Le Requiem de Mozart La version traditionelle du Requiem de

Transcription

Le Requiem de Mozart La version traditionelle du Requiem de
LeRequiemdeMozart
LaversiontraditionelleduRequiemdeMozart,tellequ’elleaétéapportéeaudébut
del’année1792auComteFranzvonWalseggquil’avaitcommandéel’étéprécédent,
afaitetfaittoujoursl’objetd’unintensedébatmusicologiqueetanalytique.Celui‐ci
estfondésurlacompositiondespartiesduRequiemdontilestcertainqu’ellesn’ont
pasétéachevéesparMozartlui‐même,etauxquellesFranzXaverSüssmayra
contribué,defaçonplusoumoinsimportante.Lescritiquesdurôlequ’apris
Süssmayrdansl’achèvementdel’oeuvreontétéjusqu’àproposerdessolutions
différentes(notammentBeyer,Landon,Maunder,DruceetLevindansles50
dernièresannées).LaversiondeSüssmayraétéutiliséepourleprésent
enregistrement,pourdesraisonsquisonttrèsbienrésuméesparChristophWolff
(p.81):
…lapartitiondeSüssmayrmérited’êtreprotégéeentantqu’unique
documentcontemporain,historique,philologiqueetmusicaldessectionsdu
RequiemqueMozartn’apaspuincluredanssapartition.Àceluiquil’écoute,
lapartitiondeSüssmayroffreégalementunedimensionesthétique,caril
s’agitduseuldocumentquireprésentelavéritémusicaledel’oeuvre
inachevée.Enréalité,lajuxtapositionmaladroiteetlemélangedeperfection
etd’imperfectionnousentraînedirectementdanslecœurmêmedel’œuvre
inachevéeetl’atmosphèreducercledesprochesdeMozartdansleur
tentativedeveniràboutd’unhéritagetrèslourd.
Lesnotesquisuiventretracentl’histoiredelacompositionduRequiem,en
argumentantenfaveurdelaversiontraditionelledanslaquelleSüssmayrs’estfaitle
principalcollaborateurdeMozart.
LescirconstancesdanslesquellesleRequiemaétécomposésontmoins
extraordinairesquecequel’onraconteparfois.Niemetschekenparledansses
chroniquessurlaviedeMozart,publiéesen1798,seulementseptannéesaprèsle
décèsducompositeur.Ils’estappuyésurdescommentairesdepersonnesquiont
connuMozart,tellesquesaveuve,Constanze.Onpeutlire:
Peuavantlecouronnementdel’empereurLeopold[enaoût1791],avant
mêmequeMozartn’aitreçul’ordredeserendreàPrague[oùLaClemenzadi
Tito,commandeimpériale,devaitêtrejouéeaucoursdescélébrations],une
lettreanonymeluiétaitapportéeparunmessagerinconnu,lettretrès
flatteuseluidemandants’ilétaitprêtàentreprendrelacompositiond’une
messedeRequiem.Quelenseraitlecoût,etcombiendetempsluiserait
nécessairepourlaterminer?
Mozart,quinefaisaitjamaisriensanseninformersafemme,luifitpartde
cettedemanderemarquabletoutenluiexprimantsondésirdes’essayeràce
genredecomposition,d’autantplusquelesformessupérieuresdela
musiquereligieuseavaienttoujourseuuncertainattraitpoursongénie.Elle
luiconseillad’accepterl’offre.Ilréponditdoncàsonmécèneanonymequ’il
composeraitunRequiempourunesommedonnée;ilnepouvaitpasencore
indiquerexactementcombiendetempsluiseraitnécessaire.Ilsouhaitait
toutefoissavoiroùlacommandedevaitêtreenvoyée,unefoisachevée.Peu
detempsaprès,lemêmemessagerréapparût,apportantnonseulementla
sommeprévue,maiségalementlapromessequ’ilrecevraitlamêmesomme
unefoisl’oeuvreachevée,Mozartayantététellementmodestedansleprix
demandé.Ildevaitparailleursécrireensuivantsespropresidéeset
humeurs,maisnepasperdredetempsàessayerdetrouverlapersonnequi
avaitpassécettecommande,puisqu’ils’agiraitsûrementd’uneffortvain.
CerécitreprendunarticlepubliéauparavantdansleSalzburgerIntelligenzblattle7
janvier1792(cf.Landon(1988),p.160).L’identitédumystérieuxcommanditaireest
révéléedansundocumentécritplustarden1839parAntonHerzog(maisportéàla
connaissancedugrandpublicseulementen1964parOttoDeutsch).Letémoignage
deHerzogestentièrementcrédiblepuisque,jeunehomme,iltravaillaitprécisément
pourlapersonnequi‘avaitpassélacommande’duRequiem,leComtevonWalsegg.
Le14février1791,lamortemportal’épousebien‐aiméedeMonsieurle
ComtevonWalseggdanslafleurdel’âge.Ilvoulaitluiérigerundouble
mémorial,eteutuneidéeexcellente.Ildemanda…àl’undesmeilleurs
sculpteursdeViennedeluiposeruneépitaphe;etMozartdevaitcomposer
unRequiemdontleComte,commeàsonhabitude,garderaitàluiseulle
droitdepropriété.
…l’achèvementduRequiem,quidevaitêtrejouéchaqueannéeàladate
anniversairedudécèsdeMadamelaComtesse,pritplusdetempsqueprévu
carMozartfutsurprisparsapropremortaucoursdesanobletâche.Que
fairemaintenant?QuioseraitimiterunMozart?Etpourtant,letravaildevait
êtrefini;carlaveuvedeMozartquin’étaitpasdanslesmeilleures
circonstances(commecelaétaitbienconnu),devaitrecevoircentducats.
…Finallement,Süssmayrfutpersuadédeterminerlagrandeoeuvre
inachevée,etiladmet…quetandisqueMozartvivaitencore,ilavaitsouvent
jouéetchantéavecluilesmorceauxquiavaientdéjàétécomposés,
notamment‘Requiem’,‘Kyrie’,‘Diesirae’,‘Domine’,etainsidesuiteetqu’il
[Mozart]discutaitsouventdelacompositiondel’oeuvreetcommuniquait[à
Süssmayr]lefonctionnementetlesraisonsdesonorchestration…
AprèsqueleComteWalseggareçulapartitionduRequiem,ill’a
immédiatementrecopiée,commeillefaisaitd’habitude,noteparnotedesa
propremain;etl’aremise,mouvementparmouvement,àsonvioloniste
Benaropourqu’ilpuisseenrecopierlesparties.
Unefoistouteslespartiesindividuellesécrites,lespréparationsnécessaires
àl’exécutionduRequiemontcommencé.Maiscommetouslesmusiciens
nécessairesnepouvaientêtrerassemblésdanslarégiondeStuppach[oùse
situaitlapropriétédeWalsegg],lepremierconcertfutdonnéàWiener
Neustadt.Parmilesmusiciens,lesmeilleurssolistesinstrumentauxet
vocauxdisponiblesfurentchoisis,etc’estainsiquelapartiedesopranofut
chantéeparFerenz[ungarcon?]deNeustadt,lapartiedecontraltopar
KernbeissdeSchottwien,lapartiedeténorparKleindeNeustadtetlapartie
debasseparThunerdeGloggnitz.Le12décembre1793,larépétition
généraleeutlieudanslasoirée,danslechoeurdel’AbbayeCistercienneet
EgliseParoissialedeNeustadt;etle14décembreà10heuresunservice
commémoratifeutlieudanslamêmeéglise,pendantlequelcefameux
Requiemfutjouépourlapremièrefoistelqu’ilétaitprévuqu’illesoit.
Ilresteàdémêlercertainsfilsdanscerécit,notammentl’étatd’espritdanslequelse
trouvaitMozartlorsqu’ils’estembarquédanssadernièreoeuvre,restéeinachevée,
lerôledeSüssmayr(etd’autres)dansl’achèvementduRequiem,etlaplacedecelui‐
cidansl’oeuvredeMozart.Concernantlepremierélément,Nissen,lesecondmari
deConstanze,écrit:
AprèsleretourdeMozartdePrague[enoctobre1791],ilsemittoutdesuite
àtravaillersurleRequiem,avecunediligenceexceptionnelleetunintérêt
vif;cependant,ilcontinuaitd’êtremalade,cequiledéprimait.Avecun
profondchagrin,safemmevoyaitsasantébaissergraduellement.Alors
qu’unbeaujourd’automne[àlafindumoisd’octobre],ellel’emmenaau
Praterpourledistraire,etquelecoupleétaitassisseul,Mozartcommençaà
parlerdelamort;ilinsistaitsurlefaitqu’ilécrivaitleRequiempourlui‐
même.Alorsqu’ildisaitcela,leslarmesluivinrentauxyeux,etlorsqu’elle
essayadeledissuaderdecespenséessombres,ilrépondit:“Non,non,je
senstropprofondémentquejenevaisplusêtreenvielongtemps:j’ai
probablementétéempoisonné!Jenepeuxmelibérerdecespensées.”
…
Lejourdesondécès,ildemandaqu’onluiapportelapartitionduRequiem.
“N’avais‐jepasditquej’écrivaisleRequiempourmoi‐même?”C’estainsi
qu’ilparlaetrelutletoutavecgrandeattention,leslarmesauxyeux.C’était
sondernierdifficilegested’adieuenverssonArtqu’ilaimait.
OnnepensepasactuellementqueMozartaitétéempoisonné(Salieri,mêmes’il
étaitsonrival,n’étaitpasunmeurtrier).Maisverslafindumoisd’octobre1791,
Mozartseplaignait‘d’unegrandelangueurl’oppressantpardegrés’(information
recueillieparVincentNovelloenjuillet1829aprèsuneconversationavec
Constanze);àlafindumoisdenovembreilnepouvaitplusquittersonlit;etdansla
matinéedu5décembre,ilestmort.Lacausequ’ondonnaalorspoursondécèsétait
unefièvrerheumatiqueinflammatoire,maladiedontMozartasouffert
régulièrementpendantsonenfance.Mozartavaittantàfairedesaviequela
frustrationdetombergravementmaladeàcepointdesacarrièreluiétait
intolérable.LepostedeKapellmeisterdelaCathédraleSaint‐StéphaneàViennelui
avaitrécemmentétéoffert,plusieurscommandesluiavaientétépromisesparles
théâtresdeVienneetdePrague,etl’étatdésastreuxdesesfinancesparaissaitsurle
pointdes’améliorer.Ilacceptasapropremortimminenteavecbeaucoupmoinsde
sérénitéquecelledesamèreen1778,qu’ilavaitacceptéecommeunactede
providencedivine.
QuantàlaquestionduvéritableauteurduRequiem,iln’yaaucundoutesurlefait
quel’oeuvresoitengrandepartiedeMozart,mêmesiseulementquelquessections
ontétéécritesdesamain.FranzXaverSüssmayr(1766‐1803)enestleprincipal
acteursecondaire.SophieHaibel(lasoeurdeConstanze)confirmelerécitdeNissen
selonlequelSüssmayrareçudesinstructionsdelapartdeMozart:
…SüssmayrétaitauchevetdeMozart.LefameuxRequiemsetrouvaitsur
l’édredonetMozartluiexpliquaitque,d’aprèslui,ildevraitterminercelui‐ci
quandilseraitparti…Sonderniersoufflefutcommes'ilvoulaitavecla
bouche,imiterlestimbalesduRequiem.
VincentNovello,aprèssesconversationsavecConstanzeen1829,relateaussices
faits:
Peudetempsavantsondécès,[Mozart]chantaleRequiemavecMadame
[Constanze]etSüssmayr.Unepartiedesmouvementsl’oppressèrentau
pointd’enavoirleslarmesauxyeux.Ilécrivitd’abordleRecordareetles
partiesprincipales,endisant,‘sijenevisplus,celles‐cisontlesplus
importantes’.Quandilseurentterminé,ilfitvenirSüssmayretluifitpartde
sondésir,s’ilvenaitàmouriravantd’avoirachevél’oeuvre,quelafuguequ’il
avaitécriteaudébut[Kyrie]soitrépétée,etajoutaoùetcommentil
souhaitaitquelesautrespartiesqu’ilavaitdéjàesquisséessoientterminées.
C’estenconséquencedecelaqueSüssmayrécrivitàBreitkopfdeLeipzig
qu’ilavaitcomposélaplusgrandepartieduRequiem,maiscommel’observa
justementMadame,quiconqueayantvulesesquissesetreçudesindications
précisesdeMozartauraitpufairecela,etSüssmayrnemontrauntalent
semblabledansaucunedesesautresoeuvres.
Biensûr,Constanzedevaits’assurerquelacommissionsoitachevée,etsipossible,
qu’ellesoitprésentéecommel’oeuvredeMozart.SurlemanuscritenvoyéauComte
vonWalsegg,ontrouvemêmeunefaussesignaturedeMozart,faiteparSüssmayr,
dontl’écritureressemblaitbeaucoupàcelledeMozart.Constanzeavaitraisonen
affirmantqueletalentdeSüssmayrétaitbieninférieuràceluideMozart,mais
Süssmayrn’avaitpastoutàfaittortenaffirmantqu’ilavaitécritunepartiedu
Requiem.Voulantgarderl’honneurdelafamille,ilestprobablequeConstanzeait
amoindrilerôledeSüssmayr,tandisqu’ilestégalementprobablequeSüssmayrait
exagérél’importancedesacontribution.
Maisquelleétaitdoncl’importancedesacontribution?Pourabrégerunehistoire
longueetcomplexe:Mozartaterminél’ouverture(Requiemaeternam)etlesparties
vocalesdelafuguesuivantl’ouverture(Kyrieeleison),laissantdesindicationsà
proposdel’instrumentation.Ilaégalementécritlematérielvocaldesmouvements
delaSequenz(Diesirae,Tubamirum,Rextremendae,Recordare,Confutatis,
Lacrimosa–quis’arrêteiciàlamesure8),donnantànouveaudesindicationsquant
àl’instrumentation,tellesqueparexemplelesolodetromboneaudébutduTuba
mirum.Lematérielvocaldel’Offertorium(DomineJesuChristietHostiasetpreces)
estégalementdesamain.Toutcematérielaétérevuetcomplétépard’autres
personnes,passeulementSüssmayr(leprincipalcontributeurdansl’achèvementde
l’oeuvre)maiségalementFranzJacobFreystädtler(quiaorchestréleKyrie),et
JosephEybler(quiacomplétélaplupartdesvoixdesmouvementsdelaSequenz).
CestroismusiciensonttousétédesélèvesdeMozart,etfaisaientpartied’uncercle
restreintdeconnaissancesprofessionnellesauxquellesConstanzeapusetourner
naturellementlorsqueleproblèmedeterminerlacommandes’estposé.
LaprédominancedeSüssmayrentantqu’assistantdanslacompositiondel’oeuvre
faitsurfacedanslesmouvementsfinaux–dansl’orchestrationdel’Offertorium,et
defaçonplusproblématiquedanslacompositionduSanctus,duBenedictusetde
l’AgnusDei.Commelestémoignageshistoriquesledémontrent,leretourdela
musiquedeMozartdanslemouvementfinalCommunio(quireprendlesdeux
mouvementsintroduisantl’oeuvre)faisaitpartiedesinstructionslaisséesparle
compositeuràSüssmayr.
Cesderniersmouvements(Sanctus,BenedictusetAgnusDei)ontfaitl’objetd’un
débatparticulierparmimusiciensetmusicologues.Certainsyontvudes
maladresses(grossièretésdansl’arrangementdesvoix,fuguestropcourtes,
curieusestructuretonale,manqued’invention),touscesélémentsétantconsidérés
commelaconséquenceinévitableetregrettablelorsqu’unécrivaillonpeucompétent
tented’acheverunchefd’oeuvre.Maisenaffirmantcela,ilsontignorélefaitque
MozartavaitdiscutédesesidéesavecSüssmayr,ainsiquel’existencedeses
esquisses(desfeuillesmanuscritessimples,dontuneseuleasurvécu).Onpeut
s’étonnerégalementdesobjectionsquiontétéfaitesàproposdecertainsaspectsde
cesmouvements.Ainsi,leBenedictusaétédécritcommeétantparendroitstrop
lourdenvoix(Druce,p.vii),souffrantdestagnationharmonique(Druce,p.viii),et
sonouvertureinstrumentaleaétédécritecommeétant‘particulièrement
maladroiteetinappropriée’(Wolff,p.76).Delamêmefaçon,leSanctusaétécritiqué
pourn’êtrepasdenatureassezconvaincante,etleHosannapoursongrossier
arrangementdevoixetsabrèveté.Cesjugementsnesemblentpasfondés.
Eneffet,Mozartécritparexempledesimplesanticipationsinstrumentalesd’entrées
vocalesdansdesarrangementsduBenedictus(voirsonMissabrevisenSibémol
majeur,K275).Ladoubluredestrombonespardesvoixpeutêtreélégantesielleest
jouéesurdesinstrumentsàpetitesperces.Deplus,laplanificationtonaledu
mouvementsembleêtreécritedefaçontoutàfaitcompétente,avecsacadence
centraledominante,sacouleursous‐dominantelorsdelareprise(avecl’entréedu
ténor),sansparlerdesréférencessavantesdanslesinterludesinstrumentauxfaites
auxarrangementsetfiguresmusicalesentenduespourlapremièrefoisdansle
mouvementd’ouverturedel’oeuvre.
Toutcelafaitpreuvedetropd’assuranceetesttropinventifpourn’êtrequel’oeuvre
d’unécrivaillon.QuantauxcritiquesfaitesauxHosannas,lefaitqu’ilsnesoientpas
écritsdanslamêmetonalité(avecl’effetdacapohabituel)maisdansdeuxtonalités
différentes(RémajeuretSibémolmajeur)relèvepeut‐êtreplusducoupdegénie,
puisquelaprogressionduSibémolmajeur(dusecondHosannaàl’Agnus)auneffet
bienpluspuissantqu’unsimplechangementdemode(deRémajeuràRémineur).
LeSanctusavecsonpremierHosannaatoujourseuuneplacesuccinctedansla
messeviennoisetraditionnelle,carilétaitnécessairequeleBenedictusservede
motetàl’Elevation,etl’Elévationdel’hostienepouvaitpasêtredifféréepuisquela
récitation(silencieuse)duCanondelaMesse(laprièredeConsécration)
commençaitdirectementaprèsleSursumcordaetlaPréface.Ilesttrèsprobable
queSüssmayretMozartsavaientexactementcequ’ilsfaisaientennedifférantpasle
BenedictusparunpremierHosannapluslongqueceluiquinousestparvenu.
ChristophWolffasuggéréque,danssonRequiem,Mozartavaitpourintentionde
donnerune‘directionentièrementnouvelle’augenredelamusiquesacrée,dans
lequelilétaitlongtempsrestéinactif(p.75).Onpeutvoirceladansl’orientation
entièrementvocaledelapartition,l’instrumentationparticulière(parmiles
instrumentsàbois,seulslescorsdebassetetlesbassonssontutilisés,commec’est
lecasdanssamusiquemaçonnique),lesrenvoistoutaulongdelapartition(la
similaritémélodiqueentrelesmesuresd’ouvertureduDiesiraeetleSanctusenest
unsubtilexemple),larigueurdescontrepoints,etcertainsaspectsdelastructure
tonale.
L’absenced’un‘Amen’fuguéàpartenconclusiondelaSequenz(pourlequelune
esquissed’unedouzainedemesuresexiste)peutégalementêtrevucommeune
‘nouvelledirection’.Eneffet,auvudel’intensequalitéduLacrimosa,sapuissante
cadenceplagaled’Amenquiconclutlemouvementesttoutàfaitconvaincante.Elle
gardel’impactdutexte,plutôtquedeledisséminerdansunefugue‘savante’.Etsi
nousspéculonsunpeusurl’histoire,cequenoussommesforcésdefaire,ilsepeut
queMozartaiteuuneconversationavecSüssmayrdanslaquelleilauraitémisune
préférencepourl’intégrationdel’AmendansleLacrimosa,plutôtqued’enfaireun
mouvementàpart,sanstenircomptedesesesquisses.
Ces arguments, parmi d’autres, montrent bien que la version traditionnelle du
Requiemmérite“d’êtreprotégée”commel’indiqueWolffenconclusion.
Etqu’enest‐ildesqualitésmusicalesduRequiem?Celui‐cisecomportedemanière
très différente de la musique sacrée écrite à Salzburg par Mozart auparavant,
notammentcarqu’ils’agiticid’unemessepourlesmorts.L’emphaseestclairement
mise sur l’écriture vocale, et sur l’utilisation approfondie de mélodies
contrapuntiques. En même temps, Mozart révèle un intérêt croissant pour une
homophonie chorale, comme on le voit par exemple dans des sections de Rex
tremendae, Confutatis, Lacrimosa et Hostia (on retrouve cet intérêt pour la
déclamationchoraledansl’AveVerumCorpus(K618)écritquelquesmoisplustôt.)
Lapaletteorchestraleestvolontairementassombrieparlechoixdecorsdebassetet
l’absence d’instruments à bois autres que les bassons. L’affiliation de cette
instrumentationaveclamusiquemaçonniquedeMozartnefaitpasdedoute.
Certains éléments viennent de la tradition religieuse viennoise tels que la citation
d’unelignedeplain‐chantau‘Tedecethymnus’(quiesticiletonusperegrinus),le
flamboyantsolodetromboneaudébutduTubamirum,enplusdesincantationsde
la part du basse qui rappellent Sarastro, et le choix d’une tonalité en ré mineur,
tonalité associée à une profonde solennité. La caractérisation dramatique de
l’arrangement musical a été une qualité immédiatement appréciée par les
contemporains de Mozart. Elle n’a jamais perdu son puissant attrait. Elle doit
beaucoup à la capacité qu’avait le compositeur à comprendre et manipuler les
caractères dans sa musique théâtrale écrite lorsqu’il était adulte. Elle reflète
également l’état d’esprit dans lequel se trouvait Mozart lorsqu’il a composé le
Requiem, qui, s’il n’était pas enfiévré par les pensées de sa mort imminente (du
moinspasjusqu’àsesderniersjours),étaitcertainementmenéparl’ambitiondese
réétablirentantquecompositeurdemusiquesacrée,àlahauteurdupostequilui
avaitétéoffertentantqueKapellmeisterdelaCathédraleSaint‐Stéphane.
Le Requiem reprend la forme liturgique traditionnelle de l’Introit (Requiem
aeternam)précédantimmédiatementleKyrieeleison.Aprèsleslectures,laSequenz,
texte de dix‐huit vers, divisés dans l’arrangement de Mozart en six mouvements
discrets(Diesirae,Tubamirum,Rextremendae,Recordare,Confutatis,Lacrimosa),
était chantée. Venait ensuite l’Offertorium (Domine Jesu Christe, avec son passage
central Hostias et preces). Après le Sursum corda et la Préface, les mouvements
Sanctus + Hosanna, Benedictus + Hosanna et Agnus Dei étaient joués sans
interruptionliturgique.LeCommunio(LuxaeternaetCumsanctistuis)concluaitle
rite.
© EDWARD HIGGINBOTTOM, 2011
TraductionHelenaDeWinter
Sources
D.Druce(ed.),Mozart,Requiem,Novello,Londres,1993
R.D.Levin(ed.),Mozart,Requiem,Carus‐Verlag,Stuttgart,1996
H.C.R.Landon,Mozart’sLastYear,ThamesandHudson,GDR,1988
H.C.R.Landon(ed.),TheMozartCompanion,Schirmer,NewYork,1990
C.Wolff,‘TheCompositionandCompletionofMozart’sRequiem,1791‐1792’,inC.Eisen(ed.),Mozart
Studies,Oxford,1991,pp.61‐81

Documents pareils