Arnaud Desjardins : La recherche spirituelle vaut

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Arnaud Desjardins : La recherche spirituelle vaut
Arnaud Desjardins : La recherche
spirituelle vaut d’être vécue
Depuis plus de quarante ans, à travers ses films, ses livres et les lieux de
recherche qu’il a ouverts, Arnaud Desjardins transmet le message des grandes
traditions orientales, du soufisme au bouddhisme tibétain. Alors que paraît sa
biographie, il dresse avec nous le bilan d’une existence vouée à la sagesse.
Pascale Senk
Psychologies magazine : Après toutes ces années de pratique spirituelle et la
création de trois ashrams, diriez-vous que vous êtes un gourou ?
Arnaud Desjardins : Si j’étais dans un dîner mondain, je n’emploierais certainement
pas ce terme, qui est devenu maudit à cause du phénomène des sectes ! Je dirais que
je suis écrivain. Si, en revanche, mon interlocuteur semble s’intéresser à la
spiritualité, alors oui, je lui dirais que j’ai consacré mon existence à cela : faire
diminuer une certaine forme de souffrance. Le "guru", en hindi, c’est à la fois "celui
qui a de l’expérience" et "celui qui disperse les ténèbres". Pour moi, c’est l’un des mots
les plus précieux qui soient. Il existe dans toutes les civilisations sous des noms
différents : c’est le "cheik" en arabe, le "pir" en persan, le maître spirituel à qui l’on
s’adresse dans toutes les traditions pour recevoir une éducation émotionnelle et
spirituelle. Ce travail intérieur, je l’ai d’abord expérimenté sur moi, grâce à l’aide d’un
maître indien, Swâmi Prajnânpad. Depuis 1974, j’enseigne comme lui comment "se
transformer de fond en comble".
Et selon vous, les sagesses orientales donnent des clés pour cette transformation ?
Oui, mais pas seulement elles. C’est pour cela que j’ai cherché, partout, dans les
groupes Gurdjieff comme dans les Evangiles, dans le bouddhisme tibétain comme chez
Maître Eckhart. Et ce qui m’a passionné, c’était de découvrir peu à peu que ces
enseignements si différents se rejoignaient sur plusieurs points essentiels, qui sont
vraiment des clés pour se transformer. Trois sont fondamentales. C’est d’abord «
connais-toi toi-même ». Ensuite, « vis dans l’ici et maintenant ». Enfin, « accepte ce
qui est », que mon maître Swâmi Prajnânpad traduisait par : « Il faut dire oui à
l’indiscutable réalité de l’instant. »
Vous insistez particulièrement sur cette acceptation inconditionnelle du réel…
C’est cela, la pratique spirituelle, l’ascèse. Cela veut dire s’exercer. Accepter ce qui se
passe à l’intérieur de notre être, devenir beaucoup plus présent, attentif, le plus
souvent possible et notamment dès que nous nous sentons affectés soit par une
émotion négative, soit par une émotion euphorique, qui peut tout autant nous aveugler.
Accepter aussi ce qui est. Je me réveille un matin et mon enfant est malade ? Je
m’exerce à ne pas perdre mon énergie dans des conflits intérieurs, comme : « Mais
pourquoi l’ai-je sorti sans manteau hier ? Pourvu qu’il n’ait rien ! » Non : pas de
discussion, pas de décalage avec la réalité. J’appelle immédiatement le médecin.
Apparemment, le comportement est le même que pour n’importe qui, mais l’attitude
intérieure est totalement différente.Dit comme cela, ça a l’air simple…
La simplicité, c’est l’aboutissement. Un swâmi hindou, à qui j’avais demandé, lors de l’un
de mes premiers voyages en Inde, « qu’est-ce que c’est la spiritualité ? », m’avait
répondu dans un éclat de rire : « Quand il pleut, j’ouvre mon parapluie. Quand il cesse
de pleuvoir, je le referme. » Voilà : l’acceptation de ce qui est, l’action juste ensuite.
Mais pour parvenir à une telle attitude intérieure, le chemin est très long, très
difficile.
Pourquoi ?
Parce que nous vivons la plupart du temps dans l’illusion. Les enseignements
traditionnels tiennent des propos extrêmement durs sur notre condition humaine
ordinaire. Ils parlent "d’aveuglement", de "sommeil" de "non-vérité". Il nous faut sans
cesse faire des efforts pour revenir au réel, parce que nous sommes soumis à une
certaine forme d’esclavage, celui de notre mental tortueux. Cela, la plupart des
chercheurs spirituels ne l’entendent pas vraiment. Or, je le répète : il faut se
remettre complètement en cause pour avancer, c’est l’affaire d’une existence entière.
Cet engagement sur la voie n’est pas seulement une activité bénéfique que l’on
ajouterait à notre existence comme des cours de piano. C’est toute notre existence
qui doit se confondre avec la voie spirituelle. Chaque épreuve, chaque moment de ma
vie devient alors un point d’appui sur lequel j’exerce ma vigilance et ma compréhension.
Et qu’est-ce qui peut motiver dans cette ascèse si difficile ?
L’envie de se développer dans la ligne de l’être, et non dans celle de l’avoir. Et la
rencontre directe avec des personnes qui ont déjà accompli ce travail. Vous savez,
Swâmi Prajnânpad, mon guru, n’était à peu près rien, socialement parlant. Mais nous,
ses quelques disciples français qui avions des moyens financiers, eh bien je peux vous
dire que nous étions des mendiants à côté de lui, des infirmes du cœur… Un jour, je
l’ai vraiment compris. Je sortais de l’ORTF, où je travaillais, et il pleuvait des
trombes. Je ratai le bus. Mon mental se mit à tourner en vrille. Intérieurement, je ne
cessais de me plaindre : « Pourquoi dois-je vivre ça, à attendre sur le trottoir, après
une journée de travail, etc. ». A ce moment-là, un producteur très célèbre à l’époque
est passé devant moi, confortablement installé dans sa limousine. Je râlais de plus
belle : « Oui, évidemment, moi je suis sur le trottoir, trempé, pendant que d’autres… »
Et soudain, du plus profond de moi, une question est montée : « Arnaud, de quoi as-tu
le plus envie dans ta vie ? Veux-tu ce que possède ce producteur ou bien ce que vit
Swâmi Prajnânpad ? » Eh bien, la réponse, évidente, ne s’est pas fait attendre. Et je
me suis immédiatement apaisé.
De ce qu’avait votre maître, que désiriez-vous ?
La liberté, la plénitude, la présence. Il était comblé et ne demandait rien. C’était lui le
plus riche d’entre nous. Et ce qui dominait chez lui, comme chez tous les maîtres
authentiques que j’ai approchés, c’est l’amour. Non pas "l’amour émotion" dans son sens
galvaudé d’aujourd’hui, mais un amour profond, une bienveillance, un sentiment qui a à
voir avec la bonté, l’intelligence du cœur. Ma fille, qui avait 4 ans à l’époque, a
demandé à celui que nous appelions Swâmiji s’il possédait des pouvoirs miraculeux
comme certains yogis. Il lui a répondu : « Infinite love, infinite patience » (« Amour
infini, patience infinie »). Aujourd’hui, je réalise à quel point c’était vrai. Donc, c’est
cela qui motive : trouver quelqu’un qui vous donne envie de ce qu’il est et non de ce qu’il
a.
Vous avez expérimenté cette transformation promise par les enseignements
spirituels. De quoi est-elle faite ?
Je dirai d’abord qu’il y a une diminution de l’égocentrisme et que, donc, notre
perception du monde, des autres, devient plus vaste. Il y a aussi la disparition
progressive de ces émotions qui sont toujours liées à « moi, mes souffrances ; moi,
mon bonheur ; moi, ma réussite » ; la neutralisation de toutes sortes de pensées
inutiles qui sont des projections, des peurs, des illusions ; et ainsi de plus en plus
d’ouverture spontanée et aisée aux autres, de plus en plus de présence au moment
présent.
Et cela, même dans les pires circonstances ?
Oui. En juillet 2000, j’ai eu un gros problème, un œdème pulmonaire aigu. Peu à peu, je
sentais l’eau monter dans mes poumons comme si j’allais mourir noyé. Les secours
n’arrivaient pas. Jusque-là, je ne savais pas si je serais capable de « dire oui à la mort
». Et bien, après toutes ces années d’exercice de l’acceptation, je n’ai pas résisté.
J’étais calme, entièrement prêt à cette nouvelle expérience. Ce que nous enseignent
les spiritualités, « vivre dans le climat du oui », opérait encore. En cela, je veux
témoigner : même si j’ai réalisé tous mes rêves d’enfant, comme celui de réussir,
d’avoir du succès, de connaître des gens célèbres, de voyager, l’aventure qui de loin
reste la plus importante, celle qui surpasse toutes les autres, c’est cette
transformation intérieure.
En quête... au bout du monde
Avant d’être une quête, la vie d’Arnaud Desjardins a d’abord été menée par le goût de
l’enquête. Très touché dans ses jeunes années par la lecture des livres de la collection
Spiritualités vivantes, qu’avait fondée Jean Herbert aux éditions Albin Michel, ce
jeune fils de protestants austères n’avait de cesse de vouloir vérifier si les sages
dont parlaient les textes existaient vraiment.
Devenu réalisateur de télévision, il entreprend son premier voyage en Inde en 1959 à
bord d’une Peugeot Break. C’est pour lui le début d’une série de rencontres avec des
hommes et des femmes remarquables, comme Swâmi Ramdas ou Mâ Anandamayi. En
1965, il rencontre celui qui sera son maître, Swâmi Prajnânpad. En 1968, l’ORTF
diffuse ses films (Ashrams, Le Message des Tibétains). Arnaud Desjardins devient
célèbre. Pendant quelques années, il se partage entre sa carrière professionnelle, sa
vie familiale – il a eu deux enfants avec Denise Desjardins et une aventure médiatisée
avec Dalida – et sa quête spirituelle, qui l’amène à faire de fréquents séjours en Asie.
En 1974, son maître l’encourage à ouvrir un ashram. Depuis cette date, Arnaud
Desjardins se consacre à la transmission de ce qu’il a appris. A Hauteville, en Ardèche
(écrire aux Amis de Hauteville, 07800 Saint-Laurent-du-Pape), il accueille à la fois
des personnes en recherche spirituelle et des philosophes ou des représentants de
diverses religions, qui souhaitent partager ensemble l’essentiel des spiritualités, dans
un profond souci de tolérance et d’ouverture à l’autre.
La puissance du cœur
Extrait de La Voie du cœur (La Table ronde, 1987).
« Naturellement, un bébé sur le sein d’une maman émerveillée se sent aimé.
Naturellement, si vous êtes dans les bras d’une femme ou d’un homme qui ne vous a
jamais déçu et qui vous redit une fois encore : “Tu es le grand amour de ma vie”, vous
vous sentez aimé. Mais l’expérience réelle, dont on ne peut parler, au sujet de laquelle
on peut à peine tenter de dire quelque chose, le vrai silence intérieur, la découverte
ultime, est un état dans lequel on se sent intensément aimé alors même que nous
serions entourés de gens qui ne nous aiment pas, qui nous considèrent comme un
ennemi, qui essaient de nous critiquer ou de nous faire du tort. »
A lire
D’Arnaud Desjardins :
• Les Chemins de la sagesse
Les premiers textes rédigés entre 1968 et 1972 : Desjardins, disciple, comprend les
fondements de la spiritualité hindoue. Un ouvrage essentiel (La Table ronde, 1999).
• Pour une vie réussie, un amour réussi
Et si la vie à deux était aussi une voie spirituelle ? (La Table ronde, 1992).
• Arnaud Desjardins, l’ami spirituel de Jacques Mousseau (Perrin).
La vie d’Arnaud Desjardins est balisée par une succession de crises intérieures et de
voyages au bout de l’Asie. Jacques Mousseau, son biographe, est parvenu à restituer à
la fois la profondeur des interrogations et la couleur des paysages, qui devaient
marquer à tout jamais cette âme en recherche. Ses heures d’entretiens avec Arnaud
Desjardins et ses proches permettent une plongée authentique dans cette vie
toujours à contre courant et assoiffée de liberté.
A voir
Parmi les documentaires d’Arnaud Desjardins :
• Le Message des Tibétains
Deux parties : le bouddhisme et le tantrisme.
• Himalaya, terre de sérénité
Tous ses films sont disponibles en cassette vidéo : Alizé Diffusion, BP3, 07800 SaintLaurent-du-Pape.
Peur de la mort ou de la vie ?
Extrait de L’Audace de vivre (La Table ronde, 1989).
« “Vous n’avez pas peur de la mort, vous avez peur de la vie.” Un jour, cette réponse
s’est imposée à moi : la peur de la mort est d’autant plus grande qu’on n’a pas osé vivre.
Si vraiment vous n’avez plus peur de la vie, vous ne pouvez plus avoir peur de la mort
parce que vous avez découvert en vous-même ce qu’est vraiment la Vie – non pas votre
vie, mais la Vie unique et universelle qui nous anime, avec cette évidence que cette vie
est indépendante des naissances et des morts. »
juillet 2009