Électrophysiologie comparée des canaux calciques L et T du
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Électrophysiologie comparée des canaux calciques L et T du
D O S S I E R Électrophysiologie comparée des canaux calciques L et T du système cardiovasculaire : données actuelles S. Richard*, J. Nargeot* RÉSUMÉ. Dans les myocytes du cœur et des vaisseaux, l’entrée d'ions calcium (Ca2+) est assurée principalement par les canaux calciques vol tage-dépendants, dont il existe deux grandes classes : les canaux de type L, qui jouent un rôle essentiel reconnu dans l’initiation du couplage excitation-contraction (E-C), et les canaux de type T, plus énigmatiques, qui pourraient être impliqués dans le contrôle d’activités électriques automatiques et de processus trophiques liés au développement ou au remodelage cellulaire. L’importance physiologique des canaux cal ciques, la variété de leurs voies de régulation et la richesse de leurs sites pharmacologiques en font des cibles thérapeutiques de choix lors des dysfonctionnements liés à l’homéostasie calcique. Cet exposé a pour objet de proposer un “cliché” des connaissances et concepts actuels. Les avancées récentes concernant la physiologie, la pharmacologie naissante et l’élucidation de la structure moléculaire des canaux T sont également présentées. Mots-clés : Courants calciques - Calcium - Cœur - Vaisseaux - Fonction - Régulation - Pharmacologie - Structure. CANAUX CALCIQUES ET FONCTION CARDIOVASCULAIRE Notions de canal ionique Les courants ioniques, qui traversent les membranes biologiques et génèrent l’activité électrique des cellules, s’écoulent de manière passive à travers des pores aqueux. Ces “canaux ” s’ouvrent (ou se ferment) en réponse à un stimulus physiologique spécifique qui peut être le potentiel de membrane, la fixation d’un ligand chimique (neurotransmetteur, hormone) sur un site récepteur, la fixation d’un messager intracellulaire ou encore l’étirement de la membrane plasmique (1). Les canaux ioniques permettent un passage sélectif d’ions, selon leur gradient de concentration. En plus de leur sélectivité – qui détermine leur type (canaux sodiques, calciques, potassiques et chlore en ce qui concerne les canaux activés par le potentiel) – et de leur mode d’activation, les canaux ioniques sont caractérisés par leur comportement cinétique, qui dépend du potentiel et du temps, et par leur conductance intrinsèque (1). Ces propriétés sont autant d’éléments importants de la signalisation ionique et électrique transmembranaire. Les canaux calciques du système cardiovasculaire – de type L et de type T – appartiennent à la famille des canaux activés par le voltage. Ils sont fermés au potentiel de membrane de repos (potentiel diastolique pour les cellules cardiaques par exemple) et s’ouvrent sous l’effet de la dépolarisation membranaire. CNRS, UPR 1142, Institut de Génétique humaine, Montpellier. La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 Canaux calciques cardiovasculaires Diversité : types L et T. C’est sur le tissu cardiaque que l’on a mis en évidence, il y a trente ans, l’existence des canaux L (1). Pourtant, la multiplicité des canaux calciques, soupçonnée dès 1975 sur les œufs de poisson, est devenue évidente au cours de la décennie suivante (1-4). La technique du patch-clamp a permis d’en caractériser plusieurs types, en particulier sur les neurones (types L, T, N, P, Q, R : tableau I), distingués par leurs propriétés électrophysiolo- Tableau I. Classification des canaux calciques et correspondance gène-type fonctionnel avec la localisation chromosomique (5, 6). Classification génétique Classification fonctionnelle Localisation chromosomique Localisation tissulaire α1A α1B α1C P/Q N L 19p13.1-.2 9q34 12p13.3 α1D L 3p14.3 α1S α1E α1F α1G α1Η L neurones neurones cœur, ubiquitaire neuroendocrine, autre ? muscle, autre ? neurones rétine cerveau, cœur ? cœur, cerveau ? R? L? T Τ 1q31-q32 1q25-q31 Xp11 17q22 16p13.3 163 D O S S I E R giques et pharmacologiques. Les gènes correspondant à ces canaux ont été clonés, et leur localisation chromosomique déterminée (5, 6). Au niveau cardiovasculaire, seuls les canaux de type L et de type T sont présents (2-4, 6). Il existe des variants musculaire (α1 S) et neuroendocrine (α1 D) des canaux L avec des isoformes générées par épissage alternatif, (6). La structure moléculaire de deux types de canal T détectés dans le cerveau et le cœur (α 1G et α 1H) vient tout juste d’être élucidée (7, 8). Il existe probablement une véritable famille de canaux T avec des différences fonctionnelles. Rôles physiologiques Des canaux L – Dans le cœur. Les canaux L, dits “sensibles aux dihydropyridines (DHPs)”, sont ubiquitaires, mais ils sont largement majoritaires dans le cœur (tableaux I et II). Ils ont deux rôles essentiels. Premièrement, un rôle électrogène : le courant entrant d’ions Ca2+ contribue au maintien du plateau du potentiel d’action (PA) cardiaque. Il participe également à la phase diastolique tardive du PA sinusal. Deuxièmement, les ions Ca2+ sont utilisés en tant que signaux chimiques pour déclencher une libération massive de Ca2+ stocké dans le réticulum sarcoplasmique (RS), ce qui provoque l’activation des protéines contractiles suite à l’élévation du Ca2+ libre intracellulaire. Malgré cet effet d’amplification du RS, il existe une corrélation certaine entre l’amplitude du courant L et la contraction. Ce phénomène confère donc aux canaux L une importance primordiale dans le contrôle de la contraction. Sur le plan pharmacologique tout agent qui module l’amplitude du courant calcique L a des effets inotropes attendus. Tableau II. Distribution comparée des courants L et T dans divers tissus cardiovasculaires (modèles animaux) (4, 8). Localisation Type L Type T Cœur ventricule atrium conducteur nœud sino-atrial +++ +++ ++ +++ -/+ ++ + + Veines azygos saphène porte ++ ++ ++ + + + Artères aorte coronaire mésentérique artérioles rénales ++ +++ +++ +++ +/+/+/++ – Dans les vaisseaux. Les canaux L sont impliqués dans le développement et le maintien du tonus contractile. L’ouverture des canaux cardiaques et vasculaires procède de modalités différentes. Au niveau cardiaque, elle est initiée par la dépolarisation engendrée par le courant sodique rapide responsable de la phase de montée du PA. Une contraction rapide, de type phasique, fait suite à l’entrée de Ca2+. Au niveau des cellules artérielles, moins polarisées au repos que les cellules cardiaques, les canaux calciques sont recrutés lors d’une 164 dépolarisation membranaire beaucoup plus lente qui est induite, par exemple, par des forces mécaniques ou par l’activation de cascades de messagers intracellulaires lors de la fixation d’un neurotransmetteur ou d’une hormone sur leur récepteur membranaire. Les variations de tension qui en résultent sont de type tonique, c’est-à-dire lentes et maintenues. L’ouverture de canaux potassiques – activée par le Ca2+, le potentiel ou l’ATP – provoque en retour une hyperpolarisation et la fermeture (désactivation) des canaux calciques. C’est le principe du mode d’action de certains agents vasodilatateurs (levcromakalim, diazoxide, pinacidil). Les veines ont un comportement intermédiaire plus proche de celui du cœur. Des canaux T – Dans le cœur. La présence des courants T est beaucoup plus aléatoire que celle des courants L (tableau II). Dans le ventricule adulte, cette variabilité dépend de l’espèce considérée (tableau III). Les courants T sont présents dans le tissu ventriculaire de cobaye, par exemple, et totalement absents chez le rat et chez l’homme. Ils ont aussi une amplitude beaucoup plus faible que les courants L, ce qui suggère qu’ils n’ont pas de rôle majeur dans la signalisation liée au couplage E-C. En revanche, les courants T sont exprimés dans les cellules ventriculaires de rat néonatal, disparaissant par la suite au cours du développement. Ils peuvent cependant être réexprimés dans les myocytes adultes en culture primaire vraisemblablement en relation avec la dédifférenciation (10). Tableau III. Variabilité des courants T dans le ventricule de modèles animaux et chez l’homme. Myocytes ventriculaires fraîchement isolés en culture primaire Adultes cobaye rat homme ++ - ? ++ ? Néonatals rat ++ ++ Dans le cœur adulte, les courants T sont surtout distribués dans les cellules de l’oreillette, du nœud sino-atrial du sinus venosus et du tissu conducteur (tableau II). Ils semblent jouer un rôle électrogène au niveau de la phase de dépolarisation diastolique précoce du PA sinusal. Il est à noter qu’ils n’ont, à ce jour, jamais été mis en évidence dans le tissu cardiaque humain adulte, vraisemblablement à cause de l’accès limité aux tissus susceptibles de l’exprimer. Pourtant, on notera que les isoformes α 1G et surtout α 1H sont représentées dans le tissu cardiaque humain (7, 8). – Dans les vaisseaux. Les courants de type T sont exprimés dans des vaisseaux ayant une activité électrique automatique comme celle des veines (tableau II) et liée à un rôle électrogène. Mais ils sont aussi exprimés dans des artères qui ne génèrent pas de PA (tableaux II et IV). Ils pourraient participer au tonus de base des petites artères dites “de résistance”, avec un rôle potentiel dans l’hypertension artérielle, mais cela reste à démontrer. Enfin, alors qu’ils sont exprimés de manièLa Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 Tableau IV. Variabilité des courants T dans le ventricule de divers modèles animaux. Myocytes atériels Aorte adulte rat lignée de rat homme fraîchement isolés (phénotype contractile) - en culture primaire (phénotype synthétique) ++ ++ ++ Aorte néonatale rat lignée humaine - ++ ++ Coronaire adulte cobaye homme ++ - ? ++ Artériole rénale adulte rat ++ ? re aléatoire dans les myocytes fraîchement isolés à partir de gros troncs artériels, les canaux T sont, au contraire, très exprimés dans les cultures primaires et les lignées cellulaires (tableau IV). C’est le cas des myocytes coronaires humains qui, fraîchement isolés, sont en phénotype contractile et n’expriment que les courants L (11). Les courants T n’apparaissent qu’après plusieurs jours en culture. Leur expression est associée à un changement phénotypique des cellules qui se dédifférencient et prolifèrent. Le canal T est exprimé spécifiquement lors de la transition G1/S du cycle cellulaire qui précède la réplication du matériel génétique nécessaire à la future cellule fille avant la division cellulaire (12). Un rôle dans l’activation de gènes est possible ; il pourrait intervenir dans des conditions normales au cours du développement et anormales au cours de la pathologie (12). En résumé. Les courants calciques ont un rôle électrogé nique et sont utilisés comme signaux chimiques transmem branaires dans le cœur et des vaisseaux. Les canaux L contribuent au maintien de la dépolarisation membranaire et initient la contraction des myocytes. Les courants T seraient associés à l’automatisme des cellules du rythme. Ils pourraient aussi constituer un signal particulier pour des processus liés à l’activité proliférative ou trophique des myocytes. canal “calcique”, cela dès les années 50 (1). La technique du “voltage-imposé” a, au cours de la décennie suivante, permis d’esquisser les bases fonctionnelles et la pharmacologie de ce qui allait devenir, au cours des années 80, le canal de type L. Le développement concomitant des techniques du patchclamp (développées par les Drs Neher et Sackmann, prix Nobel de médecine en 1991) et de la cellule isolée grâce à des enzymes, a ensuite permis une éclosion de connaissances et de concepts nouveaux (découverte des canaux T en particulier). Il est devenu possible de mesurer les courants ioniques d’une cellule – et même d’un canal – unique, ce qui a rendu accessible à l’investigation électrophysiologique la plupart des tissus qui ne l’étaient pas auparavant. Il est ainsi devenu possible d’étudier les canaux ioniques de cellules cardiaques et vasculaires autrefois impossibles à étudier en voltageclamp. Les études ont même pu être étendues à certains tissus du système cardiovasculaire humain prélevés au cours de la chirurgie. Principe et intérêt. Le principe du patch-clamp est le suivant : une micropipette de verre de faible diamètre (1 à 2 µm à la pointe) est descendue par micromanipulation au contact de la membrane d’une cellule. Une cohésion forte entre la pointe de cette pipette et la membrane cellulaire (résistance électrique de l’ordre du GΩ) est assurée grâce à une aspiration appliquée à l’intérieur de la pipette. La pipette, remplie d’une solution saline conductrice, permet d’enregistrer soit le courant microscopique (environ 10-12 ampères) qui s’écoule à travers un seul canal piégé sous la petite portion de membrane à l’extrémité de la pipette (configuration canal unique, figure 1), soit le courant électrique macroscopique (10-9 ampères) qui correspond à l’activité des milliers de canaux de toute la cellule (configuration cellule entière, figure 1), ce qui est possible lorsque la portion de membrane sous la pointe de la pipette est déchirée par une aspiration plus forte. Cette ouverture met en communication le milieu intracellulaire et le milieu intrapipette, permettant un accès électrique à l’intérieur de la cellule. Le contrôle de la composition des milieux intra- et extracellulaires permet d’isoler le courant calcique des autres cou- PROPRIÉTÉS FONCTIONNELLES COMPARÉES DES CANAUX L ET T Patch-clamp et canaux calciques Historique et apports. Les canaux L et T ont des propriétés biophysiques, pharmacologiques et de régulation fort différentes. Il existe également des différences notables entre canaux L cardiaques et vasculaires qui justifient des études phénoménologiques précises. Si la compréhension moderne de la diversité, de la structure et de la fonction des canaux calciques a été permise grâce à une approche multidisciplinaire, c’est l’électrophysiologie qui a donné naissance au concept de La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 Figure 1. Principe général et configurations principales du voltageimposé en patch-clamp. 165 D O S S I E R rants. Le patch-clamp est devenu incontournable pour les études réalisées en potentiel imposé, technique qui permet de fixer le potentiel de la membrane et d’étudier les propriétés électrophysiologiques des canaux ioniques. Cette méthodologie est très utilisée pour étudier la régulation des canaux ioniques et le mécanisme d’action des molécules pharmacologiques. Les paramètres électrophysiologiques qui gouvernent le fonctionnement des canaux calciques sont importants à prendre en compte pour mesurer et comprendre le mode d’action des molécules qui se lient spécifiquement sur le récepteurcanal et les effets qui en résultent. États fonctionnels élémentaires des canaux calciques On distingue trois états de base des canaux calciques : un état fermé (F), non conducteur, qui prédomine au potentiel de membrane de repos ; un état ouvert (O), conducteur, activé de manière transitoire par la dépolarisation membranaire ; un état inactivé (I), non conducteur, recruté par une dépolarisation plus soutenue. Il existe un équilibre dynamique entre chacun de ces trois états F, O et I (figure 2). Cet équilibre peut être déplacé lors de la fixation préférentielle d’un ligand sur un état particulier du canal plutôt que sur un autre. L’affinité désactivation Figure 2. Schéma des états fonctionnels élémentaires des canaux calciques et les diverses transitions possibles. d’une molécule peut donc être modulée par l’état conformationnel du récepteur-canal (exemple : effets voltage-dépendants des DHPs) et le ligand peut stabiliser le canal dans cet état. Pour déterminer la gamme des potentiels capables d’ouvrir les canaux calciques, l’expérimentateur applique à la cellule, via la pipette de patch, des dépolarisations d’amplitudes connues. Il mesure ensuite l’amplitude des courants recueillis pour chaque dépolarisation. La relation courant/potentiel ainsi établie permet de déterminer la valeur du potentiel seuil d’activation et la valeur pour laquelle le courant atteint une amplitude maximale (tous les canaux activables sont conducteurs). Cette relation permet de déterminer une courbe dite “d’activation à l’état stable” (figure 3). L’état F et l’état I, bien qu’étant tous deux non conducteurs, sont différents. L’état O est inaccessible à partir de l’état I (réfractaire). Le canal doit nécessairement transiter par l’état fermé pour s’ouvrir. Cette transition (I F) nécessite d’hyperpolariser la membrane pendant une période de temps suffisamment longue. Dans un contexte de physiologie, il est important de déterminer à partir de quels potentiels de repos les canaux calciques peuvent s’ouvrir. En faisant varier le potentiel diastolique avant une dépolarisation test (fixée, qui active le maximum de canaux), on détermine la fraction de ces canaux qui est inactivée pour chaque dépolarisation conditionnante (figure 3). On observe une diminution du courant qui correspond donc à la fraction des canaux inactivés. On détermine ainsi la courbe d’inactivation voltage-dépendante à l’état stable, dite encore “de disponibilité du canal à l’ouverture” (figure 3), qui fournit de précieuses indications pour le physiologiste. À noter qu’une fraction importante (~ 50 %) des canaux T et L est inactivée pour des dépolarisations conditionnantes qui sont insuffisantes pour induire l’ouverture. Ceci reflète un passage direct (F I). À noter également le croisement des deux courbes – d’activation et de disponibilité – qui détermine une fenêtre de potentiels. Dans cette fenêtre, le voltage est insuffisant pour inactiver tous les Figure 3. Courbes de conductance (symboles vides) et de disponibilité à l’ouverture (symboles pleins) du canal T (carrés) et du canal L (ronds) déterminées sur des myocytes d’aorte de rat adulte (culture primaire). Les transitions entre les états F et I, F et O du canal sont superposées (en haut) pour chaque courbe. Les protocoles de stimulation sont représentés. 166 La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 canaux, et suffisant pour ouvrir une fraction significative de canaux activables. Cette fraction de canaux génère donc un courant permanent dit “de fenêtre”. Lorsque le potentiel de membrane de repos d’une cellule est inclus dans la fenêtre, il y a possibilité pour un influx basal maintenu de Ca2+ qui peut avoir un rôle physiologique majeur. Propriétés électrophysiologiques des canaux L et T Ce sont les propriétés électrophysiologiques et des critères pharmacologiques qui ont permis de démontrer l’existence des canaux de type T. Si l’on compare les courants T et L, ils se distinguent par leurs propriétés cinétiques (figure 4) et électrophysiologiques (tableau V). Figure 4. Décours typique d’un courant T transitoire (à gauche) et d’un courant L soutenu (à droite) enregistrés sur un myocyte coro naire humain en culture primaire. Tableau V. P ropriétés électrophysiologiques générales des courants T et L. Propriétés électrophysiologiques Type T Type L Seuil d’activation > - 70 mV - 40 mV Activable à partir de potentiels diastoliques < - 50 mV < - 10 mV Courant de fenêtre compris entre - 70 mV et - 50 mV - 30 mV et - 10 mV Cinétique d’activation lente rapide Cinétique d’inactivation rapide lente Cinétique de désactivation lente rapide Perméabilité Ca2+ = Ba2+ Ca2+ < Ba2+ Conductance élémentaire 7-8 pS 22-25 pS Dans ce tableau, aucune distinction entre les propriétés des courants cardiaques et vasculaires n’a été faite. Il est cependant intéressant de noter que, malgré une homologie structurale des canaux qui les génèrent (variants issus d’un même gène), les courants de type L du cœur et des vaisseaux ont des propriétés très différentes sur le plan cinétique. Par exemple, les courants des artères coronaires sont beaucoup plus soutenus que les courants cardiaques chez l’homme (11). En l’état actuel des connaissances, il n’existe pas d’évidence pour des différences entre les canaux T cardiaques et vasculaires. Principales régulations des canaux L et T Canaux L. Les canaux calciques de type L sont modulés par La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 une très grande variété d’agents et de mécanismes (9). Nous avons choisi de focaliser sur les aspects les mieux connus et qui concernent le mode d’action d’agents thérapeutiques inotropes et chronotropes. Tout d’abord, l’activité du canal calcique de type L dépend étroitement du rythme cardiaque. Une accélération de la fréquence de dépolarisations répétitives provoque une augmentation de l’amplitude, et surtout un ralentissement important de l’inactivation du courant L, ce qui conduit à une entrée accrue de Ca2+ pendant chaque dépolarisation (13). C’est l’intervalle de temps diastolique entre deux stimulations successives qui module le mode de fonctionnement du canal. Cette régulation est favorisée par la stimulation bêta-adrénergique, et semble jouer un rôle important dans les mécanismes d’adaptation du cœur à l’exercice et au stress. Elle est altérée lors de l’insuffisance sévère (13). Elle est aussi altérée par des médicaments comme les antagonistes calciques et les agents bêtabloquants qui, à ce niveau, contribueraient à diminuer la surcharge calcique intracellulaire. Cette dépendance vis-à-vis de la fréquence cardiaque ne semble pas exister au niveau des cellules vasculaires. De nombreux transmetteurs et hormones modulent l’activité des canaux calciques. Ces régulations induisent une modulation (diminution ou augmentation) du courant macroscopique qui peut s’exercer soit par une voie membranaire rapide (protéines G, par exemple sur les neurones), soit par une voie intracellulaire plus lente (cascades de seconds messagers intracellulaires : AMPc, GMPc, Ca2+). Les seconds messagers ont pour cibles diverses protéines kinases capables, par phosphorylation, d’accroître ou de diminuer l’activité basale du canal. La régulation physiologique majeure du canal L cardiaque est assurée par la stimulation bêta-adrénergique. L’activation de l’adénylate cyclase, couplée à la protéine G reliée aux récepteurs bêta-adrénergiques (β1, β2), stimule la production d’AMPc qui active la protéine kinase A impliquée dans la phosphorylation du canal. L’effet principal est une augmentation de la probabilité d’ouverture des canaux (9). La phosphorylation module les propriétés électriques du canal. Par exemple, elle rend le canal plus sensible au voltage en abaissant son seuil d’ouverture de - 40 mV à - 50 mV. Malgré leur grande homologie structurale, les canaux calciques cardiaques et vasculaires ont des modalités de régulation souvent différentes, voire antinomiques. Par exemple, le courant calcique de type L des artères est insensible à la phosphorylation AMPc-dépendante, ce qui est cohérent avec les effets vasorelaxants de l’AMPc. L’ exemple du NO, qui active une voie GMPc-kinase, est également intéressant. Chez l’homme, le NO a un puissant effet agoniste sur le courant calcique cardiaque, tandis qu’il a un effet inhibiteur sur le courant calcique des cellules de l’artère coronaire (11, 14). Ces deux exemples illustrent très clairement comment, en dépit de liens de parenté étroits sur le plan de la structure, les canaux L cardiaques et vasculaires sont fort différents sur le plan fonctionnel. Il est fondamental de prendre en compte ces différences dans la définition de stratégies thérapeutiques. 167 D O S S I E R Canaux T. Les connaissances concernant les voies de régulation des canaux T des mammifères par des messagers intracellulaires sont fragmentaires et, par conséquent, les implications physiologiques sont assez mal connues. On peut citer des régulations possibles par la kinase C et des protéines G (2). Structure des canaux L et T Bien que l’objectif de cet article ne soit pas de détailler la structure et les relations structure-fonction des canaux calciques (5), on ne saurait occulter les avancées importantes de ces dernières années. Les concepts nés des investigations électrophysiologiques ont en effet été étayés par les avancées plus récentes de deux autres disciplines : la biochimie structurale et la biologie moléculaire. Dès les années 80, la nature multiprotéique du canal calcique de type L était établie grâce à l’utilisation de ligands spécifiques tels que les DHPs. On a pu ainsi déterminer la structure des canaux L constitués de quatre sous-unités (α1, α2-δ, β et γ). La composante centrale est la sous-unité α 1 transmembranaire (figure 5). Elle forme le pore et possède les sites récepteurs aux antagonistes calciques. Elle est nécessaire et suffisante pour permettre l’influx ionique. Cependant, son activité est amplifiée par la coexpression des autres sous-unités. En particulier, la sousunité β cytosoluble est considérée comme un régulateur endogène de l’activité canalaire. La protéine α1C cardiaque est homologue à 95 % à l’isoforme α1C vasculaire. Les petites différences entre ces deux isoformes résultent d’une régulation génique importante : l’épissage différentiel. Il apparaît dans la structure du gène codant pour l’isoforme α1C plusieurs régions (six au total) pour lesquelles il existe différentes séquences possibles pouvant s’interchanger et générer ainsi des variants d’α1C. Ces protéines variantes présentent donc une différence pour de très petites régions (dix à trente acides aminés). Il est intéressant de noter que le variant vasculaire d’α1C (région IVS3) est présent dans Figure 5. Arrangement moléculaire des canaux L et T. le tissu cardiaque embryonnaire. Les différentes isoformes d’α1C peuvent avoir des pharmacologies différentes. On a longtemps soupçonné que les propriétés assez différentes des canaux T et des canaux L sont sous-tendues par des structures différentes. Le clonage, très attendu depuis plusieurs années, des canaux T confirme ce fait. Deux isoformes, α1G et α1H, viennent d’être clonées dans le cerveau et le cœur (7, 8, 15). Par ailleurs, aucune sous-unité β classique ne semble associée à la sous-unité principale (figure 5). Les études structure-fonction ont permis de cartographier les principales propriétés des canaux L (figure 6). Les régions d’α1C impliquées dans l’activation, l’inactivation, le pore et les sites de fixation aux trois grandes classes d’antagonistes calciques sont localisées. À noter que le site de liaison aux benzothiazépines (ex. : diltiazem) se superpose en partie avec le site aux DHPs puisqu’il est retrouvé en IVS6 (5). Le site aux phénylalkylamines (ex. : vérapamil) est retrouvé sur une région intracellulaire d’α1C, proche de l’embouchure du pore (prolongement du segment S6). Ces données indiquent que ces molécules bloquent le canal par son extrémité intracellu- Domaines Sites DHP Site BTZ Sélectivité Site Figure 6. Cartographie molé culaire des principaux sites fonctionnels des canaux L (α1C) (3). La zone d’interac tion avec la sous-unité β est montrée ainsi que le site de régulation par la A kinase anchoring protein impliquée dans la phosphorylation protéine kinase A dépendante du canal. Partie sensible au voltage Sites de phosphorylation DHP : d i hydropyridine. PAA : phénylalkylamine. BTZ : benzothiazépine. 168 La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 laire. Une autre conclusion importante de ces études est que les sites de fixation spécifique – à haute affinité – pour les trois grandes familles d’antagonistes calciques sont tous situés à proximité du pore du canal. Il devient aujourd’hui possible d’optimiser le développement chimique de ces molécules en confrontant leur structure à l’environnement moléculaire du récepteur que constitue le pore du canal de type L. Des études similaires sur les canaux T sont maintenant rendues possibles à partir des clones, ce qui devrait permettre l’essor de la pharmacologie des canaux T et peut-être de mieux cerner leur(s) rôle(s) fonctionnel(s). En résumé. Les courants calciques T et L ont des proprié tés électrophysiologiques, structurales et de régulation très différentes. Ces propriétés permettent de les distin guer facilement et suggèrent des rôles physiologiques dif férents. Le canal L semble beaucoup plus sensible aux voies de régulation métaboliques. RÔLE DES CANAUX L ET T DANS LA PATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE Canaux L Peu de données montrent des effets précis de la pathologie sur l’expression ou les propriétés fonctionnelles élémentaires des canaux calciques de type L. On notera que les effets de l’hypertrophie (au stade compensé) varient globalement entre aucun changement et une augmentation de la densité des canaux (3). En revanche, au cours de l’insuffisance cardiaque sévère, la densité des canaux L semble abaissée significativement (3). L’utilisation de médicaments qui régulent négativement l’activité des canaux L, et qui conduisent donc à des effets inotropes négatifs, vise à minimiser la surcharge calcique intracellulaire et la consommation énergétique du myocarde pour préserver sa survie. Les données concernant une altération des voies de modulation des canaux L au cours de l’insuffisance cardiaque sévère sont beaucoup plus précises. Par exemple, il est clairement établi que la stimulation de l’activité des canaux L par les catécholamines est altérée, en partie suite à une diminution de la densité des récepteurs bêta-adrénergiques membranaires. La modulation de l’activité des canaux par la fréquence de stimulation – impliquée dans la relation force-fréquence – est aussi largement altérée (3, 13). Il semble que cette modification fonctionnelle aille aussi dans le sens de minimiser la demande énergétique, le myocarde déterminant un fonctionnement en mode économique et non en mode performant. Au niveau vasculaire, il y a peu de données – par ailleurs contradictoires – concernant une augmentation de la densité des canaux L au cours de l’hypertension artérielle. Canaux T Des données expérimentales à partir de plusieurs modèles animaux suggèrent que l’expression des canaux type T est associée à la période de croissance (rôle trophique ?) lors du déveLa Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 loppement de processus hypertrophiques (3). L’endothéline, puissant vasoconstricteur qui induit une hypertrophie cardiaque, augmente la synthèse d’ADN et de protéines et pourrait élever la densité des canaux T dans les myocytes ventriculaires de rat néonatal en culture. Une expression accrue des canaux calciques de type T a aussi été décrite dans les myocytes de l’oreillette de rat adulte dans le cas de tumeurs atriales favorisant la sécrétion de l’hormone de croissance. Une augmentation de la densité des canaux T ainsi qu’une modification des cinétiques d’activation et d’inactivation ont aussi été observées dans le myocarde de hamsters atteints de cardiomyopathie congénitale, ce qui pourrait contribuer à la surcharge calcique à l’origine d’arythmies dans cette forme de cardiomyopathie génétique. Mais, dans tous les cas, les mécanismes qui régulent l’expression de ce canal restent inconnus. À noter qu’aucun canal de type T n’a pu être mis en évidence sur des myocytes humains isolés à partir de ventricules en insuffisance sévère (cœurs ischémiques ou dilatés). Le canal T semble jouer un rôle important en relation avec l’activité proliférative et l’activité synthétique des myocytes vasculaires. Étant donné la présence de type T dans les cellules prolifératives, les inhibiteurs des canaux T pourraient réduire la prolifération anormale des cellules musculaires lisses observées lors d’une lésion vasculaire (16). En résumé. La densité et les voies majeures de régulation des canaux L sont altérées au cours de l’insuffisance car diaque. L’expression ou la réexpression des canaux T est souvent associée à un remodelage des cellules cardiaques et vasculaires. On peut citer les phénomènes hypertro phiques et la prolifération des cellules vasculaires qui impliquent l’acquisition de phénotypes cellulaires proches de ceux des stades précoces du développement. PHARMACOLOGIE COMPARÉE DES CANAUX L ET T Des cibles pharmacologiques incontournables Qu’elles impliquent une dysrégulation des canaux calciques (expression, régulation) ou non, les pathologies cardiovasculaires sont souvent associées à une élévation de la concentration du Ca2+ intracellulaire (ischémie, hypertension, insuffisance cardiaque). Les canaux calciques constituent donc une Tableau VI. Principaux agents modulateurs utilisés en thérapeutique. Agents thérapeutiques Visée Type T Type L Ouvreurs de canaux potassiques vasculaire ? inhibition Bêtabloqueurs cardiaque pas d’effet inhibition Bêta-agonistes cardiaque pas d’effet augmentation Antagonistes calciques vasculaire et cardiaque inhibition selon agent inhibition 169 D O S S I E R cible pharmacologique d’intérêt pour le thérapeute. Ils possèdent, en effet, des propriétés remarquables pour le pharmacologue (tableau VI). Ces propriétés incluent la régulation par de nombreux neurotransmetteurs et hormones, constituant autant de voies pharmacologiques possibles, et la présence de nombreux sites spécifiques (sur le canal lui-même) qui, lorsqu’ils sont occupés, peuvent rendre le canal non activable par le voltage (ex. : antagonistes calciques). Ils sont également la cible indirecte de molécules ayant pour effet premier d’ouvrir des canaux potassiques, et donc d’hyperpolariser la membrane pour induire leur fermeture. Jusqu’à maintenant, les canaux L étaient les cibles thérapeutiques privilégiées. Modulation indirecte des canaux L via l’AMPc Tous les agents pharmacologiques ciblant la phosphorylation AMPc-dépendante du canal L ont des effets inotropes. Ces agents peuvent interférer avec cette voie à plusieurs niveaux. On distingue ainsi : – les agonistes/antagonistes du récepteur bêta-adrénergique qui agissent à l’entrée du système. Les bêtabloqueurs sont les plus utilisés en thérapeutique, notamment pour traiter l’insuffisance cardiaque ; – d’autres transmetteurs ou hormones qui empruntent cette voie ; – les inhibiteurs de phosphodiestérase, qui empêchent la dégradation de l’AMPc ; – les inhibiteurs des phosphatases, qui empêchent la déphosphorylation du canal. Il est intéressant de noter que l’acétylcholine, qui inhibe le courant calcique uniquement lorsque celui-ci a été augmenté au préalable par les bêta-agonistes, peut être considéré comme un antagoniste naturel de la stimulation sympathique au niveau cardiaque. L’acétylcholine active les récepteurs muscariniques (M2) couplés à la sousunité inhibitrice de la protéine G (Gi) : il en résulte une diminution de l’activité de l’adénylate cyclase. Modulation dire c te des canaux L par les antago n i s tes calciques Principales classes. Les inhibiteurs calciques ont un rôle bien établi dans le traitement d’une large gamme de pathologies cardiovasculaires allant de l’angine de poitrine à l’athérosclérose et à l’hypertension. Outre leur effet vasodilatateur et inotrope négatif cardiaque, ils ralentissent le rythme sinusal Tableau VII. Principales classes d’antagonistes calciques, leur spécificité et leur mode d’action. Antagonistes calciques Type T Type L Action sur le type L Dihydropyridines + +++ voltagedépendante Phénylalkylamines + ++ fréquencedépendante ++ fréquencedépendante ++ voltageet fréquencedépendante (neuronal) Benzothiazépines + (neuronal) Mibéfradil 170 +++ et la conduction atrioventriculaire. Les inhibiteurs calciques incluent des classes chimiques hétérogènes et se fixent sur des sites récepteurs distincts (tableau VII). Les groupes principaux sont les DHPs, les benzothiazépines (BTZ), les phénylalkylamines (PAA), dont les principaux chefs de file sont respectivement la nifédipine, le diltiazem et le vérapamil. Ces agents, dont on n’a pu jusqu’à ce jour mettre en évidence d’équivalents endogènes, sont tous des ligands synthétiques qui agissent en empêchant l’ouverture des canaux. Ils ont, au niveau moléculaire, des modes d’action différents (tableau VII). Notion de sélectivité tissulaire. Il existe une sélectivité tissulaire – entre cœur et vaisseaux – des inhibiteurs calciques. Cette sélectivité trouve son fondement dans la manière dont le potentiel de membrane de repos cellulaire contrôle l’affinité des molécules pour leur site récepteur. Par exemple, le diltiazem et le vérapamil peuvent inhiber la conduction atrioventriculaire et être utilisés plus spécifiquement dans le traitement des tachycardies supra-ventriculaires. Les DHPs ont un profil nettement vasculaire. Les PAA et, à un degré moindre, les BTZ, qui ont un tropisme cardiaque et vasculaire relativement équilibré, ont un effet inhibiteur très dépendant de la fréquence d’activation du canal calcique, ce qui détermine leur profil cardiaque. Ceci est certainement favorisé par une meilleure affinité de la molécule pour le canal lorsque celui-ci est en conformation “état ouvert” (O). Par contraste, les DHPs ont une meilleure affinité pour l’état “inactivé” (I) favorisé par la dépolarisation membranaire. Il s’ensuit que l’effet des DHPs est très “voltage-dépendant” (figure 7). Figure 7. Effet voltage-dépendant de l’isradipine (0,1 µM) sur le courant transitant via les canaux calciques d’un myocyte coro naire humain. Noter l’inhibition beaucoup plus dépendante aux potentiels diastoliques plus dépolarisés. En d’autres termes, les DHPs ont un effet beaucoup plus puissant sur des tissus dépolarisés, où la probabilité de trouver le canal à l’état inactivé est beaucoup plus forte, que dans un tissu polarisé (où l’état fermé prédomine). Les DHPs piègent le canal à l’état inactivé et empêchent son ouverture ultérieure. On comprend ainsi leur effet vasodilatateur, plus puissant que celui des deux autres classes, sur les muscles vasculaires, beaucoup moins polarisés que le muscle cardiaque. Les DHPs sont capables de relaxer les muscles lisses vasculaires à des La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 concentrations qui n’ont que peu d’effet sur le cœur. Par ailleurs, il est aussi possible que, bien que les canaux calciques de type L cardiaque et vasculaire soient très semblables, des différences dans la nature et la stochiométrie de sous-unités annexes (comme la sous-unité β) régulatrices de l’activité basale du pore (sous-unité α1) contribuent aussi à la sélectivité tissulaire. Cette forte sélectivité des DHPs pour le muscle lisse vasculaire est un élément essentiel dans le traitement des pathologies cardiovasculaires. Des molécules caméléons : un intérêt potentiel ? Il est intéressant que de noter certaines DHPs ont des effets moléculaires caméléons : elles ont des effets agonistes et antagonistes. Ces effets mixtes trouvent leur origine au niveau des stéréo-isomères optiques de la molécule. Par exemple, le (-) Bay K 8644 est un agoniste pur. À l’ inverse, le (+)-Bay K 8644 est un antagoniste pur. Cependant, le niveau du potentiel de membrane de la cellule est un facteur qui peut déterminer le sens de l’effet. Les agonistes ne sont pas utilisables en thérapeutique, puisque l’effet inotrope positif cardiaque serait associé à un effet vasoconstricteur. Pourtant, la synthèse de molécules présentant une activité agoniste sur des cellules polarisées (de type cardiaque) et une activité antagoniste sur des cellules dépolarisées (de type vaisseau) pourrait présenter un certain intérêt. Mibéfradil : le premier antagoniste sélectif des canaux T. Les antagonistes des canaux utilisés en thérapeutique cardiovasculaire sont des inhibiteurs des canaux L. Ils peuvent avoir une action sur le canal T mais pour des concentrations plus élevées, suggérant des effets classés – a priori – comme non spécifiques. Cependant, un inhibiteur sélectif (17, 18) (seulement dans le contexte cardiovasculaire) a été développé. Il s’agit du mibéfradil, qui présente des propriétés antihypertensives et antiangineuses. Sur le plan moléculaire, le point nouveau qui mérite d’être mis en exergue concerne la présence d’un site pharmacologique spécifique à haute affinité pour cette molécule “anticalcique” sur le canal T. Ce site est également présent sur les canaux L, mais l’affinité de la molécule est nettement moins bonne (figure 8). Il est évident que la compréhension des bases moléculaires qui sous-tendent l’inversion de la sélectivité L classique versus T (commune à tous les autres antagonistes calciques), dans le cas du mibéfradil, présente un intérêt essentiel pour la compréhension de la structure et de la pharmacologie des canaux calciques. Par ailleurs, les effets très particuliers du mibéfradil sur les canaux L ajoutent à l’originalité de cette molécule. L’effet inhibiteur sur le courant L est à la fois fortement voltagedépendant (comme une DHP) et fréquence-dépendant (comme une PAA) (19). Ce profil original pourrait aussi, en sus des effets sélectifs du canal T, avoir un grand intérêt pour la mise en place de stratégies thérapeutiques à visée cardiovasculaire. En particulier, la voltage-dépendance de l’action du mibéfradil sur le type L pourrait expliquer en partie l’effet vasorelaxant, l’absence d’effet inotrope négatif et la bradycardie qui sont caractéristiques de cette molécule. À ce niveau, la part respective des effets T et des effets L reste à déterminer précisément. La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998 Figure 8. Courbes dose-réponse de l’inhibition des courants L et T réalisées sur 7 cellules de cœur de rat néonatal à partir de concen trations croissantes de mibéfradil (fréquence de stimulation de 0,1Hz et potentiel de repos de -100 mV). En résumé. Les canaux calciques sont des cibles pharma cologiques privilégiées pour toute dysrégulation impli quant l’homéostasie calcique, en particulier au niveau vasculaire. Jusqu'à maintenant, les stratégies thérapeu tiques privilégiaient le canal L. Les données récentes concernant la structure, la présence d’un site pharmaco logique à haute affinité et une implication possible dans la pathologie cardiovasculaire positionnent le canal T comme une cible pharmacologique potentielle. PERSPECTIVES Les avancées récentes des connaissances dans le domaine des canaux calciques T et L garantissent une évolution intéressante des approches qui tendent à comprendre la pathophysiologie cardiovasculaire et à optimiser les stratégies thérapeutiques de normalisation des dysrégulations du calcium intracellulaire. Le clonage du canal T de type T, qui vient de lever le voile sur son identité moléculaire, va permettre, en sus des études structure-fonction importantes pour la pharmacologie, de développer des outils moléculaires précieux (ex. : anticorps spécifiques). Les avancées parallèles des connaissances des nombreux mécanismes de régulation intrinsèques (par les sous-unités auxiliaires) et extrinsèques (par les cascades métaboliques) devraient aussi enrichir la panoplie des agents pharmacologiquement actifs sur les canaux L. La découverte de différences subtiles, tissu-dépendantes, en particulier sur les cellules humaines, constituera une source d’informations importantes pour des applications pharmacologiques plus ciblées. 171 D R O S É F É R E N C E S S I E R B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Hille B. Ionic channels of excitable membranes (second edition). 1992 ; Sinauer Associates Inc. Publishers Sunderland, Massachusetts. 2. Vassort G., Alvarez J. Cardiac T-type calcium current : pharmacology and roles in cardiac tissues. J Cardiovasc Electrophysiol 1994 ; 5 : 376-93. 3. Richard S., Leclercq F., Lemaire S., Piot C., Nargeot J. Ca currents in com pensated hypertrophy and heart failure. Cardiovasc Res 1998 ; 37 : 300-10. 4. Katz A.M. Calcium channel diversity in the cardiovascular system. J Am Coll Cardiol 1996 ; 28 : 522-9. 5. Nargeot J., Charnet P. Diversité moléculaire des canaux calciques : du gène à la fonction. Médecine/Science 1994 ; 10 : 1293-308. 6. Nargeot J., Lory P., Richard S. Molecular basis of the diversity of calcium channels in cardiovascular tissues. Eur Heart J 1997 ; 18 (suppl. A) : A15-A26. 7. Perez-Reyes E., Cribbs L.L., Daud A., Lacerda A., Barclay J., Williamson M.P., Fox M., Rees M., Lee J.H. Molecular characterization of a neuronal low voltagegated calcium channel. Nature 1998 ; 391 : 486-91. 8. Cribbs L.L., Lee J.H., Yang J., Satin J., Daud A., Williamson M.P., Fox M., Rees M., Perez-Reyes E. Cloning and characterization of α1H from human heart, a member of the T-type calcium channel gene family. Circ Res 1998 ; 83 : 103-9. 9. McDonald T.F., Pelzer W., Trautwein W., Pelzer D. Regulation and modulation of calcium channels in cardiac, skeletal, and smooth muscle cells. 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L’actuel propriétaire s’est considérablement démené pour que, le jour du centenaire de son arrivée à l’hôtel, une statue de bronze représentative soit inaugurée, sur la pelouse bordant le bâtiment, les yeux fixés sur les fenêtres du petit salon d’encoignure et de la chambre qu’occupait l’impératrice. L’intérêt historique de tout cela est très relatif, mais c’est ainsi. Les personnes illustres rapportent toujours des sous. Les hôtels et restaurants retiennent volontiers comme argument réputatif, commercialement porteur, la fréquentation anecdotique d’un personnage marquant. 12. Richard S., Nargeot J. T-type calcium currents of vascular smooth muscle cells : a role in cellular proliferation. In : Low-voltage-actived T-type calcium channels. Proceedings from the International Electrophysiology Meeting. Montpellier, 21-22 october 1996 (Editors Tsien, Clozel, Nargeot) 1998. 13. Piot C., Lemaire S., Albat B., Seguin J., Nargeot J., Richard S. High fre quency-induced upregulation of human cardiac calcium currents. Circulation 1996 ; 93 :120-8. 14. Kirstein M., Rivet-Bastide M., Hatem S., Benardeau A., Mercadier J.J., Fischmeister R. Nitric oxide regulates the calcium current in isolated human atrial myocytes. J Clin Invest 1995 ; 95 : 794-802. 15. Tsien R.W. Key clockwork component cloned. Nature 1998 ; 391 : 839-41. 16. Schmitt R., Clozel J.P., Iberg N., Bülher F.R. Mibefradil prevents neointima formation after vascular injury in rats : possible role of the blockade of the T-type voltage-operated calcium channel. Arterioscler Thromb Vasc Biol 1995 ; 15 (8) : 1161-5. 17. Mishra S.K., Hermsmeyer K. Selective inhibition of T-type Ca channel by Ro 40-5967.Circ Res 1994 ; 75 : 144-8. 18. Ertel E.A. Mibefradil (Ro 40-5967) is a selective blocker of myocardial T-type vs L-type Ca channels. Biophys J 1996 ; 70 : A315. 19. Mangoni M., Leuranguer V., Bourinet E., Nargeot J., Richard S. Block of Ca channel by the new Ca antagonist Ro 40-5967. Consequence on heart rate and cardiac output. Biophys J 1997 ; 72 : A256. Remerciements. Nous remercions l’Association française contre les Myopathies, la Fondation de France (contrat 97003982 à SR) et la Fondation pour la Recherche médicale Languedoc-Roussillon (SR) pour le soutien financier apporté à nos recherches. Par conséquent, je tiens absolument à préciser, pour la postérité, que j’ai personnellement moi-même fait halte sous les marbres, les stucs et les ors de l’hôtel Beau-Rivage. Je conserverai longtemps en mémoire ce midi d’août, sur la terrasse habilement ombrée, afin que les rayons du soleil genevois n’altèrent pas ce teint nacré qui constitue ma carnation naturelle. Le menu était d’une simplicité élégante, gaspacho de tomates au homard, filets de perchette en duxelle, pois gourmands et haricots, sorbet vanille accompagné d’une tuile aux amandes arachnéenne. Un vin rouge vaudois léger et frais nous laissa la tête libre pour d’actives activités post-prandiales. Les choix de Sissi étaient les bons. Cependant, les parrainages historiques sont à aborder avec méfiance. Qu’importe que Napoléon ait dormi dans tel lit, si le meuble est aujourd’hui le siège d’une colonie de puces. J’ai souvenance d’un repas pris dans une auberge proche de Mauléon, où le restaurateur s’enorgueillissait du passage de René Coty. Le malheureux avait probablement été traîné là, en guet-apens, par des élus locaux et le bureau du comice agricole, dont probablement le mastroquet était le pourvoyeur habituel. Toujours est-il que j’ai demandé l’addition avant la fin du repas, contristé par la médiocrité masquée sous les auspices du dernier président de la Quatrième République. Tenterai-je un parallèle entre son épouse et celle de François-Joseph ? Toutes deux, soucieuses de simplicité, furent bousculées par le protocole et les voyages officiels. Germaine Coty, lorsqu’on vint lui annoncer la cooptation de son mari à la magistrature suprême, s’occupait à la confection d’une tarte aux pommes. Une photo d’agence de presse l’immortalise, ses larges hanches ceintes d’un tablier poudreux de farine. Les tâches ménagères ont leur noblesse. Si l’on s’y investissait davantage, on aurait moins la tête aux bêtises. Alex Corton, gastrologue de garde Hôtel Beau-Rivage, 13, quai du Mont-Blanc, 1201 Genève, Suisse Tél. : (00) 41 22 716 66 66 ANNONCEURS : Éditions du Vidal®, p. 184. 172 La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998