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N° 1226 - Juillet-août 2000 - 76 HORS-DOSSIER TURCS D’EUROPE : DE L’IMAGE TRONQUÉE À LA COMPLEXITÉ D’UNE RÉALITÉ HORS-DOSSIER SOCIALE IMMIGRÉE par Ural Manço, chercheur et chargé d’enseignement, facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, Belgique De nombreux a priori négatifs affectent encore la population turque immigrée en Europe, plus connue pour sa propension au repli communautaire que pour son dynamisme en affaires. Or, si les difficultés scolaires et professionnelles de cette population sont bien réelles, si la culture d’origine reste très présente, si les organisations turques, souvent islamiques, attirent aussi bien les hommes que les femmes et les jeunes, on constate qu’attachement à la tradition ou au groupe et intégration individuelle ne sont pas contradictoires. Car la communauté permet aussi une intégration valorisante à la société d’accueil, particulièrement dans un contexte social et économique peu favorable. “La Turquie, vous connaissez ?” Telle est l’interrogation lancée par une affiche du ministère turc du Tourisme et de l’Information qui vante les attraits touristiques du pays. Les Turcs se plaignent volontiers d’être peu ou mal connus à l’étranger : le slogan publicitaire est révélateur. À l’instar du pays qu’ils ont commencé à quitter pour l’Europe occidentale depuis le début des années soixante, les immigrés originaire de Turquie souffrent de la même méconnaissance. Pourtant ils représentent le quart de la population non communautaire installée dans l’Union européenne(1). En effet, sans même prendre en compte des dizaines de milliers d’immigrants “clandestins”, qui par nature échappent aux statistiques, plus de trois millions d’immigrés, de descendants d’im- migrés, de naturalisés et de réfugiés politiques provenant de Turquie vivent actuellement en Europe occidentale. Il s’agit du groupe national le plus important de l’immigration non européenne établie dans l’Union. Bien que cette population soit présente dans la quasitotalité des pays de l’UE, l’Allemagne en accueille à elle seule les deux tiers. Quelle que soit la similitude des problèmes socio-économiques et culturels vécus par les différentes immigrations musulmanes, en comparaison d’autres migrations provenant du monde musulman et essentiellement de l’Afrique du Nord, l’émigration turque vers l’Europe est davantage marquée par son aspect tardif(2), ses origines rurales, sa concentration géographique, son caractère familial, ainsi que par la préser- UNE POPULATION JEUNE, UNE DIASPORA EN CROISSANCE CONSTANTE L’immigration ouvrière turque la plus importante concerne bien sûr l’Allemagne, puis les pays du Benelux, suivis de la France, de l’Autriche et de la Suisse. En Allemagne, l’installation d’hommes seuls s’est produite entre 1961 et 1973. Elle s’est poursuivie par l’arrivée massive des familles jusqu’en 1981 environ. Ailleurs en Europe, la migration d’hommes seuls couvre la période allant de 1965 à 1974. La recomposition familiale s’y est également étalée jusqu’à 1)- Pour une vue générale sur l’immigration turque en Europe, on peut consulter : R. Kastoryano, Être turc en France : réflexions sur famille et communauté, Paris, L’Harmattan, 1986 ; F. Sen, “Les Turcs en RFA”, Migrations société, vol. II, n° 9-10, 1990, pp. 45-58 ; H. Bozarslan, “Une communauté et ses institutions : le cas des Turcs en RFA”, Revue européenne des migrations internationales, vol. VI, n° 3, 1990, pp. 63-82 ; H. Bozarslan, “État, religion, politique dans l’immigration”, Peuples méditerranéens, n° 60, 1992, pp. 115-133 ; A. Manço et U. Manço (dir.), Turcs de Belgique. Identités et trajectoires d’une minorité, Info-Türk, Bruxelles, 1992, 288 p. ; Migrations société, dossier “Immigrés de Turquie”, vol. IV, n° 20, 1992 ; “Immigration turque en Allemagne et en France”, Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n° 13, 1992 ; S. de Tapia, “Migrations turques en Europe. Définition dynamique d’un champ migratoire : circulation et diaspora”, Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n° 18, Paris, 1994, pp. 230-262 ; A. Manço, “Turcs de Belgique : vers une insertion dialectique ?”, Hommes & Migrations, n° 1172-1173, 1994, pp. 79-84 ; R. Kastoryano, “Être turc en France revisité”, Migrants formations, n° 101, 1995, pp. 104-114 ; S. de Tapia (dir.), “Turcs d’Europe et d’ailleurs”, Annales de l’autre islam, n° 3, Inalco, Paris, 1995, 534 p. ; “L’immigration turque au féminin”, Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n° 21, 1996, 358 p. 2)- La Turquie a signé son premier accord d’exportation de main-d’œuvre avec l’Allemagne fédérale en octobre 1961. Il a été suivi par des accords similaires passés avec les Pays-Bas, la Belgique et l’Autriche en 1964, avec la France en 1965, et avec la Suède en 1967. 3)- Source : ministère turc du Travail et de la Sécurité sociale, Yurtdisi Isçi Hizmetleri Genel Müdürlügü. 1996 Yili Raporu [Direction générale des services aux travailleurs à l’étranger. Rapport d’activité 1996], Ankara, 1997, 267 p., p. 3. 4)- Par exemple, la population turque d’Allemagne est féminine à 45,3 %. Ce taux est de 46,4 % aux Pays-Bas et de 48,8 % en Belgique (source : ministère turc du Travail et de la Sécurité sociale, rapport cité, pp. 10, 44, 78). N° 1226 - Juillet-août 2000 - 77 la première moitié des années quatre-vingt. De sorte qu’aujourd’hui, la population turque en Europe est très majoritairement familiale, avec une quasi-parité démographique entre les hommes et les femmes(4). La diaspora turque en Europe est en croissance constante. Entre 1985 et 1996, pour l’ensemble des pays de l’Europe occidentale, elle est passée de 1,988 million de personnes à 3,034 millions (dont 2,944 millions dans l’Union européenne). Ce qui représente une augmentation de 52,6 % en une décennie. Il y a deux explications à cette croissance. Premièrement, malgré les limitations imposées par les pays d’accueil, l’immigration originaire de Turquie se poursuit encore aujourd’hui par le biais du mariage. En effet, beaucoup de jeunes HORS-DOSSIER vation de la langue d’origine, la faiblesse de ses qualifications économiques et la mise en place d’organisations communautaires. L’exclusion économique, la marginalité culturelle (qui s’affirme notamment par la persistance des traditions ethno-familiales avec, par exemple, le code d’honneur et le mariage des jeunes avec un conjoint issu du village d’origine des parents), la faiblesse largement partagée du niveau de connaissance de la langue d’accueil, et le regroupement dans des quartiers défavorisés à forte structuration ethnique (commerces, cafés, associations, mosquées…) sont des facteurs structurels qui rendent compte du développement d’appartenances communautaires intenses observées au sein de cette population. Les graves difficultés d’insertion sociale et économique auxquelles l’immigration originaire de Turquie doit faire face sont notoires. Les jeunes connaissent un échec scolaire massif et se trouvent souvent relégués dans l’enseignement professionnel. La majorité des actifs sont ouvriers non qualifiés et leur taux de chômage dépasse largement celui des autochtones européens(3). Ainsi, parmi les Turcs actifs dans l’Union européenne, le taux de chômage était de 25,9 % en 1996, contre 11 % pour l’ensemble de la population active de l’UE. POPULATION ORIGINAIRE DE TURQUIE HORS-DOSSIER N° 1226 - Juillet-août 2000 - 78 DANS LES PRINCIPAUX PAYS D’ACCUEIL EUROPÉENS EN 1996 Pays d’installation Population originaire de Turquie (milliers) 2 014,3 (66,4 %) France 261,0 (8,6 %) Pays-Bas 260,1 (8,6 %) Autriche 142,2 (4,7 %) Belgique 119,0 (3,9 %) Suisse 79,4 (2,6 %) Royaume-Uni 58,2 (1,9 %) Suède 35,7 (1,2 %) Danemark 35,7 (1,2 %) Italie 15,0 (0,5 %) Norvège 10,0 (0,3 %) 3 034,5 (100 %) Allemagne Total Europe occ. Source : ministère turc du Travail et de la Sécurité sociale, Yurtdisi Isçi Hizmetleri Genel Müdürlügü. 1996 Yili Raporu [Direction générale des services aux travailleurs à l’étranger. Rapport d’activité 1996], Ankara, 1997, 267 p., p. 3. se marient encore avec une personne du village d’origine de leurs parents et, dans bien des cas, les conjoints appartiennent à une même famille. Les mariages “mixtes” sont plus rares chez les Turcs(5) que chez d’autres nationalités immigrées originaires du monde musulman. Deuxièmement, la communauté originaire de Turquie connaît un taux de natalité important, de l’ordre de 2,6 % par an. Il s’agit d’un taux plus élevé qu’en Turquie (2,3 %). De l’importance de la natalité découle une autre conséquence démographique : la jeunesse de cette population, dont le tiers a moins de dix-huit ans. Plus de 80 % de ces jeunes sont nés et scolarisés en Europe. L’immigration turque concerne presque exclusivement des personnes originaires de régions rurales qui n’avaient, pour la plupart, jamais vécu de manière prolongée dans une ville avant leur migration. Par ailleurs, elles n’avaient jamais côtoyé non plus une présence culturelle ou linguistique européenne avant leur migra- tion, puisque contrairement à tous les autres pays d’émigration musulmans, la Turquie n’a jamais été colonisée. Dans les pays d’accueil, ces paysans devenus ouvriers auront tendance à se concentrer selon leur localité d’origine. Le quart des immigrés de Turquie de plus de dixhuit ans installés en Belgique sont ainsi nés dans la seule province d’Afyon. Il y a également, aux Pays-Bas, une concentration comparable de Turcs originaires notamment de la province de Karaman. De même, les Turcs de Suède viennent le plus souvent de Kulu (province de Konya). Au Danemark, 60 % des immigrés originaires de Turquie proviennent des régions kurdes du sudest de l’Anatolie. Les liens familiaux (akrabalik) et régionaux (hemserilik) conservent toute leur force. Le mode de vie communautaire et le contrôle social conséquent sont encore largement intacts chez ces immigrés. La hiérarchie familiale traditionnelle se reproduit également dans une large mesure, notamment grâce aux 5)- En 1996, sur 13 659 mariages recensés par les autorités consulaires turques en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Belgique et en Autriche, la moitié concernait des mariages entre époux ayant tous les deux la nationalité turque (source : ministère turc du Travail et de la Sécurité sociale, rapport cité, pp. 11, 46, 79, 94, 121). 6)- Les neuf dixièmes des Turcs de Suisse vivent en région alémanique. 7)- Comparaison avec l’immigration originaire de l’Afrique du Nord : 70 % des 2,5 millions d’immigrés originaires du Maroc, d’Algérie et de Tunisie installés en Europe vivent dans des pays francophones (France, Belgique francophone et Suisse romande). 8)- Il est possible de capter, par antenne parabolique, douze chaînes TV turques, dont huit sont privées. L’antenne parabolique permet également l’écoute de stations de radios FM. Par ailleurs, depuis quelques années, la principale chaîne TV publique (TRT-INT) et une chaîne privée (Euroshow) sont diffusées par câble dans certaines régions d’Allemagne et du Benelux. À partir du début des années soixante-dix, trois grands quotidiens nationaux ont commencé à être diffusés à travers l’Europe. Actuellement, six journaux nationaux sont disponibles dans les grandes villes européennes. DE L’ÉCHEC SCOLAIRE AUX EMPLOIS NON QUALIFIÉS Partout en Europe, les enfants d’émigrés turcs connaissent d’importantes difficultés scolaires et se trouvent majoritairement cantonnés dans l’enseignement professionnel, même si la scolarité a généralement tendance à s’allonger et à s’améliorer lentement. Dans tous les pays d’immigration, la langue du pays ou de la région d’accueil n’est pas suffisamment maîtrisée par une large proportion de cette population, mais la situation semble actuellement s’inverser chez les jeunes de la deuxième et de la troisième génération, qui parlent désormais souvent moins bien le turc que la langue du pays où ils sont nés. Cependant, l’usage du turc dans la famille se maintient encore dans la grande majorité des cas : cette population immigrée est issue d’un pays qui présente, malgré ses nombreuses minorités, une certaine homogénéité linguistique. Les jeunes Turcs ont, par exemple, peu de difficultés à comprendre la presse (écrite et audiovisuelle), la production cinématographique et les chansons populaires de leur pays d’origine. La résistance de la langue turque réside pour une part dans sa simplicité syntaxique. Par ailleurs, le turc s’écrit à l’aide de l’alphabet latin et, contrairement à l’arabe par exemple, ne connaît pas de dichotomie radicale entre un parler populaire et la langue savante, écrite. La langue d’origine est aidée dans sa persistance par une profusion de médias écrits ou audiovisuels(8). N° 1226 - Juillet-août 2000 - 79 habitent Vienne. Le quart des Turcs de France habitent la région parisienne. En Belgique, près du quart des immigrés originaires de Turquie habitent dans seulement cinq municipalités (Schaerbeek, Saint-Josse, BruxellesVille, Anderlecht et Molenbeek) de la région de Bruxelles-Capitale, qui en compte dix-neuf. Enfin, 21 % des Turcs installés en Suisse vivent dans le seul canton de Zurich. HORS-DOSSIER mariages au village d’origine. Ces alliances peuvent être interprétées comme un renouvellement partiel mais permanent de la première génération d’immigrants. La concentration géographique et, par la même occasion, la coloration germanique de l’immigration turque en Europe sont remarquables. Nous avons déjà signalé que les deux tiers de la colonie turque se trouvent Outre-Rhin. Les pays germanophones – Allemagne, Autriche et Suisse(6) – accueillent 74 % de cette immigration(7). En Allemagne, 35 % des 2,014 millions de Turcs sont installés en Rhénanie du NordWestphalie. Près du quart des immigrés turcs en Europe (23,1 %) vivent donc dans ce seul Land. Mais la palme revient à la ville de Berlin, qui avec ses 136 400 Turcs abrite à elle seule plus d’un vingtième des émigrés de Turquie sur le continent. Cette concentration s’observe également dans d’autres pays. Au Royaume-Uni, 64 % de la population originaire de Turquie est installée dans la région de Londres. La moitié des Turcs de Suède vivent à Stockholm. Il en est de même pour Copenhague au Danemark. Près du tiers des immigrés turcs d’Autriche (32 %) N° 1226 - Juillet-août 2000 - 80 HORS-DOSSIER La conséquence directe d’une scolarité médiocre est la non-qualification professionnelle. Les Turcs d’Europe en souffrent beaucoup. La majorité de la population active turque en Europe exerce des emplois non qualifiés, précaires et mal payés. Ces travailleurs sont surreprésentés dans les constructions métalliques, le nettoyage industriel et de bureaux, le bâtiment, les travaux publics et la confection. Dans la plupart des cas, les enfants poursuivent les métiers des parents. Le nombre de diplômés 9)- En 1996, parmi les 18-25 ans issus de l’immigration turque en Allemagne, il n’y avait que 6,4 % d’étudiants. En Belgique, d’après le recensement de 1991, ce taux était encore plus bas (4,4 %), alors que le taux de scolarisation supérieure des 18-25 ans dépasse les 30 % dans la population totale de ces deux pays. Même en Turquie, la scolarisation supérieure concernait, en 1996, 17,6 % de la classe d’âge des 20-25 ans. 10)- Le revenu annuel moyen par Turc en Allemagne était, en 1996, de 33 674 DM contre 42 760 DM pour les Allemands de souche (source : A. Goldberg, Y. Ulusoy et A. Karakasli, Türklerin Alman Ekonomisine Katkilari [Contribution des Turcs à l’économie allemande], Türkiye Arastirmalar Merkezi, ZfT Aktüel, n° 57, Önel Verlag, Cologne, 1998, 65 p., pp. 21). 11)- En 1996, pas moins de 57 900 indépendants et chefs d’entreprises originaires de Turquie travaillaient en Europe, dont 42 000 en Allemagne, 4 700 aux Pays-Bas, 3 500 en France et 2 000 en Autriche. La même année en Allemagne, l’investissement total de ces entrepreneurs atteignait 8,9 milliards de DM. Leur chiffre d’affaires collectif indiquait 36 milliards de DM. Toujours en 1996, on estime qu’ils employaient environ 186 000 salariés (sources : ministère turc du Travail et de la Sécurité sociale, rapport cité, pp. 50, 82, 97, 109, 138 ; A. Goldberg, Y. Ulusoy et A. Karakasli, op. cité, pp. 21). d’études supérieures est encore assez faible parmi les jeunes(9). Ces caractéristiques socioprofessionnelles marginalisent la communauté turque en Europe sur le marché du travail(10). Les difficultés d’insertion professionnelle ont encouragé certains immigrés à se lancer dans une activité indépendante. Leur concentration géographique, le mode de vie communautaire, où un commerçant turc est toujours préféré à d’autres, et le faible coût d’une main-d’œuvre familiale permettent le développement de certaines affaires, modestes au début. Mais celles-ci attirent de plus en plus une clientèle qui n’est pas exclusivement turque. La formation d’une classe d’affaires en Europe complexifie la stratification sociale de la population originaire de Turquie, tout en lui insufflant un dynamisme nouveau. Désormais, une population turque souffrant majoritairement de marginalisation socio-économique côtoie une petite classe d’affaires en plein décollage. Le taux d’indépendants et d’employeurs dans la population active originaire de Turquie est passé de 3 % en 1985 à 5,2 % en 1996(11). Plus d’une dizaine organisations d’entrepreneurs immigrés turcs ont vu le jour depuis 1990. VIE COMMUNAUTAIRE ET IDENTITÉ MUSULMANE Quelles que soient les politiques d’immigration en vigueur et la philosophie dominante de l’intégration, dans tous les pays d’accueil où ils sont implantés, les Turcs semblent développer une logique communautaire qui ressemble par certains de ses aspects au modèle d’intégration anglo-saxon des minorités. En ce qui concerne N° 1226 - Juillet-août 2000 - 81 HORS-DOSSIER l’immigration turque, parler d’une vie collective Europe un véritable maillage constitué d’une revient à parler de liens communautaires denses, multitude d’organisations, depuis les associaconfinés dans l’espace quasi insulaire d’un tions ou mosquées locales jusqu’aux fédéraquartier populaire. L’immigration turque en tions à l’échelle de l’Union européenne(12). Les Europe apparaît comme plus importantes et les cultivant sa différence. mieux organisées de ces Les difficultés d’insertion fédérations sont à coloraCes migrants sont occuont poussé pés à tisser une identité tion islamique (comme le diasporique transfrontamouvement Milli Görüs(13) certains immigrés lière unique en Europe par exemple). Ces orgaà se lancer dans par son ampleur et son nisations sont devenues une activité indépendante. poids démographique. des réseaux clientélistes Désormais, Il s’agit de conserver et de grande taille offrant de développer les liens des services sociaux, une population turque groupaux formels par le culturels, cultuels, édumarginalisée truchement des fédéracatifs et commerciaux à économiquement côtoie tions associatives et des travers l’Europe. échanges culturels, poliLes organisations jouent une petite classe d’affaires tiques et commerciaux un rôle incontestable dans en plein décollage. nourris avec le pays la formation des identités d’origine. Dans le même et des opinions, ainsi que temps, les ressortissants turcs à l’étranger sont dans la mise en place d’un contrôle social plus poussés par un encadrement diplomatique, ou moins important qui a cours dans la comconfessionnel et médiatique très présent, vers munauté turque. Elles limitent, à première vue, l’acquisition de la nationalité de leur pays de 12)- Pour une information détaillée sur les organisations résidence et vers la constitution d’un groupe de immigrées turques en Europe, voir U. Manço, “Des organisations sociopolitiques comme solidarités pression économique et électoral turc en Europe. islamiques dans l’immigration turque en Europe”, Annales L’objectif à long terme est le développement de l’autre islam, n° 4, Inalco, Paris, 1997, pp. 97-133. d’une élite économique et intellectuelle capable 13)- L’audience de la fédération Islam Toplumu-Milli Görüs/ Islamische Gemeinschaft-Milli Görüs [Communauté notamment de jouer un rôle de lobby ethnique islamique-Vision confessionnelle], basée à Cologne, est estimée à quelque 300 000 personnes (Milliyet, 2 août 1996, de type nord-américain dans les relations entre Istanbul). Les membres et leurs familles bénéficiaires la Turquie et l’Union européenne, la Turquie des services proposés par Milli Görüs représenteraient donc un dixième de la population originaire de Turquie ayant posé sa candidature à l’adhésion dès les en Europe ! En 1995, l’organisation disposait de 791 sections locales partout en Europe et annonçait 112 323 membres années soixante. cotisants (U. Manço, article cité, 1997, p. 122). On peut L’islam est de loin l’appartenance identitaire considérer cette organisation comme la branche émigrée officieuse du mouvement politique islamiste fondé en 1970 la plus importante dans l’immigration turque, par l’ancien Premier ministre N. Erbakan. Au sujet de cette mouvance, voir I. Sunar et B. Toprak, “Islam in même s’il en existe beaucoup d’autres. L’attaPolitics : The Case of Turkey”, Government and Opposition, vol. XVIII, n° 4, 1983, pp. 421-441 ; S. Mardin, “Religion and chement des immigrés aux multiples facettes Politics in Modern Turkey”, Islam in Political Process, de leur culture d’origine ne s’est pas affaibli sur J.-P. Piscarori (éd.), Cambridge U.P., Cambridge, 1989, 240 p. ; R. Çakir, Ne seriat, Ne Demokrasi. Refah Partisini Anlamak le sol européen. Cette population a reconstitué [Ni la chari’a, ni la démocratie. Comprendre le Parti de la prospérité], Metis Yay, Istanbul, 1994, 248 p. ; M. Heper, tous les clivages sociaux, politiques, religieux et “Islam and Democracy in Turkey toward a Reconciliation ?”, ethniques du pays d’origine en implantant en Middle East Journal, vol. 51, n° 1, 1997, pp. 32-45. N° 1226 - Juillet-août 2000 - 82 HORS-DOSSIER le processus d’émancipation des composantes, qui suppose une sécularisation progressive de notamment jeunes et féminines, de cette popul’identité culturelle. Ces indicateurs sont cenlation. En revanche, elles préviennent, dans un sés illustrer la disparition d’identités ethniques : nombre appréciable de cas, l’isolement, une de génération en génération, la communauté trop grande marginalité et la délinquance juvéimmigrée décline, tandis qu’on assiste à l’émernile. D’une manière génégence d’individus affranrale, ces organisations chis de leur appartenance On imagine la femme canalisent le mécontencommunautaire. Paraturque analphabète, tement social et la crainte doxalement, l’individu de l’assimilation vers des s’affirme par son assimion la suppose aveuglément certitudes idéologiques lation à l’entité sociale soumise à ses parents ou ou confessionnelles, réd’accueil. à la famille de son mari, pondant ainsi à la quête Quant à sa propension devant se couvrir la tête d’identité et à la recherà l’assimilation indiviche d’une image positive duelle, mesurable en parsous la pression présumée de soi, à la demande de tie à travers les indices de son entourage, victime valorisation et au besoin précités, la communauté de mariages “arrangés”, de reconnaissance qu’exturque d’Europe obtient prime cette population. des résultats relativeincapable de prendre Partout en Europe, la ment médiocres au regard son sort en main... population originaire de des populations balkaTurquie apparaît donc niques musulmanes, et comme un groupe socio-économiquement framême nord-africaines, auxquelles elle est régugilisé et qui, de prime abord, cherche à matélièrement comparée dans les pays de l’Europe rialiser un certain repli communautaire. continentale. En conséquence, les Turcs ont plutôt “mauvaise presse” dans tous les pays où ils UNE IMAGE TRONQUÉE sont installés. Sur les problèmes qui accablent DE L’IMMIGRATION TURQUE les immigrés d’origine musulmane, il arrive aux L’intégration est définie comme la participamédias européens de raisonner, sous l’influence tion “objectivable”, donc mesurable, d’individus de la production sociologique holiste, en termes d’origine étrangère aux structures socio-écod’inadaptation sociale ou même d’incompatinomiques et aux institutions culturelles et polibilité culturelle. Au début des années quatre(14) tiques légitimées dans la société autochtone . vingt, les migrants du Sud de l’Europe (Italiens, Plusieurs faits sociaux peuvent servir d’indicaEspagnols, Portugais et Grecs) étaient ainsi préteurs à cette assimilation progressive : l’augsentés comme les “bons” immigrés face aux mentation du taux des mariages “mixtes” et la 14)- Voir par exemple H. J. Hoffmann-Nowotny, “Assimilation baisse de la natalité ; l’accroissement des capaand Integration of Minorities and Cultural Pluralism”, in Education and Integration of Ethnic Minorities, cités linguistiques dans la langue d’accueil et M. Rothermond et C. Simon, ICES, London, 1986, l’amélioration de la scolarité ; l’amélioration de pp. 197-208. ; U. Mehrländer, “Trends and Developments in Migration Studies in Western Europe”, in International l’insertion socioprofessionnelle ; l’autonomisaMigrations, vol. XXVI, n° 4, 1988 ; E. Todd, Le destin des immigrés, Odile Jacob, Paris, 1994 ; M. Tribalat, De tion des individus par rapport à la communauté l’immigration à l’assimilation. Enquête sur les populations d’origine et la baisse de la pratique religieuse, d’origine étrangère en France, La Découverte, Paris, 1996. 15)- Voir par exemple Haut Conseil à l’intégration, Rapport au Premier ministre. Liens culturels et intégration. Juin 1995, La Documentation française, Paris, 1995, 163 p., pp. 67-68. N° 1226 - Juillet-août 2000 - 83 intrafamiliale présumée générale, incapable de prendre son sort en main et devant donc être assistée pour “se soulever contre la domination patriarcale dont elle fait l’objet”. L’image de la communauté turque ne repose pas uniquement sur la volonté d’intégration-assimilation que des observateurs croient détecter ou pas dans ses comportements. Les Européens découvrent également la population originaire de Turquie qui vit près de chez eux de manière indirecte, à travers le prisme de l’actualité internationale. Il est vrai que la presse européenne contient un plus grand nombre d’articles sur l’actualité turque que sur les problèmes de l’immigration. L’instabilité chronique de la vie politique en Turquie “menacée de surcroît par l’intégrisme islamique”, la situation peu réjouissante des droits de l’homme dans ce pays, l’interminable problème kurde, l’insoluble question de Chypre “occupée par l’armée turque” et le nœud gordien du contentieux gréco-turc (l’évolution récente des relations entre ces deux pays nous autorise à plus d’optimisme quant à ce dossier), le souvenir du “génocide arménien” de 1915, le renforcement de la mafia et le trafic de drogue vers l’Europe, la candidature controversée de la Turquie à l’Union européenne sont des thèmes qui fleurissent avec une fréquence soutenue HORS-DOSSIER “mauvais”, ceux qui sont originaires du monde musulman. Le même scénario semble se reproduire à la fin de la décennie quatrevingt-dix, notamment en Europe francophone, où des responsables politiques et des chercheurs croient observer l’enclenchement tant attendu du processus d’assimilation des Nord-Africains, même si d’énormes problèmes de tous ordres restent à résoudre. En revanche, ils regrettent la “non-assimilabilité” de la population turque installée dans leur pays(15). Ainsi, l’image du Turc qui se dessine en filigrane dans l’opinion publique, au sein des professions de l’éducation, du travail social et de la santé, de même que dans l’esprit de la classe politique européenne, n’est que trop classique ; au mieux elle est misérabiliste et frôle souvent la (mauvaise) caricature. L’homme turc est en retard d’intégration par rapport à ses homologues nord-africains ; il est donc rétrograde et plus souvent “fondamentaliste”, violent, insoucieux de l’éducation de ses enfants hormis l’éducation religieuse, profiteur d’allocations sociales, travailleur au noir, proche des “réseaux mafieux” ; il se replie volontiers dans son ghetto et refuse consciemment le contact avec la société qui l’a pourtant accueilli. L’image de la femme turque n’est pas plus flatteuse : elle est analphabète, aveuglément soumise à ses parents ou à la famille de son mari, devant se couvrir la tête sous la pression présumée de son entourage, victime de mariages “arrangés” et d’une violence N° 1226 - Juillet-août 2000 - 84 HORS-DOSSIER dans la presse. Leur traitement par les jourrapidement pour s’assimiler aux comportements nalistes européens est volontiers alarmiste, autochtones dans l’espace d’une seule généraparfois simpliste et pas toujours impartial. tion. Par contre, dans d’autres domaines, des L’image de la Turquie et des Turcs donnée par codes de conduite originaux pourront jalousela presse demeure donc ment être conservés pentrop souvent et parfois dant longtemps. Mais le Les organisations injustement négative, plus souvent, ce sont des alors qu’elle exerce une pratiques sociales mixtes, islamiques sont d’abord certaine influence sur légitimées à la fois par “la l’œuvre de la première la perception de ces modernité de la société génération d’hommes, migrants. L’opinion pud’accueil et par la tradition blique au sujet de l’imdes origines” qui seront qui sont la proie migration se construit mises en œuvre. Chez une d’une nette perte donc aussi sur la base seule et même personne, de statut social. d’a priori négatifs qui l’attachement à des van’ont aucune relation leurs considérées comme objective avec le quotitraditionnelles coexiste dien des immigrés et de leurs descendants. fréquemment avec une exigence accrue d’autonomie individuelle. Il y a toujours une marge APPROCHER LA COMPLEXITÉ entre ce qui est perçu comme culture d’apparDE LA RÉALITÉ tenance et l’usage que les immigrés en font. SOCIALE IMMIGRÉE Afin d’illustrer certaines pratiques sociales En tant qu’acteurs sociaux, les immigrés ne syncrétiques, légitimées à la fois par les traditions font pas que subir la loi de la société d’accueil turco-islamiques et la modernité occidentale, qui dicte, génération après génération, la voie nous évoquerons ici les fonctions assumées par de l’assimilation. Il arrive également aux immiles associations musulmanes développées par grés et à leurs descendants de mettre en œuvre l’immigration turque. Tant en Europe qu’en des stratégies d’insertion, d’inventer des modes Turquie, ces nombreuses sociabilités immide vie et de pensée composites, avec comme grées, très différentes les unes des autres tant résultat l’apparition de pratiques sociales syndu point de vue de l’idéologie que de l’organicrétiques et d’identités “bricolées” en fonction sation, sont souvent décriées et dénoncées en des contingences quotidiennes, des besoins tant que foyers de militantisme islamique. Mais concrets, des aspirations futures et du contexte les différentes catégories de population qui socio-économique environnant(16). Ainsi, cercontribuent à la mise en place de ces organitains domaines de la vie sociale peuvent évoluer sations communautaires, et qui sont ainsi qualifiées de “militants islamistes” – pères de la première génération et leurs fils, femmes, 16)- R. Lesthaeghe et J. Surkyn, “Religious Dimensions of Social Change among Turkish and Morrocan Women épouses, brus ou filles –, ne sont pas motivés par in Belgium”, European Journal of Population, n° 11, 1995, le même engagement et ne recherchent pas pp. 1-29 ; A. Manço et U. Manço, “Turcs de Belgique : le repli identitaire comme dynamique d’intégration ?”, Annales nécessairement la même légitimation. Puisde l’autre islam, n° 3, Inalco, Paris, 1995, pp. 111-124 ; R. Lesthaeghe, Diversiteit in sociale verandering. Turkse qu’il semble exister un repli identitaire et un en Marokkaanse vrouwen in België, VUB Press, Bruxelles, 1997, 349 p. refus du modèle de l’assimilation individuelle Comportement à double légitimité et à fonctionnalité multiple, la mise sur pied d’organisations communautaires islamiques, du niveau local au niveau continental, semble être une preuve d’accès à la “modernité” plutôt qu’uniquement suggérée par la “tradition” ou la volonté de préserver une appartenance culturelle considérée comme “originelle”. S’ils n’avaient pas quitté leurs villages d’Anatolie, les immigrés et leurs descendants n’auraient probablement jamais pris part à la constitution de telles organisations sociopolitiques en voie de bureaucratisation, qu’elles soient d’ailleurs islamiques ou non. Pour la première fois, ces paysans devenus migrants se trouvent dans une position d’acteurs sociaux en contribuant à l’existence de tels mouvements associatifs. Par ailleurs, ces sociabilités sont toujours fondées, selon les législations des pays d’accueil, avec une personnalité juridique d’association sans but lucratif. Au niveau local, elles fonctionnent dans le respect des principes N° 1226 - Juillet-août 2000 - 85 À TRAVERS LES ORGANISATIONS, DES STRATÉGIES D’INSERTION ET D’AUTOVALORISATION de gestion participative prévus par les différentes lois nationales. Toutes les organisations islamiques immigrées sont d’abord l’œuvre de la première génération d’hommes, qui sont la proie d’une nette perte de statut social. Peu scolarisés, ne parlant pas la langue du pays d’accueil et au plus bas de l’échelle socioprofessionnelle, ils sont aujourd’hui souvent assignés au chômage ou accablés par une invalidité. Dans le meilleur des cas, ils ont atteint l’âge de la retraite. La volonté de respecter scrupuleusement les préceptes islamiques et l’observance du culte constituent pour la majorité des hommes une affirmation identitaire défensive. Par la valorisation de pratiques piétistes, ils cherchent à rétablir une autorité perdue sur leur épouse et leurs enfants. Dans un élan qui n’est pas dénué de sens pragmatique, ils préconisent des solutions moralisatrices aux problèmes qui minent la vie de la seconde génération. Ils cherchent à mobiliser la morale islamique pour la résolution des problèmes d’exclusion. Dans ce but, les pères réclament du personnel religieux de leur organisation d’assumer un rôle d’action sociale auquel il n’est pas toujours préparé. HORS-DOSSIER dans le cas des Turcs, il serait intéressant d’interroger la rationalité de leurs pratiques sociales. Dans une perspective sociologique compréhensive, quelle est, pour ces immigrés et leurs descendants, la signification de leur appartenance identitaire islamique, qui s’exprime le plus souvent par l’adhésion à l’une de ces organisations musulmanes ? N° 1226 - Juillet-août 2000 - 86 HORS-DOSSIER ment appréciables au vu du milieu populaire d’où elles proviennent. Les étudiantes cherchent à faire valoir auprès de leurs parents leurs activités islamiques, gages de moralité, afin de pouvoir terminer leurs études. Les branches féminines de telles associations sont le lieu d’échanges inLe marché turc de Berlin dans les années quatre-vingt-dix. © Eric Morere/IM’Média. formels entre des perCe sont des activités sportives et sociales qui sonnes vivant la même situation sociale. Étant attirent les jeunes hommes vers les organisadonné le niveau de scolarité généralement bas tions musulmanes de l’immigration. Le sport est de la majorité des femmes immigrées, le travail une des rares sources de valorisation pour cette de conscientisation réalisé par ces organisajeunesse qui connaît massivement l’échec scotions ne manque pas d’intérêt. Il s’effectue laire et l’exclusion sociale. Grâce à ces organidans des domaines tels que la consommation, sations, les jeunes peuvent se réunir hors de l’hygiène ménagère, l’éducation des enfants, la l’enceinte familiale sans pour autant susciter sexualité, la contraception et, last but not least, l’inquiétude des parents. Ceux-ci considèrent l’inadéquation entre les mentalités machistes les associations musulmanes comme une alteret des préceptes islamiques nettement en faveur native à “la rue”, aux cafés, aux salles de jeux des femmes mais occultés par la tradition. électroniques, à la prostitution, à la drogue et L’existence de tels lieux de rencontre délivre à la délinquance. Les jeunes y trouvent un beaucoup de participantes de l’isolement et espace où ils peuvent exprimer leurs problèmes de la solitude. ou leurs sentiments entre eux et certainement LA COMMUNAUTÉ, plus librement qu’à la maison. Ces organisations UNE RESSOURCE À EXPLOITER offrent une socialisation valorisante à des jeunes qui n’ont de toute façon pas un accès aisé à des La contribution à la formation d’identités structures sociales autochtones permettant l’inislamiques, ou, concrètement, l’adhésion à une tégration. Enfin, il ne faut pas sous-estimer les organisation immigrée musulmane, ne prend réseaux de solidarité et d’information qui se tispas la même signification pour les membres de sent autour de ces organisations. Ils peuvent chacune des trois catégories citées. Au contraire, dans un certain nombre de cas conduire à la elle porte une rationalité propre à chacune des conclusion d’un contrat d’embauche. catégories de l’immigration turque. L’apparteGrâce à la légitimité conférée par la particinance à l’islam est certes primordiale mais, aux pation aux activités associatives et pieuses, des prises avec les réalités quotidiennes de leur femmes accèdent, souvent pour la première fois, situation, les différentes catégories d’immigrés à une vie publique et à une liberté de mouveutilisent leur adhésion à une association reli- Dossier Immigrés de Turquie, n° 1212, mars-avril 1998 A PUBLIÉ Alain Jund et Sylvie Jaecklé, “L’immigration alsacienne dans le contexte rhénan” Dossier D’Alsace et d’ailleurs, n° 1209, septembre-octobre 1997 Riva Kastoryano, “La présence turque en France” Altay Manço, “Turcs de Belgique : une ‘insertion dialectique’ ?” Hors-dossier, n° 1172-1173, janvier-février 1994 Zafer Senocak, “À partir de quand un étranger peut-il se sentir chez lui ?” Dossier Une autre Allemagne, n° 1151-1152, février-mars 1992 N° 1226 - Juillet-août 2000 - 87 exploiter pour permettre une intégration négociée et valorisante à la société d’accueil. Au-delà d’une marginalisation socio-économique qui participe d’un mouvement de fragilisation générale des couches sociales les plus faibles de la société européenne, ballotées entre la mondialisation de l’économie et la déréglementation sociale, certaines catégories de l’immigration musulmane en Europe donnent des signes de mise en œuvre de pratiques sociales visant à une meilleure insertion dans la société d’accueil, tout en préservant, particulièrement dans le cas turc, un attachement communautaire et confessionnel. La population immigrée d’origine turque est à la base d’étonnantes combinaisons et de pratiques, notamment éducatives et professionnelles, qui tendent à construire des modes de vie et de pensée syncrétiques tout en s’aidant à la fois d’une structure d’opportunités offertes par les pays d’accueil, notamment par la scolarité, et de solidarités communautaires. Il s’agit de la mise en œuvre de projets d’intégration innovateurs qui consistent à lier la logique des identités culturelles collectives à celle de l’assimilation socio-économique individuelle, et à faire converger les attitudes conservatrices et les attitudes assimilatrices. ✪ HORS-DOSSIER gieuse pour bien d’autres buts que la simple dévotion ou même la contestation (“islamiste”) d’une société occidentale discriminante et source d’exclusion. Ces acteurs cherchent à bénéficier de la légitimité que procurent de telles adhésions pour développer des stratégies d’insertion ou d’autovalorisation. Comme nous le voyons, l’intégration individuelle et la préservation d’une vie communautaire ne sont pas obligatoirement des phénomènes contradictoires. L’intégration d’acteurs immigrés dans une société d’accueil n’est pas nécessairement linéaire. Elle ne se manifeste pas toujours simultanément dans tous les domaines des sphères publiques et privées. De même, les liens d’un acteur d’origine étrangère avec sa communauté ou la société autochtone ne sont pas rigides. Au contraire, ils peuvent être flexibles et mettre en évidence des stratégies d’insertion pragmatiques et différentiées. Selon l’approche sociologique interactionniste ou compréhensive, l’individu s’affirme par une construction “bricolée”, mais pragmatique et stratégique de son identité. Là où le holisme sociologique considère la communauté immigrée comme un obstacle à l’intégration, la sociologie compréhensive y voit une ressource à