Voltaire et Frédéric II - Musée Royal de Mariemont
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Voltaire et Frédéric II - Musée Royal de Mariemont
Voltaire et Frédéric II : l’écrivain et le monarque Voltaire Frédéric de Prusse Voltaire (1694-1778) est un écrivain, historien et philosophe français. Figure de proue du Siècle des Lumières, François-Marie Arouet est issu de la vieille bourgeoisie parisienne. Grâce à ses parents, il reçoit une formation de qualité, chez les jésuites notamment. Cet esprit précoce se fait rapidement connaître dans le monde des lettres, notamment pour son attaque du pouvoir qui lui vaut la prison. Frédéric Hohenzollern (1712-1786) accéde au trône de Prusse à la mort de Frédéric-Guillaume en 1740. Enfant, sa curiosité et son goût pour les lettres et les arts sont contrariés par un père soucieux de lui donner la formation politique et militaire « traditionnelle ». Le prince rebelle va jusqu’à tenter de s’évader, en vain. Il réussit néanmoins en 1736 à se constituer dans son domaine de Rheinsberg un temple de la culture, d’où il correspond avec son mentor Voltaire. Plus tard, il constate durant son exil en Angleterre (1726-1728) les bénéfices d’une monarchie libérale parlementaire. Jugé trop critique, il trouve refuge dans le château de Mme du Châtelet à Cirey. Une fois rendu indésirable à la cour de Versailles puis de Berlin – où il séjourna de 1750 à 1753 à l’invitation de Frédéric II –, il gagne la Suisse où il vécut, avant d’effectuer un dernier retour triomphal à Paris Esprit encyclopédique, cet écrivain complet mit sa plume au service de ses idéaux de tolérance, de progrès de justice et d’altruisme, et ce avec une intelligence, un anticonformisme et une ironie mordante qui lui sont caractéristiques. Contes : Zadig (1747), Micromégas (1752), Candide (1759) Pièces de théâtre : Zaïre (1732), Mahomet (1741) Histoire : Le Siècle de Louis XIV (1751) Poésie : La Henriade (1723) Despotisme éclairé ? Doctrine de gouvernement élaborée par les philosophes rationalistes – e en particulier français – du XVIII siècle et qui préconise de concilier le pouvoir absolu avec la volonté de faire progresser l'État et ses membres. Les « despotes éclairés » se dirent ainsi guidés par la raison dans l’exercice du pouvoir, raison qui présidait à leurs importantes réformes. Devenu roi, Frédéric II continue la politique intérieure de son père mais adopte un ton plus agressif et machiavélique en politique extérieure, notamment par l’invasion de la Silésie autrichienne en 1740. Sa déloyauté diplomatique, si elle faillit le mener à sa perte lors de guerre de Sept Ans, assure à la Prusse son apogée militaire. Frédéric II a été un des « despotes éclairés » du XVIIIe siècle. Il a presque tous les traits du monarque absolu, mais administre son royaume selon des critères de rationalité et d’innovation. Ses réformes égalitaristes meurent dans l’œuf. Ses nobles idéaux de jeunesse sont subordonnés à la grandeur et au prestige de l’État et de son souverain. Le « roi-philosophe » garde toute sa vie son admiration de la culture française. Dans cette langue il écrit et lit nombre d’ouvrages et converse avec sa cour d’intellectuels français. Les Lumières ? e Courant culturel, littéraire et philosophique européen du XVIII siècle postulant le triomphe du rationalisme intellectuel. En réaction mais non en opposition à la religion, ils posent la nécessité d’un bonheur individuel terrestre individuel, parallèlement à une conception d’un progrès continu1 vers la perfection et la sagesse Voltaire et Frédéric II : la relation À Rheinsberg, dans le domaine donné par son père, Frédéric II organise la cour qu’il rêve : le théâtre, la danse et la musique sont à l’honneur. De plus, il s’entoure d’une cour de gens de lettres, dont une moitié était française. Le prince s’adonne alors entièrement à l’étude de la culture française, qui lui avait été interdite par son père Frédéric-Guillaume Ier. Du château brandebourgeois, il écrit à l’ambassadeur de France en Prusse pour essayer d’obtenir – en vain – en primeur les nouvelles productions de son auteur préféré, Voltaire. N’y tenant plus, le prince prend directement la plume pour demander à l’écrivain tous ses ouvrages. C’est le 8 août 1736 que commence alors une correspondance d’une quarantaine d’années entre l’homme de lettres et le futur roi de Prusse. Le ton est flatteur d’emblée, la nature épistolaire de leur relation le permettant sans mal. Tous deux retrouvent en l’autre un esprit également curieux, ouvert et correspondant à leurs espoirs : Voltaire doit être l’ami, le guide, le mentor ; Frédéric doit être le prince éclairé, sensible aux idéaux des Lumières, le « roi-philosophe ». Durant quatre années, de 1736 à 1740, Voltaire et Frédéric « ont rêvé et se sont rêvés ». L’aboutissement de cette première phase de la relation est certainement la parution de l’Anti-Machiavel, réfutation par Frédéric du Prince de Machiavel (voir ci-dessous). Ensuite plusieurs éléments viennent contrarier la correspondance idyllique des deux hommes. Le 30 mai 1740, Frédéric devient roi de Prusse et est ainsi confronté aux réalités du pouvoir. Ils se rencontrent brièvement à deux reprises : cela créée chez eux une rupture et il faut se réadapter aux nouvelles données de leur relation. Cela d’autant plus que le nouveau roi brise l’image de prince idéal que Voltaire a de lui par l’invasion perfide de la Silésie. « Mais il était dans [l]a nature [de Frédéric II] de faire toujours tout le contraire de ce qu'il disait et de ce qu'il écrivait, non par dissimulation, mais parce qu'il écrivait et parlait avec une espèce d'enthousiasme, et agissait ensuite avec une autre » Voltaire Cependant, les compliments continuent à pleuvoir de part et d’autre, de même que ne cessent pas les échanges de livres et les discussions philosophiques. Mais leur relation n’est plus sereine, elle comporte une nouvelle dimension de conflit, de tension, de piège. Le roi de Prusse de son côté tire les ficelles de la politique pour faire venir à Berlin son écrivain préféré, allant jusqu’à détruire la réputation de Voltaire à Versailles pour s’en assurer. L’entreprise de Frédéric II est couronnée de succès avec la visite de Voltaire à sa cour. Le séjour dure de juillet 1750 à mars 1753 et se révéle un échec. Bien vite, les relations entre les deux hommes se détériorent : ils en viennent à se critiquer par pamphlets interposés. Voltaire s’avére être invivable pour le roi et ce dernier être finalement peu préoccupé par ses idéaux de jeunesse dans l’exercice de son pouvoir royal. Plusieurs scandales autour de Voltaire mènent à son départ, avec l’accord du roi. Mais, emportant un livre de poésies du monarque avec lui, il se fait arrêter à Francfort et emprisonner un mois avec sa nièce – humiliation qu’il vit très mal. Les rapports fort tendus entre le roi et l’écrivain ne les empêchent pas de continuer leur correspondance jusqu’à la fin de la vie de Voltaire – 654 lettres au total. Même si elle connait des déceptions, des interruptions, leur relation reste emblématique d’un siècle. La réunion de ces deux grands personnages est une rencontre de deux esprits imprégnés d’une même philosophie, de mêmes idéaux. Leurs bons rapports ne doivent être qu’épistolaires: Voltaire et Frédéric II se révèlent l’un à l’autre infréquentable. Mais leur communion spirituelle transcende leurs différends. 2 « Si Machiavel avait eu un prince pour disciple, la première chose qu'il lui eût recommandée aurait été d'écrire contre lui. » Voltaire L’Anti-Machiavel Dans leur correspondance, Voltaire et Frédéric, tous deux amateurs de belles lettres et de sciences, font plus qu’en débattre : ils échangent nombre d’ouvrages, aussi bien de la poésie et de l’histoire que des livres de philosophie et de physique. Chacun envoie également ses propres productions : grand amateur des œuvres de Voltaire, le prince réclame à cor et à cri la primauté de leur lecture et, n’y tenant plus, il finit par envoyer à son tour à son mentor les vers auxquels il se hasarde, cherchant en l’écrivain un censeur rigoureux, sincère et inflexible. Une nouvelle étape dans la formation de Frédéric vers la royauté rêvée par Voltaire est atteinte quand le prince annonçe au printemps 1739 méditer sur la rédaction d’une réfutation du controversé Prince* de Nicolas Machiavel. Aussitôt, son correspondant l’encourage dans cette voie, arguant que seule cette réfutation peut « instruire les princes ». Le Prince a déjà été abordé dans les échanges épistolaires : Frédéric juge son auteur méprisable et ses idées aussi viles que vaines. Philosophe plein d’idéalisme, le prince est scandalisé par l’immoralité de l’ouvrage. préface et de faire imprimer la réfutation. Mais Voltaire ne se limite pas à corriger les fautes de style et de français de son poulain. Il supprime ainsi nombre de déclamations indiscrètes, d’injures, d’annonces inutiles, de répétitions, de fioritures littéraires, de passages trop longs, etc. ; il ajoute quelquefois des remarques, des piques personnelles, des précisions. Ce faisant, c’est un tiers du texte original qui passe à la trappe. Cependant, la nature épistolaire de leur relation ne permet pas à Frédéric II de saisir l’ampleur des modifications opérées. Voltaire se rend à La Haye pour faire imprimer le livre. Mais les hésitations et inquiétudes du prince, notamment dans le fait qu’il ne reconnait plus le texte confié à Voltaire, retardent la parution du livre, même si un demi-anonymat couvre son auteur royal. Et ce d’autant plus que le prince est entretemps devenu roi. Voltaire se perd en négociations et délais avec l’imprimeur. Finalement, l’ouvrage sort de presse en juin 1740. S’il marque l’apothéose de la relation épistolaire entre les deux hommes, il sonne aussi le glas de la période d’idéalisation de cette relation. Frédéric II, confronté aux réalités du pouvoir, prend ses distances par rapport au livre qu’il a écrit – finalement co-écrit – et par rapport à l’idéologie qu’il défend : un des premiers actes du nouveau roi fut l’invasion de la Silésie, chef d’œuvre de machiavélisme de diplomatie européenne… Son exposé, explique-t-il, entreprendrait de réfuter, chapitre par chapitre, les allégations de Machiavel, en les opposant à la vertu et aux véritables intérêts des princes ; il se conclurait par une justification des guerres préventives ou d’intérêt national. La rédaction du livre prit du temps. Frédéric a d’autres préoccupations et Le Prince de Machiavel (1513) d’autres lectures à faire. Une fois son Anti-Machiavel, achevé, vers novembre 1739, il soumet l’ouvrage à Traité de philosophie politique du politicien et philosophe florentin Nicolas Machiavel (1469-1527). Ce manuel d’éducation des princes exerça une l’approbation de son ami Voltaire qui considérable influence sur la pensée politique européenne moderne. s’empresse de lire ce qu’il appelle le Le Prince traite de l’acquisition, de la conservation et de la stabilisation du «catéchisme des rois et de leurs pouvoir, au moyen d’un réalisme politique calculateur, froid et parfois peu ministres ». Il se charge d’écrire une scrupuleux – d’où les nombreuses réfutations dont le livre fut l’objet. 3 Exercices d’histoire La relation épistolaire entre Voltaire et Frédéric II présente un certain degré d’analogie avec les relations virtuelles entretenues par les jeunes actuels sur Internet (Facebook, forums, chats, etc.). Ces relations sontelles pour autant des amitiés ? Peut-on vraiment connaître la personne avec qui on correspond ? - S’interroger sur la « réalité » et la « fiabilité » des amis virtuels. - Se demander si la vraie personnalité de quelqu’un n’est pas dissimulée. - En élargissant le propos, s’interroger sur les dangers et les illusions d’une telle relation. L’élève doit apprendre à critiquer rigoureusement sur les informations qui lui sont fournies. Pour illustrer la difficulté de critique des témoignages, il dispose trois textes d’un même personnage, Voltaire, à propos de la relation fluctuante qu’il a entretenue avec Frédéric II . Annexe 2 - Déterminer si Voltaire a des raisons personnelles de trafiquer la vérité à la lumière des informations données dans la fiche. - Évaluer le degré de fiabilité des trois extraits. - Repérer les éléments pouvant altérer la vérité d’un témoignage. - Réfléchir sur la difficulté de la critique des sources. Critiquer Les Lumières mettaient en avant la raison pour guider ceux qui gouvernent. Certains monarques, dont Frédéric II, s’inspirèrent de cette philosophie : ce sont les « despotes éclairés ». Mais une dictature repose sur un renoncement à utiliser sa propre raison. Le philosophe Kant enjoint chacun à (re)gagner son indépendance intellectuelle. Annexe 1 - Découvrir les principaux obstacles qui empêchent l’Homme de penser par lui-même. - Se demander si une dictature « éclairée » peut mener au bonheur. - Disserter sur les fondements de la dictature. - Réfléchir sur la capacité de l’Homme à user de son propre entendement, à conserver son indépendance d’esprit Si l’Anti-Machiavel de Frédéric II semble s’opposer en théorie au Prince de Machiavel, certains points du livre et le comportement postérieur de son auteur laissent à supposer quelques affinités. - Identifier et contextualiser les œuvres. - Analyser les deux ouvrages selon une perspective d’honnêteté intellectuelle et d’examen des motivations d’écriture. - Identifier les contrastes et les points de convergence. Se poser des questions Après avoir appris à critiquer un témoignage, à se poser des questions sur des sources, les élèves doivent se former à communiquer les savoirs acquis. Cette compétence se décline sous de multiples formes, selon les appréciations du professeur. - Concevoir un travail sur une thématique donnée à l’aide d’un dossier de textes - Synthétiser les informations fournies. Communiquer Activités pédagogiques Actualisations 4 Comprendre la visée argumentative d’un texte polémique Discuter, Produire un Construire un réseau de débattre exposé argumentatif signification Exercices de français Bibliographie sélective Le Prince de Machiavel a fait l’objet d’une grande polémique à la période moderne. Annexe 3 - Déterminer la visée argumentative de ce texte polémique. - Écrire une réfutation de Machiavel - Déterminer les motivations et le point de vue de l’auteur - Prendre le contrepied d’une théorie à succès - Voltaire fut dégoûté par son séjour chez Frédéric II à Berlin. Annexe 2. Extrait n°3 - Écrire une réponse à Voltaire afin d’atténuer sa déception, en cherchant à le persuader que tout n’est pas négatif dans cette expérience de Voltaire à la cour de Prusse. - - - Écrire une dissertation ou une rédaction sur un sujet tournant autour du livre : le machiavélisme (la fin justifie-t-elle les moyens ?), la dictature – éclairée ou non, l’indépendance d’esprit, les relations fictives, la sincérité et la fiabilité Débattre en classe sur l’éthique politique, la démocratie et la dictature, le machiavélisme, … Envisager le futur du livre en tant qu’objet, réfléchir sur le métier d’écrivain - - GAXOTTE Pierre, Frédéric II, Paris, Fayard, 1947 (Les grandes études historiques). JADOULLE Jean-Louis et Georges Jean (éd.), Construire l’Histoire, t. 3, L’Europe dans le monde : expansion et révolutions (de la fin du XVIIIe siècle à 1918). Guide de l’enseignant, Namur, Didier Hatier, 2007. MERVAUD Christiane , Voltaire et Frédéric II : une dramaturgie des Lumières. 1736-1778, Oxford, The Voltaire foundation, 1985 (Studies on Voltaire and the eighteenth century, 234). REINERS Ludwig, Frédéric II, trad. de l'allemand par Pierre Gallet, Paris, Amiot-Dumont, 1956 (Présence de l'histoire). Pour une biographie de Voltaire et des extraits significatifs de son œuvre : http://www.etudes-litteraires.com/voltaire.php Pour une biographie et une bibliographie de Voltaire: http://agora.qc.ca/dossiers/Voltaire Sur les relations entre Frédéric II et Voltaire : http://expositions.bnf.fr/lumieres/grand/333.htm Sur Frédéric II et son règne : http://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=430 12 dates importantes du règne de Frédéric II : http://www.linternaute.com/histoire/motcle/7893/a/1/1/frederic_ii_de_ prusse.shtml Pour des informations sur Voltaire, Frédéric II, Machiavel, les Lumières : http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Accueil_principal 5 Annexes Annexe 1 Qu'est-ce que les « Lumières » ? La sortie de l'homme de sa « minorité », dont il est lui-même responsable. « Minorité », c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement1 sans la direction d'autrui, « minorité » dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l'entendement, mais dans un manque de décision et de courage de s'en servir sans la direction d'autrui. Sapere aude !2 Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des « Lumières ».[...]. Il est si aisé d'être « mineur » ! Si j'ai un livre, qui me tient lieu d'entendement, un directeur, qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai pas vraiment besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser [...] ; d'autres se chargeront de ce travail ennuyeux.[...] Que la grande majorité des hommes [...] tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur « majorité », [...] C'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui [...] ont pris sur eux d'exercer une haute direction. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, s'ils essayent de s'aventurer seules au-dehors. Hors, pour ces « Lumières », il n'est pas requis d'autre que la liberté [...], [particulièrement] celle de faire un usage [...] de sa raison, dans tous les domaines. Mais j'entends présentement crier de tout côté : « Ne raisonnez pas ! » L'officier dit : « Ne raisonnez pas, exécutez ! », le financier : « Ne raisonnez-pas, payez ! », le prêtre : « Ne raisonnez pas, croyez ! » [...] Il y a partout limitation de la liberté. Emmanuel Kant, Réponse à la question : qu'est-ce que les « Lumières » ?, 1784. 1 Raison ou intelligence. Ose penser ! 2 Annexe 2 - Extrait 1 : idéalisme « […] il y a dans le monde un prince qui pense en homme, un prince philosophe qui rendra les hommes heureux. Souffrez que je vous dise qu'il n'y a point d'homme sur la terre qui ne doive des actions de grâces au soin que vous prenez de cultiver, par la sainte philosophie, une âme née pour commander. Croyez qu'il n'y a eu de véritablement bons rois que ceux qui ont commencé comme vous pour s'instruire, par connaître, par aimer le vrai, par détester la persécution et la superstition. Il n'y a point de prince qui, en pendant ainsi, ne puisse ramener l'âge d'or dans ses États ». Lettre de Voltaire à Frédéric, 25 avril 1739. - Extrait 2 : désillusions « [Frédéric II] a écrit depuis l'histoire de cette conquête [de la Silésie] ; il me l'a montrée tout entière. Voici un des articles curieux du début de ces annales ; j'eus soin de le transcrire de préférence comme un monument unique : “Que l'on joigne à ces considérations des troupes toujours prêtes d'agir, mon épargne bien remplie, et la vivacité de mon caractère : c'étaient les raisons que j'avais de faire la guerre à Marie-Thérèse, reine de Bohème et de Hongrie”. Et, quelques lignes ensuite, il y avait ces propres mots : “L'ambition, l'intérêt, le désir de faire parler de moi, l'emportèrent ; et la guerre fut résolue”. Depuis qu'il y a des conquérants ou des esprits ardents qui ont voulu l'être, je crois qu'il est le premier qui se soit ainsi rendu justice. Jamais homme peut-être n'a plus senti la raison, et n'a plus écouté ses passion. Ces assemblages de philosophie et de dérèglement d'imagination ont toujours composé son caractère. [...] Un aveu si rare devait passer à la postérité, et servir à faire voir sur quoi sont fondées presque toutes les 6 guerres. Nous autres gens de lettres, poètes, historiens, déclamateurs d'académie, nous célébrons ces beaux exploits; et voilà un roi qui les fait, et qui les condamne ». Voltaires, Mémoires - Extrait 3 : amertume […] Je vois bien qu'on a pressé l'orange ; il faut penser à sauver l'écorce. Je vais me faire, pour mon instruction, un petit dictionnaire à l'usage des rois. Mon ami signifie mon esclave. Mon cher ami veut dire vous m'êtes plus qu'indifférent. Entendez par je vous rendrai heureux, je vous souffrirai tant que j'aurai besoin de vous. Soupez avec moi ce soir, signifie je me moquerai de vous ce soir. Le dictionnaire peut être long ; c'est un article à mettre dans l’Encyclopédie. Sérieusement, cela serre le cœur. Tout ce que j'ai vu est-il possible ? Se plaire à mettre mal ensemble ceux qui vivent ensemble avec lui ! dire à un homme les choses les plus tendres et écrire contre lui des brochures ! et quelles brochures ! arracher un homme à sa patrie par les promesses les plus sacrées et le maltraiter avec la malice la plus noire ! que de contrastes ! et c'est là l'homme qui m'écrivait tant de choses philosophiques, et que j'ai cru philosophe ! Et je l'ai appelé le Salomon du Nord ! […] Lettre de Voltaire à madame Denis, écrite à Berlin le 18/05/1752. Annexe 3 Contrairement à la plupart des traités traditionnellement destinés à l'édification morale du chef d'État, supposés l'encourager à l'usage vertueux et juste du pouvoir, Machiavel pose rapidement qu'il n'y a pas de pouvoir vertueux s'il n'y a pas de pouvoir effectif. Aussi la question fondamentale posée par « Le Prince » n'est pas « comment bien user du pouvoir selon les vertus morales et chrétiennes ? » mais « comment obtenir le pouvoir et le conserver ? » Il ne s'agit pas de se référer à des valeurs morales transcendantes comme le faisait Platon dans La République, ni de poursuivre une utopie. La politique doit s'exercer en tenant compte des réalités concrètes, ce qui fait nécessairement passer la morale au second plan, et d'une marge de liberté entre la contingence de l'histoire (la fortuna) et le caractère cyclique et éternel de celle-ci. Plutôt que de partir de ce qui devrait idéalement être, Machiavel se propose de partir de la « vérité effective » des choses. Or, en politique, celle-ci concerne avant tout le conflit entre les hommes et la nécessité de réguler par les moyens les plus efficaces leurs relations. Parmi ces moyens, la crainte qu'inspire le prince, par le déploiement de sa puissance, est un des plus adéquats. Celui-ci devra donc s'employer au premier chef à acquérir tous les moyens militaires, économiques et juridiques qui garantiront sa force. Il ne devra pas non plus hésiter à punir sévèrement ceux qui contestent son autorité, de préférence en s'employant à marquer les imaginations (tortures publiques par exemple), tout en se gardant d'être trop craint de tous, afin de ne pas s'attirer de haines trop dangereuses pour la stabilité de son pouvoir. Ainsi l'ordre sera préservé dans la cité et il lui rendra un bien meilleur service que si, par faiblesse ou « tolérance », il laissait s'installer la contestation et le désordre. De la sorte, il parviendra à être aussi bien craint qu'aimé pour ses qualités de chef. Dans une lettre à Piero Vettori du 16 avril 1527, 7 Machiavel écrit ainsi : « Moi […] j’aime plus ma patrie que mon âme ; et je vous dis ça après l’expérience de ces soixante ans passés, pendant lesquels on a travaillé les questions les plus difficiles, où la paix est nécessaire mais où l’on ne peut pas abandonner la guerre, et avoir sous la main un prince qui, avec difficulté, peut accomplir seulement l’une ou l'autre. » La « vertu » (virtù) du prince n'est donc pas morale mais politique : c'est l'aptitude à conserver le pouvoir et à affronter les contingences de l'histoire (la fortuna) en sachant doser la crainte et l'amour qu'il peut inspirer de façon à maintenir l'ordre et l'unité de sa cité. L'originalité de la pensée de Machiavel est cependant de ne pas conseiller pour autant au prince de mépriser toute forme de moralité : pour s'assurer le soutien et l'appui de la population, le prince devra respecter publiquement, au moins en apparence, les règles de morale admises par son peuple. Peu importe qu'en privé, il méprise ces règles, et de fait il devra souvent aller contre la morale dans ses actions politiques secrètes, par exemple ne pas hésiter à trahir sa propre parole si c'est un moyen de conserver le pouvoir, mais publiquement il devra toujours être capable de « donner le change » afin que son peuple ne se retourne pas contre lui. http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Prince Travail réalisé par G. Jacques et T. Clément de Cléty dans le cadre du cours de Médiation Muséale et Patrimoniale LHAGI 2550, UCL, année académique 2011-2012 8