Mayotte, l`île de toutes les colères

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Mayotte, l`île de toutes les colères
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Mayotte, l'île de toutes les colères
Date : 20 avril 2016
Michel Lhomme, politologue avec l'aide de notre correspondant à Mayotte ♦
La seconde réunion exceptionnelle organisée par la préfecture en présence du préfet, du
procureur et de certains élus, après la marche « île morte » de mardi ne s’est pas déroulée
comme prévue.
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Pourtant, elle avait pour but de trouver des solutions pour garantir la sécurité des citoyens.
Mais le préfet a peut-être perdu son calme et est très vite « monté sur ses grands chevaux »,
en « faisant la leçon » aux élus sur les sujets d’immigration et d’insécurité. Depuis des mois, le
préfet Seymour Morsi cherche à minimiser et éviter dans le traitement de Mayotte la question
migratoire qui est pourtant la question. Le procureur a poursuivi la pensée du préfet en y
ajoutant un grain de sel malencontreux, par une série de reproches aux élus, notamment en
déclarant que ces derniers ne se déplaçaient pas aux audiences solennelles de rentrée
judiciaire. Immédiatement, le député Ibrahim Aboubacar a défendu ses collègues en clamant
qu’il était « inadmissible que des fonctionnaires s’adressent de la sorte à des élus de la
République. » Les élus présents à la réunion ont alors claqué la porte et se sont rendus au
conseil départemental pour se concerter et pour décider de la suite des évènements. Ils ont
immédiatement rédigé une motion envoyée au Premier Ministre, Manuel Valls que nous
reproduisons ici .
La réunion n’a abouti à rien. Rappelons que l'État a, depuis longtemps, pour acheter la paix
sociale, entretenu les élus, mais que la sécurité est, dans un département, le domaine régalien
de l'État et qu'on ne rétablit pas l'ordre en faisant des réunions mais en chargeant, en arrêtant,
en jugeant. Pour bien comprendre la politique locale, en gros, les élus ont rédigé publiquement
une motion contre le préfet alors qu'en cachette, ils vont lui envoyer le soir même des SMS
d’excuses. A Mayotte, nous sommes aussi en Outre-mer.
En tout cas, fait exceptionnel, Le Monde a fait hier soir un article sur « Mayotte île morte ».
Plusieurs milliers de personnes ont effectivement participé mardi matin à une marche à
Mamoudzou pour dénoncer la violence et l'insécurité dans l'île, dans le cadre d'une mobilisation
citoyenne baptisée « île morte ». Les participants, dont des familles, des salariés d'entreprises
privées, des groupes de toutes origines, ont effectué une boucle dans le centre-ville, passant
notamment devant la préfecture et le conseil départemental. Les manifestants, dont certains
agitaient le drapeau français, ont entonné ensuite une Marseillaise. Parmi les banderoles et
pancartes, on pouvait lire: "Halte à la violence" et "Mayotte en sous-France". C'était pour
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certains leur première manifestation, preuve que le bouchon du laxisme généralisé est sans
doute allé ici trop loin.
D'autres manifestants étaient plus vindicatifs et agitaient une banderole, sur laquelle était
accrochée la photo de ce restaurateur de 38 ans, décédé des suites d'une agression par un
jeune de seize ans vendredi soir. Sur les pancartes, de simples mots: "Plus jamais ça. J'accuse
Hollande et Valls pour non assistance à population en danger".
Comme on le sait par nos divers articles (Metamag a envoyé un correspondant sur place),
Mayotte a été secouée pendant plus de quinze jours par un mouvement social avec barrages
de routes mais aussi pendant plusieurs nuits par des violences urbaines, orchestrées par des
jeunes cagoulés, qui ont notamment détruit de nombreuses voitures. Une réunion de crise
s'était déjà tenue lundi à la mairie de Mamoudzou sous l'égide du préfet Seymour Morsi, un
préfet très, trop « politique » sans doute, ancien directeur de cabinet de Paul Quiles et
d'Elisabeth Guigou, ancien préfet pour l'Egalité des Chances de l'Essonne et socialiste engagé.
Cette réunion visait à permettre la coordination des services de l'Etat, des municipalités et des
associations autour des problématiques conjointes de la sécurité et de la jeunesse.
Franchement, il était temps !
Les Mahorais comme les nombreux métropolitains présents sur l'île sont à cran
Les agressions, les vols marquent le quotidien des habitants. La plupart des gens y vivent
maintenant cloîtrés, dans des appartements totalement grillagés mais où les voleurs n'hésitent
pas parfois à démonter les toits en taule voire à défoncer carrément les murs pour tout
dévaliser. Nous avons de nombreux témoignages en ce sens. En deux nuits, 85 voitures ont été
incendiées et les gens n'osent même plus sortir pour aller au travail. Les scènes de ces
derniers jours sont tout de même surréalistes : des blindés de la gendarmerie traversent les
villages, un hélicoptère tourne en permanence avec des projecteurs la nuit et lance des
lacrymogènes pour faire fuir les groupes de délinquants et puis parfois, une chasse
impromptue aux « m'zungus » (les blancs) lancée par des jeunes.
Personne n'a dénoncé ce racisme anti-blanc en haut lieu. L'île par ailleurs déjà très sale croule
sous les immondices parce que le ramassage d'ordures ne se fait plus, les magasins sont
pillés, les rayons se vident. En plus de la crise économique, il y a sur l'île aux parfums les
dissensions ethniques (entre mahorais et anjouanais), les guerres de villages et de quartiers et
puis le gros tabou de la gendarmerie : la drogue et fait nouveau, la drogue dure, la « chimique
», comme on dit aussi là-bas. Or, comment sur un aussi petit territoire, l'État a-t-il été incapable
de s'attaquer immédiatement à ce trafic dès qu'il est apparu ?
À Mayotte, près de la moitié de la population a moins de 18 ans. 6.000 mineurs vivent seuls et
sans toi. Personne ne parle non plus de la situation des jeunes filles, des viols très nombreux
sur des mineures. Leur progression serait de 50 % en 2015. En fait, contrairement d'ailleurs à
ce que nous avons dit, le mort de samedi est le deuxième mort de Mayotte puisqu'un élève
avait été assassiné, il y a un mois, dans un collège, tué par d'autres élèves. Le rectorat, dans le
déni complet des réalités, ne soutient pas son personnel, l'envoyant au charbon presque sans
pitié. Un nombre croissant d'expatriés prennent d'ailleurs en ce moment la décision de partir.
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Rappelons aussi tout de même qu'une base de la Légion étrangère est installée à Petite-Terre
et que l'on est en état d'urgence. Elle est donc mobilisable même si effectivement, on passe
dans ce cas à un autre régime parce qu'on a, nous dit-on, amené des renforts à Mayotte mais
le chiffre fait maintenant sourire toute l'île : ce ne sont que seize gendarmes alors que comme
l'indiquait le patron de Kwezi, le groupe média le plus indépendant de Mayotte, « il faudrait une
cavalerie ».
L'État se moque-t-il du monde ? Ou veut-il abandonner Mayotte en laissant pourrir la situation
jusqu'à l'irrémédiable ce qui serait la plus grande des lâchetés ? Près de Mtzamboro, l'État a
bien investi depuis des années des millions pour un dispositif militaire de radars capable de
détecter tous les jours, les « kwassas-kwassas », les barques des passeurs qui font traverser le
lagon illégalement aux migrants de l'Océan indien. Pourquoi alors le trafic des « kwassaskwassas » n'a-t-il jamais cessé ? A quoi servent donc ces radars ? Par ailleurs, en devenant
département, Mayotte dispose des fonds structurels de l'Union Européenne et peut même faire
fonctionner le dispositif Frontex. Pourquoi la demande d'une aide européenne d'urgence n'a-telle pas été activée ? Il y a d'autres îles dans l'océan indien : les Seychelles, Maurice qui sont
indépendantes et qui se débrouillent assez bien. Il y a bien sûr dans ces îles aussi des
inégalités criantes, un fossé entre riches et pauvres, mais il existe aussi au moins une forme
d'équilibre.
Les Comores ont un nouveau Président
Enfin, Mayotte n'est-elle pas avant tout comorienne et le problème de Mayotte peut-il être posé
sans mettre sur la table la question du développement comorien ? Aussi en traitant de Mayotte,
nous nous devons de préciser que le deuxième tour des élections présidentielles comoriennes
s'est déroulé récemment plus exactement le dimanche 10 avril. Le Secrétaire général des
Nations Unies, Ban Ki-moon, a salué vendredi soir le peuple comorien pour avoir accompli son
devoir civique de manière pacifique en participant au deuxième tour des élections du Président
de l’Union des Comores et des Gouverneurs des Îles de Grande Comore, Anjouan, Mohéli. (Il
aurait pu ajouter Mayotte si l'on s'en tient aux actes de l'ONU ).
Comme toujours, les résultats de ces élections ont été contestées par le vaincu et en particulier,
suite à des troubles violents qui se sont déroulés sur l'île rebelle d'Anjouan. Le candidat du
pouvoir battu, le vice-président Mohamed Ali Soilihi, dit Mamadou a déposé un recours au
Conseil Constitutionnel. C'est son adversaire, Azali Assoumani, ancien putschiste au pouvoir de
1999 à 2006 qui a donc été élu nouveau Président de la République Islamique des Comores.
Le colonel Azali Assoumani a été élu avec 40,98 % des voix selon des résultats rendus publics
vendredi 15 avril par la Commission électorale.
Enfin et pour couronner le tout, Mayotte se trouve sérieusement menacée ce soir par Fantala,
une masse cyclonique astronomique qui vient de passer en catégorie 5 et qui se rapproche très
dangereusement de ses côtes. Par sa force et son intensité, Fantala risque de marquer
l’histoire cyclonique du bassin Sud-ouest de l’Océan Indien. Aussi, le préfet n'est-il pas prêt de
dormir ! Qui dit cyclone dit bien sûr alerte rouge et écarlate, ravages de la nature, inondations et
bangas (habitats traditionnels des adolescents mahorais) rasés mais aussi sans doute pillages
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des maisons et des magasins par les hordes de jeunes.
Qu'on se rassure, seize gendarmes supplémentaires ont été envoyés à Mayotte...
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