Ce drôle de fou volant

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Ce drôle de fou volant
14 | MM28, 11.7.2016 | SOCIÉTÉ
Portrait
Ce drôle de
fou volant
Intrépide sans être casse-cou, Jonas Turin est un des fleurons helvétiques du vélo freestyle.
Passionné, il a même son propre terrain à Ecublens (VD) pour s’envoyer en l’air à volonté.
Texte: Patricia Brambilla
Photos: François Wavre/Lundi13
SOCIÉTÉ | MM28, 11.7.2016 | 15
C’
est un cycliste des temps
modernes. Un «dirtjumper»,
comme on dit dans le milieu.
Comprenez un cycliste déjanté,
un acrobate du guidon, un envolé du cadre.
Jonas Turin, 23 ans, grand blond tatoué à la
casquette à l’envers, fait même partie du top
3 helvétique des meilleurs riders du moment.
Agile et compact, 1 m 77 pour 73 kg, voilà
pour les mensurations.
Son terrain de jeu: un bout de forêt, à côté
de chez lui à Ecublens (VD), où il a installé
trois rampes, un step down et un bac à
mousse – pour l’entraînement des figures –
au milieu des feuillus, des hautes herbes et
des coquelicots. «Il y a dix ans, j’ai façonné la
première petite bosse à la pelle et après, on
est venu avec les machines pour modeler le
terrain. Quand c’est trop la jungle, je dois débroussailler.» Ce qu’il s’empresse justement
de faire en arrivant. Il empoigne une bêche
et arrache quelques orties qui pourraient
gêner le vélo à la réception.
Prêt pour le grand saut
Une fois la piste dégagée, il enfile des
genouillères, un jeans serré «qui ne risque
pas de se prendre dans les rayons» et un
casque de skate. Prend quelques minutes
pour l’échauffement des articulations, avale
trois biscuits et enfourche sa bécane. Un
vélo spécial pour le «dirt», à la fois léger,
maniable et costaud, résistant aux chocs,
une seule vitesse. Jonas Turin est prêt pour
le grand saut.
C’est le cas de le dire puisqu’il s’élance
sans sourciller d’une rampe de cinq mètres
de haut – dessinée et construite par luimême – décolle, atterrit dans un virage, pédale, entame la première rampe, puis la deuxième et la troisième, avec à chaque fois une
figure. «No-hand», «tailwhip», «heel clicker», «backflip», autrement dit: «bras en
ailes d’oiseau», «vélo qui pivote sur sa
fourche», «pieds qui claquent par-dessus le
guidon» et «salto arrière». Et tout ça, en l’air,
pendant une fraction de seconde, comme
une sorte d’apesanteur magique où tout peut
arriver. Le vélo qui danse, se déhanche dans
le ciel, qui frôle les blés un peu plus loin.
Avant de retomber sur ses deux roues.
Il faut dire que Jonas Turin a cramponné
le cintre très tôt. Avec un père passionné de
motocross, il a mis le pied à la pédale
presque avant de savoir marcher. «Vers
4 ans, j’ai eu ma première petite moto, je suivais les traces de mon papa.» A 10 ans, il
passe au BMX – la course, la vitesse et les
sauts déjà – et à 12 ans, c’est la révélation.
«J’ai découvert ma première piste de jump à
Payerne (VD). J’ai tellement aimé, j’ai pu tester des figures. Je me suis lancé alors dans
ma petite carrière de ‹dirt›.»
Il a donc gardé la bécane, mais sans le
chrono. «A la base, c’est plutôt chiant le vélo.
Ce qu’aime Jonas
Turin, ce n’est pas tant
de pédaler que
d’inventer des figures
et de virevolter dans
les airs.
La course, c’est pas trop mon truc. Moi,
j’aime la sensation de voler, inventer des
figures. A 12 ans, je faisais déjà de la
trottinette freestyle», lâche celui qui, au
fond, n’aime pas trop pédaler.
Si le «dirtjump» est un sport encore assez
méconnu en Suisse romande, il a déjà son
Worldtour, ses compétitions, son classement. Ses shows et ses démos auxquels le
jeune homme participe à chaque fois qu’il
peut. En vivre un jour? «C’est difficile en
Suisse et même ailleurs. J’ai laissé tomber
l’idée, je crois que c’est bien d’avoir une
autre activité en parallèle.» A 23 ans, il travaille justement dans un fitness à Lausanne,
tout en terminant un apprentissage de coach
sportif. Une formation qui lui permet de
peaufiner son entraînement, de rester dans
l’exercice du muscle. «J’aime me dépenser.
J’ai d’ailleurs aussi fait du «parkour», de la
boxe thaïe, qui m’a beaucoup aidé pour la
confiance en soi, et j’ai toujours un trampoline dans le jardin. C’est très utile pour apprendre le saut périlleux!»
Repousser les limites
Goût du risque et de l’adrénaline, mais pas
tête brûlée, Jonas Turin. Qui préfère répéter
mille fois les gestes pour être sûr que tout se
passe bien. «Je suis parfois un peu timide
pour tenter de nouvelles figures, il me
manque peut-être un petit grain de folie.
Mais je ne me suis encore rien cassé...»
Il rêve bien sûr d’une grande halle en
Suisse romande pour pouvoir s’entraîner
toute l’année. Et de réaliser un jour un «cork
720», sorte de double rotation twistée. «Je
m’entraîne depuis deux ans dans le bac à
mousse. Mais je n’ai pas encore réussi l’atterrissage sur du dur.» Pas grave, il a déjà accompli un «360 heel clicker», une acrobatie
inédite qu’il fait volontiers en compétition,
et qui est devenue sa figure signature, son
petit truc à lui. «Je veux continuer à me faire
plaisir, à repousser mes limites. Montrer ma
créativité, avoir mon propre style, c’est ça
qui me motive!» MM
En vidéo:
Jonas Turin en
pleine action
www.migmag.ch/
fou-volant
Vocabulaire
Le jargon des riders
Dirtjump: littéralement,
«sauts dans la terre». C’est le
nom donné à la discipline
du vélo acrobatique, appelée aussi «freestyle».
Step down: sorte de rampe
de lancement, placée en début de parcours, pour
prendre un maximum
d’élan.
Backflip: salto arrière, la
tête en bas, autrement dit
un looping à 360° de rotation verticale. Le record de
backflip est de trois, réalisé
pour la première fois par Jed
Mildon.
Tailwhip: rotation du vélo
autour du pivot de la
fourche, que l’on déclenche
en plaçant le pied côté de la
rotation sur le pneu avant.
Le maximum de tailwhips
exécutés par un rider est
quatre.
Nac-nac: figure qui consiste
à mettre, pendant le saut,
un pied à l’opposé de l’autre
par-dessus le cadre.
360 heel clicker: tour com-
plet sur un axe vertical en
tapant les deux pieds sur le
guidon pendant la rotation.
No-hand suicide: consiste
à taper des mains derrière
son dos pendant le saut.