sport et style 67 funambule - Mairie de Sainte Cécile d`Andorge

Transcription

sport et style 67 funambule - Mairie de Sainte Cécile d`Andorge
L’ÉLÉGANCE DU FIL
Traversées illégales ou grandes envolées, Jade Kindar Martin ne cesse
de repousser les limites. Dans le prochain film de Robert Zemeckis, le
funambule se glisse dans la peau de Philippe Petit, son idole de jeunesse.
PAR VÉRONIQUE BURY | PHOTOS TOM DE PEYRET POUR SPORT & STYLE
STYLISME ET RÉALISATION PASCAL MONFORT
L
es artistes de cirque sont de grands
enfants. Sensibles. Peu taiseux de
leurs sentiments. C’est touchant. Surtout
lorsqu’on observe un quadragénaire, père
de famille, dérouler lentement l’affiche
d’un film auquel il a participé en tant que
cascadeur, et y découvrir tel un gamin
émerveillé la dédicace du réalisateur de
Forrest Gump et de Retour vers le futur. « For
Jade, thank you for all your fancy foot work,
Bob Zemeckis » (Pour Jade, merci pour tous
ces beaux jeux de pieds, Bob Zemeckis
– ndlr). Touché. « Je suis ému. C’est une belle
façon de me remercier pour tout le travail que
l’on a effectué ensemble. » L’année dernière,
ce funambule américain de 41 ans, marié à
une cascadeuse française, a en effet quitté
sa petite famille, lovée dans un vieux
mas du parc national des Cévennes, pour
rejoindre Montréal et participer quatre
mois durant au tournage du dernier opus
du réalisateur américain Robert Zemeckis, The Walk (Rêver plus haut, en français),
dont la sortie est prévue le 28 octobre
prochain (voir encadré). Une expérience
« exceptionnelle et surréaliste » pour celui
qui n’avait jusqu’alors jamais endossé le
rôle de cascadeur outre-Atlantique. Car,
comme le célèbre funambule français Philippe Petit qui a inspiré ce film, Jade Kindar Martin est un artiste des cimes avant
tout, un faiseur de grandes marches, un
circassien de haut vol qui vit principalement de spectacles et de shows. De défis
plus ou moins fous. « Je suis arrivé sur cette
production un peu par hasard » admet le
quadragénaire que nous avons retrouvé
sur ses terres françaises, à Sainte-Céciled’Andorge. « Rob a travaillé avec ma femme
sur le film Polar Express et il se souvenait que
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j’étais funambule. » Une chance, comme un
signe du destin...
Adolescent, Jade Kindar Martin rêvait
en effet de marcher dans les pas de
Philippe Petit, dont le film retrace une
grande partie de sa vie. Chaque soir, il
s’endormait avec son livre, On The High
Wire, sous l’oreiller. Le jour, il passait de
longues heures à décortiquer chaque
photo, chaque paragraphe de ce traité
de funambulisme, fabriquant même des
maquettes en s’inspirant des photos de
l’ouvrage, imaginant comment, lui aussi,
installerait ses fils tendus dans le ciel,
plus tard, lorsqu’il serait grand.
TOUJOURS PLUS HAUT
On ne naît pas funambule. On le devient
parce qu’on le veut vraiment, insiste Jade.
Il faut une forte motivation pour cela. Du
courage aussi, de l’envie, mais surtout un
réel sens de l’équilibre. Ça tombe bien.
Jade avait tout ça en lui. « J’ai posé mes premiers pas sur un fil à l’âge de 14 ans et trois
jours plus tard j’étais déjà dans un numéro
devant 500 spectateurs avec la troupe Circus
Smirkus », raconte l’enfant du Vermont
qui a été élevé seul par sa mère, sagefemme. « Immédiatement, je me suis senti à
l’aise sur le fil. J’ai très vite compris comment
il fallait jouer avec son propre poids de gauche
à droite pour rester en équilibre. » La troupe
Circus Smirkus n’évoluant que l’été,
l’adolescent y fait ses premières gammes
avant de rejoindre l’école de cirque de
Montréal en 1992, à 18 ans. « J’ai grandi en
faisant deux spectacles par jour, six jours par
semaine chaque été, il était logique que je me
dirige vers l’artistique. Je voulais surprendre
les gens et continuer à les émouvoir. »
Mais Jade ne veut pas être un simple
circassien « fil-de-fériste ». Il veut devenir funambule à grande hauteur, hisser
son fil bien plus haut que les dix mètres,
prendre un balancier et se jouer du
risque d’évoluer sans longe de sécurité.
Or, Montréal ne forme pas à cette discipline. Qu’importe, on n’arrête pas ceux
qui rêvent les yeux grands ouverts. Il traverse l’Atlantique fin 1993 pour trouver
au Centre National des Arts du Cirque de
Châlons-en-Champagne son futur mentor, Rudy Omankowsky, digne héritier
d’une famille de funambules et fils de
Rudolf, qui a initié Philippe Petit quelques
années auparavant. Signe du destin ou
pas, un an plus tard, Jade est prêt pour
se lancer sur ses premières grandes
marches, à Reims, puis à Paris, au-dessus
du bassin de La Villette. « J’ai appris en neuf
mois ce que d’autres ont mis trois ou quatre ans
à assimiler. » En 1997, avec son compère, le
Français Didier Pasquette, il décroche son
premier record du monde. La plus longue
traversée (480 mètres à 50 mètres de hauteur) au-dessus de la Tamise en double. Sa
carrière est lancée. Dès lors, il n’arrêtera
plus de marcher sur son fil, que ce soit
dans des spectacles de cirque, au sein de la
troupe du Cirque du Soleil, avec les Flying
Wallendas, ou lors de grandes marches
qu’il organise dans l’illégalité ou vend à
travers le monde entier.
LA PHILOSOPHIE DU FUNAMBULE
Sa plus haute traversée ? Macao en 2012.
Une marche de 525 mètres de long à
150 mètres au-dessus d’un casino. Seul
hic, le client avait exigé qu’il soit sécurisé par une longe. « Au début, cela avait
Blouson en laine et cuir, BALLY.
Jean et chaussures en cuir,
VALENTINO.
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À gauche : manteau en shearling,
pantalon et chaussures en cuir,
VALENTINO.
À droite : veste et pantalon,
EMPORIO ARMANI. T-shirt,
AMERICAN VINTAGE. Montre,
CALVIN KLEIN.
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Casquette en laine, ERMENEGILDO
ZEGNA. Manteau matelassé,
PAUL SMITH. Pantalon, SACAI.
Chaussures, perso.
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« JE NE CHERCHE PAS LES RECORDS. JUSTE
LA BEAUTÉ DES GRANDES MARCHES,
SURPRENDRE ET ÉMOUVOIR. »
Pull, manteau et pantalon,
ERMENEGILDO ZEGNA. Chaussures
et bague, perso. Montre, SKAGEN.
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tendance à heurter mon sens artistique,
mais plus maintenant. Je comprends leur
inquiétude. Ils ne veulent pas de catastrophe
sur leurs événements et je l’accepte mieux
aujourd’hui. » Même si ce n’est pas ainsi
que Jade perçoit sa discipline. « Il ne faut
pas s’enfermer dans un cadre afin de développer son art et son expression personnelle »
dit-il. En ce sens, il pense que Philippe
Petit avait raison en organisant clandestinement certaines de ses grandes
marches. « Il m’a inspiré » admet celui qui
a convaincu sa future femme de se marier
sur un fil dans les jardins du château de
Chantilly et qui s’est retrouvé à deux
reprises en prison suite à des traversées
illégales. La première, en 1998, entre les
deux tours de l’église Saint-Sulpice à
Paris. Quatre heures de prison. La deuxième à Montréal, en 2002, après avoir
escaladé de nuit la basilique Notre-Dame
pour y tendre son fil. Trente-six heures
de tôle. « À Paris, ils ont été gentils. À Montréal, pas très sympathiques. Maintenant,
je réfléchis à deux fois au pays dans lequel je
veux bien me retrouver en prison » sourit-il,
un brin malicieux.
Car des projets, Jade en a plein la tête.
« J’écris tout dans un carnet qui me suit partout. » Ses rêves, ses idées, ses envies,
ses schémas, des tas de choses qui n’ont
encore jamais été faites par un funambule. Comme de mettre son fil en feu et
d’y traverser les flammes, ce qu’il fit cet
été lors du festival de vitesse de Goodwood en Angleterre. « Je ne cherche pas les
records. Juste la beauté des grandes marches,
surprendre et émouvoir. Et repousser toujours
un peu plus mes propres limites. » Son rêve ?
Repartir en Afrique pour une tournée
dans la brousse. Ou encore installer ses
fils dans les cités, de tour en tour. « Pour y
montrer que rien n’est impossible, y apporter
un peu d’espoir en prouvant que l’on peut toujours dépasser le risque, que la peur n’est qu’un
message. » Et que l’on peut la vaincre sans
toutefois l’ignorer. La mort ? Bien sûr, il
y pense, surtout depuis qu’il est devenu
père de trois enfants. « Il y a toujours cette
ombre qui est là à côté. Mais elle attend dans
chaque coin de notre vie, on peut très bien
mourir dans la rue demain. » D’ailleurs, il
estime ne pas prendre plus de risque sur
son fil qu’un commercial qui passe sa vie
sur les routes. « Parce que j’ai une maîtrise
de ce que je suis, de ce que je fais et de l’état
d’esprit dans lequel sont les personnes avec
moi sur le fil. Sur la route, on ne peut pas
maîtriser tous les paramètres, ni les autres
conducteurs. »
Dans la vie, l’homme au physique d’esthète, affûté et longiligne, donne plutôt
l’impression d’être un sage. Sur le fil, à une
hauteur mortelle, il applique le dicton de
son maître. « Si je mets un pied sur le fil, c’est
que je sais que je peux le retirer » expliquet-il. « C’est un peu comme aux échecs, tu ne
bouges pas une pièce si tu ne peux pas la retirer. » Il mange sain et le moins transformé
possible. Boit peu, cultive son potager bio,
élève ses poules, chèvres, cochons pour sa
famille et les clients qu’il accueille dans
son gîte à la belle saison. Et s’inspire du
reiki pour canaliser son énergie, même
si cela fait bien longtemps qu’il connaît
et maîtrise les moindres recoins de son
corps. Six ans de danse pour la posture,
autant de boxe pour la confiance en soi
et la musculation – ses balanciers pèsent
tout de même entre 15 et 17 kilos. « Sur le
fil, il faut avoir l’élégance d’un danseur, tenir
sa ligne, être conscient de ses épaules, de son
cou, de son menton, maîtriser la cadence de
sa marche, son regard. Chaque mouvement
est étudié, précis et fluide. Il ne doit pas y avoir
d’appréhension, pas de différence non plus
entre un fil bas et un fil à plus de 20 mètres. »
La peur ? Il la canalise en l’acceptant, en la
regardant en face, en essayant de la comprendre et en évitant surtout de rechercher la montée d’adrénaline que son art
pourrait lui procurer. A-t-il le sentiment
d’être un sportif de l’extrême à ainsi
risquer sa vie ? Non. « Un sport nécessite
qu’il y ait une compétition. Or, je ne suis pas
un compétiteur. Je ne me bats pas pour être
meilleur que quelqu’un d’autre, je me bats juste
pour être meilleur que moi-même. » À 1 ou
50 mètres du sol, sur un fil comme dans sa
vie. C’est ainsi que Jade, funambule américain, continue d’avancer. n
RÊVER PLUS HAUT
Vingt après son Oscar pour Forrest
Gump, le réalisateur américain
Robert Zemeckis sort un biopic qui
va donner le vertige à un grand
nombre de cinéphiles ! Celui-ci
s’inspire en effet de la vie du
funambule français Philippe Petit
et relate en particulier sa célèbre
traversée illégale entre les deux
tours du World Trade Center,
effectuée en 1974 et qualifiée par
les médias de « crime artistique
du siècle ». L’occasion pour le
funambule Jade Kindar Martin, qui
double l’acteur principal, Joseph
Gordon-Levitt, de se glisser dans la
peau de l’idole de sa jeunesse.
En salles le 28 octobre
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Manteau en laine,
ZADIG & VOLTAIRE. Veste
sans manches, SACAI. T-shirt,
AMERICAN VINTAGE. Pantalon
en laine, LANVIN. Ceinture,
PATAGONIA. Chaussettes,
CALZEDONIA. Boots en cuir,
PARABOOT X SACAI.
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Blouson en laine et cuir, BALLY.
Jean et chaussures en cuir,
VALENTINO.
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