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ÉVÉNEMENTS SPORTIFS ET TOURISME
Les retombées
d’un “mega event”
La Coupe du monde
de football 2006 en Allemagne
BÉNÉDICTE ALDEBERT
DAV I D H U R O N
Attachée d’enseignement et de recherche
Maître de conférences en sciences de gestion
Université de Nice-Sophia Antipolis
Université de Nice-Sophia Antipolis
([email protected])
([email protected])
L’évaluation des retombées d’un événement est une tâche complexe.
L’évaluation de la Coupe du monde de football, qui s’est déroulée en Allemagne
en 2006, montre que les retombées les plus durables ne sont pas nécessairement économiques.
L
a plupart des tentatives
d’évaluation des retombées
de grands événements
(mega events) se focalisent sur l’aspect économique. En effet, les collectivités territoriales qui soutiennent ces événements exigent des
garanties en termes de succès, mais
également en termes de retombées
positives sur leur territoire (retom-
bées économiques, notoriété,
image, etc.).
Pour appréhender l’impact d’un
mega event sur l’économie (locale
ou nationale), trois types d’effets
sont généralement pris en considération. L’effet direct cocnerne
les premières branches bénéficiaires des dépenses relatives à la
tenue de l’événement (vente de tic-
kets, transports, hébergement,
etc.) ; il est traduit en termes d’emplois, de valeur ajoutée etc. L’effet
indirect estime, par le biais des
consommations intermédiaires
observées lors de la tenue de l’événement, le surplus de production
apporté aux autres branches
(magasins de vêtements, clubs,
BTP, etc.). Enfin, l’effet induit s’asF É V R I E R 2 0 0 8 • E S PA C E S 2 5 6
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LES RETOMBÉES DE LA COUPE DU MONDE DE FOOTBALL 2006 EN ALLEMAGNE
simile à l’effet indirect des salaires
distribués par la préparation et la
tenue de cet événement.
C’est pour mesurer les effets indirects et les effets induits qu’est souvent mobilisé un coefficient multiplicateur, selon le principe qu’une
dépense dans l’économie crée
d’autres dépenses qui, elles-mêmes,
impliquent des dépenses etc. Cette
méthode, d’inspiration keynésienne, est très utilisée par le monde
professionnel (France Congrès,
Airport Council International,
etc.). Elle permet de donner aisément une estimation chiffrée des
revenus engendrés par l’événement
tout au long des circuits économiques. Elle pose néanmoins une
hypothèse forte concernant la propension marginale à consommer
pour chacun des fournisseurs devenus consommateurs. En effet, le
taux du multiplicateur est bien
souvent statique depuis de nombreuses années, ce qui annihile
toute variation de comportement
des consommateurs. Or la réalité
montre que le consommateur
modifie ses comportements selon
des variables à la fois structurelles
et conjoncturelles. Le multiplicateur, s’il n’est pas révisé, ne donne
pas une image réelle des retombées
économiques d’un événement.
LES
MÉTHODES D’ÉVALUATION
DES RETOMBÉES
D’UN ÉVÉNEMENT
Deux principales approches sont
traditionnellement utilisées dans
le cadre de l’évaluation des retombées d’un événement : la méthode
input-output et le modèle de l’équilibre général calculable(1).
La méthode input-output (lancée par Léontief dans les années
1940) est fondée sur l’analyse de
tableaux d’entrées-sorties ; elle étudie chaque produit pris en compte
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selon son origine et sa destination.
Cet outil, particulièrement utilisé
en comptabilité nationale, permet
de mettre en lumière les performances d’une industrie, en l’occurrence le tourisme, en identifiant
les grandes masses budgétaires.
Ainsi, du côté de la consommation, il s’agit d’identifier les
consommations intermédiaires, les
investissements, les exportations,
les variations de stocks et la
consommation finale. Du côté de
la production, il convient de
connaître la production, bien sûr,
mais aussi les importations, les
droits de douane, les marges commerciales et la TVA grevant les
produits. La méthode input-output est assise sur un ensemble de
multiplicateurs destinés à retracer
les fonctions de comportement,
dont les limites ont déjà été évoquées plus haut.
Le modèle de l’équilibre général
calculable, quant à lui, prend également en compte la production
sectorielle à l’entrée, d’une part,
et la consommation, les importations, les investissements à la sortie, d’autre part. Mais, dans ce
modèle, les comportements sont
déduits de la seule année de l’ensemble de données ou spécifiés de
manière exogène. Il s’appuie donc
sur un grand nombre d’hypothèses
et de données qui ne sont pas forcément appréhendables sur le terrain.
À côté de ces approches traditionnelles, d’autres pistes permettent d’apporter des éléments complémentaires et, notamment, de
s’assurer que les retombées économiques sont bien imputables à
l’événement sportif en question. Il
convient, préalablement, de différencier les flux monétaires provenant d’autres régions et les
sommes d’argent propres au fonctionnement de l’économie locale.
L’évaluation de ces deux éléments
permet de connaître les résultats
économiques de la région si l’événement n’avait pas eu lieu(2). Il peut
s’agir, par exemple, d’observer des
variations de flux financiers
(encours en dépôts et crédits) des
entreprises et des particuliers
avant, pendant et après l’événement pour repérer la diffusion
dans le temps et l’espace (3). On
peut également observer les variations des recettes fiscales ou encore
de la TVA.
Le problème, lorsque l’on
aborde l’évaluation économique
d’un événement, reste la difficulté
à définir la bonne imputation pour
chaque élément. Par exemple,
lorsque l’on construit de nouvelles
infrastructures routières pour
joindre un nouveau stade, s’agitil d’une dépense d’investissement
ou d’un bénéfice(4) ? Cette double
lecture peut apporter une confusion si l’on se contente d’une évaluation strictement économique.
Comptabilisées une seule fois,
comme investissement ou comme
bénéfice, les sommes en jeu risquent de ne plus correspondre à
la réalité de l’impact.
Outre la dimension économique,
l’évaluation d’un mega event peut
intégrer des critères sociaux, environnementaux, politiques, culturels, ainsi que des variables visant
à mesurer la notoriété ou l’image
de cet événement, à mesurer le
taux d’équipement en infrastructures dans une logique d’aménagement du territoire ou à s’assurer du soutien de la population
locale.
Certains travaux montrent que
les événements sont créateurs d’interaction sociale, qu’ils sont susceptibles de créer des réseaux et
de permettre une action communautaire (5). Cette création de
réseaux, parfois assimilée à un
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levier de développement, est considérée par beaucoup comme favorisant l’entrepreneuriat.
L’évaluation sociale d’un mega
event est souvent associée à une
évaluation environnementale.
Compte tenu du nombre potentiel
d’effets externes négatifs issus de
l’organisation, les organisateurs
définissent généralement ex-ante
un cahier des charges prenant en
compte des éléments liés à l’environnement. Si des efforts ont été
effectués, notamment lors de l’organisation des Jeux olympiques de
Sydney en 2000, bon nombre
d’experts et d’associations écologiques soulignent que les efforts
en la matière sont insuffisants.
Ainsi, sur les vingt-deux questions
posées dans le questionnaire destiné aux villes candidates à l’organisation des Jeux olympiques de
2008, une seule concernait l’aspect environnemental. Enfin, tout
mega event implique de lourds
investissements, tant pour les pouvoirs publics que pour les entreprises privées (équipements touristiques, notamment). Ces
investissements ont des coûts d’opportunité (renoncement à des
dépenses dans d’autres domaines)
qui doivent être pris en compte
dans le cadre d’une évaluation(6).
Une méthode d’évaluation
sociale complémentaire consiste à
mettre en œuvre des enquêtes
avant et après l’événement afin de
mesurer l’opinion des habitants
sur un certain nombre d’items. Par
exemple, des études sur les retombées de la Coupe du monde de
football en Corée du Sud, en 2002,
ont montré que, si l’impact économique a été vécu comme insatisfaisant au niveau des habitants
(hausse des prix, hausse du coût
de construction, etc.), d’autres
impacts, notamment relatifs aux
échanges culturels ou à l’arrivée
de nouvelles ressources naturelles,
ont été jugés plus positifs. Le point
noir reste très souvent la congestion de la circulation et le développement de la pollution(7).
Dans tous les cas, les méthodes
d’évaluation mises en place doivent satisfaire les parties concernées par le déroulement de
l’événement (organisation, investissements, etc.). Tout d’abord,
l’ambition de mesurer ou du moins
d’apprécier le plus objectivement
possible les effets de la politique
évaluée sur la société doit être délibérée et partagée. Cela implique
de se conformer aux exigences de
la méthode scientifique et de
prendre de l’indépendance vis-àvis de celui qui conduit cette politique. Ensuite, ces méthodes doivent aider le commanditaire
politique et, au-delà, l’ensemble
des lecteurs de l’évaluation, à porter un jugement sur les retombées,
c’est-à-dire sur l’atteinte des objectifs assignés. Enfin, elles doivent
éclairer les différents protagonistes
sur le sens, sur les conditions et
sur les conséquences de leurs
actions et décisions.
Il est à noter que bon nombre
des démarches évaluatives concernant les mega events s’inscrivent
dans une logique ex-ante dans la
mesure où la légitimité même
d’une candidature doit être formulée en fonction d’une pluralité
de critères. Peu d’études s’intéressent à l’impact ex-post des mega
events.
LA COUPE
DU MONDE
DE FOOTBALL, UN SUCCÈS
EN TERMES D’IMAGE
L’Allemagne a été, en 2006, le
18e pays organisateur de la Coupe
du monde de football. Les parties
prenantes, institutionnelles et économiques, attendaient beaucoup
des retombées de ce mega event.
Le gouvernement allemand et
les collectivités locales ont investi
3,9 milliards d’euros dans des travaux de rénovation des réseaux
ferroviaires et routiers. De lourds
investissements ont également été
effectués pour la construction de
stades ou pour leur réaménagement (2,2 milliards d’euros), ainsi
que leur mise aux normes de sécurité (1,7 milliard d’euros). Ces
investissements, qui relèvent de
l’aménagement du territoire,
étaient nécessaires pour accueillir
un important flux migratoire.
Les villes organisatrices et leurs
périphéries espéraient pouvoir
accueillir 1 million de supporters
durant la période de juin à juillet
2006. La gestion des infrastructures créées, ainsi que l’organisation de l’événement, devaient permettre la création d’environ
60 000 emplois. Le ministère de
l’Économie allemand estimait que,
au total, les gains issus de l’organisation de la Coupe du Monde se
chiffreraient à 3 milliards d’euros,
soit une hausse d’environ 0,3 %
du PIB.
Aux chiffres souvent optimistes
énoncés avant l’événement, une
autre réalité, plus nuancée, s’est
dégagée lorsque le bilan a été effectué. Concrètement, il est délicat de
dire que tous les participants à la
Coupe ont été gagnants. Mais les
économistes restent prudents.
Selon eux, les effets sur la croissance ont été minimes. Au 0,3 %
de hausse sur la croissance attendus, ce sont 0,1 % que les spécialistes ont observé. Par ailleurs, la
moitié des emplois créés durant la
coupe (60 000 environ) auraient
disparu au bout d’un an. Aucune
impulsion conjoncturelle significative de la compétition ne s’est
observée. Enfin, la consommation
générale a connu un effet de subF É V R I E R 2 0 0 8 • E S PA C E S 2 5 6
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LES RETOMBÉES DE LA COUPE DU MONDE DE FOOTBALL 2006 EN ALLEMAGNE
stitution. Tandis que les ventes de
téléviseurs à écran plat, de maillot
de foot, de billets d’entrée, de bière
et de pizzas ont explosé, ce sont
souvent les autres postes de
consommation qui ont souffert.
Sur le plan touristique, et bien
que le tourisme pèse très peu dans
l’économie outre-Rhin, le bilan est
plutôt positif. Le pays a accueilli 2
millions de visiteurs, soit le double
des prévisions, et l’aéroport de
Francfort a enregistré en juin 2006
une hausse de 4 % de son trafic de
passagers, qui a atteint 4,82 millions de personnes. Par ailleurs, le
secteur du commerce de détail
aurait réalisé 2 milliards d’euros
de recettes supplémentaires.
L’événement a également été bénéfique pour une multitude d’entreprises proposant entre autres des
produits dérivés. La grande nouveauté du mondial 2006 a été les
paris en ligne ; ainsi, par exemple, le
bookmaker Ladbrokes a enregistré
un bénéfice de 23,5 millons d’euros
avec les mises sur internet. La
Coupe du monde a été le nouveau
terrain d’affrontements des grands
opérateurs de téléphonie mobile,
qui se sont concurrencés pour offrir
des services à forte valeur ajoutée à
leurs clients (résumé des matchs et
retransmission des buts). Les fabricants mondiaux d’articles de sport
(en particulier, Adidas) n’ont pas été
en reste, et ont dépensé des sommes
considérables pour sponsoriser les
équipes. À défaut de performances
en Bourse, les partenaires de la compétition se sont rattrapés sur les
revenus directement tirés de leurs
ventes liées au Mondial, de l’ordre
de 16 milliards l’année 2006.
La Fifa World Cup en
Allemagne s’est distinguée par sa
bonne gestion des risques liés aux
externalités négatives. On peut
notamment noter l’importante
implication des habitants dans
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l’événement. En effet, les autorités publiques allemandes ont autorisé les commerçants à prolonger
l’ouverture des magasins tard dans
la soirée, mais aussi à exercer leur
activité le dimanche. La prostitution étant légalisée en Allemagne
depuis 2002, les autorités ont pris
des précautions pour éviter le développement d’un tourisme sexuel.
Le pays a également établi des
règles très strictes sur la sécurité
intérieure durant le Mondial. C’est
ainsi que chaque hooligan a été
fiché dans les aéroports allemands
et que les autorités ont interdit à
chacun d’eux l’accès aux stades et
aux lieux de rassemblement. De
nombreux bénévoles se sont mobilisés pour la sécurité et l’organisation dans les stades, ce qui a permis au comité d’organisation de
réaliser des économies en termes
de main-d’œuvre, et de réduire
ainsi les coûts liés à l’organisation.
Par ailleurs, le comité d’organisation allemand a anticipé l’inflation
qui accompagne les événements de
masse. Trois ans avant l’événement, il s’est attaché, en étroite
collaboration avec les syndicats
hôteliers, à inciter les professionnels du tourisme à ne pas augmenter exagérément leurs tarifs.
Si l’Allemagne a en effet bénéficié d’une organisation réussie, son
principal succès s’analyse en
termes d’image, avec la “redécouverte du peuple allemand”. Depuis
la Seconde Guerre mondiale, ce
pays porte les stigmates de son
passé ; les Allemands peinent à
exprimer leur fierté pour leur
nation. Cet événement international a été vécu comme une véritable
ouverture qui leur a permis d’exprimer leur amour du pays sans
aucune ambiguïté. Certains articles
ont souligné le “patriotisme de la
bonne humeur”, “la vague patriotique” qui ont animé le pays. C’est
cette redécouverte d’un pays,
ouvert et moderne, qui est la principale victoire des Allemands, audelà du résultat.
*
*
L’organisation par leur pays, leur
région, d’un méga événement
(Coupe du monde de football, de
rugby, Jeux olympiques…) est porteur d’espoir pour les professionnels du tourisme, les institutionnels et les locaux, qui espèrent tous
bénéficier de l’importante manne
financière d’un tel événement.
Cependant, comme l’ont montré
les JO d’Athènes, cela ne va pas
sans risques. Par ailleurs, de nombreux critères, autres qu’économiques, doivent être pris en
■
compte dans l’évaluation.
(1)
Evangelia KASIMATI, “Economic aspects
and the summer Olympics: a review of related
research”, International journal of Tourism
Research, 5, 2003, pp. 433-444.
(2)
Kokila DOSHI, Don SCHUMACHER, Ky SNYDER,
Report on economic impact, National Association
of Sports Commissions, 2001.
(3)
Frédéric THOMAS, Analyse méthodologique
de la rente touristique,Thèse de doctorat
de sciences économiques, université
de Nice-Sophia Antipolis, 2003.
(4)
Joseph KURTZMAN,“ECONOMIC impact:
sport tourism and the city”, Journal of Sport
Tourism, 10, 1, 2005, pp. 47-71.
(5)
Laurence CHALIP, “Towards social leverage
of sport events”, Journal of Sport Tourism,
11, 2, 2006, pp. 109-127.
(6)
Maree WALO, Adrian BULL, Helen BREEN,
“Achieving economic benefits at local events:
a case study of a local sports event”, Festival
Management & Event Tourism, 4, 1, 1996,
pp. 95-106.
(7)
Hyun Jeong KIM, Dogan GURSOY,
Soo-Bum LEE, “The impact of the 2002
World Cup on South Korea: comparisons of
pre- and post-Games”, Tourism Management,
27, 1, 2006, pp. 86-96.