(Inter)médiation : quelles spécificités de la mise en relation entre

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(Inter)médiation : quelles spécificités de la mise en relation entre
Troisième congrès de l’AFEP
« L’économie politique, science sociale et/ou outil de politique économique ? »
3-5 juillet 2013, Bordeaux
(Inter)médiation : quelles spécificités de la mise en
relation entre entreprises et demandeurs d’emploi ?
Anne Fretel – CLERSE, associée IRES
Delphine Remillon – INED, associée CEE
Version provisoire
La notion d’accompagnement a connu un usage extensif en France au début des années 2000
et s’est appliquée aussi bien aux champs de la santé, de l’éducation, de la formation
professionnelle, de l’insertion sociale que des politiques d’emploi (Ardoino, 2000). Dans le
champ des politiques d’emploi, le terme d’accompagnement s’est imposé, se substituant aux
notions d’« insertion », de « suivi », de « placement », d’ « aide » ou encore de « retour à
l’emploi ». Un tel succès de la notion d’accompagnement n’est pas sans lien avec la
contribution qu’il a apportée au renouvellement des formes d’intervention de l’Etat social
(Genard, 2007). Les vertus ainsi prêtées à cette notion font que de plus en plus de politiques
publiques s’en réclament, tant et si bien que l’accompagnement fait figure de « nébuleuse »
[Paul, 2002]. Dans le champ des politiques d’emploi, l’essor du terme est allé de pair avec la
promotion au niveau européen des politiques d’activation (Barbier, 2006 ; Beyraud et
Eydoux, 2008 ; Dang et Zajdela, 2009).
En France, si l’on se concentre sur les dispositions prises par l’Etat en la matière, il s’avère
que la notion d’accompagnement est largement utilisée pour porter les politiques d’emploi,
mais que son contenu propre est flou et est in fine essentiellement marqué par des impératifs
de gestion des dispositifs (Fretel, 2013). Ces impératifs prennent trois formes : i)
l’organisation d’un parcours d’accompagnement en étapes, ii) la relative standardisation du
contenu des prestations et iii) le renforcement de l’impératif de retour rapide à l’emploi. Ce
dernier objectif se traduit par une focalisation sur la notion d’« accompagnement
professionnel » et l’incitation forte faite aux acteurs du SPE de développer leur relation aux
entreprises. L’idée sous jacente est qu’un lien plus fort avec les entreprises induirait un
meilleur taux d’accès à l’emploi pour les personnes accompagnées et donc des politiques
d’emploi plus « efficaces »1. Ces orientations se retrouvent dans les circulaires et/ou les
cahiers de charges des dispositifs, mais ces supports en restent néanmoins à un niveau
d’énoncé très général, ayant du mal à définir clairement ce qui est attendu des opérateurs dans
ce domaine. Les documents parlent de « capacité à prospecter le marché du travail local », de
« capacité à nouer des liens avec les entreprises », ou encore de « positionnement sur les
métiers en tension », sans expliquer pour autant ce que cela implique en termes de
compétences et de dispositifs à mobiliser (Fretel, 2013). La relation à l’entreprise est promue
sans que la question de ses formes ne soit posée, sans que la question des modalités et des
outils de cette mise en relation ne soit éclairée.
1
Cette idée largement intuitive au niveau de l’administration, semble néanmoins corroborée par des travaux
d’évaluation récents ayant établi un lien positif entre le niveau quantitatif d’offre de services et le taux de retour
à l’emploi (Behaghel, Crépon et Gurgand, 2009).
Dans cet article, nous souhaitons questionner deux formes de mise en relation entre
demandeurs d’emploi et entreprises : l’intermédiation (au sens de placement) et la médiation
(Fretel, 2012). Cette alternative dans la façon d’apparier « offre » et « demande » se retrouve
dans plusieurs travaux. Fondeur et Tuchszirer (2005, p. 6) la traduisent par la distinction entre
modèle d’information et modèle de structuration2, là où Bureau et Marchal (2009, p. 588)
parlent de « mettre en correspondance ou négocier ». Il ne s’agit pas ici d’analyser ce qui
détermine ces formes d’intervention distinctes, les déterminants étant multiples comme l’ont
mis en évidence certains travaux : rôle du contexte local (Legay et Monchatre, 2000), de la
personne qui occupe le poste de chargé de relation entreprise (Delfini et Demazière, 2000),
influence des conditions de mise en œuvre d’un dispositif et de la structure qui le porte
(Simonin, 1995 ; Meyer, 1998)… Il s’agit plutôt de décrire ces deux formes
d’accompagnement de façon contrastée, en analysant notamment les outils et dispositifs sur
lesquels s’appuient ces deux types d’(inter)médiation et leurs effets sur le rapprochement
opéré entre offreurs et demandeurs de travail. Nous donnons ainsi du poids aux dispositifs de
mesure (Vatin dir, 2013) dans la lignée de la sociologie de la traduction (Callon, 1986, 1991).
Cette approche a l’intérêt de se centrer sur la question de la coordination entre acteurs
hétérogènes en donnant une place importante aux « intermédiaires » (dispositifs, objets,
langage …) dans les processus d’intéressement (ou épreuve pour reprendre le vocabulaire de
l’économie de conventions) ce qui permet de mieux saisir les « conventions de compétences »
(Eymard-Duvernay et Marchal, 1997) qui se définissent dans cette mise en relation3.
Pour comparer ces formes de mises en relation nous analysons le fonctionnement des
structures mettant en œuvre la méthode IOD, que nous contrastons par rapport au type
d’intermédiation classique de Pôle emploi. Bien-sûr les formes d’intermédiation peuvent être
diverses au sein même de ces deux types de structure, selon les territoires, les publics
accueillis, ou les expérimentations mises en œuvre (Pôle emploi par exemple fait de
l’accompagnement classique mais aussi de la MRS - méthode de recrutement par simulation -,
a des agences spécialisées sur certains segments d’activité, etc.). En outre, nous rendons
compte ici d’une enquête réalisée dans deux structures IOD mais nos sources concernant
l’observation du fonctionnement de Pôle emploi sont seulement secondaires (cf. encadré 2).
Ces deux modes d’(inter)médiation sont donc décrits et analysés comme deux figures idéales
typiques de l’appariement, en mettant l’accent sur les textes, les dispositifs et outils de
« traduction » dont on entend montrer qu’ils ne sont pas neutres, qu’ils sont révélateurs d’un
mode de fonctionnement, qu’ils orientent l’action des « accompagnateurs ».
Cette comparaison est d’autant plus intéressante que, formellement, IOD et Pôle emploi
s’inscrivent dans des logiques d’action assez similaires : (pour une présentation plus détaillée
de la méthode IOD voir encadré 1) :
- ils proposent un accompagnement centré sur des objectifs professionnels : Pôle
emploi, comme les structures IOD, proposent une forme d’accompagnement centrée
sur l’objectif de retour à l’emploi. Les difficultés « périphériques » (logement, santé,
endettement …) sont laissées à d’autres intervenants4 ;
- leur offre de service s’adresse aussi bien aux demandeurs d’emploi qu’aux entreprises.
Cet appui aux entreprises est rappelé dans l’article L. 5312-1 du code du travail (voir
2
Dans le modèle d’information « l’intermédiation repose sur un principe de neutralité dans la mise en relation :
l’intermédiaire n’est que le support des informations données par les offreurs et des demandeurs », dans le
modèle de structuration « l’intermédiaire agit sur la mise en forme ou, plus profondément, sur la nature de l’offre
et de la demande » [Fondeur et Tuchszirer, 2005, p. 6-7].
3
Eymard-Duvernay et Marchal (1997, p. 31) le soulignent : « ces différentes conventions de compétences sont
actualisées par des dispositifs : formes d’agencements des relations qui induisent l’activation de conventions
spécifiques. Les dispositifs sont faits d’objets techniques qui configurent des relations entre les personnes ».
4
Contrairement à d’autres acteurs de l’accompagnement, par exemple les missions locales, qui agissent aussi sur
les aspects extra-professionnels.
2
-
supra) en ce qui concerne Pôle emploi. Il s’étend de l’aide à la définition des besoins
de recrutement des entreprises à un accompagnement pour faciliter l’intégration et
l’adaptation des nouveaux salariés. Côté IOD, il s’agit d’aider les entreprises dans
leurs difficultés de recrutement, là aussi en assurant un accompagnement dans
l’emploi et un travail d’intégration des salariés.
dans leurs missions, ces deux organismes se positionnent comme ayant une action qui
se veut contre sélective vis-à-vis des publics « éloignés » de l’emploi. Cet objectif est
au cœur de l’action de Pôle emploi comme le rappelle l’article L. 5312-1 du code du
travail : l’institution a notamment pour mission de « prospecter le marché du travail,
développer une expertise sur l'évolution des emplois et des qualifications, procéder à
la collecte des offres d'emploi, aider et conseiller les entreprises dans leur
recrutement, assurer la mise en relation entre les offres et les demandes d'emploi et
participer activement à la lutte contre les discriminations à l'embauche et pour
l'égalité professionnelle ». En ce qui concerne IOD, la devise de la méthode est que
« personne n’est inemployable ». La démarche proposée aux entreprises vise
directement à modifier leurs modes de recrutement jugés trop sélectifs.
Encadré 1 - Présentation de la méthode IOD
Lancée à la fin des années quatre-vingt, la méthode IOD repose sur fondement fort : « personne n’est
inemployable » et donc tout demandeur d’emploi (DE) doit pouvoir être mis en situation d’emploi. La méthode
vise avant tout les DE jugés ailleurs « inemployables » : bénéficiaires du RSA, chômeurs de très longue durée,
personnes sans qualification.
En termes de posture professionnelle cela implique deux orientations fortes : se centrer sur la demande des
personnes qui font appel aux équipes IOD d’un accès à l’emploi. L’objectif premier est la recherche d’un emploi
à temps plein en CDI. Il ne s’agit donc pas de chercher à résoudre les difficultés sociales des personnes comme
préalable à l’emploi. De ce point de vue les équipes IOD cherchent à se démarquer des postures classiques de
l’accompagnement social et professionnel. Il en résulte que le travail d’insertion se fait en lien avec l’entreprise
en attendant de celle-ci qu’elle modifie ses critères de recrutement.
Le mode d’intervention proposé cherche à prendre le contre-pied des pratiques centrées sur la question de
l’employabilité de la personne, définie comme le manque de capacité de certaines catégories de demandeurs
d’emploi (Castra et Valls, 2007). Il s’agit alors de retravailler les médiations qui s’opèrent sur le « marché du
travail » en intégrant la question de l’entreprise, plutôt que de se centrer uniquement sur la personne en la
mettant en condition.
Comme le résume Castel (2007), « la spécificité de la démarche repose [sur ce principe] : ne pas prendre
directement en compte et ne pas traiter pour elles-mêmes les supposées déficiences du demandeur d’emploi.
Celui-ci est littéralement considéré comme une personne qui demande un travail et les équipes IOD se posent la
seule question de savoir quel travail il pourrait effectuer, sans prétendre préalablement le remettre à niveau en
l’engageant dans un parcours individualisé d’insertion. Elles n’envisagent pas non plus pour lui d’activités
intermédiaires de type stages, contrats aidés…l’objectif est l’accès direct et le plus rapide possible à des emplois
de droit commun, CDI de préférence ou à défaut CDD. C’est un pari sur la priorité absolue à donner à
l’insertion professionnelle. Cette position est sous-tendue par la conviction que les déficiences dans la
sociabilité des publics précaires sont plutôt les effets que les causes de la privation du travail ».
La lutte contre la sélectivité de l’entreprise se fait à deux moments clés : au moment de la négociation avec
l’entreprise de l’offre d’emploi et au moment de l’entretien de mise en relation (EMR). La relation entre
l’employeur et le DE se fait sur la base d’un certain nombre de principes :
- Un seul candidat présenté pour un poste
- Présence du conseiller (chargé de mission) lors de l’EMR
- Pas de CV ou de lettre de motivation fournie à l’employeur
- EMR ayant lieu directement sur le poste de travail et non dans un bureau
Au-delà du moment du recrutement, il s’agit d’étendre l’action d’IOD à la phase d’intégration dans l’entreprise
afin de stabiliser la relation d’emploi
Pour plus de détails voir Castra (2003), Salognon (2005)
L’hypothèse que nous faisons dans cet article est que Pôle Emploi (PE) et les organismes
mettant en œuvre la méthode IOD, bien qu’ayant des objectifs relativement proches, incarnent
3
deux formes de mise en relation distinctes. L’une se rapporte à de l’intermédiation, à une mise
en relation à distance entre offre et demande (PE), là où l’autre fait de la médiation en
développant des formes de négociation sur les modalités de recrutement (IOD). Nous
commencerons par décrire les modalités d’intervention de ces deux structures à travers les
dispositifs comme éléments supports de la traduction (I), puis nous essayerons de saisir
l’efficacité de l’opération de traduction (II). Enfin, ayant identifié quelques caractéristiques
propres à la médiation, nous soulignerons la fragilité et le caractère révisable du processus de
traduction qu’elle opère (III).
I. Pôle emploi et les structures IOD : des dispositifs de traduction
distincts
Essayant de saisir le fonctionnement de communautés hétérogènes (initialement les
communautés scientifiques) Callon a développé toute une démarche d’observation
scientifique et une posture méthodologique insistant sur l’importance à accorder aux « non
humains », c'est-à-dire aux supports de l’action, aux artefacts qualifiés d’ « intermédiaires ».
Comprendre les modalités d’ajustement, d’association entre acteurs, c'est-à-dire « le processus
de traduction » qui s’opère, suppose de prendre en compte des constructions sociotechniques
(énoncé, dispositif, etc.) qui appuient cette traduction : « les actions, qu’elles aboutissent ou
non, s’expriment dans le ou les intermédiaires qui leur prêtent matière pour les faire exister :
si rien n’est dit ou inscrit (…) alors rien n’agit. L’action tient toute entière dans la circulation
de ces intermédiaires bariolés qui portent des messages et décrivent (dans les deux sens du
terme) inlassablement les réseaux inscrits dans les matériaux dont ils sont constitués »
(Callon, 1991 p. 206). Comme le souligne Callon (1991, p. 210), « parler de traduction en
général n’a pas de sens ; il faut immédiatement préciser le support, le matériau dans lequel
I
B » où A et B sont des
elle est inscrite (…). La traduction réside dans le triptyque A
acteurs et I l’intermédiaire, l’opérateur de la traduction (qualifié aussi par Callon (1986) de
« dispositif d’intéressement »).
Cette approche nous semble particulièrement adaptée pour comprendre le processus de mise
en relation entre entreprises et DE qu’opèrent Pôle emploi et les structures IOD, car ces
opérateurs s’appuient sur des intermédiaires (au sens de Callon) qui structurent leur action :
des procédures, des méthodes, des catégorisations, des indicateurs, la mobilisation de termes
spécifiques. La compréhension du travail de mise en relation passe donc dans un premier
temps par l’analyse de ces dispositifs, avant de comprendre comment ils opèrent dans le
processus de traduction.
Encadré 2 - Eléments de cadrage méthodologique
Le matériau sur lequel repose cet article est pluriel :
1- En ce qui concerne Pôle emploi : un travail principalement sur des sources secondaires.
Ont été mobilisés des documents de nature administrative (rapports officiels, documents internes mis à
dispositions sur les sites bien informés comme celui de la « fusion pour le nuls ») et des études antérieures
réalisées sur l’agence (ANPE) et Pôle emploi. L’accumulation de ce matériau, même s’il ne relève pas d’une
observation directe, donne néanmoins une image assez précise des modes de fonctionnement de Pôle emploi. Par
ailleurs, la revue de littérature permet de suivre l’évolution qu’a connue l’opérateur. On peut distinguer deux
grandes périodes : au tournant des années 1990-2000 où une série de travaux ont porté sur la question de
l’intermédiation eu sein de l’Agence [Lizé, 1997 ; Meyer, 1998 ; Delfini et Demazière, 2000] et depuis la
création de Pôle emploi où la question de sa stratégie vis-à-vis des entreprises se retrouve posée [Amnyos, 2012 ;
Commission des affaires sociales, 2013 ; Fondeur et al., 2012 ; IGAS, 2011 ; IGF, 2011 ; Jamme, 2011].
Un travail d’analyse du rôle d’un conseiller dans la mise en relation entre offre et demande a néanmoins pu être
menée dans le cadre d’une enquête de terrain menée en 2011 sur un dispositif spécifique le CTP (le contrat de
4
transition professionnelle à destination des licenciés économiques des entreprises de moins de 1000 transformé
depuis en CSP - contrat de sécurisation des parcours). Ce dispositif est mis œuvre en marge de l’activité
quotidienne des ALE puisqu’il se développe dans des locaux distincts, souvent ceux des plateformes de
vocations. Pour autant ils sont animés par des conseillers de Pôle emploi qui ont fait le choix de se positionner
sur ces dispositifs et qui gardent la culture Pôle emploi « de base » notamment dans le conception du travail de
mise en relation et l’importance accordée à l’offre d’emploi et à la base de données de l’agence (pour plus de
détail voir Fretel, 2012).
2- En ce qui concerne IOD : un terrain d’enquête
Les structures IOD ont été rencontrées lors d’enquêtes successives.
La première structure se situe en Ile-de-France (IOD IDF par la suite) dans une zone d’emploi qui connaît des
taux de chômage élevés avec notamment un chômage d’exclusion pour la population vivant sur place, alors
même que la ville connaît un développement économique important. IOD IDF a été créé par un réseau
d’associations d’insertion sociale (traitant des problèmes de logement, du suivi des personnes sortant de prison,
etc.) qui souhaitaient mettre en commun leur action concernant l’insertion professionnelle. La structure compte 3
équipes IOD, Chaque équipe est composée de trois chargés de mission. Si l’on ajoute le directeur, la chef
d’équipe et un responsable de l’accueil, l’organisme compte 12 salariés.
Rencontré une première fois en 2007 avec une enquête menée auprès du directeur, des chargés de mission et des
demandeurs d'emploi (Remillon et Gallo, 2008), le directeur a de nouveau été rencontré en 2012. Par ailleurs,
une journée d’étude pour fêter les 10 ans de la structure a été organisée en octobre 2011 à laquelle nous avons
contribué, journée qui a permis de mettre en perspective l’action menée par IOD IDF et de saisir les
questionnements qui se posent au moment de redéfinir un cap pour les prochaines années.
La seconde structure IOD se situe dans le nord (appelée IOD N par la suite). Là aussi le contexte d’emploi y est
compliqué avec des difficultés de reconversions professionnelles dans un département qui se tourne de plus en
plus vers les activités de services. IOD N fait partie d’un organisme de formation depuis 20 ans qui regroupe en
tout 5 équipes IOD. L’enquête a été conduite en 2007 auprès des demandeurs d'emploi et des chargés de mission
(Remillon et Gallo, 2008).
Au-delà de ces monographies, des contacts réguliers ont aussi eu lieu avec Transfer, l’association qui définit et
cadre la mise en œuvre de la méthode IOD. C’est elle qui « chapeaute » l’ensemble des structures existantes et
qui forme à la méthode les chargés de missions et les directeurs. Ont été rencontrés le directeur, le responsable
des partenariats, les chargés de mission qui forment les équipes. Ces contacts ont permis d’accumuler du
matériau (documentation sur la méthode, évaluations disponibles, notes) mais également d’avoir un aperçu des
enjeux « stratégiques » et notamment des difficultés de mise en œuvre rencontrées.
Quatre dispositifs supportent le processus de traduction : l’offre d’emploi, la façon dont elle
est définie et collectée (I.1) ; la demande d’emploi, là aussi dans son mode de collecte (I.2) ;
le processus de mise en relation qui les réunit (I.3) ; et les indicateurs d’activité qui résument
cette activité (I.4).
I.1 - L’offre d’emploi
Dans les deux cas, « l’offre d’emploi » est au cœur de l’activité pour les deux structures et
c’est cette offre collectée qui va initier tout le processus de mise en relation. Néanmoins les
contours de cette « offre » et les dispositifs qui la supportent diffèrent entre Pôle emploi et
IOD.
Du côté de Pôle emploi, le recueil de l’offre s’articule autour de deux pôles : une mise en
conformité avec « le marché du travail » et une codification de l’information via notamment
le code ROME.
Pour le conseiller, recueillir une offre ne se traduit pas seulement par son enregistrement dans
une base de données, il s’agit d’engager un travail pour que cette « offre », soit « une vraie
offre ». Discutant de ce travail de collecte des offres un conseiller Pôle emploi opérant dans le
cadre du CTP le décrit : « Quand on est conseiller, on n’est pas simplement le preneur
d’offre. C'est-à-dire que l’employeur nous appelle ‘voilà, je cherche un cuisinier qui va
travailler 45 heures avec des coupures et en salaire vous mettrez 1500 euros brut’. Le travail
5
du conseiller c’est de lui dire : ‘attention un cuisinier à 1500 euros bruts, vous ne trouvez
pas, ça ne correspond pas au marché du travail’. Alors ça c’est une caricature, mais c’est
notre travail de conseiller (…). L’expertise que l’on a sur un secteur d’activité, sur nos
demandeurs d’emploi, nous amène à faire prendre conscience à l’employeur que là, non. ‘Si
vous restez sur ces critères là monsieur, il y a de fortes chances que vous ne trouviez
pas, parce qu’un cuisinier ça ne coûte pas 1 500 euros bruts et vous le savez’. ‘Mais bon je
tente !’ ‘Oui mais ce n’est pas correct et vous le savez, moi je vous propose que l’on mette un
peu plus dans l’offre d’emploi’». Cette mise en conformité avec le « marché du travail » est
pour autant assez « mystérieuse » : elle ne repose sur aucune fiche type et semble relever
d’une connaissance commune dont disposent les conseillers, un « on sait que ». Un autre
aspect de cette mise en conformité porte également sur l’absence de mention de critères de
discrimination conformément au code du travail : une offre ne doit notamment pas
mentionner de critère d’âge, de sexe ou d’origine.
L’autre travail du conseiller, consiste à traduire le champ d’activité de l’entreprise à travers le
code ROME. Le ROME est le Répertoire opérationnel des métiers et des emplois qui à partir
des métiers existants les décline en situations professionnelles (c’est-à-dire les activités
identifiées), en compétences nécessaires ainsi qu’en formation requise. Créé par l’ANPE en
1989, ce répertoire en est à sa troisième version (la dernière date de décembre 2009 la
précédence remontait à 1993). Il contient 531 fiches et plus de 10 000 appellations différentes
de métiers et d’emplois5. Cet outil fait la spécificité de Pôle emploi dans la manière
d’enregistrer les offres. Lors d’un dépôt d’une offre par les entreprises, celle-ci est rattachée à
un code ROME, un code métier. C’est le conseiller qui opère cette traduction à partir des
informations transmises par l’entreprise. Si derrière le code ROME se cachent des
compétences et la description de situations professionnelles, l’outil normalise avant tout les
situations de travail et les décontextualise.
La forme de l’offre en elle-même a été standardisée au fil des années avec la diffusion des
offres sur internet. On y trouve les items suivants : le type de contrat, l’expérience, la
formation, le diplôme demandé, les langues, la nécessité ou non de la détention du permis, les
connaissances bureautiques, le salaire indicatif, la durée hebdomadaire de travail, les
déplacements possibles ainsi que le secteur d'activité. Beaucoup de ces champs ne sont pas
toujours remplis (notamment les informations sur le salaire) et les descriptions restent brèves
le nombre de signes pour chaque item étant restreint (400 caractères au plus).
Les équipes IOD ne bénéficient pas de la visibilité de Pôle emploi qui, théoriquement au
moins, recueille une bonne partie des offres d’emploi donnant lieu à une publication6. Les
chargés de mission doivent donc mettre en œuvre tout un travail de prospection des offres. En
pratique, deux façons de collecter ces offres sont mises en œuvre : la prospection directe
auprès des entreprises (par téléphone voire en faisant du porte-à-porte) ; la mobilisation des
« entreprises réseau » qui sont des entreprises avec lesquelles l’équipe a l’habitude de
travailler. Quand des besoins de recrutement sont identifiés, plutôt qu’une « offre d’emploi »
au sens étroit du terme (compris comme une offre standardisée), il s’agit de récolter auprès
des entreprises des informations assez complètes décrivant le poste de travail dans toutes ses
dimensions :
5
http://www.pole-emploi.fr/employeur/les-nouvelles-fiches-metiers-@/suarticle.jspz?id=15735
Pôle emploi bénéficie du fait que jusqu’en 2005 l’ANPE avait le monopole du placement et que théoriquement
les entreprises devaient l’informer de ses besoins de recrutement. La « part de marché » de Pôle emploi est
estimée entre 16-18 % (rapport entre le nombre de Déclarations uniques d’embauches déposées par les
entreprises et le nombre d’offres collectées par Pôle emploi), 38 % en ne prenant en compte que les offres
d’emploi de plus d’un mois (Jamme, 2011).
6
6
-
les conditions d’emploi : ensemble des composantes de la rémunération (salaire et
primes), temps de la période d’essai, les possibilités d’accès à de la formation ;
- les conditions de travail : les horaires précis ; les fluctuations horaires possibles ainsi
que leur prévisibilité7, la description des conditions physiques du travail (port de
charges lourdes, postures pénibles) et les conditions matérielles pour les réaliser
(équipement de sécurité mis à disposition sur le poste) ;
- la structure hiérarchique : les collègues à proximité, le nombre de supérieurs de
hiérarchiques et leur rôle respectif ;
- les tâches à réaliser : cela consiste à demander à l’employeur de décrire une journée
type
- les possibilités d’évolution sur le poste : d’un point de vue salarial, d’un point de vue
fonctionnel (sur d’autres postes), la possibilité d’accès à la formation.
Dans cette fiche de poste, le processus de recrutement de l’entreprise est également décrit : les
critères qu’elle juge clés (façon de se présenter, les points qui paraissent importants pour
occuper le poste), les modalités d’entretien qu’elle estime nécessaires pour embaucher, ainsi
que le processus d’intégration qu’elle envisage qui est défini en accords avec IOD. Ces fiches
de poste font entre 3 et 5 pages contrastant clairement avec les quelques lignes d’une offre de
Pôle emploi. A l’inverse de Pôle emploi, il ne s’agit pas de décrire des compétences
transversales, mais des compétences situées dans un espace de travail précis. La fiche de poste
est enregistrée sous format Word et est mise à disposition sur un serveur commun de la
structure pour être accessible à tous les chargés de mission.
I.2 - La demande d’emploi
Du côté de Pôle emploi, l’enregistrement de la demande provenant du DE se fait au moment
de l’EID (entretien d’inscription et de diagnostic)8 qui vise à définir son PPAE (projet
personnalisé d’accès à l’emploi) qui identifie notamment : sa formation, ses qualifications, ses
compétences acquises au cours de ses expériences professionnelles, sa situation personnelle et
familiale, le salaire attendu, ainsi que sa zone de déplacement géographique9. Le temps
consacré à l’enregistrement de la demande est relativement court (l’essentiel de l’EID étant
occupé par la question de l’indemnisation) et une fois la demande enregistrée, elle n’est pas
fréquemment actualisée10. Tout comme pour l’offre d’emploi, le métier recherché est traduit à
partir du code ROME. En raison des contraintes qui pèsent sur le DE (l’obligation d’effectuer
des « actes positifs de recherche d’emploi »), celui-ci n’est pas en position de discuter des
offres d’emploi proposées si elles sont conformes à l’ORE (offre raisonnable d’emploi).
7
Par exemple sur une des fiches de poste consultée il est indiqué : « que la durée de travail est de 10 heures
maximum par jour avec une pause déjeuner, que le planning est réalisé 3 mois à l’avance ».
8
L’appellation de cet entretien a varié durant ces dernières années : au moment de la fusion deux procédures
avaient cours : l'inscription du demandeur d'emploi (ou IDE) reçu par un agent de l'indemnisation ; puis, dans un
second temps, l'élaboration du Projet Personnalisé d'Accès à l’Emploi (ou PPAE) avec un agent du placement où
se définissant l’ORE. Des deux temps ont été condensés en un à travers la mise en œuvre courant 2011 de l’EID.
9
Ce sont ces éléments qui permettent de définir l’ORE : l’offre raisonnable d’emploi. Selon la définition de Pôle
emploi, jusqu’à trois mois après l’inscription, une offre est considérée raisonnable si l'emploi est compatible
avec les qualifications et les compétences professionnelles du DE et rémunéré au minimum à 95% du salaire
antérieurement perçu. Au bout de six mois d’inscription, le taux de salaire est porté à 85%. A ce critère s'ajoute
une notion géographique et de temps de transport. Est alors considérée comme raisonnable une offre d'emploi «
entraînant, à l'aller comme au retour, un temps de trajet en transport en commun, entre le domicile et le lieu de
travail, d'une durée maximale d'une heure ou une distance à parcourir d'au plus 30 kilomètres ». Au bout d’un an
et plus : est considérée comme raisonnable l'offre d'un emploi compatible avec les qualifications et compétences
professionnelles, rémunéré au moins à hauteur du revenu de remplacement perçu et répondant aux mêmes
conditions de trajet qu'après 6 mois d'inscription (source Pôle emploi).
10
En dépit de l’instauration du SMP (suivi mensuel personnalisé), dans les faits, une fois l’inscription faite, un
délai de 4 mois est constaté avant un nouvel entretien.
7
Du coté des structures IOD, la méthode d’intervention définie vise à donner le choix au DE, à
comprendre ses attentes11 et à ne pas prédéfinir un projet professionnel (par exemple en
fonction de son expérience passée). La demande du DE n’est donc pas arrêtée. Elle s’exprime
sur la base des fiches de poste proposées par les chargés de missions. En symétrie, il n’y a pas
de présélection préalable des « offres » : les chargés de mission proposent toutes les offres
disponibles au demandeur d'emploi (donc ne relayant pas les éventuels critères de sélection
énoncés par l’entreprise), y compris celles qui ne correspondent pas à ses demandes initiales.
Lors de la présentation d’ « offres », une discussion s’instaure alors entre le chargé de mission
(CM) et le DE qui précise ses attentes, explique pourquoi il se projette, ou non, sur le poste
présenté. Le principe sous-jacent est pour le CM de faire confiance au DE, de lui donner sa
chance et surtout ne pas juger à sa place ce qu’il est capable, ou non, de faire12. Ces
discussions s’effectuent dans le cadre d’entretiens d’une durée relativement longue (1h30
pour le premier RDV, un peu moins ensuite). Cette démarche traduit une conception de la
compétence construite en situation, dans le collectif de travail (d’où l’importance de bien
donner au DE des éléments précis sur le contexte d’emploi), à l’opposé d’une conception plus
individualiste et objectiviste de la compétence sous-jacente à la traduction des parcours du DE
dans un code ROME unique et stable (Remillon et Vernet, 2013).
I.3- La mise en relation
Au sein de Pôle emploi, le processus de mise en relation (MER) débute après l’enregistrement
de l’offre (« la prise d’offre ») et vise à déclencher des candidatures. Il s’agit alors pour le
conseiller de nourrir une requête sur les profils de candidats compatibles avec l’offre sur la
base de la clef d’entrée constituée principalement par le code ROME. C’est déjà ce processus
avec ce séquençage que décrivait Meyer (1998, p. 353-354) : « en règle générale, le
processus de rapprochement entre offre et demande débute par l’offre d’emploi, c’est de
l’offre, de ses caractéristiques standardisées que se décline l’enchaînement des opérations
aboutissant à la sélection des candidats ». Ce rapprochement offre/demande peut se faire
juste après la saisie de l’offre par le conseiller ou par des requêtes d’un autre conseiller en
fonction de son portefeuille de DE. Dans les deux cas, le rapprochement se fait à distance et
l’information engagée pour ce faire est partielle (Amnyos, 2012) : si la requête est initiée par
le conseiller qui a saisi l’offre, ce dernier connaît bien le contexte du recrutement mais pas les
caractéristiques des DE. Inversement le conseiller qui fait une requête sur la base des profils
de son portefeuille de DE ne connaît pas l’entreprise en dehors des caractéristiques de l’offre
telles qu’elles ont été enregistrées. Le conseiller n’ayant à chaque fois qu’une vue sur l’un des
protagonistes (le DE ou l’entreprise) la qualité de la mise en relation effectuée dépend de la
qualité de l’information saisie par l’autre protagoniste et l’appariement proprement dit passe
par la procédure informatique sur laquelle le conseiller n’a que peu de prise. Toutefois les
conseillers Pôle emploi gardent la possibilité de faire des mises en relation ne reposant pas sur
cette forme d’appariement à distance. En effet, les agents sont polyvalents. Chaque conseiller
a à la fois un portefeuille de demandeurs d'emploi et un portefeuille d’entreprises. « Avoir une
connaissance directe d’une offre d’emploi qu’ils ont contribué à construire leur permet
d’imaginer des mises en relation que la simple consultation informatique de la banque
d’offres d’emploi ne leur aurait pas permis » (M. Jean-Paul Alduy, rapporteur de la mission
d’information du Sénat sur Pôle emploi, cité par Commission des affaires sociales, 2013).
Cependant dans le contexte actuel de chômage massif, les agents, débordés par leur mission
11
Qui ne s’expriment d’ailleurs pas forcément en termes de souhait d’un type de poste en particulier mais parfois
en termes d’horaires de travail, de proximité géographique, etc.
12
Cela n’est possible que dans la mesure où les postes visés par les structures IOD sont des postes de premier
niveau de qualification, qui demandent donc peu de certifications.
8
de suivi des demandeurs d'emploi, tendent à avoir moins de temps pour la prospection et les
relations aux entreprises. En outre, même s’ils trouvent du temps, ils agissent peu sur le
contenu de l’offre d’emploi souvent au nom d’une culture professionnelle (Amnyos 2012) qui
repose sur une posture de neutralité et d’objectivité (encadré 3).
Encadré 3 : Quelle mise en relation à Pôle emploi ?
Pour mieux comprendre ce travail fait sur l’offre, on interroge alors le conseiller sur le fait de savoir s’il reste sur
la forme de l’offre ou s’il regarde aussi en quoi consiste le travail proposé. La conseillère répond du tac au tac en
interprétant le terme de « travail » dans la question comme étant le travail effectué sur l’offre :
- « Alors sur le travail de l’offre d’emploi : on prend l’offre d’emploi et théoriquement (…) on diffuse l’offre
d’emploi à tous. On ne garde pas l’offre d’emploi pour l’offre d’emploi. On diffuse l’offre d’emploi au national
sur le site, et parallèlement à ça, on va chercher, d’abord dans nos portefeuilles, les demandeurs d’emploi qui
pourraient correspondre à l’offre, pour que là tout de suite, l’employeur a demandé ça et que je puisse lui faxer
(…). Et ensuite, la deuxième façon d’aller chercher des candidats, c’est d’aller faire une recherche
informatique. Notre système informatique nous permet par rapport à cette offre d’aller faire une recherche qui
va rapprocher l’offre à la demande ».
On relance alors le conseiller sur sa capacité à négocier l’offre
- « On ne négocie pas, nous ce qui nous intéresse c’est de mettre notre adhérent en contact avec un employeur.
Et c’est déjà pas mal si on obtient un entretien ! ».
Relance : « mais qu’est-ce qui vous interdit d’aller un peu plus loin dans le rapport avec l’employeur ? » :
- « On ne s’interdit rien, dans le sens où si l’adhérent a un entretien le lendemain, la partie se joue entre
l’employeur et l’adhérant ».
« Vous ne vous immiscez pas dans cette relation ? »
- « Bah moi je m’interdis de faire ça. Moi je suis conseillère. C’est l’adhérent qui à un moment va aller
travailler dans l’entreprise. Moi je ne suis pas cariste. Si par exemple je reçois un cariste, j’ai peut-être fait
tester la personne sur le fait qu’elle soit cariste, mais à un moment c’est à l’employeur de juger si la personne a
la compétence, ce n’est pas à moi. Donc moi je donne le coup de pouce et après c’est vrai que c’est l’employeur
qui va faire son recrutement. Je ne vais pas aider l’employeur à faire son recrutement parce que ce n’est pas
mon travail et que du coup moi je ne suis pas une technicienne des spécificités que demande l’employeur. Moi je
m’arrête là. Moi je vois que l’offre correspond à la personne que j’ai en face de moi, au niveau des compétences
ça à l’air de coller (…). Je m’arrête là parce que c’est à l’employeur de voir si tout ça correspond bien. Nous on
a aussi un devoir vis-à-vis de l’employeur. Moi je ne peux pas dire ‘alors franchement, ce monsieur à les
compétences, il est super bien’. Si ce n’est pas vrai, moi je ne le sais pas. Donc au bout du compte l’employeur il
ne reviendra pas vers moi. Moi je dis à l’employeur : ‘voilà, objectivement ça me semble bien correspondre,
maintenant c’est à vous de juger’. Mais je ne peux pas aller plus loin que ça, je ne peux pas dire à l’employeur
‘il est super bien ce gars-là’, parce que si je me plante… C’est à l’employeur de juger ».
Dans les structures IOD, la relation avec l’entreprise est appréhendée en trois temps par des
chargés de mission polyvalents (cf. encadré 4) :
- Des « négociations préalables » où le CM négocie à la fois les critères de
recrutement que l’entreprise veut mettre en œuvre (en l’invitant à les justifier par
rapport aux caractéristiques du poste) et la façon dont le recrutement va se dérouler
en imposant un entretien de mise en relation (EMR) plutôt qu’un entretien
d’embauche classique.
- L‘EMR où un seul candidat est présenté pour un poste de travail et où le chargé de
mission est présent pendant l’entretien. Ni CV ni lettre de motivation ne sont
fournis à l’employeur ; l’EMR a lieu directement sur le poste de travail.
- L’appui à l’intégration car la méthode IOD prévoit qu’une fois le recrutement
réalisé, l’action des CM ne s’arrête pas immédiatement et qu’ils continuent à
suivre un temps le salarié et l’entreprise, en général, jusqu’à la validation de la
période d’essai. Ce suivi consiste à organiser des rendez-vous réguliers entre le
CM et l’employeur, le CM et le salarié, ou en réunissant les trois parties. Il semble
que ces rendez-vous servent surtout à gérer les problèmes qui peuvent survenir, ce
qui est déjà un grand résultat quand cette intervention du CM permet d’éviter une
9
rupture du contrat avant la fin de la période d’essai. Les CM servent alors de
médiateur pour engager une discussion non conflictuelle entre le salarié et
l’employeur qui permette de résoudre le problème. Leur technique consiste à éviter
que l’employeur ne reporte tous les tords sur le salarié, en lui faisant d’abord
énoncer les points positifs, ce qui marche, et en renvoyant les difficultés
rencontrées à des problèmes d’organisation du travail
Un processus réussi suppose une continuité entre les négociations préalables et l’appui à
l’intégration. Le but de toutes ces étapes est de supprimer la sélection à distance sur critères
généraux (particulièrement discriminante, notamment pour les salariés âgés et peu qualifiés),
et de faire porter l’interaction sur l’activité de travail uniquement, avec le chargé de mission
comme interlocuteur pour cadrer cette interaction. A l’inverse à Pôle emploi, « la sélection
s’effectue uniquement sur la base de critères généraux tels que le diplôme, la durée
d’expérience professionnelle, le code ROME. Les mises en relation sont alors conçues comme
des opérations de mises en correspondance de deux termes - réputés connus et fixes –
identifiés au préalable » (Delfini et Demazière, 2000, p. 30). Même dans les cas où Pôle
emploi intervient davantage dans la mise en relation (ne se contente pas de faire de la mise en
relation via son site Internet), l’intervention du conseiller se veut la plus neutre possible (cf.
encadré 3). Le nouveau plan stratégique (Pôle emploi 2015) distingue ainsi deux types
d’accompagnement pour les entreprises : un service « d’appui au recrutement » qui se limite à
faire l’interface pour la diffusion d’information ; un service « d’accompagnement au
recrutement » où Pôle emploi propose une mise en relation (Commission des affaires sociales,
2013). Mais même dans ce cas, la logique est toujours celle d’une adaptation des demandeurs
d'emploi aux « critères du marché » et non l’inverse. Le conseiller peut alors effectuer une
présélection des candidats « avec un niveau de présélection qui sera adapté aux souhaits de
l’entreprise », mobiliser des actions d’adaptation des demandeurs d'emploi pour permettre de
répondre aux besoins de l’entreprise …
I.4 - Les indicateurs d’activité retenus
L’activité en direction des entreprises a été renforcée au sein de l’ANPE dès le milieu des
années quatre-vingt dix avec la signature des différents contrats de progrès avec l’Etat. Cela
s’est traduit par la définition d’indicateurs centrés sur la collecte des offres et leur gestion.
C’est à partir de cette époque que l’on parle de « part de marché » de l’ANPE, celle-ci étant
fixée à 40% comme objectif à atteindre pour fin 1998 (rappelé par Delfini et Demazière,
2000, p. 27). Dans l’activité des agents, il faut alors comptabiliser « les offres recueillies et
traitées », les « offres satisfaites » que l’offre ait été satisfaite avec ou sans le concours de
l’agence, « les offres placées » qui là traduit les offres pourvues par un DE inscrit à l’ANPE
(Delfini et Demazière, 2000, p. 28). La création de Pôle emploi n’a pas sur le fonds modifié
cette tendance. Les indicateurs d’activité retenus sont les mêmes13 : nombre d’offres d’emploi
recueillies, nombre d’embauches réalisées par l’intermédiaire de Pôle emploi (appelées
MER+), offre d’emploi satisfaites. S’y est rajouté le délai moyen de satisfaction des offres
(fixé à 38 jours dans la convention 2009, et 29 jours dans la convention 2012) ainsi qu’un
indicateur mesurant le service de mise en relation rendu via le site de pole-emploi.fr qui
permet une mise en contact directe entre employeur et DE. Cet indicateur se décline en deux
volets : permettre aux demandeurs d’emploi de contacter les employeurs qui les intéressent
13
Les indicateurs d’activité sont définis dans deux conventions tripartites Etat/Unedic/Pôle emploi signées à ce
jour : convention du 2 avril 2009 valant jusqu’en 2011
(http://www.minefe.gouv.fr/fonds_documentaire/archives/dossiersdepresse/090402conv_tripartite.pdf)
et convention du 11 janvier 2012 valant jusqu’en 2014
(http://www.poleemploi.org/file/galleryelement/pj/d7/1b/e2/4e/convention_tripartite6258483767317734405.pdf)
10
directement (volet 1) et permettre aux employeurs qui recrutent de contacter directement le
DE (volet 2). L’objectif pour 2014 est de faire en sorte que 50% des offres déposées en ligne
permettent un contact direct de l’employeur par le DE et que 50% des profils de DE mis en
ligne contiennent un CV accessible.
A partir de ces indicateurs d’activité on peut donc remarquer : 1/ que l’activité de mise en
relation qui s’effectue avec l’intervention en propre d’un conseiller (activité qualifiée de
MER+) est comptabilisée au même titre que l’activité de satisfaction des offres qui, elle, ne
suppose pas forcément un travail de mise en relation. Ces deux indicateurs ont le même degré
d’importance. Pour l’année 2010, 86% des offres déposées à Pôle emploi ont été satisfaites,
c'est-à-dire pourvues sans forcément qu’il y ait eu à l’origine une action spécifique de Pôle
emploi. Si l’on réduit le champ aux MER+ le taux de satisfaction est de 50% (IGAS, 2011).
Pôle emploi n’a donc pas toujours une action spécifique d’intermédiation entre DE et
entreprise, et comptabilise aussi bien cette activité que celle où il est plus actif.
2/ le processus de mise en relation décrit plus haut se confond avec un indicateur d’activité, ce
qui participe au brouillage de la notion de « mise en relation ». Comme le souligne Amnyos
(2012, p. 21) : « un certain nombre d’actes métiers sont déclenchés dans le but de corriger ou
de maintenir le niveau de l’indicateur ». L’indicateur prime sur le processus lui-même
Ainsi l’’étude qualitative des MER+ enregistrées (Amnyos, 2012) met en évidence que les
agents de Pôle emploi ne sont pas en mesure d’identifier ce qui est imputable ou non à leur
activité d’intermédiation. Près de la moitié des MER+ enregistrée ne correspondrait pas à un
recrutement consécutif à une intermédiation dont Pôle emploi serait à l’origine.
Au sein des équipes IOD les indicateurs aussi sont très présents. L’indicateur clef est le taux
de « sortie sur l’objectif » (sorties en CDI) qui mesure l’activité et la réussite de la structure.
Mais d’autres indicateurs sont mis en place pour ne pas seulement comptabiliser le nombre de
mises en relations effectuées, mais aussi pour s’assurer de leur qualité. Ainsi les structures
rencontrées comparent la composition du public à l’entrée et à la sortie (donc accèdent à
l’emploi). Il s’agit ici de regarder la possible déformation entre les personnes accueillies et
celles placées.
Est également mesuré le taux de reprise d’emploi qui comptabilise le nombre de personnes
ayant repris au moins une activité du fait du passage au sein de la structure. Si cela ne
constitue pas une « sortie sur l’objectif », il n’en reste pas moins que cela peut-être considéré
comme un résultat en soi. Comme le souligne le directeur de la structure IOD IDF « ça a des
vertus importantes, ça démystifie le rapport à l’employeur. Les gens se rendent compte qu’ils
peuvent discuter avec un patron et avoir des compétences ». Autre aspect regardé : la
« qualité » des offres : les structures IOD cherchent avant tout à collecter des offres d’emploi
en CDI à temps plein. Sont aussi distinguées les offres d’emploi en CDI à temps partiel ou
CDD de plus de 6 mois, les offres en CDD de moins de 6 mois mais avec une perspective de
recrutement plus pérenne au moment où se fait le contact du conseiller avec l’entreprise et les
offres en CDD de moins de 6 mois sans perspective au moment du contact avec l’entreprise.
Encadré 4- L’organisation au sein des structures de la fonction de mise en relation
Au sein de Pôle emploi, la structuration de la relation à l’entreprise a gardé les grandes lignes de ce qui se faisait
au sein de l’ANPE, c'est-à-dire que les agents sont polyvalents (Delfini et Demazière, 2000), ils disposent d’une
double compétence pour gérer le volet entreprise et l’accompagnement du DE. Cette organisation est assez
spécifique à la France, dans d’autres pays, notamment le Royaume-Uni ou l’Allemagne, cette fonction est gérée
par des agents spécialisés (IGF 2011). Pour autant, comme le rappelle l’IGAS (2011), cette polyvalence est
atténuée par une spécialisation sectorielle des agents qui s’est accrue avec la création de Pôle emploi par la
11
création de structures spécialisées : des « forces de prospection entreprises »14, des plates-formes de vocation
(qui mettent en œuvre la MRS - méthode de recrutement par simulation)15 et la création d’équipes « grand
comptes » chargées de décliner, au niveau régional, les accords signés par Pôle emploi avec les grandes
entreprises16.
En dépit de ces aménagements, l’essentiel de la relation à l’entreprise est portée par les agents polyvalents : la
ventilation des coûts complets de Pôle emploi montre que plus de 60% de l’activité dédiée aux entreprises est
centrée le traitement « classique » de l’offre et la mise en relation (IGAS, 2011)17. Dans la suite de cet article,
c’est sur cette partie de l’activité que nous nous concentrerons. Les agents sont formés à cette mission. D’après
des documents internes18, pour former un agent « de base », sur un parcours de 27 jours de formation, un tiers est
consacré à la question de du recrutement au sens large : 3 au « marché du travail et recrutement », 4 jours dédiés
au « traitement de l’offre d’emploi » et 4 à la « relation entreprise ».
Au sein des structures mettant en œuvre la méthode IOD, les conseillers, appelés chargés de missions, sont
également polyvalents. Ils sont organisés par équipes de trois de façon à produire une dynamique collective et
une montée en compétence collective.
En termes de formation, les conseillers commencent par une formation de base de deux semaines assurée par
Transfer au sein de ses locaux. Puis trois à quatre fois par an un formateur de Transfer vient au sein de la
structure pour motiver les conseillers, recadrer la démarche. Par ailleurs tous les ans Transfer propose des cycles
de formation de deux jours dédiés aux conseillers d’un côté et aux directeurs de structures de l’autre. Au sein
d’IOD IDF se rajoute des formations organisées par la direction notamment avec des acteurs lié à l’entreprise
comme les OPCA, les Aract, les syndicats …
On est sur un schéma de formation en continu, avec un rappel régulier des « fondamentaux » de la méthode
organisé par Transfer.
Les dispositifs sur lesquels repose la fonction de mise en relation des DE et des entreprises
sont donc bien distincts au sein de PE ou des structures IOD. Transmission d’informations
codifiées chez l’un, processus présentiel chez l’autre. La question qui se pose alors est de
savoir quelle est l’opérationnalité de ces dispositifs ? Quelle est leur capacité de traduction ?
II- Quelle capacité d’intéressement ?
Pour Callon (1986, p. 204) « traduire c’est déplacer (…). Mais traduire, c’est également
exprimer dans son propre langage ce que les autres disent et veulent, c’est s’ériger en porteparole ». Traduire, c’est intéresser au sens de « se placer entre ». Un processus de traduction
réussi conduit à un alignement, c’est-à-dire à une stabilisation, à une convergence des intérêts
en s’appuyant sur les dispositifs (les intermédiaires) mis en circulation par l’un des acteurs.
Caractérisant un processus de traduction réussi entre deux acteurs A et B Callon (1991, p.
2012) souligne que cela « crée cet espace commun, cette équivalence, cette commensurabilité
qui manquaient : elle [la traduction] aligne, tandis que si elle échoue A et B retourne à leur
incommunicabilité » (p. 212).
Dans le cadre qui nous intéresse ici, le processus de traduction s’opère entre trois acteurs : le
DE, l’entreprise et la personne qui cherche à les mettre en relation (le conseiller côté PE, le
chargé de mission côté IOD). Il y aura un alignement fort si le DE et l’entreprise passent
nécessairement par la structure et opèrent leur mise en relation sur la base des outils mis à
14
Pôle emploi les définies de la sorte : « ces forces de prospection vont au-devant de nouvelles entreprises qui ne
travaillent pas encore avec Pôle emploi pour leur présenter l’offre de service et leur apporter des conseils pour
recruter » http://www.pole-emploi.org/communication/missions/-valeurs-@/communication/403/view-category4887.html
15
Voir notamment Pôle emploi (2010).
16
Typiquement des accords diversité.
17
La ventilation donne la répartition suivante pour l’année 2010 : 12% consacrés à la démarche de prospection,
5% consacrés à la MRS, 15% consacrés à la gestion et au versement des aides entreprises.
18
http://www.lafusionpourlesnuls.com/article-quelle-formation-pour-les-conseillers-de-pole-emploi96222644.html
12
disposition par celle-ci. L’alignement est faible, si le DE et l’entreprise peuvent se coordonner
sur la base d’autres dispositifs que ceux mis en circulation par la structure, en les contournant.
II.1 Intermédiation et médiation : deux circuits d’intéressement
Pour comprendre les circuits d’intéressement, il convient de regarder comment le DE et
l’entreprise mobilisent et acceptent les outils proposés par PE et IOD.
Deux études récentes (Amnyos, 2012 ; Fondeur et al., 2012) soulignent le caractère contraint
des DE postulant sur des offres qui ont transité par Pôle emploi. Les offres, transmises au
compte-goutte, sont souvent appréhendées par les DE comme une forme de contrôle. Ils se
sentent obligés de candidater pour faire acte de recherche d’emploi, même si l’offre leur paraît
souvent éloignée de leurs compétences et de leur expérience professionnelle. Du coup, ce qui
importe sur la base d’une offre transmise par Pôle emploi, c’est de récupérer le tampon de
l’employeur pour prouver qu’ils se sont présentés à un entretien (Fondeur et al., 2012, p. 184).
A l’inverse, au sein d’IOD, la discussion sur les offres et sur toutes les offres (y compris sur
celles qui ne sont pas non centrées sur les expériences passées du DE ou son projet) permet au
DE de se positionner de façon volontaire. Il se sent libre d’expliquer son point de vue et de
justifier de son refus. Cet auto-positionnement est efficace puisque les évaluations conduites
(notamment Remillon et Gallo, 2008) montrent que les DE se positionnent rarement sur des
offres qu’ils ne seraient pas capables d’exercer. Dans la mesure où on les replace dans une
situation de choix, ils n’acceptent pas n’importe quoi et ne mentent pas sur leurs compétences.
Côté entreprise, là aussi les choses sont assez contrastées entre PE et IOD.
Dans le traitement de l’offre opéré par PE quand un conseiller recueille un besoin de
recrutement d’une entreprise, tout un travail de recodage de l’information s’enclenche. Le
conseiller retraduit – notamment à partir du ROME – l’information contenue dans l’offre
initiale pour pouvoir la mettre en correspondance avec les informations saisies sur le DE. Or
cela peut conduire à supprimer les informations contenues dans l’offre initiale pour ne garder
que la version retravaillée par le conseiller (Amnyos 2012, p. 26). L’alignement proposé par
Pôle emploi repose donc sur ce codage de l’information qui sert de point d’appui pour initier
la relation entre le DE et l’entreprise (Amnyos, 2012). Or cette information bien souvent n’est
pas lisible : le code ROME est souvent trop généraliste et englobant19, il recouvre donc des
réalités et des compétences très disparates, il ne permet pas de renseigner l’entreprise sur la
motivation de la personne. Au final, les entreprises se retrouvent peu dans le processus de
traduction proposé par Pôle emploi. Au moment de rencontrer le candidat, c’est l’information
contenue dans le CV qui est exigée et c’est sur cet autre dispositif que s’enclenche une
relation entre le DE et l’entreprise.
A l’inverse, dans le travail en amont opéré par IOD avec l’entreprise, celle-ci s’engage dans
une démarche réflexive sur ses modes de recrutement et les compétences nécessaires pour
occuper le poste de travail à pourvoir. La discussion des CM porte sur le fonctionnement
même de l’entreprise et les aspects concrets du poste. Les entreprises ayant collaboré avec une
structure IOD sont satisfaites de l’échange que cela a généré20. Elles considèrent notamment
que la fiche de poste travaillée est un acquis. DE comme entreprises savent dans quoi ils
s’engagent et y adhérent. Les dispositifs proposés par IOD (EMR) permettent de faire
converger les points de vue et d’entamer une discussion dans le cadre proposé.
19
Les représentants du patronat le qualifient même « d’inadapté ». Ce terme revient à deux reprises dans une
audition organisée par le Sénat dans le cadre de la Mission d’information relative à Pôle Emploi dans
l’interrogation faite au Medef et la CGPME de l’offre de service de Pôle emploi aux entreprises le 5 avril 2011
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20110404/poleemploi.html
20
Résultats issus d’une enquête menée par IOD IDF auprès d’entreprise de son réseau en 2010 que nous a
communiqué le directeur de la structure.
13
Si Pôle emploi peut être à l’origine de mises en relation, la rencontre qui s’opère entre le DE
et l’entreprise engendre un nouveau processus de traduction pour compléter/corriger/ les
informations fournies par PE. L’entreprise mobilise alors l’outil du CV pour aligner le DE. La
mise en relation proposée par PE entre offre et demande peut finalement être apparentée à une
opération de suivi administratif : « ce suivi vise à vérifier si le poste a été pourvu et si le
demandeur d’emploi mis en relation s’est présenté. Il ne correspond pas à une période
d’ajustement des conditions posées par l’employeur (…). Les relations entre les trois acteurs
[ANPE, employeur, demandeur d’emploi] se caractérisent par un système d’échange
‘binaire’ (Agence/demandeur d’emploi, Agence/employeur et employeur/demandeur
d’emploi » (Lizé, 1998, p. 215 citant une étude Donnard et Lefilleul21).
Nous sommes en présence de deux circuits d’intéressement distincts. C’est ce que résume le
graphique ci-dessous.
Graphique - Intermédiation et médiation : deux circuits d’intéressements
Intermédiation
Médiation
PE
ROME
IOD
ROME
EMR
DE
CV
Ent
DE
En
t
Dans le cadre de l’intermédiation, Pôle emploi (PE) propose comme dispositif d’intéressement un
rapprochement du demandeur d’emploi (DE) et l’entreprise à partir d’informations codées
(principalement le ROME). Cette opération ponctuelle ne parvient pas à intéresser le DE et l’entreprise
dans la durée qui, pour se coordonne, recréent leur circuit d’intéressement à partir d’un autre dispositif :
le CV.
Dans le cadre de la médiation, les structures IOD parviennent via le dispositif d’EMR (entretien de mise
en relation) à traduire les attentes du DE et de l’entreprise dans la durée et à créer un accord sur la base de
ce dispositif. Il y a alignement.
« L’intermédiaire I [ou dispositif] et les définitions de A et de B qu’il donne et actualise,
peuvent être plus ou moins accepté, plus ou moins contesté (…). Le désaccord peut aller plus
ou moins loin, se concentrer sur A ou sur ses intermédiaires : pour interrompre la traduction,
B peut contester A ou I, aller jusqu’à les remettre en cause ou plus prosaïquement s’abstenir.
21
Donnard C., Lefilleul M. F., 1989, Offres d'emploi et critères d'embauche, Rapport d'étude pour l'ANPE,
Paris, LE FRENE (Formations Recherches Etudes Négociées), 85 p - 1992, Les causes de succès ou d'échec des
mises en relation, Document de travail, Paris, LE FRENE (Formations Recherches Etudes Négociées), octobre,
62 p.
14
A l’autre extrémité du continuum la traduction est à ce point acceptée qu’elle s’efface
purement et simplement, disparaissant en tant que mise en relation construite et que
compromis négocié : il ne reste plus que l’accord qui va de soi » (Callon, 1991, p. 211).
Intermédiation et médiation serait alors deux faces du processus de traduction. Cette
distinction se retrouve également dans l’analyse économique que l’on peut faire de
l’appariement.
II.2 Une distinction entre intermédiation et médiation qui rejoint la pluralité des formes
de l’appariement présenté dans la théorie économique
La distinction proposée ici entre intermédiation et médiation, mettant notamment en avant la
question du temps, se retrouve dans la littérature économique consacrée à l’appariement. De
Larquier (1997) souligne que l’appariement renvoie aux théories du « matching » mais
également à l’analyse en termes de « bien d’expérimentation ».
Dans l’optique du matching, l’appariement se résume avant tout à un problème d’information
entre des travailleurs et des postes vacants. L’intermédiaire intervient alors pour « fluidifier »
cette information, faciliter la rencontre entre chômeurs et entreprises (Rubinstein et Wolinsky
1987. Reprenant cette grille d’analyse pour qualifier le rôle de l’ANPE, Lizé (1998, p. 249)
parle alors de l’Agence comme matchmaker soulignant que « l’intermédiaire public intervient
peu sur la réalisation de l’appariement, mais il agit activement sur son organisation et sa
régulation ».
Mais de Larquier souligne qu’une autre approche de l’appariement a été développée
notamment par Jovanovic en 1979 où l’appariement est analysé comme un « bien
d’expérimentation » où les parties prenantes à la relation d’emploi ne connaissent pas dès le
début toutes les caractéristiques du poste et de la personne. L’intermédiaire dans ce cadre peut
être pensé comme un acteur permettant de révéler les caractéristiques de l’entreprise et de la
personne. Il s’inscrit alors dans le processus temporel de l’embauche, en amont de celle-ci,
mais également en aval (gestion de la période d’intégration).
Dans la figure du matching, l’intermédiaire est dans une logique adéquationniste et son action
dans la relation d’emploi n’est que ponctuelle. Il n’est qu’un vecteur de transmission de
l’information. Il ne sert qu’à relier des réalités qui existent sans sa présence, il en facilite la
rencontre. A l’inverse, dans la figure de l’appariement comme bien d’expérimentation,
l’intermédiaire développe une capacité à définir les choses « chemin faisant », à faire émerger
l’énoncé d’un besoin ou d’un projet, tant du côté du bénéficiaire que de l’entreprise (Dole et
al., 2012). Par cette action, l’intermédiaire rend visible des choses qui ne le seraient pas sans
lui. Ces deux figures reprennent la distinction faite entre intermédiation et médiation. Ce que
souligne également Latour (1993, p. 43-44), « l’intermédiaire n’était qu’un moyen pour une
fin, alors que le médiateur devient à la fois le moyen et la fin ». L’intermédiaire ne fait que
« porter, transporter, déplacer, incarner, exprimer, réifier, objectiver, refléter ». Le
médiateur au contraire va « déplacer, recréer, modifier, bref traduire et trahir ».
III- Réversibilité de la traduction opérée par la médiation
Comme nous avons essayé de le monter, les équipes IOD se distinguent de Pôle emploi par
leur capacité à intéresser DE et entreprises. Leur action de médiation, s’appuyant
principalement sur l’EMR permet de construire un système d’intéressement, un réseau.
Comme le précise Callon (1986, p. 189), « le dispositif d’intéressement fixe les entités [DE et
entreprises] à enrôler, tout en interrompant d’éventuelles associations concurrentes et en
construisant un système d’alliances [ici le recrutement du DE par l’intermédiaire d’IOD] ».
Se pose ensuite la question de la dynamique de réseau ainsi constitué, son potentiel de
15
réversibilité ou d’irréversibilité. Pour Callon (1991), l’irréversibilité rend prévisible les
traductions futures et les prédétermine sur la base des dispositifs déjà mobilisés. Les réseaux
produits par les équipes IOD semblent disposer par moment de ce caractère. Dans le bilan des
structures rencontrées, en 2010 plus de 70% des recrutements effectués le sont avec des
entreprises partenaires, c’est-à-dire des entreprises ayant déjà collaboré avec la structure. Et
dans le même temps, les DE intégrés, sont des De que l’on juge habituellement éloignés de
l’emploi. Au niveau national, sur les presque 25 000 demandeurs d'emploi pris en charge par
les 80 équipes IOD entre 2003 et 2005, 66 % étaient allocataires du RMI, 62 % non diplômés,
45 % chômeurs de très longue durée (plus de 2 ans de chômage) (Castel, 2007) ; plus de la
moitié cumulent plusieurs difficultés (logement, peu de mobilité, problèmes de santé, etc.). Le
temps de suivi est en général court : en moyenne 3 mois entre l’accueil et la signature d’un
contrat.
Les traductions réalisées par les chargés de mission IOD semblent donc avoir une certaine
efficacité : ils parviennent en effet à convaincre les entreprises d’embaucher des personnes
fortement exclues de l’emploi et une fois la relation nouée, elle perdure dans le temps. Mais
cette médiation active se heurte cependant à certaines limites, que ce soit du point de vue des
bénéficiaires ou des chargés de mission. Elles touchent d’une part à la question des frontières
de la médiation active et de la définition du métier de chargé de mission, entre
accompagnement des demandeurs d'emploi et accompagnement des entreprises (III.1) ;
d’autre part, aux indicateurs définis par les financeurs qui cadrent et recadrent l’action des
organismes IOD en ne valorisant qu’une partie de l’activité (III.2). Ces tensions conduisent à
modifier le dispositif de fait et donc le support de la traduction.
III.1- Les frontières de la médiation active
III.1.1 Du point de vue des bénéficiaires
L’analyse des trajectoires des demandeurs d'emploi suivis par les chargés de mission IOD
montre la capacité des équipes IOD à composer avec les différents profils. On voit que les
points d’appui mis en œuvre ne sont pas toujours les mêmes, les besoins d’accompagnement
étant différenciés : pour certaines personnes, la difficulté est d’accéder à l’emploi après une
longue rupture professionnelle ; pour d’autres, c’est de sortir d’une précarité chronique,
d’intégrer un emploi durable et soutenable, c’est-à-dire qui soit stable et compatible avec des
contraintes familiales ou des limitations de santé (Remillon et Gallo, 2008).
La question est de savoir jusqu’à quel point l’aide des équipes IOD permet d’infléchir les
trajectoires des demandeurs d'emploi en les stabilisant dans un emploi de bonne qualité. Tout
le processus de mise en relation et de traduction vise cet objectif. C’est pour cette raison que
la méthode IOD insiste sur l’importance de bien décrire le poste de travail au demandeur
d'emploi et de bien faire expliciter à l’employeur ses attendus, de toujours donner le choix aux
demandeurs d'emploi, de leur proposer, dans la mesure du possible, des emplois en CDI et à
temps plein, de proposer un suivi post-embauche ... Mais, aux
yeux des usagers, le CDI (point d’entrée fort de la méthode car il constitue un engagement de
l’employeur et permet au salarié d’envisager l’avenir plus sereinement) n’apparaît pas
forcément comme une condition nécessaire et en tous cas pas suffisante (Bureau et Rist,
2011) : se pose d’une part la question de la soutenabilité de l’emploi (beaucoup de personnes
ayant des difficultés de santé et des problèmes de conciliation entre vie professionnelle et vie
privée), d’autre part celle de la possibilité d’évolution sur le poste de travail qui s’avère
souvent limitée. Le CDI n’est pas porteur en lui-même de ces deux éléments. Ils restent
largement à construire mais les chargés de mission IOD n’ont souvent ni les compétences, ni
16
le temps (le suivi est limité à 6 mois) d’intervenir réellement là-dessus. Se pose d’ailleurs la
question de la légitimité des chargés de mission à dépasser le moment de la mise en relation
pour agir sur la relation de travail et la gestion de la main-d’œuvre.
III.1.2 Du point de vue des conseillers
Les chargés de mission IOD rencontrés décrivent plutôt leur métier comme faisant partie du
champ de l’insertion, c’est-à-dire qu’ils se considèrent avant tout comme étant au service des
demandeurs d'emploi plus que des entreprises. En fait il semble qu’ils soient assez mal
outillés concernant leurs relations avec les entreprises. Par exemple en ce qui concerne la
prospection, qui est un moment clé de l’activité mais une activité chronophage et difficile :
Tous les CM rencontrés affirment que la prospection directe auprès des entreprises est un peu
le « point noir » de leur métier, ce qu’ils n’aiment pas faire. Cela s’explique sans doute par
l’absence de cadrage de cette activité : ils partent en effet des demandes que leur font les DE
lors de l’accueil mais procèdent ensuite à l’aveuglette, sans stratégie prédéfinie, généralement
à l’aide des pages jaunes. Les CM rencontrés se posent beaucoup de questions concernant les
cibles (quoi prospecter comme type d’emploi ? dans quels secteurs d’activité ? quels types
d’entreprises ? sur quelle zone géographique ?), sur les moyens mis en œuvre (téléphone,
réseaux, porte à porte …) et le message à faire passer (comment se présenter ? quel est le
service rendu ?)
Par ailleurs, tant que les chargés de mission se positionnent comme conseiller en recrutement,
la légitimité de leur intervention n’est pas remise en cause, mais les équipes font état de
difficultés à aller au-delà. Elles parviennent à convaincre les employeurs de modifier leurs
pratiques de recrutement, de revoir leurs critères de sélection (en les ajustant davantage aux
exigences du poste) mais ont beaucoup plus de difficultés à négocier les conditions de travail,
la qualité du poste, les possibilités d’évolution … L’activité de médiation active semble ici
toucher ses limites les conseillers manquant de légitimité pour peser sur l’organisation du
travail ou la gestion du personnel face à d’autres acteurs plus spécialisés (délégués du
personnel, DRH …) (Bureau et Rist, 2011). Ce déficit de légitimité renvoie à la question de la
professionnalité du conseiller qui reste à construire. Les chargés de mission présentent en
effet des qualifications et expériences diverses qui ne sont pas clairement identifiées et
certifiées ; leur positionnement original, à l’interface des demandeurs d'emploi et des
entreprises n’est pas pleinement reconnu, ce qui peut poser problème lorsqu’une reconversion
est envisagée. Autant leurs compétences sont reconnues dans le champ de l’insertion, autant
leur action auprès de l’entreprise reste souvent dans l’ombre. On peut pourtant imaginer qu’il
y aurait des proximités et des synergies à trouver et à construire, avec d’autres métiers et
d’autres structures, du côté du conseil aux entreprises ou du développement économique
local.
III. 2 - (Re)cadrages de l’activité
Comme le soulignent Bureau et Marchal (2009, p. 594) « plus que le statut [de
l’intermédiaire] lui-même, c’est le mode d’évaluation et de financement des opérateurs qui
détermine leur pratiques de sélection et d’appariement ». Les chargés de mission doivent
dans les faits faire face à deux injonctions contradictoires : celles de Transfer, promoteur de la
méthode ; celle des financeurs qui sont souvent les conseils généraux.
La méthode IOD a été constituée dans une logique de recherche/action prenant notamment
appui sur les travaux de Denis Castra en psychologie sociale. Il en ressort que Transfer, garant
de la méthode, passe convention avec les équipes qui la mette en œuvre. Transfer est alors un
pôle de ressources ayant conceptualisé et systématisé la méthode. L’association produit des
formations auprès des chargés de mission et des directeurs de structure, définit des indicateurs
à produire. Si la méthode se veut souple, alimentée par une logique d’apprentissage mutuel et
17
d’appropriation par les équipes22, les intervenants se disent quand même assez tenus par les
objectifs chiffrés attendus, à savoir les sorties en emploi durable validées qui pour Transfer
doivent être des CDI à temps plein. De l’autre côté, les financeurs des structures leur fixent
eux aussi des objectifs quantitatifs visant à maximiser le nombre de sorties du chômage, ce
qui incite les équipes à valider des formes d’emploi plus précaires. Ces objectifs
contradictoires entre logique d’urgence (de traitement du chômage de masse) et logique de
qualité, d’insertion durable, met mal à l’aise les chargés de mission, et a un impact sur
l’évolution de leurs pratiques comme le relatent les CM d’IOD N :
Maintenant, vous gardez moins longtemps les gens ?
CM1 : On s’acharne – ce n’est pas de l’acharnement – mais on persévère moins, ça c’est
clair, parce qu’on nous fait comprendre que l’on a quand même moins le luxe de passer trois
ans avec les gens, parce qu'il faut quand même… normalement, c’est un an. Il faut qu’à la fin
de l’année, la moitié des gens que l’on a intégrés soient à l’emploi. Ce monsieur, au bout
d’un an, il n’est pas à l’emploi, il sort.
CM2 : Et ça, ça nous met mal à l’aise par rapport à notre posture et les contraintes du
travail. Parce qu'il y en a, dans tous les boulots, il y en a.
CM1 : On est confronté à des choix. Et malgré tout, on sent que cette année, on est large
au niveau des chiffres, parce qu’on a changé notre fusil d’épaule, donc au niveau des chiffres,
on sait qu’on va y arriver haut la main. Donc on reprend un petit peu des dossiers que l’on
avait laissés de côté.
Cette tension, d’une certaine manière, est encore plus forte pour valoriser les deux volets de
l’activité : l’aide au recrutement adressée à l’entreprise et l’accompagnement vers l’emploi
pour le DE. Les financements octroyés pour mettre en place une équipe IOD s’appuient le
plus souvent sur des financements conjoncturels (non pérennes) dont bénéficie une structure
d’insertion qui décide de constituer une équipe IOD (par exemple une mission locale, un
PLIE, une structure d’accompagnement des bénéficiaires du RSA…). On trouve notamment
des financements du Conseil général ou des crédits du FSE (Fonds social européen). Or ces
financeurs ne regardent que le volet lié à l’accès à l’emploi des publics accueillis. Ce qui
compte c’est le résultat plus que la méthode, et les indicateurs que doivent renseigner les
équipes ne portent que sur le seul le volet des DE. Au quotidien, pour valoriser leur activité
auprès des financeurs, l’action menée auprès des entreprises n’est pas abordée. Les
responsables d’équipes IOD finissent par adopter les codes des financeurs. Lors d’une journée
de formation des directeurs de structures à laquelle nous avons pu assister, l’un des
animateurs de Transfer questionne les directeurs sur leur vision de l’action IOD en tant
qu’outil de GPEC-T (Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriale)23. En
quelques secondes la conversation se réduit à une discussion autour des indicateurs de sorties
positives des publics accueillis, des attentes des financeurs et de la concurrence
institutionnelle qui peut s’opérer dans certains territoires (au sens administratif du terme)
entre acteurs du SPE, occultant totalement l’action menée à destination des entreprises et des
22
Castra et Valls (2007) parlent à ce sujet de « marges de créativité au sein d’un cadre de référence précis
apparaissant à la fois comme la condition d’amélioration des pratiques et la possibilité d’éviter l’écueil d’une
application mécanique ». Il s’agit alors de définir une « dynamique d’appropriation » vue comme un
« mouvement circulaire » : « sur la base d’une compréhension du sens de tel levier d’action, l’intervenant le met
en œuvre, en évalue les effets en équipe, le met en œuvre à nouveau tout en le transposant ou l’approfondissant à
l’occasion de situations particulières et d’enseignements dégagés auprès de ses collègues ou lors de rencontres
avec d’autres équipes IOS. Pour le remettre à nouveau en œuvre » (p. 98).
23
La GPEC territoriale permet de développer des démarches coordonnées d’entreprises et d’acteurs locaux
(Conseil régionaux, généraux, OPCA, structures du SPE) au sein d'un territoire dans l’objectif de construire et de
sécuriser les parcours professionnels.
18
DE. Soulignant cette bascule de la conversation un des responsables de structures nous
répond : « c’est vrai. Les modalités de conventionnement reconnaissent des actions comme la
lutte contre l’exclusion et nous somment attendus par convention sur des résultats par public.
Le travail du côté des entreprises c’est qu’un moyen, ce n’est pas une fin. Ce n’est pas l’enjeu
sur lequel on est conventionné. Ce n’est qu’un moyen, c’est le levier ».
Ces opérations de (re)cadrages tout comme les incertitudes des CM quant aux frontières de
leur rôle conduit à affaiblir la médiation et le dispositif de traduction proposé aux entreprises.
Ce dispositif de traduction se retrouve en prise avec des dispositifs concurrents (l’action
proposée par Pôle emploi, celle du PLIE, la structuration de l’offre de service
d’accompagnement des DE sur un territoire) qui limitent la capacité d’action des structures
IOD et de ses chargé de mission. Si les résultats existent quand la méthode se déploie, il y a
une incertitude forte qui persiste sur le déploiement même du processus de traduction.
Conclusion
Les agences de Pôle emploi et les structures IOD ont pour objectif commun de mettre en
relation les entreprises cherchant à recruter et les demandeurs d'emploi. Toute intermédiation
suppose des processus de traduction car l’information ne circule jamais telle quelle, sans
cadrage et mise en forme préalables. Nous avons mis en évidence que le processus de
traduction s’appuyait sur des dispositifs de nature très différente dans les deux cas comme
résumé dans le tableau ci-dessous.
Côté Pôle emploi, le processus de traduction conduit à des codages relativement abstraits et
décontextualisés alors que les chargés de mission IOD cherchent au contraire à rester au plus
près des conditions concrètes de travail, à la fois dans la rédaction des fiches de poste et dans
leurs discussions avec les candidats sur les emplois qu’ils souhaitent exercer. De même alors
que la mise en relation s’effectue essentiellement à distance côté Pôle emploi, les chargés de
mission IOD vont jusqu’à accompagner le candidat à son entretien avec l’employeur. Nous
retrouvons là deux modèles typiques de la mise en relation des entreprises et des demandeurs
d'emploi que nous avons désigné selon l’opposition entre intermédiation et médiation.
Dans les premiers travaux consacrés au recrutement dans une perspective conventionnaliste,
Eymard-Duvernay et Marchal (1997) soulignaient déjà la pluralité des façons de procéder,
pour un recruteur comme pour un intermédiaire, et pointaient une tension forte entre deux
régimes d’évaluation des compétences : un régime de « planification » où le recrutement se
fait à distance et un régime de « négociation » où les compétences sont définies en situation.
Les différents travaux consacrés plus spécifiquement au rôle des intermédiaires (entre autres
Simonin 1995 ; Meyer 1998 ; Legay et Monchatre, 2000 ; Delfini et Demazière, 2000)
confirment que l’alternative principale qui traverse l’action des intermédiaires peut se résumer
de la manière suivante : « mettre en correspondance ou négocier » (Bureau et Marchal, 2009,
p. 588).
Ces deux modèles sont complémentaires plus qu’opposés. Dans certains cas (professions bien
identifiées, à marché de recrutement très large, où les compétences sont certifiées par des
dispositifs d’évaluation externes), la plus-value d’une diffusion large de l’information par un
intermédiaire, de façon très codifiée, peut être importante. Mais dans d’autres cas, notamment
pour les emplois de premier niveau de qualification qui sont plus difficilement descriptibles, il
est important de rester au plus près de l’entreprise et de son contexte. On retrouve là la
distinction faite par Rees (1966) entre recherche extensive d’information lorsque la qualité est
uniforme et recherche intensive lorsqu’elle est plus variable (cité par Bessy et de Larquier,
2010). Par ailleurs, ces deux modalités d’action n’ont pas les mêmes conséquences sur le
19
profil des publics qui accèdent à l’emploi : paradoxalement, la traduction peut sembler
moindre côté IOD ou moins sophistiquée, mais l’intervention sur le recrutement est plus
importante. Nos enquêtes montrent un certain succès des organismes IOD à infléchir les
critères de recrutement des entreprises et à y placer des demandeurs d'emploi réputés ailleurs
« inemployables », même si elles mettent également en évidence un certain nombre de limites
que la médiation active rencontre, notamment relatives à ses frontières et à son évaluation.
Cette capacité de la médiation active et située à transformer les processus de recrutement avait
déjà été soulignée dans la littérature : un intermédiaire qui négocie et ajuste les critères de
sélection des entreprises arrivera plus facilement à placer tout type de public, là où celui qui
recueille l’ « offre » et naturalise les critères qui lui sont associée conduira à favoriser in fine
le public le « plus employable » (Castra, 2003 ; Eymard-Duvernay, 2008 ; Salognon 2006 ;
entre autres). Les employeurs ont aussi à y gagner dans la mesure où le recours habituel à un
intermédiaire, avec une attente plus forte que la simple diffusion d’une offre d’emploi semble
améliorer la qualité des appariements (Bessy et de Larquier, 2010).
Développer une action de proximité à l’égard des employeurs constitue donc un enjeu fort
pour gérer au mieux les questions d’insertion « l’action publique ne peut lier insertion et
développement local sans que les acteurs de l’insertion et de l’emploi ne s’immiscent d’une
certaine façon dans la vie des entreprises implantées dans le territoire (…). Cela suppose
qu’ils ne se contentent pas de rapprocher mécaniquement des offres et des demandes, mais
qu’ils puissent intervenir dans la définition des critères de sélection, voire agir en amont du
marché du travail » (Bureau, 2008, p. 172). Cet enjeu se trouve renouvelé avec le dispositif
des emplois d’avenir où il est attendu des compétences fortes de la part des conseillers de
missions locales pour négocier les conditions d’embauche d’un jeune sans qualification et
pour assurer un suivi à l’intégration dans l’emploi du jeune.
Tableau 1 - Dispositifs à l’appui du processus de traduction chez Pôle emploi et dans les organismes IOD
Traitement de …
l’offre d’emploi
IOD
- Gros travail de prospection des offres
- Fiches de poste très détaillées et
contextualisées
- « Offres » sur un serveur commun
interne à la structure locale
Pôle emploi
- Mise en conformité avec le « marché
du travail »
- Codage ROME
- Diffusion de l’offre sur le portail
Internet de Pôle emploi
de la demande d’emploi
- La demande n’est pas prédéfinie, pas
arrêtée
- Le choix entre plusieurs offres (qui
peuvent être de nature très différente)
est laissé aux demandeurs d'emploi
de la mise en relation
- Négociations préalables avec
l’entreprise sur le processus de
recrutement et éventuellement sur les
caractéristiques de l’offre d’emploi
- Entretien de mise en relation (EMR)
en présence du chargé de mission, sur
le poste de travail, sans CV ni lettre de
motivation
- Appui à l’intégration pendant les 6
mois suivant la prise de poste
Posture vis-à-vis de l’entreprise : faire
évoluer ses critères de recrutement
- Enregistrement de la demande
d’emploi au moment de l’EID
(entretien d’inscription et de
diagnostic) ensuite peu actualisée
- Codage ROME
- Définition de l’offre raisonnable
d’emploi (ORE)
- Mises en relation à l’aide de requêtes
informatiques donc essentiellement à
distance
- Le recrutement proprement dit
s’appuie sur les outils classiques du
recrutement (CV et lettre de
motivation) ; Pôle emploi peut aider le
DE à s’y préparer, l’aider à mettre en
forme son expérience
Posture vis-à-vis de l’entreprise :
objectivité et neutralité
20
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