Dr NOEL RMC 10 3.pub

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Dr NOEL RMC 10 3.pub
Article de synthèse
Syndrome des Jambes Sans Repos
Stéphane NOEL
Service de Neurologie
CHU de Charleroi Site A Vésale
MOTS CLÉS : syndrome des jambes sans repos, dépression, trouble du sommeil
INTRODUCTION
Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) est une affection méconnue,
mal différenciée, difficile à définir, trop rarement diagnostiquée.
“RLS is the most common unknown disease you have never heard
of” (American RLS Foundation)
RÉSUMÉ
Le syndrome des jambes sans repos est un trouble intrinsèque du sommeil,
se manifestant par des sensations désagréables dans les membres et par une
impatience motrice, dont le retentissement est considérable sur la qualité de
vie, sur le bien-être psychologique, sur le niveau de vigilance et sur l’état de santé physique des patients qui en souffre chroniquement.
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Critères diagnostiques
Il s’agit d’un trouble du sommeil dont le diagnostic repose sur 4 critères cliniques 1
Le besoin de bouger les jambes habituellement associé ou causé par une sensation désagréable ou inconfortable dans les jambes.
Le besoin de bouger ou les sensations désagréables commencent ou s’aggravent
durant les périodes de repos ou d’inactivité, en position assise ou allongée.
Le besoin de bouger ou les sensations désagréables sont partiellement ou totalement soulagées par le mouvement, comme marcher ou s’étendre, durant tout le
temps que cette activité persiste.
Le besoin de bouger ou les sensations désagréables sont plus marqués dans la
soirée ou la nuit que le jour ou apparaissent uniquement dans la soirée ou la nuit.
B
ien souvent les patients éprouvent des difficultés à exprimer ce qu’ils ressentent.
J’ai repris certaines métaphores cliniques utilisées par mes patients pour décrire
cette « sensation désagréable et inconfortable », qui constitue un des critères diagnostiques du SJSR :
Comme du courant électrique…
Comme du coca-cola qui coule dans les veines…
Comme des douleurs osseuses de croissance…
Comme un mal de dents dans les jambes…
Comme des insectes qui grouillent, qui rampent…
Comme des crampes, des élancements, une sensation d’élastique tendu dans les jambes…
Le SJSR est une maladie de longue durée, 2/3 des patients voient leurs symptômes
s’aggraver avec l’âge et seulement 16 % décrivent des rémissions de quelques mois.
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L
es mouvements périodiques des jambes dans le sommeil (MPJS) apparaissent
chez 80 % des SJSR. Il s’agit d’extensions rythmiques (+/- toutes les 30 sec) du
gros orteil, de dorsiflexions du pied ou de flexions du genou et de la hanche, associées à
des micro-éveils qui détériorent l’architecture et la qualité du sommeil.
Formes primaire ou secondaire
D
ans la majorité des cas, aucune cause précise n’est identifiée. On parle alors de
forme primaire ou idiopathique, familiale dans plus de 60 % des cas, transmise
selon un mode autosomal dominant à pénétrance variable. Différents gènes ont été découverts (MEIS1, BTBD9, MAP2K5, PTPRD) 2 en association avec le SJSR, mais leur
rôle dans sa pathogenèse reste inconnue. Le risque de développer un SJSR est 3 à 5
fois plus fréquent quand un parent est déjà atteint.
Les formes secondaires sont associées à des affections médicales bien définies ou à la
consommation de certains médicaments.
Formes secondaires
Urémie, dialyse (15 à 40 %)
Carence en fer, ferritine < 50ug/l (43 %)
Grossesse, troisième trimestre (12 à 20 %)
Polyneuropathie (5 à 10 %)
Polyarthrite rhumatoïde (25 %)
Radiculopathie lombo-sacrée
Myélopathie
Fibromyalgie
Maladies neurodégénératives : Parkinson (20 %)
Médicaments (antidépresseurs, anti-psychotiques, béta-bloquant, anti-nauséeux…)
Pathologies du sommeil : narcolepsie, trouble du comportement du sommeil paradoxal.
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Diagnostic différentiel
B
ien souvent, le SJSR repos est confondu avec d’autres pathologies qui lui empruntent certains symptômes :
Trouble de l'attention et hyperactivité, TDAH (besoin de bouger, sans manifestations inconfortables dans les jambes)
« Douleurs de croissance » (douleurs non soulagées par le mouvement)
Inconfort positionnel (induit par la position et non pas le repos ou l’inactivité)
Akathisie (besoin irrésistible de bouger, non soulagé par la marche et ne s’accompagnant pas de manifestations douloureuses)
Crampes en relation avec le sommeil (contractures musculaires)
Polyradiculopathie lombaire (douleur limitant le périmètre de marche, soulagée par
le repos)
« Painful legs and moving toes » (douleur continue associée à des mouvements involontaires qui ne la soulagent pas)
Polyneuropathie douloureuse (douleur continue non soulagée par le mouvement,
sans variation circadienne)
Pathologie vasculaire veineuse (inconfort en station debout, soulagée par le repos,
les jambes surélevées)
Pathologie vasculaire artérielle (douleur limitant le périmètre de marche, soulagée
par le repos).
Prévalence
L
a prévalence du SJSR dans la population générale se situe aux environs de 10 %,
avec une prédominance féminine, augmentant avec l’âge. Cependant, la prévalence
du SJSR diagnostiqué n’est que de 0,3 %. On peut en conclure que 3% seulement des
patients souffrant de SJSR sont diagnostiqués.
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C
e faible pourcentage est-il le reflet d’une méconnaissance de la pathologie, d’un
manque de spécificité des critères diagnostiques ou de la difficulté rencontrée par
les patients à exprimer ce qu’ils ressentent ?
Les études de prévalence réalisées en population générale englobent, sur base des critères diagnostiques cliniques du SJSR , des patients avec une forme légère qui ne consulteraient pas forcément leur médecin traitant pour ce problème.
D’autre part, le SJSR est trop souvent ignoré par la médecine de première ligne, mal différencié d’autres pathologies douloureuses et bien souvent n’est pas reconnu comme
une entité médicale à part entière (symptômes englobés dans d’autres diagnostics cliniques). Il semble que 81 % des patients souffrant de SJSR ont parlé de leurs symptômes
à un médecin, hors, seulement 6,2 % furent correctement diagnostiqués.
Les patients souffrant du SJSR ont consulté durant au moins 2 ans avant que le diagnostic ne soit posé.
U
ne étude réalisée dans une population âgée de 50 à 89 ans évaluant la sévérité du
SJSR sur base de l’échelle (IRLSSG rating scale) répartit les différentes expressions de la maladie de la manière suivante : 33 % de forme légère, 44,6 % de forme modérée et 21,6 % de forme sévère.
Ces résultats sont en accord avec d’autres études de prévalence considérant que le
SJSR avec un retentissement négatif significatif sur la qualité de vie touche 3,4 % de la
population générale. Pour ces patients, une prise en charge médicamenteuse dopamainergique efficace est indispensable.
En se basant sur une échelle d’évaluation de la qualité de vie (SF-36), il semble que la
réduction de qualité de vie est comparable dans le SJSR à celle rencontrée dans d’autres
maladies chroniques comme le diabète, la polyarthrite et la dépression.
S
i on se place maintenant dans un contexte clinique (consultation de premiers soins
ou consultation spécialisée de troubles affectifs et anxieux), la prévalence du SJSR
se situe entre 24 et 27 %.3 L’étude que nous avons menée dans une population de patients hospitalisés souffrant de pathologies psychiatriques montrait une prévalence comparable (25 %), c'est-à-dire 2,5 fois plus importante que dans la population générale.
Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer
cette différence de prévalence ?
O
n peut supposer que cette augmentation de prévalence dans un cadre hospitalier
est favorisée par la comorbidité de certaines maladies organiques ou psychiatriques, par certains comportements pouvant les induire (tabagisme et consommation de
boissons alcoolisées > 3/j) ou par leur traitement.
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L
a comorbidité psychiatrique est importante dans les troubles du sommeil. Si on se
réfère à une étude réalisée en 2003 sur 917 patients se présentant à un centre du
sommeil 4, on note un score élevé de dépression (Beck > 10) dans la plupart des troubles
du sommeil : 53 % des patients atteints d’un SJSR souffrent d’une dysthymie dépressive.
La prévalence de troubles psychiatriques chez les patients souffrant d’un SJSR est plus
élevée que dans d’autres maladies somatiques chroniques comme le diabète, les pathologies cardio-vasculaires et le cancer.
La dépression est certainement l’affection psychiatrique la plus fréquemment rencontrée
dans le décours d’un SJSR.
L
’association fréquente de ces deux pathologies est-elle due à leur prévalence
élevée dans la population générale (la prévalence du RLS est de 10 %, 7,6 %
des hommes, 13,4 % des femmes et la prévalence de la dépression de 5 à 9 % chez
la femme et de 2 à 3 % chez l’homme) ou simplement la conséquence d’un artéfact
d’ «overlap» de leurs symptômes?
En effet, pour poser le diagnostic de syndrome dépressif majeur, la maladie du patient
doit répondre à 5/9 des critères diagnostiques du DSM IV, or, au moins 4 de ces critères
sont en relation avec un trouble du sommeil très fréquent dans le SJSR (insomnie ou hypersomnie, fatigue ou manque d’énergie, diminution des capacités de concentration, ralentissement idéo-moteur ou agitation). De la même manière, dans le SJSR, les symptômes somatiques de la dépression (diminution du temps de sommeil, perte d’énergie, irritabilité, difficultés au travail) sont prépondérants.
E
xiste-t-il une relation de causalité entre ces deux affections et dans quel sens
peut-on l’orienter ou existe-t-il un troisième facteur inconnu responsable de
ces deux pathologies ?
Les patients atteints de SJSR souffrent très souvent de troubles du sommeil, parfois
plusieurs années avant que le diagnostic ne soit posé et le traitement adéquat instauré, si
bien que le manque chronique de sommeil peut favoriser la survenue d’un état dépressif.
L’insomnie est un facteur de risque indépendant dans la survenue d’une dépression : un
patient insomniaque a près de 4 fois plus de risque de développer une dépression dans
les 3 à 4 années qui suivent.
Le moyen par lequel la dépression pourrait induire un SJSR semble moins clair. Le déficit
de sommeil, le défaut d’exercice physique, la mauvaise nutrition liée à la dépression
pourraient en favoriser la survenue. La dépression, mais également son traitement
(SSRI) pourrait amplifier une forme discrète, sub-clinique ou révéler un SJSR.
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Depuis 1986, une série de publications sous forme de cas rapportés décrivent la survenue ou l’exacerbation du RLS avec certains antidépresseurs (miansérine, fluoxétine,
paroxétine, venlafaxine, sertraline, mirtazapine)
Les antidépresseurs peuvent induire ou exacerber un RLS, mais la tolérance à l’AD est
certainement meilleure si le RLS est suffisamment traité.
Qu’en est-il de l’éventualité d’un facteur tiers commun aux deux pathologies ?
Q
uarante-cinq % des parkinsoniens, pathologie dans la quelle l’hypofonctionnement dopaminergique est reconnu, développent un état dépressif. Des agonistes
dopaminergiques ont d’ailleurs montré une certaine efficacité dans le traitement de la
dépression.
Le dysfonctionnement de neurones dopaminergiques, situés au niveau de la partie
postérieure de l’hypothalamus (A11) pourrait jouer un rôle dans la survenue des symptômes du RLS, par l’intermédiaire de leurs projections médullaires vers la corne dorsale
sensitive et le noyau intermédio-latéral, étant l’unique source de dopamine de la moëlle
épinière 5.
D’autres neurones dopaminergiques contigus au niveau du tegmentum ventral (VTA,
A10) et de la substance grise ventrale périaqueductale (extension rostrale du VTA)
jouent un rôle important dans la régulation de l’éveil alors que d’autres sont plus efficaces dans le contrôle moteur, comme la substance noire.
Les neurones dopaminergiques au niveau du tegmentum ventral (VTA, A10) jouent
également un rôle important dans les émotions, par leurs projections vers le noyau accumbens, le cortex préfrontal, l’amygdale et d’autres structures limbiques.
Il existe bien évidemment des connexions entre ces deux systèmes VTA, A10 et l’hypothalamus (A11).
L
’anomalie commune de transmission dopaminergique dans le RLS et la dépression pourraient être également d’origine génétique.
Les causes
Les causes du SJRS restent à ce jour imprécises. Différentes recherches et autopsies
de cerveau impliquent dans sa pathogénèse le système dopaminergique et le déficit
en fer, cofacteur essentiel dans la formation de la L-dopa, précurseur de la dopamine.
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Les conséquences
L
e SJSR induit d’importants troubles du sommeil : difficultés d’endormissement (69 %
ont une latence d’endormissement > ½ h), éveils fréquents, réveil précoce (avant 5
h du matin), temps de sommeil insuffisant (<6h).
Une somnolence diurne excessive est la conséquence inévitable de ces perturbations
quantitatives et qualitatives du sommeil : 20 à 25 % en souffrent (sur base d’une échelle
validée de vigilance : l’échelle d’Epworth).
Une étude publiée dans Neurology en 2008 (« Sleep Heart Health Study ») 6 montre que
les maladie coronarienne et cardio-vasculaire sont 2 fois plus fréquente chez les patients souffrant du SJSR, et plus particulièrement dans les formes sévères et fréquentes.
Le traitement
L
a prise en charge des affections médicales sous-jacentes et la substitution des médicaments susceptibles de provoquer le SJSR en constituent la première étape.
L’évaluation du taux sanguin de ferritine et la prescription de suppléments de fer durant 3
à 4 mois si ce taux reste inférieur à 50 ug/l en constitue la seconde étape.
La pratique régulière d’exercice physique et d’étirements contribue à soulager les symptômes, de même que la diminution de la consommation de caféine, d’alcool, et de tabac,
surtout le soir. Le massage des jambes, l'application d'enveloppements chauds ou froids,
la pratique de certaines techniques de relaxation, l’enveloppement des jambes de bande
Velpeau ou le port de bas de contention ou de collants serrés peuvent être également
conseillés.
Dans les formes discrètes à modérées, un traitement par L-dopa à action prolongée
peut être proposé (Prolopa HBS et Stalevo).
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T
outefois 80 % des patients traités par l-dopa (plus fréquemment avec la forme simple) vont développer un phénomène d’augmentation qui se caractérise par une
survenue plus précoce des symptômes dans la journée (après-midi), une immédiateté
des symptômes lors du repos, une expansion des symptômes vers les membres supérieurs et le tronc, une augmentation de l’intensité des symptômes ou une durée d’action
plus courte de la médication. Un autre phénomène, le rebond matinal, peut apparaître
chez 30 % des patients traités par L-dopa. Il se manifeste par une résurgence de la
symptomatologie en fin de dose, par exemple en fin de nuit ou le matin au réveil.
Lorsque le rebond matinal ou le phénomène d’augmentation apparaissent, le passage
aux agonistes dopaminergiques s’impose, comme dans les formes modérées à sévères (Requip®, Sifrol®). En cas de contre-indication aux dopaminergiques ou en cas de
phénomène d’augmentation avec les agonistes dopaminergiques (<30 %) , le recours
aux opioïdes est conseillé (Depronal®, Temgésic®, Tradonal®, Tramadol®, Contramal®,
Valtran®, Codéine).
En cas d’intolérance ou de contre-indication aux opioïdes, les anticonvulsivants peuvent se révéler utiles dans le traitement du SJSR (Neurontin®, Lyrica®, Rivotril®, Valium®,
Dépakine®, Tégrétol®).
Si le SJRS reste réfractaire à chacune des familles thérapeutiques prescrites, des
associations peuvent être tentées.
Il est important de traiter efficacement la dépression et l’anxiété chez les patients
souffrant de RLS car 38 % attribuent leurs idées suicidaires à ces symptômes.
’effet antidépresseur du pramipexole (Mirapexin®) est reconnu, mais la dose active
est généralement nettement plus élevée que celle nécessaire pour traiter les symptômes du SJSR (1 à 5 mg).
L
Si un antidépresseur est nécessaire, le bupropion (Zyban®) semble être le traitement de
choix pour son effet adrénergique (augmentant la norépinéphrine et la dopamine sans
accroître la sérotonine) ou la reboxétine (Edronax®).
Il est nécessaire de traiter également le déficit de sommeil qui peut exacerber les symptômes du SJSR. Le choix se portera sur la trazodone, la gabapentine (300 à 1200 mg) ou
un hypnotique à durée d’action courte ou intermédiaire.
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Arbre décisionnel
http://www.absjr.be/absjr-accueil.html
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RÉFÉRENCES
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