire du patrimoine par les héritiers. Il conviendra néanmoins de demeurer prudent en la matière, car la simple interposition d’une structure étrangère détenant des actifs majoritairement français pourrait être critiquable sur le fondement de l’abus de droit et le remède pourrait s’avérer en définitive pire que le mal. La transmission de certains actifs français pourra également s’opérer selon des modalités plus complexes, en particulier si les héritiers viennent à s’installer hors de France provisoirement. L’on pourra citer par exemple la cession intrafamiliale. Il serait également intéressant de recourir à l’endettement lors de l’acquisition d’un investissement en France et pourquoi pas, sous certaines conditions, de refinancer des biens précédemment acquis, par exemple au travers de sociétés civiles endettées auprès de leurs associés. Enfin, le regroupement familial ou l’expatriation des héritiers résidents de France constitue une garantie contre l’imposition en France de leur quote-part, pour autant que le patrimoine soit «expurgé» d’actifs français et que la prise de résidence hors de France ne soit ni fictive ni contestable au jour de la transmission. Ce rapide inventaire, nous l’espérons, aura convaincu qu’il existe en la matière des solutions, dont le panachage sera comme souvent gage d’efficacité et de pérennité. Nous conclurons alors en rappelant que la vigilance et la tempérance sont essentielles lors de la mise en place de telles restructurations. En premier lieu, parce qu’il faut se garder de sacrifier le bon sens familial et patrimonial sur l’autel de la fiscalité. Les aspects financiers, familiaux et civils sont tout aussi fondamentaux. En second lieu, car la frontière entre l’optimisation fiscale, c’est-à-dire la recherche d’un avantage fiscal légal, et l’abus de droit, voire de la fraude fiscale, devient de plus en plus ténue, comme en témoigne l’actualité judiciaire française récente. 3. LA DOCTRINE ADMINISTRATIVE FRANÇAISE DE 2012 OU LA DÉCHÉANCE DE «CONVENTIONALITÉ [11]» Dans ce chapitre, nous reviendrons (3.1) sur la renonciation unilatérale de la France à l’accord amiable de 1972, lequel garantissait, sous certaines conditions, aux contribuables suisses imposés d’après la dépense (ci-après les «forfaitaires») le bénéfice de la convention de 1966 et (3.2) les conséquences qu’entraîne ce changement de doctrine dont nous essaierons de résumer l’impact (4.2). Très modestement, nous évoquerons pour finir quelques éléments de réflexion quant à la recevabilité [12] de ce changement de doctrine et aux axes de réflexion qu’il appelle (4.3). 3.1 La remise en cause d’une doctrine applicable depuis 1972. La convention fiscale en matière d’impôts sur le revenu et la fortune du 17 septembre 1966 définit en son article 4 la 180 ACTUALITÉ F I S CALE PATR I M O N IALE F RAN C O-S U I S S E notion de «résident» d’un Etat contractant, qualité requise afin de pouvoir en revendiquer le bénéfice. Aux termes de son paragraphe 6-b, n’est pas résident au sens de la convention «une personne physique qui n’est imposable dans cet Etat que sur une base forfaitaire déterminée d’après la valeur locative de la ou des résidences qu’elle possède sur le territoire de cet Etat». Par dérogation, la France et la Suisse s’étaient entendues aux termes d’un échange de lettres du 29 février 1968, afin de reconnaître la qualité de résident aux forfaitaires suisses dont la base d’imposition était au moins cinq fois supérieure « En effet, une personne imposée d’après la dépense en Suisse est imposée non pas sur un montant déterminé par rapport à la seule valeur locative de son habitation mais sur la base de ses dépenses réelles mondiales.» à la valeur locative de leur habitation [13]. De cet accord, intégré dans la doctrine de l’administration française en 1972 [14], naquit la pratique dite du «forfait majoré» [15], consistant, à la demande du contribuable souhaitant bénéficier de la convention, de majorer sa base imposable forfaitaire de 30%. Lors de la mise en ligne le 12 septembre 2012 de l’ensemble de la doctrine française sur la base BOFIP, la doctrine de 1972 ne figurait plus parmi les commentaires de la convention. Afin de lever toute ambiguïté quant à savoir s’il s’agissait ou non d’un simple oubli [16], l’Administration française prit soin de préciser, le 26 décembre 2012 [17], que tel n’était pas le cas mais que, par tolérance, cette nouvelle doctrine, bien qu’opposable aux contribuables depuis le 1er septembre 2012, ne serait appliquée qu’à compter du 1er janvier 2013. 3.2 Quelles sont les conséquences de la nouvelle position de l’Administration française? Selon cette nouvelle doctrine, depuis le 1er janvier 2013, ne peuvent bénéficier de la convention, les personnes imposées «à l’impôt fédéral direct sur une base forfaitaire déterminée à partir du montant du loyer ou de la valeur locative de leur appartement […] ainsi que celles qui sont assujetties à l’impôt cantonal sur une base forfaitaire analogue, même lorsqu’elles sont soumises à l’impôt fédéral d’après le montant réel de leurs revenus». Première et non des moindres conséquences, la résidence fiscale des contribuables suisses au forfait serait exclusivement déterminée par référence aux critères français de l’article 4 B du Code général des impôts (CGI). Pourrait ainsi être résident fiscal au sens du droit interne et, à ce titre, imposé de façon illimitée aux impôts sur le revenu et la fortune, une personne habitant en Suisse mais disposant de revenus importants de source française [18] ou n’exerçant d’activité professionnelle qu’en France. Les forfaitaires n’étant pas autorisés à exercer une activité professionnelle sur le territoire suisse, l’exercice d’un simple mandat social, rémunéré ou E X P E R T F O C U S 2016 | 3 ACTUALITÉ F I S CALE PATR I M O N IALE F RAN C O-S U I S S E non, au sein d’une société française pourrait constituer une activité professionnelle en France. Il resterait néanmoins encore à déterminer si celle-ci est ou non exercée à titre principal. Une telle situation serait désastreuse dans la mesure où cette personne demeurerait bien évidemment résidente de Suisse aux yeux de l’Administration helvétique et supporterait ainsi une double imposition, tant en matière de revenus que de fortune, qui ne pourrait être résolue par un accord amiable entre les deux Etats comme le prévoit le paragraphe 4-2-d de la convention. Lorsque la résidence n’est pas en cause, certains revenus de source française, dont le droit d’imposer était jusqu’à présent réservé à l’Etat de résidence en vertu de la convention, deviendraient pleinement imposables en France. Il en est ainsi des pensions de retraites privées, des plus-values de cession de titres de société française dont l’intéressé détient, seul ou avec son groupe familial, au moins 25% des droits aux bénéfices sociaux [19] et des intérêts de certaines créances. Bien entendu, les revenus dont la convention limitait l’imposition à la source à 15% (essentiellement les dividendes) seraient pleinement imposables au taux de 30%. En matière d’imposition sur la fortune, l’inapplicabilité de la convention aurait en revanche des conséquences moins lourdes en raison du principe général d’exonération prévu pour les placements financiers des non résidents [20] (tels que les comptes, valeurs, dépôts bancaires et les créances situés en France). Cette exonération connaît toutefois deux exceptions. La première vise les titres de sociétés à prépondérance immobilière [21]. La convention permettant cependant à la France de les taxer, il n’y aurait donc aucune aggravation à ce titre. La seconde est plus ennuyeuse puisqu’elle exclut les «participations» détenues dans des sociétés françaises, c’està-dire les titres qui permettent d’exercer une certaine influence dans la société émettrice [22]. Nombre d’actionnaires d’entreprises familiales pourraient ainsi se voir désormais imposer en France, en qualité de non-résidents, sur des valeurs significatives. Le coût pourrait être élevé si ces personnes ne peuvent prétendre à l’exonération totale au titre des biens professionnels (faute d’exercer p. ex. une fonction de direction rémunérée) ou partielle au titre d’un pacte Dutreil (faute d’en avoir signé un [23]). Notons également que sans clause balai [24] seraient également imposables en France tous les biens meubles (au sens juridique du terme) situés en France. Sous le bénéfice de la convention, seuls les meubles meublants et effets personnels garnissant la ou les habitations en France y sont imposables sur le fondement de l’article 24-5. 3.3 To be déchu or not déchu, that is the question. Sans entrer dans le détail très technique de l’opposabilité et de la recevabilité dans l’ordre juridique international de la renonciation française, il paraît néanmoins important d’attirer l’attention des lecteurs sur une divergence importante entre le texte de la convention et celui de la doctrine française précitée. L’article 4-6-b de la convention dénie la qualité de résident à un contribuable de Suisse 3 | 2016 E X P E R T F O C U S F I S CALITÉ «qui n’est imposable dans cet Etat que sur une base forfaitaire déterminée d’après la valeur locative de la ou des résidences». Autrement dit, une exégèse du texte implique de conclure que, lorsque la base d’imposition est déterminée à partir d’autres éléments que la seule valeur locative [25], l’intéressé est autorisé à revendiquer le bénéfice de la convention. L’Administration, quant à elle, entend refuser la protection conventionnelle aux contribuables imposés «sur une base forfaitaire déterminée à partir du montant du loyer ou de la valeur locative de leur appartement». Cette formulation qui ne reprend pas la notion d’exclusivité visée par la convention, rajoute au texte et laisse planer un doute quant à sa portée réelle. Rien ne saurait en conséquence empêcher les contribuables qui se verraient refuser les dispositions de la convention dans le cadre d’une procédure de contrôle de contester, selon les chefs de rectification, la recevabilité de la doctrine française. Rappelons que, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, les traités internationaux doivent être interprétés de manière stricte et littérale. En effet, une personne imposée d’après la dépense en Suisse est imposée non pas sur un montant déterminé par rapport à la seule valeur locative de son habitation mais sur la base de ses dépenses réelles mondiales. L’élément de complexité en la matière se situe au niveau des forfaits qui, compte tenu de la dépense prise en compte, sont en pratique égaux au minimum légal, aujourd’hui fixé à sept fois la valeur locative. Ce plancher signifie-t-il que le forfait (n’) est alors en pratique déterminé (que) par référence à la valeur locative? Si l’épure de la loi suisse nous poussait à répondre à cette question par la négative, une application littérale de la convention pourrait y apporter une réponse positive. A la lumière de toutes ces questions, il est à craindre qu’il ne faille attendre une prise de position du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation [26] afin d’obtenir une réponse définitive à cette question. Dans cette attente, il pourra être opportun pour certains intéressés de réévaluer par anticipation la dépense prise en compte jusqu’à présent pour la détermination de leur base d’imposition. A ce jour, nous n’avons pas connaissance de tentatives de remise en cause du bénéfice de la convention sur le fondement de cette nouvelle doctrine [27]. On ne peut donc que spéculer sur l’intention véritable de l’Administration derrière cette rédaction. Sans pour autant en déduire qu’il n’existe aucune contestation par l’Administration française, l’absence de publicité autour de celles qui pourraient exister conduit à nous interroger sur l’intention de l’Administration d’appliquer systématiquement cette doctrine à tout «forfaitaire» ou simplement aux forfaitaires dont l’assiette d’imposition ne correspond en pratique qu’à un multiple de leur valeur locative. Le manque de recul en la matière ne peut qu’inciter les personnes potentiellement concernées à la prudence et à mettre en œuvre certaines précautions afin de s’armer en prévision d’un tel débat. Ces solutions, quelles sont-elles? Sans plaider l’exhaustivité, nous pourrions les classer selon trois catégories: La première consiste à renoncer purement et simplement au bénéfice de l’imposition à la dépense et de basculer vers l’im- 181 F I S CALITÉ position au rôle ordinaire. Le droit au bénéfice de la convention devient alors indiscutable. Imparable sur le plan conventionnel, cette solution peut cependant s’avérer particulièrement onéreuse pour les personnes disposant de patrimoines et/ou de revenus importants. L’impôt sur le revenu est élevé dans la plupart des cantons en Suisse [28] et l’impôt sur la fortune, dont le taux grimpe rapidement jusqu’à 1% dans certains cantons, pèse lourd compte tenu de l’absence d’exonération significative [29]. Certes le bouclier fiscal [30] tempère le poids de ces impositions mais avec un revenu qui ne peut être inférieur à 1% du montant de la fortune, son efficacité est rapidement plafonnée. Pour ceux qui ne souhaitent pas (ou ne peuvent) renoncer à l’imposition d’après leur dépense, il conviendra en premier lieu de s’assurer qu’ils ne remplissent aucun des critères de droit interne français [31]. A cet effet, certains pourront décider de renoncer à tout investissement significatif en France afin de ne pas y disposer du centre de leurs intérêts économiques. Une telle solution n’est toutefois pas ouverte à tous et notamment aux personnes détenant une participation dans une entreprise familiale. Pour ces derniers, l’anticipation ou l’accroissement de la transmission à titre gratuit de ce patrimoine peut être une option pertinente [32]. Les premiers devront veiller, lors de la liquidation de leurs investissements, à ce que ces arbitrages ne permettent à l’Administration française de considérer qu’au titre de l’année de leur réalisation, l’essentiel de leurs revenus provenaient de France et qu’ils y disposaient donc du centre de leurs intérêts économiques. Rappelons cependant que cette stratégie permettra d’éliminer un risque de contestation de la résidence mais ne préviendra pas l’imposition en France des revenus de source française, tels que les plus-values sur participation, les intérêts et les pensions de retraite. S’agissant des revenus du patrimoine, certaines solutions de regroupement des investissements au sein de structures de capitalisation (p. ex. holdings ou fonds dédiés) pourront s’avérer efficaces. Leur utilisation devra cependant être précisément pesée et mesurée, en raison des frottements fiscaux que leur mise en place pourrait créer et de l’omniprésent risque d’abus de droit [33]. Une autre stratégie consistera à augmenter la part de revenus et de fortune de source suisse, de même que la réalisation de revenus conventionnés, permettant un calcul de contrôle positif et à ce titre une imposition sur des revenus et éléments de fortune et non plus sur sa seule dépense. 4. NON-RÉSIDENTS ET PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX: QUAND LA FISCALITÉ NOUS JOUE DU FEYDEAU Depuis 2012, cette question fait régulièrement l’actualité et a connu un double coup de théâtre en 2015. Pour mémoire, la Loi de finances pour 2012 a étendu l’assujettissement aux prélèvements sociaux, dont le taux global [34] alors de 13,2% est actuellement de 15,5%, aux revenus et plus-values immobilières de source française. Condamnée par la Cour de Justice de l’Union européenne et deux fois par le Conseil d’Etat fin 2015 (3.1), la France s’est vue contrainte de rembourser les prélèvements collectés à tort depuis 2012 182 ACTUALITÉ F I S CALE PATR I M O N IALE F RAN C O-S U I S S E (3.2). Sorti par la fenêtre, le Gouvernement revient par la grande porte en modifiant l’affectation budgétaire de ces prélèvements afin de contourner la censure de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Nous analyserons enfin (3.3) la validité de cette réaffectation budgétaire afin d’en mesurer la portée à la lumière de la jurisprudence communautaire. 4.1 La censure de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’Etat. Le 26 février 2015 [35], la CJUE a condamné l’application des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine d’un résident fiscal français affilié à un régime de sécurité sociale étranger. La CJUE fait ici application, au bénéfice d’un résident français [36], du règlement européen n° 1408/71 du 14 juin 1971 [37] qui pose un double principe d’unicité d’affiliation et de cotisation à un régime de sécurité sociale. Selon cette décision, tout prélèvement participant au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale relève du champ d’application du règlement européen n° 1408/71 dès lors qu’il existe «un lien direct et suffisamment pertinent entre ce prélèvement et certaines branches de la sécurité sociale». La qualification juridique donnée en droit interne à un prélèvement ne suffit donc pas pour l’exclure du champ d’application du règlement. En l’espèce, le Gouvernement soutenait que les prélèvements sociaux étaient par nature des impôts en raison de leurs modalités de recouvrement et non des cotisations sociales. Ils n’entraient donc pas dans le champ du règlement. Compte tenu de l’affectation de ces prélèvements à des branches de la sécurité sociale, la Cour a rejeté cet argument. Le Conseil d’Etat, à son tour, a tiré les conséquences de cette décision dans deux arrêts: le premier en date du 17 avril 2015 [38] relatif aux plus-values immobilières des non-résidents et le second, à l’origine de la question préjudicielle soumise à la CJUE, en date du 27 juillet 2015 [39], portant sur les rentes viagères d’un résident. Selon la Haute Cour, en application du règlement européen, les non-résidents ou résidents français affiliés à un régime obligatoire de sécurité sociale étranger ne peuvent être assujettis aux prélèvements sociaux en France. Rappelons qu’en matière de prélèvements sociaux, la France avait déjà fait l’objet d’un recours en manquement sur le fondement du règlement européen n° 1408/71. Ce recours avait donné lieu à deux arrêts de la CJUE du 15 janvier 2000 et portait sur l’application des prélèvements français aux revenus d’activité et de remplacement des résidents de France travaillant dans d’autres Etats membres. La Cour avait alors jugé que cette application méconnaissait la réglementation communautaire du non cumul de cotisations. Compte tenu du champ d’application du règlement européen, les jurisprudences de la CJUE et du Conseil d’Etat trouvent une application territoriale très large, non seulement au sein de l’Union européenne mais également auprès des Etats membres de l’Espace économique européen et de la Suisse, qui avait ratifié le règlement européen par un Accord signé le 21 juin 1999. 4.2 Le Guide du remboursement par l’Administration: trop beau pour être honnête. Aux termes d’un communi- E X P E R T F O C U S 2016 | 3 ACTUALITÉ F I S CALE PATR I M O N IALE F RAN C O-S U I S S E qué en date du 20 octobre 2015, l’Administration s’est rangée aux décisions du Conseil d’Etat et, bonne perdante, a offert aux contribuables concernés un guide relatif à la procédure à suivre afin de réclamer le remboursement des prélèvements sociaux acquittés, dans la limite des règles de prescription applicables. Les personnes affiliées à un régime obligatoire de sécurité sociale étranger peuvent ainsi réclamer le dégrèvement des prélèvements sociaux acquittés sur les revenus suivants: pour les personnes domiciliées en France: l’ensemble des revenus du capital imposables en France (produits de placement et du patrimoine), pour les personnes non domiciliées en France: les revenus immobiliers (plus-values et revenus fonciers). A ce jour, les réclamations peuvent porter sur les prélèvements sociaux acquittés par voie de retenue à la source à compter du 1er janvier 2014 (plus-values immobilières, revenus de capitaux mobiliers) ou pour les impositions dont le rôle a été émis à compter du 1er janvier 2014 (revenus fonciers, plus-values mobilières …). Précisons que ces réclamations doivent être accompagnées des justificatifs de paiement des prélèvements sociaux et de l’affiliation à un régime de sécurité sociale étranger. 4.3 La réaffectation budgétaire ou l’illustration de la théorie de la «patate chaude». L’histoire connaît un dernier coup de théâtre fin 2015, lorsque le gouvernement annonce, dans le cadre de la Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, la réaffectation des prélèvements sociaux à des branches non contributives et non obligatoires du régime de sécurité sociale et ainsi, ne pas renoncer à ces recettes budgétaires tout en se conformant aux prescriptions du droit européen. Jusqu’ici affectés en partie aux branches obligatoires de la sécurité sociale, ces prélèvements sont affectés depuis le 1er janvier 2016 à des prestations dites non contributives (i. e. sans contrepartie aux cotisations) et alimenteront uniquement des régimes non obligatoires [40]. Il est toutefois légitimement permis de douter de la validité de cette réaffectation budgétaire. En premier lieu, les branches de la sécurité sociale qui bénéficient de la réaffectation des prélèvements sociaux étaient déjà en partie financées par ceux-ci [41]. Ces branches sont certes non obligatoires mais ni la CJUE ni le Conseil d’Etat n’ont estimé nécessaire de faire cette distinction. Les deux juridictions semblent avoir appliqué le règlement européen indifféremment à toutes branches de la sécurité sociale alimentées par les prélèvements sociaux dès lors que le «lien est suffisamment pertinent». En second lieu, la réaffectation des prélèvements à des prestations sans contrepartie ne semble pas être déterminante pour la CJUE. Sur ce point précis, la jurisprudence antérieure est assez claire: «l’existence ou l’absence de contrepartie en termes de prestations [est] dépourvue de pertinence aux fins d’application du règlement n° 1408/71» [42]. La novation des caractéristiques budgétaires opérée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a donc de 3 | 2016 E X P E R T F O C U S F I S CALITÉ bonnes chances de faire long feu tant les arguments développés dans la jurisprudence «de Ruyter» demeurent pertinents. Plusieurs réclamations sont du reste en préparation. La stratégie du gouvernement relève-t-elle d’une analyse juridique insuffisante ou d’un colmatage politique de fortune à l’effet de passer «la patate chaude» au gouvernement suivant? Ce théâtre fiscal, que ne renierait peut-être pas le grand Feydeau, nous réserve sans aucun doute un troisième acte et un nouveau coup de théâtre. Les intéressés doivent donc préserver leurs droits en continuant à introduire des réclamations afin de se prémunir contre les règles de prescription. 5. LE RÈGLEMENT EUROPÉEN DU 4 JUILLET 2012: Y-A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION? Il a paru opportun de clore cet article par un commentaire du règlement européen du 4 juillet 2012 parce qu’il est souvent confondu par les profanes avec une nouvelle convention fiscale en matière successorale et que de nombreuses incertitudes demeurent. En préambule et au risque de ruiner les espérances de certains, rappelons que le règlement ne prévoit aucune disposition fiscale et ne vise que les règles civiles de règlement des successions. Ce règlement européen est le fruit de nombreuses années de négociation dans le but de parvenir à une unification du droit international privé (5.1), dont nous analyserons la mise en œuvre (5.2) ainsi que les limites (5.3). 5.1 Une unification du droit international privé. Les règles civiles de règlement des successions divergent d’un pays à l’autre, d’un système de droit à l’autre et de ces divergences naissent fréquemment des conflits de lois. Dans notre monde globalisé, il est désormais fréquent qu’une succession comporte des éléments internationaux (différentes nationalités, localisation des biens dans plusieurs pays …) et ces conflits de lois, désormais monnaie courante, sont trop souvent ignorés car complexes. Le droit international privé a ainsi pour vocation d’unifier les règles de conflits de loi. Deux conceptions ont vu le jour: la conception moniste du droit des successions à savoir une seule règle de conflit s’applique à la succession soit à raison de la résidence du défunt, soit à raison de sa nationalité. Et une conception dualiste: la succession mobilière, régie par la loi du dernier domicile du défunt, se distingue de la succession immobilière laquelle est régie par la loi du lieu de situation de l’immeuble. Les deux systèmes ne désignant pas la même loi applicable en vertu de règles de conflit différentes, des vides ou des chevauchements de lois applicables existent. Les nombreux litiges et conflits de lois, de compétences et de juridictions qui en ont résulté, ont appelé la recherche d’une harmonisation des règles. C’est ainsi qu’est née la «proposition de règlement relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et actes authentiques en matière de successions et à la création du certificat successoral» publiée 183 F I S CALITÉ par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne le 14 octobre 2009. De cette proposition naquit le règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. Entré en vigueur le 16 août 2012, il ne régit toutefois que les successions ouvertes depuis le 17 août 2015. 5.2 Une avancée importante en matière civile. L’apport fondamental de ce règlement, qui rappelons-le, ne s’applique qu’aux successions ouvertes depuis le 17 août 2015, «Le règlement européen reconnaît la possibilité aux ressortissants des Etats membres de désigner leur loi nationale pour régir l’ensemble de leur succession. est de désigner (i) la loi qui s’appliquera à l’ensemble de la succession (l’administration, la dévolution, la liquidation de la succession, à l’exclusion – d’importance – des matières fiscales, administratives et douanières) ainsi que (ii) les juridictions compétentes pour connaître de tout litige. Il assure donc l’unité de loi mais également de juridiction, mettant ainsi fin à un système de division complexe dans lequel des juridictions pouvaient se trouver à appliquer les lois de pays tiers. Le règlement a été adopté par tous les Etats membres de l’Union européenne à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark. Bien que la Suisse n’en fasse pas partie, il nous semble néanmoins essentiel de l’aborder ici car le champ d’application spatial de ce règlement a une vocation universelle. En effet, même si le règlement ne s’applique qu’aux Etats membres, il peut dans son application désigner la loi d’un Etat tiers (p. ex. la Suisse). Le champ d’application personnel du règlement se confond avec les champs d’application spatial et temporel puisque le seul fait d’avoir sa résidence habituelle dans un Etat membre au moment de son décès, quelle que soit sa nationalité, même s’il s’agit de celle d’un Etat tiers (comme la Suisse), suffit à ce que le règlement s’applique. Inversement, le seul fait d’avoir la nationalité d’un Etat membre suffit à ce que le règlement s’applique quand bien même le défunt n’est pas résident d’un Etat membre. Dans les nouveautés remarquables, on soulignera que le règlement européen reconnaît la possibilité aux ressortissants des Etats membres de désigner leur loi nationale pour régir l’ensemble de leur succession (professio juris). Ce système existait déjà dans certains pays dont la Suisse. L’attrait de ce nouvel outil d’anticipation successorale n’est pas à négliger. En effet, un ressortissant européen ou une personne de nationalité suisse s’installant dans un Etat de l’Union européenne pourra désigner sa loi nationale et ainsi mieux anticiper les conséquences en matière de succession (mais non de fiscalité) que pourrait avoir son décès, en se référant à son système national en principe mieux connu et maîtrisé que celui du pays d’accueil. 184 ACTUALITÉ F I S CALE PATR I M O N IALE F RAN C O-S U I S S E Voici quelques situations franco-suisses dans lesquelles le règlement trouvera matière à s’appliquer: un Français ayant sa résidence habituelle en Suisse décède. En application du droit international privé suisse mais également du règlement européen, la loi désignée est la loi suisse. Un Suisse ayant sa résidence habituelle en France décède. En application du règlement européen, la loi française est désignée. Auparavant, la loi française aurait régi la succession mobilière et les immeubles situés en France et aurait renvoyé à la loi étrangère pour le sort des biens immobiliers situés en Suisse ou dans un autre pays. Un Suisse ayant sa résidence habituelle en France, qui a désigné sa loi nationale pour régir sa succession, décède en France. La loi successorale civile suisse sera seule applicable alors qu’avant l’entrée en vigueur du règlement, cette désignation n’aurait eu aucune incidence. Insistons encore une fois sur le fait que le règlement ne s’applique qu’aux matières civiles. Ainsi, si la loi française est désignée, c’est selon ses principes que sera dévolue la succession (le montant de la réserve héréditaire, la quotité disponible, les droits des héritiers …). Les modalités de dévolution qui en découleront, en ce qu’elles permettront à la loi fiscale de définir sa matière imposable par détermination des parts successorales, constitueront le seul effet fiscal du règlement! 5.3 Les limites et défauts du règlement. Malgré le mérite de son objectif, de nombreuses zones d’ombre demeurent quant à son efficacité. En effet, outre le fait que tous les Etats membres ne l’ont pas adopté, il n’est pas certain, en dépit de sa vocation universelle, que la désignation qu’il opèrera d’une loi d’un Etat tiers soit reconnue comme applicable par ledit Etat. On pourrait imaginer l’hypothèse d’un ressortissant suisse résident en France ayant des biens immobiliers aux EtatsUnis. Faute pour le défunt de désigner sa loi nationale, l’application du règlement désignerait la loi française pour régir l’ensemble de la succession (y compris des immeubles situés sur le territoire américain). Or il est à craindre que ces derniers ne fassent opposition à une telle solution. Ensuite, si dans son principe le règlement est simple, il prévoit bon nombre d’exceptions qui brouillent et fragilisent l’édifice et donc la sécurité juridique des ressortissants ou résidents auxquels le règlement doit s’appliquer, dont c’est pourtant l’objet principal. C’est le cas par exemple de l’exception d’ordre public qui permet d’écarter une disposition de la loi désignée, lorsque celle-ci est contraire à l’ordre public. Pour illustrer le propos, prenons l’exemple d’un défunt de nationalité saoudienne et de confession musulmane, domicilié en France qui désignerait sa loi nationale comme loi applicable à sa succession. En application du règlement européen, la charia s’appliquerait à l’ensemble de sa succession. Or cet homme a trois héritiers, une fille et deux garçons dont l’un s’est converti au christianisme. En application de la charia, son fils converti ne pourrait hériter et son autre fils hériterait de deux fois la part de sa sœur. Les juridictions françaises désignées comme compétentes en application du règlement européen écarteront, E X P E R T F O C U S 2016 | 3 F I S CALITÉ ACTUALITÉ F I S CALE PATR I M O N IALE F RAN C O-S U I S S E comme contraires à l’ordre public, les dispositions aboutissant à une inégalité entre les héritiers fondées sur le sexe ou la religion. C’est aussi le cas des compétences subsidiaires prévues par le règlement à savoir si des biens successoraux sont situés dans un Etat membre et que le défunt, national de ce premier Etat, a sa résidence habituelle dans un Etat tiers. En vertu du principe d’unicité de juridiction prévu par le règlement, les juridictions de l’Etat membre seront compétentes pour régir la totalité de la succession puisque le défunt en a la nationalité ou parce qu’il y a eu sa résidence habituelle pendant au moins 5 ans. Il est peu probable que les juridictions de l’Etat tiers du dernier domicile, saisies de recours, accepteraient de se déclarer incompétentes au profit de l’autre Etat. Ou encore, les décisions rendues en la matière par les juridictions de l’Etat membre pourraient-elle être rendues exécutables dans l’Etat tiers si les principes juridiques appliqués sont contraires à sa loi? Fort incongrument, le règlement peut avoir pour effet de ruiner le principe même d’unicité qu’il promeut et créer des risques de conflits de loi qu’il tente d’éviter. En effet, lors- Notes: 1) La succession d’un défunt n’est imposable que si celui-ci avait en Suisse son dernier domicile ou en cas contraire, si sa succession comprend des immeubles situés en Suisse. 2) Article 750ter du Code général des impôts. 3) Sous condition toutefois d’une durée de résidence minimum de 6 ans au cours des 10 années précédant l’ouverture de la succession ou la donation. 4) Rappelons que jusqu’en 1999 les règles de territorialité suisses et françaises étaient similaires. La territorialité française a été considérablement élargie par la Loi de finances pour 1999 – dont la vocation était largement de lutter contre l’évasion fiscale et qui, à ce titre, avait également instauré l’exit tax pour la première fois. 5) Article 784 A du CGI. 6) Plus exactement, sur la moitié de la valeur nette de l’actif successoral laissé par le défunt. 7) 45% en France et 6% en Suisse (impositions applicables en ligne directe lorsque le défunt était imposé d’après la dépense à Genève). 8) Taux d’imposition entre personnes non parentes de 60% en France et de 54,6% à Genève. 9) A l’exception toutefois des biens immobiliers détenus en direct mais qu’il suffisait de transférer dans des sociétés civiles. 10) Ainsi d’ailleurs, que le partenaire engagé au moyen d’un pacte civil de solidarité français. 11) Nous espérons que nos lecteurs nous pardonnerons ce barbarisme, imposé par le jeu de mots. 12) Nous n’aborderons pas la question de l’opposabilité de l’abandon de cette tolérance dans l’ordre juridique international et nous permettons de renvoyer les lecteurs intéressés, aux divers articles écrits sur le sujet et notamment à l’article fort détaillé de notre Confrère (i. e. «Etude juridique de l’évolution récente des relations entre la Suisse et la France en matière fiscale et cadre admissible de négociation pour la Suisse» de Me Philippe Kenel du 23 janvier 2013). 13) Ou une fois et demie le prix de la pension qu’elles payaient et sous réserve, de la prise en compte de certains revenus dans le calcul de contrôle. 14) Ancienne D. adm 14 B-2211, 10/12/1972, aujourd’hui rapportée. 15) Reconnue tant par les autorités suisses que françaises. 16) Rappelons que dans le cadre de la création de cette base en ligne, l’Administration a précisé dans son instruction du 7 septembre 2012, qu’à compter de sa mise en ligne le 12 septembre 2012, seuls les commentaires publiés 3 | 2016 E X P E R T F O C U S que le défunt n’a ni la nationalité d’un Etat signataire ni séjourné au moins 5 ans sur le territoire de l’un d’eux, la compétence de l’Etat membre portera malgré tout sur les biens successoraux situés sur son territoire. Ainsi, les héritiers d’un national suisse ayant toujours eu sa résidence habituelle en Suisse et laissant des biens immobiliers ou mobiliers en Allemagne verront les juridictions allemandes se déclarer compétentes pour les biens situés en Allemagne. Enfin, il existe deux derniers points qui à notre sens ne manqueront pas de soulever d’âpres discussions: l’absence de définition précise de la résidence habituelle du défunt et le fait que la professio juris (désignation de sa loi nationale) puisse être implicite et résulter des termes d’une disposition à cause de mort. C’est pourquoi, à notre sens, même si sur le papier le règlement européen est un séduisant outil d’organisation successorale, il doit être manié avec une grande prudence, sans quoi l’on risquerait de se trouver embarqué dans un avion sans pilote avec toutes les péripéties qui s’ensuivraient mais cette fois-ci, ce ne serait pas du cinéma! au BOFIP sont opposables à l’administration. En conséquence, tous autres commentaires publiés antérieurement sous forme de documentation administrative de base, d’instructions, de réponses ministérielles, de réponses apportées dans le cadre du comité fiscal de la mission d’organisation administrative et de rescrits de portée générale, qui ne sont pas repris, sont rapportés et ne peuvent conserver de valeur que pour les années antérieures. 17) BOI-INT-CVB-CHE-10-10-20121226, n° 70. 18) Car disposant en France du centre de ses intérêts économiques. Sur cette question, l’arrêt récent du Conseil d’Etat du 17 juin 2015, n° 371412, apporte un éclairage inquiétant. Il s’agissait d’un non résident dont les seuls revenus étaient constitués de ses pensions de retraite de source française. 19) Article 244 bis B du CGI. 20) Article 885 L du CGI. 21) Société, française ou étrangère, dont l’actif est composé à plus de 50% par des biens ou droits immobiliers situés en France ou par des titres de société elle-même à prépondérance immobilière. 22) Sont présumés tels, les titres représentant au moins 5% des droits de vote et des droits financiers de la société. Il s’agit d’une présomption simple qui peut être combattue par tous moyens. 23) Nous voyons ici poindre un axe de réflexion permettant de tempérer les effets en matière d’ISF d’une impossibilité de revendiquer le bénéfice de la convention. 24) Article 24-7 de la convention en vertu duquel tous les biens qui ne sont pas visés par les paragraphes précédents ne sont imposables que dans l’Etat de résidence. 25) L’ensemble des dépenses afférentes au train de vie, telles que les dépenses d’habillement, de restauration, de loisir, de personnel … 26) Le premier est compétent en matière d’impôt sur le revenu et la seconde en matière de droits d’enregistrement. 27) Ceci ne peut manquer de surprendre, alors que 2013, première année concernée par ce changement de doctrine, s’est prescrite avec l’arrivée du Nouvel An. 28) Le taux marginal de l’impôt sur le revenu atteint 46% dans le Canton de Genève par exemple et l’impôt sur la fortune 1%. 29) La Suisse ne connaît pas de mécanismes d’exonération, total ou partiel, tels que les mécanismes français pour les biens professionnels, les collections d’œuvres d’art ou certains biens immobiliers. 30) Selon les cantons, la somme des im- pôts sur le revenu et la fortune ne peut excéder 50% ou 60% des revenus. 31) Rappelons qu’en application de l’article 4 B du CGI, «sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France […]: a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal; b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire; c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques». 32) Particulièrement s’ils peuvent bénéficier des dispositions d’un pacte «Dutreil» offrant un abattement de 75% sur la valeur des titres donnés. 33) Sans oublier le renforcement de la clause anti-abus relative au régime mère-fille français et européen (étendu à la Suisse), voté dans le cadre de la Loi de finances rectificative pour 2015. 34) Ils se composent de la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), le prélèvement social, le prélèvement social additionnel et le prélèvement de solidarité. 35) CJUE, 1ère ch., 26 février 2015, aff. C-623/13, min. c/ de Ruyter. 36) La décision de la CJUE est issue d’une question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat au sujet de rentes viagères de source française perçues par un résident français affilié à un régime de sécurité sociale néerlandais. La France avait perçu les prélèvements sociaux sur ces revenus. Le contribuable contestait son assujettissement aux prélèvements sociaux alors qu’il n’était pas affilié au régime de sécurité sociale français mais néerlandais. Il était donc soumis à une double cotisation: aux régimes de sécurité sociale français et néerlandais. 37) Remplacé le 1er mai 2010, par les règlements (CE) n° 883/2004 – modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 – et n° 987/2009 fixant les nouvelles règles de coordination des systèmes européens de sécurité sociale. 38) CE, 3e et 8e ss-sect., 17 avril 2015 n° 365511, M. Leduc, concl. E. Cortot-Boucher. 39) CE, 10e et 9e ss-sect., 27 juillet 2015 n° 334551, M. de Ruyter. 40) Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, Caisse d’amortissement de la dette sociale et Fonds de Solidarité Vieillesse. 41) Notamment le FSV et la CADES. 42) CJCE, ass. Plé., 15 février 2000, aff C-169/98 Commission c/France. 185