Les canons qui tuent

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Les canons qui tuent
Iguana roja
regard sur la litterature
Les canons qui tuent (en littérature)
Par Maria Chiara Gnocchi
Au cours de la dernière décennie, les discussions ont été vives, dans les milieux intellectuels, à
propos de ce qu’on appelle le canon littéraire. Ce terme, emprunté à la théologie (où il désigne
l’ensemble des textes que l’Église reconnaît comme authentiquement inspirés par la divinité)
indique, dans le domaine de la littérature, l’ensemble des œuvres considérées comme
fondamentales en fonction de leurs qualités littéraires dans une société donnée, à un moment
1
donné de l’histoire et dans un lieu géographique donné . Le débat a été notamment enflammé par
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la publication, en 1994, du Western Canon de Harold Bloom : son essai équivaut à une exaltation
explicite de la littérature occidentale, l’auteur ayant sciemment exclu du canon les œuvres nées en
dehors du double espace Europe-États-Unis (une petite exception est faite, très ponctuelle, pour
les écrits de Jorge Luis Borges et de Pablo Neruda). Face à une prise de position idéologique
aussi nette et, faut-il le dire, aussi stricte, de nombreux intellectuels ont réagi en proposant des
canons alternatifs qui incluent, en revanche, plusieurs œuvres non occidentales, signées par
exemple – mais pas seulement – par des auteurs nés dans les anciennes colonies du Vieux Monde
(ceux qu’on appelle les écrivains postcoloniaux).
Les livres « canoniques » ne sont pas des livres que l’on peut lire, mais des livres qu’« il faut
absolument avoir lus » ; des livres qui ont gagné, aux yeux des responsables de la canonisation, la
lutte pour la survie dans la jungle littéraire. C’est pourquoi ils méritent de se détacher, nunc et
semper, de la masse informe des milliards de livres ayant tout simplement existé, liés à une
situation historique (géographique, idéologique, esthétique, etc.) donnée. Il en découle que la
formulation de canons véritablement alternatifs ne se fait pas sans difficultés, pour la simple
raison que les auteurs non occidentaux que l’on (re)connaît en Europe ne sont pas très
nombreux, du moins par rapport à leurs confrères occidentaux. Or, comment considérer comme
fondamentaux des textes peu diffusés et faiblement promus, que l’on découvre souvent par simple
curiosité, en dehors des canaux institutionnels ?
Ceci dit, il ne faut pas croire que les livres non occidentaux n’existent pas en Europe. En
France, suite essentiellement aux processus d’indépendance des pays autrefois colonisés et à
l’émergence des littératures produites dans ces territoires, les publications d’œuvres extra 1
Cf. S. ALBERTAZZI, « Canone », in S. ALBERTAZZI e R. VECCHI, Abbecedario postcoloniale. Dieci voci per un lessico della
postcolonialità, Macerata, Quodlibet, « Troposfere », 2001, p. 21-31.
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H. BLOOM, The Western Canon, New York, Harcourt and Co., 1994.
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hexagonales se sont multipliées, même chez les éditeurs les plus célèbres et les plus « légitimes ».
En tant qu’Italienne je peux témoigner du fait que, dans mon pays aussi, dès les années 1960
surtout, de nombreuses portes ont été ouvertes, dans les maisons d’édition et dans les universités,
à ces littératures ex-centriques. Ne considérant que le monde francophone, on compte
aujourd’hui une quarantaine de traductions italiennes d’œuvres caribéennes, une quinzaine de
traductions d’œuvres québécoises, une soixantaine de traductions d’œuvres africaines
subsahariennes, alors que les traductions d’œuvres maghrébines dépassent la centaine. Il y a
quelques années, les universitaires qualifiaient ces littératures d’« émergentes ». Par la suite, ayant
constaté le volume et l’importance de ces productions, ainsi que des études critiques qu’elles ont
suscitées, ils ont progressivement délaissé cet épithète : il paraissait que le processus était
complété, et que ces littératures ne nécessitaient plus un statut d’émergence.
Je connais assez bien les milieux universitaires et les discours qui s’y tiennent mais,
heureusement, j’ai aussi une vie en dehors de cet espace. Et en dehors de cet espace je lis, je
regarde, je vois des choses. M’occupant en priorité des littératures francophones, et plus
généralement des littératures « périphériques », je ne peux que constater qu’en ce qui concerne les
productions des « nouveaux mondes », l’idée d’un processus d’émergence et d’affirmation
complété et reconnu ne correspond pas du tout à la réalité, du moins en dehors des universités.
On le sait bien : pour qu’un auteur, une œuvre, une littérature existent, il ne suffit pas qu’un nom
ou une série de noms figure(nt) sur le dos d’un ou d’une série de livres. L’existence d’une
littérature présuppose la conquête d’une légitimité et donc d’une reconnaissance, nécessaire pour
la diffusion et pour la réception. On peut considérer les programmes et les textes scolaires, la
recherche universitaire, les maisons d’édition, les périodiques, les Foires du livre, les émissions
télévisées ou radiophoniques, les Académies etc. comme autant d’instances de légitimation qui
déterminent la vie (ou la mort) des œuvres et des littératures. Ces instances opèrent chaque jour
dans nos sociétés, et touchent directement nos vies de lecteurs, puisqu’elles établissent ce que
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l’on peut lire et, éventuellement, lorsqu’elles s’adonnent à la formulation d’un canon, ce qu’il faut
lire.
Des spécialistes sont responsables de la canonisation des œuvres, mais les conséquences de
leurs délibérations s’étendent à tout le public des lecteurs ; après tout, le canon n’est vraiment
normatif que lorsqu’il trouve une application. La fin du siècle que nous avons vécue il y a
quelques années a donné à plus d’une institution l’envie d’établir une sorte de canon du siècle, et de
3
La liberté du lecteur n’est, en effet, que fort limitée. Tout d’abord, cela va de soi, il faut qu’un comité de lecture au
sein d’une maison d’édition donne son consensus pour la publication d’un texte, sans quoi l’auteur ne verra jamais
son écrit prendre la forme d’un livre. Mais il faut aussi noter que, sans une quelconque forme de promotion (dans les
revues, à la radio ou ailleurs), les lecteurs sont difficiles à atteindre, submergés par la grande quantité d’imprimés
disponibles de nos jours.
2
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le rendre public. Je voudrais présenter ici deux tentatives de ce genre, une française et une
italienne, datant respectivement de 1999 et de 2002.
En 1999, les célèbres magasins Fnac ont proposé un jeu-sondage à leurs clients, intitulé Les
cent du siècle, également diffusé par le quotidien Le Monde. Il s’agissait de choisir, à partir d’une liste
de 200 œuvres, « les 100 livres pour le siècle », c’est-à-dire les meilleurs textes ayant paru dans le
siècle qui se terminait. La tentative de canonisation me semble ici assez évidente, d’autant plus
que le jeu consistait à élire non les œuvres que le lecteur individuel considérait, lui, comme
fondamentales, mais les œuvres dont il pensait qu’elles seraient choisies par la majorité des autres
participants au jeu. Autrement dit, il ne s’agissait pas d’exprimer une préférence, mais de
confirmer un panthéon reconnu, suivant les routes les mieux tracées et les plus parcourues. Seule
la « moyenne » devait être primée et l’originalité, en revanche, pénalisée. Or, sur quelles valeurs
les lecteurs pouvaient-ils être sûrs de se trouver d’accord, sinon sur celles qui leur avaient été
indiquées par les instances de légitimation les plus autoritaires, au niveau national ?
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Jetons un coup d’œil à la liste donnée au départ :
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Adorno Theodor
Alain-Fournier
Antelme Robert
Apollinaire Guillaume
Aragon
Arendt Hannah
Ariès Philippe
Artaud Antonin
Asimov Isaac
Bâ Hampate Amadou
Barthes Roland
Bataille Georges
Beauvoir Simone de
Beckett Samuel
Benveniste Émile
Bernanos Georges
Bernhard Thomas
Bilal/Christin
Blanchot Maurice
Böll Heinrich
Borges Jorge Luis
Boulgakov Mikhaïl
Bourdieu Pierre
Bradbury Ray
Brecht Bertolt
Breton André
Broch Hermann
Burroughs William
Butor Michel
Buzzati Dino
Dialectique de la raison
Le Grand Meaulnes
L ‘Espèce humaine
Alcools
Aurélien
Les Origines du totalitarisme
L’Homme devant la mort
Le Théâtre et son double
Fondation
L’enfant peul
Le Degré zéro de I’écriture
Le Bleu du ciel
Le Deuxième Sexe
En attendant Godot
Problèmes de linguistique générale
Sous le soleil de Satan
Le Neveu de Wittgenstein
Partie de chasse
Thomas l’obscur
L’Honneur perdu de Katarina Blum
Fictions
Le Maître et Marguerite
Les Héritiers
Chroniques martiennes
Arturo VI
Nadja
Les Somnambules
Le Festin nu
La Modification
Le Désert des Tartares
Essais
Littérature
Essais
Littérature
Littérature
Essais
Essais
Littérature
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Littérature
Essais
Littérature
Essais
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Essais
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Littérature
Littérature
Littérature
Littérature
Essais
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France
France
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Russie/États-Unis
Mali
France
France
France
France/Irlande
France
France
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France (Bilal Yougoslavie)
France
Allemagne
Argentine
Russie
France
États-Unis
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France
Autriche
États-Unis
France
Italie
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J’ai moi-même ajouté la colonne des pays de provenance, en vue des réflexions que j’entends avancer ensuite. Si j’ai
commis des fautes, prière de me le communiquer : <[email protected]>.
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Calvino Italo
Calvo Bernard
Camus Albert
Canguilhem Georges
Capote Truman
Carpentier Alejo
Cassirer Ernst
Céline Louis-Ferdinand
Cendrars Blaise
Césaire Aime
Chandler Raymond
Char René
Chase James Had\ey
Christie Agatha
Claudel Paul
Cohen Albert
Colette
Doyle Conan
Conrad Joseph
Cortazar Julio
Debord Guy
Deleuze Gilles
Derrida Jacques
Dick Philip K.
Döblin Alfred Berlin
Doderer Heimito von
Dos Passos John
Duby Georges
Dumezil Georges
Duras Marguerite
Durrell Lawrence
Eco Umberto
Elias Norbert
Eluard Paul
Fanon Frantz
Faulkner William
Fitzgerald Francis Scott
Foucault Michel
Frank Anne
Franquin
Freud Sigmund
Freyre Gilberto
Galbraith John Kenneth
Garcia Lorca Federico
Garcia Marquez Gabriel
Genet Jean
Gide André
Giono Jean
Gombrich Ernst
Gombrowicz Witold
Gracq Julien
Grossman Vassili
Guimares Rosa
Guyotat Pierre
Hammett Dashiell
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Harrison Jim
Hayek Friedrich von
Heidegger Martin
Hemingway Ernest
Herbert George
Hergé
Husserl Edmund
Le Baron perché
La bête est morte
L’Étranger
Le Normal et le Pathologique
De sang-froid
Le Siècle des Lumières
La Philosophie des Lumières
Voyage au bout de la nuit
Moravagine
Cahier d’un retour au pays natal
Le Grand Sommeil
Fureur et mystère
Pas d’orchidées pour Miss Blandish
Le Meurtre de Roger Ackroyd
Le Soulier de satin
Belle du seigneur
Sido
Le Chien des Baskerville
Lord Jim
Marelle
La Société du spectacle
L’Anti-Œdipe
L’Écriture et la Différence
Ubik
Alexanderplatz
Les Démons
Manhattan Transfer
Le Dimanche de Bouvines
Mythe et épopée
Le Ravissement de Lol V. Stein
Le Quatuor d’Alexandrie
Le Nom de la rose
La Civilisation des mœurs
Capitale de la douleur
Les Damnés de la terre
Le Bruit et la Fureur
Gatsby le magnifique
Les Mots et les Choses
Journal
Gaston
Trois Essais sur la théorie de la sexualité
Maîtres et esclaves
Le Nouvel État industriel
Romancero gitano
Cent ans de solitude
Notre-Dame-des-Fleurs
Les Faux-Monnayeurs
Le Hussard sur le toit
Histoire de l’art
Ferdydurke
Le Rivage des Syrtes
Vie et destin
Joao Diadorim
Tombeau pour 500000 soldats
La Moisson rouge
Dalva
Prix et production
Être et temps
Pour qui sonne le glas
Dune
Tintin (Le Lotus bleu)
La Crise des sciences européennes
Littérature
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Angleterre/Pologne
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Huxley Aldous
Inoue Yasushi
Ionesco Eugène
Jacobs E.
Jakobson Roman
James Henry
Jankelevitch Vladimir
Joyce James
Jung CarI Gustav
Jünger Ernst
Kadare Ismail
Kafka Franz
Kawabata Yasunari
Kazantzakis Nikos
Kerouac Jack
Keynes John Maynard
Kundera Milan
Lacan Jacques
Lagerlöf Selma
Lao She
Lawrence D. H.
Le Clézio J.M.G.
Le Goff Jacques
Leduc Violette
Leiris Michel
Leroi-Gourhan André
Levi Primo
Levi-Strauss Claude
Levinas Emmanuel
Lezama-Lima Jose
London Jack Martin
Lowry Malco1rn
Malraux André
Mann Thomas
Marcuse Herbert
Mauriac François
Mauss Marcel
McCay Winsor
Mead Margaret
Michaux Henri
Michon Pierre
Miller Henry
Mishima Yukio
Mitchell Margaret
Modiano Patrick
Moravia Alberto
Morin Edgar
Morrison Toni
Musil Robert
Nabokov Vladimir
Nizan Paul
Orwell George
Panofsky Erwin s
Pavese Cesare
Paz Octavio
Péguy Charles
Perec Georges
Pessoa Fernando
Pirandello Luigi
Ponge Francis
Popper Karl
Pratt Hugo
Prévert Jacques
Proust Marcel
Queneau Raymond
Le Meilleur des mondes
Le Fusil de chasse
La Cantatrice chauve
Blake et Mortimer
Essais de linguistique générale
Ce que savait Maisie
Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien
Ulysse
Métamorphoses de l’âme et ses symboles
Sur les falaises de marbre
Le Général de l’armée morte
Le Procès
Les Belles Endormies
Alexis Zorba
Sur la route
Théorie générale
La Plaisanterie
Écrits
Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson
Quatre générations sous un même toit
L’Amant de Lady Chatterley
Le Procès Verbal
La Naissance du purgatoire
La Bâtarde
L’ Age d’homme
Le Geste et la Parole
Si c’est un homme
Tristes tropiques
Totalité et infini
Paradiso
Eden
Au-dessous du volcan
La Condition humaine
La Montagne magique
L’Homme unidimensionnel
Thérèse Desqueyroux
Manuel d’ethnographie
Little Nemo in Slumberland
Mœurs et sexualité en Océanie
Épreuves, exorcismes
Vies minuscules
La Crucifixion en rose
Confessions d’un masque
Autant en emporte le vent
La Place de l’étoile
Le Mépris
La Méthode
Beloved
L’Homme sans qualités
Lolita
Aden Arabie
1984
L’oeuvre d’art et ses significations
Le Bel Été
Labyrinthe de la solitude
Notre patrie
La Vie mode d’emploi
Le Livre de l’intranquillité
Six personnages en quête d’auteur
Le Parti pris des choses
Logique de la découverte scientifique
Corto Maltese (La Ballade de la mer salée)
Paroles
A la recherche du temps perdu
Zazie dans le métro
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Roumanie/France
Belgique
Russie/États-Unis
États-Unis
Pologne
Irlande
Suisse
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Albanie
Tchécoslovaquie/Allemagne
Japon
Grèce
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Tchécoslovaquie/France
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Suède
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Renard Jules
Ricœur Paul
Rilke Rainer Maria
Robbe-Grillet Alain
Roth Philip
Rousset David
Rushdie Salman
Sagan Françoise
Saint-John Perse
Saint-Exupery Antoine de
Salinger J. D.
Sarraute Nathalie
Sartre Jean-Paul
Saussure Ferdinand de
Simenon Georges
Simon Claude
Singer Isaac Bashevis
Soljenitsyne Alexandre
Sollers Philippe
Spiegelman
Steinbeck John
Styron William
Svevo Italo
Tanizaki Junichiro
Tardi
Tolkien J. R.
Tournier Michel
Toynbee Arnold J.
Uderzo / Goscinny
Uhlman Fred
Unamuno Miguel de
Vargas Llosa Mario
Vercors
Vian Boris
Weber Max
Wells Herbert George
Winnicott Donald
Wittgenstein Ludwig
Woolf Virginia
Wright Richard
Yourcenar Marguerite
Zweig Stefan
Théorie de la justice
Journal
Temps et récit
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge
La Jalousie
Portnoy et son complexe
L’Univers concentrationnaire
Les Enfants de minuit
Bonjour tristesse
Amers
Le Petit Prince
L’Attrape-Cœur
Tropismes
L’Être et le Néant
Cours de linguistique générale
Pietr le Letton
L’Acacia
Ennemies
L’Archipel du Goulag
Femmes
Art Maus
Les Raisins de la colère
Le Choix de Sophie
La Conscience de Zeno
La Confession impudique
C’était la guerre des tranchées
Le Seigneur des anneaux
Vendredi ou les limbes du Pacifique
La civilisation à l’épreuve
Astérix
L’Ami retrouvé
Le Sentiment tragique de la vie
La Tante Julia et le Scribouillard
Le Silence de la mer
L’Écume des jours
L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme
La Guerre des Montes
Jeu et réalité: l’espace potentiel
Tractatus logico-philosophicus
Une chambre à soi
Black Boy
L’Œuvre au noir
La Confusion des sentiments
Essais
Littérature
Essais
Littérature
Littérature
Littérature
Essais
Littérature
Littérature
Littérature
Littérature
Littérature
Littérature
Essais
Essais
Polar
Littérature
Littérature
Littérature
Littérature
B.D.
Littérature
Littérature
Littérature
Littérature
B.D.
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Littérature
Essais
B.D.
Littérature
Essais
Littérature
Littérature
Littérature
Essais
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Essais
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France
États-Unis
France
Inde / États-Unis
France
France
France
États-Unis
France
France
Suisse
Belgique
France
Pologne
Russie
France
États-Unis
États-Unis
États-Unis
Italie
Japon
France
Angleterre
France
Angleterre
France
Allemagne
Espagne
Pérou
France
France
Allemagne
Angleterre
Angleterre
Autriche
Angleterre
États-Unis
France
Autriche
Ce qui m’intéresse ici, au-delà des genres et des dates de parution des œuvres, c’est la
provenance des écrivains candidats à la « canonisation ». Parmi les 200 auteurs cités, on compte
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78 Français – parmi lesquels quelques « migrants », comme Eugène Ionesco ou Milan Kundera –
, 31 États-Uniens, 17 Anglais, 15 Allemands, 10 Autrichiens. Aucun autre pays n’arrive à la
dizaine d’œuvres : il y a 9 Italiens, 6 Russes, seulement 2 Espagnols. En dehors de l’Europe et des
États-Unis, on remarque un certain nombre d’auteurs provenant de divers pays hispanoaméricains (Cuba, Argentine, Pérou, Colombie, Mexique), 4 Japonais (un nombre considérable),
1 Chinois. Les pays francophones non français sont très peu représentés, même lorsqu’ils
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Les « migrants » ne sont pas seulement francophones : citons par exemple Isaac Asimov, né en Russie et émigré
ensuite aux Étas-Unis ; Joseph Conrad, Polonais d’origine ayant vécu et écrit en Angleterre ; Norbert Elias,
appartenant lui aussi au double espace Pologne-Angleterre ; Ernst Gombrich, arrivé en Angleterre de l’Autriche, etc.
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appartiennent à l’espace européen . 2 écrivains martiniquais figurent dans la liste, 1 du Mali (le
seul africain, tant au nord qu’au sud du Sahara). Les auteurs suisses ne sont que 4, et l’on compte
parmi eux 2 « migrants » (Blaise Cendrars et Albert Cohen). La Belgique totalise elle aussi 4
noms : 3 auteurs de B.D. et Georges Simenon (il faut dire que les lecteurs ignorent généralement
le fait qu’il n’est pas français). Je trouve vraiment étonnant que, dans un éventail de 200 titres, pas
un seul ne soit signé par un auteur nord-africain, d’autant plus que les romanciers et les poètes
maghrébins écrivent pour la plupart en français et sont publiés en France. On ne peut même pas
dire que leurs œuvres sont trop récentes, et ne peuvent par conséquent participer à « la culture du
siècle passé », puisque des auteurs comme Driss Chraïbi et Tahar Ben Jelloun écrivent (et
beaucoup) depuis les années 1960 et 1970 respectivement, et qu’une telle justification est
contredite par la présence de nombreuses bandes dessinées dans la liste, assez récentes pour la
plupart. Étonnant aussi de ne trouver qu’Amadou Hampate Bâ comme représentant de l’Afrique,
tant francophone, qu’anglophone, que lusophone (pour se limiter aux littératures en langues
européennes). Tout le monde ne connaît peut-être pas Ben Okri, mais je doute également que
tout le monde connaisse tous les auteurs de science-fiction ou les essayistes cités…
7
Comme on pouvait s’y attendre, l’ensemble des titres élus reflète assez bien celui des titres
proposés. Cette deuxième liste me semble moins intéressante pour la simple raison que les
participants étaient invités, je l’ai dit, à suivre des schémas largement prédéterminés. Quelques
données quand même : les Français sont 44 sur 100, les États-Uniens 14, les Anglais 10, les
Italiens 6, les Allemands 5, les Belges 4, les Autrichiens 3. Si les Français sont largement
majoritaires, suivis par les États-Uniens et les Anglais (exactement comme dans la liste de départ),
on remarquera que tous les Belges proposés ont été élus, deux tiers pour les Italiens (6 sur 9) et 1
sur deux pour les Espagnols. En outre, de nombreux auteurs seuls représentants de leur pays ont
été sélectionnés : Gabriel Garcia Marquez pour la Colombie, Amadou Hampate Bâ pour le Mali,
Salman Rushdie pour l’Inde, Selma Lagerlöf pour la Suède. Les 20 auteurs classés premiers sont
tous européens ou états-uniens : il y a en effet 12 Français (plus que la moitié), 2 États-Uniens et
puis un seul représentant chacun pour l’Allemagne, la Belgique, l’Irlande, l’Italie, l’ancienne
Tchécoslovaquie, la Russie.
Il va de soi que les participants n’ont pas (du moins, pas nécessairement) fait leur sélection
ayant en vue un jeu d’équilibre entre les nations ; ils peuvent même ne jamais y avoir pensé, ni
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À remarquer : seuls les clients des magasins Fnac français pouvaient participer au jeu.
5 964 personnes ont participé au jeu. Mes remerciements à Corinne Blanc, du staff de la Fnac, qui a bien voulu me
donner quelques informations très utiles à propos du concours.
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pendant la lecture des œuvres, ni en participant au sondage. Mais, une fois les résultats en main,
je vois mal comment on pourrait éviter d’avancer certaines réflexions.
Passons à l’Italie. En janvier 2002, le célèbre quotidien La Repubblica a lancé une collection
d’ouvrages, « La biblioteca di Repubblica », à acquérir semaine par semaine, pendant toute l’année,
moyennant un supplément de prix au journal (le premier, Le nom de la rose d’Umberto Eco, était
gratuit). Dans ce cas, comme dans celui du sondage de la Fnac, la sélection des œuvres
ressemblait fort à une tentative de canonisation ; l’initiative était en effet présentée ainsi :
« Cinquante romans, cinquante chefs-d’œuvre de al narration mondiale du siècle qui vient de
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s’écouler : les paroles écrites qui ont construit notre culture » . Voici la liste des œuvres
proposées, par ordre de parution :
1. Umberto Eco, Il nome della rosa
2. Gabriel Garcia Marquez, Centanni di solitudine
3. Hermann Hesse, Siddharta
4. Italo Calvino, Se una notte d’inverno un viaggiatore
5. Ernest Hemingway, Il vecchio e il mare
6. Isabel Allende, Paula
7. Cesare Pavese, La luna e i falò
8. Michail Bulgakov, Il Maestro e Margherita
9. Primo Levi, Se questo è un uomo
10. Marcel Proust, La strada di Swann
11. Arthur Schnitzler, Doppio sogno
12. Italo Svevo, La coscienza di Zeno
13. Heinrich Boll, Opinioni di un clown
14. Jack Kerouac, Sulla strada
15. William Golding, Il signore delle mosche
16. Joseph Conrad, La linea d’ombra
17. Jorge Amado, Dona Flor e i suoi due mariti
18. Henry Miller, Tropico del cancro
19. Joseph Roth, La cripta dei cappuccini
20. Vladimir Nabokov, Lolita
21. Alberto Moravia, Gli indifferenti
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« Cinquanta romanzi, cinquanta capolavori della narrativa mondiale del secolo appena concluso: le parole scritte
che hanno costruito la nostra cultura. »
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22. Virginia Woolf, Gita al faro
23. Marguerite Duras, L’amante
24. E. M. Forster, Camera con vista
25. F. Scott Fitzgerald, Il grande Gatsby
26. Dino Buzzati, Il deserto dei Tartari
27. José Saramago, L’anno della morte di Ricardo Reis
28. Simone De Beauvoir, Una donna spezzata
29. Leonardo Sciascia, A ciascuno il suo
30. Truman Capote, Colazione da Tiffany
31. Luis Sepulveda, Diario di un killer sentimentale
32. Charles Bukowski, Post Office
33. William Faulkner, L’urlo e il furore
34. Milan Kundera, L’insostenibile leggerezza dell’essere
35. John Steinbeck, Furore
36. Luigi Pirandello, Il fu Mattia Pascal
37. Elsa Morante, La storia
38. George Orwell, La fattoria degli animali
39. Boris Pasternak, Il dottor Zivago
40. Pier Paolo Pasolini, Ragazzi di vita
41. Franz Kafka, Il processo
42. Georges Simenon, L’uomo che guardava passare i treni
43. Saul Bellow, Herzog
44. Thomas Mann, La morte a Venezia
45. Elias Canetti, La lingua salvata
46. Carlo Emilio Gadda, Quer pasticciaccio brutto de via Merulana
47. Marguerite Yourcenar, Memorie di Adriano
48. James Joyce, Dedalus
49. Robert Musil, I turbamenti del giovane Torless
50. Ian McEwan, Bambini nel tempo
On ne peut évidemment pas comparer, sans quelques réserves, cette liste à celle de la Fnac.
Non seulement un éventail plus limité (50 titres au lieu de 200, c’est-à-dire un quart) impose une
sélection beaucoup plus dure, mais il faut aussi considérer que, alors que les participants au jeu de
la Fnac pouvaient choisir parmi différents genres (le roman, l’essai, la poésie, le théâtre, la B.D., le
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policier et la science-fiction), « La biblioteca di Repubblica » ne propose que des romans. Qu’il me
soit tout de même permis d’avancer quelques commentaires à propos de cette liste, en prenant
comme point de repère les réflexions précédentes. De ces 50 ouvrages, 12 seulement sont dus à
des Italiens ; 8 à des États-Uniens ; 6 à des Anglais ; 5 à des Français ; 4 à des Allemands, à des
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Autrichiens et à des Russes ; 4 à des auteurs de l’Amérique latine (dont 3 hispanophones) . Le
seul texte belge est signé par Georges Simenon, qui était aussi le seul romancier belge proposé
parmi les « Cent du siècle » de la Fnac (les trois autres étaient tous des auteurs de B.D.). Un seul
Irlandais dans la liste, James Joyce, et un Portugais, José Saramago. En dehors des États-Unis et
de l’Amérique latine, qui profite depuis quelques années d’un bon succès de librairie et de critique
en Italie, aucun pays extra-européen n’est représenté dans « La biblioteca di Repubblica ». La
« narration mondiale du siècle qui vient de s’écouler » (je souligne) ne serait donc mondiale que par
convention, si l’on entend par « monde » le monde (littéraire) connu et reconnu, réduit aux
territoires (littéraires) les plus légitimes, déjà largement gratifiés par les succès de librairie.
J’ai évoqué, plus haut, l’écrivain marocain Driss Chraïbi. Pas moins de 9 romans de Chraïbi
ont été traduits en italien (presque la moitié des originaux en français). La moitié des récits
d’Ahmadou Kourouma est également disponible en traduction italienne. Ce qui est étonnant,
c’est que rares sont les lecteurs qui connaissent ces auteurs (et il ne s’agit, bien évidemment, que
de deux exemples dans un vaste ensemble). Le fait est que, je le répète, tant que les instances de
consécration ayant une influence réelle sur la population n’interviennent pas, certes les livres
existent dans les librairies (et encore…), mais les auteurs et les œuvres, eux, n’existent pas dans le
bagage culturel des gens. L’université mérite évidemment un discours à part : de nombreux
chercheurs (dont je fais partie) font de leur mieux en faveur de ces écrivains et de ces littératures,
mais l’on sait malheureusement que les productions universitaires sont vouées, pour la plupart, à
une circulation interne.
Ces quelques lignes ne veulent pas être une contestation totale des sélections d’ouvrages
proposées en France et en Italie (à partir de quelle autorité, après tout ?), et mes constatations ne
débouchent pas sur la formulation d’un canon personnalisé. Je voudrais tout simplement
exprimer un souhait. Le souhait d’une ouverture libre et véritable de la part des institutions
littéraires européennes, et d’un effort de proposition plus ample et plus diversifiée. Pour que les
lecteurs puissent véritablement choisir leurs lectures et satisfaire leurs curiosités. Et pour que, au
détriment des canons, l’on insiste moins sur ce qu’« il faut absolument avoir lu », et davantage sur
ce que l’on peut lire, avec plaisir.
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« La biblioteca di Repubblica » contient, elle aussi, des auteurs « migrants », comme Kundera ou Conrad, que j’ai
considérés ici comme représentants des littératures française et anglaise.
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