Folklore musical de la région du Souss
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Folklore musical de la région du Souss
Folklore musical de la région du Souss ELBERHICHI Youssef Elève ingénieur Telecom Paristech Professeurr encadrant Corrinne Kalfon 1 Folklore musical de la région du Souss A ma grand-mère, qui m’a encouragé et tant inspiré pour réaliser cet écrit 2 Folklore musical de la région du Souss PLAN 1- Préambule *Difficultés qui empêchent l’exhaustivité de mon travail *Bref historique des peuples originels d’Afrique du Nord *Différents parlers et ethnies berbères 2- La production musicale dans la société * Les danses populaires entre symbolisme culturel et rayonnement folklorique *Contes et sentiments dans la poésie berbère 3- Folklore régional Folklore musical du Souss a) Présentation de la région du Souss b) Inventaire des différents types musicaux, avec les différences qu’il y a entre elles et situation géographique c) Description des tenues vestimentaires des artistes d) Description des instruments musicaux 4- Le folklore et ses évolutions 5- Conclusion sur la musique folklorique au Maroc 3 Folklore musical de la région du Souss Préambule : Difficultés qui empêchent l’exhaustivité Rendre compte d’un folklore n’est pas un travail aisé. En effet, étant donné que le folklore désigne l’ensemble des productions émanant du peuple et se transmettant par voie orale, il est indispensable d’avoir un contact humain pour en tirer la matière de mon écriture. Je tenterais de décrire précisément, et de situer géographiquement malgré leur diversité, chaque type de fête musicale. Comme je suis originaire du sud du Maroc, je traiterais avec plus de précision ma région natale : le Souss. Je vois déjà certaines difficultés se dégager, difficultés liées à la diversité au sein d’une même région. En effet, le type de musique et les instruments utilisés diffèrent au sein d’une même région, de même un même instrument possède différentes appellations. Bref Historique Le mot « berbère » vient de « Barbarus », utilisé d’abord par les Grecs ensuite par les Romains, pour désigner les peuples ignorant les coutumes de la civilisation gréco-romaine. Les Romains ont ensuite restreint l’usage du mot à ces contrées d’Afrique du Nord qu’ils n’ont jamais réussi à soumettre totalement même après la prise de Carthage au 3ème siècle av. J. C. Carte de la barbarie 1630 4 Folklore musical de la région du Souss Les berbères se désignent entre eux par le mot « Imazignen », pluriel de « Amazigh » dont l’étymologie n’est pas connue avec certitude, certitude en effet plusieurs lusieurs interprétations du mot existent, et les plus répandues sont « homme libre » et « rebelle ».. D’après certains historiens arabes, « Amazigh » désignerait le patriarche des peuples berbères berbères dans la généalogie qu’ils ont établie. Laa préhistoire des peuples berbères à l'ouest de la vallée du Nil se recoupe avec une grande partie de l'histoire de l'Égypte ancienne. Un chef libyen, Sheshonq 1er, monta sur le trône d'Égypte, fondant la XXIIe dynastie égyptienne.. Ce roi berbère marqua l’histoire puisque c’est au temps de son règne qu’a été fixé à zéro le calendrier berbère, calendrier qui est encore e d’usage et qui a connu à ce jour 2962 périodes. Le début de l’année « Ikhf w sggass » (en dialecte Chleuh) est fixé au 12 janvier de chaque année, et certaines traditions sont encore célébrées le jour du nouvel an (dans certaines régions d’Afrique du Nord) notamment « Berkouks » qui rappelle étrangement la « galette des rois ». Le plus connu des royaumes berbères de l’Antiquité fut la Numidie,, et son roi fondateur Massinissa. Le roi berbère Massinissa, Massinissa fondateur du royaume de Numidie (vers 201 av. J.-C.) J. 5 Folklore musical de la région du Souss Numidie occidentale et orientale (-220 av. J.-C) Massinissa fonda la Numidie et sa capitale Cirta après la deuxième guerre Punique, en s’alliant à Rome contre Carthage,, et créa un royaume qui s’étendit du fleuve Moulouya à l’Ouest jusqu’à la Cyrénaïque à l’est. Il réussit à garantir la prospérité et l’indépendance de son royaume en jouant habilement de la rivalité régionale. Site de Sauma, tombeau de Massinissa à Constantine Con 148 av. J-.C Berbères, romains et byzantins, ont en partie une histoire commune surtout après la politique d’assimilation de l’empereur Constantin qui a « élevé » en citoyens tout le peuple de Numidie. Les traditions et cultes berbères sont représentés dans les fresques romaines de plus, plusieurs p mariages mixtes entre romains et berbères erbères naturalisés sont célébrés c dans les grandes villes les, preuve d’une intégration totale des berbères dans l’empire romain. romain D’autre part, les jeux romains sont source de distraction et de joie pour la plupart des berbères, berbères, comme en témoigne la présence de ruines d’amphithéâtres dans plusieurs villes d’Afrique du Nord. Ces liens étroits entre romains et berbères d’autrefois, ont marqué la langue berbère d’aujourd’hui puisque l’on désigne toujours les européens dans la plupart art des dialectes par le mot « Romy », ce même mot désignant les habitants de Rome. 6 Folklore musical de la région du Souss Timgad en Algérie, vue d'ensemble, construite en 100 ap. J.-C par les Romains. Amphithéâtre d'El Jem comme apothéose de la culture romaine en Tunisie Des personnalités romaines illustres sont d’origine berbère comme c’est le cas d’un empereur romain, et de l’un des principaux pères de l’église latine. Septime Sévère, d'origine berbère, a été empereur de Rome. 7 Folklore musical de la région du Souss Saint Augustin d'origine berbère, il est l’un des principaux Pères de l’Église latine et l’un des 33 Docteurs de l'Église. Durant le Moyen-âge, âge, l’Afrique du Nord a de nouveau suscité un intérêt chez les puissances en expansion. Cette fois, le front est oriental : les dirigeants de l’empire arabo-islamique islamique ont envoyé une expédition vers 670 pour assiéger les grandes villes berbères : ainsi, Carthage et Bizerte furent les premières à tomber. Contrairement aux politiques des romains et des byzantins, les arabes ne se sont pas contentés de conquérir érir les villes portuaires mais ont envoyé 50.000 guerriers et 200.000 bédouins qui se sont rués vers l’intérieur du continent : politique qui a contribué à l’expansion rapide de la religion et à la victoire contre la résistance souvent non organisée. Les berbères, sous domination administrative orientale, ont de nouveau marqué l’histoire dans le bassin méditerranéen après avoir été enrôlés dans l'armée Omeyyade. Le général Tariq Ibn Ziyyad, a réussi à conquérir l’Andalousie, à la tête d'une armée de 13.000 13 hommes composés essentiellement de berbères fraichement convertis. Empire Almohade entre 1147et 1269 (apr. J.-C.) J’ai déroulé certains volets et épisodes de l’histoire des berbères, qui m’ont semblé les plus importants et qui ont marqué la région méditerranéenne. L’arrivée des arabes a marqué la fin des 8 Folklore musical de la région du Souss puissants royaumes berbères, cependant jusqu’au 20ème siècle, des régions à majorité berbérophones se sont toujours rebellées contre des administrations qu’ils jugent non légitimes. En effet, les différentes administrations qui se sont succédées en Afrique du Nord ont toujours adopté l’arabe comme langue officielle d’état, ce qui n’a pas manqué de provoquer la colère de certaines régions historiquement rebelles (le Souss à l’époque du royaume d’Illigh au 17ème siècle, le Moyen Atlas, le Rif,…). La fin des grands royaumes berbères laisse place à des entités plus petites. Par conséquent, il devient difficile de parler d’histoire des berbères : chaque région a vécu des épisodes qui lui sont propres et l’absence d’ennemi commun « étranger à la civilisation », a rendu les conflits intertribaux. On parle des berbères au pluriel, car l’histoire et l’étendue de l’Afrique du Nord ont contribué à l’apparition de différentes ethnies. Ces ethnies parlent des dialectes différents, et un bon observateur pourra distinguer un berbère du Souss et un Kabyle : en effet ces derniers ont un teint plus clair et un accent très différent. 9 Folklore musical de la région du Souss Différents parlers et ethnies berbères Les différentes langues et dialectes « Amazigh » font partie de la famille des langues afro-asiatiques. afro Ces langues sont essentiellement orales, et on retrouve très peu de manuscrits écrits en « Tifinagh » : alphabet historique des peuples d’Afrique du Nord. En effet, il est de tradition que les élites intellectuelles écrivent en arabe,, ce qui limite la propagation du savoir auprès d’une population qui n’a pas maîtrisé cette langue venue d’ailleurs, et qui a mis à l’écart le « Tifinagh ». Traces de « Tifinagh » retrouvées en Lybie On dénombre une dizaine d’ethnies berbères qui se distinguent par leur parler. En effet, la multitude des territoires peuplés et leur éloignement a favorisé l’apparition de différents dialectes de même sémantique et différant très peu lexicalement. Répartition des Berbères en Afrique du Nord Chleuhs (Souss) Zayanes (Atlas) Rifains (Rif) Chenouis (Atlas) Kabyles (Kabylie) Chaouis Berbères sahariens Touareg (Sahara) Guanches (îles Canaries) 10 Folklore musical de la région du Souss Les Berbères constituent donc une mosaïque de peuples de l'Égypte aux îles Canaries, se caractérisant par des relations linguistiques, culturelles et ethniques. La répartition par régions est caricaturale et très approximative : en effet, les berbères sont une population très active, et loin d’être sédentaires on les retrouve par conséquent dans quasiment toutes les régions peuplées d’Afrique du Nord, vivant avec les populations arabophones. Le métissage qu’ont connu les populations arabes et berbères qui a duré une dizaine de siècles, rend le fait de parler aujourd’hui d’ethnies berbères inexact. Il serait plus juste de parler de populations berbérophones et arabophones, au lieu de distinguer arabes et berbères en Afrique du Nord. Les différentes régions berbérophones ont chacune des traditions spéciales et caractéristiques. Ces traditions sont célébrées en certains jours de l’année dans un cadre festif. Je m’intéresserai lors de ce projet à ce folklore et à localiser les spécificités de chaque région : la poésie chantée, les fêtes musicales, les différents instruments et les tenues vestimentaires des artistes. 11 Folklore musical de la région du Souss Production musicale dans la société Les danses populaires et symbolisme culturel et rayonnement folklorique Les différentes régions à majorité berbérophone se distinguent par un cumul de créations artistiques, legs d’une civilisation vieille de plusieurs dizaines de siècles. Cet héritage, trésor de l’humanité, est une trace de l’interaction des hommes entre eux et avec la nature. Ce n’est pas par hasard que le premier contact avec toute civilisation passe par l’art : en effet, la création artistique en général et le folklore musical en particulier sont une pure expérience humaine marquée par ses impressions, par son interprétation de la vie et par tous les phénomènes qui interagissent dans sa sphère vitale. L’art serait donc l’intermède entre les images abstraites conçues par l’imagination à partir d’observations réelles, et le souci intuitif de matérialisation. La beauté observée dans toute création artistique est le fruit du succès d’un processus inverse : Je conçois la beauté de l’ouvre (matérielle) lorsque j’accède à son essence (image abstraite de l’imagination). Comprendre une œuvre artistique permettrait à l’observateur de découvrir les belles pages de l’expérience humaine individuelle et collective. Ce portrait humain, participe d’une mémoire vivante et éternelle, est un cumul de plusieurs générations. Traiter les danses folkloriques berbères région par région, aboutiraient aux mêmes conclusions : en effet, ayant hérité de la même civilisation et de la même histoire, les expressions artistiques n’ont pas tellement divergé si ce n’est qu’à des détails près que je mettrai en évidence pour apposer mon projet. Il est donc naturel que je me tourne vers ma région en traitant le cas des danses folkloriques du Souss, en particulier « Ahwach », pour mesurer la portée symbolique des mouvements et des paroles. Ahwach région de Ouarzazate 12 Folklore musical de la région du Souss Ahwach région du moyen-Atlas Ahwach région montagneuse de Tafraoute 13 Folklore musical de la région du Souss « Ahwach » est l’une des plus célèbres danses au sud du Maroc notamment dans la région du Souss, dans les zones arides de Tafilalet (ville au sud-est du Maroc, qui a vu naître en 1631 la dynastie régnante des Alaouites) et dans les oasis du Draa et de Zagora. Cette danse tient son estime de l’amour des populations locales aux joies et aux festivités : en effet, cette danse étant collective, elle est le miroir des relations mutuelles entre artistes et spectateurs. Les populations locales ne manquent pas la moindre occasion pour organiser « Ahwach » comme symbole de joie ancré dans la mémoire depuis des générations. Etant donné l’importance de cette danse chez le berbères ; poètes, danseurs et toute personne qui désire exprimer sa créativité se mobilisent le jour de « Ahwach » en parcourant de longues distances pour arriver à « Assaïs » : le lieu du spectacle. En ce sens, « Assaïs » est une école où on enseigne et on transmet l’héritage culturel aux plus jeunes et il n’est pas d’exception que de voir une personne âgée danser côte-à-côte avec un débutant très jeune. « Ahwach » est une danse collective, qui se joue dans « Assaïs » seulement pour divertir les populations locales, en revanche, lors de cérémonies de mariages il devient une priorité. Il y en a de plusieurs sortes : dans certains-« Ahwach n’imgharene »-seuls les hommes évoluent sur « Assaïs », dans d’autres-« Ahwach n’tferkhine »-seules les femmes dansent, mais souvent les danses sont mixtes. Bien que les mouvements et les rythmes soient différents d’une région à une autre, tous les « Ahwach » constituent une occasion pour composer et chanter des poèmes, et pour réaliser une belle danse dont les mouvements et les rythmes sont bien synchronisés. D’autres « Ahwach » sont carrément une scène de bataille entre des tribus rivales, dans la mesure où chaque tribu enrôle ses meilleurs poètes et ses plus agiles chorégraphes, pour se disputer verbalement dans le cadre d’un respect mutuel : les belligérants forment deux rangées, et en présence d’un arbitre qui annonce à chaque fois l’objet de la dispute, improvisent au mieux pour distraire les spectateurs et honorer leurs valeurs. Cet « Ahwach », appelé aussi « Ahiyad » dans certaines régions, est très répandu au sud du Maroc et permet aux jeunes amateurs de la poésie non expérimentés, d’observer les talents des plus âgés qu’on appelle « Amarir » au singulier et « imarirene » au pluriel. Au sud ouest du Maroc, dans la région d’ «Aït Milk», les cérémonies de mariages sont précédées par ce que les populations locales appellent « Agawal ». « Awal » signifiant en berbère Chleuh : parole, « Agawal » veut dire riches paroles. Dans cet autre type d’« Ahwach », les jeunes garçons et les jeunes filles du village non mariés s’endimanchent et portent leurs plus beaux vêtements traditionnels pour danser sur les sons de « Tallounete » : tambourin fait de bois et de cuir de chèvre. On en retrouve plusieurs sur scène, et « Tallounete » permet au Maestro du groupe-« Ameryass »d’imposer les rythmes avec des enchaînements qu’eux seuls reconnaissent. Dans « Agawal », les filles vêtues de leurs plus beaux habits forment un cercle autour des garçons qui imposent le rythme aux sons de « Tallounete » et de « Ganga », ce dernier est une grosse caisse fabriquée avec les mêmes matériaux que « Tallounete », mais émet un son plus grave et plus fort. On utilise « Akouraï » pour taper sur le cuir de bouc étiré de tous les côtés : « Akouraï » est un bâton fait de bois solide 14 Folklore musical de la région du Souss d’Arganier. Sur la photo ci-dessus, on voit un arganier sur lequel des boucs montent pour se nourrir de ses fruits. Cette « relation » entre boucs et arganier est chantée dans certains « Ahwach » sur un air cocasse : « Kra isker aghad hwargane Rattisker wargane hilmeness » ************** « Tout ce que le bouc a infligé à l’Arganier Le paiera avec des coups sur sa peau » En effet le bouc se nourrit des fruits de l’arganier, et une fois sa peau utilisée dans « Ganga » c’est au tour du bâton d’Argan de prendre le dessus. Le spectacle d’ « Agawal » a une portée symbolique très forte, dans la mesure où on célèbre la fécondité en ce jour de mariage. 15 Folklore musical de la région du Souss « Ganga » à gauche, « Tallounete » et habits traditionnels « Agawal » est un grand jour pour les filles et pour leurs mères, en effet en ce jour, ces dernières leur lèguent une partie de leur trésor familial. Dans les traditions berbères, le nouveau mari se doit d’offrir une dot à son épouse : cette dot est donnée sous forme de bijoux en argent, bijoux qui garantiraient une sécurité financière à l’épouse en cas de décès du mari. Les filles en ce jour d’ « Agawal », portent certains de ces bijoux pour exhiber leur beauté et attendre qu’un garçon leur fasse la cour … Ces bijoux dans la plupart des familles sont une fierté et un trésor inestimable. Certaines pièces, les plus vieilles, peuvent remonter à quatre ou à cinq générations, et le trésor familial devient de ce fait centenaire. 16 Folklore musical de la région du Souss Ci-dessus, on peut voir des bijoux traditionnels spécifiques aux berbères du sud du Maroc. La couronne en argent ornée de pierres taillées s’appelle « Assersel ». Autour du cou les femmes portent « Loubane », qui est un collier fait de fil et de pièces d’argent et de corail. Ce collier étant fait de pièces de corail jaune très rare, il est un luxe que ne peuvent se payer que les plus riches dans le village, et notamment les filles des commerçants carvaniers, et des caïds du village. De nos jours, seules les familles qui ont gardé leurs bijoux de famille disposent de ce collier de corail, il est très rare d’en trouver sur le marché avec des composantes authentiques. D’autres pièces d’argent comme « Takhellalete » qu’on voit en deux exemplaires à gauche et à droite de l’image, sont à la portée de tout le monde et sont devenues le symbole même de l’argenterie berbère. « Takhellalete » est composée de deux pièces dont l’une (la supérieure) est appelée « Tazerzite ». Les filles berbères s’ornent aussi de bracelets en argent qu’on appelle « Tanebaïelte » qu’on voit au bas de l’image. « Ajenwi » dans des régions, et « takoummite »dans d’autres, est la dague qu’on voit sur l’image. Elle est entièrement faite d’argent, et ce sont les hommes qui la portent lors des « Ahwach ». Ces bijoux sont des pièces indispensables au décor d’ « Ahwach ». Les berbères d’autres régions qui me liraient, constateraient une différence d’appellation concernant ces bijoux. Devant l’incapacité d’être exhaustif, je propose deux images pour énumérer certaines pièces importantes de bijouterie. 17 Folklore musical de la région du Souss Sur l’image de gauche, un foulard rouge de soie « Taabroukete » sert de support à « Tazera ». « Tazera » est faite de pièces de monnaie très anciennes qu’on ne retrouve plus que chez certains joailliers. Parmi ces pièces : « Rial hassani », le plus répandu, est une monnaie instaurée par Hassan 1er intronisé en 1873. « Zabil » est une pièce de monnaie qui circulait lors de l’insurrection des tribus du sud du Maroc juste avant le protectorat français en 1912 « Tagrichte » est une monnaie très vieille dont l’origine m’est encore inconnue On fabrique aussi avec ces monnaies des ceintures appelées « Taggouste », comme on le voit sur la photo ci-dessous : cette ceinture est vieille de plus de 200ans. 18 Folklore musical de la région du Souss Sur la photo de gauche, on observe des boucles d’oreilles appelées « Tikhorsine » : pièces en argent qui peuvent prendre plusieurs formes. On remarque aussi le « Loubane », collier de corail jaune, mais aussi d’autres colliers appelés « Merjane » faits de corail aussi. Différents coraux servent à fabriquer ces pièces devenues rares. Sur l’image de droite, on observe des pièces sous forme de boules que les femmes mettent au dessus de leurs oreilles. Ce sont les « Boukaria » qu’on fabrique en argent. Une autre pièce appelée « Akhenkhal » sert de chaîne que les femmes mettent autour de leurs chevilles. On explique l’omniprésence d’argent par la richesse du sol du sud du Maroc en ce métal. La région du Souss, qui dispose d’une baie de 200Km a été autrefois très riche en coraux. Clair comme de l’eau roche, « Ahwach » et les danses populaires en général renferment un trésor culturel rayonnant. Il suffit d’assister à « Ahwach » pour s’imbiber de cette culture qui ne se limite pas aux danses folkloriques, mais se prolonge dans la poterie et dans la littérature. Pour l’instant, on a survolé les aspects visuels des danses folkloriques, et des danseurs : il serait très intéressant de jeter un coup d’œil sur les chansons et leurs paroles. 19 Folklore musical de la région du Souss Les sentiments et l’éloge des vertus dans l’art musical « Ahwach » est une occasion pour les poètes : les « Amarir » appelés aussi « Anddam », pour chanter les sentiments et les valeurs avec les mots les plus profonds et les plus recherchés. Ce n’est pas que sur « Assaïs » (scène d’Ahwach) que les « Amarir » peuvent laisser libre cours à leur talent, il existe un autre aspect folklorique berbère appelé « Rwaïess ». « Rwaïess », pluriel de « Raïss » sont des « Amarir » qui composent des poèmes et qui les chantent en utilisant des instruments autres que le tambourin et la grosse caisse appelée « Ganga » dont on aura l’occasion de parler plus tard. Dans une équipe de « Raïss » on retrouve le poète « Amarir », trois hommes et trois femmes qui dansent sur les rythmes joués par le « Raïss ». Le phénomène de « Rwayess » est propre à la région du Souss, et certains artistes légendaires sont imités aujourd’hui par les nouveaux « Rwayess ». « Tarraïeste » et « Raïss » emblématiques du 20ème siècle Les poètes, accordent une grande importance à tous les symboles de la vie des populations locales. Ainsi nature, sentiments et valeurs sont chantés lors des festivités et lors des cérémonies. 20 Folklore musical de la région du Souss La nature : source de vie et souci des populations L’emblème de la région du Souss est l’Arganier, ses fruits nourrissent le bétail, et les populations locales en extraient une huile très recherchée pour ses vertus thérapeutiques et pour son caractère nutritif. Le thème de l’arganier n’est pas absent dans les poèmes chantés lors d’ « Ahwach ». Le travail journalier est aussi l’objet de la poésie berbère sous tous ses aspects. Arganier : région de Tafraoute au sud-est du Maroc 21 Folklore musical de la région du Souss L’arganier : traduction d’un poème par Ali Chouhad Dieu a rendu la forêt muette, elle ne parle plus Aujourd’hui que les gens la déboisent, elle a parlé et a dit L’arganier est résistant. Patient est-il dans les pires soifs Il a enduré des sécheresses Et toi la hache, tu ne peux empocher que la honte Même abattu, l’arganier laissera des héritiers Ecorce de l’arganier, défends bien ton territoire Les noyaux feront de même ainsi que les feuilles contre la hantise des chèvres Les branches coupées de l’arganier serviront de clôture aux autres L’arganier a dit au canal de verser son eau dans la rivière Qui m’a arrosé au temps des canicules ? Aujourd’hui que mes branches ont poussé, je n’ai nul besoin d’être irrigué Des montagnes de l’Atlas en traversant le Souss jusqu’à la région de Haha Qu’on cesse d’abattre l’arganier, il est le témoin de notre histoire Pour nous enorgueillir devant ceux qui ne le possèdent pas Il est le compagnon de toutes les peines Au temps des disettes, il était le soutient des familles Aujourd’hui que la nature est clémente, il est menacé par les haches Nous sommes ingrats envers celui qui nous a rendu service L’Arganier, même abattu, laisse ses graines repousser Les haches usées par l’abattage sont jetées L’Arganier a dit au canal de verser son eau dans la rivière J’ai poussé sur des terres arides, je suis habitué à la soif Je suis habitué à ce que mes branches séchées soient cassées Je suis habitué à ce que mes morceaux brisés soient brûlés Je secoue, j’agite, mais avec un amour pur Je cueille tes fruits sans détacher tes feuilles Avec ton huile, nous avons longtemps adouci notre pain sec L’arbre, ô Amazigh, on t’a longtemps sollicité Si je souhaite écrire ton histoire Je ne pourrais jamais révéler l’ensemble de tes secrets 22 Folklore musical de la région du Souss « Esendu » (baratte en berbère) Traduction d’une chanson populaire kabyle, reprise par Idir Baratte ! Donne-nous du beurre bien blanc Baratte ! Que l’on remplisse le pot Baratte-toi petit lait Donne-nous une motte de beurre dont on a envie Calebasse que les mains étreignent C’est toi, tout mon secret ! Malgré la disette, le chant adoucit la misère Venant te solliciter Ma calebasse appelle le bien Mon petit lait sera clarifié Avec la grâce du seigneur. Calebasse, ça suffit ! Je vois qu’il se fait tard En venant te quémander Récompense mes efforts Secouée d’une main sûre et précise Le beure flotte et frétille J’en ai eu pour une mesure et demie Pour la vieille et ses petits Calebasse, toi au moins tu as compris les sanglots du cœur Patience devenant habitude Paroles sont lourdes de sens 23 Folklore musical de la région du Souss Contes et sentiments dans la poésie berbère • Bien qu’on ne puisse parler d’ « Ahwach » au singulier, le trait commun à toutes les danses sont d’une part la spontanéité et la sincérité dans l’expression, et d’autre part la synchronisation entre gestes et rythmes. Les paroles chantées lors des chorégraphies d’ « Ahwach », ou par les « Rwayess » sont reprises par les hommes et les femmes pendant qu’ils travaillent : il n’est donc pas surprenant quand on se balade dans les villages berbères, d’entendre les agriculteurs ou les tisserands chanter en groupe ces chansons traditionnelles. Ces chansons sont inspirées parfois des contes gardés dans la mémoire populaire. Avava Inouva Conte populaire berbère chanté par Idir Je t’en prie père Inouva ouvre-moi la porte Ô fille Ghriba fais tinter tes bracelets Je crains l’ogre de la forêt père Inouva Ô fille Ghriba je le crains aussi Le vieil homme enroulé dans son burnous A l’écart se chauffe Son fils soucieux de gagne pain Passe en revue les jours du lendemain La bru derrière le métier à tisser Sans cesse remonte les tendeurs Les enfants autour de la vieille S’instruisent des choses d’antan Je t’en prie père Inouva ouvre-moi la porte Ô fille Ghriba fais tinter tes bracelets Je crains l’ogre de la forêt père Inouva Ô fille Ghriba je le crains aussi 24 Folklore musical de la région du Souss Les fèves ( ?) bouillent dans la marmite La neige s’est entassée contre la porte L’assemblée rêve déjà du printemps La lune et les étoiles demeurent claustrées La bûche de chêne remplace les claies La famille rassemblée Prête l’oreille au conte Je t’en prie père Inouva ouvre-moi la porte Ô fille Ghriba fais tinter tes bracelets Je crains l’ogre de la forêt père Inouva Ô fille Ghriba je le crains aussi • Les sentiments occupent une place très importante dans la poésie berbère. Les thèmes de l’amour et de l’amitié sont omniprésents. Immi Hanna (Ma chère maman) Du groupe Izenzarene (rayons du soleil) C'est à toi seule, tendre mère, que j'ai consacré mon cœur et mes sentiments C'est elle qui me tendait son genoux où j'ai trouvé chaleur et protection Elle a pour seule couverture le froid, c'est nous quelle protège ainsi Elle moud, elle rapporte du bois, de l'eau, dans la chaleur comme dans le froid Ô malheureux est l'enfant qui perd sa mère Il reste là avec son père devenu compagnon des femmes Il n'a pour couverture que les murs et pour seul lit le sol Ô mon Dieu, si le cadavre pouvait avoir une nouvelle âme Pour qu'il se lève de nouveau et qu'il quitte les tombes pour protéger ses enfants 25 Folklore musical de la région du Souss Izem Amdlus (le lion perfide) Izenzarene Qu'il est rusé le fauve se promenant dans les montagnes! Assoiffé et affamé, la rage brûle son cœur Il a senti la présence d'une proie, il s'apprête à sévir Voilà à quoi ressemble celui qui prétend t'aimer ta tombe est déjà prête, il ne fait que t'enrouler dans un linceul De longs sourires et de belles paroles, en attendant qu'il t'enchaîne Pour vous mettre une bride et vous conduire à sa fin L‘amour est pareil à une mosaïque, le fier est toujours perdant L'amour intéressé, tout le monde s'en aperçoit Celui qui boit, sans s'en apercevoir, d'une eau marécageuse Qu'il ne gémisse plus et qu'il ne demande plus ce qui lui arrive Il a avalé des sangsues, qu'il ne cherche plus de remèdes Tu n'es ni lourde, ni légère mon éloquence C'est depuis les hauteurs que tu as déployé tes ailes L'encrier est sec, je n'arrive plus à écrire La plume écrira, peut-être, avec mes larmes. Vous retrouverez dans le CD joint une compilation de ces chansons berbère et, de danses « Ahwach » selon les différentes régions 26 Folklore musical de la région du Souss Folklore régional Folklore du Souss La région du Souss est l’une des 16 régions du royaume, elle est aussi grande que l’Aquitaine et le Midi-Pyrénées Pyrénées réunis mais pas aussi dense, avec 5 millions d’habitants ce qui représente 15% de la population du Maroc. La région abrite 30 villes de plus de 50.000 habitants et plus de 200 villages, la ville touristique d’Agadir est le chef-lieu chef de la région. Cette région est limitée au nord par les montagnes de l’Anti-Atlas, l’Anti et au sud par le désert du Sahara. Dominée par l’arganier, un arbre endémique et emblématique de la région, la végétation courante est la savane. La région du Souss possède l’une des terres les plus fertiles du pays, ce qui en fait la capitale agricole du pays. L’économie de la région dépend aussi du tourisme balnéaire et culturel, mais surtout de la pêche et des ressources minières. L’or et l’argent sont les principaux métaux extraits. Les richesses dégagées par la région représentent 12.2% du PIB (Source Wikipedia) et vient juste après la région du Grand Casablanca (18% du PIB). Depuis le 11ème siècle, cette région est connue pour la culture et l’exportation du sucre. A l’époque des Almohades,, cette région a bénéficié d’une autonomie sous l'égide des Ben Yedder Y ème entre 1252 et 1354. La région du Souss a connu son âge d’or vers le 17 siècle, pendant l’ère du royaume de Tazeroualt,, quand la région entière a bénéficié d’une indépendance qui lui a permis de faire main basse sur l’exploitation commerciale de l’or l’ saharien et de la vente du sucre aux commerçants européens. Agadir a été à l’époque le centre de commerce extérieur. 27 Folklore musical de la région du Souss Différentes danses folkloriques de la région du Souss La région du Souss est divisée en 9 provinces et la plupart de ces provinces se distinguent par des danses particulières. C’est le cas de la province de Chtouka-Aït-Baha, dans laquelle on trouve « Ahiyad ». Cette danse contrairement aux autres, n’est pas accompagnée de chants. En effet, il s’agit d’une danse verticale et sur place accompagnée de sons d’une flûte appelée « Ouad », du tambourin « Tallounete », de « Ganga » et d’une sorte de luth à une corde appelé « Ribab ». Le mariage de ces sons se fait avec précision et synchronisation, et en présence d’un maestro de la troupe « Ameryass », celui-ci utilise son tambourin pour diriger les changements de tons et de tempo à la manière d’un chef d’orchestre. En observant la vidéo d’Ahiyad, on pourra s’apercevoir des discontinuités que les ordres de « Ameryas » imposent. Ce dernier émet des cris caractéristiques, qui indiquent à la troupe le moment où il faudra applaudir et taper du pied contre la terre. Tous ces sons produisent une harmonie très agréable à écouter, et le plaisir est plus intense lorsqu’on y assiste sur place. Instrument « Ouad » « Ameryass » portant le « Ribab » 28 Folklore musical de la région du Souss Dans la province d’ « Aït Milk », on retrouve une danse particulière appelée « Ajmak ». Contrairement à « Ahiyad », dans « Ajmak » il est de tradition que les artistes chantent. On retrouve la même hiérarchie avec des artistes de chœur qui en même temps jouent du « Tallounte », et « Ameryass » qui est cette fois acrobate. L’originalité de cette danse réside dans les paroles. Ce n’est pas poèmes qu’on retrouve, mais des paroles en rimes improvisées. En effet, cette danse et mixte et on y distingue une rangée d’hommes et une rangée de leurs épouses. Il convient de dire que cette séparation est due à la jalousie des maris des danseuses. Les hommes élisent leur « Ameryass » et les femmes la leur ; et ce choix est très important pour la suite de la danse car en fait c’est à « Ameryass » d’improviser et les autres ne font que répéter ce qu’il dit. Les sujets d’ « Ajmak » sont la dispute éternelle entre les époux. C’est aussi lors d’ « Ajmak » qu’on trouve les disputes entre les tribus dont on a parlé plus tôt. Les tribus d’ « Aït Milk » ont trouvé un moyen ludique d’éviter les tensions entre tribus puisque c’est dans un cadre festif que ces « Ajmak » ont lieu. Parlons d’ « Ahwach n’Ouarzazate », c’est comme son nom l’indique, la danse « Ahwach » particulière à la province d’Ouarzazate. Dans les thèmes, cette danse est similaire à celle d’ « Ajmak », ce qui est particulier c’est la disposition des artistes et des instruments utilisés. A l’instar d’ « Ahiyad » et d’ « Ajmak », on a « Tallounte » « Ganga » « Ribab » et l’Ouad, cependant les sons sont enrichis dans « Ahwach n’Ouarzazate » par la présence de l’ « Outar » : instrument à 3 cordes. Pour ce qui est de la danse, les hommes se rangent en une seule rangée mixte avec la disposition. Dans un premier temps il s’agit d’une danse verticale et sur place, où les femmes avancent leur bassins tout en baissant la tête en bas regardant la poitrine. Et dans un deuxième temps elles avancent tout le corps en avant ce qui produit un rejet de la tête en arrière, et ainsi de suite. Quant aux hommes, ils sont assis vers le feu entrain de jouer sur « Tallounte ». Et c’est là que « Ameryass » jette un crie vers le ciel annonçant à la fois le thème et la préparation à la danse. Le style vestimentaire est un détail immanquable pour donner à la danse tout le charme et la perfection. En général, dans la région le style vestimentaire est connu pour sa richesse en couleurs, ce qui s’explique par l’abondance de plantes dont on extrait des colorants dans cette région aride. Quant à la danse, les femmes portent souvent de longues robes blanches en soie, avec un haut en couleur froide (vert, rouge, rose, jaune). Les hommes s’habillent comme dans les autres régions d’une djellaba bleue et des babouches jaunes. Le seul accessoire que les hommes portent, est une sorte de sacoche en cuir appelée « Ajjbir ». « Ameryas » se distingue du reste de la troupe en portant une Djellaba en laine, sorte de burnous. Les paroles ne décriront jamais le moment de beauté et la perfection des éléments constituant cet art folklorique (style vestimentaire, paroles, rythme, les pas...). Une œuvre d’art qu’on ne peut bien apprécier qu’autour d’un feu en pleine nuit. 29 Folklore musical de la région du Souss Le folklore et ses évolutions L’une des premières évolutions du folklore dans la région du Souss, fut l’apparition des « Rwaïess » au début du 19ème siècle. La plupart des « Rwaïess » étaient de confession juive. Un « Raïss » est un artiste qui compose ses poèmes, il recrute des artistes qui vont danser sur scène comme il le leur consignera. Le «Raïss » joue souvent plusieurs instruments dont le « Ribab » et le « Outar » pour synchroniser les rythmes et les paroles. Plusieurs « Raïss » se sont distingués dans la région du Souss par la sagesse de leur parole, mais demeure unanimement « Hajj Belaïd » le plus connu d’entre eux c’était un poète, maître en rimes, en métaphores et en amarg : "N’importe qui ne peut pas comprendre les textes de Raïss Belaïd. Chaque phrase est une image, que ce soit dans des chansons sur l’amour, sur l’émancipation des femmes ou encore les valeurs de la société", précise Raïss Hmad Amentag, originaire de la région de Tafraout. Mieux encore, ce maître de la chanson du Souss a introduit et amélioré le « Ribab » et utilisant du crin de cheval pour la corde, ce qui a nettement amélioré les sons de cet instrument. Hajj Belaïd est né à Tiznit, mais grandira dans le mellah de Tahala aux environs de Tafraou, c’était en effet là où était concentrée la plus grande communauté juive de la région. Belaïd y côtoiera chanteurs et poètes juifs berbères. C’est auprès d’eux qu’il apprendra la musique. À partir de là, dans les cérémonies, c’est à lui qu’on fera appel. Tabaamranete et Hajj Belaïd : deux « Raïss » légendaires du Souss Vous pouvez écouter une belle chanson d’amour qu’il a écrite sur le CD 30 Folklore musical de la région du Souss La deuxième grande d’innovation qu’a connu le folklore du Souss, qui distingue de nouveau cette région par rapport aux autres régions à majorité berbérophone du royaume, c’est l’apparition du phénomène de « music band » et l’introduction du banjo dans les nouvelles chansons des années 70. Ce groupe a enflammé les scènes de toute la région, et connut un très grand succès auprès des populations locales. Leurs chansons sont des poèmes à la manière des « Raïss », mais cette fois utilisent des instruments différents comme le Tam-tam et le banjo. Ce groupe n’incarne pas le folklore berbère, mais il m’a semblé important d’en parler car ils ont marqué la mémoire de toute une génération et sont encore loin de disparaître chez les nouvelles générations. 31 Folklore musical de la région du Souss Conclusion sur la musique folklorique au Maroc Une distinction est généralement faite entre la culture savante et la culture dite populaire ou folklore. La première est prestigieuse et renvoie à des expressions artistiques dotées d’un système graphique (musical, chorégraphique, etc) qui les fixe, pouvant ainsi être étudiées et apprises selon les règles. C’est le cas de la musique andalouse au Maroc. La seconde désigne les expressions culturelles et artistiques à caractère traditionnel et donc oral ; elles reposent sur une pratique transmise de génération en génération. Font partie de la culture dite populaire les chants et les chansons traditionnelles, les genres de la littérature orale (poésie, conte, devinettes, proverbes), les traditions chorégraphiques, entre autres. Au Maroc, les traditions chorégraphiques témoignent d'une grande richesse et diversité traduisant la pluralité et la diversité de l'identité et du patrimoine culturel des Marocains. En effet, le Maroc, de par sa situation géographique et à l’instar du Maghreb en général, a été le carrefour de plusieurs civilisations, ayant contribué à l’enrichissement de la culture amazighe (berbère) initiale qui constitue le substrat de la culture marocaine et maghrébine, d’une manière générale. La langue amazighe (berbère) cohabite avec d’autres langues, dont essentiellement l’arabe pour ce qui est du Maroc et du Maghreb, et se parle, à des proportions inégales, sur un vaste territoire qui s’étend de l’oasis de Siwa (sud de l’Egypte) à l’est, à l’Atlantique à l’Ouest, et de la méditerranée au Nord aux Pays du Sahel (Mali, Niger notamment) au Sud. Elle est attestée sous forme de dialectes et de parlers régionaux dont l’unité a été mise en évidence depuis fort longtemps en dépit des différences de surface. La population parlant l’amazighe au Maroc occupe essentiellement les zones montagneuses et les régions avoisinantes, le Rif (au Nord), le Moyen-Atlas, le Haut-Atlas et l’Anti-Atlas au Centre et au Sud. A ces zones correspondent les trois grandes variétés amazighes du pays. Il s’agit du Tarifite, qui s’étend sur la chaîne montagneuse du Rif, du Tamazighte parlée dans ce qu’on appelle le Maroc central et du Tachelhite qui renvoie à la zone allant du sud de Marrakech à l’Anti-Atlas et la vallée du Souss. Des facteurs géographiques, historiques, linguistiques, entre autres, sont à l’origine de la diversité culturelle au sein même de la population berbérophone. Les arts chorégraphiques en constituent une parfaite illustration. C’est ainsi qu’on peut dénombrer à travers le pays, plus d'une centaine de variétés de danses, ayant différentes appellations selon les régions et les aires linguistiques. Elles sont corrélées à différents d'éléments de la littérature et de la tradition orales (chants, poésie, musique, rituels…) d'expression berbère. Les danses collectives, à l’instar des autres expressions artistiques traditionnelles, relèvent des pratiques collectives millénaires, ritualisées, et sont liées à toutes les fêtes et cérémonies qui ponctuent la vie du groupe menée dans les campagnes, mais aussi 32 Folklore musical de la région du Souss dans les villes, au gré des saisons et des événements. Comme dans toutes les communautés humaines, les danses collectives ont une importance capitale chez les marocains, d’une manière générale et les marocains d’expression berbérophone, d’une manière particulière. Les deux genres les plus représentatifs de ces danses au Maroc sont l’Ahidous et l’Ahwach. Ils désignent, chacun, une variété de danses dans les deux grandes aires du Tamazighte et du Tachelhite. La principale caractéristique des danses amazighes est qu’elles sont essentiellement collectives, quelle qu’en soit la variante. Elles sont foncièrement liées à la fête et aux grandes cérémonies : fêtes familiales (mariages, circoncision, baptêmes), religieuses, nationales, et à toutes les activités saisonnières, champêtres et rurales. Elles se pratiquent généralement la nuit en plein air. A ces traits s’ajoute leur unité profonde en dépit des différences que les fins connaisseurs expliquent facilement. Elles combinent, à quelques rares exceptions, la musique, généralement rythmique, le chant et la gestuelle. D’une manière générale, les grandes catégories de danses berbères au Maroc correspondent aux principales régions dialectales du pays : le Tarifite au Nord (Rif), le Tamazighte au Maroc central et le Tachelhite au Souss. Ahidous L’Ahidous est le nom générique de la danse des Amazighes du Maroc central. On trouve également l’appellation « Urar » qui signifie aussi « jeu ». C’est une danse mixte, exécutée par des hommes et des femmes. Danse en chaîne, sa forme varie d'une région à l'autre. Les danseurs s’organisent soit en cercle fermé, soit en demi-cercle, soit en rangées où les danseurs de sexes différents se trouvent face à face. Elle peut aussi s'organiser en une seule rangée mixte ou d’hommes seulement. Quelle qu’en soit la forme, le chef de groupe ou le percussionniste (wnn issurarn, bu ttart, ou bien, bu wallun, rrays), muni de son tambourin, se dégage au centre ou de côté pour diriger la danse et en réguler la cadence. Cette danse repose sur une musique rythmée qui accompagne les chants collectifs, chantés en chœur. Chaque groupe de danseurs chante alternativement un vers du poème appelé izli. L’ahidous se présente sous deux formes : une forme majeure (ahidous akswat ou akhatar) et une forme mineure ou réduite désignée ahidous amzyan ou tahidoust. Le premier est exécuté par un nombre assez important de danseurs qui s'organisent en grand cercle alignant côte à côte hommes et femmes. Son rythme est lent et conditionne la vitesse des mouvements du corps des danseurs et danseuses. Il est organisé à l'occasion des grandes cérémonies (moussem et fêtes nationales de grande pompe) qui rassemblent plus d'une tribu, et partant, les meilleurs danseurs de chaque région. Le second, le mineur, en revanche, est lié aux fêtes familiales et ne requiert des danseurs, souvent amateurs, aucune expérience préalable. Ses rythmes et mouvements sont simplifiés et de cadence relativement rapide. 33 Folklore musical de la région du Souss Appelés izlan, les chants de l´Ahidous sont choisis dans le répertoire collectif de la communauté qui les a produits. Au prélude de chaque danse, l'izli est scandé par un ou deux chanteurs ou chanteuses les plus réputés pour leurs qualités vocales et cantatoires exceptionnelles. Deux vers (distiques) constituent l'izli d'ouverture, chaque vers étant chanté par un groupe de danseurs. Le passage d’un Ahidous à un autre peut être ponctué par des timawayin, strophe scandée sans accompagnement musical par une personne dotée d’une forte et belle voix aigue. Les timawayin sont très appréciées et rien de plus beau pour égayer une soirée d’Ahidous. La notion de public ou de spectateur est à nuancer dans le cadre des danses collectives traditionnelles, car les spectateurs pourraient être considérés comme une composante de la danse. Ils y participent par leurs encouragements sous forme de formules d’appréciation méliorative quand il s’agit de bonnes performances, d’improvisation de chants comme tizrrarin des spectateurs dans le cas de l’ahwach ou des timawayin dans l’ahidous, de salves de fusil selon les régions, des yous yous, entre autres. Ils peuvent également intégrer le cercle des danseurs à tout moment. Comme tous les produits de l’oralité qui constituent un héritage transmis de génération à génération, les danses collectives remplissent diverses fonctions dans la communauté productrice. Outre le divertissement, fonction inhérente à toute danse, elles remplissent une fonction cohésive : elles sont le témoignage d’une solidarité envers l’organisateur de la fête par l’expression collective d’une joie à l’occasion d’un événement heureux. En ce sens, participer à la danse, à sa réussite en termes de performances tant gestuelles que musicales et poétiques, à sa durée tard dans la nuit, sont autant de marques d’estime du groupe. A ces deux fonctions s’ajoute la fonction sociale. Les chants qui accompagnent la danse, à titre d’exemple, spécialement les chants rituels, sont l’occasion de faire entendre la voix de la tradition en rappelant les valeurs du groupe, les différents enseignements à suivre… C’est également le lieu de la satire, de la critique sociale, qui ne sont pas sans impact social sur les membres du groupe, comme cela a été le cas des chants de la résistance pendant l’époque coloniale. Enfin, la fonction esthétique, la danse étant avant tout une expression chorégraphique, et partant artistique. Les danseurs ne se contentent pas d’accomplir et de répéter une certaine gestuelle héritée de la tradition, mais donnent à la danse une allure et un caractère qui leur sont propres faisant de chaque danse une nouvelle figure chorégraphique qui se donne à l’appréciation du spectateur auditeur fort imprégné de l’esthétique du groupe. Depuis quelques décennies, les danses collectives ne se limitent plus à la célébration des cérémonies et des fêtes villageoises. Des troupes professionnelles se sont constituées non seulement dans les zones rurales mais aussi dans les villes (Rabat et Casablanca notamment) et à l’étranger. Cet état de fait s’explique par le développement du tourisme national et par la nécessité de répondre à la demande sociale, vu les mutations de la société. En ville, on commence à solliciter les prestations des troupes professionnelles pour animer et égayer les cérémonies familiales. Il y a aussi le phénomène des festivals dédiés à l’art et à la culture marocaine « populaires », de plus en plus nombreux, qui s’organisent chaque année. Certains sont consacrés exclusivement à des genres particuliers de danses (festival de l’ahidous de Aïn Louh (Moyen-Atlas), festival de l’Ahwach d’Ouarzazate, le festival de lhit, le festival d’Imilchil, moussem à l’origine…). Ces manifestations, qui 34 Folklore musical de la région du Souss dépassent le cadre restreint de la famille ou du village, sont des lieux de contact entre diverses expressions artistiques et chorégraphiques, ce qui n’est pas sans avoir un effet sur chaque type de danse. D’où le risque d'hybridation et de déformation des styles authentiques propres à chaque danse. Les danses traditionnelles qui viennent d’être brièvement décrites ne peuvent rester immuables. Elles sont sujettes à évolution avec le changement des conditions de production, notamment le passage à la scène et tout ce qui en résulte comme réaménagement, comme perte de certains éléments constitutifs mais aussi comme évolution vers d’autres formes. 35 Folklore musical de la région du Souss